Reproducing Europe: Les familles migrantes, les professionnels et l’État-providence

Anouk de Koning

Milena Marchesi Anick Vollebergh

Wiebe Ruijtenberg Lucrezia Botton Soukaina Chakkour

Photos par Bart Boeijen (Amsterdam)

Andrea Balossi Restelli (Milan)

Jean-Robert Dantou (Paris)

Introduction

Être un parent migrant

Introduction

Paris : des parents hésitants Milan : des mères débrouillardes Amsterdam : des divorces déstabilisants

Pratiques professionnelles

Introduction

Amsterdam : travailler avec et contre les parents Paris : l'empowerment face aux institutions Milan : le bénévolat comme émancipation

Dilemmes des rencontres parentales

Introduction

Milan : les attentes des parents face à l'État Milan : l'État social relationnel

Paris : les rencontres institutionnelles répétitives Paris : l’écoute et la parole

Amsterdam : racisme insaisissable Amsterdam : des rencontres parentales opaques

Un travail relationnel

Mères, pères : à la recherche de l'assistance sociale Normes et différences

de recherche, Remerciements

Introduction

Les villes européennes comptent une population de plus en plus diversifiée. De nombreux pays européens ont aussi vu se développer des sentiments anti-immigra tion et de nouvelles formes de nationalisme. Ainsi, de nouveaux débats s'ouvrent sur des questions telles que : qui appartient à l'Europe et quelles sont les implications de cette appartenance ? Pour comprendre la dialectique de cette appartenance, le projet Reproducing Europe se concentre sur les rencontres faites par les personnes dans le cadre de leur parentalité et de l’éducation de leurs enfants.

L'éducation des enfants est d'une grande importance pour les parents, qui fondent des espoirs et des attentes sur l'avenir de leurs familles ; ils consacrent beaucoup de temps, d'énergie et de ressources émotionnelles à la réalisation de ces espoirs. Des organisations étatiques et non étatiques s'investissent également dans la nouvelle génération et considèrent que garantir la sécurité et le bien-être de leurs enfants-citoyens est un élément central de leur mission. Lorsque les personnes deviennent

parents, elles sont impliquées dans plusieurs interactions en lien avec leurs enfants : les services de santé publique, d'éducation et les services familiaux offrant une assistance à l'éducation. Or, ces services suivent également les familles. Les rencontres quotidiennes - rencontres parents-enseignants, visites dans les centres sociaux, groupes pour les mères - nous éclairent dès lors bien plus que les manchettes médiatiques parlant d'intégration ratée, de parents démissionnaires et d'incivilités des jeunes. Elles sont plus révélatrices de ce qu'est l'Europe actuellement et de ce qu'elle pourrait devenir.

Reproducing Europe se compose de six projets ethnographiques menés à Amsterdam, Milan et Paris. La recherche ethnographique se caractérise par l'effort de se rapprocher des réalités vécues par un groupe de per sonnes, afin de comprendre comment elles perçoivent leur propre vie et comment elles agissent dans les si tuations auxquelles elles font face. Les chercheurs im pliqués dans le projet ont suivi les personnes dans leur vie ou dans leur travail, participant à leurs routines quotidiennes. Les six projets se sont concentrés soit sur les perspectives de professionnels et de bénévoles fournissant diverses formes de soutien à la parentalité, soit sur les expériences de parents migrants d'origine égyptienne.

Dans chaque ville, un doctorant-e a étudié comment des parents migrants égyptiens se frayaient un chemin à travers le paysage institutionnel, comment ils négo ciaient leurs propres demandes face à l'État et comment ils faisaient face aux revendications institutionnelles. Les chercheurs ont utilisé les expériences vécues par les migrants pour documenter comment ceux-ci inte ragissaient au sein des villes où ils vivent. Les migrants

égyptiens constituent un groupe intéressant. Comme ils doivent trouver leur chemin dans des sociétés où une vision négative à l'égard des musulmans et des Nord-Africains est très répandue, ils sont susceptibles de ressentir l'impact des débats politiques et des interven tions gouvernementales. La diaspora égyptienne dans les trois villes comprend des personnes de la classe ouvrière et des élites, des personnes à peine scolarisées et d'autres très qualifiées, des citadins et des personnes venant de la campagne, des coptes et des musulmans. Les chercheurs ont pris en considération cette diversité, même s'ils ont travaillé plus étroitement avec des familles musulmanes vivant dans des conditions modestes.

Les chercheurs étaient souvent invités à assister à des rencontres avec un enseignant, un assistant social ou un agent des services de protection de l'enfance pour aider et soutenir les parents ; ils devaient souvent assurer la traduction entre ces derniers et les institutions avec lesquelles ils devaient traiter. Wiebe Ruijtenberg a travaillé sur les rencontres parentales des familles égyptiennes dans le vaste paysage de l'État social à Ams terdam, documentant, entre autres, comment les pères étaient impliqués, ou exclus, dans les rencontres avec des professionnels ou avec des institutions. Lucrezia Botton a accompagné des femmes égyptiennes à Milan, alors qu'elles tentaient de se trouver une place dans un nou veau paysage social en tant que mères. Soukaina Chak kour s'est penchée sur la manière dont les familles égyp tiennes à Paris élevaient leurs enfants dans ce qu'elle appelle un » espace d'hésitation «, puisqu’elles ne savaient pas dans quelle trajectoire s'investir et quelles compé tences et qualités privilégier.

Dans chacune de ces villes, une chercheuse plus

expérimentée à son tour, a étudié les expériences et les perspectives des professionnels et des bénévoles qui offrent de diverses formes d'accompagnement aux parents, surtout ceux qui souffrent de pauvreté et qui sont issus de l'immigration. Comment ces professionnels et ces bénévoles travaillaient-ils avec un groupe diversifié de parents, dont beaucoup sont marginalisés ? Comment conciliaient-ils leur désir de soutenir les parents et leur propre vision de ce que devrait être un bon parent et une bonne société ?

Les chercheuses ont suivi des professionnels qui offrent du soutien à la parentalité tout au long de leur journée de travail ; elles ont également assisté à des réunions avec des collègues ou avec les familles et, lorsque cela était possible, elles ont travaillé à leurs côtés. Anouk de Koning, directrice du projet, a travaillé avec les profes sionnels de deux équipes parent-enfant (Ouder- en Kind teams) d’Amsterdam, à travers lesquelles tous les services de protection de la jeunesse sont organisés au niveau municipal. Elle a étudié la manière dont ils géraient leurs rôles ambigus : ils sont là pour soutenir et conseiller les parents, mais aussi ils agissent autant que garants du bien-être des enfants ; tout en contrôlant l'accès à l'aide spécialisée à ceux qui en ont besoin. Milena Marchesi, qui a travaillé dans les quartiers périphériques de Milan, s'est penchée sur des projets visant à répondre aux be soins des familles récemment arrivées, ou qui faisaient face à la précarité dans un contexte de diminution des ressources publiques. Les professionnels et les bénévoles impliqués dans ces projets travaillaient pour améliorer un système de services sociaux fragmenté et inadéquat tout en adoptant et en générant un nouveau paradigme de l'État social qui s'appuie sur la solidarité entre les

citoyens. Enfin, Anick Vollebergh a étudié, pour sa part, les actions de soutien à la parentalité apportées par les centres sociaux au sein des quartiers populaires de Paris. Ces actions visaient à accompagner et à fédérer les pa rents marginalisés afin de contrer l'impact des inégali tés et d'instaurer une société plus juste et plus inclusive. Dans les trois villes, les professionnels partageaient le désir de travailler avec les parents en les soutenant plutôt qu'en leur imposant leurs propres normes.

Les équipes parent-enfant d'Amsterdam sont de nou velles institutions centralisées qui assurent un fonction nement harmonieux entre les groupes de professionnels et des services qui étaient jusque-là fragmentés. Les recherches menées à Milan et à Paris avec des professionnels se sont concentrées sur un domaine plus délimité et particulier du soutien à la parentalité. A savoir, un sou tien en marge du paysage institutionnel, qui est plutôt confié à une nébuleuse d’organisations à but non lucratif (ONG) et d'acteurs associatifs.

Les doctorants ont été en contact avec un éventail plus large de services sociaux et de postures profession nels que les approches relativement égalitaires des professionnels de soutien à la parentalité. Ils ont suivi les parents dans des rencontres allant de l’école, en passant par le médecin, aux bureaux de l'aide sociale. Ces institutions et leurs représentants jouaient souvent un rôle plus cen tral dans la vie des parents migrants et avaient tendance à être dans une position de pouvoir évident par rapport à ces derniers. Les représentants des institutions pouvaient imposer leur discipline aux parents et fournir ou retenir des ressources matérielles ; ils pouvaient faire avancer ou retenir les enfants dans leur parcours scolaire.

Ce livre donne une idée des conclusions prélimi-

naires de ces études ; ainsi que sur les données comparatives, obtenues à la lumière des rencontres entre les parents migrants et les professionnels du soutien à la parentalité. Il aborde aussi la question plus large de l'ap partenance à la Nouvelle Europe et comment cette ap partenance se négocie désormais. Le livre se compose de trois parties : la première s’intéresse aux perspectives des parents migrants égyptiens à Amsterdam, Milan et Paris et à leur quête d'une vie meilleure pour leurs familles. La deuxième partie traite du cadre institutionnel des projets de soutien à la parentalité et explore les rapports entre les professionnels et les parents migrants dans les trois villes. La troisième partie met l'accent sur les rencontres qui réunissent les parents, dans leur recherche des services et du soutien, et les professionnels dans leurs efforts pour inciter les parents à rejoindre leurs programmes. Chaque partie comprend une introduction et un nombre de vignettes provenant du terrain, qui il lustrent nos conclusions générales. Les photos qui y sont jointes donnent une idée des lieux et des personnes qui ont participé à ce projet, bien qu'elles ne soient pas néces sairement celles décrites dans le texte. Nous avons utilisé des pseudonymes et, dans certains cas, nous avons modifié des détails mineurs, afin de préserver l'anonymat de nos interlocuteurs.

Reproducing Europe a pu être réalisé grâce au sou tien financier du Conseil européen de la recherche et est basé à l'Université Radboud de Nimègue, aux Pays-Bas. Nous sommes également très reconnaissants envers nos interlocuteurs à Amsterdam, Milan et Paris pour leur aide, leur soutien et leur générosité, consistant à partager leurs expériences et leurs idées avec nous. Bien qu'il soit destiné à un plus large public, ce livre est écrit pour eux.

Le quartier de Van der Pekbuurt, situé sur la rive nord de l’IJ, juste en face de la gare centrale d’Amsterdam, est l’une des zones couvertes par les équipes parent-enfant d’Amsterdam Nord. Jusqu’à récemment, ce village-jardin construit pendant les années 1920 pour les classes ou vrières était relativement pauvre, délabré et considéré comme peu attrayant. Maintenant qu’il a été rénové, il fait l’objet d’une gentrifica tion rapide, même si, pour l’instant, il compte toujours de nombreuses familles défavorisées issues de la classe ouvrière blanche ou migrante.

Pages 20 et 21

Deux femmes discutent en quittant un groupe destiné aux mères dans un quartier périphé rique de Milan. Les appartements sociaux offrent une vue sur la piazza, connue jusqu’il y a quelques années comme étant un endroit à forte criminalité. Des fonds mis à disposition par la municipalité, une fondation privée et une ONG internationale ont permis de mettre sur pied des projets, à l’instar du groupe pour les mères, qui ont cherché à récupérer cet espace pour les familles et les enfants du quar tier.

Pages

22 et 23

La Place des Fêtes dans le 19e arrondissement. Les centres sociaux et les autres associations engagées dans des activités de soutien à la parentalité sont souvent situés au sein des cités de logements sociaux. Les habitants des cités, issus pour la plupart de l’immigration et des couches sociales défavorisées, inves tissent l’espace public semi-reclus des cités en y faisant naître une vie sociale animée en plein air et une forte solidarité de quartier, même si les cités sont aussi souvent décrites comme étant des lieux de la délinquance juvénile et des problèmes sociaux. Le contraste entre les cités et les zones subissant une gentrification rapide – se distinguant par des immeubles résidentiels du 19e siècle ou des projets de développement – est caractéristique des arrondissements du nord-est de Paris.

1. Être un parent migrant

Guidés par l'aspiration à une meilleure vie pour euxmêmes et pour leurs enfants, de nombreux parents égyp tiens vivant à Paris, Milan et Amsterdam ont choisi de s'installer en Europe avec leurs familles ; ou pour y fonder une famille. Or, une fois en Europe, de nombreux parents se sont retrouvés dans des conditions économiques diffi ciles, avec un accès restreint et conditionnel aux services sociaux et à la citoyenneté. Ils ont aussi dû faire face à des inquiétudes quant à leurs compétences parentales, formulées par leurs proches restés au pays, les communautés locales ou les professionnels du travail social. Dans de telles conditions, les plans de ces familles sont marqués par l'hésitation et doivent constamment être réajustés, voire carrément abandonnés.

Les parents égyptiens avaient des espoirs relativement élevés en matière d'État social en Europe, mais dans leur vie quotidienne, ils s’interrogeaient sur ce qu'ils pouvaient attendre de l’État et éprouvaient un doute persistant sur leur statut de citoyen. Malgré les différences entre les systèmes de services sociaux dans les trois villes, les pa-

rents migrants égyptiens se trouvaient souvent dans une situation précaire en matière de logement et de travail et avaient des craintes quant à la compatibilité du système éducatif avec les besoins de leurs enfants. Les prestataires de services ne semblaient souvent pas tenir compte de la situation précaire des parents, ni reconnaître les efforts que ces derniers déployaient pour améliorer la vie de leur famille. Parfois, les démarches bureaucratiques et les at tentes des professionnels semblaient aggraver la situation vulnérable des parents. Ces obstacles amenaient les pa rents à s'interroger sur l’avenir de leur famille, sur les allé geances à cultiver ainsi que sur leurs priorités et les voies dans lesquelles ils doivent investir leur énergie.

Les rouages du système de services sociaux sont structurés sur la base du genre. Au niveau des familles, divers facteurs, dont les obligations professionnelles et les compé tences linguistiques, déterminent le parent susceptible de traiter avec les institutions. Pour leur part, de nombreux institutions et programmes de services sociaux partent du principe que les problèmes en lien avec la parentalité et la participation sociale ne sont pas les mêmes pour les pères que pour les mères bien qu'elles utilisent le terme » parents «. Par conséquent, ces programmes s'adressent souvent spécifiquement soit aux mères, soit aux pères. Cela peut être explicite, comme dans le cas des écoles milanaises destinées aux mamans, ou bien implicite, comme lorsque les écoles choisissent de communiquer, par défaut, avec un seul parent, qui, en l'occurrence, est généralement la mère. En plus, les systèmes des services sociaux et les disposi tions législatives fonctionnent souvent selon des critères de genre ; par exemple ils s'intéressent à l’hébergement des mères et des enfants en situation de crise tout en lais sant les pères se débrouiller seuls. 1. Être un parent migrant

la plupart des migrants égyptiens travaillent dans deux secteurs : le secteur des services – en tant que vendeurs aux marchés hebdomadaires – et la construction. Sur cette photo, un homme égyptien et un homme syrien mettent la touche finale à la rénovation d’un appartement à Paris. Ils ont travaillé sur ce mandat pendant quatre mois, passant le plus clair de leurs journées sur le site de rénovation. Et pourtant, ils doivent lutter pour trouver un appartement pour eux-mêmes.

Paris : des parents hésitants

Les deux pages suivantes En route pour la bibliothèque publique lors d’un après-midi pluvieux à Pa ris, Um Ahmed tient sa fille par la main en marchant, tandis qu’elle partage ses inquiétudes quant à l’avenir de ses enfants. Son ombre se reflète sur le sol humide, comme pour illustrer la dichotomie de sa vie actuelle, partagée entre la réalité de la vie en France et l’espoir et le désir d’un avenir égyp tien. Elle avance tout de même, quoiqu’avec hésitation.

Um Ahmed raconte en penchant la tête en arrière, les yeux fermés et le visage affligé, que lorsqu'elle est allée cher cher son fils Ahmed à l'école primaire, la directrice s'est arrêtée pour lui dire que ce dernier devait passer du temps à la bibliothèque pour lire davantage. Elle jure qu'elle retournera en Égypte : » Si on n'arrête pas de me faire des remarques sur sa performance à l'école et qu’il n'a pas d'avenir de toute façon, je préfère être en Égypte, près de ma famille, plutôt qu'ici. Je ne peux pas gâcher son avenir dans les deux pays. Je jure par Allah, la seule raison pour moi de continuer à vivre ici pour l’instant, c'est le papier ]permis de résidence[. Dès que je l'aurai, je ramènerai mes enfants en Égypte. «

A chaque fois qu'Um Ahmed ren contre des difficultés au sujet de la performance de son fils à l'école, elle pense retourner » au balad «. En fait, son fils se débrouille bien à l'école, il a les mêmes difficultés que ses cama rades, mais sa mère s'inquiète toujours. En route vers une école où il apprend l'arabe, elle énumère les nombreuses raisons pour lesquelles retourner en Égypte serait mieux pour ses enfants que de rester en France. La France as sure une bonne éducation, certes, mais en Égypte, la préservation des valeurs familiales est assurée et ses enfants seront proches de la famille élargie, y compris leurs grands-parents, sans oublier que leur éducation religieuse ne sera en aucune façon compromise, ni l'apprentissage de la langue arabe. Comme de nombreux parents égyp tiens, Um Ahmed est constamment à la recherche d'un avenir digne pour ses enfants, mais ne sait pas trop où le réaliser. Oscillant entre son désir de rester à Paris et celui de tout quitter pour

retourner en Égypte avec sa famille, Um Ahmed craint élever un enfant qui, selon ses propres termes, » ne ressemblera ni à ses pairs français, ni à sa famille égyptienne «.

En arrivant à l'école d’arabe, Um Ahmed se prépare à discuter avec le professeur d'arabe au sujet de la per formance d'Ahmed. Sa gestuelle et son expression faciale révèlent son état d’alerte face à ce que pourrait dire l’enseignante de l'arabe. Mais rien ne se passe. Um Ahmed demande à son fils de prêter attention à l'école et le laisse pour rejoindre deux autres mères dans la salle d'attente. Les autres mères, l’une égyptienne, l’autre Algérienne, parlent de leurs problèmes, se donnent des conseils et se réconfortent en échangeant leurs expériences. Um Ahmed parle avec elles de la perfor mance de son fils en langue arabe. Elle a peur qu'il ne travaille pas assez bien pour pouvoir passer au niveau suivant. Rawan, une mère égyptienne avec deux enfants nés en France, la rassure : » Il n'est pas là pour avancer ; il est ici pour connaître sa religion, afin de devenir un bon musulman. « Um Ahmed émet un soupir de soulagement.

En attendant la fin de la classe de deux heures, Um Ahmed propose à contrecœur à Soukaina, la chercheuse, d'aller cette fois-ci à la bibliothèque publique pour voir si Ahmed doit s'inscrire. En passant devant une classe de ballet pour les filles de l'âge de la sienne, Um Ahmed lance d'un air coupable : » J'aimerais aussi que ma fille participe à ces activités, mais l'année prochaine, elle sera inscrite au cours d'arabe et ne pourra donc pas participer à d'autres activités. Je sens que j'empêche mes enfants de faire des activités que d’autres enfants font. «

Son inquiétude est profonde, même si la solution à ses problèmes est liée à des facteurs qui sont largement hors de son contrôle. Par exemple, pour régu lariser son statut, elle doit faire de lon gues démarches bureaucratiques, dont le résultat peut être positif ou négatif. L’incertitude seule de ce résultat suffit à pousser Um Ahmed à plonger dans l’hésitation de s’installer en France ou de retourner en Égypte. Elle ne sait pas vraiment comment investir dans l'éducation de son fils : doit-elle mettre l'accent sur l'enseignement de l'arabe ou sur l'amélioration de son français ? En tant que parent, elle va et vient entre les promesses non réalisées de la France et de l'Égypte.

À la bibliothèque, le réceptionniste explique qu'aucune inscription est nécessaire et que tout le monde est le bienvenu pendant les heures d'ou verture. Um Ahmed et Soukaina se dirigent vers la section spéciale pour enfants. Um Ahmed note que celle-ci est pleine d'enfants, » même les blonds «. La présence d'autres enfants la ras sure ; elle comprend qu'il ne s'agit pas seulement de son fils. » Et bien, si les enfants français sont là aussi, ça doit être une très bonne chose. Après tout, l'éducation ici est meilleure, en plus elle est gratuite. «

1. Être un parent migrant

Dans la maison d’Um Ahmed, la télévision et le téléphone permettent de réduire la distance entre la famille et la ville d’origine. Au moment de regarder parler le président égyptien Al-Sissi à la télévision, la nostalgie et l’hésitation se font sentir.

Paris : des parents hésitants

Avant le cours d’arabe, Soukaina, la chercheuse, s’assied avec Ahmed pour une révision rapide de ses devoirs d’arabe. Le manuel d’arabe, qui comprend à la fois les alphabets latin et arabe, illustre les pressions significatives que parents et enfants subissent. On attend des enfants qu’ils excellent à la fois en français et en arabe et il revient aux parents de faire en sorte que ce soit le cas.

À 9 h 30, Selma doit déposer son plus jeune enfant à la crèche, situé loin de chez elle. À 10 h, elle a un rendez-vous au centre Devenir Parents, un centre de planning familial privé et an ti-avortement et subventionné par le gouvernement régional. Selma est enceinte de son quatrième enfant, ce qui l'a surprise, car elle avait utilisé des contraceptifs.

Selma vit dans une banlieue de Milan. Pour elle, le quartier et les liens qu'elle a pu y établir sont des ressources cruciales. Elle a fait la connaissance de nombreuses mères arabes et italiennes à travers l'école primaire et les fêtes de quartier. Elle rencontre quotidiennement d'autres mères arabes dans la rue ou dans les cafés que les égyptiens jugent comme respectables. Les femmes parlent, partagent leurs soucis et s'entraident. Elles partagent également des infor mations sur les nouvelles prestations, les ressources mises à disposition par les organisations caritatives ainsi que les programmes d'orientation profes sionnelle et s'informent où et de qui obtenir de l'aide pour les démarches administratives.

À l'école de ses enfants, Selma a sui vi des cours d'italien et participe désormais à un » espace de rencontre « pour les mères et aux événements sociaux. Ses contacts dans le quartier et à l'école lui ont appris à trouver son chemin en ville et à traiter avec les institutions. Grâce à eux, elle a découvert le pro gramme Devenir Parents, qui offre un soutien matériel et psychologique aux femmes enceintes et les guide aussi pour obtenir une prime familiale, une allocation de l'État.

Normalement très sûre d’elle, Selma perd son assurance quand elle parle en

italien. Au centre Devenir Parents, elle compense sa compréhension imparfaite de l'italien par un comportement docile et respectueux. Elle est accueil lie par Bianca, une bénévole plus âgée de nature un peu sévère, qu'elle rencontre souvent. A chaque rencontre, Bianca demande à Selma quelques informations de base : son âge, la com position de sa famille, l'âge des enfants et la profession de son mari. Selma ne s’oppose pas, même si elle considère cette collecte d'informations tous les deux mois, comme bizarre et inutile.

Les formalités effectuées, Bianca demande à Selma d'un ton déçu : » Pourquoi n’avez-vous pas assisté au cours le mois dernier ? « Bianca fait allusion au cours de préparation à l'accouchement auquel Selma est inscrite. La participation au cours est obligatoire pour recevoir un approvi sionnement de six mois en couches pour bébé, une des prestations offertes par le centre. Selma savait dès le début qu'elle ne pourrait pas assister au cours. Elle s'occupe déjà de trois en fants et son mari travaille de longues heures. Bianca la réprimande : » Je ne comprends pas pourquoi vous ne vou lez pas apprendre quand vous en avez l’occasion. « Elle menace de retenir l'approvisionnement en couches. Selma avait déjà accouché trois fois, mais elle se tait quand même. À la fin de la ren contre, Selma part relativement sou lagée. Bianca a laissé entendre qu'elle lui accordera probablement l'approvi sionnement en couches malgré tout. Mais la question de la participation au cours a pris tout le temps et Selma n'a pas eu l'occasion de s'informer sur les démarches pour obtenir la prime familiale.

De nombreuses familles égyptiennes

ont été gravement affectées par la situation économique difficile en Italie au cours des dernières années. Elles ont été obligées de saisir toute opportunité de travail et d'avoir recours à toutes les formes possibles d'assistance sociale, qu'elles soient publiques ou offertes par des organisations privées ou de charité. Les efforts pour surmonter les condi tions économiques difficiles ont mobili sé toute l'énergie des parents migrants d’une manière nouvelle. Alors que les pères sont occupés par une recherche parfois frénétique d'emploi, les mères ont appris à naviguer le paysage com plexe de services sociaux et à com prendre comment celui-ci fait parvenir un soutien économique aux familles. Elles savent accéder aux institutions de l'État pour obtenir des informations, des prestations et des services disponibles, ce qui a aussi contribué à l'amélioration de leurs compétences linguistiques et de leur connaissance de la ville.

Lors de leurs démarches auprès des services sociaux à Milan, les mères rencontrent de nombreux profession nels et bénévoles qui les encouragent à devenir plus autonomes, indépendantes et engagées. Parfois, les possibilités de formation proposées, comme dans le cas du centre Devenir Parents, ignorent la situation de ces femmes et exigent des actions en retour, par exemple la participation à leurs projets. Dans un contexte où les ressources sont rares, les mères égyptiennes doivent gérer leur participation à des programmes tels que Devenir Parents ; où des bénévoles comme Bianca peuvent les aborder de manière paternaliste et condescendante, mais les aident en même temps à accéder à des ressources importantes.

La série de photos dans les pages qui suivent

Prenant soin des besoins quotidiens de sa famille, Faiza Marei saisit aussi toutes les opportunités pour améliorer leur situation. Elle remplit des formulaires de demande de presta tions et de logement social, gagne de l’argent en donnant des cours d’arabe et lance des activités bénévoles susceptibles de se transformer en opportunités professionnelles, à l’instar d’un cours de couture. Elle met en outre à profit sa connaissance du système italien pour aider d’autres femmes de son quartier à s’orienter. Ces photos ont été prises sur une journée pour illustrer la notion de mère » débrouillarde et ac tive «. Alors que cette notion est encouragée par les professionnels et les programmes de Milan, elle constitue très souvent déjà une réalité dans la vie quotidienne des femmes migrantes.

Page 53, en haut

Travaillant dans un café du quartier.

Page 53, en bas

Faiza aide une enseignante de langue italienne à se présenter à deux enfants égyptiens nouvel lement arrivés. Les cours de langue italienne ont lieu pendant les heures d'école pour les nouveaux étudiants d'origine étrangère. Au cours de leurs deux premières années d'école en Italie, ces étudiants suivent un programme d'études plus léger par rapport à leurs pairs.

Page 54, en bas

Aidant une famille pendant l’inscription à l’école. En Italie, les élèves issus de l'immigra tion peuvent être inscrits à l'école à n'importe quel moment de l'année scolaire.

Page 55, en bas

En juin 2016, Magdy, père de deux enfants au début de la cinquantaine, devient sans-abri. Sa femme a deman dé le divorce et le juge a ordonné qu'il quitte le domicile conjugal au profit de sa femme et de leurs enfants, » dans l'intérêt de la stabilité de la famille « . Il a recours aux prestations pour les sans-abris et commence à accumuler des dettes. Magdy dort dans sa voiture et mange ce qu'il trouve dans la rue. Rapidement, les services de protection de l'enfance suppriment son droit de visite, car ils estiment que les enfants sont dérangés de voir leur père dans cet état. Déprimé et frustré, Magdy retourne en Égypte, mais en arrivant, il se rend compte qu'il ne veut pas abandonner ses enfants. En décembre, Magdy retourne à Amsterdam pour re prendre sa vie en main et assumer son rôle de père.

donnerait la priorité sur la liste d'at tente pour un logement social, ce qui réduirait son temps d'attente de quinze ans à quelques mois. Une fois logé, les services de protection de l'enfance de vraient rétablir son droit de visite.

L'entretien a lieu dans une petite cabine fermée au bureau municipal d'Amsterdam-Ouest. L'agent d'ac cueil, une jeune femme néerlandaise blanche d'une vingtaine d'années, l'accompagne dans cette procédure. Elle explique qu'elle va d'abord lui poser quelques questions, puis, en fonction de ses réponses, elle lui conseillera de faire la demande ou pas. En fin de compte, c'est à Magdy de décider, affirme-t-elle, mais son conseil sera inclus à la demande. Les frais de dossier sont de 50 euros, non remboursables en cas de refus de la demande. L'entre tien commence. » Où avez-vous vécu au cours des six derniers mois ? « , demande-t-elle. La question est cru ciale, car seuls les résidents enregistrés auprès de la ville sont éligibles. Magdy a vécu à Amsterdam pendant près de trente ans, mais après son divorce, il a dû inscrire son addresse ailleurs avant de s'enregistrer de nouveau à Ams terdam. Au lieu de donner une réponse directe, Magdy raconte à l'agent d'accueil toutes ses tentatives pour retour ner à Amsterdam. Son approche semble marcher et l’agent d’accueil passe à la deuxième question, égale ment cruciale : pourquoi Magdy a-t-il besoin d'une attestation d'urgence ? Cette fois, la réponse de Magdy est courte et précise : » J'ai besoin d'une maison pour devenir de nouveau père de mes enfants. « La réponse semble peu convaincante. » Monsieur, je dois vous avertir que le parent non-résident n'est pas éligible à une attestation d'ur 1. Être un parent migrant

Le divorce est très répandu parmi la communauté égyptienne d'Ams terdam, avec un taux supérieur à 70%. Beaucoup considèrent ce taux élevé comme l'un des principaux défis de la vie aux Pays-Bas. Cependant, les effets du divorce diffèrent énormément pour les pères et les mères. Après le divorce, les mères égyptiennes deviennent souvent seules responsables de l’éducation des enfants, ce qui leur laisse peu d’espace pour autre chose. Les pères, comme Magdy, deviennent souvent des sans-abris et souffrent d’insécuri té financière et de problèmes de santé mentale.

Un an après son divorce, précisé ment un mardi matin ensoleillé de juin 2017, à 11 h précises, Magdy est convo qué pour son entretien de conseil pour une attestation d'urgence. Si l'entretien se passe bien, Magdy pourra sollici ter une attestation d'urgence, qui lui

: des divorces déstabilisants

Amsterdam

gence basée sur les besoins des enfants. Y a-t-il d'autres raisons pour lesquelles vous avez besoin d'un logement de toute urgence, par exemple votre état de santé ? « Magdy semble soulagé. Suite à un accident de voiture, il souffre de graves douleurs à l'épaule, au dos et aux jambes et il a du mal à monter les escaliers. Il a un certificat médical qui atteste de son état. Convaincue, l'agent d'accueil félicite Magdy et lui conseille de faire une demande d’attestation sur la base de son état médical. » Mais je ne peux pas vous garantir qu'ils vous accorderont l'urgence « , ajoute-t-elle en guise de décharge de responsabilité. Il est 11 h 10 quand Magdy quitte le petit bureau. » Maintenant, je dois trouver 50 euros « , dit-il en s'éloignant.

1. Être un parent migrant

Les Pays-Bas se targuent de plu sieurs programmes visant à engager davantage les pères dans la vie de famille. Beaucoup de ces programmes se concentrent sur les pères migrants, perçus comme étant moins impli qués que les hommes néerlandais » de souche «. Ces programmes semblent supposer que les pères manquent de compétences ou de motivation pour s'engager dans la famille. Mais loin des compétences ou de la motivation, de nombreux pères égyptiens à Amsterdam n'ont pas la possibilité de s'en gager dans la vie de leur famille autant qu'ils le voudraient, par exemple parce qu’ils travaillent sept jours sur sept, dix à douze heures par jour, pour pouvoir joindre les deux bouts ou, dans le cas d’un divorce, parce qu’ils deviennent des sans-abris. Le cas de Magdy montre que les efforts de ces pères sont en fait une sorte d'engagement parental, même s'ils ne sont pas reconnus en tant que tel par les professionnels, les ex-partenaires ou même leurs enfants.

par Trias Pedagogica dans le but d’initier des conversations parmi et entre les parents – en particulier les pères – au sujet des pratiques de parentalité et des rôles domestiques.

Un groupe de pères joue au jeu de société Bon heur Domestique dans une des associations égyptiennes d’Amsterdam.

Le jeu de société Bonheur Domestique )Huiselijk Geluk( a été développé

2. Pratiques professionnelles

L'État-providence se manifeste de manière significati vement différente d'un pays à l'autre en Europe. Dans nos projets de recherche, cela allait de l'État-provi dence à grande échelle et plutôt riche des Pays-Bas ; à l'État social limité d’Italie, où les services publics sont de plus en plus souvent assurés par des organisations à but non lucratif (ONG), qui dépendent largement de bénévoles. En partie à cause de ces différences et en fonction de qui s’occupe de la parentalité en tant que domaine de l'action publique, nos projets de recherche avec les professionnels et les bénévoles différaient gran dement les uns des autres. Anouk a travaillé avec deux des 26 équipes parent-enfant (Ouder- en Kindteams) de la municipalité d'Amsterdam. Ces équipes, organisées géographiquement, visaient à soutenir tous les parents résidents d’Amsterdam et à veiller au bien-être de tous les enfants entre 0 et 23 ans. Dans le cas d'Amsterdam, plusieurs services liés aux enfants et aux parents sont regroupés, tandis qu’à Paris et Milan, ces services se répartissent entre de nombreux domaines distincts.

2. Pratiques professionnelles

Dans ces deux villes, le soutien à la parentalité était un domaine plutôt assuré par des acteurs moins institu tionnels, par exemple des bénévoles ou des associations à but non lucratif. En France, le soutien à la parentalité est devenu un nouveau pilier de la politique familiale et de la sécurité sociale, en complémentarité avec les services sociaux, notamment de la CAF (caisse d’allocations familiales), l'aide sociale à l'enfance, et également avec les services médicaux psychologiques et des centres PMI (protection maternelle et infantile), qui s'occupent aussi de la parentalité à leur façon. À Paris, la majorité des initiatives de soutien à la parentalité sont menées par des associations socio-culturelles et des associations des quartiers défavorisés dit » priori taires «, où elles ciblent plus généralement la stimula tion de la vie de quartier, la solidarité et la lutte contre les inégalités et l'exclusion. À Milan, Milena a suivi des initiatives de bénévoles et de professionnels représentatives des nouveaux paradigmes de l'État social. Ces projets portaient sur la participation et sur l'établis sement de nouvelles relations comme, à la fois, forme d'intervention – un moyen de permettre aux parents d'expérimenter de nouveaux modes de vie et modèles de parentalité – et nouveau modèle de services sociaux qui incite les parents à se montrer solidaires entre eux. Cette diversité institutionnelle a donné lieu à des rela tions très différentes entre les acteurs du soutien à la parentalité et les parents qu'ils souhaitent soutenir.

Un jeudi après-midi, les membres de l'une des équipes parent-enfant d'Amsterdam se réunissent pour leur séance de discussion bihebdomadaire. Ces séances constituent un espace d'échange important au sein d'une organisation qui met l'accent sur l'expertise et l'autonomie des profes sionnelles. Lorsqu'ils ont à gérer des cas difficiles, les membres de l'équipe peuvent demander conseil à des collègues travaillant dans plusieurs domaines. L'équipe est organisée en groupes de discussion de cinq ou six membres ayant des expériences pro fessionnelles variées. Ce groupe est en tièrement composé de femmes, reflétant la composition majoritairement féminine de la plupart des équipes. Il comprend une infirmière et un méde cin spécialistes de la santé des jeunes et trois conseillers » parent-enfant « au bénéfice d’une expérience de travail pédagogique et social. La psychologue pour enfants du groupe est absente.

Les équipes parent-enfant d'Ams terdam ont été créées en 2015, lorsque les services spécialisés de la jeunesse ont été transférés du niveau national au niveau municipal dans un contexte de restriction budgétaire, afin de les simplifier et de les rendre plus accessibles. À Amsterdam, ces formes de prise en charge de la jeunesse ont été intégrées à des programmes déjà exis tants, comme les programmes de san té de la jeunesse et l’assistance sociale en milieu scolaire. Les équipes pa rent-enfant qui en ont résulté visent à assurer à tous les enfants une jeunesse heureuse et saine. Elles se présentent comme une ressource de soutien au profit, à la fois, des parents et des enfants. Cependant, si elles estiment que l'intérêt de l'enfant est en jeu, elles

peuvent adopter une approche plus interventionniste.

Maria, l'infirmière, présente le cas d'une fillette de 4 ans. La mère et la fille étaient venues pour un ren dez-vous de consultation. La fillette était arrivée dans une poussette et s'était accrochée à sa mère tout au long de la consultation ; elle avait l'air très effrayée. Après une seule tentative de mettre un bloc rond dans un trou rond, la fillette avait abandonné les jouets utilisés pour évaluer le développement des enfants. En outre, la fillette, qui s’était nourrie de lait jusqu'à l'âge de 3 ans pour passer ensuite au riz blanc, était en surpoids. Maria avait proposé son aide à la mère, en vain.

» D'où viennent-elles ? «, demande Anke, une conseillère parent-enfant. Maria cite un pays asiatique. Ses pro pos ne suscitent ni commentaires ni questions. Maria continue en indi quant que » mère «, la façon habituelle pour les professionnels de nommer leurs clients, est revenue deux se maines plus tard avec » père «, préoccupé par les pleurs continuels de sa fille à l'école. Les parents ont finalement accepté de rencontrer un conseiller parent-enfant. Maria se souvient qu'elle » a dû vraiment les motiver pour accepter l'aide de l'équipe. « Depuis cette réunion, elle a appelé les parents tous les jours, sans succès. Inquiète, Maria a informé le médecin généraliste de la famille, qui a promis de s'enquérir auprès des parents.

Les membres du groupe partagent l’inquiétude de Maria concernant le bien-être physique et le développe ment psychosocial de l'enfant. Ce qui semble les inquiéter le plus, c'est la résistance des parents à accepter l'aide qui leur est offerte. Etant donné que

Amsterdam

la fillette a commencé l'école, tout le groupe estime que c'est à la conseillère parent-enfant de l'école, Miriam, de reprendre le cas. Miriam n'a pas en core établi de contact avec les parents. Anke prend de nouveau l’initiative : » Miriam devrait simplement dire aux parents : » Nous avons été informés de la situation et nous sommes très préoccupés. «

La politique des équipes parent-en fant met en avant les besoins propres aux parents et utilise une approche axée sur les facultés des parents qui met l'accent sur les responsabilités, les capacités et le réseau des parents plutôt que sur l'initiative des professionnels et les ressources publiques. Toutefois, l'aide est » volontaire, mais pas facultative « . Comme le souligne Anke : » Miriam voudra peut-être que les parents soient d'accord sur l'aide qu'elle peut offrir. Mais s'ils conti nuent à refuser son aide, Miriam doit informer la Veilig Thuis )Être en sé curité à la maison, une hotline en cas de violence domestique et de maltrai tance des enfants(, même si les parents ne le souhaitent pas. C'est une ques tion de sécurité. « Tout le monde est d'avis que Miriam devrait adopter une approche proactive à l'école, puisque les parents de la fillette ne solliciteront pas d'aide de leur propre gré. » Il faut donc les aborder « , estime Esther.

Les membres des équipes pa rent-enfant sont dans une position complexe et parfois contradictoire vis-à-vis des parents : ils sont là pour les soutenir, mais ils sont aussi les protecteurs de l'enfant et les repré sentants d'un dispositif de suivi et d'évaluation garantissant la sécurité de ce dernier. Le cas de Maria illustre comment l'intérêt de l'enfant peut

devenir une source de conflit entre les professionnels et les parents et une raison justifiant une approche profes sionnelle plus ferme. La possibilité de telles interventions est présente dans les rencontres avec les parents en situation de précarité ceux vivant dans la pauvreté, issus de l’immigration, avec un faible niveau d'éducation ou une santé mentale ou physique fragile. Cela met en évidence le rôle contradic toire et ambivalent des professionnels des équipes parent-enfant.

Les membres d’une équipe parent-enfant se réunissent pour l’une de leurs séances biheb domadaires pour discuter des cas à Amsterdam Nord.

Amsterdam : travailler avec et contre les parents

Paris : l'empowerment face aux institutions

Vêtements de déguisement pour enfants dans une ludothèque dans le nord-est de Paris. À un tarif relatif au revenu, la ludothèque offre un espace équipé d’un vaste choix de jouets et de jeux, où les parents et les enfants peuvent venir jouer et se rencontrer en dehors de leurs maisons, où ils sont souvent à l’étroit. En incluant des références à différentes cultures et origines, par exemple avec la robe en tissu africain, les professionnels de la ludothèque travaillent à créer un espace où tous les parents et enfants du quartier se sentent accueillis et représentés.

»

L'école est une institution. Et oui, elle doit changer et évoluer. Mais certaines personnes veulent modifier l’école pour l’ajuster à leurs propres normes. Cela n'arrivera jamais. « Ori, le thérapeute familial qui anime le groupe de parole des parents mené par un centre so cial dans un quartier populaire dans le nord-ouest de Paris, ne mâche pas ses mots : » L'école ne s'adapte jamais à l'enfant. C'est l'enfant qui s'adapte à l'école «.

Les sujets de la rencontre d’aujourd'hui sont la loi ainsi que les droits et les responsabilités des parents. Ce sont des questions plus qu’importantes dans un quartier qui subit régulièrement les raids de la police, où sévit le trafic de drogues et qui connaît des taux élevés de décrochage scolaire. Une dizaine de jeunes et de préadolescents ainsi qu’un groupe de parents sont présents, tous d’origine subsaharienne ou maghrébine. En présence de deux animateurs du centre social, d’un ju riste invité et d’un éducateur de rue, ils s'installent autour de quelques tables garnies de pizzas offertes par le centre, dans une salle terne, éclairée par des néons. L’ambiance est informelle. Il s’agit d’un quartier où tout le monde se connaît et les animateurs du centre, qui y travaillent depuis plus de dix ans, sont bien insérés dans le tissu social de la communauté.

La discussion porte très rapidement sur le système scolaire. Les parents ra content des anecdotes sur les insultes des enseignants et les négligences des animateurs d’activités périsco laires et demandent ce qu’ils peuvent faire quand les écoles semblent trop enclines à orienter leurs enfants vers la voie professionnelle, que les pa rents considèrent souvent comme

une relégation de leurs enfants vers le bas de l’échelle du système éducatif. Ori et le juriste expliquent les règle ments, les procédures et les hiérarchies bureaucratiques, mettant l'accent sur les droits des parents et des élèves et expliquant les mesures légales sur les quelles ils peuvent s’appuyer. Fatima, la référente famille du centre, qui est régulièrement sollicitée par les parents pour les aider lors de conflits avec l'école ou pour les accompagner à des audiences disciplinaires, prend assidûment des notes.

La plupart des projets de soutien à la parentalité dans le nord-ouest de Paris sont menés par des associations de l'éducation populaire et conçus à partir d’une vision plus globale sur les inéga lités dans les quartiers prioritaires. Un aspect essentiel du travail des pro fessionnels comme Fatima est d'ac compagner )littéralement( les parents migrants ou issus de l'immigration dans leurs interactions avec les institu tions et de leur redonner confiance en eux, une confiance souvent effacée par les sentiments de culpabilité que leur renvoient les institutions. Même si de nombreux professionnels travaillaient dans l'espoir de faire changer tôt ou tard le système, ils devaient trouver un équilibre plus pragmatique dans leur travail quotidien d'accompagne ment. S'appuyant sur leurs propres expériences en tant que parents issus de l'immigration, Fatima et Ori re connaissaient le sentiment d'injustice des parents. Durant les discussions collectives, ils affirmaient que oui, la police était souvent raciste et que oui, certains enseignants étaient des » cons « ou encore que l’école fût une institution qui nécessite des réformes. Pourtant, ils voulaient aussi aider les

Paris : l'empowerment face aux institutions

parents en désarroi face aux compor tements délictueux ou aux problèmes scolaires de leurs enfants en les inci tant à réagir auprès de leurs enfants et des institutions. Ils conseillaient aux parents de maintenir un contact actif avec l’école et les mettaient en garde contre les conséquences négatives d'un discours de victimisation et de dési gnation de l’école comme » ennemi « auprès des enfants. Ils insistaient sur le fait qu’en tant que parents, il ne fal lait pas se résigner, ni se braquer seuls contre le système. Ori disait : » Voilà une autre manière dont une associa tion comme le centre peux aider : vous pouvez mutualiser, créer de la solidarité dans le quartier. «

La politique de soutien à la paren talité en France adopte une vision fortement universaliste et émancipa trice, visant à construire une solidarité et une entraide entre les parents, en considérant ces derniers comme des acteurs importants. À Paris, les profes sionnels travaillant dans les quartiers populaires suivent cette politique avec une ambition toute particulière : celle de valoriser les compétences et le sta tut des parents populaires et migrants ; et de leur permettre de retrouver une position d'acteurs face aux institutions. T ransformer les expériences in dividuelles des parents en expériences collectives et publiques était considéré comme un élément-clé, parce que, comme le disait Ori : » En tant qu'in dividu face à l'État, on ne peut jamais gagner. « C'est ainsi qu’Ori et Fatima concevaient l’objectif du groupe de parole, à savoir fournir un espace de réflexion et de mutualisation qui per met aux parents de sentir qu’ils ne sont pas seuls. Mais paradoxalement, dans le cadre de leurs efforts pour éclairer

auprès des parents la réalité sociale dans laquelle ils se trouvent et renforcer la solidarité face aux injustices et aux inégalités produites par les institu tions, les professionnels réaffirmaient aussi le pouvoir inexorable des institutions sur les individus.

Des dons de vêtements pour enfants dans un centre social, l’une des nombreuses initiatives de solidarité à petite échelle opérées par le centre.

Le bureau d’une référente famille dans un centre social. Les murs sont garnis de feuilles administratives, d’affiches et de dépliants annonçant des activités culturelles, de photos prises lors des sorties de famille du centre ainsi que de dessins et de projets créatifs réalisés par les enfants dans le cadre de l’aide aux devoirs. Ils confèrent à l’endroit une ambiance fami liale et personnelle, qui témoigne des relations informelles et souvent affectives entre les professionnels et les familles avec lesquelles ils travaillent.

Une » boîte à idées « dans un centre social qui abrite une halte-garderie. Déterminer les besoins des familles et amener ces dernières à participer activement au développement d’acti vités et de projets – soit agir » avec « et non » pour « les habitants – constituent des valeurs importantes dans le travail des profession nelles des centres sociaux.

Milan : le bénévolat comme émancipation

2. Pratiques professionnelles

Deux fois par semaine, les bénévoles toutes des femmes d’une association offrant des cours de langue gratuits aux mères migrantes se rendent à l'école primaire du quartier. Dans le hall d'entrée, elles placent une petite table et une feuille de présence. Bien tôt, leurs élèves arrivent l'une après l'autre ; des femmes adultes, dont la plupart sont d'origine égyptienne ou marocaine, et qui habitent dans les logements sociaux du centre du quartier, situé à la périphérie nordouest de la ville. Les femmes arrivent, portant des poussettes dans les esca liers, tenant des biberons ou emme nant leurs jeunes enfants par la main. D'autres bénévoles sont déjà montées à l’étage, dans une aile d'habitude dé serte de l’école, pour mettre en place les leçons préparées à l'avance avec leurs collègues ou transformer les salles de classe ternes en salles de jeu ou en crèches, où elles s'occuperont des enfants pendant que les mamans sont en cours.

En ce matin gris de novembre, Marisa, l'une des principales bénévoles, entre dans la salle préscolaire, où quatre de ses collègues jouent avec les enfants. Elle annonce une nou velle grossesse chez » nos dames «. Ce sera le quatrième enfant de l'élève. Francesca, la fondatrice de l'associa tion et l'une des bénévoles jouant avec les enfants, raconte que lorsque son quatrième enfant est né, elle a pen sé : » Ça y est, je ne travaillerai plus jamais ! « ; » Mais je peux faire ça «, ajoute-t-elle, faisant référence à la fondation de l'association.

Francesca a vécu toute sa vie dans la partie du quartier où habite la classe moyenne. Elle détient un diplôme universitaire en lettres clas

siques et voulait devenir enseignante du lycée. Mais lorsqu'elle a commencé à avoir des enfants, à l'instar de nombreuses femmes italiennes, elle a eu du mal à concilier son travail et les exigences de la vie de famille. Avec les changements survenus dans son quartier en raison de l'immigration, elle a décidé d'investir son énergie dans ce qu'elle percevait comme un problème croissant : le fossé mar qué entre les citoyens italiens et les migrants, dont beaucoup viennent d'Égypte et du Maghreb. » J'étais dé goûtée par l'idée de voir mes enfants grandir dans une ambiance pareille : les Européens d'un côté, les Arabes de l'autre. « Francesca a impliqué ses amies et ses connaissances, toutes des bénévoles, dans la fondation et la gestion de l'association. Réfléchissant à l’impact de cette dernière, elle décrit ce qu’elle considère comme l’un de ses plus grands succès : Dina, originaire d'Égypte, était l'une des premières participantes à l'école pour mères mi grantes. Selon les termes de Frances ca, l'association » a aidé Dina à se défaire d'une timidité monstrueuse, la pauvre. Elle était presque analphabète et maintenant, je ne dis pas qu'elle parle couramment l'italien, mais elle a pu devenir néanmoins représen tante de parents d'élèves, aux côtés d'une mère italienne. «

Cette influence de l'association, qui incitait les femmes à sortir de l'espace privé pour jouer un rôle plus actif dans la communauté, ne se limitait pas aux mères migrantes venues pour apprendre l'italien. Francesca décri vait les transformations que certaines bénévoles italiennes, y compris ellemême, avaient subies. Grâce à son ex périence dans la gestion de l'associa

tion pendant huit ans et une fois ses enfants grands, elle avait commencé à travailler dans une coopérative à but non lucratif. Elle avait acquis de nouvelles compétences tout au long des années de travail non rémunéré, ce qui lui avait permis de » s'épanouir professionnellement. « D'autres béné voles, disait-elle, suivaient des tra jectoires similaires en dépassant leur rôle de femme au foyer qui s'occupe des enfants, du mari et /ou des parents âgés pour jouer un rôle de plus en plus actif dans l'association. Francesca estimait que grâce à ces activités, ces femmes gagnaient » beaucoup d'es time de soi « et qu’au bout du compte, elles vivaient » la même transforma tion que Dina. «

Les bénévoles de l'école se perce vaient ainsi comme offrant gratuite ment un service social que l'État ne réussissait pas à fournir. En prenant soin des enfants des mères migrantes, les bénévoles recouraient à leur propre expertise domestique tout en enri chissant celle-ci. Plus encore, le béné volat pouvait servir de passerelle vers une professionnalisation, en particu lier pour les enseignantes de langue, et une expérience en leadership, même s'il était rare qu'il conduisît à un emploi rémunéré. Leur travail de bénévolat offrait également aux femmes un peu de répit des tâches do mestiques. En ce sens, les bénévoles et les participantes partageaient une tra jectoire qui correspond à de nouveaux

modèles d'État social et de citoyenne té en Italie et qui les conduit toutes hors du domaine privé vers la sphère publique. L'école pour les mamans illustre une dynamique particulière du nouveau paysage de l'État social italien. En aidant les mères migrantes à devenir autonomes dans un nouveau pays, ces bénévoles devenaient aussi les bénéficiaires des services sociaux qu'elles ont elles-mêmes générés.

Une bénévole, enseignante d’italien, vérifie le travail des étudiantes pendant une leçon.

Les étudiantes de l'école italienne pour les mères déposent leurs enfants chez les bénévoles avant de se rendre en cours.

3. Dilemmes des rencontres parentales

Les rencontres entre les professionnels et les parents étaient souvent caractérisés par des incertitudes. Pour les parents comme pour les professionnels, ces rencontres faisaient souvent l'objet d’une gestion complexe et d'un effort émotionnel considérable. Les dilemmes résultant des rencontres avec les parents reflètent la situation de l’État social en Europe aujourd'hui. Pour les parents, les rencontres avec les enseignants, les agents de la protection de l’enfance et les assistants sociaux tournaient autour de la quête de services sociaux et de leur désir de garantir un avenir viable à leurs enfants. Quelle sorte de soutien, de services et de droits les parents attendaient-ils de l'État ? Que devaient-ils faire pour accéder aux services et persuader les professionnels de leur vision sur ce qui est le mieux pour leurs enfants ?

Souvent, les parents devaient interagir avec des enseignants, des assistants sociaux ou des agents de l'immigration qui étaient en mesure d'offrir ou de retenir des prestations. Les professionnels du soutien à la parentalité qui étaient au centre de cette recherche n’étaient

Introduction souvent pas dans une position de pouvoir. Dans les trois villes, ces professionnels adoptaient une attitude égali taire et essayaient de travailler avec les parents au lieu de leur imposer des normes. Leur travail était également influencé par de nouvelles tendances au sein de l'État social, à savoir une logique d'activation, des approches axées sur les facultés des personnes ainsi que des objectifs émancipateurs fondés sur la participation et la cohésion sociale. L'un des dilemmes principaux pour ces professionnels était comment persuader les parents de participer à leurs projets et les amener à partager les mêmes objectifs.

Or, ces dilemmes communs aux trois villes étaient nuancés par des préoccupations propres à chacune. À Mi lan, les parents migrants avaient à faire à un État social décentralisé et fragmenté, qui a délégué de nombreux services à des organisations non gouvernementales. Dans un contexte de ressources limitées et de besoins croissants, le travail des professionnels était guidé par une nouvelle politique qui voit dans les relations soli daires entre les citoyens une alternative financièrement viable au système traditionnel d'assistance sociale. Les professionnels travaillant avec un public de plus en plus démuni proposaient des nouvelles formes de services so ciaux dites » relationnels « visant à renforcer l’autonomie des parents et à responsabiliser ces derniers.

À Paris, la communication entre les parents défavorisés et l'école faisait l'objet de préoccupations constantes, d'un travail intense. Il en était de même pour les parents, qui font face à un système complexe et bureaucratique dans la quête d'une bonne éducation pour leurs enfants. C’était aussi une préoccupation centrale des acteurs po litiques, qui considéraient que rapprocher les familles et 3. Dilemmes des rencontres parentales

Introduction les écoles et aider les parents à devenir des acteurs dans la scolarité de leurs enfants sont des éléments clés de la lutte contre les inégalités. Alors que les professionnels du soutien à la parentalité dans les centres sociaux et les associations tentaient de résoudre cette problématique par le biais de groupes de parole, ils s'interpellaient sur la manière de mobiliser les parents, qui font face à des difficultés constantes au quotidien ; à s'engager dans l'action collective.

L'État-providence néerlandais vise à offrir des ser vices et une supervision globaux, ce qui en faisait à la fois une source d'espoir et d'anxiété pour les parents migrants. Ainsi, les professionnels du soutien à la paren talité d’Amsterdam étaient profondément motivés à aider les plus marginalisés et aspiraient à soutenir les parents, mais ils avaient aussi une responsabilité potentiellement intrusive lorsqu'il s'agissait de garantir le bien-être des enfants. Les parents, pour leur part, se demandaient si le bien-être de leur enfant était vraiment au centre de l’intérêt des professionnels et si les professionnels tien draient leurs promesses. De plus, les expériences faites par les parents avec diverses institutions les ont amenés à se demander s'ils subissaient subtilement du racisme. Dans ce contexte, les rencontres parentales prenaient un caractère ambigu, les parents comme les professionnels essayant de jauger et d'influencer les intentions et les actions les uns des autres.

Les deux pages suivantes Une bénévole d’une association psychologique dans le nord-est de Paris pratique des méthodes alternatives d’apprentissage pour faire les devoirs de vocabulaire avec un garçon et son père au sein d’un collectif d’aide aux devoirs pour les parents. Les familles et les béné voles jouent aussi ensemble à des jeux coopératifs. L’objectif est d’aider les parents, en particulier ceux qui n’ont que peu ou des mauvaises expériences avec le système scolaire français, à se soute nir les uns les autres et d’encourager la collaboration entre les parents et les enfants lorsque l’école devient une source de conflits et d’anxiété.

Amal, une mère de trois enfants dans la trentaine, a travaillé pendant des mois à retarder l'expulsion de sa famille de leur appartement. Elle a effectué plusieurs visites auprès d’un greffe, d’assistants sociaux et du centre d'expulsion. Chaque fois que l’huissier frappait à la porte, c'est elle qui négociait. Le matin prévu de l'expulsion, Amal attend l’huissier, qui, en entrant dans le petit appartement misérable, lui de mande de confirmer son identité et de nommer les membres de sa famille. Il lui pose la question : » Etes-vous prêts à dé ménager ? « Amal, vêtue de ce qui semble être un pyjama, répond fermement : » Non, nous ne le sommes pas « , sa tenue parlant d'elle-même. L’huissier déclare, sans trop de conviction : » Mais vous devez trouver une solution. Est-ce que vous êtes à la recherche d'un logement ? « » Oui, mais personne ne veut louer une maison à une famille avec des enfants. « L’huissier insiste : » Si vous n'êtes pas expulsés, vous ne serez pas éligibles à un logement social. En tout cas, aujourd'hui, je ne peux rien faire, car la police n'est pas disponible. Cet avis vous donne, disons, deux mois pour quitter la maison. « Au départ de l’huissier, le visage d'Amal se détend et elle commence à parler sur un ton plus gai. Son mari sort de l'autre pièce et demande d’un ton sarcastique : » C’est tout ? Je devais prendre une jour née de congé pour cela ? «

Le report des expulsions est une pratique courante dans le système ita lien. Pour Amal, cela illustre comment fonctionnent les choses en Italie, en particulier la négociation directe des services avec les institutions. Durant les mois qui ont précédé l'expulsion, Amal était convaincue que les assistants sociaux du centre d'expulsion de Milan lui trouveraient une solution. Bien qu'ils

aient expliqué à plusieurs reprises que ce n’était pas possible, elle avait interprété leur rejet comme une stratégie pour limiter les requêtes excessives de la part des demandeurs. Lorsque l'expulsion était mise en application, on lui propose un logement temporaire loin de Milan. Amal est choquée et gênée par l'incapa cité du système à trouver une solution de logement plus propice. » Comment peuvent-ils nous laisser, moi et mes en fants, dans la rue ? «

Malgré le manque de ressources publiques, de nombreuses mères mi grantes fondaient, comme Amal, beau coup d'espoir sur l'État. Certains de ces espoirs étaient alimentés par des incohérences au sein du système lui-même. Par exemple, Amal se demandait : » Pourquoi les médecins de famille sont-ils disponibles gratuitement tous les jours, mais je dois attendre des mois avant de pouvoir faire des examens médicaux ? « Elle était également déconcertée par des politiques de logement qui protègent les mineurs et les mères, mais pas les pères. Enfin, elle était convaincue que les familles expulsées pouvaient obtenir un logement social au bout de quelques mois seulement, car elle avait entendu parler d'une famille égyptienne pour qui cela avait été le cas. Cependant, même si le fait d’avoir été expulsés donne une certaine priorité, les listes d'attente des logements sociaux sont si longues que, dans la pratique, très peu de familles en bénéficient.

Outre par l'idée que l'Europe est riche, les attentes des mères égyptiennes vis-à-vis de l'État social italien étaient modelées par les incohérences du system ainsi que par le fossé notable entre l'en gagement aux idéaux de solidarité et la réalité décevante des ressources limitées de l'État social.

Milan : les attentes des parents face à l'État

établir un esprit de cohésion dans un nouveau projet de logement social, Matilde, qui travaille à la coopérative Dar=Casa, doit créer des occasions pour les habitants de se rencontrer. La présence de Matilde contribue à faciliter le dialogue autour des différences en matière de pratiques éducatives et d’utilisation des espaces communs et, malgré les divergen ces linguistiques, cela permet l’échange de connaissances entre les participants.

Huit femmes sont assises autour d'une table dans une pièce colorée, dans un quartier défavorisé du nord-ouest de Milan. Elles participent à un pro gramme pour les mères cinq matinées par semaine, géré par une association. Des jeunes professionnels du soutien à la parentalité animent le groupe, dans lequel les mères discutent de leurs problèmes d'éducation, font du yoga, cuisinent ensemble ou assistent à des ateliers animés par différents experts. En ce matin de mars, les conversations s'entremêlent : une femme du Ban gladesh déplore l'inutilité de son MBA en Italie, une mère de deux enfants, originaire de Bolivie, vient pour faire la connaissance du groupe, car elle s’est récemment retrouvée au chômage, et une jeune femme italienne, également sans emploi, partage ses soucis en tant que mère célibataire.

Le projet est financé par une ONG internationale qui s’inquiète du taux croissant de pauvreté infantile en Italie. L'association reçoit également le soutien de la municipalité et d'une grande fondation de charité. Les professionnels de l’association tra vaillent avec les familles migrantes et d’origine italienne touchées par la crise économique prolongée en Italie. Ils opèrent dans un contexte de ser vices locaux surchargés, de ressources publiques limitées et d’un nouveau paradigme en matière de l'État social qui demande aux citoyens de générer des solutions fondées sur la solidarité. Ces professionnels croient en l’impor tance de l'assistance sociale. Pourtant, en pratique, le manque de ressources et l’idée que les nouvelles solutions se trouvent entre les mains des citoyens eux-mêmes ont conduit à mettre l’ac cent sur des modes » immatériels « de

soutien, dont on dit qu’ils renforcent la solidarité, à la fois matérielle et sociale, dans un contexte d’austérité.

Agée d’une vingtaine d’années, Isabella, de l’équipe des profession nels, travaille sur le menu d’une fête à l’occasion de la Journée de la femme avec deux mères du Bangladesh. Les femmes veulent contribuer avec un plat de biryani, mais insistent à le cui siner chez elles, à la déception d'Isabel la. » Habituellement, nous cuisinons ici, ensemble « , leur rappelle Isabella, en vain.

Générer une cohésion et de la solidarité entre les habitants d’un même quartier est un travail ardu, qui consiste à créer des liens émotionnels et exige un investissement constant de la part des professionnels. Avec une salutation chaleureuse, le recours à l'humour pour aborder des questions délicates, une écoute attentive et un comportement décontracté et infor mel, les professionnels donnaient aux mères qui participaient à leurs projets le sentiment d'être les bienvenues. Ils cherchaient à les persuader de quitter l'isolement de leurs maisons pour rejoindre un espace public, mais tout aussi intime. En travaillant à créer des liens sociaux à travers des activités domestiques comme cuisiner ensemble, les professionnels espéraient mettre en relief la nature commune des défis fa miliaux et créer des opportunités, afin de trouver des solutions en commun et d'établir de nouvelles relations.

Vers la fin de la séance, Fatma, une femme marocaine, arrive avec une poussette. Elle sollicite l'aide d'Isabel la pour prendre rendez-vous chez un spécialiste en raison des otites chroniques de son fils. Fatma rejoint le reste du groupe au moment où la conversa

relationnel

Milan : l'État social

tion porte sur la formation de pâtissier à laquelle se sont inscrites plusieurs femmes du groupe, dont elle. Le cours se déroulera trois matinées par se maine et Isabella essaie de convaincre Fatma de continuer à assister au groupe les autres jours. » Que vas-tu faire à la maison le reste du temps ? « , lui demande-t-elle.

Les professionnels travaillant avec les parents dans ce quartier margina lisé de Milan adoptaient une approche relationnelle du travail social, qui mettait l'accent sur l'écoute et le ren forcement de l'autonomie des parents et de leurs communautés. Cependant, les personnes qu'ils essayaient d'aider étaient souvent en situation de chômage chronique et faisaient face à une forte précarité du logement, sans oublier d'autres problèmes critiques. A travers des appels téléphoniques, dans le cadre de réunions avec des collègues et, parfois, en accompagnant les mères personnellement, les professionnels cherchaient aussi à » activer « les acteurs institutionnels tels que les assis tants sociaux, les enseignants et les administrateurs scolaires ainsi que les prestataires de soins médicaux, afin qu’ils s’occupent des parents qu'ils accompagnaient. Surchargés et sous-financés, les services sociaux locaux

résistaient parfois aux efforts des professionnels visant à faciliter l'accès aux ressources et aux services pour les parents en situation difficile. Des professionnels comme Isabella cher chaient à créer un équilibre délicat entre la mise en œuvre de formes

» immatérielles « d'interventions, qui sont mises en avant dans les nouveaux modèles de l'État social, et la sollicita tion des institutions publiques pour que celles-ci assument leurs responsa bilités vis-à-vis des citoyens.

Les professionnels créent des conditions qui encouragent les familles de se rencontrer en espace public. Dans ce cadre, ils aspirent à générer des liens sociaux tout en étant à la dis position des mères en tant que ressource.

enfants participent à un programme para-scolaire geré par deux associations dans un quartier périphérique de Milan.

Paris : les rencontres institutionnelles

deux pages suivantes Un agent de sécurité assure que les élèves et leurs parents puissent tra verser la route en sécurité à proximité de toutes les écoles de Paris. À travers ces agents, la » garde « de la République sur la sécurité des enfants s’étend au-delà des confins de l’école pour atteindre l’espace public, entrant ainsi en concurrence avec les responsabilités des parents.

Rawan est venue du Caire à Paris en 2004 pour rejoindre son mari. Elle raconte comment son séjour en France a entraîné des transformations en elle : » Personne ne s'occupe de vous en France ; vous devez vous débrouiller vous-même. « À son arrivée, Rawan a pris des cours de français quatre fois par semaine. Bien qu'elle ne le parle pas couramment, elle peut mener une conversation en français. Elle déclare avec une fierté : » c’est moi qui prends soin de toutes les démarches bureaucratiques. Je sais mieux le faire que mon mari, qui vit en France depuis plus longtemps que moi « . Pour Rawan, son efficacité à se débrouiller avec la bureaucratie est l'un des succès les plus impor tants de sa vie à Paris.

Une fois, son fils Hesham a répri mandé l'un de ses camarades de classe, car celui-ci avait triché, et a, en retour, été battu. Hesham a reçu un coup à la poitrine, ce qui était problématique, parce qu'il souffre d'asthme. Cette fois, Rawan a demandé un rendez-vous avec la directrice adjointe pour en parler.

À l'école, Rawan s'assied résolument devant la directrice adjointe : une femme blonde et grande de taille. La responsable de l'école, qui sait que le fran çais n'est pas la langue maternelle de Rawan, ne semble faire aucun effort pour ralentir le rythme de la conversa tion. Elle parle à la hâte. » Je ne sais pas d’où ils tiennent ces attitudes agressives et ce langage grossier. Les parents insistent que ce n’est pas de leur faute et je suis certaine que nos professeurs n’utilisent pas ces méthodes ; l'école et les pa rents sont donc très déconcertés quant aux origines de ce comportement, « dit-elle.

Rawan rappelle à la directrice ad jointe un incident antérieur, lorsque son

fils est rentré à la maison avec une main cassée suite à une bagarre. Elle insiste sur ce qu'elle considère comme un point simple : lorsque les parents envoient leurs enfants à l'école, ils » s’attendent à ce qu'ils rentrent à la maison en un seul morceau « . La directrice adjointe pro met de suivre le cas et d’interroger les enseignants, afin d'éviter des incidents similaires à l'avenir.

Par la suite, Rawan demande à Soukaina, la chercheuse, d'expliquer certains mots que la directrice adjointe a utilisés, pour s'assurer qu’elle a tout compris. Ce n'était pas sa première séance avec des responsables de l'école après des problèmes pareils et elle a appris que ces conversations se déroulent toujours de la même manière. Par conséquent, même sans pleinement sai sir les nuances des paroles de la direc trice adjointe, elle savait à peu près dans quelle direction la conversation allait se développer, et pouvait donc deviner ce qui est dit.

Le caractère répétitif des rencontres avec des enseignants et d'autres pro fessionnels a permis à Rawan et à d'autres mères égyptiennes de deviner, avec précision, ce qui est dit. Dans une certaine mesure, cette capacité les aide à gérer leurs rapports avec l’école : elle les rend plus sûres d’elles et les dote d’un sentiment de légitimité face à des insti tutions dont elles ne comprennent pas le fonctionnement. En même temps, les mères égyptiennes s’inquiètent : si elles parlaient le français plus couramment, elles seraient capables de communiquer de manière plus efficace avec les insti tutions. Même Rawan, dont l’aptitude à gérer les rencontres avec les institutions sont bons en comparaison avec d’autres mères, sort de ces séances incertaines quant à sa capacité de défendre son fils.

Les deux pages suivantes

Un bureau d’allocations familiales à Paris, connu par l’acronyme CAF )Caisse d’Allocations Familiales(, un espace crucial de négociation des services sociaux entre les familles et les institutions de l’assistance sociale. Intimi dant, l’aspect extérieur du bâtiment reflète le genre de négociations et d’interactions qui ont lieu à l’intérieur. Tout comme les façades du bâtiment, celles-ci peuvent être effrayantes et opaques, et la logistique qui y est impliquée très intensive.

En ce matin printanier, Sophie prépare l’espace convivial lumineux et confortable du centre social où elle travaille en vue d’accueillir une réunion avec des parents. La réunion fait partie du projet de l'Université Populaire de Parents )UPP(, qui vise à faire entendre la voix des parents issus des quartiers populaires et de faire en sorte que les institutions et élus locaux les recon naissent comme interlocuteurs. Ce cadre permet de réunir un groupe de parents, accompagné d’un animateur, afin de réaliser une recherche-action sur un sujet qu’ils ont eux-mêmes choisi. Dans la petite cuisine, Sophie prépare du thé et du café et dispose les viennoiseries qu'elle a achetées dans des assiettes pour un petit-déjeuner convivial. Au cours de la semaine qui a précédé la réunion, Sophie a envoyé un courrier électronique aux participants réguliers pour leur rappeler la réunion. Elle a appelé les autres, moins suscep tibles d’être en ligne, par téléphone. En jetant un coup d’œil dehors, dans la rue ensoleillée et le ciel bleu, Sophie s’inquiète de savoir si les participants vont venir.

Elle est soulagée lorsque quatre mères arrivent, l’une après l’autre. So phie, toujours souriante, les embrasse et leur offre des boissons. Rebondissant sur les conversations précédentes, elle leur demande comment elles vont, comment se portent leurs enfants et prend des nouvelles des vacances, de l'école et de leur situation de logement. Elle les écoute attentivement, acquiesce d’un signe de tête empathique lorsque les mères parlent de leurs si tuations difficiles, raconte des histoires drôles sur sa propre vie et sa relation et laisse plein de temps aux mères pour discuter entre elles. Une demi-heure

après l’heure prévue pour le début de la réunion, Sophie commence la discussion sur les difficultés quotidiennes des mères, ce qui était l’objectif de la réunion.

Les professionnels engagés dans le soutien à la parentalité, comme So phie, sont conscients du fait qu’il est difficile pour les parents de trouver du temps pour participer à un groupe de parole, l’une des formes les plus cou rantes du soutien à la parentalité en France. Cette participation ne va pas de soi pour les parents, qui, souvent, ne parlent pas couramment le fran çais, ont des responsabilités familiales exigeantes et doivent gérer une situation d’emploi précaire ainsi que des problèmes d’école, de logement et de papiers de résidence. La mobilisation des parents représente ainsi l’un des aspects les plus cruciaux, mais aussi les plus compliqués, de leur travail. Non seulement faut-il communiquer régulièrement aux parents les acti vités prévues, mais aussi essayer de trouver les mots qui conviennent pour les convaincre de la pertinence de ces activités, d’une manière qui pourra les accrocher et leur donner envie d’y participer.

Communiquer d'une façon qui engage et valorise les parents des quartiers populaires ou issus de l'immigration représente également un aspect important des efforts des professionnels, qui visent à réparer les effets négatifs de l’exclusion so ciale en construisant des relations chaleureuses et horizontales avec les parents et en leur offrant une écoute empathique, qu’ils ne trouvent pas dans les institutions, particulièrement l’école. La communication est aussi un objectif : de nombreuses initiatives de

Paris : l’écoute et la parole

soutien à la parentalité ont pour but de redonner confiance aux parents issus des quartiers populaires face à l’école, dans l’espoir de rendre les écoles plus réceptives et de les amener à vraiment écouter les parents.

Six mois plus tard, Sophie a réussi à rassembler un noyau dur d'une dizaine de mères qui se réunissent toutes les deux semaines. Elle ne s’inquiète plus que les participantes puissent ne pas venir. Les réunions de l'UPP, dit-elle, sont devenues la partie la plus gratifiante de son travail. Aujourd'hui, les financeurs du projet et des partenaires institutionnels potentiels rendent visite au centre en petits groupes pour rencontrer les participantes de l’UPP. Sophie et les mères sont impec cablement habillées, quoiqu’un peu nerveuses. Les mères ont préparé une présentation avec l’aide de Sophie et de la responsable du centre social. À tour de rôle, elles expliquent le projet, décrivant les trajectoires de leur enga gement et les thèmes qui ont émergé des rencontres et soulignant surtout les problèmes qu'elles vivent autour de l'école de leurs enfants. K hadija décrit avec ses mots ce qu’elle a tiré de sa par ticipation : » Avant, je ne pouvais pas parler comme ça, devant un groupe, en public. Mais maintenant, c’est pos sible. « Après la réunion, alors que les invités félicitent les mères pour leur présentation et louent le projet, tout le monde est ravi. Sophie et les parents rayonnent de fierté.

Sophie et ses collègues perçoivent les problèmes de communication ou la communication floue ou blessante entre les parents et les institutions comme un grand problème sociétal. Pour y faire face, les professionnels dé ploient tous leurs efforts pour favoriser

les conditions d’une communication plus étroite, égalitaire et horizontale avec les parents, et entre les parents et les institutions. Or, persuader les parents, qui font face à des problèmes urgents, d’investir du temps et de l’énergie pour changer un système gouverné par une structure nationale sur laquelle même les professionnels n’ont qu’une influence marginale, nécessite un travail ardu de communi cation et de mobilisation. Quand tous les facteurs sont réunis, comme dans l'exemple de l’UPP, des moments se créent qui déclenchent un sentiment de puissance collective et qui font sur gir une possibilité concrète de changement.

Les participantes de l’Université Populaire de Parents écoutent attentivement alors que l’une d’elles parle. À gauche, l’animatrice du groupe sourit de manière encourageante.

En utilisant

montrent des paysages et des figures symboliques, les participantes de l’Université Populaire de Parents sont invitées

réfléchir à leur vie quotidienne.

Un groupe de sept mères est assis au tour d’une table dans un centre social d'Amsterdam-Nord. Elles discutent du système de santé néerlandais, quand Soraya, mère de quatre enfants vers la fin de la quarantaine, change de sujet pour parler de son fils de dix-huit ans, Mohamed. Soraya a une confiance en soi remarquable. Son fils postule pour des stages, mais il reçoit constamment des réponses négatives, alors que ses camarades de classe ont réussi depuis longtemps à en obtenir un. C'est un cas évident de racisme, suggère sa mère. Son amie, assise à côté d'elle, conteste avec véhémence. » Mohamed est juste paresseux « , s'exclame-t-elle. » Tu ne sais même pas s'il a postulé. « Ses commentaires piquants déclenchent un débat houleux. » Tout le monde sait qu'ils ne prennent pas de Mohamed « , argumente une autre femme, soutenant Soraya. » Mon fils a mis un an pour trou ver un stage « , ajoute une autre. D'autres mères sont sceptiques. » Seul Dieu sait ce que nos enfants font « , déclare une autre mère. Elle partage l'histoire du fils de sa voisine. Le garçon avait prétendu qu'il ne trouvait pas de stage, mais il s'est avéré qu'il avait été accepté, mais que le stage ne lui avait pas plu. » Vous imaginez !? « Les autres mères sont plus pragmatiques. » Peut-être qu'il devrait chercher auprès d’entreprises musul manes « , suggère l’une d'entre elles. » Ou simplement changer de nom sur son CV « , lance une autre. » Non, non, non « , proteste une mère. » Nos enfants sont nés ici. C'est leur pays. Mohamed doit être embauché en tant que Moha med, pas en tant que Jan ou Kees. « Les femmes rient. » Alors qu'est-ce que je dois faire ? « , demande Soraya. Personne ne semble savoir et la conversation dé vie sur d'autres sujets.

Quelques semaines plus tard, le sujet du racisme revient dans les discussions, lorsque Ghada évoque la situation de sa fille Yasmin, âgée de neuf ans. Quand Yasmin avait six ans, elle a été envoyée chez l'orthophoniste. Selon ses enseignants, elle était un peu en retard dans l’apprentissage du langage, mais l'orthophonie l'aiderait à rattraper celui-ci. Au début, Ghada était heureuse et optimiste en espérant que Yasmin en profiterait. Mais comme Yasmin ne faisait pas de progrès, Ghada est devenue de plus en plus inquiète. Finale ment, elle a emmené Yasmin faire des examens pour savoir si elle souffrait de dyslexie et les résultats ont confirmé que l'enfant avait un trouble de l'appren tissage. Mais à la grande surprise de sa mère, les enseignants de Yasmin n'ont pas cru le diagnostic. » De nos jours, vous pouvez acheter le résultat que vous voulez « , avait apparemment dit l’ensei gnant. » C'est peut-être vrai « , dit Ghada aux autres mères, » mais si Yasmin était néerlandaise, ils ne douteraient pas des résultats. « Cette fois, les autres mères sont toutes d’accord et la conversation enchaîne sur la question pratique de savoir quoi faire. » C'est inacceptable « , s'exclame une mère. » Tu dois aller à l’école et leur dire ça directement. « » Oui, va leur dire que tu vas informer la police « , dit une deuxième mère en plaisantant. Les femmes rient. » Non, sérieusement « , insiste la première mère, » je pense que tu dois aller à l'école et régler ce problème. « » Je ne peux pas simplement y aller et commencer à par ler de racisme « , objecte Ghada. » Ils ne l'accepteront pas. Cela ne fera que créer plus de problèmes pour Yasmin. «

Pour les parents égyptiens à Amsterdam, le racisme est insaisissable. Ils savent qu’il existe, mais ils n’arrivent

pas à l’identifier avec précision. Et même quand ils y arrivent, ils restent incertains quant à la question de savoir comment agir. En fait, les parents ne relèvent que rarement des accusations de racisme lors des rencontres parentales, craignant des répercussions sur l’avenir de leurs enfants. Ils développent d'autres stratégies pour minimiser la possibilité de discrimination contre leurs enfants. Ils s'occupent surtout de leur éducation, dans l'espoir de les mettre sur la voie de l'université et d’une carrière prospère. Toutefois, le spectre du racisme reste une source d'anxiété.

Des femmes discutent à l’issue d’un atelier portant sur la santé mentale tenu à l’occasion de leur réunion hebdomadaire dans une des associations égyptiennes d’Amsterdam.

Au cours de ces réunions hebdomadaires, les femmes discutent de questions quotidiennes ayant trait à la vie familiale, échangent des con seils et des astuces et se soutiennent morale ment les unes les autres.

Amsterdam : des rencontres parentales opaques

Le programme du matin de la sec tion santé de la jeunesse de l'une des équipes parent-enfant est consacré aux contrôles de santé de routine pour les enfants de 0 à 4 ans. Un rendez-vous est dédié au suivi du cas d'un enfant en surpoids. Marieke, l'infirmière spécia liste de la santé des jeunes présente ce jour-là, examine le dossier de l'enfant. » Mère « a été référée à un diététicien, mais elle » n'y est jamais arrivée « , comme les professionnels ont l'habitu de de dire.

Une femme robuste d'une vingtaine d'années portant un foulard arrive avec un garçon de trois ans et entre dans la salle de consultation agréablement décorée tout en étant clairement médi cale. L’enfant est vif et bien habillé, il s’intéresse immédiatement aux jouets dans le coin. La mère, qui a grandi aux Pays-Bas, mais qui est issue de l'im migration, semble assez sûre d'elle. Marieke lui demande comment ça va et mentionne la raison de la consulta tion : le poids du garçon. Elle demande pourquoi » ça n'a pas marché « avec la diététicienne, question à laquelle elle ne reçoit pas de réponse claire. Il est évident que la mère n’a pas voulu donner suite. L'infirmière pèse et me sure alors le garçon, avant de saisir les chiffres dans l’ordinateur. Elle montre à » mère « le développement de son gar çon en comparaison avec les courbes indiquant le développement normal et équilibré d’un enfant. Son poids avait baissé un peu, mais il est maintenant de nouveau en hausse.

Quand Marieke demande à la mère ce qu'elle en pense, celle-ci hausse simplement les épaules. Les habitudes alimentaires du garçon sont bonnes, dit la mère, sauf lors des deux visites hebdomadaires chez sa grand-mère, où

il se sert toujours de bonbons. » Il est vraiment le patron dans cette maison « , dit la mère. Elle ne perçoit pas cela comme un problème. Son fils est chez sa grand-mère seulement deux fois par semaine. À la maison, elle a plus de contrôle et ferme à clé l'armoire où se trouvent les bonbons. Malgré les incitations répétées de Marieke, la mère ne voit ni pourquoi, ni comment changer le comportement de son fils. Elle promet juste de sortir plus souvent pour que le garçon puisse faire plus d'exercice physique.

Bien que l'obésité soit l’une des prio rités de la politique actuelle de la santé de la jeunesse d’Amsterdam, Marieke décide de ne pas insister. Plus tard, elle dit à Anouk, la chercheuse, que la mère a promis de passer plus de temps à l'ex térieur avec l'enfant. » Cela prend juste du temps et exige de la persévérance « , soupire-t-elle. » La pousser ne nous mè nera nulle part. Elle ne reviendra tout simplement plus. «

Cette réunion illustre l'opacité de nombreuses rencontres parentales. La mère ignore les tentatives d'intervention gouvernementale, elle adopte une attitude imperméable et manque d'engagement. Elle n’a pas donné suite à sa décision d'accepter de rencontrer une diététicienne, jetant le doute sur sa motivation à régler le problème de poids de son fils. Marieke, pour sa part, n'exprime pas directement ses préoc cupations, ni ses opinions, mais s’en tient à poser des questions, essayant d'obtenir des réponses positives. Elle n'insiste pas, car elle sait qu'elle n'a pas vraiment les moyens d'imposer quoi que ce soit, au moins pour le moment. Contrairement à leurs homologues des associations de Milan et Paris, les pro fessionnels de l'équipe parent-enfant

d'Amsterdam sont, au-delà de fournir un soutien à la parentalité, explicitement chargés de protéger le bien-être des enfants si nécessaire contre des parents négligents. Si le garçon conti nue à prendre du poids, Marieke peut soulever son cas dans les séances de discussion évoquées dans la deuxième partie. Marieke et ses collègues juge ront-ils à un moment donné nécessaire et estimeront-ils avoir le droit d’in tervenir de façon plus intrusive dans l’intérêt de la santé de l'enfant ?

La salle d’attente de la section santé de la jeunesse dans l’un des locaux d’une équipe parent-enfant à Amsterdam Nord. Ces services destinés aux jeunes sont mieux connus sous l’appellation bureau de consultation )consultatiebureau(.

Une salle de consultation de la section santé de la jeunesse dans les mêmes locaux. À gauche, un examen ophtalmologique. Le placard est couvert de matériel d’information que l'infir mière spécialiste de la santé des jeunes peut remettre aux parents. Faisant référence aux formations de parentalité positive proposée par les équipes parent-enfant, le message écrit au tableau blanc rappelle aux parents de prendre aussi soin d’eux-mêmes.

Les deux pages suivantes À Amsterdam, un père ramène son fils à sa mère à la fin de sa journée de visite hebdomadaire.

À travers l'Europe, les familles migrantes défavorisées sont souvent dépeintes comme un fardeau ou une menace pour la société. Aux Pays-Bas, en Italie et en France, beaucoup de discussions publiques portent sur l’importance de renforcer les valeurs nationales et sur l’intégration. Quand nous nous sommes lancés dans le projet Reproducing Europe, nous nous attendions à ce que les rencontres parentales tournent autour de ces questions. Mais au lieu de certitudes sur la question de savoir qui fait partie de la société et mérite l'assistance de l'État, nous avons trouvé des parents et des professionnels qui tentent de faire le bien et d’assurer des vies décentes face à des circonstances décourageantes et difficiles.

Un travail relationnel

Les professionnels du soutien à la pa rentalité et les bénévoles étaient sou vent des acteurs mineurs dans des pay sages de services sociaux plus larges par rapport aux parents. Ils occupaient une place marginale dans des domaines qui sont urgents pour les parents, comme le logement, l'emploi et l'éducation. Ces professionnels et bénévoles estimaient que leur rôle était explicitement de sou tenir et d’accompagner les parents. Ils travaillaient dur pour ne pas reproduire des représentations négatives sur les familles migrantes et essayaient d’atté nuer la situation précaire des parents. En plus, ils s’efforçaient de travailler avec les parents plutôt que de les diriger.

Bien que ce positionnement semble être une partie intégrante du domaine du soutien à la parentalité, les objectifs des professionnels reflètent aussi des tendances politiques plus larges : l'im portance de la participation, de l'auto

nomie et les facultés des parents )eigen kracht(, de l'empowerment et la solida rité. Nous trouvons ces logiques par tout en Europe, dans divers contextes politiques, où elles visent des objectifs différents. Aux Pays-Bas, le modèle Ei gen Kracht reflète le souhait de créer un modèle de gouvernement plus efficace et moins coûteux, qui soit aussi » plus proche « des gens. En Italie, les citoyens sont mobilisés pour combler les lacunes au sein d'un État social fragmenté et décentralisé dans un contexte de crise économique et d'austérité. Alors qu’en France, encourager les habitants des quartiers prioritaires à s'investir dans une solidarité de proximité et de se rap procher à l'école est devenu un moyen clé pour contrer les inégalités persistantes.

Le soutien à la parentalité occupait une position bien différente dans les trois villes : à Amsterdam, il était au

cœur de l'État, alors qu’à Paris et à Mi lan, il se situait aux marges de celui-ci. Les objectifs des programmes de sou tien à la parentalité étaient également significativement différents. À Ams terdam, les professionnels travaillaient sous l'égide de la » protection de la jeu nesse « . Bien que le soutien à la parenta lité soit basé sur une éthique vigoureuse de collaboration avec les parents, ainsi que sur le respect de leur consentement, il s’occupait essentiellement du bienêtre de l'enfant. En revanche, à Milan et à Paris, le soutien à la parentalité n’était pas une fin en soi, mais plutôt un moyen de créer une société plus inclu sive, cohésive et solidaire. Les idées sur le bien-être des enfants n’étaient pas absentes dans ces deux villes, mais l'ob jectif des activités s'étendait au-delà des pratiques relatives à la parentalité.

Malgré ces différences, dans les trois villes, les professionnels travaillaient durement pour créer des relations hori zontales et réciproques avec les parents. Ils consacraient beaucoup d'efforts et de travail émotionnel à la création de ces relations, par exemple en se souvenant des noms des enfants et des détails de la vie des parents, en leur consacrant du temps et en étant accessibles et dispo nibles.

Pour deux raisons interconnectées, l’établissement de telles relations était primordial pour que les profession nels puissent apporter aux familles le soutien qu'ils souhaitaient offrir. Les professionnels des trois sites considé raient que le soutien à la parentalité ne devait pas être imposé, mais plutôt basé sur la participation volontaire des parents. Entretenir des liens chaleureux et amicaux était un moyen important pour eux d'honorer cette éthique professionnelle dans leur tentative

d'atteindre les parents et de les intégrer dans leurs projets. Les activités que les professionnels étaient en mesure de proposer demeuraient nécessairement limitées. Les expériences des parents migrants égyptiens ont montré que les services, solutions et ambitions des pro fessionnels, bien que bien intentionnés, ne correspondaient pas toujours aux besoins et aux préoccupations souvent urgentes et concrètes des parents. Assurer la participation des parents aux activités dépendait souvent de la capacité des professionnels à les persuader, en s'appuyant sur les relations chaleu reuses qu'ils avaient établies plutôt que sur des relations hiérarchiques ou de dépendance.

Les professionnels du soutien à la parentalité consacraient beaucoup de temps, d'attention et de travail émotionnel à la création de relations chaleureuses. Toutefois, aux yeux des parents, ils faisaient partie du système, et leur position de pouvoir modelait irrévocablement les rencontres. C’était le cas dans le choix des activités collec tives et des groupes de parole à Paris, qui, tout en cherchant à soutenir les parents issus des quartiers populaires, attendaient d’eux qu’ils collaborent activement avec les institutions et la politique. Cela s’exprimait encore plus clairement dans la crainte du pouvoir disciplinaire de l'État qui hantait les rencontres avec les parents à Ams terdam et dans les négociations rela tives à l’accès aux ressources cruciales à Milan. La perspective des parents mi grants nous donne une idée de la nature difficile de ces rencontres : la lutte pour gérer des pratiques non habituelles, des prestations conditionnelles et même des fonctionnaires potentiellement hostiles.

Alors que les professionnels investis saient beaucoup sur le plan émotionnel, les parents migrants égyptiens avec lesquels nous avons travaillé étaient encore plus fortement engagés pour assurer l'avenir de leurs enfants, qui faisait l’objet de soucis profondes. Une vie décente en Europe pour eux-mêmes et leurs familles ne se matérialisait pas sans rien. Les parents devaient faire face à des structures nationales à la fois offrant des possibilités et imposant des contraintes. Ils étaient dans l’in certitude constante quant à la façon de servir les intérêts de leurs enfants et craignaient souvent de compromettre l'avenir de ces derniers. Travaillant dur pour se construire un meilleur avenir, les parents cherchaient différentes formes de soutien de la part de l'État, par exemple sous la forme d'une prime familiale ou de couches pour bébé gratuites à Milan ou de cours parasco laires pour un enfant dyslexique à Amsterdam. Dans cette dernière ville, les parents craignaient aussi l'État et avaient particulièrement peur de déclencher des forces au-dessus de leur contrôle. À Paris, et plus particulière ment à Milan, où l'État est moins om niprésent qu’à Amsterdam, ces craintes étaient moins vives.

Dans les trois villes, les parents reconnaissaient que l’implication, dans la vie de leurs enfants, de telle ou telle institution ou de tel ou tel professionnel faisait une différence. À Amsterdam, les parents impliquaient activement les » bonnes « institutions, à savoir celles

qui offraient des cours parascolaires, et essayaient d'éviter les » mauvaises « institutions, notamment les services de protection de l'enfance. À Paris, les parents espéraient rencontrer les » bons « professionnels, c'est-à-dire une personne qui ferait de son mieux pour les aider, et éviter les » mauvais « profes sionnels, implacables et non flexibles. Les parents ressentaient le besoin de faire preuve de stratégie dans leurs contacts avec les professionnels, dans le but de les convaincre de leur offrir des services. Certains se mettaient sur leur trente-et-un pour aller à une réunion. Ils nous emmenaient aussi avec eux nous, les chercheurs es, dans l’espoir que notre présence aiderait leur cas. À Milan, où les ressources de l'État social sont plus limitées, les parents se pré sentaient comme » dignes « et comme » méritant « de l'aide, en espérant persuader les professionnels de se servir de leur pouvoir discrétionnaire. Mais, par-dessus tout, les parents faisaient preuve de stratégie dans l'informa tion qu'ils partageaient ou retenaient, particulièrement en lien de la violence )domestique( et la maltraitance.

Au fur et à mesure que les parents acquéraient de l'expérience avec l'État-providence, ils commençaient à reconnaître des schémas dans les rencontres parentales. À Paris, cela permet tait aux mères d’avoir des conversations avec des personnes comme la directrice adjointe d'école. À Milan, les mères suivaient des scénarios parfois illogiques pour obtenir ce qu'elles voulaient. À

Amsterdam, certains parents étaient devenus sceptiques face aux promesses des professionnels, car des promesses précédentes n’avaient pas été tenues.

Rechercher de l'assistance sociale et y avoir accès se sont avérés être des démarches frustrantes, longues et difficiles et qui mobilisaient les mères et les pères de manière différente. Si, au début, dans de nombreux cas, les pères étaient les principaux interlocuteurs des institutions, de nombreux profes sionnels avaient tendance à penser que c'était là un rôle convenant mieux aux mères. Divers programmes s’adres saient en outre implicitement ou explicitement aux femmes, alors que les ressources de l'État social et les exi gences légales fonctionnaient souvent selon le critère du genre, comme le cas du père divorcé à Amsterdam le montre clairement.

De plus, la grande majorité des pro fessionnels que les parents égyptiens rencontraient étaient des femmes is sues de la classe moyenne et, du moins à Amsterdam et à Milan, essentielle ment blanches d'origine néerlandaise et italienne. Cela donnait à l'État-provi dence un visage particulier )blanc, fé minin( et affectait également la nature des rencontres, par exemple lorsque ces femmes se présentaient elles aussi comme des mères plutôt que de mettre en avant leur statut professionnel et leur expertise. Dans les trois villes, les programmes d'autonomie et de par ticipation visaient explicitement ou implicitement les femmes migrantes, dont on supposait qu’elles avaient be soin d'être orientées vers des vies plus publiques et autonomes. Cependant, ces programmes ne reconnaissaient généralement pas les efforts intenses et quotidiens des femmes pour le bien-être

de la famille comme une forme d'activa tion. Cette déconnexion entre le travail des mères migrantes et la participation attendue d’elles dans les projets de soutien à la parentalité pouvait être à l’origine d’un fardeau supplémentaire pour les mères migrantes, ajoutant des tâches à leurs journées, déjà chargées.

Alors que la question du genre joue un rôle important dans les débats pu blics sur l'intégration des migrants, ces dynamiques illustrent que les États-pro vidence européens sont structurés sur une base de genre, ce dans la façon dont ils s'adressent à leur public et dans les programmes qu'ils proposent.

Un projet créatif ornant un mur dans un centre social à Paris. Il a été réalisé par les parents dont les enfants fréquentent la halte-garderie du centre et dépeint la diversité des pays d’ori gine des familles qui viennent au centre.

Au début du projet, nous nous atten dions à trouver l’écho des débats pu blics sur les familles des migrants au sein des programmes destinés aux pa rents, dans les endroits où nous avons travaillé. Mais à notre grande surprise, dans notre travail avec les profession nels de soutien à la parentalité et dans les programmes destinés aux parents, ces débats publics apparaissaient rare ment de manière explicite dans les pra tiques des professionnels. C’est indirec tement et de façon sous-entendue que nous avons le plus souvent rencontré des idées sur les différences ethniques, culturelles ou sociales.

Les professionnels du soutien à la parentalité étaient rarement directifs et autoritaires envers les parents et la façon dont ceux-ci élevaient leurs enfants. Une position égalitaire et non normative faisait partie de leur éthique professionnelle, mais cela était aussi lié à la nature bénévole des services qu'ils offraient et au fait que les parents pouvaient simplement se désister. À Amsterdam, les professionnels travail laient en ayant à l’esprit des normes claires relatives à une enfance en bonne santé et une bonne parentalité. Cependant, les professionnels communiquaient rarement ces normes de ma nière directe lors des rencontres avec les parents, ni ne les imposaient-ils en termes de ce que les parents devraient ou ne devraient pas faire. Ils essayaient plutôt d'amener les parents à réfléchir sur leur parentalité en leur posant des questions et en proposant des alterna tives. À Paris et à Milan, les profession nels évitaient les normes universelles

sur l'éducation des enfants et la pa rentalité, même si leurs programmes véhiculaient des notions et des idéaux relatifs à la parentalité, comme l'im portance de la coopération ou la valeur de l’éducation bienveillante. De plus, les professionnels du soutien à la parentalité de ces villes reliaient la parentalité à des idéaux plus larges d'engagement sociétal. Comme leurs collègues d’Amsterdam, ils essayaient de » sensibiliser « les parents à leurs normes et idéaux.

Contrairement aux débats publics et aux exigences politiques qui sou lignent la nécessité pour les migrants de s'intégrer, les discussions des pro fessionnels à Amsterdam faisaient abs traction des origines diverses des pa rents en utilisant des termes généraux, tels que » mère « et » père «. Plutôt que de recourir aux idées prédominantes relatives aux différences culturelles, elles se concentraient sur les systèmes familiaux génériques. À Milan, où le secteur des services sociaux s'inspire d'une approche » interculturelle «, les professionnels du soutien à la paren talité travaillaient à reconnaître et à célébrer les différentes appartenances culturelles parmi les parents. À Paris, une éthique de non-jugement et d'in clusion amenait les professionnels à faire une combinaison parfois étrange, qui consistait à valoriser l’appartenance culturelle et le savoir-faire des parents, tout en désapprouvant forte ment les tendances parmi les parents à se confiner dans leur communauté et identité ethnique ou religieuse. Alors qu’elles exprimaient le désir d'une

pratique équitable, de la protection des groupes marginalisés et d'une société ouverte à la diversité, les attitudes des professionnels à Amsterdam, Milan et Paris masquaient peut-être des dynamiques de pouvoir plus subtiles entre des professionnels de la classe moyenne souvent des personnes blanches » de souche « et des parents migrants le plus souvent issus de la classe ouvrière.

A notre grande surprise, les parents égyptiens à Milan et à Paris ont, à leur tour, rarement exprimé leurs préoc cupations relatives au racisme et à la discrimination. Ils étaient nombreux à s’inquiéter de leur relation, et de celle de leurs enfants, avec les diverses institutions, en particulier l'école, et se demandaient si l'Europe allait donner à leurs enfants une vraie chance dans la vie. À Amsterdam, les parents discu taient entre eux du racisme et de la discrimination, mais n'étaient sou vent pas sûrs de leurs manifestations concrètes et réticents à aborder le sujet lors des rencontres avec les institu tions, par peur des répercussions.

En lieu et place de débats moralisa teurs et stigmatisants par rapport aux parents migrants, nous avons décou vert, lors des rencontres de soutien à la parentalité, une gestion à la fois très investie et hésitante du soutien de l'État social. Les professionnels travaillaient dur pour persuader les parents de participer aux initiatives qu'ils avaient conçues pour eux, tandis que les parents essayaient d’inciter les professionnels à les aider dans leurs efforts pour assurer une bonne vie et un bon avenir à leurs familles. Il s’agissait de rencontres incertaines, où les parents craignaient d’échouer dans leur quête d'une vie décente et où les

professionnels essayaient, parfois sans succès, de persuader les parents de leur vision d'une bonne vie, d'une enfance en bonne santé et d'un avenir plus équitable.

Une décoration murale ornant l’espace utilisé pour les programmes en plein air destinés aux familles à Milan. Le mot pace )paix( et l’intégra tion de divers drapeaux nationaux dans un seul tissu font référence à l’une des aspirations des professionnels qui travaillent dans ces projets : créer une cohésion à partir d’un public diversi fié. (Photo

par Milena Marchesi)

Équipe de Recherche

Anouk de Koning

» Chaque jeudi, j’étais autorisée à as sister aux discussions portant sur des cas complexes et saisissants et de voir combien les professionnels des équipes parent-enfant s’intéressaient aux fa milles en circonstances difficiles avec lesquelles ils travaillaient. «

» Durant une année, j’ai accompagné des parents égyptiens à leurs réunions dans différents bureaux d’assistance sociale à travers Amsterdam. Cela m’a permis d’avoir un aperçu des stratégies utilisées par les parents ainsi que de leurs espoirs, attentes et déceptions. «

» J’ai eu le privilège de participer aux efforts profondément engagés de béné voles et de professionnels travaillant dans des quartiers situés à la périphé rie sociale et économique de Milan. Ce point d’observation m’a permis d’être le témoin direct de l’urgence, de l’intensité et du caractère impérieux de ce travail. «

» Durant plus d’une année, j’ai suivi des mères égyptiennes dans leurs ren contres quotidiennes avec des pro fessionnels, des bénévoles et d’autres parents, participant tant à des moments joyeux d’échanges sociaux qu’à des événements difficiles comme des expul sions. La résistance des femmes contre la précarité économique et leurs espoirs d’avenir rarement exprimés reflètent à la fois leur force et leur fragilité et mettent en lumière leurs combats quoti diens en tant que parents migrants. «

Directrice de projet – Amsterdam

Milena Marchesi

Postdoctorante – Milan

Lucrezia Botton

Doctorante – Milan

Wiebe Ruijtenberg

Doctorant – Amsterdam

» J’ai été généreusement invitée à participer à des groupes de parole et à d’autres activités destinées aux pa rents dans des centres sociaux et des associations situées dans des quartiers populaires du nord-est de Paris. Dans ce cadre, les parents et les professionnels m’ont montré que tendre bienveillance et l’oreille ne constituent pas seulement des compétences parentales impor tantes, mais sont aussi des pratiques et des droits de citoyenneté cruciaux à prendre en considération ; quand il s’agit de créer une société plus humaine et plus juste. «

» Pendant plus d’une année, de nom breuses familles égyptiennes à Paris m’ont donné la possibilité d’être présente lors des moments stressants, joyeux ou quotidiens de leur vie. Le fait qu’elles aient été d’accord de m’ouvrir les portes de leurs maisons et de leurs vies m’a aidé à comprendre certaines des nuances et des différentes significations et réalités matérielles de la vie en tant que parent en Europe. «

Anick Vollebergh

Postdoctorante – Paris

Soukaina Chakkour

Doctorante – Paris

Le projet Reproducing Europe a été rendu possible grâce au soutien finan cier du Conseil européen de la recherche (bourse ERC Starting Grant, projet ID 640074) et par l'Université Radboud de Nimègue, aux Pays-Bas. Nous sommes infiniment reconnaissants aux person nes qui ont participé à notre recherche à Amsterdam, Milan et Paris. Ils nous ont généreusement offert leur temps, leurs connaissances et idées et leurs expériences au cours de ce projet et nous ont également invités dans leurs vies. Nous aimerions aussi remercier dif férentes personnes qui nous ont conseil lés tout au long de notre recherche : Eithne Luibhéid, Paul A. Silverstein, Mette-Louise Johansen, Hilde Daniel sen, Astrid Ouahyb Sundsbø, Elena Pon zoni, Eileen Moyer, Tirza Snoijl, Martijn Koster, Toon van Meijl et Anke Tonnaer. Notre comité consultatif d’éthique, com posé de Judi Mesman, Marcel Becker et Sandra Mantu, nous a aidés à démêler des questions complexes d’ordre éthique. Par ailleurs, nous aimerions remercier Anne de Jong, Francesco de Angelis et Beth Epstein d’avoir été nos référents locaux. Marwa Hussein nous a été d’une grande aide pour la finalisation des ver sions de textes française et arabe. Enfin, nous sommes reconnaissants à Zoë van Otterloo pour son soutien compétent et toujours jovial dans les moments critiques.

Anouk de Koning est reconnaissan te aux équipes parent-enfant d’avoir accepté de faire partie de la recherche. Elle souhaite remercier en particulier Hans Vermaak de l’avoir présentée à la

direction du programme des équipes parent-enfant ainsi que Renske Em melkamp et Liesbeth van Boxtel de lui avoir donné accès aux équipes et pour leurs commentaires critiques. Elle est profondément redevable aux profes sionnels des équipes parent-enfant du vieux nord et du nord-ouest, qui l’ont accueillie dans leur vie professionnelle et leurs rencontres avec les parents et les enfants ; elle les remercie de leur temps, de leur soutien et de leur ouverture.

Wiebe Ruijtenberg aimerait remercier les directeurs et membres des associa tions égyptiennes d’Amsterdam qui l’ont aimablement accueilli parmi eux, notamment Stichting Egyptische Ne derlanders Tadhamon, Stichting Fnaar, Stichting Cleopatra, Stichting Harmonie et Vereniging voor Arabische Vrouwen Nederland. Il est reconnaissant du soutien de Moataz Rageb, qui a été un interlocuteur précieux et a mené des entretiens avec des jeunes égyptonéerlandais de la deuxième génération dans le but de compléter la perspective des parents. Wiebe est particulièrem ent reconnaissant aux pères et mères qui l’ont si chaleureusement accueilli dans leur vie de famille intime de tous les jours, ce qui a rendu cette recherche possible. Pour des raisons d’anonymat, ils ne peuvent pas être nommés indivi duellement.

Milena Marchesi souhaite remercier les deux associations milanaises Itama et Mitades Aps de l’accès, du temps et d’ho spitalité qu’elles lui ont offerts. Elle est aussi redevable à plusieurs autres orga

nisations et acteurs institutionnels, qui lui ont ouvert leurs portes, donné des in formations, fait des suggestions et établi des contacts à des moments critiques de la recherche, notamment SPLuF-Co operativa Tuttinsieme, Mapping San Siro, Mamme a Scuola et la municipalité de Milan. Maria Chiara Coppola a été une assistante de recherche infiniment précieuse et efficace. Milena est en outre profondément reconnaissante des contributions de tous ceux et celles qui ont tant donné de leur savoir, de leur temps et de leur expérience pour cette recherche, mais qui, pour des raisons d’anonymat et d’espace, ne peuvent pas être nommés individuellement.

permis de participer à des activités et des réunions durant plusieurs mois. La générosité avec laquelle les parents l’ont accueillie dans les groupes de parole, où ils partageaient souvent des expériences intimes et difficiles, l’a profondément touchée. Olivia Vieujean et ses connais sances et idées en matière de politique des quartiers ont été une source d’in spiration. Elle et Jean-Marc Goudet ont fourni un travail d’une valeur inesti mable en tant qu’assistants de recher che.

Lucrezia Botton souhaite remercier les professionnels et les bénévoles qui l’ont présentée à des familles migrantes et l’ont autorisée à observer leur travail. Elle est particulièrement reconnaissan te à Matilde Albertini et Mariachiara Cela de Dar=Casa, à Cristiana Borella d’Amici del Parco Trotter Onlus et à Faiza Marei. Bien que, pour des raisons d’anonymat, elle ne puisse pas les nom mer, elle est profondément redevable aux nombreuses femmes qui ont parta gé avec elle leurs combats quotidiens, leur soucis personnels et leur amitié, gardant le cœur léger et leur capacité d’ironie, tandis qu’elles faisaient face à des épreuves difficiles et des situations dramatiques.

Anick Vollebergh souhaite remercier les nombreux professionnels qui lui ont donné du temps pour discuter de leur travail. Elle est spécialement redevable à Espace19 Ourcq, Espace19 Riquet, EspaceLudo, Espace Résilience et à l’Equipe de Développement Local de leur intérêt pour la recherche et de lui avoir

Soukaina Chakkour est infiniment re connaissante aux familles égyptiennes, en particulier aux nombreuses mères, qui lui ont ouvert leurs maisons, par tagé avec elle leurs histoires et lui ont permis de faire partie de leurs vies, à la fois comme amie et comme chercheuse.

Leur résilience et leur sagesse ont été une véritable inspiration. Bien que, pour des raisons d’anonymat, elle ne puisse pas les nommer, elle leur est redevable. Elle est en outre reconnaissante à tous les autres participants qui ont pris du temps sur leur vie pour rendre cette recherche possible. Elle remercie tout spécialement Ibrahim de lui avoir ouvert autant de portes au sein de la communauté égyptienne de Paris.

En cas de questions ou si vous vous intéressez aux futures publications résultant du projet Reproducing Europe, consultez : www.reproducingeurope.nl ou envoyez-nous un courrier électronique à l’adresse : info@reproducingeurope.nl.

info@reproducingeurope.nl

Achevé d’imprimer 2018

Édition

L’équipe Reproducing Europe L’Université Radboud de Nimègue Pays-Bas www.reproducingeurope.nl

Rédaction

© 2018 A. de Koning, M. Marchesi, A.S. Vollebergh, W.D. Ruijtenberg, S.L. Botton, S. Chakkour

Photo

Bart Boeijen, Andrea Balossi Restelli, Jean-Robert Dantou

Traductions

Arabe : Soukaina Chakkour Néerlandais : Wiebe Ruijtenberg

Français : Marwa Hussein Italien : Lucrezia Botton

Conception et réalisation graphique

Hugo Herrera Tobón (Un remerciement très spéciale à Huda Smitshuijzen AbiFarès – La Fondation Khatt, Centre de Typographie Arabe et à Nazanin Karimi)

Police de caractère Greta Text du TPTQ Arabic )NL( Impression

Die Keure Reliure Brepols

Cette Œuvre est mise à disposition selon les termes de la Licence Creative Commons Attribution (voir : https://cre ativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/deed.fr) . Cette Œuvre est libre en partage à condition d’en conserver le format original et de mentionner expressément la source. Il est interdit de reproduire intégralement ou partielle ment la présente publication à des fins commerciales.

ISBN 9789492896438

(en livre de poche et en version électronique)