UN Chronicle

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Édition en français Colette Trousseville La Chronique de l’ONU est une revue trimestrielle de la Division des produits et services destinés au public du Département de ­l’information des Nations Unies à New York et est imprimée par la ­Section de reproduction de l’ONU sur papier recyclé. Veuillez adresser toute correspondance concernant la revue à : Courrier électronique unchronicle@un.org Téléphone 1 212 963-5124 Télécopie 1 917 367-6075 Par courrier UN Chronicle, United Nations 300 East 42nd St., Room 909B New York, NY 10017, USA Abonnements : En ligne https://unp.un.org/Chronicle.aspx Courrier électronique publications@un.org Téléphone 1 800 253-9646 Télécopie 1 212 963-3489 Par courrier UN Publications, United Nations 300 East 42nd St., Room 918B New York, NY 10017, USA Reproduction : Les essais présentés dans ce numéro spécial sur les changements climatiques ne peuvent pas être reproduits sans l’autorisation expresse des Nations Unies. Les autres articles peuvent être ­reproduits dans un but éducatif. Veuillez envoyer une copie de la reproduction à l’adresse de notre rédaction mentionnée ­cidessus. Aucun article ne peut cependant être reproduit dans un but ­commercial sans l’autorisation expresse du Secrétaire du ­Comité des publications, Nations Unies, Bureau L-382C, New York, NY 10017, Etats-Unis ©2009 Nations Unies. Tous droits réservés Au directeur des postes : prière de communiquer les ­changemengts à : UN Chronicle, c/o Mercury Intl. 365 Blair Rd. Avenel, NJ 07001 Affranchissement de deuxième classe payé a Rahway, NJ et à d’autres bureaux de distribution.

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À NOS LECTEURS : LA CHRONIQUE DE L’ONU RETROUVERA SON ­CALENDRIER DE PUBLICATION AVEC QUATRE NUMÉROS EN 2010. NOUS VOUS ­REMERCIONS DE VOTRE COMPRÉHENSION. –Ed

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Volume XLVI  •  Numéro 3 & 4  •  2009

CHRONIQUE

NUMÉRO SPÉCIAL SUR LES CHANGEMENTS CLIMATIQUES

Le changement climatique et notre avenir commun Fekri Hassan

6

Le réchauffement climatique et les surges glaciaires 74 Vladimir Kotlyakov Surveiller le changement climatique de l’espace Juan Carlos Villagrán de León

80

Un espoir possible pour les pays en développement 16 William Dar

Amincissement de l’ozone Jonathan Shanklin

84

Des moyens de subsistance menacés Les peuples autochtones et leurs droits Mark Nuttall

Le rayon des livres de la Chronique Planète ONU par Romuald Sciora et Annick Stevenson

89

Les coûts réels des énergies traditionnelles Hélène Pelosse

90

Petites îles, montée des eaux Nemat Sadat

10

21

La migration environnementale sera-t-elle massive ? 24 Arno Tanner Le changement climatique aura-il un impact sur le droit à la santé et au développement ? Daniel Tarantola L’Afrique est-elle prête ? Ismail Serageldin

28

Le pétrole dans une économie à faible émission de carbone Wael Hmaidan

94

UN SANCTUAIRE EN SURSIS

98

32

L’eau douce en Amérique latine et dans les Caraïbes Emilio Sempris Un avenir pour l’Afrique Yolandi Groenewald VIH/sida et changements climatiques Un modèle de réponse Mary Crewe Au-delà des marchés du carbone Oscar Reyes et Tamra Gilbertson La sécurité humaine, les changements climatiques et les femmes Irene Dankelman

D E S R É C IT S C AP T I VAN T S Des auteurs, lauréats d’un prix, nous parlent 39

Nawal El Saadawi 20 Rajaa Alsanea 27

43 46

Manjushree Thapa 31

52

Dans le contexte des changements climatiques Balgis Osman-Elasha

54

L’écologie du recyclage Marian Chertow

56

La prise de conscience d’un étudiant Alejandro Frischeisen

60

Pour des emplois plus verts Juan Somavía

61

Innovations financières et marchés du carbone Graciela Chichilnisky

63

La biotechnologie – Une solution à la faim ? Kaiser Jamil

70

Maimouna Barro 35

Punyakante Wijenaike 38

Luisa Valenzuela 42

Esther David 79

A B Yehoshua & Nahum Yehoshua 49

Bina Shah 45

Edwidge Danticat 23 Jose Dalisay 73

Chenjerai Hove 93

Kim Young Mi 83

Alain de Botton 96

Jorge Majfud 87

Tamim Ansary 69

Daniel de Cordova 73


Volume XLVI  •  Numéro 3 & 4  •  2009

CHRONIQUE

NUMÉRO SPÉCIAL SUR LES CHANGEMENTS CLIMATIQUES

Irene Dankelman

Mark Nuttall PAGE

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Oscar Reyes PAGE

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Jonathan Shanklin PAGE

Marian Chertow PAGE

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Alain de Botton

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Graciela Chichilnisky PAGE

Tamra Gilbertson

Alejandro Frischeisen

Tamim Ansary PAGE

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Edwidge Danticat PAGE

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Maimouna Barro PAGE

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Mary Crewe Jorge Majfud PAGE

Luisa Valenzuela PAGE

Carte par Sacha Allen Ghiglione 4

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A B Yehoshua Nahum Yehoshua PAGE

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Manjushree Thapa PAGE

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KimYoung Mi PAGE

Bina Shah

Rajaa Alsanea PAGE

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Kaiser Jamil PAGE

Esther David PAGE

William Dar

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Jose Dalisay

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Punyakante Wijenaike PAGE

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Les frontières et les noms figurant sur les cartes ou dans les articles ne signifient pas qu’ils sont approuvés ou acceptés par les Nations Unies.

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Une perspective historique

LE CHANGEMENT CLIMATIQUE Par Fekri Hassan

Un jour, j’ai vu

un tract qui appelait à un rassemblement pour arrêter le changement climatique. Beaucoup ne semblent pas savoir que le climat change tout le temps et qu’on ne peut arrêter les changements climatiques. Ces changements, toutefois, varient quant à leur fréquence et leur intensité et résultent de nombreux facteurs, comme la distance entre le soleil et l’équateur, qui contribue au bilan thermique de la Terre, et la différence de température entre l’équateur et les pôles plus froids causée par la déviation de l’orbite de la Terre ou les variations du rayonnement solaire. Les variations de température créent un mouvement de masses d’air qui, à leur tour, entraînent des précipitations. Pendant des dizaines de milliers d’années, la Terre a connu de nombreuses périodes de refroidissement alternant avec des périodes de réchauffement. Après la dernière grande glaciation, qui a débuté il y a 110 000 ans, on constate, de 16 000 à 11 500, une évolution vers des conditions climatiques plus chaudes caractérisée par de fréquentes variations climatiques. Des groupes de chasseurs-cueilleurs vivant dans des habitats soumis aux aléas climatiques, comme les régions semi-désertiques en Asie de l’Ouest du Sud, en Afrique du Nord et en Chine, se sont adaptés en adoptant une variété de technologies sociales et agricoles, comme l’utilisation des herbages naturels et la gestion du cheptel, la fabrication et l’utilisation de meules, l’usage de pièges, l’emploi d’arcs et de flèches, ainsi que la conservation des denrées alimentaires. Certains ont continué de perfectionner leurs techniques de chasse, d’autres se sont fixés pour exploiter les ressources végétales. Les groupes les plus performants se trouvaient en Méditerranée orientale où le blé sauvage et l’orge étaient abondants. Fekri Hassan est professeur Petrie émérite d’archéologie à l’Institut d’archéologie, University College London. Il est rédacteur en chef d’une série de sept ouvrages publiés par l’Unesco intitulés « Histoire de l’eau et civilisation ». Auparavant, il était Vice-Président du Congrès mondial d’archéologie et Président de l’Association internationale sur l’histoire de l’eau.

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fekri hassan    LE CHANGEMENT CLIMATIQUE ET NOTRE AVENIR COMMUN


ET NOTRE AVENIR COMMUN

© ZEITDIEB PHOTOGRAHY/stop motion in paris

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L’INVENTION DE L’AGRICULTURE De 11 600 à 8 200, le climat s’est réchauffé et est devenu plus humide dans le bassin oriental de la Méditerranée. C’est pendant cette période que des générations successives de chasseurs-cueilleurs, qui ont tiré avantage des habitats abondamment arrosés, ont adopté l’agriculture comme principal mode de production, marquant l’accomplissement le plus révolutionnaire de l’humanité – l’invention de l’agriculture. Ce fut une transformation radicale du mode de vie. Les villages se sont groupés pour former des communautés dirigées par des conseils ou des chefs. Plus tard, les conglomérats de communautés agricoles ont fusionné pour créer des royaumes,

400 ans, de 4600 à 4200 av. J.-C., avant que des baisses répétées du niveau du Nil n’entraînent une catastrophe. Le gouvernement s’est effondré. Les famines ont ravagé la population rurale, la violence a éclaté et le pays entier a été en proie au chaos. En Mésopotamie, les premières sociétés étatiques qui ont vu le jour au début du cinquième millénaire avant J.-C. dépendaient beaucoup de l’irrigation pour faire face aux sécheresses et aux inondations récurrentes du Tigre et de l’Euphrate. Pour tirer l’eau, elles ont inventé un système à bascule, le chadouf, et ont utilisé les canaux, les canaux de drainage, les barrages, les digues et les réservoirs. Contrairement à l’Égypte, les sols des plaines d’inondation avaient tendance à se saliniser, ce qui

Vers 5000 av. J.-C, les premiers États agraires ont donné naissance aux premières grandes civilisations mondiales. Mais vers 4200 av. J.-C., le climat a brusquement changé entraînant des bouleversements dramatiques dans le monde entier. tandis que les communautés qui élevaient du bétail, des moutons et des chèvres, ont recherché les terres irriguées près des cours d’eau. Avec la mise en place de ce nouveau système agraire doté d’une organisation plus complexe, l’effet des changements climatiques sur la vie humaine a pris un nouveau tournant. Cela a été principalement dû à la nature de l’écologie agraire et au potentiel de croissance économique. La production agricole variait chaque année, en partie en raison de la variabilité inter­ annuelle des précipitations mais, plus important, en fonction des changements des conditions climatiques amorcés depuis des décennies et des siècles qui avaient un impact sur le débit des fleuves et sur les précipitations. Pour remédier à ces problèmes, des canaux d’irrigation ont été construits dans les terres desséchées, des canaux de drainage sont été aménagés pour libérer la quantité d’eau excédentaire et des digues ont été construites pour protéger les champs et les villages des dégâts causés par les inondations. DE GRANDES CIVILISATIONS L’expansion des communautés agraires a donné lieu au développement d’États politiques complexes pourvus d’une structure de gestion hiérarchique. Les fonctionnaires, les clercs et les prêtres qui déployaient rituels et mythes pour promouvoir et renforcer les politiques de l’État ont suscité une augmentation de la demande alimentaire. Pour faire face à cette soudaine demande, un tribut a été prélevé sur les fermiers qui ont été contraints de travailler plus et d’agrandir leurs champs. Vers 5000 av. J.-C, les premiers États agraires ont donné naissance aux premières grandes civilisations mondiales en Égypte, en Mésopotamie et en Inde. Mais vers 4200 av. J.-C., le climat a brusquement changé entraînant des changements dramatiques dans le monde entier. Sur les berges du Nil, les Égyptiens avaient établi un État centralisé. Des dynasties successives avaient construit des pyramides imposantes pendant 8

réduisait la productivité. Les dirigeants avaient recours aux guerres, il a 4500 ans. C’est ainsi que fut établi l’Empire militaire d’Akkad 200 ans plus tard. Les Akkadiens étendirent leur pouvoir sur les régions irriguées afin d’augmenter leur revenu généré par les tributs. Toutefois, les dépenses élevées de l’empire militaire, la perte de productivité causée par la surproduction des terres et la surexploitation des fermiers, ainsi que par une dépendance grandissante vis-à-vis des produits venant de terres irriguées marginales, ont rendu l’empire d’Akkad vulnérable aux révoltes internes et aux attaques extérieures au risque de provoquer sa chute. Un siècle à peine après sa création, l’empire s’est effondré suite à un événement climatique mondial, survenu il y a 4 200 ans, qui a eu trois conséquences. Premièrement, le débit du Tigre et de l’Euphrate a considérablement diminué, nuisant à la productivité des terres situées dans les vallées. Deuxièmement, les inondations ont réduit le rendement des cultures irriguées par les eaux fluviales. Troisièmement, les tribus nomades guties qui vivaient dans les monts Zagros et qui étaient fragilisées par les sécheresses, ont profité de l’affaiblissement de l’empire d’Akkad et de ses tensions internes : ils ont rendu les transports dangereux, perturbé l’économie et empêché la collecte des tributs, privant l’empire de ses ressources vitales. Plus à l’Est, en Chine, la culture du riz et du millet est devenue depuis 11 660 ans le principal mode d’alimentation grâce aux moussons. Toutefois, les sécheresses qui sont survenues il y a 4200 ans ont contraint les villageois qui occupaient la moyenne vallée du fleuve Yangstze d’abandonner leurs villages alors que l’eau manquait. Le Fleuve Jaune, sa grande boucle, ainsi que l’érosion des sols causée par des variations climatiques et l’agriculture, ont contribué à l’apparition de sociétés hiérarchiques complexes avant d’être menacées par un refroidissement climatique qui a non seulement causé des sécheresses, mais aussi diminué le nombre de jours sans gel, ce qui a entraîné une réduction des rendements agricoles. Cela est indiqué par le

fekri hassan    LE CHANGEMENT CLIMATIQUE ET NOTRE AVENIR COMMUN


déclin, vers 4000 ans avant J.-C. en date calibrée, de la culture de Longshan dans la vallée du Fleuve Jaune et des sociétés agraires de la région centrale de Chine. Il semble aussi que les sécheresses aient encouragé l’intégration et la coopération politiques, l’émergence de la première dynastie décrite dans les sources historiques, la dynastie chinoise Xia (il y a environ 4100 à 3600 ans) dans la région occidentale de la province du Henan et la province du Shanxi. Depuis 4200, de nombreux royaumes et empires ont vu le jour et ont disparu, principalement à cause des guerres menées pour acquérir de nouvelles terres et capturer de la main-­d ’œuvre afin d’augmenter la production. Le plus souvent, les rivalités internes, les coûts causés par le contrôle de vastes territoires habités par des paysans écrasés par les impôts, ainsi que le coût des guerres, ont eu raison des dynasties. Au premier siècle après J.-C, bon nombre des royaumes et des empires précédents ont été renversés par l’Empire romain. Mais il ne fallut pas longtemps pour que le vaste empire, d’une portée pratiquement mondiale, connaisse les mêmes problèmes qui avaient précipité la chute de ces empires. Les changements climatiques qui sont survenus aux IIIe et au V e siècle ont porté le dernier coup. Dans ce cas encore, comme dans le cas des Gutis et des Akkadiens, des sécheresses successives ont conduit les

mousson d’hiver ont provoqué des migrations dans la zone de convergence intertropicale. Un événement climatique similaire a contribué à l’effondrement des Mayas en Amérique centrale. Il est important de souligner que le changement climatique n’est qu’une cause, parmi de nombreuses autres, de la fin des civilisations et que la manière dont les sociétés étaient dirigées sont peut-être des facteurs plus importants. Le changement climatique aurait-il eu moins d’impact sur l’Empire Tang si le vieil empereur Xuanzong n’avait pas été si laxiste et indifférent vis-à-vis des affaires de l’État, ou s’il n’avait pas nommé des chanceliers pernicieux qui ont corrompu l’ordre politique et a été incapable, en 755, d’empêcher les troupes ennemies de menacer l’empire ? Un système impérial militaire n’est-il pas vulnérable au changement climatique ? Un régime sans puissance militaire oppressive aurait-il pu empêcher la montée des forces séparatistes au VIIIe et au IXe siècle ? Enfin, si l’empereur Tang avait mené une politique plus équitable et charitable à l’égard des paysans, cela aurait-il empêché le soulèvement de masse en 859 ? Il faut éviter de percevoir le changement climatique comme cause unique de l’apogée ou de la chute des civilisations. À cette époque et actuellement, le changement climatique peut être géré par des systèmes qui assurent la protection de l’habitat naturel

Le réchauffement climatique – auquel les pays industriels ont déjà grandement contribué – est un signal d’alarme qui nous alerte sur […] les défaillances actuelles de nos institutions politiques et sociales et de leurs valeurs. Huns, cavaliers munis d’arcs, à attaquer les tribus germaniques qui, à leur tour, ont attaqué les Romains. Les effets des changements climatiques sur les pâturages des régions désertiques et semi-désertiques ont, une fois de plus, favorisé au XIIe siècle, la recrudescence des attaques par les Mongols dont les descendants vivent aujourd’hui en Mongolie, en Chine, (Mongolie intérieure), en Russie ainsi que dans d’autres pays d’Asie centrale. Non seulement l’instabilité climatique a encouragé les nomades mongols à attaquer les communautés sédentaires, mais elle a également affaibli les royaumes et les empires, les rendant vulnérables. Les événements climatiques qui ont contribué à l’expansion des Mongols ont été des phénomènes mondiaux – une période que l’on nomme « anomalie climatique médiévale ». Ils ont eu des conséquences majeures en Europe pendant la période médiévale et perturbé de nombreuses autres régions du monde, y compris l’Amérique du Nord. En Égypte, les sécheresses qui ont eu lieu du IXe au début du XIIIe siècle ont engendré des famines et des bouleversements politiques. On pense aujourd’hui que le déclin de l’Empire de la dynastie chinoise Tang, en 907, a été précipité par un changement climatique. Une perturbation du système des moussons en Chine a provoqué le déclin final de cette dynastie : une sécheresse prolongée et un été sec ont suscité des émeutes paysannes qui ont marqué la fin de la dynastie. Des archéologues ont découvert que, de 700 à 900, les vents plus violents durant la

et veillent à ce que les dirigeants ne surexploitent pas les masses au profit d’une minorité et ne recourent pas à la force militaire pour coloniser ou piller les ressources et les peuples d’autres nations. Comme ces systèmes, notre système est extrêmement vulnérable. La situation est, de fait, pire parce que les économies des nations sont étroitement liées et que l’effet cumulatif des émissions qui polluent la planète depuis 200 ans menace aujourd’hui de bouleverser le climat mondial. La planète est aussi surpeuplée et très urbanisée. Au cours des 50 dernières années, la demande en eau, pour ne citer qu’une de nos ressources vitales, a augmenté, privant plus d’un milliard de personnes de l’accès à l’eau potable. Je pense que qu’aucune solution à la crise mondiale ne sera possible tant que nous n’abandonnerons pas les politiques nationalistes et les entreprises financières à court terme et ne créerons pas une institution chargée de la gestion mondiale. Cette institution unifierait et coordonnerait le savoir-faire, les ressources financières et humaines de toutes les nations pour réhabiliter nos environnements menacés ainsi que pour promouvoir et diffuser de nouvelles technologies pour réduire la faim et la pauvreté. Le réchauffement climatique – auquel les pays industriels ont déjà grandement contribué – est un signal d’alarme qui nous alerte non seulement sur les menaces que pose le changement climatique mais, plus important, sur les défaillances actuelles de nos institutions politiques et sociales et de leurs valeurs.  ❖

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Petites îles

© Christoph dangelmaier

Montée des eaux

Par Nemat Sadat

« O

n sait qu’avec une élévation d’un niveau de la mer de 1,5 m, des centaines de millions de personnes mourront. Ils seront tout simplement balayés », a déclaré à la Chronique de l’ONU le Président Mohamed Nasheed de la République des Maldives deux jours seulement après avoir évoqué la situation de son pays devant les autres dirigeants mondiaux au Sommet sur le changement climatique de l’Assemblée générale de l’ONU en 2009. La menace posée par l’élévation du niveau de la mer est la pierre angulaire des négociations sur le changement climatique, la question principale mise en avant par les petits États insulaires en développement, appelés peid. À moins d’un mois avant la Conférence sur le changement Nemat Sadat prépare une maîtrise en Sciences sur les négociations et la résolution des conflits à l’Université de Columbia.

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climatique des Nations Unies qui aura lieu en décembre 2009 à Copenhague, ceux qui considèrent le réchauffement climatique comme un phénomène assez vague commencent peut-être à se demander quelles conséquences il pourra avoir sur leur vie. Mais il n’y a pas besoin d’attendre pour voir que les peid sont déjà menacés par de grandes marées, des cyclones, des inondations, des cultures endommagées, l’augmentation de la fréquence des maladies, l’inondation des régions côtières et la perte des ressources en eau douce. Ces petits États insulaires sont sur « la ligne de front » des changements climatiques. Au cours de l’ère post-industrielle, la consommation de combustibles fossiles a augmenté de manière drastique la quantité de dioxyde de carbone (CO2), provoquant des dégâts dans l’environnement et l’infrastructure de nombreux petits États insulaires et d’autres régions de faible élévation.

nemat sadat    Petites îles, Montée des eaux

Les pays plus pauvres entourés de vastes masses d’eau – qui ont contribué le moins au réchauffement climatique, y compris à l’élévation rapide du niveau de la mer – se trouvent aujourd’hui à la merci des pollueurs. Les pays du Nord perdent de leur crédibilité très rapidement, a déclaré à la Chronique de l’ONU Ronny Jumeau, l’ambassadeur des Seychelles, Représentant permanent de ce pays aux Nations Unies. « Disons que ma maison a été inondée et a subi d’importants dégâts à cause de mon voisin et que je n’y suis pour rien. Pourtant, je dois emprunter de l’argent à ce voisin et lui payer des intérêts le reste de ma vie afin de nettoyer les dégâts qu’il a causés. C’est malhonnête. » LES GRAINES D’UNE ALLIANCE Aux Nations Unies, 43 des plus petites îles insulaires et des régions côtières de faible élévation, représentant les États Membres ayant le plus de chances


d’être touchés par les changements climatiques, ont forgé une alliance appelée l’Alliance des petites îles insulaires (aosis). Alors qu’aosis représente plus d’un quart des pays du monde, ces pays sont responsables de moins d’1 % des émissions mondiales de carbone. Après le discours virulent de l’ancien Président de la République des Maldives, Maumoon Abdul Gayoom, à la réunion des chefs de Gouvernement du Commonwealth à l’Assemblée générale des Nations Unies en octobre 1987 où il a parlé pour la première fois de « la mort d’une nation », l’idée d’un bloc de nations insulaires a pris un nouvel essor. Trois ans plus tard, le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du changement climatique (geiec) a publié sa première évaluation sur le changement climatique coïncidant avec la Deuxième Conférence sur le changement climatique à Genève, et le peid est né. Les ambassadeurs des petits États insulaires appellent le Président Gayoom le « créateur » de leur coalition. Vingt ans après, à l’Assemblée générale de l’ONU, le Président Nasheed a dit aux dirigeants mondiaux qu’ils devaient « changer les habitudes qui ont conduit à 20 ans d’excès de confiance et de promesses non tenues sur le changement climatique » depuis 1990. NÉGOCIER POSITIONS CONTRE INTÉRÊTS À une conférence de presse au siège de l’ONU en juillet 2009, l’ambassadrice Desama Williams, Représentante permanente de la Grenade auprès des Nations Unies et présidente actuelle d’AOSIS, a souligné la nécessité de limiter la hausse des températures à moins de 1,5 °C, à la fois à court terme comme à moyen terme. « Si des engagements mondiaux appropriés ne sont pas pris pour limiter la hausse des températures causée par les émissions de gaz à effet de serre, les petites îles seront submergées », a-t-elle indiqué. Pour empêcher que ces îles ne soient englouties par l’océan, chaque État Membre devrait abandonner l’attitude attentiste face aux questions difficiles

relatives à l’adaptation et à l’atténuation et se concentrer sur leurs intérêts collectifs. Jusqu’ici, les arguments de position, un terme employé dans les négociations indiquant que les discussions portent sur des chiffres précis, ont eu peu de succès. Ce qu’il faut maintenant pour surmonter les défis politiques, c’est une solution durable et concrète à laquelle tous les États Membres se rallient – une politique sur le climat réaliste et ambitieuse qui assure une croissance économique et un développement durables dans toutes les régions du monde. Mais comment les petites îles comme les Comores ou les Palaos peuvent-elles avoir des arguments de poids pour convaincre la communauté internationale qu’il est temps de lancer un appel à l’action ? La cruelle ironie, selon M. Jumeau, c’est que les petites îles insulaires ont un champ de manœuvre limité : « Nous ne pouvons pas partir en croisade dans le monde. Plus nous nous faisons entendre, plus nous effrayons les investisseurs et les touristes et détruisons nos moyens de subsistance », a-t-il expliqué. Alors que ces pays font face aux limites de la responsabilité des pays industrialisés du Nord, M. Jumeau fait remarquer que « le débat sur le changement climatique ne peut avoir lieu dans le vide ». Nous maintenons de bonnes relations avec les anciennes puissances coloniales, la France et le RoyaumeUni, de sorte que nous ne pouvons pas nous manifester et nous opposer à elles. Et nous n’avons pas d’alliés dans le Sud non plus; pour cela aussi, il faut engager des négociations acharnées. Ce que nous avons, c’est un groupe d’États de plus en plus frustrés. » LES PHARES DU MONDE Mais si un sentiment de frustration domine dans les petites îles, des acteurs ont déployé des efforts importants pour placer le changement climatique à l’ordre du jour des Nations Unies et, dans le passé, ont joué un rôle important dans les négociations d’accords internationaux. Par exemple, le rôle que la Papouasie-Nouvelle-Guinée a joué dans les discussions sur l’initiative

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Émissions résultant de la déforestation et de la dégradation des forêts (redd) lors de la conférence sur le changement climatique de l’ONU qui s’est tenue en décembre 2007 à Bali, en Indonésie. L’initiative redd de crédits carbone pour les forêts vise essentiellement à réduire les émissions dans les pays en développement en finançant la conservation des forêts, la reforestation et la réduction de la pauvreté tout en luttant contre le changement climatique. Le professeur Graciela Chichilnisky de l’Université de Columbia qui a participé à l’élaboration du Protocole de Kyoto a dit à la Chonique de l’ONU : « Bien que la Papouasie-NouvelleGuinée soit un État minuscule, son intervention a poussé les États-Unis à participer au processus de Kyoto et à accepter le reboisement en échange de crédits carbone. » Le dernier jour de la Conférence de Bali, après que Paula Dobriansky, une déléguée américaine, avait indiqué que les États-Unis étaient peu disposés à soutenir la Feuille de route de Bali (la Feuille de route fixe un nouveau cadre aux négociations sur le climat qui devront être terminées en 2009), Kevin Conrad, un membre de la délégation de la Papouasie-nouvelleguinée, a répondu : Un proverbe dit : « Si vous n’êtes pas disposés à mener, laissez-nous prendre les rênes. Ne vous mettez pas sur notre chemin », a lancé M. Conrad. La salle a applaudi avec effusion et plusieurs minutes plus tard, Mme Dobrianski est revenue sur la position des États-Unis. En tant que voix unifiée soutenue par le système de l’ONU, l’Alliance aosis est exemplaire dans la façon dont elle exerce une influence pour faire connaître ses positions et la stratégie pour promouvoir la politique sur le climat. « Il serait difficile pour le G-77 (groupe de pays en développement) de rejeter les accords que les États insulaires acceptent. Dans ce sens, ils ont le pouvoir de décision. » Dans un entretien avec la Chronique de l’ONU, l’ambassadeur Ahmed Khaleel, Représentant permanent des Maldives aux Nations Unies a déclaré : « Le succès d’aosis est dû au fait que nous partageons une

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important de déterminer comment les ressources seront utilisées pour réduire la vulnérabilité au changement climatique.

LA SÉCURITÉ MONDIALE S’adressant à la Chronique de l’ONU, le Président Nasheed a mis en garde que le conflit sur le changement climatique pourrait se durcir et engendrer des perturbations dans de nombreuses régions du monde, expliquant que « les pays sont maintenant menacés par les changements climatiques et par les pressions qu’ils exercent sur les ressources. Il ne s’agit pas seulement de l’environnement; il s’agit aussi de la sécurité mondiale. » Le Président Nasheed a évoqué la question de la sécurité mondiale, un point important soulevé en juin par un groupe régional de petits États insulaires en développement du Pacifique et qui a donné lieu à une résolution de l’Assemblée générale reconnaissant les conséquences possibles du changement climatique sur la sécurité. Alors que la résolution, coparrainée par tous les membres de l’aosis, n’est pas contraignante, elle représente une victoire symbolique, confère un poids moral au changement climatique et place le changement climatique à l’ordre du jour du Conseil de sécurité de l’ONU beaucoup plus puissant. Dans un entretien accordé à la Chronique de l’ONU, Caleb Christopher, conseiller juridique à la Mission permanente de la République des îles Marshall auprès des Nations Unies, dit que son pays considère que le changement climatique constitue une menace à la sécurité nationale et à la stabilité mondiale. L’argument est essentiellement le suivant : si vous perdez un membre des Nations Unies, cela constitue en soi une question internationale grave. M. Christopher a fait remarquer que « selon la formulation de l’article 1 de la Charte de l’ONU, il n’y a pas une grande différence entre une armée qui envahit un pays et l’élévation du niveau la mer qui entraîne la disparition d’une île ». Dans ce contexte de la sécurité liée au changement climatique, il est aussi

UN DANGER IMMINENT : LE POINT DE NON-RETOUR Alors que le changement climatique est devenu une menace à la sécurité, la communauté internationale est parvenue en 2009 à se mettre d’accord pour reconnaître le bien-fondé des arguments scientifiques sur le réchauffement climatique. « Vu les effets réels et immédiats du réchauffement climatique, ceux qui récusaient les conséquences du changement climatique mettent la tête dans le sable », a déclaré à la Chronique de l’ONU Raymond Wolfe, Représentant permanent de la Jamaïque auprès des Nations Unies. « Pour la région des Caraïbes, les ouragans présentent un danger clair et présent; ils sont plus intenses et provoquent d’importants dégâts. » En fait, l’ouragan Ivan, qui a

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frappé l’île de la Grenade située dans les Caraïbes, a détruit 90 % de l’infrastructure, ce qui représente un coût équivalant à deux fois le produit intérieur brut (pib) du pays. En plus des ouragans, « nous avons connu un triple tsunami – une crise alimentaire, énergétique et financière – qui a été exacerbé par le changement climatique », a expliqué M. Wolfe. Un scénario similaire se développe aux Maldives, a reconnu M. Khaleel : « Nous voyons les effets négatifs du changement climatique tous les jours. Personne ne peut nier le contraire. Il suffit de voir le niveau d’érosion des plages. » Pour les petits États insulaires qui ne sont pas protégés par le plateau continental, les récifs coralliens constituent une protection naturelle contre la mer. « Quand le niveau de la mer augmente, les récifs sont endommagés; quand les récifs coralliens sont détruits, notre survie est en jeu. La mort des récifs coralliens, c’est aussi la mort de

© Sacha ghiglione

passion commune et que nous œuvrons comme un seul homme. Sur les principes majeurs du changement climatique, nous ne cédons pas. »

Archipel des Maldives nemat sadat    Petites îles, Montée des eaux


l’industrie de la pêche et du tourisme », a-t-il souligné. L’ÉCONOMIE À EFFET DE BOOMERANG Le tsunami dans l’océan Indien en 2004 a eu des conséquences dramatiques pour l’économie des Maldives; dans notre lutte pour notre survie, nous devons maintenant gérer la crise des réfugiés de l’environnement. Le tsunami qui a fait de nombreux morts dans d’autres pays de l’océan Indien a épargné les habitants des Maldives. En effet, le fait qu’elles ne soient pas entourées d’un plateau continental a empêché l’amplification des vagues et leur déferlement sur les terres, comme cela s’est produit dans les pays voisins comme l’Inde, le Sri Lanka et ailleurs. « Si les Maldives ont été modérément touchées par le tsunami (le bilan est de 120 morts), l’économie a beaucoup souffert de la catastrophe. Nous avons perdu six ports de mer et notre principale source en eau douce. Plus de 68 % de notre pib s’est envolé en deux minutes. » Les effets durables du tsunami indiquent à quel point l’élévation du niveau de la mer peut avoir des effets dévastateurs. Après quatre ans d’efforts pour retrouver des conditions de vie décentes, évacuer les populations vivant sur les îles submergées et faire face à une dette élevée par rapport à leur revenu, les Maldives ont dû faire face à une crise alimentaire deux ans plus tard, suivie par la crise financière mondiale. Pourtant, malgré tous ces revers, elles s’adaptent aux codes stricts de l’environnement et se mettent au vert. Le Président Nasheed a déclaré à la Chronique de l’ONU : « Nous investissons dans des projets de capture de carbone et consacrons davantage de ressources aux usines d’énergies renouvelables – les éoliennes et les panneaux solaires – que nous pouvons exploiter. » Expliquant que plus de 30 % des émissions mondiales de carbone sont directement générées par les habitations, le Président a ajouté : « Nous avons mis en vigueur des codes de construction stricts pour réduire l’énergie et améliorer l’efficacité. En un sens, nous

développerons un kit de survie qui nous permettra aussi d’atteindre nos objectifs. » La crise financière mondiale peut compromettre davantage la situation des petits États insulaires. Au premier trimestre de 2009, le tourisme haut de gamme aux Maldives a chuté de 11 %, a indiqué M. Khaleel. Mais certains touristes aisés continueront de se rendre dans leur destination de vacances favorite. Le changement climatique arrêtera les touristes de venir bien avant une crise financière. « Chaque crise a des bons côtés », a-t-il souligné, ajoutant que « le temps nous est compté. Nous devons agir dès maintenant. C’est une question de vie ou de mort ». Malgré le nombre de questions qui restent à régler et une économie dépendant principalement du tourisme, les Maldives prennent les mesures nécessaires pour devenir le premier pays du monde à bilan de carbone neutre d’ici à 2020. « Il n’y a aucune raison pour qu’un autre pays ne fasse pas la même chose. Nous comprenons que le remplacement de l’énergie existante est coûteux. Nous voulons nous concentrer sur ce qui doit être fait, pas sur ce qui ne devrait pas être fait », a-t-il commenté.

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LES QUESTIONS HUMANITAIRES Selon M. Khaleel, les questions humanitaires auxquelles sont confrontées les populations des petits États insulaires qui sont déplacées à l’intérieur de leur pays ou ont été évacuées vers d’autres pays sont ignorées par la communauté internationale. Même avec la menace de la migration massive et les actions intentées contre les plus grands pollueurs de la planète, le problème des réfugiés de l’environnement n’a pas encore été résolu. « La pénurie des sources en eau douce est une question majeure qui crée des tensions et provoque la migration », a-t-il expliqué. En vertu du droit international, les personnes déplacées en raison des changements climatiques ne sont pas reconnues comme un groupe ayant des droits définis ou nécessitant une protection spéciale. Ces personnes n’entrent pas dans la définition de la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés et ne bénéficient donc pas des mêmes droits. Après un lobbying intense mené par les Maldives, les petites îles ont réalisé un progrès décisif dans le domaine des droits de l’homme en mars 2008 lorsque le Conseil des droits de l’homme de l’ONU a voté une résolution qui

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AOSIS ou Alliance des petits États insulaires est une coalition de pays à faible élévation et de petites îles. Ces nations sont particulièrement vulnérables à l’élévation du niveau de la mer et partagent les mêmes positions sur les changements climatiques. Les 43 membres et les observateurs sont Antigua et Barbuda, Antilles néerlandaises, Bahamas, Barbade, ­Belize, Cap-Vert, Comores, Îles Cook, Cuba, Dominique, République dominicaine, États fédérés de Micronésie, Fidji, Grenade, Guam, Guinée-Bissau, Guyane, Haïti, îles Marshall, îles vierges américaines, Jamaïque, Kiribati, Maldives, Maurice, Nioué, Palaos, Papouasie-Nouvelle-Guinée, Samoa, Sao Tomé-et-Principe, Seychelles, Singapour, îles Salomon, Saint-Kitts-et-Nevis, SainteLucie, Saint-Vincent-et-les Grenadines, Samoa américaines, Suriname, Timor-Leste, Tonga, Trinité-et-Tobago, Tuvalu et Vanuatu. reconnaît que le changement climatique « pose une menace immédiate et lourde de conséquences pour les peuples et les collectivités du monde entier ». « Il y a donc lieu d’espérer », a jugé M. Christopher, en expliquant que le Haut-Commissariat de l’ONU pour les réfugiés a présenté en mai dernier un rapport à la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques (cnucc) sur l’apatridie des populations vivant sur des terres submergées. Alors que les « réfugiés climatiques » ne bénéficient pas nécessairement des droits des réfugiés, ils sont reconnus au titre de l’article 1 de la Convention de 1954 relative au statut des apatrides qui définit un apatride comme « une personne qu’aucun État ne considère comme son ressortissant par application de sa législation. Lorsqu’un État cesse d’exister, la nationalité disparaît étant donné que les citoyens perdent tout lien de rattachement avec leur État ». La question est alors de déterminer dans quelle mesure le changement climatique affecte le statut d’État. LA CONFRONTATION DIPLOMATIQUE De retour à New York, les négociateurs des petits États insulaires qui attendent de plus en plus des pays industriels qu’ils montrent l’exemple se rendent compte que l’attention des pays développés est principalement tournée vers la Chine et l’Inde. Comme les grandes puissances économiques de l’Est, le Brésil occupe le troisième rang dans les émissions de carbone dans le monde en développement et a les mêmes préoccupations que la Chine et l’Inde en ce qui concerne les négociations sur les changements climatiques. Paulo Chiarelli, Premier Secrétaire à la mission permanente du Brésil à New York a dit à la Chronique de l’ONU que « le Brésil a atténué les changements climatiques en investissant beaucoup dans les sources renouvelables d’énergie, comme l’éthanol. Nous pouvons tenir lieu d’exemple

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et montrer aux autres pays comment créer une économie à faibles émissions de carbone. Mais pour y parvenir, il faut que les pays développés apportent leur appui financier et technologique ». Et c’est précisément sur ces questions que les négociations sont au point mort. Singapour, qui est membre ­d ’oasis, se dit préoccupé par les questions fondamentales qui touchent les peid. L’ambassadeur du Brésil, M. Vanu Gopala Menon, Représentant permanent de ce pays auprès des Nations Unies, a dit à la Chronique de l’ONU : « Nous pensons que le fardeau le plus lourd devrait être supporté par les pays qui ont été les plus grands pollueurs. Les pays développés devraient en particulier aider les États en développement, surtout les petits États insulaires. » Avant de faire des concessions, les pays développés veulent des engagements fermes de la part des pays en développement. Mais « si vous voulez que les pays en développement emboîtent le pas, il faut leur apporter une aide financière et technologique. Nous ne voulons pas d’une situation où vous (les pays développés) mettez au point la technologie et l’envoyez dans les pays en développement pour qu’ils l’achètent et leur demandez de se mettre au normes », a-t-il souligné. Alors que la communauté internationale a pris des engagements sur les changements climatiques, personne n’est encore disposé à donner des chiffres. « Les pays de l’Annexe 1* » ne veulent pas s’engager avant de savoir ce que les autres pays font. C’est la raison principale pour laquelle personne n’approuve le texte ni les termes exacts », a-t-il ajouté. Selon lui, les deux séries de négociations qui ont eu lieu à Bonn, en * Les pays de l’Annexe 1 comprennent les pays industrialisés qui étaient membres de l’OCDE (Organisation pour la coopération et le développement économiques) en 1992, plus les pays aux économies en transition, y compris la Fédération de Russie, les États baltiques et plusieurs États de l’Europe centrale et de l’Est.

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Allemagne, en juin 2008, puis en août 2009, n’auront servi qu’à réduire et à améliorer les 200 pages du projet de texte. Toute contrepartie était absente. Les milliers de crochets qui ont été mis pour signifier un point de désaccord n’ont pas été enlevés. L’Alliance des petits États insulaires pense que les pays de l’Annexe 1 ne peuvent se laisser guider par l’opportunisme lorsqu’ils négocient sur les changements climatiques. « Quand cela vous convenait, vous avez pollué la planète pour vous enrichir et renforcer vos économies. Maintenant vous devez montrer l’exemple avant de nous demander de réduire de manière drastique nos émissions », a dit M. Wolfe. De son côté M. Jumeau s’interroge : « Mais qu’est-ce qu’on nous raconte ? Présenter les pays pauvres comme des fautifs est vraiment déplorable. On ne considère tout simplement pas l’Inde et la Chine dans la même perspective. La pollution par habitant dans ces deux pays est assez peu importante. Quelle est l’empreinte carbone d’un Chinois par rapport à un Américain ou un autre ressortissant d’un pays du Nord ? » M. Jumeau a poursuivi en expliquant comment les pays du Nord utilisent les chiffres par habitant quand cela les arrange le plus, en particulier lorsque les chiffres sont contre eux. L’un des problèmes qui se posent pour les petits États insulaires lorsqu’on utilise les chiffres par habitant est que beaucoup accèdent au statut de pays à revenu moyen alors qu’ils demeurent les plus vulnérables aux changements climatiques. Ils perdront de nombreux avantages, ce qui affaiblira leur capacité d’adaptation à l’évolution du climat. « Nous allons accéder au statut de pays à revenu moyen en janvier 2010, mais cela ne réduit pas notre vulnérabilité. En fait, cela aggrave encore les choses », a souligné M. Khaleel. Dans un entretien à la Chronique de l’ONU, l’ambassadeur du Danemark, Carsten Staur, Représentant permanent


de ce pays auprès des Nations Unies, s’explique : « Bien sûr, le problème a été créé par les pays industrialisés. On demande maintenant que tout le monde participe à sa résolution. Il s’agit certes d’une tâche difficile. D’un autre côté, même si les pays de l’Organisation pour la coopération et le développement économiques (ocde) cessaient d’émettre du CO2 , nous ne pourrions pas limiter la hausse des températures à 2 °C. Les pays en développement et les économies émergentes doivent faire partie de la solution, avec notre soutien, bien entendu. » Mais les pays en développement abordent le changement climatique selon le principe des « responsabilités communes mais différenciées », qui sert de base à la cnucc et reconnaît les différences dans les contributions passées des pays développés et des pays en développement aux problèmes environnementaux mondiaux. « Si vous êtes en mesure de faire quelque chose, montrez l’exemple. Ce sont les pays occidentaux qui ont les moyens et les capacités », a indiqué M. Jumeau. Que penseriezvous s’ils retournaient l’argument des pays développés et disaient : « Puisque nous sommes les pays les moins pollueurs, nous devrions avoir le moins de responsabilités. » L’ASPECT CRUCIAL DE LA MONDIALISATION Le Secrétaire général de l’ONU, Ban Ki-moon, a dit que nous vivions des « crises multiples » où la hausse du prix du pétrole et des denrées alimentaires, la crise financière et la crise de la grippe réduisent notre capacité à nous protéger contre les changements climatiques. Mais il n’y a rien d’inhérent aux politiques mondiales, aux technologies ou à la disponibilité des ressources mondiales qui puisse empêcher les crises sociales et écologiques résultant des changements climatiques, indique Jeffrey Sachs dans son ouvrage Common Wealth. Selon l’auteur, c’est le manque de coopération au niveau mondial qui empêche de parvenir à un accord de fond. L’auteur écrit : « Le paradoxe d’une économie mondiale unifiée

et d’une société mondiale divisée pose la plus grande menace à la planète car il rend impossible la coopération nécessaire pour résoudre les problèmes qui subsistent. » Le changement climatique est l’exemple le plus évident de la mondialisation rapide, selon Caleb Christopher. « C’est une question très complexe, la question probablement la plus difficile de notre temps. La coopération mondiale est nécessaire pour pouvoir gérer efficacement ces problèmes », a-t-il estimé. Dans son discours liminaire à la Fédération mondiale des Associations pour les Nations Unies, le Secrétaire général de l’ONU Ban Ki-moon a souligné que « nous avons moins de dix ans pour enrayer la hausse des émissions de gaz à effet de serre si nous voulons éviter des conséquences catastrophiques pour les êtres humains et la planète ». LE PARADIS APRÈS L’EFFONDREMENT Au lendemain de la crise financière et de la récession mondiale actuelle, « le changement climatique exacerbe les menaces », a dit M. Staur à la Chronique de l’ONU, ajoutant que « les dépenses à engager pour développer une économie à faibles émissions de carbone nécessitera l’engagement de tous les pays. Mais ce sera aussi une occasion de définir une nouvelle trajectoire de croissance pour l’avenir ». Les petits États insulaires n’ont pas d’autre choix que de s’engager à conclure un accord. Bon nombre de peid importent 80 à 90 % des produits qu’ils consomment, n’ont pas suffisamment de terres pour parvenir à l’autosuffisance agricole, sont même plus exposés aux chocs mondiaux et n’ont pas le luxe d’injecter des millions dans leur économie. « La crise financière a affaibli notre résistance et notre capacité à résoudre les questions liées aux changements climatiques. À cette étape cruciale de leur survie, les petits États insulaires n’ont plus la capacité d’organiser les évacuations humanitaires, de reconstruire leur économie et de s’attaquer en même temps à un nouveau champ de bataille créé par l’élévation du niveau de la mer », a souligné M. Jumeau. M. Christopher

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a expliqué que l’élévation du niveau de la mer créerait des incertitudes pour de nombreuses régions autres que les îles et les États côtiers. Un grand nombre de pays connaîtront un changement dans leurs limites des zones marines, qui pourrait entraîner des conflits territoriaux liés aux ressources de la mer et aux droits d’accès à ces ressources. Même si les peid érigeaient des murs océaniques pour protéger leurs îles contre les vagues, ils ne seraient toujours pas en mesure de s’adapter aux émissions mondiales de carbone avant d’être engloutis par la mer. NÉGOCIER UN KIT DE SURVIE Les dirigeants de l’Alliance disent qu’ils n’ont pas les moyens de pression géopolitique et économique que d’autres États Membres influents apportent à la table de négociations. M. Jumeau s’interroge : « Quels sont nos points forts? Nous avons les destinations de vacances. Mais si vous en perdez une, vous en trouverez bien une autre. Quoi d’autre ? Le thon. Il disparaîtra probablement avant nous de toute façon. » C’est pourquoi AOSIS insiste pour le monde ait l’obligation de veiller à ce qu’« aucune île ne soit laissée de côté ». Après les négociations, si la proposition de l’Alliance est prise en compte, la tâche immédiate sera de limiter la hausse des températures en fixant des objectifs à court et à moyen termes à moins de 1,5 °C; pour le long terme, il faudra amorcer une transition vers une croissance économique durable à faibles émissions de carbone. En attendant, les pays de l’Alliance des petits États insulaires approchent du point de non-retour. « C’est la montagne que nous escaladons. Nous n’avons pas peur. Les accords ne seront pas parfaits, mais nous pouvons parvenir au meilleur accord possible », a considéré Selvin Hart, Premier Secrétaire à la Mission permanente de la Barbade auprès des Nations Unies. « Mais si vous écoutez les peid sur les changements climatiques, vous aurez le meilleur accord possible. En garantissant l’existence des petits États insulaires, vous sauvez le monde entier.  

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Un fermier indien dans son champ de millet perlé hybride HHB 67 résistant au mildiou.

Un espoir

possible pour les

pays en

▶RÉSISTANCE DES ÉCOSYSTÈMES ▶RÉSISTANCE DES CULTURES ▶RÉSISTANCE DU BÉTAIL ▶RÉSISTANCE DES COLLECTIVITÉS

développement

© Icrisat

Par William Dar

Environ

99 % des décès causés par les changements climatiques ont lieu dans les pays en développement. Alors que la croissance économique et le développement sont des priorités dans tous les pays, les besoins des pays en développement et des pays les moins avancés sont d’un tout autre ordre. Les pays en développement sont soumis à des contraintes en raison de leur vulnérabilité aux effets des phénomènes météorologiques et du climat. Les pauvres de ces pays sont exposés à un risque élevé en raison de nombreux facteurs : leur dépendance vis-à-vis de l’agriculture et des services fournis par les écosystèmes, leur croissance rapide, la concentration de la population et l’insuffisance des services de santé. Si l’on ajoute à ce sombre tableau leur manque de moyens pour s’adapter aux effets des changements climatiques, leur infrastructure inappropriée, les revenus bas des ménages et leurs difficultés à épargner ainsi que le soutien limité des services, nous avons une bombe prête à exploser.

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william dar    Un espoir possible pour les pays en développement


Si rien n’est fait, les changements climatiques aggraveront l’insécurité alimentaire. Des millions de personnes qui sont confrontées à cette situation seront obligées d’abandonner les cultures et les méthodes agricoles traditionnelles, alors qu’elles seront confrontées à des changements qui dérègleront les saisons. Le cycle vicieux de la diminution des rendements des cultures, qui entraîne une baisse des revenus et un manque de ressources pour la saison de plantation suivante, aggrave la situation des pauvres. Qu’est-ce que cela signifie pour le 1,5 milliard de personnes, soit près de 60 % de la population active des nations en développement, qui travaillent dans le secteur de l’agriculture ? L’agriculture représentant un grand pourcentage du produit intérieur brut dans les pays en développement, une perte de la productivité agricole, même minime, peut avoir des répercussions beaucoup plus dramatiques sur les revenus que dans un pays industriel. Et parmi tous les dégâts possibles que le changement climatique pourrait causer, les dégâts sur l’agriculture pourraient être les plus importants. Le changement climatique compromet aussi la réduction de la pauvreté, parce que les pauvres dépendent directement des écosystèmes gravement menacés et de leurs services. Ils n’ont pas non plus les ressources nécessaires pour se défendre ou s’adapter rapidement aux changements. Et, plus important, leurs voix ne sont pas suffisamment entendues dans les discussions internationales, en particulier dans les négociations sur les changements climatiques. En raison du réchauffement climatique, des changements interviennent dans le type, la fréquence et l’intensité des conditions météorologiques extrêmes, comme les cyclones tropicaux, les inondations, les sécheresses et les fortes précipitations. On prévoit que ces tendances s’accéléreront, avec une légère hausse des températures moyennes. De nouvelles études sur le climat montrent que les vagues de chaleur extrêmes seront probablement fréquentes dans les régions tropicales ou sous-tropicales d’ici à la fin du XXIe siècle. Étant donné que 2 milliards de personnes vivent déjà dans les régions les plus arides du monde où les changements climatiques auront probablement pour effet de réduire encore plus les récoltes, comment ferons-nous pour nourrir 9 milliards de personnes d’ici à 2050 ? C’est un défi énorme. Si rien n’est fait, le changement climatique peut avoir un effet négatif sur les perspectives du

développement durable dans les pays en développement. Alors que les communautés rurales de ces pays ressentiront les effets de ce changement, de la hausse des prix des denrées alimentaires et des crises écologique et énergétique, jamais les nouvelles connaissances, les nouvelles technologies et les indications des politiques sur le climat n’ont été aussi cruciales. Un environnement général favorable qui accroît les opportunités des petits agriculteurs, en fonction du scénario des changements climatiques, doit englober tous les niveaux : local, régional, national et mondial. Il doit inclure les stratégies d’adaptation, les investissements dans la recherche agricole, l’infrastructure rurale et l’accès des petits agriculteurs aux marchés. L’adaptation aux changements climatiques doit être intégrée aux activités de développement. Les politiques d’adaptation devraient inclure les changements dans l’utilisation des terres et le choix du bon moment pour cultiver les champs, l’amélioration des plantes et les technologies d’adaptation, des infrastructures d’irrigation ainsi que le stockage et la gestion de l’eau. En plus, les prévisions météorologiques à long terme, la diffusion des technologies, la création de variétés de cultures résistant à la sécheresse et aux inondations nécessiteront une planification et une gestion nationales et internationales. Les changements climatiques auront un impact sur la qualité de l’eau dans les régions qui connaissent déjà un déficit hydrique. Dans les pays en développement, l’agriculture absorbe près de 95 % d’eau. Il est donc crucial d’améliorer la gestion de l’eau pour la consommation d’eau potable et l’agriculture en tenant compte du débit et de la qualité de l’eau, en améliorant la collecte des eaux pluviales, le stockage de l’eau ainsi qu’en diversifiant les techniques d’irrigation. D’autres mesures peuvent également être prises pour atténuer les effets des changements climatiques comme l’adoption de pratiques plus écologiques, un meilleur contrôle de l’érosion, des techniques de conservation des sols, des techniques agroforestières et forestières, la gestion des feux de forêt, la recherche de nouvelles sources d’énergie propre ainsi qu’une meilleure planification urbaine. Les nouvelles technologies de production agricole et d’élevage contribuent à réduire les émissions de gaz à effet de serre produites par l’agriculture. En plus, le marché émergent d’échange de droits d’émissions de carbone offre de nouvelles opportunités dont les agriculteurs peuvent tirer profit en gérant des terres qui séquestrent le carbone. l est essentiel d’intégrer des stratégies d’adaptation aux changements climatiques et d’atténuation de leurs effets aux programmes de développement nationaux et régionaux. Les pays en développement doivent également participer à une approche mondiale intégrée. Il faut mettre l’accent sur le rôle crucial des services et des produits météorologiques et climatiques dans le développement de solutions d’adaptation. Il est important de faire le point sur les informations disponibles sur le climat afin d’intensifier les travaux d’observation systématique du climat là où cela est le plus urgent. Il est essentiel de renforcer la collaboration entre les fournisseurs d’informations climatiques nationaux et internationaux et les utilisateurs dans tous les secteurs et de sensibiliser les différents groupes d’utilisateurs à l’importance de ces informations. Les outils d’évaluation de l’impact des changements climatiques devraient être plus précis géographiquement et contribuer davantage à l’élaboration des politiques agricoles, à la révision des programmes et à l’évaluation des scénarios. Ces outils incorporeront plus explicitement les contraintes biophysiques qui influencent la productivité agricole. Il est également

Le cycle vicieux de la diminution des rendements des cultures, entraînant une baisse des revenus et un manque de ressources pour la saison de plantation suivante, aggrave la situation des pauvres.

William Dar est Directeur général, Institut international de recherche sur les cultures pour les régions tropicales semiarides (www.icrisat.org).

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Il faut impulser une véritable dynamique de diversification économique pour réduire la dépendance vis-à-vis des ressources sensibles aux effets du climat. Il est aussi important d’encourager la diversification des cultures, la création des banques alimentaires locales pour les populations et le bétail et la préservation des produits alimentaires locaux pour améliorer la sécurité alimentaire.

L’irrigation représente 70 % du total des prélèvements d’eau et plus de 90 % de la consommation d’eau (c.-à-d. le volume d’eau qui ne peut être réutilisé en aval). L’irrigation contribue à environ 40 % de la production agricole mondiale. Depuis 1960, la surface des terres irriguées dans le monde a augmenté d’environ 2 % par an, passant de 140 millions d’hectares en 1961/63 à 270 millions en 1997/99, ce qui représente environ 18 % du total des terres cultivées actuellement.­ ­— GIEC

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important d’organiser ces données et de conserver les anciennes données météorologiques. armi les autres éléments importants qui devraient faire partie d’une politique nationale et internationale sur les changements climatiques figurent la participation du secteur privé, la réduction des coûts par la mise en place de mécanismes du marché ainsi que le développement et la diffusion de nouvelles technologies. Un nouveau cadre progressif devrait aussi inclure une augmentation des investissements dans l’infrastructure et l’éducation; un nouvel ordre du jour pour la recherche agricole et l’augmentation des investissements dans la recherche agricole et le développement; la gestion durable des ressources agricoles et naturelles; et la création de nouvelles variétés de cultures résistant au climat ainsi que des races de bétail mieux adaptées au climat. Il serait nécessaire de financer la recherche afin de mieux comprendre et prévoir les interactions entre les changements climatiques et l’agriculture. Une autre mesure importante serait de mener une action collective afin d’augmenter les choix de mode d’existence des groupes vulnérables et d’améliorer leur capacité de gérer les risques. Si nous voulons surmonter les menaces sérieuses posées par les changements climatiques, nous n’avons pas d’autres choix que de mettre en place des capacités pour intégrer les choix de modes de subsistance aux programmes de développement sectoriel, notamment en sensibilisant le public aux changements climatiques. À moins que des mesures ne soient prises pour améliorer la coopération entre les établissements universitaires et de recherche, les organisations régionales et internationales et les organisations non gouvernementales pour renforcer les institutions et les capacités, il sera probablement difficile de gérer les conséquences des changements climatiques. Il faut impulser une véritable dynamique de diversification économique pour réduire la dépendance vis-à-vis des ressources sensibles aux effets du climat. Il est aussi important d’encourager la diversification des cultures, la création des banques alimentaires locales pour les populations et le bétail ainsi que la préservation des produits alimentaires locaux pour améliorer la sécurité alimentaire. Vu la diversité des zones agroécologiques et leurs problèmes inhérents, il est essentiel de réunir, de documenter et de diffuser une base de données détaillées et concrètes sur les options d’adaptation des différents systèmes agricoles, moyens d’existence et zones agroécologiques, y compris des mesures et des politiques, afin de répondre aux besoins des petits agriculteurs. Les agriculteurs ayant souvent des difficultés à accéder au crédit, la promotion de l’accès au crédit et aux intrants agricoles afin de renforcer les systèmes de production intégrés est un domaine qui doit retenir l’attention. Les assurances contre les catastrophes ou les risques d’intempéries ainsi que les assurances indexées (assurance liée à un index particulier comme les précipitations, l’humidité ou le rendement des cultures plutôt que la perte réelle) peuvent être utilisées comme outils de gestion des risques climatiques dans les pays en développement. Les fonds multilatéraux engagés pour l’adaptation aux changements climatiques dans les pays en développement s’élèvent actuellement à environ 400 millions de dollars – bien loin des 4 à 86 milliards de dollars par an estimés nécessaires par les experts et les organisations d’aide. Il est également essentiel de mobiliser les ressources afin de renforcer la recherche concernant les effets des changements climatiques sur l’agriculture dans les différentes zones agroécologiques où les données empiriques et les résultats de la recherche dont on dispose restent insuffisants. Un domaine qui a été négligé est la diversité des sexes, une question qu’il faut examiner pour élargir les perspectives de participation des femmes à la prise de décision, étant donné que les changements climatiques et les catastrophes naturelles ont des effets différents sur les hommes et sur les femmes. Celles-ci peuvent contribuer de manière significative à ce processus. La lutte contre les changements climatiques ne concerne pas seulement la réduction des émissions de carbone des pays développés. De leur côté, les pays en développement ont commencé à augmenter leur demande

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william dar    Un espoir possible pour les pays en développement


énergétique, mais n’ont pas le même accès aux technologies non polluantes et aux ressources pour les acquérir. Toutefois, les pays qui sont les plus vulnérables sont ceux qui ont le moins contribué aux émissions des gaz à effet de serre. La justice climatique ne sera faite que si les plus grands pollueurs assument leur responsabilité et aident ces pays à atteindre les objectifs du développement de manière à contribuer aux objectifs d’adaptation et d’atténuation. a récente Initiative de l’Aquila sur la sécurité alimentaire insiste sur la nécessité d’améliorer la sécurité alimentaire mondiale tout en prenant des mesures pour lutter contre les changements climatiques, assurer la gestion durable de l’eau, des terres, des sols et des autres ressources naturelles, y compris la protection de la biodiversité. Les objectifs fondamentaux d’adaptation aux changements climatiques et d’atténuation de leurs effets seront atteints si l’agriculture est incluse dans les négociations internationales sur le climat, comme la Conférence des Nations Unies sur les changements climatiques qui se tiendra à Copenhague en décembre 2009. Dans le cadre de la lutte contre les changements climatiques, l’Institut international de recherche sur les cultures des régions tropicales semi-arides (­icrisat) met en place des programmes qui appuient l’agriculture en zones arides en développant et en utilisant des techniques avancées de prévision des moussons; en favorisant l’adoption de mesures collectives et en soutenant les institutions rurales pour la gestion des ressources agricoles et naturelles; en améliorant le modèle de gestion des bassins versants; en réhabilitant les terres dégradées et en diversifiant les systèmes de moyens d’existence des groupes sans terres et des groupes vulnérables; et en soutenant les initiatives des gouvernements visant à promouvoir une utilisation efficace de l’eau. Reconnaissant que la gestion des changements climatiques et l’adaptation aux changements climatiques ne peuvent être une fin en soi, l’­icrisat a intégré la gestion des risques climatiques dans son programme de recherche. Son approche de Gestion intégrée des ressources génétiques et naturelles (ignrm) pour la protection contre les effets des changements climatiques consiste à créer des variétés de cultures résistant mieux à la sécheresse et à la chaleur produites dans les systèmes d’exploitation agricole ainsi que dans les systèmes d’utilisation des sols qui conservent l’eau à la fois dans le voisinage immédiat des racines et dans les puits et les réservoirs des villageois. L’Institut estime que pour s’adapter aux changements climatiques, les communautés agricoles et les parties prenantes doivent d’abord renforcer leur capacité à mieux résister à la variabilité des précipitations liée aux climats actuels. L’Institut est actuellement associé aux services météorologiques, aux centres du Groupe consultatif sur la recherche agricole internationale (cgiar) et aux spécialistes en climatologie dans plusieurs projets concernant la gestion des risques liés aux changements climatiques en Asie et en Afrique. Nous aidons les agriculteurs à trouver les moyens de gérer les sols et les cultures pour augmenter la capacité de stockage de l’eau et des nutriments et utiliser ces ressources de manière plus efficace et sur une plus longue période. L’Institut possède déjà des cultures qui sont résistantes à la chaleur et aux températures élevées, des connaissances et une compréhension de la floraison et de la maturité, des informations sur les variations génétiques pour l’utilisation efficace de l’eau, sur les cultures à cycle court qui résistent à la sécheresse en fin de cycle, ainsi que sur les variétés de cultures à haut rendements et résistantes aux

© WHO/Marko Kokic

L

La hausse des températures et la variabilité des précipitations aggravent la sécheresse déjà exceptionnelle, comme au Niger. La pénurie de l’eau et le manque de nourriture ont un effet important sur la santé des communautés déjà vulnérables.

La justice climatique ne sera faite que si les plus grands pollueurs assument leur responsabilité et aident les pays à atteindre leurs objectifs du développement de manière à contribuer aux objectifs d’adaptation et d’atténuation.

chronique onu   No. 3 & 4    2009

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maladies. Par exemple, nous avons mis au point des cultivars de pois chiches à cycle court iccv 2 (Sheeta), iccc 37 (Kranti) et kak 2 et un cultivar d’arachide à cycle court iccv 91114 qui résistent à la sécheresse en fin de cycle. Nous venons de mettre au point un pois cajan à maturité très précoce qui fleurit en 32 jours et atteint sa maturité dans les 65 à 70 jours. Nous avons intégré des arbres aux systèmes de cultures annuelles afin de réduire les effets des vents et protéger les sols contre l’érosion. L’Institut a mis au point des plantes qui résistent aux ravageurs et aux maladies, comme le nouvel hybride hhb 67 du millet perlé hybride résistant au mildiou en Inde; le pois cajan à haut rendement iceap 00040 résistant au flétrissement au Malawi, en Mozambique et en Tanzanie, et l’arachide résistant à la rosette en Ouganda, pour ne citer que quelques exemples. Nous disposons aussi de modèles de simulation de croissance des cultures qui examinent les effets des différents types de scénarios climatiques désagrégés sur les produits agricoles relevant du mandat de l’­icrisat cultivés dans les zones tropicales semiarides dans le monde. L’­icrisat possède un avantage étant donné que les cultures qui relèvent de son mandat sont déjà mieux adaptées pour résister à la chaleur. Notre stratégie de reproduction est un critère important dans ces conditions dures et arides. Il nous faut mieux comprendre le mécanisme physiologique de la tolérance à la chaleur; identifier le capital génétique pour développer des cultures de plus grande adaptabilité; et mettre au point des techniques de sélection du matériel végétal plus efficaces pour obtenir des caractéristiques désirables. L’Institut répond également aux défis en exploitant le potentiel des opportunités de production des biocarburants qui profitent aux pauvres. Son initiative Productivité biologique préconise une augmentation des investissements dans les cultures destinées aux biocarburants afin de donner une forte impulsion au développement durable; et pour donner aux pauvres qui vivent dans les régions arides les moyens d’en tirer parti, au lieu d’être marginalisés, afin que les agriculteurs soient mieux aptes à affronter les changements climatiques et autres contraintes. Les activités actuelles comprennent le développement de variétés de sorgho doux à haut rendement qui sert à l’alimentation, à la production de carburants et à la production fourragère; la création de partenariats commerciaux favorables aux pauvres dans la production de bioéthanol à base de sorgho doux; et des alliances dans le domaine de la recherche et du développement pour produire du biodiesel à partir des noix de jatropha. Les études de l’­icrisat ont fait naître l’« espoir possible » que les effets des changements climatiques sur les rendements dans le cadre d’une agriculture à faible consommation d’intrants seront minimaux, alors que d’autres facteurs continueront d’imposer des contraintes. Deuxièmement, l’amélioration de la gestion des cultures, des sols et de l’eau, même dans le contexte des changements climatiques, permettra d’obtenir des rendements très supérieurs à ceux que les agriculteurs obtiennent actuellement dans leurs systèmes à faible utilisation d’intrants. Troisièmement, l’adoption de variétés mieux adaptées aux températures pourrait atténuer presque entièrement les effets des changements climatiques qui entraînent la hausse des températures. En conclusion, pour que les pays en développement contribuent de façon significative aux efforts d’adaptation aux changements climatiques et d’atténuation de leurs effets, il faudra renforcer les capacités qui sont nécessaires au développement.  ❖ 20

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Un climat propre par Nawal El Saadawi

omment créer un climat propre ? La pollution climatique n’est pas séparée des autres types de pollutions qui imprègnent notre vie publique et privée – y compris les guerres militaires; l’invasion d’autres nations pour exploiter leurs ressources; le massacre de femmes et d’hommes au nom de Dieu ou de la religion; la propagation de poisons dangereux dans l’air, l’eau et les sols pour augmenter les profits et nourrir les intérêts économiques de quelques-uns; et la propagation de mensonges et de préjugés pour jeter un voile qui obscurcit l’esprit de la majorité des citoyens dans le seul but de les dominer et de les exploiter. Nous vivons dans un monde régi, tant au niveau mondial qu’au niveau local, par le pouvoir et non par la justice, la liberté ou l’humanité. Une poignée de puissants s’arrogent le droit de polluer notre environnement physique, mental et social, il n’existe aucun pouvoir mondial pour les contrôler – pour les punir des millions de morts dont ils sont responsables, il n’existe aucune gouvernance mondiale pour répondre aux défis que posent les superpuissances nucléaires qui attaquent des nations. Le système capitaliste patriarcal mondial et local n’est rien d’autre que la liberté d’exploiter les plus faibles. Je suis auteur, romancier et médecin. Je crois en la médecine préventive qui vise à éradiquer les causes des maladies. Je pense que les négociateurs sur le changement climatique devraient unir leurs efforts pour éradiquer les causes de la pollution de notre planète et ne pas se contenter d’en traiter seulement les symptômes. Ils devraient plutôt lever le voile qui obscurcit l’esprit des individus et des groupes, des gouvernements et des organisations non gouvernementales, afin de commencer à identifier les causes réelles de la pollution environnementale et à chercher individuellement et collectivement des moyens d’éradiquer ces causes et de travailler ensemble pour créer une planète propre. Les négociateurs devraient dès maintenant commencer par eux-mêmes, assumer leur responsabilité individuelle, modifier leurs comportements dans la vie quotidienne au lieu de faire la morale aux autres. Chacun d’entre nous devrait commencer à prendre conscience de ce qu’il faut faire tous les jours pour réduire la pollution, la consommation et nos déchets, et s’unir et s’organiser pour acquérir le pouvoir social et politique et changer le système qui produit et reproduit la pollution. Pour nettoyer l’environnement, il faut établir un nouveau système mondial et local fondé sur la justice sociale et non sur le pouvoir. Nawal El Saadawi est romancier et auteur de plus de quarante ouvrages de fiction et essais.

william dar    Un espoir possible pour les pays en développement


Des moyens de subsistance menacés

LES PEUPLES AUTOCHTONES ET LEURS DROITS Par Mark Nuttall

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es chasseurs inuits qui vivent dans le nord du Groenland marchent avec précaution sur la glace dont l’épaisseur diminue, alors qu’en même temps les animaux dont ils dépendent – phoques, morses, narvals et ours polaires – s’éloignent des zones où ils sont habituellement chassés, répondant à leur tour à la transformation des écosystèmes locaux. Dans les hautes montagnes de l’Himalaya, les Sherpas, les Tamang, les Kiranti, les Dolpali et d’autres groupes autochtones constatent que les glaciers fondent. Il est en de même dans d’autres régions montagneuses du monde, comme dans les Andes péruviennes où les Quechua suivent avec inquiétude le recul des glaciers au sommet des montagnes. Dans le désert de Kalahari, les San ont appris à affronter les périodes de faim et de pauvreté, périodiques mais bien trop fréquentes, résultant de la combinaison d’événements économiques, politiques, environnementaux et climatiques. Les San, comme d’autres groupes d’autochtones, ont dû adopter des stratégies ingénieuses pour affronter les changements climatiques et leurs conséquences, mais ils constatent aujourd’hui que ces changements sont différents de ceux dont ils se souviennent. Partout dans le monde, les peuples autochtones sont

Mark Nuttall est professeur d’anthropologie à l’Université d’Alberta, au Canada, et membre du conseil d’administration du Groupe de travail international des affaires autochtones.

Les San, comme d’autres groupes d’autochtones, ont dû adopter des stratégies ingénieuses pour affronter les changements climatiques et leurs conséquences, mais ils constatent aujourd’hui que ces changements sont différents de ceux dont ils se souviennent. chronique onu   No. 3 & 4    2009

confrontés à des changements climatiques qui ont des effets sans précédent sur leurs terres, leurs cultures et leurs moyens de subsistance. Les peuples autochtones dépendent des ressources naturelles et habitent souvent au sein d’écosystèmes divers mais fragiles. Parmi les habitants de la planète, ils sont les plus marginalisés, les plus appauvris et les plus vulnérables. Alors qu’ils ont le moins contribué aux émissions de gaz à effet de serre qui caractérisent les changements climatiques causés par les activités humaines, ils supportent le choc de la crise climatique et ont moins accès aux ressources et au soutien politique et institutionnel qui leur permettraient de faire face à la situation. Ils doivent s’adapter à un environnement changeant et créer des stratégies pour pouvoir répondre aux changements qui surviennent – de la diminution de la banquise et des chutes de neige dans l’Arctique, du recul des glaciers dans les régions de haute altitude, de l’érosion des régions côtières et de l’élévation du niveau de la mer, de la diminution des pluies dans les zones tempérées, à l’augmentation des incendies de forêts tropicales. Les évaluations scientifiques régionales et mondiales, comme l’Évaluation de l’impact du changement climatique dans l’Arctique (acia) et la Quatrième Évaluation du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (giec), ont indiqué sans équivoque que le changement climatique pourrait 21


avoir des effets irréversibles sur les écosystèmes, les sociétés et les cultures qui demanderont une réponse mondiale urgente et une action soutenue. Mais cette recherche scientifique reflète à peine les phénomènes observés par les populations autochtones dans de nombreuses parties du monde, en particulier celles qui vivent dans l’Arctique, les régions montagneuses, les terres semiarides et les îles du Pacifique sud – des régions qui sont des indicateurs sensibles des effets profonds qu’ont les activités humaines sur le climat mondial. Dans l’Arctique, en particulier, le climat a connu des changements à un rythme sans précédent au cours des 50 dernières années et les études scientifiques indiquent une diminution rapide de la couverture de glace pluriannelle dans l’océan Arctique ainsi que la disparition progressive de la calotte glaciaire au Groenland et d’autres masses de glace. Les images satellites haute résolution continuent de montrer que les glaciers et les coulées de glace fondent rapidement et que le mouvement s’accélère. Les résidents des îles du Pacifique sud n’ont pas besoin qu’on leur explique le lien entre ce phénomène et la montée des eaux qui menacent d’engloutir leurs habitations. Il serait plus précis de dire que nous sommes au milieu d’une crise climatique mondiale. On ne saurait trop insister sur la nécessité, et l’opportunité offerte, d’un accord historique sur le changement à Copenhague en décembre 2009. Le changement climatique a toutefois une dimension régionale – son impact n’est pas universel. Certains environnements et certaines populations sont plus exposés en fonction des facteurs géographiques, environnementaux et socioéconomiques et, en conséquence, sont beaucoup plus vulnérables aux effets du changement climatique que d’autres. Mais si le changement climatique est une réalité pour les peuples autochtones, d’autres problèmes importants existent. Le changement climatique amplifie les problèmes existants : la pauvreté, la marginalisation, la perte et la dégradation des terres, l’exclusion sociale et la mise à

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Dans les processus nationaux, régionaux et internationaux où les politiques d’atténuation des changements climatiques sont débattues et élaborées, les peuples autochtones ont beaucoup de mal à faire entendre leurs voix et à faire reconnaître leurs préoccupations.

Le changement climatique amplifie les problèmes existants : la pauvreté, la marginalisation, la perte et la dégradation des terres, l’exclusion sociale et la mise à l’écart dans les processus de prise de décision aux niveaux national et international. Le changement climatique est une question qui relève des droits de l’homme et des inégalités.

l’écart dans les processus de prise de décision aux niveau national et international. Le changement climatique est une question qui relève des droits de l’homme et des inégalités – il doit être compris dans le contexte des facteurs de contrainte multiples qui affectent les populations autochtones et les communautés locales. Les changements à l’échelle des écosystèmes ont de lourdes conséquences pour les peuples autochtones, la protection et la gestion de la faune, des pêcheries, des forêts, des mangroves, de la savane, des terres humides, des montagnes et des écosystèmes des petites îles et ont des effets dramatiques sur l’utilisation traditionnelle et coutumière des espèces et des ressources qui sont importantes pour leur vie économique. Pour ces populations, les conséquences des changements climatiques ne sont pas simplement physiques. Beaucoup considèrent que ces changements menacent leurs moyens d’existence, leur économie et leurs ressources et entraînent une érosion de la vie sociale et culturelle ainsi que la perte des savoirs traditionnels. Tandis que les discours prononcés à l’échelle mondiale se concentrent sur la recherche de solutions d’adaptation et d’atténuation par des moyens scientifiques et technologiques, les perspectives du changement climatique auxquelles les peuples autochtones font face posent un défi supplémentaire à leur capacité de s’adapter, de répondre aux changements environnementaux et sociaux. La clé des négociations efficaces et fructueuses – et d’un accord assorti de solutions – est d’assurer que les peuples autochtones puissent y participer pleinement. Mais il n’en reste pas moins que les contributions cruciales que ces peuples et leur savoir traditionnel peuvent apporter aux discussions et aux négociations mondiales sont souvent ignorées. Dans les processus nationaux, régionaux et internationaux, comme la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques (ccnucc), où les politiques d’atténuation des changements climatiques sont débattues et élaborées,

mark nuttall    DES MOYENS DE SUBSISTANCE EN PÉRIL : LES PEUPLES AUTOCHTONES ET LEURS DROITS


les peuples autochtones ont beaucoup de mal à faire entendre leurs voix et à faire reconnaître leurs préoccupations, ce qui contraste radicalement avec la Convention sur la diversité biologique (cdb) où le Forum international des peuples autochtones sur la biodiversité (fiab) est un organe consultatif de la Convention. En effet, la ccnucc n’offre pas aux peuples autochtones un espace constitutionnel et un lieu de débats similaires. Jusqu’ici, leurs préoccupations et leurs points de vue, en particulier les perspectives en matière de rapports entre les sexes et entre les générations, n’ont pas été sérieusement examinées lors des négociations et des décisions liées au climat. La ccnucc, par exemple, ne mentionne pas explicitement comment le changement climatique touche les peuples autochtones. La Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones reconnaît que les peuples

autochtones ont des droits – un accord mondial sur le changement climatique doit aussi se référer à ces droits et les reconnaître. En outre, la protection des droits est une condition préalable au renforcement de la capacité des peuples et des communautés autochtones à faire face aux changements climatiques, tout comme la reconnaissance de l’importance des savoirs traditionnels pour la gestion des écosystèmes. Si l’objectif le plus immédiat pour les peuples autochtones est l’adoption par la ccnucc de la Déclaration sur les droits des peuples autochtones, après les discussions qui auront lieu à Copenhague – et les résultats qui en découleront – le défi constituera à s’assurer que les stratégies et les priorités locales des peuples autochtones seront reflétées et incorporées dans les projets d’adaptation nationaux, les processus de prise de décision et les stratégies d’action.  ❖

J

rien de bon. Et parce que la tortue ne peut pas traverser ’ai été bercée par un conte haïtien dès ma plus l’océan à la nage ni ne peut voler, l’un des oiseaux lui t­ endre enfance, pourtant j’ai compris récemment qu’il donne un morceau de bois pour qu’elle s’agrippe à lui avec évoquait, entre autres choses, le changement climatison bec crochu. Et alors qu’ils traversent la mer, la tortue que. Merveilleusement enregistré et raconté par Diane entend les autres oiseaux dire : « Les choses doivent aller Wolkstein dans sa remarquable anthologie de contes plutôt mal là-bas parce que même la dernière tortue s’en intitulée The Magic Orange Tree and Other Folktales publiée va ». À ces mots, la tortue ouvre le bec pour parler et perd en 1978, ce conte relate l’histoire d’animaux qui essaient le morceau de bois dont l’oiseau se servait pour la tirer. désespérément d’émigrer de Haïti à New York, une sorte J’imagine que la tortue plonge dans l’eau déjà chaude de d’arche de Noé où les animaux ont apparemment décidé de l’océan, tombe dans une zone morte dépourvue de vie sauver leur vie sans attendre l’aide des hommes. Qu’est-ce marine et disparaît à jamais. qui les pousse à partir ? Toutes les hypothèses sont possibles, en Pauvre tortue, me disais-je, particulier celle du changement Voyager elle est comme Icare qui vole climatique. trop haut. Dans mon esprit, ce par Edwidge Danticat récit avait trait à la migration Serait-ce les ouragans ­violents ? et au sentiment d’appartenance. « Il n’y a pas plus de saison des C’est peut-être le cas, mais je pluies, seulement la saison des pense maintenant que c’est beaucoup plus que cela, c’est ouragans », a dit un fermier haïtien à Oxfam International une histoire sur la perte des habitats naturels et l’épuiseen avril 2009. ment des ressources, la migration inévitable des animaux Est-ce la déforestation qui a entraîné des coulées de qui dépendent d’elles pour vivre et la dégradation des boues meurtrières ? Est-ce parce qu’il fait de plus en plus écosystèmes vitaux qui fragilise les terres et les rendent chaud et que les populations et les animaux ne peuvent d’autant plus vulnérables aux catastrophes. pas survivre à des températures extrêmes ? Un jour, nous raconterons peut-être à nos enfants des Comme chacun sait, il est souvent judicieux d’observer histoires de ce genre aussi souvent que nous leur raconles animaux et leurs comportements, en particulier lorstons le Petit Chaperon rouge. que les temps ne sont pas cléments. Si les rats envahissent « Pauvre tortue », me diraient alors mes deux jeunes le pont supérieur d’un navire, dit-on, il est temps de fuir. filles. « Que pouvons-nous faire pour la sauver ? » La même chose si vous voyez dans une île les animaux scruter l’horizon, même dans un conte. Des oiseaux qui fuient avec la dernière tortue survivante ne présage

Edwidge Danticat est l’auteur d’un essai récemment publié, intitulé Brother, I’m Dying.

chronique onu   No. 3 & 4    2009

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Shishmaref OCÉAN ATLANTIQUE

Mer Aral Mer méditérranée

Huang He

Asie centrale

Yangtse Chine

Bangladesh

Nil

Inde

Lac Tchad

Gange et Brahmapoutre

Îles du Pacifique

Ceinture sahélienne

OCÉAN PACIFIQUE Corne de l’Afrique

Mékong Îles du Pacifique Tuvalu

OCÉAN INDIEN

Régions où les populations sont particulièrement vulnérables à l’élévation du niveau de la mer et aux inondations. Grands deltas

Régions exposées à la désertification et à la sécheresse

Petites îles (certaines disparaîtront totalement)

Régions exposées aux ouragans

Régions côtières menacées par les conditions climatiques extrêmes et de fortes vagues

Régions arctiques vulnérables à la fonte de la glace et du permafrost

A

Par Arno Tanner

La migration environnementale sera-t-elle massive ? 24

Alors que quelques pays sont historiquement responsables du changement climatique, la communauté mondiale devrait-elle assumer la responsabilité vis-à-vis des réfugiés environnementaux, même s’ils ne traversent pas les frontières internationales ? Certaines concessions en matière d’immigration ne devraient-elles pas être offertes à ces personnes quand elles doivent traverser les frontières ? Ce sont des questions importantes qui se posent dans le contexte des changements climatiques qui surviennent dans le monde. Il est important d’évaluer avec précaution la nature et la probabilité des migrations suscitées par les facteurs environnementaux avant de se demander comment appréhender ce phénomène. Ce type de migration est-il

arno tanner    La migration environnementale sera-t-elle massive ?


Les facteurs climatiques sont souvent la cause de la migration locale et

mondiale indépendamment de la nature et de la gravité

OCÉAN ATLANTIQUE

des changements climatiques mondiaux.

Sud-est des États-Unis Nouvelle-Orléans Mexique

Haïti Caraïbes

Les réfugiés du climat viendront principalement des pays en développement où les effets du changement climatique viennent s’ajouter à la pauvreté et à la guerre.

EMMANUELLE BOURNAY OKTOBER 2007

Sources : Norman Myers, « Environmental refugees, An emergent security issue », 13. Forum économique, Prague, OSCE, mai 2005; Une évaluation des écosystèmes pour le millénaire, 2005; Liser 2007. Carte établie par Emmanuelle Bournay, « Atlas Environnement du Monde diplomatique », Paris. Reproduite avec l’autorisation du Monde diplomatique.

nouveau ? Quelle ampleur peut-il avoir ?  Et, plus important, les événements climatiques entraîneront-ils une migration massive locale ou régionale ? Les facteurs climatiques sont souvent la cause de la migration locale et mondiale indépendamment de la nature et de la gravité des changements climatiques mondiaux. Dans les pays en développement, la sécheresse a rendu de vastes étendues de terres non arables et peu productives, forçant les populations à émigrer vers les villes où les emplois sont rares et la nourriture de plus en plus chère. La migration est alors la seule solution viable. C’est ainsi que les problèmes liés aux changements climatiques ont suscité une migration internationale. Mais on aborde peut-être ce phénomène, qui reste modéré, avec exagération et faisons des projections peut-être trop hâtives sur la gravité et la certitude du phénomène. Il est trop

Arno Tanner est Professeur adjoint à l’Université d’Helsinki et à celle de ­Tampere. Récemment, il a publié « The Future of International Migration ­Governance ».

tôt pour dire avec certitude que les changements climatiques auront des effets dévastateurs, causant par exemple la disparition des petits États insulaires et d’autres terres à faible élévation et pour affirmer qu’ils entraîneront des migrations massives sans précédent. Les facteurs qui limitent la migration massive ont trait à l’ampleur du réchauffement climatique, ainsi qu’à la probabilité et à la nature de la migration massive intercontinentale en cas de catastrophe. Il est improbable qu’il y ait des mouvements massifs de population sur de longues distances même dans une situation de changements climatiques systémiques. Comme on le voit aujourd’hui, les camps de réfugiés et les villages d’accueil sont généralement installés près du site de la catastrophe. On ne peut pas dresser une analogie entre le nombre de guerres actuelles et les niveaux de violations des droits de l’homme et le nombre de réfugiés et de migrants qui fuient ces situations. Si l’on compare le nombre de demandeurs d’asile et le nombre de personnes menacées par la vingtaine de guerres qui existent actuellement dans le monde, on s’aperçoit que le nombre de victimes des guerres est de loin supérieur à celui des migrants qui se déplacent sur de longues distances. Alors que les guerres actuelles ont gravement perturbé la vie de dizaines de millions de personnes, l’Union européenne et les États-Unis, ne reçoivent par exemple que quelques centaines de milliers de demandes d’asile chaque année. Le nombre de migrants qui parcourent de longues distances est très inférieur au nombre de victimes. Pourquoi les victimes tendent-elles à rester près du site de la catastrophe ? Pourquoi une catastrophe climatique n’entraînerait-elle pas une migration massive vers des pays éloignés ? Premièrement, certaines études ont suggéré que les personnes dont les moyens d’existence sont les plus dépendants des changements climatiques n’ont souvent pas les moyens d’émigrer loin. Ils ne possèdent pas les informations nécessaires ni les ressources financières pour entreprendre de longs voyages, et même s’ils avaient accès à l’information, ils n’ont souvent pas les moyens de voyager. Deuxièmement, les victimes ne souhaitent pas nécessairement émigrer. Un avis de plus en plus accepté est que la migration est essentiellement un choix volontaire, même

chronique onu   No. 3 & 4    2009

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Quelles mesures juridiques pourraient renforcer le statut d’un migrant qui a été forcé de quitter son pays à cause des ­changements climatiques ?

dans les situations inextricables et pouvant entraîner la mort. Habituellement, la victime préfère rester près de son pays d’origine plutôt que d’entreprendre un long voyage vers l’inconnu. Ce qui attire la main-d’œuvre hautement qualifiée ainsi que les travailleurs saisonniers dans le monde occidental ne s’applique pas nécessairement aux victimes des crises souvent pauvres et plus vulnérables. Une troisième raison est que même si le niveau des mers augmente d’un mètre et que les terres qui abritent jusqu’à deux milliards d’habitants deviennent trop arides, il est aussi vrai que de nombreuses régions inhabitables aujourd’hui, par exemple, dans le nord, le nord-ouest et l’ouest de la Chine, ou dans le nord de la Fédération de Russie, pourraient devenir fertiles. Bon nombre d’Asiatiques préféreraient rester en Asie que d’émigrer vers des destinations distantes en Europe et aux États-Unis. De nouvelles voies de migration peuvent donc se former entre les pays en développement et à l’intérieur de ceux-ci, remplaçant en partie les routes migratoires traditionnelles. Une quatrième raison qui empêcherait une migration massive permanente et de longue distance est que le réchauffement climatique, si ce phénomène se produit réellement, progresse très lentement. Même dans les pires scénarios, le niveau des mers devrait, selon les prévisions, augmenter de dix centimètres par an au maximum. Les populations se sont adaptées à des incidents beaucoup plus graves sans pour autant émigrer vers des pays lointains sans retour. Même en cas de catastrophe soudaine, grave et d’une grande ampleur, comme le cyclone Katrina à la Nouvelle-Orléans ou le tsunami en Asie, les populations sont peu enclines à émigrer de manière permanente vers une destination lointaine. Elles préfèrent rester près de leurs habitations et revenir dès que cela est possible. Pourquoi les changements climatiques lents et à long terme entraîneraient-ils une migration massive rapide alors que les crises généralisées et incontrôlables ne le font pas ? Examinons quelques scénarios futurs établissant des liens entre deux questions : Le changement climatique est-il un phénomène local ou spatial systémique ? Les migrations qui en résulteront seront-elles mondiales et à long terme ou de courte distance et épisodiques ? Des quatre scénarios, le moins probable est celui où les problèmes climatiques sont des phénomènes généralement systémiques et où la migration qui en résulte sera mondiale et à long terme. Les données sur les changements climatiques deviennent rarement systémiques, mais demeurent locales parce que les populations sont capables d’anticiper et de se préparer en conséquence. Seules des étendues de terres relativement limitées des 26

régions côtières risqueraient d’être touchées et, si les zones touchées étaient plus importantes, les habitants auraient le temps de se préparer. Nous parlons d’un délai de plusieurs années, ou de plusieurs mois, dans les pires scénarios. Si des cas plus graves se produisaient, les populations tendraient à se déplacer dans des régions voisines et reviendraient dès que la situation le permettrait. Dans tous les cas, les mouvements permanents s’effectueraient vers les destinations les plus proches possibles, peut-être vers des régions rendues récemment habitables ou fertiles par les changements climatiques. Même si le changement climatique a des effets systémiques et entraîne une élévation considérable du niveau de la mer sur des mois ou des années ainsi que la destruction importante des récoltes au cours d’une saison, la migration restera locale. La population de Nauru pourrait se déplacer vers les îles Pitcairns et celle des Maldives vers les terres au sud de l’Inde. En Afrique, les sécheresses graves et de grande ampleur pourraient entraîner des déplacements internes et ouvrir des voies migratoires jusqu’à la Méditerranée. En somme, les terres à faible élévation submergées seraient remplacées par de nouvelles terres agricoles fertiles auparavant inhospitalières découvertes à des altitudes plus élevées. Toutefois, le scénario le plus probable serait plutôt celui de changements climatiques localisés. Certaines des conditions existaient déjà dans le passé et d’autres pourraient être dues au réchauffement climatique. Les effets seraient de toute façon lents, et la migration se produirait progressivement au cours de mois et d’années. Les populations resteraient dans la région voisine et rentreraient chez elles. Enfin, revenons à la question posée au début de cet essai : alors que quelques pays sont historiquement responsables

Lorsqu’une migration est suscitée par des facteurs environnementaux, en particulier si les changements sont lents, la population s’adaptera probablement de son propre gré. Toutefois, si une éruption volcanique, un séisme ou un tsunami sont à l’origine du changement climatique, certaines mesures juridiques s’imposeront pour que ces victimes soient considérées comme des « migrants forcés », comme pour les réfugiés de la Convention de Genève.

arno tanner    La migration environnementale sera-t-elle massive ?


du changement climatique, la communauté internationale devrait-elle assumer la responsabilité des réfugiés environnementaux, même s’ils ne traversent pas les frontières internationales ? En fonction des scénarios ci-dessus, il est probable que la migration sera en grande partie locale ou régionale. Pour que la région et le pays concernés puissent faire face à la situation, il est impératif que la communauté internationale apporte son appui dans la phase initiale de la réinstallation en assurant tous les besoins nécessaires pour faciliter la transition. Il faudra donc mobiliser des ressources supplémentaires pour donner au Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés les moyens de faire face, par exemple, à des situations graves et prendre des mesures pour assimiler les migrants à la population locale. Compte tenu de la nature des migrations, les crises seront probablement moins graves et de moins grande envergure, mais plus lentes et mieux organisées. À long terme, on peut même se montrer optimiste sur le succès de la transition. Au fil du temps, les migrants se fraieront leurs propres voies et s’adapteront ailleurs, et bon nombre d’entre eux voudront revenir dans leur pays d’origine et seront même en mesure de le faire si la situation le permet. Quelles concessions en matière d’immigration seront offertes aux migrants climatiques ? Ce processus serait lent et pas nécessairement lié aux crises climatiques graves. On pourrait parler de « migration forcée », similaire à celle des réfugiés contraints de fuir leur pays à cause des persécutions. Mais l’idée d’une migration forcée à cause des persécutions – le statut de réfugié – indique un scénario sans issue, c’est-à-dire que la population ne peut pas s’en remettre aux autorités ou fuir à l’intérieur du pays. Lorsqu’une migration est suscitée par des facteurs environnementaux, en particulier si les changements sont lents, la population s’adaptera probablement de son propre

J

La mise en œuvre de mesures d’adaptation qui assureront la ­conservation de la biodiversité et d’a utres services des ­écosystèmes sera probablement coûteuse, mais à moins que la question de la conservation de l’eau soit prise en compte dans les stratégies ­d’adaptation, nombre d’écosystèmes naturels et ­d’espèces qui les soutiennent disparaîtront. ­— GIEC

gré. Toutefois, si une éruption volcanique, un séisme ou un tsunami sont à l’origine du changement climatique, certaines mesures juridiques s’imposeront pour que ces victimes soient considérées comme des « migrants forcés ». Il est cependant difficile de penser que l’élévation du niveau de la mer d’une dizaine de centimètres par an est un cas de « force » majeure. En conclusion, on ne devrait pas surestimer l’ampleur des migrations pouvant résulter des changements climatiques. Vu le rythme auquel le climat change et l’ampleur des changements climatiques, ainsi que la capacité des êtres humains de s’adapter, une migration massive induite par le climat est peu probable. Des vagues de migrants afflueront peut-être, mais cette migration sera gérée et préparée à partir de recherches sur des questions relatives à l’environnement : quelles sont les parties du monde où la densité de la population est la plus élevée et celles qui sont les plus exposées aux risques climatiques ? Quelles régions voisines pourraient accueillir temporairement les réfugiés environnementaux potentiels ? Quelles conditions, auparavant difficiles, pourraient devenir lucratives ? Quelles mesures la communauté internationale pourrait-elle prendre pour faciliter le mouvement des migrants climatiques ? Enfin, quelles mesures juridiques pourraient renforcer le statut d’un migrant qui a été forcé de quitter son pays à cause des changements climatiques ?  ❖

e suis favorable à un traité international pour réduire en quoi la production d’une énergie plus coûteuse est un les gaz à effet de serre. C’est une question qui me tient à bienfait pour elle alors qu’elle a du mal à payer sa facture cœur en tant que femme, militante et personnel de santé. pour chauffer sa maison pendant l’hiver très froid. Toutefois, les responsables gouvernementaux et politiques Pour qu’un traité international soit accepté par tous les qui se réuniront à Copenhague en décembre pour sceller un membres de la communauté mondiale, il doit être perçu accord sur cette question ne sont pas simplement moticomme équitable et honnête et, surtout, stimuler la prosvés par des objectifs périté économique plutôt qu’augidéalistes. Au contraire, menter la pauvreté. Pour ce Gagner les cœurs une diversité de forces faire, il faudra peut-être transfépar Rajaa Alsanea économiques, politiques rer gratuitement les technologies et sociales est en jeu. les plus récentes afin que la comDe par la nature de leur travail, ils seront censés défendre bustion des combustibles soit plus efficace et émette moins autant que possible les intérêts nationaux de leur gouverde pollution dans les pays pauvres. Un traité qui permet nement et de leurs industries. au pauvre de prospérer sur le plan économique, et qui est perçu comme équitable par tous, gagnera le cœur de tous J’imagine que la femme africaine démunie, qui vit dans les peuples qui épouseront une noble cause en y mettant un un pays pauvre au centre de l’Afrique, ne comprendra pas dévouement sans précédent. en quoi une taxe plus élevée sur les prix du pétrole l’aidera à nourrir ses enfants qui meurent de faim. Ou comment expliquer à une femme pauvre qui vit dans le nord de l’Inde

Rajaa Alsanea est l’auteur du best-seller international, Girls of Riyadh, son ouvrage le plus récent.

chronique onu   No. 3 & 4    2009

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Jamais le monde n’a eu autant de connaissances, de compétences à sa disposition et autant de ressources investies pour assurer la santé des populations. Pourquoi tous les ingrédients sontils alors là pour une « tempête parfaite » ? Le changement climatique aura-il un impact sur le droit à la

santé et au développement ? Par Daniel Tarantola

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ans un site de construction couvert de poussière situé à l’ouest de la Chine, M. Tan est un travailleur migrant parmi de nombreux autres. Mais cet ancien agriculteur modeste doit aussi faire face à une série complexe de crises qui menacent la santé mondiale. D’un certain point de vue, cet homme de 24 ans est le symbole du succès économique de la Chine et des modèles de croissance similaires dans d’autres pays en développement au cours des dernières décennies. Chaque année, 500 000 migrants chinois viennent travailler à Chongqing, faisant ainsi de cette ville la plus grande du monde – et le plus grand site de construction – alimentant le moteur de croissance de la Chine, malgré un certain ralentissement depuis la crise financière mondiale. Les prévisions à long terme suggèrent que 350 millions de villageois ruraux supplémentaires convergeront vers les villes chinoises d’ici à 2025 seulement, attirés par les nouvelles opportunités ou contraints par la pauvreté et le manque de nourriture causés en partie par des bouleversements climatiques. Pour M. Tang, l’attraction de Chongqing c’est, selon lui, « gagner de l’argent ». Habitant dans une cabane plantée dans la poussière de ciment fine et suffocante et entourée d’hectares de béton et de gratte-ciel, M. Tan gagne 1 000 yans par mois, plus de dix fois ce qu’il gagnait à la campagne et suffisamment pour survivre dans la ville et envoyer de l’argent chez lui au village. Son cas n’a rien d’exceptionnel. 28

Mais, sur le site où il travaille, on observe l’émergence d’un grand nombre de maladies les plus infectieuses au monde. Comme la révolution industrielle a eu des conséquences pour les millions de personnes qui ont quitté la campagne pour aller travailler dans les villes industrielles en Europe et ont habité dans des taudis, les emplois qui ont tiré les centaines de millions de la pauvreté extrême à la fin du XXe et au début du XXIe siècle ont également fait apparaître de nouveaux risques. Pour les communautés marginalisées du monde entier, la mondialisation économique se traduit souvent par l’instabilité des emplois industriels et manuels itinérants, de nouvelles menaces toxicologiques et des risques d’accidents du travail. Dans les bidonvilles urbains, le manque d’installations sanitaires et de services associé à des conditions de vie difficiles où les ouvriers vivent entassés dans des dortoirs augmente les risques sanitaires et la vulnérabilité aux maladies transmissibles. De nouvelles menaces apparaissent, uniques à notre temps. À Chongqing, et dans de nombreuses autres villes similaires, nombre de travailleurs migrants sont abandonnés à leur sort,

Daniel Tarantola est Professeur de santé et de droits de l’homme à l’Université de New South Wales et Directeur de l’Initiative pour la santé et les droits de l’homme. Ancien conseiller à l’Organisation mondiale de la santé, il a supervisé l’équipe chargée d’éradiquer la variole dans le monde. Il a joué un rôle crucial dans la création de Médecins sans frontières.

DANIEL TARANTOLA    santé et développement


loin des structures sociales rurales, pendant des mois et des années. L’érosion de la cohésion sociale favorise les comportements sexuels à risque et la toxicomanie, ce qui compromet les gains économiques et favorise la transmission du vih/sida et des infections graves comme la tuberculose résistante aux médicaments. La plus grande mobilité des populations grâce aux réseaux de transport modernes, la migration et le déplacement forcé des populations favorisent la transmission de nombreuses maladies transmissibles – aux niveaux national et mondial – mettant en danger la santé des personnes en déplacement et augmentant le risque de pandémie. Et ce, avant même de considérer les effets de la dégradation de l’environnement sur la santé causée par le développement rapide. Dans les villes industrialisées, la pollution de l’air et de l’eau dépasse régulièrement les seuils autorisés, ce qui expose des dizaines de millions de personnes à des risques respiratoires et les contraint à consacrer leurs maigres ressources à l’achat d’eau potable. Dans de nombreuses régions rurales pauvres, la déforestation et l’épuisement des ressources a entraîné l’érosion des sols, la pénurie d’eau et la contamination des eaux. LA PLUS GRANDE MENACE Moins apparent, le changement climatique constitue peut-être la plus grande menace de ce siècle. Il ne s’agit plus d’une idée abstraite. Nous savons que les variations climatiques, en particulier les sécheresses et les inondations qui perturbent l’agriculture et les phénomènes climatiques extrêmes qui provoquent des dégâts à l’infrastructure, frappent le plus durement les nations en développement pauvres et bouleverseront la vie des populations les plus pauvres au monde au cours des prochaines décennies. L’agence de presse officielle chinoise, Xinhau, a signalé des températures élevées extrêmes à Chongqing en septembre 2009, ainsi qu’une pénurie d’eau dont ont souffert des centaines

de milliers de personnes. Sans les ressources pour « s’adapter » comme la climatisation, les ouvriers qui travaillent sur les chantiers pour des salaires de misère et vivent dans des habitations où la chaleur est insoutenable, sont exposés à des maladies causées par la chaleur et la pollution. Dans les régions rurales voisines, le bétail et les cultures souffrent, incitant les fermiers à quitter leurs terres. En 2000 déjà, l’Organisation mondiale de la santé attribuait 2,4 % des cas de diarrhées et 6 % des cas de paludisme aux changements climatiques. Ces changements auront des répercussions à grande échelle sur la santé humaine et modifieront probablement la portée géographique et la saisonnalité de certaines maladies infectieuses, y compris les maladies transmises par vecteurs, comme le paludisme, la fièvre de dengue et les maladies d’origine alimentaire, comme la salmonelle, qui sévissent pendant les mois plus chauds. Nous considérons également comme « victimes des événements climatiques extrêmes » les 27 000 décès liés aux températures anormalement élevées en Europe au cours de l’été de 2003. Les conséquences futures sur la santé publique sont encore plus manifestes. On suit de près l’élévation du niveau de la mer et les régions qui risquent d’être inondées – une situation qui pourrait entraîner une migration massive. Mais qu’en est-il des dégâts importants causés à la production alimentaire par les modifications des configurations de précipitation, notamment des périodes de sécheresse plus longues et des inondations plus importantes, ainsi que des pertes économiques et la pénurie alimentaire qui contraignent les populations à émigrer et exacerbent les troubles civils ? Le « Rapport sur le développement dans le monde 2010 : développement et changement climatique », publié préalablement à la Conférence sur les changements climatiques qui aura lieu à Copenhague en décembre 2009, explique en s’appuyant sur des preuves que le réchauffement de la planète de 2 °C au-dessus des températures de la période préindus© THOMAS JAHN trielle pourrait, par exemple,

Des vagues de chaleur plus longues, plus chaudes et plus fréquentes peuvent entraîner un plus grand ­nombre de décès et de maladies liés à chaleur. On peut dire avec certitude que la chaleur diminue la qualité de l’air dans les villes car elle augmente la pollution de l’air, comme l’ozone ou le smog. Les maladies transmises par les insectes risquent aussi d’a ugmenter alors que les insectes touchent des zones de plus en plus étendues. Les effets des changements climatiques sont particulièrement graves pour les très jeunes, les personnes âgées et celles ayant des problèmes cardiaques et respiratoires. Inversement, les températures plus douces en hiver peuvent réduire les effets négatifs que le froid a sur la santé. ­— GIEC


L’effort mondial de santé publique est davantage centré sur le « traitement et la guérison » de maladies spécifiques que sur les nombreux facteurs à risque. Il s’ensuit une concurrence en matière de ressources dans la gestion des crises sanitaires, alors que les progrès dépendent réellement de la manière dont on appréhende l’interdépendance des crises. réduire de 4 à 5 % la consommation annuelle par habitant en Afrique, qui est déjà le continent le plus vulnérable. La variabilité du climat est une caractéristique de l’histoire de l’Afrique, mais la fréquence et la gravité des inondations et des sécheresses ont considérablement augmenté au cours des dernières années, et les projections climatiques indiquent que cette tendance s’intensifiera. Cela aura probablement des conséquences dévastatrice pour l’agriculture pluviale qui emploie environ 70 % de la population africaine, indique le rapport. Un précédent rapport de la Banque mondiale note que « les communautés pauvres [dans le monde] seront les plus vulnérables du fait de leurs capacités d’adaptation limitées et de leur grande dépendance vis-à-vis des ressources à forte sensibilité climatique, telles que les ressources en eau et les systèmes de production agricoles ». Le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat a estimé que, vers 2020, entre 75 et 250 millions de personnes seront exposées à un stress hydrique accru en raison de changements climatiques dans les pays pauvres qui doivent déjà relever de multiples défis sanitaires. En même temps, le monde fait face à une crise alimentaire qui a des causes multiples, comme la variabilité du climat et les distorsions des marchés. Au début de 2008, les prix internationaux de tous les produits alimentaires de base ont atteint leurs niveaux les plus élevés depuis presque 50 ans, faisant franchir la barre du milliard de victimes de la faim. Depuis, selon les Nations Unies, la crise financière mondiale menace de faire plonger 55 à 90 millions de personnes supplémentaires dans la pauvreté cette année seulement. Du point de vue de la santé mondiale, la diversité croissante et l’ampleur des crises liées à la santé dans le monde convergent pour créer une « tempête parfaite » qui pourrait être catastrophique. NOUS POUVONS FAIRE MIEUX Nous pouvons faire mieux. Jamais le monde n’a eu autant de connaissances, de compétences à sa disposition et de ressources investies pour assurer la santé des populations. L’aide au développement consacrée à la santé est passé de 5,6 milliards de dollars en 1990 à 21,8 milliards en 2007*, accompagnée de nouvelles initiatives mondiales pour mobiliser et acheminer les fonds. Pourtant, l’écart entre les promesses extraordinaires de la médecine et la réalité du fardeau des maladies se creuse. Un tiers de la population mondiale est infectée par le bacille de la tuberculose et 350 à 500 millions de personnes souffrent de *  Lancet, juin 2009

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paludisme; et dans un monde qui compte 33 millions de séropositifs, pour chaque personne qui a accès aux médicaments nécessaires, deux nouveaux cas d’infection surviennent. Ces trois maladies tuent à elles seules six millions de personnes par an, avant même de prendre en compte les facteurs aggravants comme les enfants non vaccinés, le décès des mères durant l’accouchement ou l’exposition des travailleurs à la pollution industrielle. Le problème vient en partie du fait qu’il y a plus de problèmes que de solutions. Vu les problèmes sanitaires qui surviennent sur de nombreux fronts, nombre de programmes ne parviennent pas à répondre aux besoins de santé. La nature interdépendante des menaces sanitaires est une question tout aussi difficile et complexe. Si le changement climatique diminue la productivité agricole, par exemple, les économies de survie se développeront : les hommes seront probablement plus nombreux que les femmes à émigrer vers les villes et laisseront femme et enfants dans des villages très pauvres, transformant radicalement les structures sociales. Les risques d’infection au vih/sida augmentent en raison des conditions de vie changeantes et des industries du sexe qui exploitent la pauvreté. Si des collectivités entières sont forcées de quitter leurs régions à cause des inondations ou de la sécheresse, cela engendrera de nombreux risques sanitaires liés à la surpopulation et à l’insuffisance des infrastructures, des services et des produits alimentaires. Les institutions internationales reconnaissent que ces défis sont interdépendants, pourtant l’effort mondial de santé publique est davantage centré sur le « traitement et la guérison » de maladies spécifiques que sur les nombreux facteurs à risque. Il s’ensuit une concurrence en matière de ressources dans la gestion des crises sanitaires, alors que les progrès dépendent réellement de la manière dont on appréhende l’interdépendance des crises. Une première mesure essentielle est d’établir une cartographie des régions en situation de vulnérabilité afin de déterminer, au niveau local, quelles sont les menaces sanitaires auxquelles les populations font face. Et, comme les menaces sanitaires sont globales, il est important d’établir des passerelles entre les institutions et les acteurs clés afin de maximiser les ressources. La réponse n’est certainement pas d’argumenter sur l’allocation des ressources ou de transférer les fonds d’un problème à un autre, mais de rechercher des synergies qui permettent de gérer plusieurs crises à la fois. Une approche fondée sur les droits de l’homme – exprimée en termes de droit au meilleur état de santé possible et de droit aux éléments de base déterminants comme l’eau douce et la nourriture, l’abri, l’éducation, les services de santé et ­l ’égalité – est la plus prometteuse. À travers cette optique, la

DANIEL TARANTOLA    santé et développement


situation des individus qui sont le plus exposés aux risques peut être traitée de manière globale. Mais au lieu de « penser mondialement et d’agir localement », il serait souhaitable d’inverser l’adage. Pour comprendre la complexité du défi mondial en matière de santé et formuler des réponses efficaces, nous devons comprendre ce qui se passe sur le terrain et associer la société civile. Considérez le mouvement du microcrédit mondial qui compte aujourd’hui plus de 600 millions de clients. Quand le professeur Muhammad Yunus s’est servi de son argent personnel pour financer le premier groupe de femmes pauvres spécialistes dans le tressage de

paniers au Bangladesh dans les années 1980, il a contribué à réduire les inégalités entre les sexes et la pauvreté et à promouvoir la santé. En « pensant localement et en agissant mondialement », l’expérience de centaines de millions de personnes comme M. Tang peut influencer les réponses à apporter au niveau mondial.  ❖ Avec d’autres articles de Louise Williams, qui a interviewé des travailleurs migrants à Chongqing, y compris M. Tang, durant son voyage d’étude à l’ouest de la Chine en 2008.

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a nature est toute-puissante, et nous autres, êtres inexistants. La discrimination fondée sur la caste était couhumains, devons au bout de compte nous conformer à ses rante et les droits des minorités sexuelles et des personnes lois; mais c’est facile à oublier lorsque l’on vit, comme moi, handicapées étaient tout simplement ignorés. dans une société qui connaît des transformations politiques Aujourd’hui, le Népal continue de poursuivre son combat profondes et cruciales. pour la démocratie, luttant contre l’extrémisme – et la J’ai grandi à Katmandou, une ville somnolente et paisible guerre – pour y parvenir. où, pendant les vacances, mes frères et sœurs allaient Même s’ils ont été obtenus au prix de lourds sacrifices, pique-niquer au bord des rivières et jouer dans l’eau, les gains de ce combat sont réels et dignes d’être défendus. insouciants. Il reste maintenant à défendre le droit des citoyens népaLa population de Katmandou comptait alors une centailais à un environnement sain. Ce n’est pas par égard pour la ne de milliers d’habitants. Aujourd’hui, elle en compte près nature que nous devons conserver l’environnement (car, au de trois millions. bout du compte, la nature gagne toujours), mais par égard Les fleuves sont souillés, l’air est chargé de particules pour nous-mêmes, afin d’enrichir nos vies et de rendre notre toxiques et les plantes indigènes ont été remplacées par environnement plus sain qu’il ne l’est. des plantes exotiques, altérant la diversité écologique et Je nourris un grand réduisant la biodiversité, nous espoir pour le mouvement conduisant au bord de l’effonpour la conservation de Pour un environnement drement. On peut directement la nature qui se développlus sain au Népal observer les souffrances pe au Népal, un mouvepar Manjushree Thapa qu’endurent les habitants de ment dynamique et de Katmandou. L’eau potable est plus en plus démocratirare, les routes sont asphyxiées par les gaz d’échappement, que. Créé au début des années 1970 sous l’égide d’une petite les aliments traditionnels que l’on trouvait en profusion élite anti-démocratique, il a été depuis pris en main par des disparaissent au profit des produits de la monoculture. Il y citoyens ordinaires qui, sous les auspices du gouvernement a très peu d’espaces verts où l’on peut se détendre et repoet des organisations non gouvernementales, constituent des ser son esprit. À Katmandou, la qualité de vie a beaucoup « groupes d’usagers » pour promouvoir l’utilisation durable diminué. des ressources naturelles. Pourtant, je ne serai pas prêt à échanger le Katmandou Il n’y a aucune raison pour qu’une ville de trois millions d’aujourd’hui avec celui d’hier, car les transformations de la d’habitants soit dépourvue de ressources. société népalaise ont été obtenues au prix de grands efforts, Les habitants de Katmandou savent qu’ils ont tout à et elles sont précieuses. gagner à sauvegarder l’environnement. Le Népal s’est engagé depuis des années dans un combat Je crois que la démocratisation de ce mouvement le perpour instaurer la démocratie, promouvoir les droits politimettra enfin. ques des citoyens népalais ainsi que leurs droits civils. Dans le Katmandou où j’ai grandi, tous les partis Manjushree Thapa est l’auteur de A Boy from Siklis: The Life and politiques étaient interdits. La censure exercée par l’État Times of Chandra Gurung, la biographie d’un écologue népalais visionnaire. créait un climat étouffant. Les droits des femmes étaient chronique onu    No. 3 & 4    2009

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© HENRY FUCHS

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ismail serageldin    L’AFRIQUE EST-ELLE PRÊTE ?


Par Ismail Serageldin

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es effets des changements climatiques sont bien réels. Ils ont été confirmés par des études et des rapports internationaux au cours des deux dernières décennies. Une catastrophe climatique, qui menacera l’ensemble de notre écosystème tel que nous le connaissons, est possible, mais pas encore probable. Elle risque de se produire si nous ne changeons pas de voie et continuons d’ignorer les preuves : la hausse des températures entraînera l’élévation du niveau de la mer et la libération de méthane dans la toundra nous conduira vers un point de non-retour où les créatures vivantes n’arriveront plus à s’adapter.

Mais même les scénarios moins extrêmes, dont beaucoup sont considérés aujourd’hui optimistes, indiquent des effets à très long terme. Les conséquences de ces changements climatiques sont généralement bien comprises et acceptées par le plus grand nombre. La hausse des températures moyennes est seulement un aspect des changements climatiques. Nous serons probablement confrontés à des variations importantes des conditions climatiques, comme les sécheresses et les inondations, à des événements climatiques plus fréquents et extrêmes, comme les ouragans et les tempêtes ainsi qu’à une plus Ismail Serageldin est Directeur de la Librairie d’Alexandrie. chronique onu    No. 3 & 4    2009

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grande variabilité saisonnière avec des hivers doux ou rudes et des étés secs ou très humides. En Afrique en particulier, les saisons agricoles seront plus courtes dans pratiquement tout le continent, avec des changements positifs dans quelques zones seulement. Dans ce contexte, L’Afrique sera plus touchée que la plupart des autres régions. Il est particulièrement révoltant que les Africains qui ont le moins contribué aux changements climatiques soient ceux qui en souffriront le plus. Quelles que soient les mesures juridiques prises, l’indemnisation est due. La capacité de l’Afrique à s’adapter est compromise par la faiblesse des gouvernements. Cependant, certains exemples remarquables méritent notre admiration et notre soutien : Le prix Mo Ibrahim de la bonne gouvernance en Afrique, par exemple, a reconnu les qualités de leadership de certains acteurs comme Mandela, Chissano, Masire ou Moghaye – pour n’en citer que quelques-uns. Mais malgré les performances spectaculaires de certains pays et de certaines régions, la situation générale dans de nombreuses parties du continent est caractérisée par des institutions fragiles et faibles, particulièrement vulnérables aux chocs extérieurs. Aux niveaux bas d’éducation et de santé s’ajoutent l’épidémie du sida, le paludisme et d’autres maladies qui emportent d’innombrables vies. La médiocrité de l’infrastructure et l’insuffisance des moyens de communication sont un frein à la compétitivité internationale. La gouvernance est problématique pratiquement partout. Les institutions sont minées par la corruption. Les sociétés sont marquées par le tribalisme et par des troubles qui, dans de nombreuses parties de l’Afrique, dégénèrent en guerres violentes et créent une totale anarchie, comme en Somalie ou en République démocratique du Congo. L’instabilité et le manque de capitaux empêchent d’entreprendre les projets nécessaires au développement. L’inaptitude à l’encadrement et le manque de compétences professionnelles limitent l’efficacité des projets qui sont entrepris. De nombreuses régions du continent sont confrontées à un exode préoccupant des talents. Dans un tel contexte, l’impact du changement climatique sera dévastateur. Il exacerbera les problèmes existants et posera de nouveaux défis aux institutions et aux sociétés qui ne sont ni organisées ni équipés pour y faire face. Les problèmes auxquels les gouvernements et le peuple africains sont confrontés sont multiples : l’élévation du niveau de la mer qui menace les villes côtières, l’inondation des deltas par l’eau salée, la succession de périodes de sécheresse et de fortes pluies, l’urbanisation rapide et la propagation des maladies endémiques. Je me concentrerai ici seulement sur un aspect de la crise future : la sécurité alimentaire.

En Afrique, toute modification de la production primaire des grands lacs aura des conséquences importantes sur l’offre alimentaire locale. Le lac Tanganyika assure actuellement 25 à 40 % de l’apport en protéines animales des populations vivant aux alentours, et le changement climatique va probablement entraîner une réduction de la production primaire et, éventuellement, du rendement piscicole d’environ 30 %. ­— GIEC 34

En Afrique, les changements ­climatiques ont augmenté

la vulnérabilité des fermiers ­pauvres dans les régions pluviales. Une attention particulière doit être accordée à la production de plantes plus résistantes à la sécheresse, au sel et absorbant moins d’eau qui atteignent leur maturité dans une période courte.

LA SÉCURITÉ ALIMENTAIRE – CE QU’IL FAUT FAIRE L’Afrique importe déjà régulièrement des denrées alimentaires. Tous les scénarios indiquent que l’Afrique continuera de manquer de produits alimentaires, une situation que les changements climatiques risquent d’exacerber. La plupart des pays africains dépendent de l’agriculture pluviale, alors que le continent comprend de vastes déserts, des zones arides et semi-arides et souffre des effets de la désertification. Même dans les zones tropicales, les précipitations varient d’une année à l’autre et, les agriculteurs étant très pauvres, ils sont incapables de survivre aux périodes de sécheresse répétées. Étant donné l’insuffisance de l’infrastructure et le mauvais état des routes rurales, il est difficile d’apporter l’aide quand il le faut ou de commercialiser le surplus des récoltes. Les pertes après récoltes sont immenses, dues en grande partie aux infrastructures insuffisantes ainsi qu’à la prolifération des ravageurs. Les changements climatiques ont augmenté la vulnérabilité des fermiers pauvres dans les régions pluviales, ainsi que des populations qui en dépendent. Une attention particulière doit être accordée à la production de plantes plus résistantes à la sécheresse, au sel et absorbant moins d’eau qui atteignent leur maturité dans une période courte. Il faudrait améliorer la gestion durable des terres et des forêts pour remplacer les coupes et les brûlis, et les activités de la recherche devraient être axées sur l’amélioration de la productivité dans les systèmes écologiques complexes des petits agriculteurs. Ce type de recherche devrait être considéré comme un bien public mondial et soutenu par des fonds publics, et les pauvres devraient pouvoir accéder gratuitement aux résultats. Un tel investissement permettra de réduire l’aide humanitaire par la suite. L’augmentation de la productivité doit être suffisamment rapide pour faire baisser les prix, ce qui améliorera l’accès des populations urbaines pauvres aux denrées disponibles au moment où l’Afrique connaît une urbanisation rapide. Pour ce faire, il faut augmenter la productivité des petits agriculteurs afin de relever leurs revenus, même si les prix baissent. Les chercheurs peuvent également améliorer la qualité nutritionnelle des cultures vivrières, comme ils l’ont fait en enrichissant le riz en vitamine A. Les forêts, ainsi que les

ismail serageldin    L’AFRIQUE EST-ELLE PRÊTE ?


pêches en mer et en eau douce sont des questions qui méritent aussi d’êtres examinées. Il est aussi important d’augmenter les investissements dans la recherche à haut risque. Par exemple, l’étude des caractéristiques biochimiques des mangroves qui leur permettent de prospérer dans l’eau salée pourrait ouvrir des possibilités pour d’autres plantes. Des travaux de recherche sont également nécessaires pour mettre au point des techniques visant à diminuer les pertes après récolte et à améliorer les conditions d’entreposage et de transport ainsi que la qualité nutritionnelle des aliments de base. Ces mesures pourraient aider bon nombre des personnes qui souffrent de la faim dans les villes. Étant donné qu’il n’est pas possible d’assurer l’autosuffisance alimentaire pour chaque pays, nous devons maintenir un système commercial international équitable qui permet l’accès aux produits alimentaires et qui allège la flambée des prix des denrées alimentaires et des cultures vivrières sur les marchés internationaux. Nous devons convaincre les gouvernements des pays riches de maintenir des stocks de réserve et d’assurer

Il est particulièrement révoltant que les Africains qui ont

le moins contribué aux changements climatiques soient ceux qui en souffriront le plus. Quelles que

soient les mesures juridiques prises, l’indemnisation est due.

des quantités suffisantes de nourriture pour l’aide humanitaire qui continuera inévitablement d’être nécessaire dans les divers « points chauds » de la planète, en particulier en Afrique. UN APPEL A L’ACTION C’est une honte que malgré l’engagement de la communauté mondiale de réduire de moitié d’ici à 2015 le nombre de personnes qui souffrent de la faim, leur nombre continue d’augmenter. C’est une honte que dans ce monde productif et interdépendant, un milliard de personnes souffrent de la faim. Nous savons que bon nombre d’entre elles vivent en Afrique et que les effets des changements climatiques exacerbent la gravité des défis auxquels est confronté ce continent. Nous avons donc le devoir d’aider l’Afrique à résoudre ce problème. Mais les problèmes africains nécessiteront des solutions africaines. Les anciens dirigeants africains respectés, comme ceux qui ont reçu le prix Mo Ibrahim, devraient appeler leurs collègues à mettre de côté leurs différences et à coopérer entre eux et avec d’autres pays et institutions afin de mener à bien quelques-unes des mesures susmentionnées. L’Afrique, qui a vu naître l’espèce humaine, ne courbera pas l’échine. Grâce au talent africain – et avec l’aide d’un monde humain et généreux – l’Afrique pourra relever les défis posés par les changements climatiques.  

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Sceller l’accord ! Mais, quels seront les enjeux pour l’Afrique ? par Maimouna Barro

es effets du changement climatique sont déjà ressentis par des millions de personnes à travers le monde, mais particulièrement en Afrique où la pauvreté endémique, les maladies, les guerres, les populations croissantes, l’accès limité aux capitaux ont mis à mal les populations et le riche environnement naturel au cours des dernières années. La situation est désastreuse pour un continent qui n’a joué aucun rôle dans le réchauffement climatique ! En réalité, ce sont les plus vulnérables du monde, principalement les économies en développement les plus pauvres, qui supportent le plus lourd fardeau et qui sont les plus menacées. En ce moment même, le changement climatique touche l’Afrique à tous les niveaux. Elle est le plus durement touchée par l’élévation du niveau de la mer, les sécheresses, les inondations, les pénuries d’eau de plus en plus fréquentes ainsi que par la propagation des maladies tropicales et de celles à vecteur. En ce moment même, si les conséquences du réchauffement de la planète ne sont que de simples prédictions pour certaines parties du monde, elles sont déjà ressenties en Afrique. En ce moment même, au Sénégal et dans quinze autre pays d’Afrique de l’Ouest, des millions de personnes déjà pauvres sont victimes d’inondations. Dans la même région, certaines populations côtières vivent dans la crainte d’être déplacées en raison de l’élévation du niveau de la mer. Oui, nous devons trouver une voix mondiale et « sceller un accord » sur le climat pour protéger nos vies et nos moyens de subsistance, car ce phénomène climatique mondial nous touche tous, que ce soit directement ou indirectement. Oui, donnez-nous la possibilité de « sceller l’acccord » mais, ce faisant, gardons à l’esprit que dans ce changement climatique mondial, il y a ceux qui sont responsables et ceux qui sont vulnérables. Oui, un accord doit être scellé, mais en tant que citoyens du monde responsables, nous devons le sceller en faisant preuve de justice, de transparence politique, de responsabilité sociale et en promouvant les obligations de chacun. Nous devons à nous-mêmes, à nos enfants et aux générations futures d’agir dès maintenant. Maimouna Barro est Directeur associé du Centre d’études ­a fricaines à l’Université d’Illinois à Urbana-Champaign.

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© karsten von Berg

LES CONSÉQUENCES DES CHANGEMENTS CLIMATIQUES

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en Amérique latine et dans les Caraïbes Par Emilio Sempris

Emilio Sempris est Directeur du Centre de l’eau pour les régions tropicales humides d’Amérique latine et des Caraïbes (www.cathalac.org).

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Bien que l’Amérique latine et les Caraïbes possèdent les plus grandes ressources en eau douce par habitant, un tiers de la population n’a pas accès durable à l’eau potable. Jusqu’à ces dernières années, on attribuait les problèmes liés à l’eau douce à la distribution inéquitable des ressources, à l’absence de financement adéquat pour les infrastructures hydriques, à la mauvaise gouvernance dans le secteur de l’eau douce ou à une conjugaison de ces trois facteurs. Aujourd’hui, alors que les nations essaient de préparer la voie qui mène à la conclusion d’un accord afin de mettre en place un régime multilatéral qui stabilisera le climat mondial, les pays d’Amérique latine et des Caraïbes ont réalisé que les changements climatiques ont eu des effets profonds sur les ressources en eau douce de la région, avec des conséquences importantes pour les écosystèmes et les sociétés.

emilio sempris   LES CONSÉQUENCES DES CHANGEMENTS CLIMATIQUES en Amérique latine et dans les Caraïbes


Au cours des trois dernières décennies, la région a connu des phénomènes climatiques extrêmes qui ont provoqué des pertes humaines et matérielles, en particulier pendant la saison des ouragans. Les effets du cycle irrégulier de l’oscillation australe El Niño ont également diminué la production agricole et la production d’hydroélectricité. Le niveau de certaines sources d’eau douce tropicales et sous-tropicales venant des glaciers ont tellement baissé qu’elles pourraient se tarir au cours des années à venir. Les maladies à transmission vectorielle ont un plus grand rayon d’action. La déforestation conjuguée aux changements climatiques ont aggravé la perte de biodiversité. Pour les pays d’Amérique latine et des Caraïbes, les conséquences des variations à la fois de la quantité et de la qualité de l’eau douce dues au changement climatique augmenteront les risques de conflits relatifs à l’utilisation des terres, étant donné qu’un sixième de la population partage des bassins versants transfrontaliers. Avec la sécurité alimentaire et les migrations suscitées par le changement climatique, la gouvernance dans le secteur de l’eau est probablement la question la plus urgente à laquelle sera confrontée la région dans les années à venir. La solidarité transfrontalière et la transparence des politiques seront mises à l’épreuve alors que les nations et les parties prenantes s’efforceront de trouver des solutions rapides qui répondent aux besoins de leur population, en particulier des personnes les plus vulnérables. CARAÏBES Sur les trois sous-régions qui seront examinées ici, la plus vulnérable est celle des Caraïbes. Le changement climatique menace la survie de ces populations et l’existence à long terme des pays de cette région. Le Groupe d’experts international sur l’évolution du climat (giec) a déjà conclu que le niveau des mers continuera à augmenter au cours des années à venir. En outre, le nombre d’ouragans de catégorie 5, qui sont les plus puissants, a été multiplié par deux : ils sont passés de six dans les années 1950 à 12 dans les années 2000. Il est important de noter que l’augmentation de la température de surface des mers entraînera une activité des cyclones tropicaux dans les Caraïbes qui fera un plus grand nombre de victimes. Le manque de capacités à produire de l’énergie propre et la grande dépendance vis-à-vis du tourisme et des importations de denrées alimentaires sont parmi les principaux facteurs qui empêchent les Caraïbes de trouver sa voie vers le développement durable. Dans la plupart des cas, les investissements pour renforcer les capacités d’adaptation au changement climatique dépassent de beaucoup les capacités financières des pays des Caraïbes. Étant donné l’augmentation des températures de surface résultant des émissions de gaz à effet de serre, la seule

Les Caraïbes sont la région la plus vulnérable. Le changement climatique menace la survie de ces populations et l’existence à long terme des pays de cette région.

option d’adaptation qui se présentera aux populations de cette région au cours des prochaines décennies sera la migration hors des petits États insulaires les plus vulnérables. AMÉRIQUE CENTRALE ET MEXIQUE La sous-région mésoaméricaine (Amérique centrale et Mexique) est également très vulnérable aux effets du changement climatique. L’intensification de l’activité cyclonique tropicale a causé d’importants dégâts dans la région. En 1998, l’ouragan Mitch a frappé le Honduras et le Nicaragua, faisant environ 10 000 victimes. Il a détruit l’infrastructure de base équivalant à 40 % du produit intérieur brut du Honduras. Les ressources en eau douce de la région sont également affectées par le phénomène El Niño/oscillation australe. En général, les bassins versants du côté Pacifique de la Méso-Amérique connaissent des conditions de sécheresse extrême, alors qu’au nord du Mexique, les pluies sont plus abondantes. Plusieurs modèles ont suggéré que l’Amérique centrale et le Mexique auront un climat plus sec et connaîtront donc des conditions de stress hydrique. Étant donné que la région dépend de l’énergie hydroélectrique pour produire de l’énergie, la sécurité énergétique sera probablement menacée. Il est toutefois important de souligner l’initiative « proyecto Mesoamérica » engagée dans le cadre du Dialogue régional de Tuxtla afin d’intégrer une interconnexion énergétique régionale qui permettra de garantir la sécurité énergétique dans les pays mésoaméricains. En ce qui concerne la santé, les maladies à transmission vectorielle comme la dengue et le paludisme ainsi que les maladies transmises à l’homme par des rongeurs, semblent augmenter en raison des variations des niveaux d’eau douce en Amérique centrale et dans les Caraïbes. À chaque crue ou à chaque épisode de sécheresse qui affecte les bassins versants transfrontaliers, la sécurité alimentaire est menacée, nécessitant une aide humanitaire internationale. En septembre 2009, plusieurs gouvernements d’Amérique centrale ont déclaré un état d’urgence et ont mis en œuvre des mesures d’urgence pour faire face aux conditions de sécheresse. Des projets, comme RedHum (http://www.redhum.org) et le Système de visualisation et d’observation de la région mésoaméricaine (http:// www.servir.net), coordonnés par le Bureau de la coordination des affaires humanitaires des Nations Unies, apportent un appui continu à la région en diffusant des informations sur la quantité d’eau douce disponible.

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Plusieurs modèles ont suggéré que l’Amérique centrale et le Mexique auront un climat plus sec. Étant donné que la région dépend de l’hydroélectricité pour produire l’énergie, la sécurité énergétique sera probablement menacée.

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AMÉRIQUE LATINE Des trois régions, l’Amérique latine est celle qui présente le contraste le plus marqué. L’eau douce peut y être très abondante mais aussi très rare. Environ 30 % des eaux fluviales mondiales traversent le bassin de l’Amazone, du Parana-plata et de l’Orinoco. Inversement, l’Amérique latine a le désert le plus aride au monde – l’Atacama. C’est aussi une région qui abrite des glaciers tropicaux et sous-tropicaux. De fait, dans certai-

Dans certaines régions de Colombie, du Pérou, d’Équateur et de Bolivie, les glaciers tropicaux et sous-tropicaux sont les seules sources d’eau douce. La migration hors de ces zones semble être la seule option dans les années à venir… nes régions de Colombie, du Pérou, d’Équateur et de Bolivie, les glaciers tropicaux et sous-tropicaux sont les seules sources d’eau douce. La migration hors de ces zones semble être la seule option dans les années à venir, en particulier dans les régions où les glaciers sont de plus petite taille. Selon des études récentes du giec, depuis 2004, la planète a perdu la plus haute piste de ski au monde – le glacier Chacaltaya situé à 5 260 mètres au-dessus du niveau de la mer.

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Si vous vivez près des côtes, votre maison risque d’être endommagée par l’élévation du niveau de la mer et l’accroissement de l’intensité des tempêtes. L’élévation du niveau des mers contribuera à l’érosion et aux inondations des zones côtières ainsi qu’à la perte des zones humides côtières et à un risque plus élevé de pertes de propriété foncière en raison des ondes de tempête. ­— GIEC Au cours des dernières années, le phénomène le plus extrême qu’ait connu l’Amérique latine a été les pluies torrentielles en 1999 au Venezuela qui ont provoqué des inondations et des coulées de boue. Environ 30 000 personnes ont péri. Après l’ouragan Catarina qui a frappé le Brésil en 2004, les scientifiques ont dû réécrire leurs manuels scientifiques pour y consigner le premier ouragan enregistré par un satellite au-dessus de l’Océan Atlantique sud. Comme en Amérique centrale, l’hydroélectricité est la principale source d’énergie dans la plupart des pays d’Amérique latine. Mais le tableau n’est pas totalement noir. Comme l’indiquent les études du GIEC, des augmentations des précipitations ont été observées dans le sud du Brésil, au Paraguay, en Uruguay, dans le nordest de l’Argentine (la Pampa), dans des parties de la Bolivie et au nord-ouest du Pérou et de l’Équateur, qui pourraient permettre d’assurer un approvisionnement durable en eau douce pour la consommation humaine et l’irrigation des terres agricoles dans ces régions. En conclusion, le changement climatique diminuera probablement les ressources en eau douce de l’Amérique latine et des Caraïbes de différentes façons et aura un effet profond sur les écosystèmes et les sociétés. La solidarité transfrontalière et la transparence seront cruciales pour faire face aux défis de l’eau douce qui se présentent alors que les nations se réuniront pour conclure un accord à Copenhague.  

our moi, la relation entre l’homme et l’environnement provoquant le réchauffement de la planète par son avidité est aussi importante que la relation entre deux époux. et rejetant de plus en plus de carbone dans l’atmosphère. Nous avons été unis l’un à l’autre comme partenaires Lorsque nous déboisons les forêts à des fins commerpour la vie par Mère Nature et notre relation est vitale ciales, nous infligeons des blessures à notre Mère Terre. pour notre existence future. Nous pouvons respirer un Lorsque nous polluons les océans avec le pétrole, nous air plus frais qui nous apporte de l’énergie s’il y a plus tuons leurs créatures… d’arbres qui nous entourent. Et lorsque nous allons Le bruit de l’eau qui coule dans l’espace, nous polluons Union des cascades, des rivières même peut-être des régions par Punyakante Wijenaike et la pluie qui tombe nous qui sont en dehors de notre apporte du réconfort, et les univers. Apprenons donc fleurs, les fruits, les oiseaux à vivre en harmonie avec et les papillons, sans mentionner les autres créatures du notre partenaire avant que nous nous détruisions l’un monde animal, nous procurent un sentiment de bonheur. l’autre… Je pense que l’homme a commis une immense erreur en Punyakante Wijenaike est l’auteur de Coming to Terms, son divisant le monde en pays, en continents et en races, ouvrage le plus récent.

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emilio sempris   LES CONSÉQUENCES DES CHANGEMENTS CLIMATIQUES en Amérique latine et dans les Caraïbes


Un avenir pour l’Afrique Comment l’Afrique compte-t-elle faire face aux changements climatiques et se créer un avenir meilleur face à la catastrophe climatique qui s’annonce ? À l’heure où l’on s’inquiète de plus en plus, le continent négociera pour la première fois en son nom propre à Copenhague. Par Yolandi Groenewald

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ans un petit village situé à l’ouest de la Zambie, le roi des Lozi – le Litunga – demande à son peuple de quitter les terres basses et de se joindre à lui pour participer à une cérémonie afin de célébrer la saison des pluies qui fertilisent leurs terres. Mais ces deux dernières années, il n’y a pas eu de célébrations. Les pluies sont arrivées plus tôt que prévu, provoquant des inondations dévastatrices. Les Lozi considèrent que cette situation est due aux changements climatiques. « Les saisons ont changé. C’est une véritable catastrophe », commente Bennet Imutongo Sondo, l’induna de 74 ans ou chef du village de Liyoyelo dans le district de Mongu, en Zambie. Yolandi Groenewald est journaliste à The Mail & Guardian, Afrique du Sud.

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Les scientifiques froncent les sourcils lorsqu’ils étudient l’impact du changement climatique en Afrique. Les résultats ne sont pas encourageants : l’Afrique connaîtra probablement des périodes de sécheresse, des inondations et d’autres effets climatiques extrêmes, alors qu’elle contribue le moins aux émissions de gaz à effet de serre – moins de 4 % des émissions totales mondiales. Selon le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (giec), la situation n’est pas près de changer. En raison de l’augmentation continue des émissions de gaz à effet de serre, 1,8 milliard de personnes supplémentaires pourraient être victimes du stress hydrique d’ici à 2050. Les terres arides et semi-arides risquent d’augmenter jusqu’à 8 %, menaçant la sécurité alimentaire. Le giec avertit également que l’élévation du niveau de la mer, en particulier les régions côtières de l’Afrique de l’Est, pourrait augmenter les risques d’inondation. Les mesures d’adaptation pourraient représenter jusqu’à 10 % des produits intérieurs bruts conjugués de tous les pays africains.

ethniques et politiques et autour des ressources environnementales ainsi que par sa dépendance vis-à-vis de secteurs sensibles comme l’agriculture pluviale. » L’organisation d’aide internationale Oxfam estime qu’avec la hausse des températures, l’Afrique sub-saharienne perdra 2 milliards de dollars par an, simplement parce que la viabilité d’une seule culture, le maïs, est en déclin. Une étude du Forum humanitaire mondial situé à Genève indique que 15 à 20 pays les plus vulnérables au changement climatique se trouvent en Afrique. Selon le Rapport sur le développement dans le monde 2010 : développement et changement climatique, un réchauffement de seulement 2°C par rapport aux températures de la période préindustrielle pourrait provoquer des réductions permanentes du pib de 4 à 5 % en Afrique. L’eau sera une préoccupation majeure pour les pays africains, et plusieurs commentateurs ont fait savoir que des guerres de l’eau pourraient éclater parce que les populations seront en concurrence pour les ressources disponibles. Certains ont déjà suggéré que le conflit au Darfour LE CONTINENT LE PLUS VULNÉRABLE pourrait être en partie dû à une pénurie d’eau dans la région. En juillet 2009, dans un article paru dans Scientific American, is à part le giec qui fait autorité pour les questions l’économiste Jeffrey Sachs a écrit que « les années récentes ont climatiques, de nombreuses études mettent en évimontré que l’évolution dans la configuration des précipitations dence les conséquences graves pour l’Afrique. À peut faire tomber un gouvernement et même déclencher des une conférence tenu au Cap en septembre 2009, Oli Brown de guerres. Le Sahel africain, juste au-dessous du Sahara, en est un l’Institut international pour le développement durable a déclaexemple dramatique et poignant. Par exemple, les attaques sanré au cours d’une discussion sur la sécurité et le changement glantes qui ont été perpétrées au Darfour, au Soudan, qui sont climatique que « l’Afrique est le premier continent à ressentir presque toujours débattues en termes politiques et militaires, pleinement les effets des changements climatiques sur la stabiprennent naissance dans une crise écologique directement liée lité politique et économique qui sont exacerbés par ses conflits aux chocs climatiques ». En août 2009, le Secrétaire général des Des empreintes inégales : les émissions par habitant Nations Unies, Ban Ki-moon, a dit dans une dans les pays à revenu bas, à revenu intermédiaire et à revenu élevé, 2005 tribune libre intitulée Le climat coupable au Darfour : « Parmi les diverses causes sociales CO₂e par habitant (tonnes) et politiques, la crise du Darfour est d’abord 16 une crise écologique, causée en partie par le Émissions liées 14 réchauffement climatique. » aux changements L’assèchement du lac Tchad est directement d’affectation 12 des terres lié à 80 % au changement climatique depuis les années 1980. Ce phénomène touche le Nigeria, 10 Toutes autres émissions le Tchad, le Cameroun et le Niger qui partagent 8 le lac, et plusieurs organisations non gouverMoyennes, pays en développement : nementales ont mis en garde contre les risques 6 de conflits concernant les ressources en eau �avec changement d’affectation des terres 4 disponibles. �sans changement d’affectation des terres Actuellement, 20 pays en Afrique souffrent 2 de la pénurie d’eau et le Rapport sur le développement dans le monde 2010 note que 12 pays 0 Pays à revenu Pays à revenu Pays à revenu supplémentaires pourraient connaître la même élevé intermédiaire bas situation dans les 25 prochaines années. Les 63 bassins transfrontaliers de l’AfriSource : Banque mondiale, 2008c; WRI 2008 avec l’ajout des émissions dues changement d’affectation des terres de Houghton 2009 Note : Les gaz à effet de serre émis sont le CO₂, le méthane (CH₄), l’oxyde nitreux (N₂O) et des gaz qui peuvent contribuer dans une que représentent plus de 90 % de ses eaux de large mesure au réchauffement de la planète (gaz F). Pour qu’il soit possible de regrouper leurs émissions, ces dernières sont surface, et aucun traité n’aborde la question du toutes exprimées en équivalent CO₂ (CO₂e); en d’autres termes, les quantités émises sont exprimées, pour tous les gaz, sous la forme des quantités de CO₂ qui provoqueraient le même réchauffement. Les moyennes par habitant pour les pays à faible revenu partage des eaux en Afrique. L’Afrique du Sud, et pour les pays à revenu intermédiaire sont calculées dans un scénario qui fait intervenir un changement d’affectation des terres l’économie la plus dynamique du continent, et dans un scénario qui ne fait pas intervenir un tel changement. En 2005, les émissions dues à un changement d’affectation des pourrait aussi connaître un stress hydrique terres dans les pays à revenu élevé étaient négligeables. d’ici à 2025.

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yolandi groenewald    Un avenir pour l’Afrique


Les chercheurs de la Communauté de développement de l’Afrique australe (cdaa) ont indiqué que l’Afrique australe a enregistré en 2007-08 une perte de plus de 4 millions de tonnes de maïs destinées à la consommation. Déjà, les configurations des précipitations ont changé en Afrique et les périodes de sécheresse sont plus fréquentes, ce qui pourrait menacer les moyens d’existence de près de 75 % de la population du continent qui pratiquent l’agriculture.

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LES PUITS DE CARBONE ais l’Afrique a également la possibilité d’apporter une contribution importante à l’atténuation des effets du changement climatique en investissant dans les forêts pluviales du monde qui constituent des « puits de carbone ». Les plus grandes zones de forêts pluviales d’Afrique se trouvent en Afrique centrale, en Afrique de l’Ouest, en Afrique de l’Est et à Madagascar. Mais pour répondre aux besoins des communautés locales et des pays développés, l’exploitation forestière commerciale, l’exploitation minière, l’exploitation

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L’une des propositions de ce programme consiste à verser des compensations aux propriétaires forestiers qui préservent les régions boisées. La proposition est particulièrement intéressante pour les pays forestiers comme la RDC. Mais comme seulement les forêts pluviales sont actuellement comprises, d’autres pays moins boisés, comme la Tanzanie, pourraient ne pas tirer profit de cette incitation. du bois de combustible et l’agriculture ont entraîné une déforestation importante. Alors que 2 % des forêts pluviales mondiales ont été rasées, la deuxième forêt tropicale humide contiguë la plus étendue se trouve dans le bassin du Congo en Afrique. Cette vaste zone de verdure couvre une large superficie englobant le Cameroun, la République centrafricaine, la République démocratique du Congo (rdc), la Guinée équatoriale, le Gabon et la République du Congo. Depuis les années 1980, cette forêt a connu les taux

d’exploitation forestière et de défrichement les plus élevés au monde. La Feuille de route de Bali, adoptée par les Gouvernements en 2007, comprend un programme appelé redd, Réduction des émissions liées à la déforestation et à la dégradation de la forêt, qui fera l’objet d’âpres débats lors de la Conférence des Nations Unies sur le changement climatique à Copenhague. L’ONU espère que, dans le cadre de redd, les incitations financières offertes aux pays en développement les encourageront à préserver leurs forêts qui peuvent absorber les gaz à effet de serre. L’une des propositions de ce programme consiste à verser des compensations aux propriétaires forestiers pour préserver les régions boisées. La proposition est particulièrement intéressante pour les pays forestiers comme la rdc. Mais comme seulement les forêts pluviales sont actuellement comprises, d’autres pays moins boisés, comme la Tanzanie, pourraient ne pas tirer profit de cette incitation. Il est aussi à craindre que des grandes corporations achètent des terres forestières et tirent profit de l’incitation. Le giec estime que la déforestation contribue à 17 % des émissions de gaz mondiales à effet de serre, ce qui en fait la deuxième source d’émissions la plus importante après les émissions provenant du secteur de la production d’énergie. Selon les estimations, les émissions de carbone provenant de la déforestation dans les années 1990 représentent 5,8 gigatonnes par an. Pour bon nombre de pays africains, la déforestation est l’activité qui contribue le plus aux émissions de gaz à effet de serre. La rdc et la Zambie sont particulièrement vulnérables. On estime que près d’un demi-million d’hectares de forêts sont détruits chaque année en Zambie. Les études menées par la Rainforest Foundation en 2007 ont révélé que les forêts du Bassin du Congo contiennent entre 25 à 30 milliards de ­tonnes de carbone – soit l’équivalent de quatre ans d’émissions anthro­ piques. Plus de la moitié de ce carbone est stockée dans les forêts de la rdc.

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LES NÉGOCIATIONS À COPENHAGUE

u Sommet de l’Union africaine (UA) qui a eu lieu à Sirte en juillet 2009, 53 nations africaines se sont réunies pour négocier d’une seule voix à Copenhague. Les dirigeants africains ont adopté une position commune sur les changements climatiques qui prévoit notamment : ▶ le financement des efforts d’atténuation par la communauté internationale à hauteur de 67 milliards de dollars par an d’ici à 2020; ▶ l’augmentation du nombre de projets du mécanisme de développement propre (mdp)* en Afrique. Sur les 1 800 projets mdp, seulement 30 projets sont mis en place en Afrique, soit environ 2 % au niveau mondial; *  Le Mécanisme de développement propre (MDP), défini dans l’article 12 du Protocole de Kyoto, permet à un pays qui s’est engagé à réduire les émissions ou à les limiter conformément au Protocole (pays de l’Annexe B) de mettre en œuvre un projet de réduction d’émissions dans les pays en développement. Ces projets permettent d’acquérir des crédits d’unités de réduction certifiées des émissions, équivalent chacune à une tonne de CO2 afin de réaliser les objectifs du Protocole de Kyoto.

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▶ le versement d’indemnisations aux pays qui conservent leurs forêts; ▶ le transfert des technologies pour aider l’Afrique à limiter ses émissions de gaz à effet de serre et à s’adapter aux changements climatiques. Meles Zenawi, Premier Ministre éthiopien, a été choisi pour présider un nouveau Comité de haut niveau composé des chefs d’État qui conduira le processus de négociation africain. Jean Ping, Président de la Commission de l’Union africaine, a régulièrement souligné que l’Afrique ne pouvait pas se permettre d’occuper une place de second rang dans les négociations, mais doit « peser de tout son poids » pour éviter qu’à Copenhague, les pays développés concluent un accord sans l’Afrique. En septembre 2009, l’Africa Progress Panel** a préparé un document d’information destiné aux chefs d’État de **  L’Africa Progress Panel a été créé afin de veiller à ce que les engagements à l’égard de l’Afrique, formulés au Sommet du G8 de Gleneagles et dans le rapport de la Commission sur l’Afrique de 2007, soient honorés. Le groupe est présidé par Kofi Annan.

l’Union africaine, aux ministres des finances et de l’environnement ainsi qu’aux partenaires internationaux. Ce document appelle l’Afrique à faire peser ses 54 voix lors la Conventioncadre des Nations Unies sur le changement climatique sur des questions autres que le financement du carbone, comme l’établissement d’objectifs précis en matière d’émissions, la compensation des émissions de carbone pour l’Afrique et le transfert des technologies. Même si l’Afrique a affirmé sa capacité de s’exprimer d’une seule voix, il reste à voir quel poids aura cette voix à Copenhague dans les dernières heures des négociations lorsqu’il faut donner une forte impulsion vers la conclusion d’un accord contraignant. Les pays influents les ignoreront-ils, les considérant comme des acteurs de peu d’importance ? Ou cette voix unifiée pour la première fois donnera-t-elle à l’Afrique les moyens de lui assurer une position dominante dans un tel accord crucial ? Réponse à Copenhague.  

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n ce qui concerne l’écologie, dans mon pays, les mauvairépéter. Dans leur volonté de redevenir le grenier du monde, ses nouvelles sont un cauchemar et les bonnes nouvelles les entreprises multinationales et nationales sont mues par sont comme un rêve. Même si les populations autochtones une avidité sans limite. Aucune leçon n’est jamais tirée. Le soutiennent que la nature est toujours en équilibre, un causoja transgénique est censé être une source de protéine qui chemar est sur le point de se réaliser sur leurs terres. Leurs sauvera de la famine les « damnés de la terre », pour reprenvillages et les forêts sous-tropicales, appelées yungas, sont dre l’expression de Franz Fanon. Mais le soja est principamenacés par la propagation du soja transgénique. C’est lement exporté d’Argentine pour nourrir le bétail des pays dans ce contexte que des femmes des populations autochtoriches et pour produire du biodiesel. nes wichi et guarani se sont rendues à Buenos Aires pour Les nouvelles locales laissent toutefois entrevoir une manifester. « On nous vole notre Mère Nature », commente lueur d’espoir. Dans la province de Mendoza, des scientifiOctorina Zamora, une wichi cacica. « Perdre la forêt, c’est ques et des chercheurs participent à un projet de production perdre notre vie, car nous, peuà l’échelle industrielle de biocarburants ples autochtones, faisons partie de troisième génération à base d’alde la forêt. » gues. Et pas n’importe quelle algue, Les forêts sont notre vie Les femmes œuvrent pour mais une algue spécifique, unicellupar Luisa Valenzuela sensibiliser le public à leur laire. Cela semble tenir du miracle. situation. La conservation de Cette algue se nourrit de déchets la flore et de la faune est l’une humains, double sa population toutes de leurs principales préoccupations. Non seulement ces les 24 heures et purifie les eaux usées. Le projet est ambipeuples dépendent des animaux sauvages pour vivre, mais tieux, mais cette algue se nourrit de la lumière du soleil, ces derniers sont aussi leurs amis à distance. Ces femmes d’azote et de dioxyde de carbone, trois éléments naturels ont conscience des maux que le déboisement et la mono­ qui sont abondants à Mendoza. culture du soja apportent. La dengue, une maladie tropicale Il est à espérer que ce projet portera ses fruits. Pour transmise par les moustiques et jusqu’ici maîtrisée, sévit récompenser les combats de nos populations autochtones, parce qu’il n’y a plus de prédateurs naturels de l’insecte. La notre Mère Nature malmenée nous offre une nouvelle occarégion connaît de plus en plus de périodes de sécheresse, de sion de rectifier le tir. pluies torrentielles ou d’inondations, comme celles qui ont Luisa Valenzuela est écrivain et auteur d’articles de presse. eu lieu à Tartagal en février dernier. L’histoire semble se

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yolandi groenewald    Un avenir pour l’Afrique


VIH/SIDA et CHANGEMENTS CLIMATIQUES

Un modèle de réponse

Un commentaire Par Mary Crewe

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resque trois décennies après le début de la pandémie Des réunions de haut niveau ont lieu pour s’assurer que les du vih/sida, la stigmatisation, le déni et l’inaction des Gouvernements assument leurs responsabilités et que les popugouvernements subsistent. Des rapports font état d’une lations sont en mesure de faire face à la situation. Des personaugmentation des taux d’infection dans les pays occidentaux nalités éminentes sont sollicitées pour apporter leur soutien aux industrialisés et l’on craint une explosion de l’épidémie dans campagnes, subir un dépistage, divulguer leur état et prendre les pays asiatiques. C’est pourtant la tête de la lutte contre le vih/sida en Afrique subsaharienne, qui ainsi que contre la stigmatisation compte moins de 15 % de la poet la discrimination liées à cette pulation mondiale, que se trouve maladie. l’épicentre de l’épidémie, avec Pourtant, malgré tous ces Dans la plupart des cas, la démarche plus de 70 % des infections dans efforts, le dévouement et la détera consisté à décrire « ce qui est » le monde. mination, les taux d’infection Compte tenu du temps et augmentent dans de nombreuet à trouver des moyens de gérer des efforts consacrés à la lutte ses parties du monde, les comcontre le vih/sida, il est temps la crise existante et d’en limiter les munautés sont frappées par de de nous interroger sur l’efficanombreux décès et par des soufconséquences, alors qu’il faudrait cité des moyens engagés. Depuis frances, les familles sont éproule Programme mondial de lutte vées par la mort de leurs enfants rechercher activement « ce qui pourrait contre le sida de l’Organisation et des millions de jeunes font face être » et trouver des moyens de défier mondiale de la santé, qui est à un avenir incertain en raison de devenu le Programme commun la mort de leurs parents, de leurs le statut quo et de préparer l’avenir afin des Nations Unies sur le vih/ frères et sœurs et de leurs proches. sida (onusida), il y a eu, presque Les traitements étaient porteurs d’envisager de nouvelles structures depuis le début de l’épidémie, de grands espoirs et les médicasociales, communautaires et familiales, une réponse mondiale de haut ments étaient présentés comme niveau : des conférences interla meilleure option en matière de de nouvelles façons d’appréhender la nationales biannuelles sur le sida prévention. Aujourd’hui, alors qui attirent plus de 10 000 perque le succès escompté des sersexualité et les droits de l’homme. sonnes; des conférences régiovices bénévoles de conseils, du nales et de nombreuses autres dépistage et des traitements ne conférences sur la consommas’est pas concrétisé, une grande tion de drogues, la sexualité et la impulsion est donnée en faveur de santé publique; une session spéciale de l’ Assemblée générale la circoncision masculine et contre la promiscuité sexuelle. de l’ONU en 2001; des réunions régionales des gouvernements Le vih/sida est l’une des questions sociales les plus fascidonnant lieu à des déclarations et à des déclarations d’intennantes de notre époque. Il a exacerbé les maux sociaux et mis tion; le financement par un grand nombre de donateurs d’actià jour de nouveaux : certaines tensions sociales qui étaient vités liées au vih/sida dans le monde; et un grand nombre de manuels de formation consacrés à l’éducation, à la prévention, Mary Crewe est Directrice du Centre d’études sur le sida à l’Université de aux soins communautaires et aux services de soutien. Pretoria.

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Le concept de développement durable (DD) est centré sur la notion d’une société durable et de la gestion des ressources renouvelables. Il a été adopté à la Conférence de Rio en 1992 en tant que processus de changement dans lequel l’exploitation des ressources, la gestion des investissements, l’orientation du développement technologique et des changements institutionnels sont exploitées en harmonie en renforçant le potentiel existant et futur pour répondre aux besoins et aux aspirations de l’homme. Le DD a des dimensions politiques, sociales, économiques et environnementales. ­— GIEC

tolérées ou dissimulées; l’inégalité entre les sexes, le patriarcat, activement « ce qui pourrait être » et trouver des moyens de les viols de jeunes et leur exploitation; le manque de nourridéfier le statut quo et de préparer l’avenir afin d’envisager de ture, de logements, d’éducation, de soins de santé et d’accès aux nouvelles structures sociales, communautaires et familiales, médicaments; les inégalités sociales ainsi que l’hypocrisie des de nouvelles façons d’appréhender la sexualité et les droits de sociétés et des relations politiques mondiales. l’homme. Le vih/sida a, dans de nombreux cas, révélé les difficultés On observe les mêmes modèles de réponse aux changeà instaurer des démocraties efficaces et responsables, l’impact ments climatiques qui résultent du manque d’intégrité sociale de la culture et des pratiques culturelles sur l’épidémie ainsi et politique de l’ordre économique mondiale et politique domique la corruption qui sévit dans toutes les sociétés, riches ou nant. Tout comme le vih/sida, les changements climatiques ont pauvres. La pandémie a ouvert la voie à une nouvelle forme mobilisé un grand nombre de pays et d’institutions de l’ONU de néo-colonialisme alors que les donateurs et les institutions afin d’élaborer des protocoles et d’adopter des déclarations. de l’ONU donnent des leçons aux pays en développement sur Suite aux sombres prévisions, les pays ont été exhortés à modila mauvaise gouvernance et fier leurs comportements. offrent un soutien technique La propagation du vih/ et des fonds. sida et les effets du changeLes institutions de l’ONU ment climatique ont de nomet bon nombre de donateurs breux points communs. Les On observe les mêmes modèles de réponse font face à un dilemme. Ils personnes qui ont le moins aux changements climatiques qui résultent veulent une réponse monde ressources sont celles qui diale efficace, mais ils doisont les plus touchées. On du manque d’intégrité sociale et politique vent aussi reconnaître qu’elle constate aussi une absence de risque d’échouer parce qu’elvolonté politique et de capacide l’ordre économique mondiale et politique le ne rend pas compte de la tés techniques pour contenir complexité de la pandémie et ces deux catastrophes. Même dominant. Tout comme le VIH/sida, les chandes sociétés qui en souffrent. si les populations font partie gements climatiques ont mobilisé un grand Souvent, ces groupes extédes plans d’atténuation, les décisions seront prises pour rieurs définissent non seulenombre de pays et d’institutions de l’ONU elles, dans leur intérêt. Les ment l’épidémie, mais aussi communautés ne peuvent les sociétés au sein desquelafin d’élaborer des protocoles et d’adopter donner suite aux déclarales ils travaillent. Ils tendent tions et aux protocoles car, en à présenter la pandémie de des déclarations. Suite aux sombres préviréalité, elles sont incapables manière générale, accordant sions, les pays ont été exhortés à modifier des fonds à des projets spécid’exécuter les mesures prises par les décideurs. Enfin, tout fiques qu’ils définissent, évaleurs comportements. comme le vih/sida exacerbe luent et dirigent eux-mêmes la pauvreté, la vulnérabilité et qu’ils considèrent être les des femmes, l’exploitation des mieux adaptés aux populaenfants et l’accès aux soins de tions qui vivent dans cette santé, les changements climasociété. tiques aggravent les fractures sociales. Certes, ces interventions améliorent la situation présente et Les « réfugiés environnementaux » pourraient rejoindre le entraînent des changements sociaux et politiques à long terme, flot des personnes qui fuient les régimes oppressifs et la paumais elles ne s’attaquent pas aux causes profondes de la pauvreté à la recherche d’une vie meilleure, et les nations riches vreté et des maladies qui sont profondément liées au passé postleur refuser l’entrée dans leur pays. Comme dans le cas du vih/ colonial, aux relations politiques internationales, aux inégalités sida, on cherche des moyens de protéger et de renforcer le statut mondiales et aux violations des droits de l’homme. quo au lieu de créer un monde fondamentalement nouveau en La pandémie du vih/sida est directement liée à la pauvreté, à l’exploitation, à la migration, au manque d’éducation, à l’abmettant à profit notre curiosité intellectuelle afin de créer de sence de volonté politique et de mesures innovantes, et y contrinouveaux modes de vie. bue. Dans la plupart des cas, la démarche a consisté à décrire Dans une large mesure, l’incapacité de freiner la propagation « ce qui est » et à trouver des moyens de gérer la crise existante du vih/sida et de répondre efficacement aux besoins sociaux et et d’en limiter les conséquences, alors qu’il faudrait rechercher sanitaires urgents résulte du manque d’importance donné à la

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mary crew    VIH/SIDA et CHANGEMENTS CLIMATIQUES


recherche. La recherche en sciences sociales est nécessaire pour nous aider à comprendre l’impact que l’origine ethnique, les classes sociales, la culture et les hommes et les femmes ont sur les sociétés où l’épidémie se joue. L’élan à imprimer à la recherche a été laissé de côté par la nécessité de trouver des solutions rapides et pour permettre aux Gouvernements de préserver les relations politiques existantes que nous connaissons. Le vih/sida et les changements climatiques peuvent avoir des conséquences radicales et profondes dans le monde. Pourtant, nous nous accrochons à l’ordre mondial existant, sans investir le temps et l’argent pour promouvoir la recherche sur les questions que soulèvent l’épidémie et le réchauffement climatique. Nous

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recherchons des solutions faciles qui présentent bien et qui sont truffées de clichés politiquement corrects. Nous n’avons pas procédé à une analyse critique de la manière dont les diverses sociétés et le pouvoir fonctionnent ni trouvé des moyens viables et innovants pour changer les systèmes politiques. Au-delà des déclarations et de la rhétorique, nous devons développer la recherche critique et stimulante dans les deux domaines afin d’aider les sociétés à imaginer un nouvel avenir stimulant, réalisable. Tout comme nous devons chercher à comprendre comment mieux gérer l’épidémie vih/sida, nous devons penser plus rapidement afin d’anticiper les changements climatiques.  ❖

L’amitié par Bina Shah

ls passèrent par Stopsley Common et Yusuf descendit de l’autobus au coin de Butterfield Green Road pour faire quelques mètres à pied jusqu’à Vale. Il contempla les terres paisibles en dessous de Warden Hill, ce tapis d’or, de rouge et de vert parcouru d’un léger frémissement. L’air rafraîchit ses joues et caressa ses cheveux; il remarqua que son esprit s’apaisait, observant ses pensées avec un détachement qui lui semblait tout à fait naturel. Il n’y avait aucune raison d’avoir peur : il venait dire au revoir à une vieille amie, lui présenter ses respects. Nul autre endroit ne semblait mieux convenir que ce lieu, ce moment de la journée. « Pendant qu’il marchait le long de la route, il se rappela que Madame Colewyn disait que les matins étaient le moment de la journée qu’elle préférait, lorsque la journée s’ouvre comme une route sur laquelle on peut courir ou marcher, au gré de ses fantaisies. Elle aurait été séduite par le charme de cette matinée : cheminer d’un pas tranquille sur une route de campagne paisible, les oiseaux s’interpellant en se saluant comme des amis surpris de se rencontrer après de longues années. « Enfin, il atteignit la chapelle à Vale, un petit édifice en briques rouges entouré de chênes et de pruniers, orné d’un parterre de fleurs roses, blanches

et pourpres devant l’entrée ombragée. Yusuf s’arrêta pour les regarder; un papillon solitaire blanc marbré allait de fleur en fleur avec une insouciance paresseuse. Mais au lieu de leur parfum, il sentit l’odeur du parfum au citron qu’elle gardait sur son bureau comme un souvenir de sa jeunesse. Ce parfum stagna aux confins de sa mémoire alors qu’il respira profondément et redressa les épaules pour entrer dans la chapelle. » Il s’agit d’un extrait d’une nouvelle que j’ai écrite en septembre 2009 appelée The Believers, où un adolescent britannique d’origine pakistanaise se lie d’amitié avec une vielle dame juive anglaise d’origine irlandaise formant un lien inhabituel, complexe, mais solide qui traverse les générations et les origines ethniques. Ces derniers paragraphes de l’histoire illustrent ce que je considère la relation essentielle entre les êtres humains et l’environnement : dans la coexistence respectueuse avec l’environnement, nous pouvons accéder aux vérités les plus profondes et aux aspects les plus honnêtes de l’humanité. Dans un environnement naturel, dans un lieu de charme, au milieu de la faune ou la flore, qui n’a jamais été inspiré à réfléchir sur la vie ? Pour les écrivains, l’environnement offre un décor, une inspiration ou une intensité narrative. L’environnement chronique onu   No. 3 & 4    2009

– une ville, une forêt ou une montagne – peut avoir dans un roman une personnalité aussi forte qu’un être humain. Camper un personnage dans un environnement hostile ou harmonieux a donné quelques-uns des récits les plus brillants de l’histoire de la littérature, par exemple Le Vieil Homme et la Mer d’Hemingway ou La Terre chinoise de Pearl Buck. En tant qu’êtres humains, nous sommes étroitement liés à notre environnement : il nous définit, nous défie et est le catalyseur des multiples transformations que la vie nous apporte. Dans un roman ou un poème, le décor est crucial. La chute d’Adam et Ève aurait-elle été aussi dramatique si elle n’avait pas eu lieu dans le Jardin d’Eden ? La relation entre les êtres humains et l’environnement n’est pas seulement une relation de survie, c’est un rapport étroit. Nous sommes davantage nous-mêmes lorsque nous traitons l’environnement non pas comme la toile de fond de notre existence mais comme le compagnon le plus vital dans notre voyage de la vie. Bina Shah est l’auteur d’Animal Medicine and Blessings, de deux recueils de nouvelles et de trois romans, Where They Dream in Blue, The 786 Cybercafe et Slum Child. Son quatrième roman, Children of Sindh, sera publié en Italie en 2010. 45


AU-DELÀ DES marchés du

Par Oscar Reyes et Tamra Gilbertson

carbone

« Le Programme sur les changements climatiques de l’ONU, des milliards de dollars gâchés » « La vérité sur Kyoto : des profits énormes, une faible quantité de carbone piégée » « Des obstacles aux efforts de l’ONU pour réduire les émissions »

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es grands titres sur les mécanismes d’échange du carbone au cœur du Protocole de Kyoto, notamment le Mécanisme pour un développement propre (mdp), donnent une idée des difficultés du projet. Mais quelles sont les raisons de cette controverse ? L’échange de droits d’émission de carbone est un système complexe qui se fixe un objectif simple : permettre aux entreprises et aux Gouvernements d’atteindre les objectifs de réduction des émissions à moindres frais. Le Protocole de Kyoto vise à ce que les pays industrialisés (décrits comme « Annexe I ») s’engagent à réduire les émissions de gaz à effet de serre d’ici à 2012 pour atteindre des niveaux qui soient inférieurs de 5,2 % à ceux de 1990. En même temps, une série de « mécanismes de flexibilité » ont été adoptés, ce qui signifie que les entreprises peuvent choisir de réduire leurs émissions ailleurs que dans leur propre pays. Le mdp est le mécanisme le plus important. En septembre 2009, près de 1 800 projets avaient été enregistrés et plus de 2 600 projets supplémentaires étaient en attente de validation. En fonction des prix actuels, les crédits obtenus par les projets approuvés pourraient générer plus de 55 milliards de dollars d’ici à 2012. Le mdp est un mécanisme de compensation du carbone qui permet aux entreprises, aux institutions financières internationales et aux Gouvernements de financer des « projets de réduction d’émissions » dans les pays qui ne font pas partie de l’Annexe 1. Bien que les compensations de carbone soient souvent présentées comme un moyen de réduire les émissions, il n’en est rien. Au mieux, elles permettent de produire des émissions là où elles sont moins taxées, ce qui signifie une externalisation des émissions du Nord vers les pays du Sud. Les émissions de gaz à effet de serre continuent d’être émises dans un endroit en présumant qu’une quantité équivalente sera réduite en un autre lieu. Les projets qui permettent de réduire les émissions vont des barrages hydroélectriques à la capture du méthane issu des installations industrielles pour le bétail. Ces réductions sont calculées en fonction de la différence entre les émissions de gaz à effet de serre qui ont été réellement émises dans l’atmosphère sans ces projets et celles obtenues. Mais il n’y a aucun moyen de démontrer que le financement du carbone facilite le projet. Le chercheur Dan Welch résume la difficulté : « Les compensations sont un produit imaginaire créé pour déduire

Oscar Reyes et Tamra Gilbertson sont chercheurs à Carbon Trade Watch (www.carbontradewatch.org), un projet du Transational Institute.

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ce qui se produit de ce qui se serait produit. » Les estimations varient, mais les analyses théoriques des projets existants laissent penser qu’entre un tiers et trois-quarts des projets ne permettent pas de réduire les émissions. Les entreprises qui appuient ces projets sont payées pour faire ce qu’elles auraient fait de toute manière, alors que les crédits permettent aux entreprises des pays industriels de dépasser leur seuil d’émissions. DES CHOIX FACILES Par ailleurs, l’une des justifications données le plus souvent aux compensations de carbone est qu’elles devraient permettre de réduire les émissions de la manière la moins onéreuse. Toutefois, ce qui est moins onéreux à court terme n’est pas nécessairement le plus efficace sur le plan écologique ou équitable sur le plan social. Les réductions les moins onéreuses tendent à être créées par les lacunes du système et les subventions généreuses accordées pour le déploiement des technologies existantes plutôt qu’à ouvrir de nouvelles voies vers le développement durable. En septembre 2009, trois-quarts des crédits compensatoires émis étaient acquis par de grandes sociétés qui ont apporté des modifications techniques dans quelques-unes de leurs usines industrielles pour éliminer les hydroflurocarbures (hfc) (gaz réfrigérants) et l’oxyde nitreux (N2O) (un sous-produit utilisé dans la production de la fibre synthétique). Il y a peu de chances que cette situation change de manière significative avant que la première période d’engagements du Protocole de Kyoto expire. À la fin de 2012, les projets hfc et N2O devraient représenter la plus grande partie du mdp (28,5 % et 14,4 % respectivement), suivis par les projets d’hydroélectricité (10,8 %). En comparaison, l’énergie solaire devrait représenter seulement 0,003 % des crédits mdp. Comme l’explique Michael Wara de l’Université de Stanford, « le marché du mdp n’est pas conçu comme une subvention mise en

OSCAR REYES et TAMRA GILBERTSON    AU-DELÀ DES MARCHÉS DU CARBONE


© MERNYÓ FERENC/BUDAPEST, HUNGARY

Bien que les compensations de carbone soient souvent présentées comme un moyen de réduire les émissions, il n’en est rien. Au mieux, elles permettent de produire des émissions là où elles sont moins taxées, ce qui signifie une externalisation des émissions du Nord vers les pays du Sud. Les émissions de gaz à effet de serre continuent d’être ­ émises dans un endroit en présumant qu’une quantité équivalente sera réduite en un autre lieu.

œuvre par un mécanisme de marché au moyen duquel les réductions de CO2 qui auraient été émises dans les pays développés ont lieu dans les pays en développement. De fait, la plupart des fonds mdp financent les réductions de CO2 dans les pays développés en échange des émissions de gaz industriels et de méthane dans les pays en développement ». En fait, la plupart de ces émissions ne proviennent même pas des pays développés – où les usines de production ont volontairement choisi de détruire les hfc sans recourir au système d’échange des émissions. Selon Wara, des subventions directes pour réglementer les émissions de hfc-23 s’élèveraient à moins de 100 millions d’euros. Pourtant d’ici à 2012, jusqu’à 4,7 milliards d’euros auront été alloués à ces projets. LES SUBVENTIONS AUX COMBUSTIBLES FOSSILES Les partisans du mdp disent que les futurs projets mieux équilibrés inciteront davantage à produire de l’énergie propre et à assurer le développement durable. Mais aucun élément n’a été fourni pour étayer cette conclusion. Les cas les plus évidents sont la pléthore de projets de combustibles fossiles qui sont appuyés par le mdp. Pour participer à ce programme, il faut simplement proposer un projet qui utilise une technologie plus propre que celle utilisée dans la production énergétique existante dans la région ou le pays où il est mis en œuvre. Une étude récente sur les nouvelles centrales électriques fonctionnant au gaz en Chine, par exemple, a révélé que les 24 nouvelles centrales à gaz à cycle combiné en construction entre 2005 et 2010 avaient demandé des subventions au titre du mdp. Autre exemple, les nouvelles centrales à charbon supercritique qui peuvent bénéficier des crédits mdp depuis 2007 – alors que le charbon est la source d’énergie la plus émettrice en CO2 . Depuis septembre 2009, quinze projets ont entamé un processus de validation selon cette méthode, ce qui met en place une structure circulaire perverse où, au lieu d’envisager une transition rapide vers une énergie propre, le mdp subventionne la dépendance à l’égard des combustibles fossiles en fournissant des incitations pour la construction de nouvelles centrales à charbon chronique onu    No. 3 & 4    2009

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Le MDP, ou le Mécanisme pour un développement propre, subventionne la dépendance à l’égard des combustibles fossiles en fournissant des incitations pour la construction de nouvelles centrales à charbon dans le Sud, plutôt que de créer une infrastructure d’énergies renouvelables qui réponde aux besoins locaux. Avec les crédits que ces nouvelles centrales généreront, le MDP perpétue aussi la dépendance vis-à-vis des centrales à charbon dans le Nord. dans le Sud, plutôt que de créer une infrastructure d’énergies renouvelables qui réponde aux besoins locaux. Avec les crédits que ces nouvelles centrales généreront, le mdp perpétue aussi la dépendance vis-à-vis des centrales à charbon dans le Nord. UN AVENIR PLUS VERT ? L’augmentation des investissements mdp dans la production de l’électricité à partir de combustibles fossiles ne suffit pas, toutefois, car les partisans du projet pourraient toujours dire que des investissements similaires seront consacrés aux énergies « renouvelables ». Habituellement, les projets de centrales hydroélectriques visent à remplacer l’énergie qui aurait été produite à partir des combustibles fossiles. Or la plupart des projets d’hydroélectricité soumis à la validation mdp sont censés générer des crédits dans les 12 mois qui suivent leur validation. Étant donné qu’il faut compter plusieurs années pour construire les centrales électriques, la plupart des centrales étaient en construction avant le début du processus de validation mdp. Les impacts environnementaux et sociaux de ces projets sont souvent importants. On pourrait dire la même chose des projets de production d’électricité à partir de la biomasse, qui tendent simplement à calculer les émissions de méthane (CH4) évitées parce que le méthane est brûlé au lieu de le laisser

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se biodégrader – sans considérer les émissions causées par la coupe des forêts ou le drainage des tourbières riches en carbone pour créer des plantations qui produisent de la biomasse comme matière de base. La tentative par les promoteurs de distinguer les « bons » projets et les « mauvais » passe à côté du but, étant donné que les projets les plus renouvelables sont intégrés dans un système qui génère des crédits pour polluer dans un autre lieu. De tels projets non seulement perpétuent les problèmes du charbon, du pétrole et du gaz mais sont aussi source de conflits locaux. N’étant pas conçus pour s’adapter aux complexités des communautés et aux moyens d’existence, ils nécessitent de vastes terres, une grande quantité d’eau et de nombreux équipements et ne sont bénéfiques ni aux communautés ni à l’environnement. Les conflits qui en résultent surprennent les idéalistes convaincus que les projets de compensation du carbone financeront l’énergie renouvelable en fonction des besoins des collectivités. Avec des coûts administratifs supérieurs à 100 000 dollars, le mdp n’a pas les ressources nécessaires pour financer ce type d’initiatives. DES VOIES DIFFÉRENTES Les défaillances du MDP ne viennent pas seulement de la manière dont les règles sont conçues ou de sa mise en œuvre, mais sont inhérentes au projet lui-même. Ce mécanisme a été conçu pour effectuer des réductions de la manière la moins onéreuse et, pour ce faire, a préconisé le déploiement bon marché des technologies existantes par les grandes industries et les producteurs d’énergie. Les propositions qui seront présentées à Copenhague pour réformer et élargir le mdp ne traitent pas ces questions de base. Les nouveaux projets de « crédits sectoriels », qui changent la nature des Actions d’atténuation appropriées au niveau national adoptées par les pays en développement dans le cadre de la Feuille de route de Bali de 2007, augmenteront les compensations avec un système de poids et de contrepoids encore moins efficace. Si l’objectif visé est de promouvoir un avenir plus propre, le processus devrait partir d’une autre base. Les investissements dans des infrastructures énergétiques propres nécessitent souvent un financement public de départ – qui devrait venir essentiellement des pays industrialisés, étant donné qu’ils sont en grande partie responsables du problème. Un tel financement n’est pas une garantie de succès, toutefois, à moins d’adopter une structure de gouvernance décentralisée qui encourage la participation des citoyens et prenne en compte les réalités locales, permettant la mise en place et l’amélioration des techniques industrielles et agricoles adaptées à l’environnement local et établissant un processus d’évaluation de bas en haut des besoins énergétiques réels. Il faudrait également rejeter la logique du mdp qui demande aux pays en développement de se mettre aux normes afin que les entreprises des pays de l’Annexe I puissent continuer de polluer comme avant. Au lieu de stimuler les nouveaux marchés de produits, les objectifs et les obligations auxquels les pays industrialisés ont souscrit devraient y répondre au niveau national. Un grand nombre de réglementations, de normes de performance et d’incitations existantes aideront à s’engager vers cette voie, allant des tarifications préférentielles de l’électricité provenant de sources d’énergie renouvelables à l’imposition de limites de production d’émissions aux producteurs d’énergie et aux industries lourdes. Les pays de l’Annexe I ayant contribué le plus aux changements climatiques, il est essentiel qu’ils adoptent rapidement des mesures contraignantes plus efficaces au niveau national afin de gérer les changements climatiques de manière équitable et efficace.   

Selon le British Antartic Survey, « les impacts environnementaux sur l’Antarctique ne sont pas dus aux activités locales, mais à la pollution mondiale. Par exemple, le plomb provenant du pétrole et l’usage de pesticides à des milliers de kilomètres ont été transportés dans l’Antarctique par la circulation atmosphérique et les courants océaniques et retrouvés dans les carottes glaciaires et les œufs des pingouins.


L

e rédacteur de la Chronique de l’ONU m’a demandé ou ont exploité leur main-d’œuvre, mais aussi déchiré le d’écrire un article sur le réchauffement climatique. Je ne tissu de leur vie présente et future, en causant d’immenses suis plus très jeune et il ne m’est jamais venu à l’esprit que dégâts au climat. Qui plus est, le triste paradoxe est que le changement climatique était un danger pour la survie de dans la plupart des cas, plus le pays est pauvre, plus il est l’humanité. Les guerres du XXe siècle, le conflit régional vulnérable aux changements climatiques préjudiciables. Les israélo-palestinien, voilà pour moi de vraies menaces graves pays développés, globalement, sont situés dans des régions pour le bien-être des peuples du monde. Comparé à l’instabitempérées et dans le nord, dont certaines peuvent, en fait, lité et à la corruption des êtres humains, le climat semblait bénéficier du changement climatique. la base solide de notre monde, mais le moment est venu La moralité du monde est mise à l’épreuve. C’est la mise de revoir mon point de vue et de confronter des questions à l’épreuve de notre responsabilité envers les générations que je n’avais jamais imaginées. J’ai donc fait appel à un futures, mais encore plus de notre responsabilité envers expert : mon fils Nahum, 34 ans, économiste au Ministère notre époque, et de la solidarité des pays riches avec leurs de la protection de l’environnement d’Israël et délégué à la cousins pauvres. Conférence des Nations Unies Au cours des dernières sur le climat qui aura bientôt décennies, les nations de lieu à Copenhague. Son anal’Europe ont fait preuve L’Amérique mise à l’épreuve lyse concise est la suivante : d’un niveau exceptionnel En décembre, à de leadership moral dans la par A B Yehoshua et Nahum Yehoshua Copenhague, si tout se passe lutte contre le réchauffement comme prévu, quinze pays climatique en adoptant des signeront un traité sur le objectifs importants pour climat (la Convention-Cadre des Nations Unies sur les réduire les émissions. Mais l’Europe ne peut agir seule. Elle changements climatiques) pour remplacer le Protocole de a besoin de l’aide de la Russie, du Japon, de la Chine, de Kyoto de 1997. Ce nouvel accord revêtira une importance l’Inde et, surtout, des États-Unis. sans précédent pour l’humanité, pendant les nombreuses La grande nation démocratique qu’est l’Amérique, qui générations à venir. revendique son leadership moral dans le monde et combat Ce traité prévoit une réduction maximale des émissions pour les libertés des autres nations, s’est montrée hésitante de gaz à effet de serre afin de stabiliser la hausse des dans la crise actuelle, alors qu’elle y a une responsabilité températures à 2 °C. Cet objectif représente un compromis majeure. douloureux mais, si nous ne le réalisons pas, la situation En 1941, devant l’intensification de la menace nazie, les s’aggravera et entraînera d’autres phénomènes qui seront États-Unis n’ont pas hésité un seul instant. Ils ont rassemconsidérés comme un coup terrible porté au climat, constiblé tous leurs pouvoirs et les meilleurs de leurs fils pour tuant une véritable menace pour l’avenir de l’humanité. aider à vaincre la guerre la plus horrible et la plus dangePour les pays réunis à la table des négociations de la reuse de l’histoire de l’humanité, sans marquer une pause Conférence, la principale question n’est pas le niveau de la pour s’interroger sur l’impact que leur action aura sur la réduction des émissions qui sera adopté dans le traité. La vie des Américains ou s’inquiéter du coût économique de la question cruciale est comment les nations se répartiront le guerre. fardeau entre elles, surtout entre les pays développés et les Les États-Unis sont aujourd’hui appelés à se joindre à un pays en développement. Qui portera le plus lourd fardeau de nouveau combat, une fois encore à une guerre pour l’avenir la réduction ? Et quelle compensation les pays développés du monde et de l’humanité. Cette fois, l’ennemi est plus difdevraient-ils verser aux pays en développement – au moyen ficile à cerner, pourtant le prix à payer est beaucoup moins de subventions directes, du transfert des technologies, et élevé que celui que l’Amérique a payé par le passé. ainsi de suite – pour couvrir les pertes subies par leur Seuls les États-Unis, avec leur puissance et leurs capaéconomie ? cités uniques ainsi que l’influence qu’ils exercent, peuvent Le monde industrialisé, qui est responsable aujourd’hui, mener le monde et le sauver de l’autodestruction due au clicomme dans le passé, de la plus grande quantité d’émismat. Comme dans l’autre guerre, les États-Unis, et le monde sions à effet de serre, a connu la prospérité pendant de nomentier, sortiront du combat plus forts et plus crédibles. breuses décennies. En revanche, le monde en développement et le « monde effondré » des pays les moins avancés ont payé A B Yehoshua est l’auteur de Friendly Fire: A Duet, son ouvrage un lourd tribut pour assurer le confort des autres. Les pays le plus récent. Son fils Nahum travaille pour le gouvernement développés les ont non seulement expropriés de leurs terres israélien.

chronique onu    No. 3 & 4    2009

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SUPPORTER


LE FARDEAU LES CHANGEMENTS CLIMATIQUES ONT UN IMPACT DIFFÉRENT SUR LES FEMMES ET SUR LES HOMMES. LES FEMMES SONT DE PLUS EN PLUS VULNÉRABLES, PRINCIPALEMENT PARCE QU’ELLES REPRÉSENTENT LA MAJORITÉ DES PAUVRES DANS LE MONDE ET SONT PROPORTIONNELLEMENT PLUS DÉPENDANTES DES RESSOURCES NATURELLES MENACÉES.

© EBERHARD KRAFT


* Adaptation des méthodes agricoles/changement des cultures pratiquées/systèmes d’élevage * Économie de nourriture, de semences et d’animaux * Adoption d’un nouveau régime alimentaire

* Collecte de l’eau/y compris de l’eau de pluie * Achat de l’eau aux vendeurs d’eau

* Doivent consacrer plus de temps, d’efforts et d’argent à la production alimentaire et à l’achat de nourriture * Font la queue pour recevoir l’aide alimentaire * Augmentation de la tâche de travail * Augmentation des carences caloriques et de la faim

* Doivent consacrer plus de temps et d’efforts à l’approvisionnement en eau à des fins domestiques/ agricoles * Problèmes de santé liés à l’eau

* Destruction des récoltes * Changement/baisse de la production agricole * Diminution des stocks de poisson

* Pénurie d’eau * Pollution et salinisation de l’eau * Inondations

Sécurité de l’eau

* Augmentation des tâches familiales * Utilisation des plantes médicinales et recours aux médecines parallèles

STRATÉGIES D’ADAPTATION ADOPTÉES PAR LES FEMMES * Recherche d’un refuge sûr/amélioration des habitations * Réduction du risque de catastrophes et préparation par des groupes de femmes

* Assument la prise en charge des malades/handicapés * Augmentation du stress psychique * Manque d’accès aux services de santé en matière de procréation * Risque accru d’infection au VIH/sida en raison de mariages précoces, de la prostitution forcée et de la violence sexuelle

* Plus de femmes que d’hommes meurent ou sont blessées

IMPACTS SUR LES FEMMES

Sécurité alimentaire

* Augmentation des maladies infectieuses * Stress mental et physique * Perte des plantes médicinales/de la biodiversité

Santé

Sécurité des moyens d’existence

* Mortalité/blessures causées par des événements/ catastrophes climatiques extrêmes

Mortalité/blessures

Sécurité et survie

CHANGEMENTS CLIMATIQUES

ASPECTS DE LA SÉCURITÉ

SÉCURITÉ HUMAINE

* Accès à l’eau potable à des prix abordables * Technologies d’irrigation efficaces * Installations sanitaires sûres * Préservation des terres humides

* Adaptation du secteur agricole : cultures mixtes, cultures/bétail mieux adaptés * Intrants agricoles abordables et écologiquement rationnels * Amélioration de la nutrition * Droits fonciers pour les femmes * Accès au crédit et aux services de commercialisation * Gestion des stocks de poisson pour les communautés de pêcheurs locales

* Accès aux établissements de santé, en particulier aux services de santé en matière de procréation * Suivi de la situation sanitaire des groupes les plus vulnérables

* Réduction des risques de catastrophes et préparation dans une perspective sexospécifique * Systèmes d’alerte rapide

MESURES POUVANT BÉNÉFICIER AUX FEMMES/HOMMES

Par Irene Dankelman, Professeur au Centre pour la gestion durable des ressources à l’Université Radboud, Pays-Bas

LA SÉCURITÉ HUMAINE, LES CHANGEMENTS CLIMATIQUES ET LES FEMMES


* Manque d’opportunités en matière d’éducation et d’activités génératrices de revenus * Aucun engagement ou engagement limité à la prise de décision; manque d’informations; manque de temps

Capacités

Participation

* Accès à l’information * Participation des femmes à la planification/ prise de décision/changements climatiques et mécanismes * Participation des hommes à la sensibilisation à la question de l’égalité des sexes * Production et utilisation de données ventilées par sexe

* Absence de participation aux * Organisation négociations, au processus de * Mobilisation planification et aux activités en * Participation matière de changements climatiques * Besoins spécifiques des femmes ignorés

* Consultation et assistance juridiques * Défense des droits de femmes

* Éducation, en particulier celle des filles surtout pendant/après les catastrophes * Formation professionnelle * Régénération de l’environnement

* Réseaux et groupes sociaux

* Abandon scolaire par les filles * Autoformation, groupes et réseaux * Peu de temps pour l’éducation/la de soutien formation/les activités rémunératrices

* Augmentation de la violence familiale à l’égard des femmes ; souffrances causées par les guerres/ conflits autour des ressources

* Entraînent des violations des droits de l’homme fondamentaux

Droits de l’homme

* Crédits abordables et fiables et structures financières pour les femmes * Autres options de moyens de subsistance * Accès des femmes au financement et aux technologies permettant de lutter contre les changements climatiques

SUPPORTER LE FARDEAU

Dignité

* Réduction des dépenses ou économies pour faire face aux périodes difficiles * Vente de biens ou de services * Autres sources de revenus

* Les femmes du secteur informel sont les plus touchées * Augmentation des dépenses des ménages * Migration des hommes – plus de femmes à la tête des ménages

* Réduction des activités génératrices de revenus (comme réduction des crédits)

Sécurité économique

* Des refuges sûrs et des habitations solides * Droits fonciers et droits au logement pour les femmes

* Construction d’habitations plus solides * Recherche d’un refuge/migration

* Droits fonciers limités * Non-inclusion dans la gestion des terres * Réduction de la mobilité

* Destruction des habitations, de l’infrastructure et des services

Sécurité des habitations

* Restauration écologique * Consolidation des habitations

* Construction d’habitations plus solides * Nettoyage et régénération de l’environnement * Constitution de groupes de sensibilisation

* Les femmes les plus pauvres vivant dans des environnements peu sûrs sont les plus touchées

* Processus et services environnementaux mis en péril

Sécurité environnementale

* Adoption d’autres sources de combustibles, en particulier l’énergie propre durable * Dispositifs permettant de réaliser des économies d’énergie et formation à leur utilisation * Restauration écologique

* Adoption d’autres sources d’énergie * Utilisation de dispositifs permettant de réaliser des économies d’énergie * Reboisement

* Plus de temps et d’efforts sont nécessaires pour ramasser le bois de feu * Augmentation de la tâche de travail * Sources d’énergie de qualité inférieure – augmentation de la pollution intérieure

* Manque de combustibles tirés de la biomasse * Vulnérabilité du secteur de l’énergie hydroélectrique * Perturbations dans l’approvisionnement en électricité

Sécurité énergétique


Dans le contexte des changements climatiques LES FEMMES

L

Par Balgis Osman-Elasha es changements climatiques sont l’un des plus grands défis du XXIe siècle. Leurs effets varient selon les régions, les générations, l’âge, les classes sociales, les groupes de revenus et les sexes. D’après les résultats du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (giec), il est clair que les populations qui sont déjà les plus vulnérables et les plus marginalisées seront les plus touchées. Il est probable que les pauvres, principalement dans les pays en développement, seront touchés de manière disproportionnée et auront donc le plus besoin de stratégies d’adaptation pour faire face aux changements climatiques. Tant les hommes que les femmes qui travaillent dans le secteur des ressources naturelles, comme l’agriculture, en ressentiront les effets1, mais à des degrés divers. Il est de plus en plus évident que les femmes sont plus vulnérables que les hommes, en grande partie parce qu’elles représentent la majorité des pauvres dans le monde et dépendent davantage des ressources naturelles menacées. La différence entre les hommes et les femmes est également notable en ce qui concerne leurs rôles, leurs responsabilités, la prise de décisions, l’accès à la terre et aux ressources naturelles, les opportunités et les besoins2. Dans le monde entier, les femmes ont moins accès que les hommes aux ressources, telles que la terre, les crédits, les intrants agricoles, les structures de prise de décision, la technologie, la formation et les services de vulgarisation qui renforceraient leurs capacités à s’adapter aux changements climatiques3.

POURQUOI LES FEMMES SONT-ELLES VULNÉRABLES ? La vulnérabilité des femmes aux changements climatiques résulte de plusieurs facteurs sociaux, économiques et culturels. Sur le 1,3 milliard de personnes vivant dans des conditions de pauvreté, 70 % sont des femmes. Dans les régions urbaines, 40 % des ménages les plus pauvres ont une femme pour chef de famille. Alors que les femmes jouent un rôle clé dans la production alimentaire mondiale (50 à 80 %), elles détiennent moins de 10 % des terres. Les femmes représentent un ­pourcentage important des communautés pauvres qui dépen­ Balgis Osman-Elasha est chercheuse principale du Service des changements climatiques au Conseil supérieur des ressources naturelles et de l’environnement, au Soudan et l’une des principaux auteurs du quatrième Rapport d’évaluation du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat.

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dent des ressources naturelles locales pour assurer leurs moyens de subsistance, en particulier dans les régions rurales où elles portent le fardeau des responsabilités familiales comme l’approvisionnement en eau et la collecte de combustibles pour la cuisson des aliments et le chauffage, ainsi que la sécurité alimentaire. Au Proche-Orient, elles contribuent jusqu’à 50 % à la main-d’œuvre agricole. Elles sont principalement assignées à des tâches à forte intensité de travail et nécessitant plus de temps qui sont exécutées manuellement ou avec de simples outils. En Amérique latine et aux Caraïbes, la population rurale a diminué depuis plusieurs décennies. Les femmes s’occupent principalement de l’agriculture de subsistance, en particulier de l’horticulture, de l’élevage de poulets et du petit élevage pour la consommation familiale. Elles ne peuvent disposer pleinement et librement des biens et des services environnementaux; elles participent très peu à la prise de décision et sont exclues des projets de gestion de l’environnement. Elles sont donc moins aptes à faire face aux changements climatiques. Dans des conditions climatiques extrêmes, comme les périodes de sécheresse et les inondations, elles tendent à travailler plus pour garantir leurs moyens de subsistance, ce qui leur laisse moins de temps pour se consacrer à la formation et à l’éducation, au développement des compétences ou pour percevoir un revenu. En Afrique, les taux d’analphabétisation des femmes étaient de 55 % contre 41 % pour les hommes 4. Leur manque d’accès aux ressources et aux processus de prise de décision conjugués à leur mobilité limitée les contraignent à vivre dans des lieux où elles sont touchées de manière disproportionnée par les changements climatiques. Dans de nombreuses sociétés, les normes culturelles et les responsabilités familiales empêchent les femmes d’émigrer, de chercher un refuge dans d’autres lieux ou de rechercher un emploi lorsqu’une catastrophe survient. Une telle situation risque d’alourdir le fardeau qui pèse sur les femmes : elles devront, par exemple, parcourir des distances plus longues pour aller chercher de l’eau potable et du bois de feu. Dans bon nombre de pays en développement, les inégalités existent dans de nombreux domaines, tels que les droits de l’homme, les droits politiques et économiques, les droits à la propriété foncière, les conditions d’habitation, la violence, l’éducation et la santé. Les changements climatiques seront un facteur supplémentaire de stress qui aggraveront leur

Dans le monde entier, les femmes ont moins accès que les hommes aux ressources, telles que la terre, les crédits, les intrants agricoles, les structures de prise de décisions, la technologie, la formation et les services de vulgarisation qui renfor­ceraient leurs capacités à s’adapter aux changements climatiques.

balgis osman-elasha    les FEMMES Dans le contexte des changements climatiques

Il est prévu, selon plusieurs scénarios de changement climatique, qu’en Afrique les terres arides et semi-arides ­a ugmenteront de 5 à 8 % (60 à 90 millions d’hectares) d’ici à 2080. ­— GIEC


Oxfam International a signalé le nombre disproportionné de d’hommes et de femmes victimes lors du tsunami qui a frappé l’Asie à la fin de 2004. D’après cette organisation, les femmes représentent environ trois quarts des décès dans huit villages indonésiens et près de 90 % à Cuddalore, le deuxième district le plus touché en Inde. Sur les 140 000 personnes qui ont péri durant le cyclone au Bangladesh, 90 % étaient des femmes6. Dans la plupart des sociétés rurales, les femmes et les filles consacrent trois heures par jour à aller chercher de l’eau et à ramasser du bois de feu. Les sécheresses, les inondations et la désertification dues aux changements climatiques obligent les femmes à passer plus de temps à ces tâches, ce qui diminue leur capacité à participer à des activités génératrices de revenu7. Pendant les catastrophes naturelles, le nombre de décès est plus élevé parmi les femmes que parmi les hommes parce que celles-ci ne sont pas prévenues à temps, ne savent pas nager ou ne peuvent sortir de chez elles sans être accompagnées. En outre, les niveaux d’éducation bas réduisent leur capacité à accéder à l’information, comme l’alerte rapide et les ressources, ou à faire entendre leur voix. Dans certains pays, les valeurs culturelles contribuent également à la vulnérabilité des femmes. Au Bangladesh, par exemple, les femmes souffrent plus que les hommes de carences caloriques (dans une famille, les hommes ont « droit » à de plus grandes portions de nourriture et les femmes et les filles doivent se contenter des restes) et souffrent d’un plus grand nombre de problèmes pendant les catastrophes. À l’ouest du Soudan, la migration des hommes hors des régions frappées par la sécheresse augmente le nombre de ménages dont le chef de famille est une femme et donc les responsabilités et la vulnérabilité de celle-ci pendant les catastrophes naturelles. —Balgis Osman-Elasha

vulnérabilité. Par ailleurs, on sait que les conflits favorisent la violence familiale, l’intimidation sexuelle, la traite des personnes et les viols5. AMÉLIORER L’ADAPTATION DES FEMMES AUX CHANGEMENTS CLIMATIQUES Les femmes ne sont pas seulement les victimes des changements climatiques, elles peuvent aussi agir activement et efficacement et promouvoir les méthodes d’adaptation et d’atténuation. La collecte et l’entreposage de l’eau, la préservation de la nourriture et son rationnement, la gestion des ressources naturelles sont des domaines que les femmes ont traditionnellement maîtrisés. En Afrique, par exemple, les femmes âgées, détentrices de la sagesse, ont hérité du savoir traditionnel et de l’expertise liés aux alertes rapides et à l’atténuation des impacts des catastrophes. Ce savoir et cette expérience qui sont transmis de génération à génération pourront contribuer efficacement à améliorer les capacités d’adaptation locales et à maintenir les moyens de subsistance des communautés. Pour y parvenir et pour améliorer les capacités d’adaptation des femmes dans le

monde, en particulier dans les pays en développement, il importe de prendre en compte les recommandations suivantes :  Les initiatives d’adaptation devraient comprendre l’identification des impacts sexospécifiques des changements climatiques et la mise en place de mesures pour y répondre, en particulier dans les domaines liés à l’eau, à la sécurité alimentaire, à l’agriculture, à l’énergie, à la santé, à la gestion des catastrophes et aux conflits. Il importe également de prendre en compte les questions sexospécifiques importantes liées à l’accès aux ressources, notamment le crédit, les services de vulgarisation et la formation, l’information et la technologie.  Les priorités et les besoins des femmes doivent être pris en compte dans les projets de développement ainsi que pour leur financement. Les femmes devraient prendre part à la prise de décision aux niveaux national et local concernant l’allocation des ressources aux initiatives liées aux changements climatiques. Il importe également d’encourager les investissements prenant en compte la dimension sexospécifique dans les programmes d’adaptation et d’atténuation, le transfert des technologies et le renforcement des capacités.  Lorsqu’ils créent et introduisent des technologies visant à atténuer les effets des changements climatiques, les organismes de financement et les donateurs devraient aussi prendre en compte les situations propres aux femmes et faire leur possible pour éliminer les obstacles économiques, sociaux et culturels qui empêchent les femmes d’en bénéficier et de les utiliser. La participation des femmes au développement des nouvelles technologies peut donner l’assurance qu’elles sont adaptées aux besoins, appropriées et durables. Au niveau national, des efforts devraient être engagés pour intégrer la problématique hommesfemmes dans les politiques et les stratégies nationales ainsi que dans les projets liés au développement durable et aux changements climatiques.   Notes 1 OIT, 2008. Rapport de la Commission de l’emploi et de la politique sociale, des incidences du changement climatique sur la dynamique du marché du travail, quatrième point de l’ordre du jour, organe directeur, 303e session (Genève), p. 2. 2 Osman-Elasha, 2008 « Gender and Climate Change in the Arab Region », Organisation des femmes arabes p. 44. 3 Aguilar, L., 2008. « Is there a connection between gender and climate change? », Union internationale pour la conservation de la nature (UICN), Bureau du Conseiller principal pour l’égalité des sexes. 4 Rena, Ravinder et N. Narayana (2007) « Gender Empowerment in Africa: An Analysis of Women Participation in Eritrean Economy », New Delhi: International Journal of Women, Social Justice and Human Rights, vol. 2. N° 2, p. 221-237 (publication Serials). 5 Davis, I. et. al. 2005, « Tsunami, Gender, and Recovery ». 6 UICN 2004 (a), « Climate Change and Disaster Mitigation: Gender Makes the Difference ». Groupe d’experts intergouvernemetal sur l’évolution du climat, 2001. Changements climatiques : conséquences, adaptation et vulnérabilité, contribution du Groupe de travail II au troisième Rapport d’évaluation du GIEC. 7 IUCN 2004 (b), « Energy: Gender Makes the Difference ». Gender Action, 2008. Gender Action Link: Climate Change (Washington, D.C.), http://www.genderaction.org/images/Gender%20Action%20 Link%20-%20Climate%20Change.pdf Troisième Congrès mondial des femmes sur la politique et la gouvernance, 2008. Note de synthèse et document d’information pour la Conférence, Manille, Philippines, 19-22 octobre, www.capwip.org/3rdglobalcongress.htm UICN 2007, « Gender and Climate Change: Women as Agents of Change ».

chronique onu   No. 3 & 4    2009

55


L’Écologie

du

Par Marian Chertow

B 56

recyclage

ien que n’étant pas à

l’avant–garde des solutions climatiques, le recyclage des déchets, des eaux usées et de l’énergie gaspillée est un moyen efficace, disponible localement pour réduire les gaz à effet de serre. L’un de ces gaz, le méthane issu des sites d’enfouissement et des eaux usées, représente environ 90 % des émissions de gaz à effet de serre dans le secteur des déchets. Selon le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat1, 18 % des émissions de méthane sont imputables aux activités humaines dans le monde et environ 3 % aux émissions mondiales de gaz à effet de

serre. Le détournement des déchets des sites d’enfouissement et leur utilisation est donc un moyen évident et avéré de conserver les terres et les ressources, comme nous le savions depuis longtemps. Nous pouvons désormais ajouter aux nombreuses études que ces pratiques améliorent également la protection de l’environnement. S’appuyant sur des exemples du monde entier, cet article décrit les effets climatiques 1) du recyclage des déchets ménagers et de leur réutilisation, Marian Chertow est Directrice du Programme sur la politique des déchets solides, Centre d’études forestières et environnementales, Université de Yale.

MARIAN CHERTOW    L’écologie du recyclage


© ANDREAS KORNUSCH

Une réduction des chutes de pluies moyennes entraînerait la réduction de la taille des lentilles d’eau douce. Dans le Pacifique, une réduction de 10 % des précipitations moyennes (d’ici à 2050) correspondrait à une réduction de 20 % de la taille des lentilles d’eau douce à Kiribati, sur l’atoll de Tarawa. La baisse des précipitations, conjuguée à des prélèvements d’eau accrus, à l’élévation du niveau de la mer et à l’intrusion de l’eau salée qui l’accompagne, accentuerait cette menace. ­— GIEC

2) de la gestion cyclique des ressources entre des entreprises appelée « symbiose industrielle » et 3) des propositions de longue portée pour l’utilisation des ressources à l’échelle nationale. Il tire les leçons des perspectives offertes par l’écologie industrielle, un nouveau domaine axé sur le flux des matières, d’énergie et d’eau au travers des systèmes à différentes échelles, allant des produits aux usines, et des pays aux régions. Quels effets la réutilisation des ressources a-t-elle sur le climat ? La gestion cyclique de l’énergie au moyen de la cogénération, la réutilisation des déchets agricoles ou la récupération des matériaux à forte intensité d’énergie, comme l’aluminium, réduisent les émissions de gaz à effet de serre. Étant donné que la plus grande partie de l’énergie à des fins commerciales est produite à partir de combustibles fossiles, la production d’électricité émet plus de gaz à effet de serre que tout autre secteur industriel. La gestion cyclique de matériaux réutilisés dans d’autres procédés de production réduit les effets des changements climatiques en comparaison des matériaux vierges qui doivent être extraits de la terre, puis transformés au cours de nombreuses étapes. La récupération des ressources permet de libérer des terres et des capitaux qui seraient nécessaires pour fabriquer la quantité équivalente de produits à partir de ressources vierges. La gestion cyclique de l’eau signifie qu’elle est utilisée plus d’une fois, une pratique essentielle et de plus en plus urgente alors que l’eau se raréfie en raison de la baisse des précipitations causée par les changements climatiques. Pour traduire ce concept, les écologistes industriels utilisent le terme « utilité incorporée » : la quantité d’eau, d’énergie et de matériaux utilisés dans les cycles de vie d’un produit, de sa conception à sa fin de vie2. L’utilité incorporée est au cœur de l’écologie industrielle : si un produit est enfoui sous terre, ces ressources sont perdues. DÉCHETS MÉNAGERS ET RECYCLAGE Toutes les études réalisées au cours des cinq dernières années au Brésil, au Canada, en Europe ou en Asie affirment notre capacité à quantifier les émissions de gaz à effet de serre provenant des déchets ménagers au cours d’un cycle de vie. Chaque étude montre que le recyclage et la réutilisation ont des effets positifs sur la réduction des gaz à effet de serre, chronique onu    No. 3 & 4    2009

principalement par la récupération de l’énergie, de l’eau et des matériaux utilisés pour fabriquer ces produits. Ces études ont notamment porté sur les impacts « en amont » (l’étape de la production), comme les effets du remplacement des matériaux vierges par des matériaux recyclés, ainsi que sur les impacts « en aval » qui résultent de stratégies alternatives comme l’enfouissement, le compostage ou l’incinération des déchets. La somme des impacts en amont et en aval représente un double avantage pour le recyclage. Même quand les émissions produites par les camions de collecte de déchets sont prises en compte, on observe une réduction des émissions de gaz à effet de serre. L’ampleur des réductions des émissions de gaz à effet de serre et le mécanisme de réduction dans un lieu donné dépendent toutefois des matériaux spécifiques utilisés, de l’ampleur de la récupération, de la disponibilité des marchés et de la quantité de combustibles réduite grâce au recyclage des ressources. Le recyclage des métaux constitue une réelle économie d’énergie, tandis que le recyclage du papier contribue souvent aux avantages de la séquestration du carbone assurée par les forêts. Le remplacement de la production d’énergie à partir du pétrole ou du charbon, deux énergies fossiles riches en carbone, contribue davantage à la réduction des émissions que le recyclage et le remplacement de l’énergie produite par les énergies renouvelables ou l’énergie hydraulique. Lorsqu’on mesure les effets comparatifs du recyclage et de l’élimination des déchets sur le climat, il n’existe donc aucune règle universelle, mais des différences régionales. De nombreux outils existent aujourd’hui pour calculer l’impact environnemental des différentes filières de traitement des déchets solides et des matériaux. Un exemple est l’Environment Benefits Calculator du Conseil de recyclage du Nord-Est, aux États-Unis, qui évalue les avantages environnementaux dans un domaine donné en fonction du tonnage des matériaux réduits à la source, réutilisés, recyclés, enfouis ou incinérés. Cette calculatrice, un outil en format Microsoft Excel, incorpore les résultats de plusieurs études de cycle de vie à partir d’usines « typiques » et de caractéristiques de production aux ÉtatsUnis3. L’étude du Brésil évalue en détail 57


les impacts environnementaux de matériaux, comme l’aluminium, le plastique, le 4. papier, l’acier et le verrerecyclé Verre À100 l’exception mélanges de matériaux en des % de la consommation de ou des matériaux contaminés qui sont % difficiles à catégoriser ou àl’Union recycler, un vaste éventail de programmes est disponible verre dans européenne pour réduire l’impact environnemental de la gestion des déchets. Certains des programmes les Belgique plus réussis comprennent la collecte des déchets ménagers recyclables Suisse ou le dépôt dans des centres au niveau du district; l’obligation pour les résidents qui Finlande produisent une grande quantité de déchets de payer plus que ceux qui en produi90 laAllemagne sent moins; mise en place de politiques qui ont été adoptées en Europe et qui se Norvège, Suède répandent rapidement en Asie visant à renforcer le rôle des fabricants dans le renvoi des produits Autriche (responsabilité accrue du fabricant); et l’évaluation des droits et des Islande taxes sur les catégories de produits comme les pneus ou les piles, ou sur l’utilisation Japond’enfouissement. générale des sites

Papier recyclé en % de consommation de papier dans l’Union européenne

100 %

90

80

80

Allemagne, Finlande Suisse Norvège Suède

70

Japon, Pays-Bas République de Corée* Autriche

Danemark Espagne France

60

56 Moyenne de l’Union européenne 50

Royaume-Uni, Belgique République tchèque, Hongrie, Italie, Portugal Canada*, Slovaquie

40

Grèce, Irlande Pologne Islande

30

20

10

Taux de recyclage pour 2002 (sauf * 2001, ** 1999 and *** 1997). Source : Données environnementales 2004 de l’OCDE.

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0

SYMBIOSE INDUSTRIELLE Pays-Bas Alors que les gaz à effet de serre liés aux changements climatiques sont souvent Danemark causés par la concentration géographique des zones de production, leurs effets peuvent être atténués par une action menée en collaboration. La notion de « symbiose industrielle » est née de l’écologie industrielle : il s’agit d’un regroupement d’en70 proches géographiquement, qui pratiquent des échanges de matières, de treprises, République de Corée* sous-produits, d’énergie et d’eau. Cette solution est mutuellement avantageuse car les déchets d’un procédé industriel servent de matière première à un autre. Grâce à ces systèmes, les coûts de transport et les émissions sont réduits et l’utilité incorporée est conservée, permettant de réduire considérablement les émissions de gaz à effet de serre60 à l’échelle industrielle. Les cendres volantes rejetées par les centrales au charbon pour faire du ciment 59 sont un exemple de réutilisation simple mais courante d’un sous-produit industriel. Moyenne de l’Union Un spécialisteFrance britannique a estimé qu’il y avait 600 millions de tonnes de cendres européenne volantes dans le monde en 20005. Chaque tonne de cendres volantes utilisée dans la fabrication duItalie ciment de Portland présente un double avantage : non seulement une tonne de50ce matériau Irlande est détournée du site d’enfouissement en aval, mais en supposant que les distances de transport sont raisonnables, près d’une tonne de dioxyde de carbone est également éliminée en amont6. Pourtant, dans le cas des États-Unis par exemple, plus de 50 % des cendres volantes sont toujours déversées dans des sites d’enfouissement7. Au niveau d’une région industrielle, les cas d’échanges de sous-produits entre 40 entreprises sont nombreux. Le plus connu comprend plus d’une vingtaine d’échanges mis en œuvre entre huit entreprises membres et de nombreuses autres opérations Espagne auxiliaires à Kalundborg, au Danemark. Les principaux partenaires sont une raffiPortugal nerie de pétrole, une centrale électrique, une usine de panneaux en gypse, une usine pharmaceutique et un fabricant d’enzymes. Ils partagent les eaux souterraines, les eaux de 30 surface, les eaux usées, la vapeur et le pétrole et échangent également une variété de sous-produits comme les cendres volantes et le gypse synthétique qui Grèce servent de matières premières dans d’autres procédés8. Royaume-Uni***

20

La notion de « symbiose industrielle » est née de l’écologie industrielle : il s’agit d’un regroupeHongrie** ment d’entreprises, proches géographiquement, 10 qui pratiquent des échanges de matières, de sousproduits, d’énergie et d’eau. Cette solution est mutuellement avantageuse car les déchets d’un 0 procédé industriel servent de matière première à un autre. MARIAN CHERTOW    L’écologie du recyclage


La gestion cyclique de l’eau signifie qu’elle est Papier recyclé en % de consommation de utilisée plus d’une fois, une pratique essentielle 100 % et papier dans l’Union européenne de plus en plus urgente alors que l’eau se raréfie en raison de la baisse des précipitations causée par les changements climatiques. 90

Verre recyclé 100 %

en % de la consommation de verre dans l’Union européenne Belgique Suisse Finlande

90

Allemagne Norvège, Suède Autriche Islande

Cette pratique est encore plus développée à Tianjin, en Chine où un réseau de 80 échanges de matériaux, d’énergie et d’eau entre les entreprises a été 80 mis en œuvre dans la Zone de développement économique et technologique de Tianjin (TEPA) qui comprend plus de 60 entreprises internationales figurant dans la liste Fortune 5009. Les analyses préliminaires effectuées à TEFA indiquent une réduction importante des gaz à effet de serre par la récupérationAllemagne, de l’énergie issue du traitement Finlande des déchets et les utilisations séquentielles de l’énergie (comme le recyclage de la 70 Suisse condensation), la réutilisation de l’eau et des économies de transport, car au lieu Norvège d’être expédiées par bateau sur de longues distances, ces matières Suède circulent sur de courtes distances. Le personnel du Programme national dePays-Bas la symbiose industrielle Japon, (NISP) financé par le Gouvernement britannique utilise régulièrement les facteurs République de Corée* de conversion disponibles afin d’évaluer les impacts environnementaux de chaque Autriche 60 échange industriel qu’ils négocient entre les parties. Au cours des quatre dernières années, le NIPS a permis de détourner plus de cinq millions de tonnes de déchets des sites d’enfouissement, d’économiser près de huit millions de tonnes56de matériaux Danemark Moyenne vierges au Royaume-Uni, tout en éliminant plus de cinq millions de tonnes d’émisde l’Union sions de carbone dans l’ensemble de son réseau industriel10Espagne . européenne France

50

PROPOSITIONS DE LONGUE PORTÉE Royaume-Uni, Belgique Compte tenu des avantages que présentent la réduction à la source, la réutilisatchèque, Hongrie,options de traitetion et le recyclage pour l’environnement République par rapport aux autres Italie, Portugal ment des déchets, il n’est pas surprenant que certains gouvernements envisagent de mettre en œuvre ces initiatives à l’échelle nationale. L’Allemagne et le Japon ont été Canada*, Slovaquie les premiers pays à adopter une loi pour encourager des entreprises 40 orientées vers le recyclage. En 1994, l’Allemagne a voté la « loi sur la gestion des déchets en cycle fermé et l’élimination des déchets compatible avec l’environnement » en vue d’asGrèce, Irlande surer la conservation des ressources naturelles et l’élimination propre des déchets11. Pologne En 2000, le Japon a promulgué la « loi fondamentale pour la création d’une société fondée sur le recyclage propre des matériaux12 » et, en 2003, aIslande établi le30« Plan fondamental pour la création d’une société fondée sur le recyclage des matériaux » afin de réduire le volume de déchets produits et augmenter les emplois dans les entreprises qui encouragent le recyclage et la réutilisation des matériaux. Le Japon a également proposé à la communauté internationale son « Initiative des R » afin de promouvoir une politique fondée sur les 3 R « réduire, réutiliser et recycler » qui a été adoptée au 20 Sommet du G8 de 2004. Plus récemment, la Chine a promulgué, à compter du 1er janvier 2009, la « loi pour la promotion de l’économie circulaire », une mesure progressive et de longue portée fondée sur la nécessité d’équilibrer la croissance économique rapide de la Chine et la dégradation de l’environnement. L’« économie circulaire » est définie 10 d’une manière exhaustive dans la loi se référant à la réduction, à la réutilisation et au recyclage des ressources pendant les procédés de production, de circulation et de consommation.

Japon 80 Pays-Bas Danemark

70

République de Corée*

60

59 Moyenne de l’Union européenne

France Italie

50

Irlande

40 Espagne Portugal

30 Grèce Royaume-Uni***

20

Hongrie** 10

Taux de recyclage pour 2002

DES QUESTIONS À DÉBATTRE (sauf * 2001, ** 1999 and *** 1997). Il est important de ne pas perdre de vue si la gestion déchets est imporSource : Donnéesque environnementales 2004 dedes l’OCDE. 0 tante pour l’environnement, de nombreuses autres questions liées aux déchets le sont tout autant, comme la pollution, la qualité de l’eau aux sites de traitement des déchets, la dégradation des terres et la pénurie des ressources. Dans les pays les chronique onu    No. 3 & 4    2009

0

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moins développés où la récupération des déchets est une activité importante de l’économie informelle souvent très organisée, la gestion des déchets soulève de nombreuses questions sociales, économiques et de santé publique. Selon une étude de McKinsey & Company, les impacts environnementaux du secteur des déchets devraient néanmoins augmenter de 20 % d’ici à 2030. En ce qui concerne la réduction, 60 % du potentiel de réduction de ces augmentations pourraient être atteints par le recyclage13. Historiquement, les augmentations du volume des déchets sont statistiquement liées au produit intérieur brut par habitant : plus l’économie est dynamique, plus il y a de déchets. Certains pays ont cependant réussi à dissocier croissance économique et déchets. Même dans les sociétés riches, un nombre réduit de sites d’enfouissement signifie un plus grand nombre d’activités de réduction, de réutilisation et de recyclage qui, à leur tour, réduisent les impacts environnementaux. Les premières études sur les « emplois verts » indiquent que le recyclage et le compostage créent plus d’emplois que l’élimination des déchets, offrent des opportunités de formation, d’emploi et de nouveaux investissements dans la prochaine génération de technologies de recyclage des déchets. Les avantages en cascade apportés par la technologie et l’innovation pour conserver et réutiliser les matériaux, l’eau et l’énergie sont de plus en plus nombreux et pourront contribuer significativement à réduire l’impact environnemental des déchets.   Notes 1 Bogner, J.E., 2007. « Atténuation des émissions mondiales de gaz à effet de serre par la gestion des déchets : conclusions et stratégies du quatrième Rapport d’évaluation du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC). Groupe travail III (Atténuation) », Waste Management & Research, 26 (1), pp 11-32. 2 Graedel, T. E and Allenby,B. Industrial Ecology, 2e édition: (New Jersey, Prentice Hall, 2002) 3 Voir:http://www.nerc.org/documents/environmental_benefits_calculator.html#whatinfo 4 Pimenteira, C., 2004, « Energy conservation and CO2 emission reductions due to recycling in Brazil », Waste Management, 24 (9), pp 889-897. 5 Tenenbaum, D.J., 2007. « Recycling: Building on Fly Ash Waste”, Environmental Health Perspectives, vol. 115, n° 1, jan 01. En comparaison, selon US EPA, 600 millions de tonnes représentent approximativement deux fois la quantité de déchets solides produits au niveau municipal chaque année aux États-Unis. 6 O’Brien, K. et al, 2009, « Case Study Reducing GHG Emissions from the Concrete Industry », The International Journal of Life Cycle Assessment; Springer. 7 American Coal Ash Association, 2008, 2007 Coal Combustion Product (CCP) Production & Use Survey Results (Revised), septembre 2009. 8 Institut de la symbiose, Kalundborg, Danemark, www.symbiosis.dk 9 Shi, H. et M. Chertow, 2009. « Developing Country Experience in EcoIndustrial Parks: a Case Study of the Tianjin Economic-Technological Development Area in China. » Document de travail. Yale Center for Industrial Ecology. 10 National Industrial Symbiosis Programme, http://www.nisp.org.uk/ 11 “Kreislaufwirtschafts–und Abfallgesetz–KrW-/AbfG.” Federal Law ­Gazette (BGB l) I 1994, 2705 12 La loi pour créer une société fondée sur le recyclage propre des matériaux, loi n° 110 de 2000, Japon, parfois traduit par « Société fondée sur le recyclage ». 13 McKinsey & Company, 2009, Pathways to a Low-Carbon Economy.

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La prise de conscience d’un étudiant

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’ai pris conscience de l’impact environnemental le jour où, montant l’escalier qui mène au dortoir de la fac, affublé de ma panoplie de bouteilles d’eau, de Gatorade et de thés froids, j’ai vu une affiche. Elle décrivait les quantités importantes de pétrole utilisée par l’industrie des boissons dans la fabrication, le transport et la réfrigération des bouteilles en plastique. Cela m’a servi d’avertissement et m’a incité à préparer un diplôme de maîtrise en études environnementales. Un mode de vie plus écologique ne signifie pas nécessairement l’abandon de notre mode de vie actuel. Je sais qu’en tant qu’êtres humains, nous sommes attachés à notre petit confort, qu’il s’agisse de la conduite de voitures ou de gadgets électroniques, mais chaque changement dans notre mode de vie peut contribuer à réduire l’impact que nous avons sur l’environnement. Voulons-nous vraiment laisser comme héritage des millions de tonnes de plastique faisant deux fois la taille de la France charriées par les courants océaniques dans le Pacifique et dont aucun gouvernement ne veut se charger ? Ou la destruction de la faune et de la flore causée par la combustion des combustibles fossiles, l’exploitation forestière, les activités minières et autres modifications physiques de l’environnement ? Ou bien des montagnes de déchets qui ne se désintègreront pas avant des générations ? Les hommes ont fait des progrès remarquables au cours de l’histoire, mais aujourd’hui nos actions ont un impact plus grand et plus rapide que jamais sur l’environnement. Alors qu’il est indiscutable que de nombreuses avancées nous ont été bénéfiques, nous devons apprendre à créer des technologies qui soient respectueuses de l’environnement. Ce n’est pas la fameuse publicité télévisée américaine « Don’t Litter » qui m’a fait prendre conscience des problèmes environnementaux, mais la quantité de plastique que j’utilisais. Cette affiche m’a incité à abandonner les bouteilles en plastique et à utiliser une canette en acier recyclable que je peux remplir à tout moment (et comme ma famille et ma petite amie peuvent en témoigner, je l’ai avec moi où que j’aille) et à commencer mon programme de maîtrise en études environnementales. Les motivations peuvent être multiples, mais je pense sincèrement que chaque personne doit trouver ce qui la motive le plus à s’occuper de cette planète, parce que sinon nous n’aurons rien à léguer aux générations futures. Je veux contribuer aux efforts et sensibiliser mes pairs pour qu’ensemble nous sauvions notre environnement.

Alejandro Frischeisen est titulaire d’une licence en histoire militaire au Darmouth College et termine actuellement sa maîtrise en études environnementales à l’Université d’Adelphi, à New York. Il est également pompier volontaire et entraîneur volontaire de football pour la Police Athletic League à Garden City Park, à New York, où il vit.

MARIAN CHERTOW    L’écologie du recyclage


Pour des emplois

plus verts Par Juan SomavÍa

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ors de cette dernière phase des négociations relatives au changement climatique, les négociateurs se sont fixé pour tâche de définir un ensemble d’engagements qui compteront parmi les plus complexes que la communauté internationale se soit jamais assignés. Cet objectif est un plan ambitieux qui peut contribuer dans le peu de temps qu’il nous reste à prévenir les changements climatiques dangereux. Un tel accord favorisera la réorientation des investissements, facilitera le transfert des technologies et mobilisera des milliards de dollars pour aider les pays en développement à faire face au changement climatique. Les représentants du monde du travail – les employeurs, les travailleurs et les gouvernements, dont l’Organisation internationale du Travail (oit) est l’espace de dialogue – sont loin de sous-estimer l’ampleur du défi à relever à Copenhague. Ils tiennent cependant à faire savoir aux dirigeants du monde qu’ils sont prêts à affronter les difficultés qui se profilent, sachant que les mesures ambitieuses qui seront prises entraîneront de profondes transformations dans le monde du travail et les structures de l’emploi. CHANGEMENTS CLIMATIQUES ET EMPLOIS PENDANT LA CRISE ÉCONOMIQUE L’année dernière, les vives préoccupations suscitées par la question de l’emploi et la situation de l’économie ont menacé d’éclipser d’autres priorités, et cela risque de perdurer. Grâce à l’action décisive et concertée des gouvernements, les marchés montrent des signes de reprise, mais les revenus, les emplois et le moral des ménages sont en berne. Une étude de l’oit portant sur 53 pays indique que le taux de chômage a augmenté de 23,6 % entre mars 2008 et mars 20091. Avec l’entrée de 45 millions de demandeurs chaque année sur le marché du travail, 300 millions de nouveaux emplois devront être créés d’ici à 2015 pour retrouver les taux de chômage d’avant la crise. L’impact de la crise sur la pauvreté est même plus important. Les Nations Unies estiment qu’en raison de la crise, 73 à 103 millions de personnes continueront de vivre dans la pauvreté ou tomberont dans la pauvreté2. Il est toutefois hors de question d’attendre que les économies et les marchés du travail aillent mieux pour nous atteler à la question du changement climatique. Il nous faut aborder de front les deux problèmes que sont la crise de l’emploi et le changement climatique. En fait, le changement climatique et la crise de l’emploi ont des origines communes. Nous avons trop mis l’accent sur l’économie, en particulier

sur le secteur financier, et n’avons pas suffisamment prêté attention aux dimensions sociales et environnementales du développement durable. Il faut donc rétablir l’équilibre. UN PACTE MONDIAL POUR L’EMPLOI Les gouvernements, les employeurs et les organisations de travailleurs des 183 pays membres de l’oit ont souligné ce point en juin 2009, lors de la Conférence internationale du Travail, lorsqu’ils ont élaboré une réponse à la crise économique. Ils ont adopté un Pacte mondial pour l’emploi 3 qui plaide pour un changement vers une économie à faibles émissions de carbone, plus respectueuse de l’environnement dans le cadre d’un ensemble de politiques concrètes et cohérentes qui accélérera la reprise de l’emploi, améliorera les revenus et favorisera la croissance durable des entreprises et des économies. Il est possible d’exploiter les possibilités qu’offrent la crise de l’emploi et la crise économique pour œuvrer à la mise en place d’économies axées sur la réduction des émissions de carbone, un taux d’emploi élevé et la réduction de la pauvreté. Les mesures environnementales comprises dans les plans de relance à court terme ainsi que les politiques à long terme adoptées dans un nombre accru d’économies industrialisées, émergentes et en développement montrent que les initiatives axées sur la croissance économique et les mesures relatives au changement climatique sont susceptibles de se renforcer mutuellement. Les mesures destinées à réduire les émissions de gaz à effet de serre et à atténuer les changements climatiques peuvent aider les pays, quel que soit leur stade de développement, à créer des millions d’emplois verts dans divers domaines, comme la recherche et l’efficacité énergétique dans les bâtiments, le secteur industriel et les transports, l’agriculture et la foresterie et l’adoption d’énergies renouvelables ayant une faible empreinte carbone. Les pays en développement et émergents peuvent même franchir plusieurs étapes à la fois et adopter directement des technologies et des infrastructures propres du XXIe siècle. Les bénéfices que l’on peut escompter de la création d’emplois verts et d’entreprises plus respectueuses de l’environnement excèdent largement les pertes ou les transformations appelées à se produire dans les secteurs les plus polluants. Cette idée commence à faire son chemin et à donner lieu à des mesures concrètes. À la réunion de Pittsburgh, les dirigeants du G20 sont convenus de placer l’emploi au cœur de la reprise d’une économie mondiale plus verte, plus durable et mieux équilibrée. L’oit estime que les capacités budgétaires discrétionnaires dans les pays du G20, conjuguées aux

Juan SOmAvÍa est Directeur général de l’Organisation internationale du Travail.

chronique onu   No. 3 & 4    2009

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stabilisateurs automatiques comme les indemnités de chômage, auront créé ou sauvé entre 7 à 11 millions d’emplois en 2009, dont une proportion importante seront des emplois verts qui aideront à réduire les émissions de gaz à effet de serre et autres impacts environnementaux. Une étude de l’oit sur les réponses des gouvernements à la crise a indiqué que de nombreux pays ont inclus les emplois verts dans leurs mesures de soutien à la reprise en augmentant, par exemple, les investissements dans l’infrastructure et l’efficacité énergétique. Dans le cadre du nouvel accord vert mondial conclu par la République de Corée, près d’un million d’emplois verts ont été créés ou maintenus en 2009/2010 avec un investissement de 30,7 milliards de dollars. Aux États-Unis, 500 millions de dollars ont été investis à la formation des travailleurs aux emplois verts. La Chine a le plan de relance le plus vert qui pourrait créer environ 3,7 millions d’emplois au cours des deux prochaines années. Il faut amener un plus grand nombre de pays à participer aux efforts, mais il existe des possibilités et une demande. Aussi importants que puissent être certains d’entre eux, les investissements consacrés à la composante environnementale de la reprise ne sont que l’amorce d’un programme de transformations structurelles appelé à se poursuivre à long terme. Il

emplois et des revenus. On pourrait utiliser à cette fin des outils comme les mesures d’atténuation au niveau national (nama) et les plans d’action nationaux pour l’adaptation (napa), tout en prévoyant les capitaux et les dispositifs institutionnels nécessaires pour assurer la mise en œuvre d’un nouvel accord.

En fait, le changement climatique et la crise de l’emploi

ont des origines communes. Nous avons trop mis l’accent sur l’économie, en particulier sur le secteur financier, et n’avons pas suffisamment prêté attention aux dimensions sociales et environnementales du développement durable. Il faut donc rétablir l’équilibre. faudra déployer des efforts importants et soutenus pour sortir définitivement de la crise, assurer une reprise, une croissance et un développement durables et permettre à tous les pays de créer des emplois productifs et décents pour tous, de vaincre la pauvreté et de préserver l’environnement. PARVENIR À UN ACCORD SUR LE CLIMAT Grâce à un ensemble de politiques cohérentes, fondées sur un accord international global, tous les pays seront en mesure d’œuvrer au développement durable et de promouvoir l’équité, tant à l’intérieur de leurs frontières que dans leurs relations internationales. Le transfert des ressources jouera à cet égard un rôle important en permettant d’aider les pays en développement à investir dans un mode de croissance compatible avec de faibles émissions de carbone. À l’aide d’une telle approche, les investissements et les bénéfices auront beaucoup plus de chances de profiter à ceux qui en ont le plus besoin, en particulier les pauvres et les groupes vulnérables. C’est aussi la garantie d’une certaine équité pour ceux à qui la nécessité de s’adapter au changement équitable demandera les plus gros efforts ainsi que pour ceux à qui le passage à une économie à faibles émissions de carbone risque de coûter leur emploi. Ces éléments seront vitaux. Les synergies ne sont pas instantanées. Des politiques cohérentes et des stratégies intégrées seront nécessaires pour assurer la transition vers une économie sobre en carbone et créer des 62

Le dialogue social de l’oit avec les entreprises et les syndicats joue un rôle capital pour l’élaboration de politiques cohérentes et efficaces durant la période de transition. Un accord sur le changement climatique tenant compte des transformations économiques et sociales que ce dernier suscitera et mobilisant tous les acteurs concernés peut contribuer à la mise en place d’une économie mondiale durable, plus équitable et ayant davantage à cœur la protection de l’environnement. Au travers de l’Initiative pour des emplois verts et le programme global de l’oit le monde des travailleurs contribue activement à atteindre ce but. L’accord qui sera établi à Copenhague en décembre 2009 ne constituera, bien sûr, que la première étape d’un long parcours. L’oit attend avec intérêt de pouvoir participer au travail de suivi qui permettra à cet accord de porter véritablement ses fruits.   Notes 1 OIT Septembre 2009. Protéger les personnes, promouvoir l’emploi. Étude des mesures pour l’emploi et la protection sociale prises par les pays en réponse à la crise économique mondiale. OIT, Genève. 2 Nations Unies 2009. Situation et perspectives de l’économie mondiale 2009. ONU, New York. 3 Voir : http://www.ilo.org/wcmsp5/groups/public/---ed_norm/---relconf/ documents/meetingdocument/wcms_108456.pdf

JUAN SOMAVÍA    Pour des emplois plus verts


©MERNYÓ FERENC/BUDAPEST, HUNGARY

INNOVATIONS FINANCIÈRES et MARCHÉS DU CARBONE

Par Graciela Chichilnisky

Une extension du Protocole de Kyoto peut permettre aux pays industriels et aux pays en développement de sortir de l’impasse

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LE POINT DE NON-RETOUR

our la première fois dans l’histoire, les activités humaines ont des conséquences sur la planète qui peuvent mettre en danger ses systèmes de base essentiels à la vie. Ces activités transforment rapidement l’atmosphère de la planète, ses étendues d’eau et la variété des espèces vivantes. Les émissions de dioxyde de carbone et d’autres gaz à effet de serre causées par les activités anthropiques ont changé l’atmosphère de la Terre, entraînant un changement climatique potentiellement catastrophique qui peut menacer la survie de la civilisation humaine. C’est une réalité et un phénomène qui se produisent sous nos yeux. Alors que les calottes polaires et le permafrost au Groenland commencent à fondre, le niveau de mer augmente. En Alaska, des villes entières sont submergées par les eaux. Des espèces comme chronique onu    No. 3 & 4    2009

l’ours polaire sont en voie d’extinction. Des États insulaires comme les Seychelles et des pays à faible élévation comme le Bangladesh risquent de disparaître dans l’océan. Et des centaines de millions de personnes pourraient connaître le même sort. On estime qu’il y aura 50 millions de « réfugiés environnementaux » d’ici à 2010 et plus de 200 millions d’ici à 2050 – soit une personne sur 45 1. Graciela Chichilnisky est professeur d’économie et de statistiques à l’Université de Columbia.

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En juin 2009, l’Assemblée générale de l’ONU a invité le Conseil de sécurité de l’ONU à intensifier ses efforts pour faire face au changement climatique et à ses conséquences possibles sur la sécurité2. Dans à peine 20 ans, nous pourrions avoir atteint le point de non-retour. Nous sommes à un point crucial de l’histoire de l’humanité. Dans cet article, j’expliquerai ce que nous devons faire dès maintenant pour prévenir les dégâts importants et irréversibles causés à notre planète et à ses systèmes essentiels à la vie. Le Protocole de Kyoto, le seul accord international qui vise à promouvoir des mesures pour atténuer les risques climatiques, expire en 2012. Son sort sera décidé à la Conférence sur les changements climatiques de l’ONU qui aura lieu en décembre de cette année à Copenhague, qui pourrait bien être l’événement le plus important de l’année 2009. J’expliquerai ce que nous pouvons faire pour résoudre la crise

Les nations en développement ­comptent 80 % de la population mondiale, mais produisent seulement 40 % des émissions mondiales, alors que les pays riches ­comptent 20 % de la population mondiale et produisent 60 % des émissions mondiales. climatique dans des termes concrets et comment Copenhague offre une chance de sortir de l’impasse entre les pays industriels et les pays en développement. Je proposerai deux solutions concrètes et réalisables qui s’appuient sur la législation existante en vigueur, l’extension du marché du carbone du Protocole de Kyoto et son Mécanisme pour un développement propre (mdp). Ces deux propositions peuvent combler le fossé qui existe entre les pays riches et les pays pauvres. Elles prévoient des mécanismes financiers et technologiques et ont suscité une réaction positive dans divers pays comme la Chine, 64

l’Inde et les États-Unis; elles prennent en compte les demandes faites par les pays en développement à la récente réunion du Groupe des huit pays les plus industrialisés (G8) en juillet 2009; et elles ont été accueillies favorablement à la Réunion d’experts sur le commerce et le changement climatique organisée par la Conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement (cnuced) à laquelle ont participé 100 nations et membres de la Conven­ tion-Cadre des Nations Unies sur les changements climatiques (ccnucc), en avril 20093. Copenhague pourrait marquer le début d’une guerre froide entre les plus grandes économies mondiales, comme la Chine et les ÉtatsUnis, ou ouvrir la voie à la coopération internationale qui pourrait être bénéfique à toutes les nations. LE CYCLE DU CARBONE ET LE PROTOCOLE DE KYOTO Le changement climatique est une question mondiale qui nécessite une solution mondiale. Le carbone dans l’atmosphère est uniforme sur le globe et est produit par toutes les nations. On pourrait le comparer à une loi physique qui ne dépend pas des économies et des politiques. Alors que le niveau de la mer augmente, aucun pays n’est à l’abri. Selon l’Organisation de coopération et de développement économiques (ocde), Miami, en Floride, est l’une des villes la plus menacée au monde par le réchauffement climatique, avec des dégâts s’élevant à 3,1 milliards de dollars, suivi par Shanghai, avec 2,3 milliards de dollars. Alors que beaucoup continuent de nier l’impact de l’homme sur le changement climatique, les représentants des 192 États Membres de l’ONU tentent d’élaborer une solution. Le Protocole de Kyoto, signé par 160 nations en 1997, est un accord historique fondé sur la création d’un système d’échanges de permis d’émissions. Un des aspects importants est qu’il vise à réduire les émissions produites par les nations riches qui sont responsables de la majorité des émissions mondiales et à trouver une solution rapide en changeant les valeurs du marché de sorte que les émissions de carbone deviennent coûteuses alors que les technologies propres et le développement permettent de réaliser des bénéfices.

Le Protocole de Kyoto est le premier accord mondial fondé sur la création d’un marché mondial, une solution qui change la valeur des biens communs mondiaux. Pour la première fois dans l’histoire, nous avons recours à des mesures financières innovantes pour assurer la conservation des biens communs de la planète et la survie de nos espèces. Près de 100 % de toutes les espèces ont disparu. Notre défi doit être l’exception, et non la règle. Il aura fallu 13 ans pour négocier le Protocole de Kyoto et le ratifier. Après avoir travaillé pendant 25 ans avec le système de l’ONU et été l’une des personnes à concevoir l’idée d’un marché du carbone, je sais comment ce Protocole est né, connais les principaux protagonistes et les questions actuelles qui pourraient le faire échouer4. Une plus grande coopération entre les pays en développement et les pays occidentaux, la réduction des écarts entre les revenus et la recherche de solutions à la crise climatique sont essentielles à la survie de l’accord de Kyoto et à celle de la Terre telle que nous la connaissons. Le fossé grandissant entre les riches et les pauvres n’est pas un aspect accessoire de cette situation. Il en est la cause profonde. Il est l’une des causes de l’utilisation non durable des ressources naturelles5. Le sort du Protocole de Kyoto sera décidé en décembre de cette année à Copenhague. Le dernier et le plus important bastion d’opposition, la Chambre des représentants des ÉtatsUnis, est tombé soudainement en été 2009, approuvant la limite des émissions et la législation sur le système des émissions et d’échange de droits d’émissions. À première vue, la survie du Protocole semblait peu plausible – un long chemin semé d’embûches, qui rappelle Rocky II. Pourtant, malgré sa performance héroïque, il est aujourd’hui en fin de course. On estime généralement que les chances de trouver un accord à Copenhague sont de plus en plus compromises. Des changements modestes dans le marché du carbone de Kyoto pourrait changer les règles sur lesquelles l’accord de Copenhague sera négocié, améliorant les chances de parvenir à des résultats positifs qui soient avantageux pour les États-Unis, l’Union européenne et le Japon tout en étant acceptables pour le Brésil, la Chine, l’Inde et le Mexique ainsi que pour tous les pays

graciela chichilnisky   INNOVATIONS FINANCIÈRES ET MARCHÉS DU CARBONE


en développement, et qui répondent en même temps aux besoins des petits États insulaires en développement (peid) dont la survie est directement en jeu. Les pays pétroliers pourraient tirer profit de l’innovation technologique que je propose –l’Arabie saoudite a pris l’engagement de devenir le leader de l’énergie solaire au cours du XXIe siècle 6 . Fait important, à la Réunion d’experts de la cnuced sur le commerce et le changement climatique en avril 2009, un représentant de la délégation chinoise a officiellement approuvé cette proposition de principe et plusieurs membres du Congrès américain ont exprimé leur soutien. COPENHAGUE : LE « DERNIER ARRÊT » La capitale danoise est le dernier arrêt sur le chemin semé d’embûches depuis que le Protocole est devenu une loi internationale en 2005. Les quelques tentatives de faire avancer les négociations se sont soldées par des échecs. Les deux pays les plus pollueurs – les ÉtatsUnis et la Chine – ne s’accordent pas sur la limite des émissions, et les perspectives sont peu encourageantes. Chaque nation a des raisons de s’atermoyer : aucun pays ne veut être le seul à réduire les émissions de carbone. Le réchauffement climatique est le premier problème mondial auquel

Le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) a été créé conjointement en 1988 par le Programme des Nations Unies pour l’environnement et l’Organisation météorologique mondiale. Le GIEC réunit les plus grands scientifiques dans tous les domaines pertinents, dégage une synthèse de la littérature scientifique publiée et procède à une évaluation faisant autorité à propos de l’état des connaissances relatives au changement climatique. Il élabore des rapports périodiques sur les informations scientifiques, techniques et socio-économiques pertinentes qui sont nécessaires pour mieux comprendre les risques liés au changement climatique, ses conséquences possibles et envisager d’éventuelles stratégies d’adaptation et d’atténuation.

nous faisons face, et aucune solution ne sera possible à moins que chaque nation ne participe. En brûlant ses combustibles fossiles, l’Afrique pourrait contribuer involontairement à l’élévation du niveau de la mer et à la fonte des calottes polaires et causer des dégâts aux ÉtatsUnis de l’ordre de milliards de dollars. Aucun pays n’est à l’abri – nous devons tous coopérer. À Copenhague, les négociateurs seront des diplomates sophistiqués qui ne vont pas prendre de risques. Sans la ferme volonté affichée de s’entendre, aucun accord ne sera possible. Le Mandat de Berlin en 1995 a débouché sur l’engagement des pays à conclure un accord, puis a conduit au Protocole de Kyoto en 1997. En 2007, la Conférence de l’ONU sur les changements climatiques qui s’est tenue à Bali a conclu que la conférence de 2009 à Copenhague devra s’atteler à l’après-Kyoto 2012. Dans ce contexte, Copenhague, c’est maintenant ou jamais. La Conférence pourrait donner une nouvelle impulsion à des négociations entre les États-Unis et la Chine et, plus généralement, entre les pays riches et les pays pauvres. La quantité d’émissions de gaz à effet de serre que ces deux pays produisent dans l’atmosphère pourrait avoir des conséquences dévastatrices dans le monde entier. Les États-Unis ne veulent pas limiter leurs émissions à moins que la Chine ne le fasse. Or, le Protocole n’impose pas aux pays en développement de réduire les émissions sans recevoir de compensation7. C’est là que l’environnement devient un enjeu géopolitique. Les nations en développement ont besoin de l’énergie pour vaincre la ­pauvreté, et 89 % de l’énergie mondiale sont dérivés des combustibles fossiles. Plus de 50 % de la population mondiale vivent avec moins de deux dollars par jour et 1,3 milliard de personnes survivent avec moins d’un dollar par jour. Les nations en développement comptent 80 % de la population mondiale, mais produisent seulement 40 % des émissions mondiales, alors que les pays riches comptent 20 % de la population mondiale et produisent 60 % des émissions mondiales. Les pays pauvres ne peuvent pas se permettre de réduire leur consommation d’énergie et de compromettre leur croissance économique qui est essentielle pour éradiquer la pauvreté. chronique onu    No. 3 & 4    2009

Quelles que soient nos sympathies politiques, la dure réalité est, comme l’ont fait remarquer les conservateurs du Sénat américain, qu’il ne sert à rien que les États-Unis et les autres pays riches soient les seuls pays à réduire leurs émissions. Si les pays en développement émettent aujourd’hui le moins d’émissions, dans 20 ou 30 ans, alors qu’ils se seront développés, ce sont eux qui posséderont les cartes maîtresses sur le réchauffement climatique. Il s’agit sans aucun doute d’une course à la mort : nous jouons maintenant avec le métabolisme de la planète et personne n’est à l’abri, alors que le niveau de la mer monte. Le bras de fer engagé entre les États-Unis et la Chine rappelle la guerre froide entre l’Union soviétique et les États-Unis au XXe siècle. Ces deux pays refusaient de limiter leur arsenal nucléaire à moins que l’autre ne s’engage à le faire en premier. Les époques sont différentes, les armes aussi, mais la situation est identique. LES DEUX FACES D’UNE MÊME MÉDAILLE Le marché du carbone que j’ai conçu et incorporé au Protocole de Kyoto est essentiel. Chaque année, 60 milliards de dollars sont investis dans le système d’échange de quotas d’émissions (ets) de l’Union européenne et servent à financer des technologies propres et à apporter une aide financière pour promouvoir un développement durable. Cela constitue le point de départ d’une solution. Les nations en développement ne participent pas au marché du carbone parce qu’aucune limite d’émissions ne leur est imposée, mais ils utilisent le MDP qui compense (avec les crédits de carbone) les investissements privés par les pays industriels qui réduisent les émissions. Selon la Banque mondiale, les transferts de technologies propres et productives ont dégagé plus de 23 milliards de dollars. Jusqu’ici, la Chine a reçu plus de 60 % du financement des projets mdp, 65


parce que le mdp est conçu pour réduire les émissions et la Chine, le pays qui émet le plus d’émissions, doit réduire une grande quantité d’émissions. L’Afrique n’étant responsable de seulement 3 % des émissions mondiales et ayant donc peu d’émissions à réduire, elle ne reçoit qu’un financement limité. La même chose pour l’Amérique latine. Cela doit changer. Comment pouvons-nous parvenir à un consensus entre les pays industriels et les pays en développement ? Leurs intérêts sont si opposés qu’il faut rechercher une solution qui soit une médaille à deux faces, qui satisfasse les intérêts des uns et des autres. Est-ce possible ? Oui. Nous y sommes parvenus à Kyoto quand le marché du carbone est devenu une médaille a deux faces qui a permis la signature du Protocole de Kyoto par 160 nations. Le marché du carbone vise à limiter les émissions des pays riches et a donc été soutenu par les pays en développement. Toutefois, ce marché offre une grande flexibilité, car certains pays peuvent dépasser leurs limites et acheter des droits d’émissions à d’autres pays qui émettent moins de carbone – pour que les pays du monde mettent en œuvre des réductions importantes et nécessaires. La souplesse du marché a intéressé les États-Unis et

L’effet de gaz à effet de serre a été décrit pour la première fois par un chercheur suédois, Svante Arrhenius, à la fin des années 1800. Il aura toutefois fallu attendre le siècle suivant pour que sa théorie soit prise en compte. Dans les années 1930, des scientifiques ont remarqué qu’a u cours des dernières 50 ans du siècle précédent, les températures avaient augmenté dans certaines régions du globe. Puis dans les années 1960, les scientifiques ont découvert que le niveau de dioxyde de carbone augmentait dans l’atmosphère. Les chercheurs ont commencé à se pencher sur la question et ont remarqué la relation étroite qui existait entre l’a ugmentation des niveaux de dioxyde de carbone et celle des températures mondiales moyennes.

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les autres pays industrialisés. C’est ainsi que le Protocole est né en 1997. Est-il possible aujourd’hui d’élaborer une solution similaire ? Il nous faut les deux faces d’une même médaille. C’est la seule solution possible qui s’ouvrira à nous à Copenhague. Voilà ce que je propose. CONSENSUS ENTRE LES NATIONS INDUSTRIELLES ET LES NATIONS EN DÉVELOPPEMENT Il s’agit d’une formule qui utilise la propre structure du Protocole de Kyoto et l’améliore pour surmonter les obstacles et forger un consensus entre les pays riches et les pays pauvres.

Copenhague, c’est le moment ou jamais d’agir. L’échec des négociations climatiques pourrait avoir des conséquences catastrophiques. Toutefois, une solution existe. Elle comprend deux aspects, l’aide financière et l’aide technique qui ont été mises en valeur au Sommet du G8 en juillet 2009, et a été officiellement soutenue par la délégation chinoise lors de la Réunion d’experts sur le commerce et les changements climatiques de la cnuced en avril. L’aspect financier est une extension du marché du carbone – conçue de façon à satisfaire les deux parties – et l’aspect technologique garantit que les réductions sont réalisables. Le premier est une modeste extension du marché du carbone, et le deuxième une modeste extension du mdp. Tous deux sont des interprétations raisonnables et acceptables de la législation existante. La Convention-Cadre ne prévoit pas de lever à jamais les obligations de la Chine et des pays en développement, mais de ne pas imposer de limites à moins qu’ils ne reçoivent une compensation. C’est tout à fait différent. Ce qu’il nous faut donc, c’est une forme de « compensation » qui élimine

l’opposition entre les deux camps. Je parle d’un échange plutôt que de compensations unilatérales – et les ÉtatsUnis ne font aucune objection à cette idée. Personne ne doit faire le premier pas : une solution financière simultanée rend ce processus possible. Par exemple, les États-Unis peuvent acheter une option pour réduire les émissions en Chine, obtenant donc ce qu’ils veulent tout en accordant des compensations à la Chine comme le prévoit la ccnucc. En même temps, la Chine peut garantir un prix minimum de vente des crédits, assurant qu’elle ne fait pas des sacrifices pour une somme dérisoire. Ce coup de poing double réduit l’échange monétaire tout en donnant à chaque partie ce qu’elle veut. Cela peut se faire par une extension modeste du marché du carbone et être vendu dans les marchés secondaires pour fournir des liquidités et la stabilité au marché du carbone. Le nouveau mécanisme financier que je propose est une amélioration du marché du carbone que j’ai initialement élaboré, permettant aux États-Unis et à la Chine de camper sur leurs positions initiales tout en obtenant de l’autre ce qu’ils veulent. Deux options souveraines fondées sur le marché du carbone sont suffisantes. Les États-Unis achètent une option vendue par la Chine qui établit une « compensation » et la Chine achète le droit de garantir un prix plancher minimum pour la réduction de ses émissions. Cela élimine les craintes des nations en développement d’être prise dans un pacte faustien : limiter la croissance économique si essentielle au développement pour une somme dérisoire. La transaction nécessiterait un échange monétaire limité, mais fixerait des limites d’émissions en même temps pour les deux pays. Les marchés secondaires peuvent échanger les options correspondantes, fournissant ainsi des liquidités et la stabilité au marché du carbone et à son mdp8. Lors du Sommet du G8 en juillet, les pays en développement ont été peu disposés à accepter des obligations sans des engagements spécifiques en matière d’aide financière et technique et n’ont donc pas approuvé la proposition. C’est la pierre d’achoppement au sein des négociations. La formule que je propose prévoit une aide financière et technique qui satisfait les deux camps.

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Nous devons trouver des solutions afin de réduire rapidement la concentration de carbone dans l’atmosphère au lieu d’envisager une réduction progressive des émissions. Il s’agit de technologies dites « à bilan carbone négatif » car elles réduisent plus de carbone qu’elles n’en émettent. Elles pourraient bénéficier aux pays industriels ainsi qu’aux pays en développement.

La compensation peut aussi prendre la forme de crédits à l’exportation de technologies qui permettent de réduire les émissions; une extension du mdp peut certifier de nouvelles technologies qui produisent de l’énergie tout en réduisant le carbone dans l’atmosphère. En Afrique, ces technologies aident la région à réduire plus de carbone qu’elle n’en émet, ce qui signifie que le continent peut bénéficier du financement des projets de mdp qui ne leur était pas

accordé jusqu’ici. Pour les pays riches, cela représente des investissements de 43 000 milliards de dollars dans l’infrastructure énergétique – le montant nécessaire pour stimuler l’économie mondiale – créant des emplois dans le secteur de la technologie, augmentant les exportations et stimulant l’échange. ÉLABORER UN CADRE STRATÉGIQUE Considérons l’article 4 de la Convention-Cadre des Nations Unies sur les changements climatiques concernant les engagements pris par les États parties des pays développés et en développement, notamment pour réduire les émissions. Ma proposition est une interprétation financière de l’article 4 visant à éliminer l’opposition des États-Unis et de la Chine. La Convention-Cadre ne prévoit pas de lever à jamais les obligations de la Chine et des pays en développement, mais de ne pas imposer de limites à moins qu’ils ne reçoivent une compensation. C’est tout à fait différent. Ce qu’il nous faut donc, c’est une forme de « compensation » qui atteint cet objectif : un nouveau mécanisme financier qui fonctionne comme une combinaison de dérivés sur le marché du carbone et s’appuie sur des principes financiers largement acceptés. L’ocde et les pays en développement peuvent camper sur leurs positions initiales tout en obtenant ce qu’ils veulent. La première partie du mécanisme fonctionne comme une option achetée par les pays de l’ocde et vendue par les pays en développement. Supposez

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que les États-Unis aient une « option d’achat » sur la réduction des émissions à la Chine. Cela fixe une limite supérieure relativement basse au montant de dépenses engagées par les États-Unis pour que la Chine réduise ses émissions. C’est un « dérivé » du marché du carbone prévu dans le Protocole de Kyoto car le marché « sous-jacent » et le prix réel à payer sont déterminés en fonction de formules financières classiques qui sont utilisées chaque jour dans l’économie mondiale. C’est de cette manière que nous établissons la « compensation » que je viens de mentionner. La deuxième partie du mécanisme financier est décisive afin de donner aux deux parties ce qu’elles veulent tout en réduisant les dépenses monétaires. Cela fonctionne comme une « option de vente » achetée par la Chine aux États-Unis. Il s’agit aussi d’un dérivé du marché du carbone du Protocole de Kyoto. La Chine peut vendre ses réductions d’émissions aux États-Unis à un prix minimum qui est lié aux prix des crédits du carbone, éliminant ainsi les craintes de vendre à un prix dérisoire. Ce mécanisme financier est composé de deux options interdépendantes : une où les États-Unis ont la possibilité d’acheter à la Chine et une autre où la Chine a la possibilité d’acheter aux États-Unis. Dans la pratique, la transaction serait presque un échange monétaire « fictif » tout en établissant simultanément des limites aux émissions pour les deux pays. La proposition non seulement permet de sortir de l’impasse diplomatique, mais aussi contribue à mettre en œuvre une

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solution réelle : une façon pratique de réduire la concentration de carbone dans l’atmosphère quand les options sont exercées, sans nuire au développement économique qui est essentiel. Cela suppose une extension du mdp afin de certifier les technologies pouvant augmenter l’énergie disponible tout en réduisant le carbone dans l’atmosphère. Il s’agit d’une tâche difficile, mais qui n’est pas impossible9. L’extension du Mécanisme pour un développement propre du Protocole de Kyoto pourrait fournir l’aide financière et technique nécessaire pour augmenter les sources d’énergie tout en réduisant les émissions de carbone. Nous devons trouver des solutions afin de réduire rapidement la concentration de carbone dans l’atmosphère au lieu d’envisager une réduction progressive des émissions. Il s’agit de technologies dites « à bilan carbone négatif » car elles réduisent plus de carbone qu’elles n’en émettent. Elles pourraient bénéficier aux pays industriels ainsi qu’aux pays en développement. Avec les nouvelles technologies, il est possible d’extraire le carbone de l’air tout en produisant de l’électricité, transformant ainsi les installations alimentées aux combustibles fossiles en « puits de carbone » et les installations solaires en puits encore plus vastes, tout en encourageant une transition vers les énergies renouvelables10. Ces technologies peuvent produire plus d’énergie dans les pays en développement tout en améliorant la qualité de l’air à un rythme accéléré. La dépense d’investissements représente environ 100 millions de dollars pour un million de tonnes de CO2 capté par an11, et un total de 3 000 milliards de dollars suffiraient à capter le stock entier des émissions anthropiques12. Il faudrait consacrer moins de 5 % du produit intérieur brut (pib) mondial sur une période de dix ans, soit 0,5 % par an, ce qui représente peu en comparaison des subventions versées par les gouvernements au secteur financier en 2008/2009. Le montant total du plan de relance des pays du G20 est d’environ 692 milliards de dollars pour 2009, soit environ 1,4 % du PIB combiné de ces nations13. Aux ÉtatsUnis seulement, ce chiffre s’élève à 825 milliards de dollars et en Chine à 586 milliards de dollars. Les coûts nécessaires sont moins élevés que la prime de risque de 2,5 % payée par le secteur de 68

l’économie mondiale pour l’assurance contre les catastrophes14 . C’est donc raisonnable et faisable. Les aspirations de l’Arabie saoudite et des États du Golfe de devenir le leader en énergie solaire seront renforcées par ces technologies qui permettent le déploiement et la rentabilité des installations solaires, comme l’énergie solaire concentrée. Pour les 42 États insulaires dont les populations sont confrontées à des risques, le carbone négatif est la seule mesure d’atténuation accélérée qui peut être efficace à court terme et à moyen terme tout en augmentant la production énergétique et en améliorant l’infrastructure du développement. Pour les pays riches, cette initiative encourage les exportations de technologies qui créent des emplois dans un marché des infrastructures d’énergie qui atteint 43 000 milliards de dollars : un plan de relance mondial qui reflète les exigences de l’économie mondiale d’aujourd’hui. Mais le plus important est que ce plan permettra aux régions en développement qui produisent le moins d’émissions, comme l’Afrique, de bénéficier du Mécanisme pour un développement propre en captant plus de carbone qu’elle n’en émet, ce qui était jusqu’ici impossible. Il permettra de créer des emplois, d’augmenter la productivité, d’atténuer la pauvreté et d’améliorer l’air de la planète. LES PROCHAINES ÉTAPES Une extension du marché du carbone prévu dans le Protocole de Kyoto, qui offrirait une solution pour sortir de l’impasse dans laquelle nous sommes actuellement, ne permettrait pas à elle seule de relever tous les défis politiques qui demeurent. Je crois toutefois qu’il est nécessaire de se donner toutes les chances de réussite. Les États-Unis ont une occasion politique unique d’être le pays à ouvrir la voie à ce changement décisif. Certes, il y a de nombreux points à déterminer – quand, comment et combien. Mais c’est une bonne chose : cette proposition fournit un cadre de négociations à Copenhague et au-delà, qui peut être établi en principe. C’est ce qui s’est passé pour le Protocole de Kyoto en 1997. Il est urgent de trouver une solution au jeu à somme nulle de l’escalade des émissions. Sinon, nous risquons de connaître une nouvelle guerre froide,

cette fois concernant le réchauffement climatique. Copenhague pourrait marquer le début d’un nouvel avenir fondé sur la coopération mondiale.   Je tiens à remercier Nemat Sadat pour son soutien en matière de données. Notes 1 Rapport de l’OIM : www.iisd.org/pdf/2008/ migration_climate.pdf et Développement humain du PNUD: hdr.undp.org/en/reports/ global/hdr2007-2008/.../brown_oli.pdf 2 http://www.reuters.com/article/environmentNews/idUSTRE5525W920090603 3 Voir http://www.unctad.org/Templates/ meeting.asp?intItemID =1942&lang=1&m= 15861 4 Voir Chichilnisky et Sheeran, Saving Kyoto(2009). 5 Chichilnisky et Sheeran, Saving Kyoto(2009); Chichilnisky et Heal, Environmental Markets: Equity and Efficiency (2000); Chichilnisky, Beyond the Global Divide: From Basic Needs to the Knowledge Revolution, to appear; Chichilnisky, Development and Global Finance: The Case for an International Bank for Environmental Settlements(1996). 6 Cette déclaration a été faite par Ali Al-Naimi, Ministre du pétrole et des ressources minérales, Arabie saoudite lors de la conférence Energy Pact à Genève, 2009, http://www. energypact.org. 7 Article 4 de la Convention-Cadre des Nations Unies sur les changements climatiques (CCNUCC) (1992). 8 Proposé précédemment par l’auteur dans Chichilnisky, « The Greening of the Bretton Woods » (1996). 9 Voir N. Jones, Nature décembre 2008, avril 2009 et G. Chichilnisky, Nature juin 2009. 10 Les technologies décrites ici comprennent le captage du CO2 et sont différentes du captage traditionnel du carbone contenu dans les gaz de carneau, appelé également CSC (Captage et séquestration du carbone). Ce dernier procédé est au mieux carboneneutre et a été critiqué lors des négociations sur le climat car il semble encourager l’utilisation des combustibles fossiles. Le premier (captage de l’air) peut avoir un bilan carbone négatif, c’est-à-dire que la quantité de carbone réduite est supérieure à la quantité émise lors de la production d’énergie. Voir Jones, « Sucking carbon out of the air »(2008) and Jones, « Sucking it up » (2009); Chichilnisky et Eisenberger, « How air capture could help to promote a Copenhagen solution » (2009); La Société royale, « Geoengineering the climate: science, governance and uncertainty » (2009); et Chance et al, « Global Warming and Carbon-Negative Technology: Prospects for a Lower-Cost Route to a Lower-Risk Atmosphere » (2009). 11 Voir Chance et al, op. cit. (2009) ainsi que Chichilnisky et Eisenberger « Energy Security, Economic Development and Carbon Capture » (2009).

graciela chichilnisky   INNOVATIONS FINANCIÈRES ET MARCHÉS DU CARBONE


12 Chaque million de CO2 capté nécessite une usine d’environ 100 millions de dollars. Aujourd’hui, on compte environ 30 gigatonnes de carbone émises par les activités humaines. 13 Le groupe des vingt (G20) composé des Ministres des finances et des gouverneurs des banques centrales a été créé en 1999 pour réunir les économies industrialisées et en développement importantes afin de débattre des questions clés de l’économie mondiale. Selon le Brookings Institute, le plan de relance des pays du G 20 s’élevait à environ 692 milliards de dollars pour 2009, ce qui représente environ 1,4 % du produit intérieur brut (PIB) combiné de ces pays, voir le rapport à : http://www.brookings. edu/reports/2009/03_g20_stimulus_prasad.aspx. Ce chiffre ne tient pas compte des sommes importantes dépensées par les pays pour sauver leurs propres banques et consolider leur économie nationale. À eux seuls, les États-Unis ont dépensé 825 milliards de dollars et la Chine 586 milliards, etc. Ce rapport contenant les chiffres exacts est accessible à : http://www. ppionline.org/ppi_ci.cfm?knlgAreaID =108 &subsecID =900003&contentID =254895 14 Voir « Insuring the Future », chapitre 2 dans Chichilnisky et Sheeran, op. cit, 2009

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Références Chichilnisky, G. et K. Sheeran, Saving Kyoto, New Holland, Londres, 2009. Chichilnisky, G. et G. Heal, Environmental Markets: Equity and Efficiency, Columbia University Press, New York, 2000. Chichilnisky, G., Beyond the Global Divide: From Basic Needs to the Knowledge Revolution, à paraître, 2010. Chichilnisky, G. Development and Global Finance: The Case for an International Bank for Environmental Settlements (IBES), Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture (UNESCO) et Programme des Nations pour le développement (PNUD), Bureau d’études sur le développement, New York, document d’analyse n° 10, septembre 1996. Chichilnisky, G., « The Greening of the Bretton Woods » Financial Times, mercredi 10 janvier, 1996, p. 8. Chichilnisky, G. et P. Eisenberger, « How air capture could help to promote a Copenhagen solution », Nature vol. 495, 25 juin 2009. Chichilnisky, G. et P. Eisenberger, « Energy Security, Economic Development and Global Warming: Addressing short and long term challenges », International Journal of Green Economics, 2009.

Eisenberger, P., R. Cohen, G. Chichilnisky, Chance, R., et al., « Global Warming and Carbon-Negative Technology: Prospects for a LowerCost Route to a Lower-Risk Atmosphere », Energy and Environment, 2009. Jones, N. “Sucking carbon out of the air”, Nature, 17 décembre 2008. Publié en ligne at http:// www.nature.com/news/2008/081217/full/ news.2008.1319.html Jones, N. « Sucking it up »”, Nature vol. 485, 30 avril 2009. La Société Royale, Royaume-Uni : « Geoengineering the climate: science, governance and uncertainty » rapport de septembre 2009, hyyp://royalsociety. org/displaypagedoc.asp?id=35217 Conférence des Nations Unies sur l’environnement et le développement (CNUED). Convention-Cadre des Nations Unies sur les changements climatiques (CCNUCC) 1992.

Le réchauffement climatique : cela pourrait être simple par Tamim Ansary

e suis à la fois alarmée et encouragée de réaliser que le réchauffement climatique et la limite des réserves de pétrole sont en fait le même problème. Ces réserves s’épuisent si rapidement que lorsque mes filles auront mon âge (j’ai soixante ans), il n’y en aura plus. Mais si rien n’est fait pour lutter contre le réchauffement climatique, cela n’aura de toute façon aucune important parce que la fonte des calottes glaciaires aura engendré une catastrophe mondiale. Qu’est-ce que je trouve d’encourageant à tout cela ? C’est simple. Lorsque le pétrole viendra à manquer, nous devrons absolument exploiter l’énergie éolienne et l’énergie solaire pour alimenter notre civilisation (utiliser l’hydrogène pour stocker et transporter l’énergie) et alors nous réduirons en même temps notre contribution au réchauffement climatique. Aussi surprenant que cela puisse paraître, la technologie nécessaire pour le faire existe déjà au stade embryonnaire. Nos seuls obstacles réels sont des obstacles sociaux et politiques : pour que l’énergie éolienne et solaire soit viable, nous devons produire l’énergie non pas à partir de quelques centrales contrôlées par l’État mais à partir de millions de petites installations réparties à travers le monde, où chaque ménage recueillera et distribuera l’énergie dans un réseau

mondial souple qui permettra à tous de s’approvisionner selon leurs besoins. Aucune autre option n’est possible. L’âge industriel a connu des guerres catastrophiques causées par la concurrence pour les combustibles fossiles rares. Le vent et le soleil ne sont pas des sources rares; ils posent un problème différent. Dans un seul endroit, ils peuvent être parfois insuffisants. Ce n’est qu’ensemble, à l’échelle mondiale, que nous pourrons assurer une énergie stable et fiable. L’utilisation de ces sources d’énergie nécessitera donc la coopération et non la concurrence, ce qui implique une transformation radicale de la société.

Le vent et le soleil sont des sources d’énergie que l’on trouve partout. Même les plus déshérités (aujourd’hui) dans le monde pourront (et devront) contribuer au réseau mondial. Alors que notre survie est en jeu, la seule solution viable aux deux problèmes que sont le réchauffement climatique et l’épuisement des réserves de pétrole pourrait nous pousser à concevoir les institutions sociales et politiques dont nous avons besoin pour construire un monde meilleur et plus pacifique. Tamim Ansary est l’auteur de Destiny ­Disrupted: A History of the World Through Islamic Eyes, son ouvrage le plus récent.

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LA BIOTECHNOLOGIE Par Kaiser Jamil

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a faim et l’insécurité mondiales sont un problème récurrent dans la plupart des régions du monde en développement. Parmi les nombreuses biotechnologies qui sont disponibles et les différentes applications, la modification génétique (GM) des cultures devrait recevoir une attention particulière. Les cultures génétiquement modifiées possédant des gènes provenant d’espèces différentes pourraient

alléger les pénuries alimentaires. Malgré l’optimisme initial suscité par l’utilisation des OGM qui permettent d’augmenter le volume et la qualité des récoltes, des questions demeurent sur leurs bénéfices. En outre, le public n’est pas toujours favorable à

Une solution à la faim ?

© MATHIAS MORITZ

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kaiser jamil   LA BIOTECHNOLOGIE : Une solution à la faim ?


la création de ces plantes comme option viable pour résoudre la faim dans le monde. Lorsqu’on aborde la question de la sécurité alimentaire, il est important de prendre en compte l’impact environnemental des cultures OGM. Les cultures OGM peuvent ne pas germer; tuer non seulement les insectes ravageurs mais d’autres organismes qui sont bénéfiques aux plantes; réduire la fertilité des sols; et transférer les propriétés insecticides ou la résistance aux virus à des plantes sauvages proches des espèces cultivées. Parmi la communauté scientifique, certains disent que les recettes des denrées agricoles d’exportation à haut rendement contribuent à réduire la sécurité alimentaire et la faim dans les pays en développement. Toutefois, beaucoup se posent des questions sur la portée pratique de cette affirmation. Si quelques variétés de cultures, spécialement créées par la biotechnologie, peuvent améliorer les rendements, la biotechnologie ne peut pas à elle seule résoudre le problème de la faim dans le monde en développement. Toutefois, la biotechnologie peut offrir des avantages dans des domaines comme la gestion du bétail, l’entreposage des produits agricoles et le maintien des rendements des cultures actuels, tout en réduisant l’utilisation des engrais, des herbicides et des pesticides. Le réel défi est de savoir si nous saurons exploiter les avantages des solutions biotechnologiques. Mais quelles sont ces solutions ? La biotechnologie offre une alternative très prometteuse aux aliments synthétiques et permet d’améliorer la gestion des ressources phytogénétiques. Conjuguée à d’autres technologies agricoles avancées, elle offre un moyen de contribuer au développement d’une production durable et d’une consommation responsable. Lorsque les OGM présentent des avantages pour les petits agriculteurs, les révolutions vertes deviennent une réalité. LUTTER CONTRE LA FAIM ET LA MALNUTRITION La malnutrition est le terme lié au domaine médical qui désigne la faim. Selon les estimations récentes de l’Organisation pour l’alimentation et l’agriculture, 854 millions de personnes dans le monde sont mal nourries, soit 12,6 % sur les 6,6 milliards de personnes qui peuplent la planète. Sur ces 854 millions, un grand nombre, dont les enfants sont les victimes les plus visibles, vivent dans les pays en développement. La malnutrition favorise les maladies, comme la rougeole et le paludisme. La biotechnologie peut contribuer à combattre la faim et la malnutrition dans le monde. En voici un exemple. LE RIZ DORÉ Dans 188 pays, environ 140 millions d’enfants des groupes à revenus bas, en particulier en Afrique et en Asie du SudEst, présentent des carences en vitamine A. Cette situation

Kaiser Jamil est un ingénieur en biotechnologie de renommée internationale et Président de Third World Organization for Women in Science (http://twows.ictp.it/).

constitue un problème de santé publique. L’Organisation mondiale de la santé estime que 250 000 à 500 000 enfants deviennent aveugles chaque année à cause de carences en vitamine A, et la moitié meurent dans les 12 mois après avoir perdu la vue. Le riz doré, créé par des chercheurs en Allemagne et en Suisse, contient trois nouveaux gènes – deux provenant de la jonquille et l’autre d’une bactérie – qui aident à produire de la provitamine A. Ce riz est disponible et pourrait être distribué en masse, dû en partie au fait que les sociétés de biotechnologies ont renoncé à leurs droits sur les brevets. C’est un exemple parmi des centaines d’autres, indiquant comment la biotechnologie peut être mise à contribution pour aider les pays. PROPRIÉTÉ INTELLECTUELLE ET SÉCURITÉ ALIMENTAIRE Un secteur technologique contrôlé presque exclusivement par le secteur privé et défini par la protection des brevets suscitent des inquiétudes. Les brevets permettent aux grands laboratoires privés d’avoir un contrôle important sur les gènes des plantes, ce qui a des conséquences inquiétantes. Si les agriculteurs doivent acheter des semences durant chaque saison des semailles, cela a des conséquences sur leurs revenus et sur la sécurité alimentaire. Même si des sociétés comme Monsanto et AstraZeneca ont annoncé qu’elles ne commercialiseraient pas la technologie appelée « Terminator » ou la stérilisation des semences conçue génétiquement pour empêcher une semence de germer une deuxième fois, l’industrie de la biotechnologie détient au moins une soixantaine de brevets pour la germination des semences ou les procédés de contrôle de la germination des plantes. Cette privatisation des ressources génétiques d’une plante représente non seulement un désavantage pour la recherche agricole dans les pays en développement, mais menace les moyens de subsistance des petits agriculteurs en Afrique, en Amérique latine et en Asie qui gardent une partie des semences d’une année pour les semer l’année suivante. Les droits de propriété intellectuelle (DPI) sur des produits biotechnologiques ou des procédés utilisés pour les produire pourraient avoir un impact négatif pour les pays en développement. Ces droits sont détenus non seulement par des sociétés privées, mais aussi par des organisations publiques, rendant impossible d’utiliser un aspect de la biotechnologie pour améliorer les espèces de culture sans enfreindre un brevet. À cause de ces droits, il n’a pas toujours été possible de séparer les perspectives biotechnologiques des intérêts commerciaux en jeu. Une conséquence majeure des DPI dans le domaine de la biotechnologie agricole est que de nombreux pays en développement qui n’ont pas encore investi dans la biotechnologie ne parviendront jamais à rattraper leur retard. DES POSSIBILITÉS Les décisions doivent s’appuyer sur une recherche minutieuse. Les chercheurs en biotechnologie sont souvent très spécialisés, mais ils devraient aussi avoir des compétences pour gérer la question complexe de la faim et de la sécurité alimentaire dans les pays en développement. La biotechnologie peut offrir des possibilités considérables pour le monde en développement. L’utilisation de cultures à

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haut rendement, résistant aux maladies et aux insectes ravageurs aura des conséquences directes sur l’amélioration de la sécurité alimentaire, la réduction de la pauvreté et la conservation de l’environnement. Les cultures OGM produiront de meilleurs rendements et utiliseront moins de terres, ce qui pourra augmenter la productivité globale et offrir aux pays en développement un moyen de répondre à leurs besoins et de réduire la faim dans le monde. Au total, 90 % des 13,3 millions de cultivateurs d’OGM sont des fermiers des pays en développement. Avec 7,6 millions d’hectares cultivés, l’Inde occupe le quatrième rang des 14 principaux pays producteurs de cultures OGM. Par exemple, en Inde, cinq millions d’agriculteurs cultivent le coton Bt (bacillus thuringiensis), une technologie qui permet à la culture de se protéger contre certains insectes sans recourir aux pesticides. Ce changement a été possible grâce aux propriétés du coton Bt qui permet des rendements plus élevés (31 %), réduit l’utilisation de pesticides (39 %) et génère des profits plus importants équivalant à 250 dollars par hectare. Grâce aux moyens biotechnologiques, il est aujourd’hui possible d’extraire jusqu’à 90 % de l’huile d’une plante. Étant donné la diminution des réserves mondiales d’hydrocarbone, il est probable que les huiles végétales, comme le biodiesel, se trouveront en concurrence avec le pétrole, le charbon et le gaz en termes de prix et de qualité.

mondiale de la biotechnologie a orienté une vaste majorité de ses investissements dans une gamme limitée de produits qui ont des marchés vastes et garantis dans les pays industrialisés – produits qui ne sont guère pertinents pour répondre aux besoins des populations pauvres du monde. Les applications de la biotechnologie peuvent apporter une solution significative au problème de la faim dans le monde. Le vert c’est la couleur de l’écologie, et aussi de la biotechnologie agricole, de la fertilité, du respect de soi et du bien-être. À mon avis, les responsables devraient considérer les découvertes et les atouts qu’offre la biotechnologie moderne comme un outil important pour réduire le problème de la faim dans le monde.  

La privatisation des ressources génétiques d’une plante représente non seulement un désavantage pour la recherche agricole dans les pays en développement, mais menacera les moyens de subsistance des petits agriculteurs en Afrique, en Amérique latine et en Asie qui gardent une partie des semences d’une année pour les semer l’année suivante.

RÉFLEXIONS FINALES Les disponibilités alimentaires mondiales sont abondantes, pas rares. La production mondiale de céréales et d’autres produits alimentaires est suffisante pour fournir au moins 2 kg par jour par personne. La vraie raison de la faim dans le monde est la pauvreté qui frappe le plus durement les femmes – qui jouent un rôle prépondérant dans la famille sur le plan de la nutrition. Les économistes font valoir que le problème de la faim nécessite des solutions politiques et pas seulement agrotechniques. Selon eux, au lieu de considérer la biotechnologie comme une avancée dont on n’a pas encore prouvé l’efficacité, les décideurs devraient s’appuyer sur l’important corpus de recherche qui montre que les solutions pour éliminer la faim ne sont pas technologiques en soi, mais ancrées dans les réalités socio-économiques. Cela ne veut pas dire que la technologie, y compris la biotechnologie, ne joue pas un rôle dans la réduction de la pauvreté, mais qu’elle ne peut passer outre les forces politiques et sociales immédiates qui maintiennent les populations dans la pauvreté. L’industrie

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Une conséquence majeure des droits de la propriété intellectuelle dans le domaine de la biotechnologie agricole est que de nombreux pays en développement qui n’ont pas encore investi dans la biotechnologie ne parviendront jamais à rattraper leur retard.

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A

Une perte de la mémoire

À

Amour et respect

par Jose Dalisay

par Daniel de Cordova

u début de mon premier roman, Killing Time in a Warm Place*, un homme évoque un été idyllique passé pendant son enfance dans un village de bord de mer où il est né, dans la région centrale des Philippines. Ce roman était bien entendu en partie autobiographique. Pour moi, comme pour des millions de Philippins, la mer est à la fois le symbole et une source de plénitude, un univers d’imaginations et de merveilles. Avec des côtes s’étendant sur plus de 36 000 km, les Philippines devraient être un pays riche d’un point de vue matériel et culturel. Pourtant aujourdhui, ces mers magnifiques aux ressources abondantes dont je me souviens tellement bien présentent peu de points communs avec celles dont mes souvenirs sont nourris – et nous ne pouvons blâmer personne d’autre que nous-mêmes. La plage immaculée où j’ai campé le décor de mon roman a été polluée par les effluents industriels qui ont également détruit les récifs de coraux aux alentours; rien ne pousse désormais à cet endroit, seul le découragement nous saisit face à tant d’indifférence et de négligence. Et presque partout, ce magnifique archipel offre le même triste spectacle, pas seulement dans l’eau mais dans les terres aussi : dévalant des pentes sans arbres, les coulées de boue ont englouti des villages entiers et emporté des centaines de vies; les déchets industriels ont transformé les rivières en immondes cloaques. Peut-être tout aussi inquiétant, nous avons connu des tempêtes inhabituelles pour la saison, même au moment des fêtes de Noël où nous avions l’habitude d’être réveillés avec beaucoup d’empressement par une légère fraîcheur. Lorsque je vois ce que nous avons fait – ou n’avons pas fait – à notre environnement naturel, je me désole non seulement des dégâts physiques et économiques que nous avons provoqués, mais aussi du prix de ces changements pour l’imagination. Que laisserons-nous à nos enfants qu’ils puissent vivre et se rappeler avec joie et émerveillement ? Jose Dalisay est l’auteur de Journeys with Light: The vision of Jaime Zobel et de The Knowing is in the Writing: Notes on the Practice of Fiction, ses ouvrages les plus récents.

la naissance, nous accueillons un être humain en lui souhaitant la bienvenue au monde. Et lorsqu’une personne proche meurt, nous disons qu’elle nous a quittés. Si nous comprenions combien la vie est fragile et qu’à la mort, les seules choses que nous emportons sont nos souvenirs et les expériences de la vie, nous apprendrions à aimer et à respecter notre planète; une planète qui commence aujourd’hui à souffrir du réchauffement climatique. Pourquoi ? Les nations, avec leur frénésie du progrès et leur besoin de dominer le marché économique en contrôlant les ressources naturelles, ne tiennent pas compte du risque que la destruction de l’environnement présente. Le désir de domination l’emporte sur les valeurs, l’écosystème et la vie elle-même. Vu la croissance démographique, les industries sont obligées d’accroître leur production afin de répondre à l’augmentation de la consommation suscitée par le bombardement constant de la publicité qui encourage l’acquisition de produits superflus. Pour éviter d’atteindre un niveau de réchauffement climatique mondial incontrôlable, nous devrions envisager la mesure suivante : La création de programmes éducatifs afin d’encourager les populations à réduire leur consommation effrénée. Les industries seront forcées d’investir dans l’amélioration qualitative des composants et des produits, ce qui contribuera à réduire les émissions de gaz à effet de serre, la déforestation, l’extraction des matières brutes et la dépendance vis-à-vis du pétrole comme sources principales d’énergie. Bien que cette mesure soit un défi pour les économies de toutes les nations, elle influencera le développement de nouvelles idées qui permettront de continuer à avancer sur la voie du progrès sans compromettre l’avenir de l’humanité. Daniel de Cordova est l’auteur de La Estrella de David, son ouvrage le plus récent.

*Manille : Anvil Publishing, 1992

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LE RÉCHAUFFEMENT CLIMATIQUE ET LES S U R G E S

GLACIAIRES

Pendant le réchauffement climatique, les surges de certains glaciers sont un phénomène auquel nous n’avons pas encore trouvé de solutions et qui nécessite une recherche nationale et internationale. 74

vladimir kotlyakov   LE RÉCHAUFFEMENT CLIMATIQUE ET LES SURGES GLACIAIRES


Par VLADIMIR Kotlyakov

L

e climat de la Terre enregistre des variations et au cours les derniers milliers d’années a connu des périodes de réchauffement et de refroidissement. Au XVIIe siècle, le Sud de l’Europe a connu des hivers rudes et longs, appelés le « petit âge glaciaire ». Dans les tableaux des grands maîtres flamands, les canaux sont gelés et la Hollande est couverte de neige.

© vladimir kotlyakov

Les traces d’une surge : Le 20 septembre 2002, d’immenses masses de glace, d’eau et de roches ont dévalé une vallée de la montagne Kazbek dans le Caucase. Près de 110 millions de mètres cubes de glace ont été bloqués dans les gorges étroites de la vallée, créant un barrage naturel, mais rapidement le barrage a cédé et la glace a dévalé le versant par « vagues » laissant des traces sur son passage. Ces éboulements se sont accumulés formant une barre de 100 à 140 mètres audessus du lit de la rivière. La coulée de boue et de glace a poursuivi sa route sur 12 kilomètres provoquant d’importants dégâts et la mort de 130 personnes.

LE PETIT ÂGE GLACIAIRE La période de refroidissement s’est terminée au milieu du XIXe siècle et, depuis, le climat a commencé à se réchauffer, plus rapidement dans les régions polaires. À partir de 1920, les températures annuelles moyennes ont augmenté de 2 à 4 °C dans l’Arctique, accompagnées d’une activité cyclonique fréquente dans les latitudes septentrionales. Les glaciers ont reculé presque partout. En 1950, la superficie des glaciers a diminué de 25 % en Suisse et de 15 % dans le Caucase. Même si les glaciers ont avancé de manière sporadique dans les années 1920 et 1960, ces périodes de refroidissement ont été courtes et d’une portée limitée. En 2000, la hausse des températures a été observée partout dans le monde. Le réchauffement global a suscité de vives inquiétudes et de nombreux débats parmi les scientifiques et autres décideurs. « Les rapports d’évaluation du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (giec) de l’ONU ont établi que la température de l’air à la surface du globe augmentait. Il ne fait aucun doute que ce réchauffement est l’un des facteurs qui contribue à la fonte rapide des glaciers et des calottes glaciaires, à l’exception de l’Antarctique qui contient 90 % de la glace du globe. En effet, les études menées sur la calotte glaciaire de l’Antarctique au cours des 50 dernières années montrent que, malgré les erreurs de calcul, la masse glaciaire n’a pas diminué, ce qui démontre sa stabilité. Toutefois,

Vladimir Kotlyakov est professeur et académicien à l’Institut de géographie de ­l’Académie des sciences de Russie.

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l’élévation progressive du niveau de la mer due à la dilatation thermique des océans et à la fonte de la calotte glaciaire du Groenland et à d’autres glaciers polaires et alpins revêt une importance cruciale pour les populations côtières. C’est dans ce contexte de changement climatique que je tenterai d’expliquer comment les glaciers deviennent instables ou avancent brusquement, menaçant les populations, et comment surveiller ces mouvements. LES SURGES GLACIAIRES, UNE CATÉGORIE À PART Parfois, les glaciers avancent rapidement en raison d’une diminution de glaciation – terme qui désigne la croissance et la superficie d’un glacier. Par exemple, en 1963, le glacier Medvezhiy « s’est réveillé » et a descendu la pente occidentale de la montagne Academia Nauk, la plus élevée du massif du Pamir en Asie centrale. La vitesse normale du glacier était de 220 à 400 mètres par an, soit moins d’un mètre par jour. Mais en avril 1963, sa vitesse s’est soudainement accélérée, et il a dévalé la vallée à une vitesse de 100 mètres par jour. En un mois, la langue frontale mesurait près de 2 km, a divisé la vallée en deux, formant un lac de 8 mètres de profondeur. Le barrage de glace a cédé sous la pression de l’eau et l’eau s’est déversée dans le fleuve Vanch à 1 000 mètres cubes par seconde, charriant des blocs de glace et des débris rocheux (fig. 2). Ce phénomène a donné lieu à une étude sur l’avancée rapide des glaciers en ex-Union soviétique. À partir de 1963, une expédition spéciale a étudié le glacier, enregistrant minutieusement les observations afin de constituer une base pour prévoir la prochaine avancée. Suite à plusieurs études sur le glacier, il a été possible de prévoir la prochaine avancée et son ampleur. Elle a eu lieu durant l’été de 1973. C’était la première fois que les scientifiques avaient pu prévoir une catastrophe glaciaire. Quelques mois plus tard, au printemps 1973, le glacier a de nouveau commencé à avancer. En l’espace de deux mois, sa langue mesurait 1,8 km et a recouvert 75


© vladimir kotlyakov © vladimir kotlyakov

Figure 1. Des blocs de glace et des rochers dévalent la montagne Academia Nauk dans le Caucase sous l’effet de l’avancée rapide du glacier Medvezhiy.

Figure 2. Une avalanche de glace et de roches provoquée par l’avancée brusque du glacier Kolka

Les changements affectant la fonte des neiges et des glaciers, de même que le relèvement de la limite des neiges éternelles dans l’Himalaya modifieront les variations saisonnières du ruissellement, provoquant des pénuries d’eau pendant les mois secs de l’été. Un quart de la population chinoise et des centaines de millions de ­personnes en Inde seront concernées. ­—GIEC

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les dépôts de son avancée dix ans auparavant. Comme précédemment, il a bloqué l’affluent dans la vallée, le barrage de glace s’est rompu sous la pression de l’eau du lac inondant les localités voisines à un débit de 1 000 mètres cubes par seconde. Depuis les années 1960 et 1970, les études sur les surges glaciaires, en particulier celle du Medvezhiy, ont permis de réunir des informations scientifiques sur la structure et la nature des glaciers. Il s’est avéré qu’un glacier répète son avancée à des intervalles presque réguliers si les conditions extérieures ne changent pas. Toutefois, même dans des conditions géographiques similaires, tous les glaciers ne se ressemblent pas. Le Medvezhiy, par exemple, a avancé tous les 9 à 17 ans. Selon des données et des observations locales indirectes, le glacier a avancé en 1937 et en 1951, alors que les observations directes ont indiqué des mouvements en 1963, 1972 et 1989. Les surges glaciaires ne sont pas liées aux variations climatiques et peuvent se produire alors même que le glacier recule. Cela fait partie du comportement de certains glaciers et ne constitue pas la preuve d’une avancée brusque. La période qui s’écoule entre le début d’une surge et sa fin est appelée une pulsation et, de fait, des pulsations périodiques se produisent en raison de l’instabilité du glacier. La force de friction produite au lit brise la glace. Des centaines de glaciers en mouvement sont aujourd’hui connus dans de nombreuses régions glaciaires, les plus nombreux se trouvant en Alaska, en Islande, à Spitsbergen – la plus grande île de l’archipel du Svalbard dans l’océan Arctique – ainsi que dans les montagnes d’Asie centrale et du Pamir. Une pulsation consiste en deux phases : une surge et une régénération. Pendant une surge, un glacier libère la tension accumulée lors de sa précédente régénération. Le glacier se disloque, sa vitesse de glissement s’accélère et la masse glaciaire située en haut du glacier se déplace vers les parties médiane et inférieure. En même temps, les parties supérieures et inférieures du glacier se rapprochent, provoquant un allongement de la langue. Une fois la surge terminée, la régénération débute lorsque la glace s’accumule dans la partie de pulsation supérieure et que l’extrémité frontale de la partie activée bouge graduellement.

vladimir kotlyakov   LE RÉCHAUFFEMENT CLIMATIQUE ET LES SURGES GLACIAIRES


© Robert Bauer

LES CAUSES ET LES MÉCANISMES DES SURGES GLACIAIRES Généralement, les surges glaciaires surviennent lorsque les vallées étroites ou la couverture morainique retiennent la glace, ce qui provoque une instabilité. Les observations directes d’un changement dans le mouvement d’un glacier au début d’une surge glaciaire sont malheureusement encore très rares et les causes ne sont pas clairement établies. Aujourd’hui, certaines hypothèses sont proposées pour tenter d’en expliquer le mécanisme. La vitesse d’un glacier augmente soudainement soit à cause de l’intensification des forces qui agissent (principalement la gravité) soit à cause de la réduction de la friction à l’intérieur du glacier et au lit de la montagne. Ces deux processus sont liés entre eux. Le flux de la glace augmente soudainement après avoir dépassé une charge maximale, un phénomène dû à l’accumulation de la glace dans le réservoir du glacier au cours des années. L’un des facteurs qui augmente le glissement du glacier le long du lit est la formation d’une pellicule d’eau. Des obstacles de petite taille (de plusieurs centimètres) sur le lit rocheux résistent au glissement de la glace jusqu’à ce qu’elle fonde et forme une pellicule d’eau égale au volume des obstacles. Les glaciers avancent alors soudain lorsqu’une couche de neige de 25 à 50 mètres d’épaisseur s’accumule peu à peu sur la surface, dépassant la masse critique d’un glacier et provoquant son glissement sur une nappe d’eau. Plus le glacier est épais, plus la coulée de glace aura des difficultés à pénétrer dans les parties inférieures, tandis que le flux géothermique reste inchangé. Une surge provoque également une diminution de l’épaisseur du glacier et les températures à sa base tombent au-dessous de zéro, ce qui ralentit son mouvement.

Dans les régions polaires, l’étendue du pergélisol de l’hémisphère Nord va probablement enregistrer un recul de 20 à 35 % d’ici à 2050. La profondeur de la fonte saisonnière du pergélisol devrait augmenter de 15 à 25 % dans la plupart des régions d’ici à 2050, et de 50 % ou plus dans les régions les plus septentrionales, ce qui devrait entraîner une perturbation des écosystèmes dans l’Arctique. ­—GIEC

Le glacier du Rhône situé à 3 600 mètres est le plus grand glacier des Alpes suisses. Facilement accessible, il est observé depuis le XIXe siècle. Il a perdu 1,3 km de longueur au cours des 120 dernières années, laissant un amas de roches.

© Robert Bauer

Mais il reste une question à résoudre : quelle différence y a-t-il entre un glacier « normal » et un glacier « en surge » et un glacier normal peut-il se transformer en un glacier en surge ? Une chose est sûre, comme je l’ai mentionné plus haut, l’activité d’un glacier ne provoque pas toujours une surge. Mais le mouvement modifie sa structure et son régime : lorsque sa vitesse s’accélère, des crevasses se forment dans lesquelles s’amoncellent des débris rocheux et de nouveaux dépôts morainiques.

Un lac formé en haut du glacier Rimpfischhorn à 4 119 m d’altitude, dans les Alpes suisses. chronique onu    No. 3 & 4    2009

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Les surges glaciaires ne sont pas liées aux variations climatiques et peuvent se produire alors même que le glacier recule. Il faut souligner que le changement climatique est un ­phénomène très difficile à comprendre et il n’est toujours pas ­possible de savoir quels facteurs – naturels ou anthropiques – au cours des dernières décennies sont à l’origine du réchauffement. L’accélération de la vitesse des glaciers peut également s’expliquer par l’apparition de zones creuses, remplies d’eau, entre la glace et le lit du glacier, qui sont sous pression; la glace bouge audessus des vires du glacier et le long des irrégularités du lit dû à la fonte et au regel de l’eau fondue, ainsi qu’à la déformation plastique de la glace. UNE CATASTROPHE DANS LE CAUCASE Le Kolka, un petit glacier de 3 km de long situé sur le versant nord de la montagne de Kazbek, l’un des sommets les plus hauts du Caucase, fait partie de la catégorie des surges glaciaires. Il a avancé en 1902, puis de nouveau en 1969 où il a doublé de taille et provoqué une coulée épaisse de boue et des éboulis de roches gelées. Selon les prévisions, une surge glaciaire devait avoir lieu dans les années 2030. Elle s’est produite bien avant. Le 20 septembre 2002, d’immenses masses de glace, d’eau et de roches ont dévalé une partie de la vallée jusqu’à la crête de la montagne de Skalisty, formant un lac et un barrage de 100 m d’épaisseur et de 4 km de long (fig. 3). Près de 110 millions de mètres cubes de glace ont couvert les gorges étroites de la vallée. Sous la pression, le barrage a rapidement cédé et cette masse de glace a dévalé le versant par « vagues » (fig. 3), déposant des blocs de glace et de roches qui ont formé une barre de 100 à 140 mètres au-dessus du lit de la rivière. Plus loin, une coulée de boue épaisse charriant des blocs de glace a parcouru 12 km causant d’importants dégâts et tuant 130 personnes1.

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Suite à ce phénomène inattendu, on s’est intéressé de plus près au cirque glaciaire (une dépression de forme circulaire sur le versant des montagnes). Il s’est avéré que le glacier était complètement sorti de son lit. Un phénomène d’une telle intensité n’avait jamais été observé nulle part ailleurs, car le Kolka n’était pas un glacier suspendu : il était situé dans un cirque et comportait une légère pente de surface de 7 à 9°. Un tel phénomène n’a pu se produire que par l’accumulation d’un important volume d’eau sous le glacier dû à la fonte anormale de la glace et de la neige dans la région alpine du Caucase quatre ans auparavant. Une eau abondante sur les pentes voisines et l’épaisseur de la glace avaient préparé le glacier à une nouvelle catastrophe, avec une avalanche de glace et de roches conjugée à des événements volcaniques et séismiques. Cette catastrophe a démontré la nécessité de surveiller et d’observer en permanence les mouvements rapides des glaciers. LA SURVEILLANCE DES GLACIERS On a remarqué certains changements avant la survenue d’une surge glaciaire : la langue du glacier prend la forme d’une goutte d’eau; des lignes de faille et des zones de glace broyée apparaissent sur les bords du glacier; des crevasses se forment; la langue s’étire et atteint d’autres glaciers; et des pentes de la montagne et des lacs se forment. Après une surge glaciaire, l’extrémité supérieure de la langue est un amas chaotique de blocs de glace.

Les photos prises par satellite et les observations aériennes et terrestres sont spécialement importantes pour étudier et observer les surges glaciaires. Je me suis familiarisé avec ce phénomène dans le Pamir où de nombreux glaciers ont avancé entre 1972 et 1977. À l’aide des photos prises par satellite et les stations mises en orbite, plus de 20 surges ont été découvertes entre les années 1960 et 1990 dans la chaîne du Pamir en Asie Centrale. Un inventaire des surges glaciaires dans le Pamir a été publié il y a dix ans2, à partir d’études réalisées entre 1971 et 1991 uniquement par des satellites russes. Au total, 630 glaciers montrant des signes d’instabilité ont été découverts dans cette région, y compris 51 avec des larges surges fixes, 215 montrant des signes d’activité et 464 montrant des signes de surges passées ou d’activité instable. Je propose d’établir, à partir d’observations terrestres, aériennes et spatiales, un système de surveillance des changements de la taille et de la forme des surges glaciaires et de leur dynamique3. Les observations terrestres comprennent l’établissement des mesures de fluctuations des glaciers à l’aide des méthodes géodétiques, la mise en place de stations météorologiques pour l’étude des glaciers et la réalisation d’études sur le terrain. Les observations aériennes comprennent la surveillance aérienne et les relevés aérophotogrammétriques périodiques à distance. Les observations spatiales comprennent les photos prises par satellite avec une résolution de 15 à 20 m. Actuellement, ces informations

vladimir kotlyakov   LE RÉCHAUFFEMENT CLIMATIQUE ET LES SURGES GLACIAIRES


sont fournies par le radiomètre aster (Advanced Spaceborne Thermal Emission and Reflection Radiometer), résultat d’une coopération entre la nasa et le Japon, installé à bord du satellite Terra; par le satellite Landsat 7; ainsi que par la section russe de la Station spatiale internationale où les cosmonautes photographient les glaciers. Pendant le réchauffement climatique, les surges de certains glaciers sont un phénomène auquel nous n’avons pas encore trouvé de solutions et qui nécessite une recherche nationale et internationale.

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Il faut souligner que le changement climatiques est un phénomène très difficile à comprendre et qu’il n’est toujours pas possible de savoir quels facteurs – naturels ou anthropiques – au cours des dernières décennies sont à l’origine du réchauffement. Il reste encore de nombreuses incertitudes. Les estimations du giec sont très larges et ne peuvent donc prévoir avec certitude l’émergence d’un âge glaciaire sur Terre – du moins pas dans les décennies ou les siècles à venir.

Notes 1 Kotlyakov V.M., Rototaeva O.V., Desinov L.V., Osokin N.I. Causes and effects of a catastrophic surge of Kolka Glacier in the Central Caucasus/ Zeitschrift für Gletscherkunde und Glazialgrologie, 2004, Bd. 38, Ht. 2, s. 117-128. 2 O sipova G.B., Tsvetkov D.G., Rudak M.S. Inventory of the Pamirs surging glaciers/Data of Glaciological Studies, 1998, issue 85, pp. 3-136 [en russe]. 3 Kotlyakov V.M., Osipova G.V., Tsvetkov D.G. Monitoring surging glaciers of the Pamirs, Central Asia from space/Annals of Glaciology, 2008, vol. 48, pp. 125-133.

île triangulaire noyée dans la couleur vive des bougaine regrette beaucoup les arbres que j’ai perdus lors de mes villiers, avec un arbre à chikoo à ma gauche, un jamun nombreuses migrations dans la ville et aujourd’hui, je à ma droite, un arbre neem près du mur, un gulmohar à garde jalousement mon jardin de la taille d’un mouchoir quelques mètres de là et un parijat entre les deux, tandis de poche. Ayant habité dans plusieurs quartiers d’Ahmeque de longues grappes de plantes grimpantes retombaient dabab, j’ai pu observer différents comportements à l’égard avec élégance sur les murs extérieurs. C’était un véritable des arbres. Par exemple, un marchand de légumes a planté plaisir que de se promener dans ces allées et de regarder les un tulsi et un lili chai à côté de sa boutique pour attirer perruches, les bulbuls, les couturières à longue queue, les les clients et apporter une note agréable au décor. Des guêpiers verts et autres oiseaux pépiant dans le feuillage arbres sacrés comme le bayan et le pipal sont aussi soiluxuriant. Je voyais dans l’encadregneusement entretenus pour ment de ma fenêtre l’arbre à chikoo des raisons religieuses. Je me du bungalow voisin. Un matin, j’ai rappelle aussi ce conducteur Jours passés à Ahmedabad entendu un grand vacarme et constade rickshaw qui insistait pour té qu’on était en train de couper cet que le directeur de la pépinière par Esther David arbre. Je ne pouvais rien faire car je de Parimal lui donne un jeune ne connaissais pas les propriétaiarbre afin qu’il le plante dans res et ne pouvais les en empêcher. la cour de sa maison. J’ai vu Lorsqu’on leur a demandé la raison, ils ont invoqué l’invades architectes concevoir des maisons autour des arbres. sion d’insectes. Je trouvais que ce n’était pas une raison sufDans les immeubles, certains appartements possèdent leur fisante pour abattre des arbres, car il faut des années pour propre parc, alors qu’ailleurs des arbres sont coupés et des qu’un arbre atteigne la taille d’un arbre adulte et seulement zones sont rasées pour construire des gratte-ciels. Il y a quelques heures pour le couper. À la fin de la journée, l’araussi ces grandes propriétés privées près de l’autoroute où bre qui ornait l’encadrement de ma fenêtre avait disparu. Il poussent des plantes exotiques, comme le kadamb, les géraavait été débité pour fournir du bois de chauffage. Quelques niums ou le basilic. J’envie tous ceux qui vivent dans le payjours plus tard, lorsque mon voisin a commencé à couper sage luxuriant de l’Institut indien de gestion, une île verte son jeune arbre neem, je lui ai demandé avec hésitation de dans la ville, avec des pelouses, des jardins et des arbres, reconsidérer sa décision, car il faut attendre des années un paradis virtuel pour observer les oiseaux. Le Centre pour pour que les arbres soient aussi touffus, et ils sont aussi un la planification, l’environnement et la technologie, que l’on paradis pour les oiseaux. Je pensais que mon intervention appelle plus couramment l’Université CEPT, et l’Institut allait lui déplaire mais, à ma surprise, il a interrompu son national de design sont également des zones luxuriantes. projet. J’ai poussé un gros soupir de soulagement. J’avais Je vis actuellement au rez-de-chaussée d’une société de sauvé un arbre et pouvais envisager un avenir vert pour logements à hauteur limitée située dans le centre de la ville Ahmebadad. au milieu de bungalows et de propriétés privées avec des jardins. Lorsque je me suis installée dans ce quartier, j’ai été réconfortée d’être entourée d’un jardin public et d’une

Esther David est un auteur qui vit à Ahmedabad. Ses romans évoquent son expérience juive en Inde.

chronique onu    No. 3 & 4    2009

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Surveiller le changement climatique de

Image satellite tricolore de l’ouragan Ivan par le satellite Terra de la NASA le 11 septembre 2004, à 16 h 10 UTC, à environ 50 kilomètres de la pointe ouest de la Jamaïque.   jacques descloitres/modis rapid response team, NASA/GSFC

l’ESpaC e

Par Juan Carlos VillagrÁn de león

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endant des siècles, les communautés rurales des hauts plateaux des Andes ont utilisé l’eau produite par la fonte des glaciers de cette étonnante chaîne de montagnes. Or, le recul de ces glaciers force les populations à modifier leurs moyens de subsistance et à chercher des façons de s’adapter. Dans une perspective plus vaste, la fonte des glaciers est une image emblématique du réchauffement climatique pour les plus grandes villes des Andes qui dépendent des glaciers pour leur approvisionnement

Juan Carlos Villagrán DE LEÓN est Administrateur de programme au Bureau des Affaires spatiales de l’ONU, à Vienne.

80

en eau potable. Malheureusement pour ces populations, la source de ce problème particulier et les solutions possibles résident loin de leur sphère d’influence du fait que les actions locales contribuent très peu à résoudre ce problème. Comme l’a indiqué en 2003 et en 2007 le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (giec), la fonte des glaciers dans les Andes, l’Himalaya et les Alpes est la conséquence du réchauffement climatique, un processus dont les hommes sont responsables et qui est directement lié à l’industrialisation qui s’est produite au cours de ce siècle, suscitant en particulier une demande en

énergie produite à partir des combustibles fossiles. Les émissions de gaz à effet de serre comme le dioxyde de carbone (CO2), l’oxyde nitreux (NO2), le méthane (CH4) et les émissions des aérosols ont un effet direct sur le forçage radiatif (la différence entre l’énergie radiative reçue et l’énergie radiative émise) dans l’atmosphère, provoquant un réchauffement climatique. Ce réchauffement se manifeste par une hausse des températures dans les océans et l’atmosphère. L’absorption de la chaleur est le principal facteur responsable de l’augmentation du niveau des océans et provoque la fonte des glaciers et des calottes glaciaires. Et bien

JUAN CARLOS VILLAGRÁN DE LÉON    Surveiller le changement climatique de l’ESPACE


F entendu, la fonte des glaciers continentaux dans l’Antarctique et au Groenland contribue également à l’élévation du niveau de la mer. Reconnaissant la nécessité de faire face à ce problème au niveau mondial, les gouvernements ont créé le giec afin de fournir une base pour étudier l’étendue du problème ainsi que la Convention-Cadre des Nations Unies sur les changements climatiques (ccnucc) comme mécanisme visant à faciliter les négociations intergouvernementales. Les organisations des Nations Unies jouent également un rôle important. Par exemple, l’Organisation météorologique mondiale (omm) apporte depuis longtemps son appui aux services météorologiques nationaux qui fournissent les données nécessaires au suivi des variables essentielles du climat (evc), comme la température de l’air et de l’eau, la glace de mer, la vapeur d’eau et la salinité, etc. L’omm est également à la tête du Système mondial d’observation du climat (smoc) qui surveille ces variables essentielles du climat. D’autres organismes nationaux et organisations régionales dans le monde contribuent aussi au suivi des variables climatiques comme le niveau des océans, la couche d’ozone et les processus chimiques qui l’affectent ainsi que des émissions de gaz à effet de serre provenant des incendies de forêt, et permettent de mieux comprendre les interactions entre les océans, la terre et l’atmosphère. Les informations recueillies par satellite permettent de suivre les changements du volume de glace stockée dans les calottes polaires et les glaciers. La capacité des satellites d’effectuer des mesures globales standardisées de tous les glaciers ainsi que de toutes les calottes glaciaires change de manière uniforme et périodique. Les instruments installés sur satellite sont un moyen idéal car, à cause des conditions climatiques rudes, il est difficile d’assurer une permanence humaine pendant toute l’année. En outre, au niveau des calottes polaires, il serait presque impossible de mesurer périodiquement et avec suffisamment de précision l’extension des calottes et leur dynamique, étant donné qu’il n’existe aucun repère terrestre sur lequel établir des points de comparaison pour effectuer les mesures géospatiales nécessaires. Vu l’importance du changement climatique depuis les années récentes, les agences spatiales ont créé des programmes pour la surveillance et le suivi des changements climatiques. Les satellites scientifiques mis en orbite par ces agences fournissent des données sur la chimie atmosphérique et sa dynamique, les changements de la couverture végétale et l’évolution

des océans, sur lesquelles les décideurs gouvernementaux s’appuient pour élaborer des politiques et des mesures d’atténuation et d’adaptation conformément au Protocole de Kyoto. D’autres applications des techniques spatiales comprennent l’évaluation de l’effet du réchauffement climatique sur les terres humides qui abritent une variété d’écosystèmes et d’espèces, dans le sol gelé en permanence (pergélisol) ainsi que dans les océans, en particulier au niveau du plancton, des écosystèmes marins et de l’équilibre biochimique du système océan-atmosphère. En outre, les satellites permettent d’accéder à des données nécessaires pour suivre la formation et la dissipation des nuages ainsi que les processus de convection entre la troposphère et la stratosphère. Étant donné qu’on ne sait pratiquement rien sur le rôle des nuages sur les flux radiatifs et qu’on n’en comprend pas encore très bien le cycle hydrologique, les données satellites permettront au giec d’améliorer les modèles et de réduire les incertitudes. Les satellites permettent également d’évaluer la vulnérabilité face au changement climatique. Les observations spatiales sont idéales pour compléter les relevés effectués sur le terrain avec des informations mises à jour sur l’utilisation des terres et les changements d’affectation des terres dues à la croissance démographique, à la migration urbaine, aux conflits et à la pauvreté. Par exemple, la vulnérabilité des villes côtières sera essentielle pour identifier les mesures d’adaptation. Les informations d’origine spatiale peuvent également permettre d’évaluer la vulnérabilité des cultures dans les plaines inondables de faible altitude dans les régions côtières. Dans le contexte de l’évaluation des risques, les outils spatiaux offrent une plate-forme idéale pour évaluer l’exposition des éléments vulnérables non seulement au changement climatique mais aussi à d’autres facteurs néfastes. Dans le cadre des Nations Unies, le Comité des utilisations pacifiques de l’espace extra-atmosphérique (copuos) est le lieu où se concluent les accords mondiaux, notamment sur les débris spatiaux, sur les politiques relatives aux divers types d’orbites et, plus récemment, sur les systèmes mondiaux de navigation et la législation spatiale. En 1999, durant la conférence internationale unispace iii, les États Membres ont reconnu la contribution des sciences et des applications des techniques spatiales au bien-être de l’humanité et au développement durable dans des domaines comme la gestion des catastrophes, les prévisions météorologiques pour la modélisation du climat, la navigation des satellites et les communications.

Les observations spatiales sont idéales pour compléter les relevés effectués sur le terrain avec les informations mises à jour sur l’utilisation et les changements d’affectation des terres dues à la croissance démographique, à la migration urbaine, aux conflits et à la pauvreté.

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Selon la NASA, le gaz à effet de serre doit son nom à l’analogie entre l’atmosphère terrestre et une serre : le verre d’une serre laisse passer les rayons lumineux mais empêche la chaleur accumulée de s’échapper, réchauffant l’air dans la serre. Bien que le mécanisme de l’atmosphère soit différent de celui d’une serre, le résultat est similaire et l’effet de réchauffement a donc été désigné par « effet de serre ».

Planètes et atmosphères

Mars Atmosphère ténue (la quasi-totalité de CO2 est deposée dans les sols) 2

Terre 0,003 % de CO2 dans l’atmosphère Température moyenne : 15 °C

Vénus Atmosphère épaisse contient 96 % de CO2 Température moyenne : 420 °C

Source : Calvin J. Hamilton, Vues du système solaire, www.planetscapes.com; Bill Arnett, Les neuf planètes, une visite multimédia du système solaire, www.seds.org/billa/tnp/nineplanets.htm

La question du changement climatique a été récemment abordée au sein du copuos dans un colloque organisé pendant la quarante-sixième session de son Sous-Comité scientifique et technique, qui a eu lieu en juin 2009 à Vienne. Appuyant le copuos dans son rôle de secrétariat chargé de renforcer le dialogue politique entre les États Membres, le Bureau des affaires spatiales des Nations Unies (unoosa) a mis en œuvre des initiatives pour promouvoir l’utilisation d’informations d’origine spatiale. Il a récemment créé l’un-spider – programme pour l’exploitation de l’information d’origine spatiale aux fins de la gestion des catastrophes et des interventions d’urgence. En outre, la section des applications des techniques spatiales et celle des services au Comité et de la recherche de l’unoosa ont organisé une série de conférences et d’ateliers sur les effets du changement climatique dans les zones de montagnes, sur le développement durable, l’agriculture, la sécurité alimentaire ainsi que sur les problèmes juridiques que pourraient soulever les applications des techniques spatiales. L’objectif de l’unoosa est de promouvoir l’acquisition et l’utilisation des données recueillies par les satellites afin 82

de contribuer à la compréhension et à la modélisation du changement climatique comme moyen de suivre son impact à long terme. Cette vision pourrait permettre aux populations andines ainsi qu’à celles du monde entier d’utiliser les informations d’origine spatiales et de prendre conscience de l’ampleur du problème et aux décideurs d’appréhender le problème dans toute son ampleur afin de conclure un accord à Copenhague.   Les vues exprimées dans cet article ne reflètent pas nécessairement celles de l’UNOOSA. Références GIEC (2001) :Troisième rapport d’évaluation. Changement climatique 2001. http://www.ipcc.ch/publications_and_data/publications_and_data_ reports.htm#1 GIEC (2007): Quatrième rapport d’évaluation. Changement climatique 2007. http://www.ipcc.ch/publications_and_data/publications_and_data_ reports.htm#1 OOSA (2009): document de séance n° 6. Réf. A/AC.105/2009/CRP.6

JUAN CARLOS VILLAGRÁN DE LÉON    Surveiller le changement climatique de l’ESPACE


J

e suis née dans les années 1950. Lorsque j’étais jeune, aveuglement n’a pas duré longtemps. L’utilisation abusive mes parents, qui faisaient partie du monde agricole, de combustibles fossiles a vite produit des émissions de gaz ­commençaient la journée en observant le temps. Nous à effet de serre au point d’étouffer la Terre. J’étais heureuse n’avions pas assez de vêtements chauds ni de ventilateurs de vivre mes jeunes années dans une ère industrielle en électriques. Nous manquions toujours de vivres et avions évolution rapide, occupée à jouir des commodités de la juste de quoi faire face au froid vie moderne sans me rendre de l’hiver et à la chaleur de l’été. compte de la pollution qu’elle Une menace naissante Pourtant, nous y arrivions. Le engendre sur l’environnepar Kim Young Mi soleil était au rendez-vous quand ment. Or, nous faisons face nous faisions les moissons et l’hiaujourd’hui à une menace ver nous laissait assez de temps pour nous reposer et nous naissante. Mais il n’est pas trop tard. Dans le village monpréparer pour la saison suivante. dial, bon nombre de personnes concernées œuvrent sans relâche pour sauver la planète. Lorsque je suis devenue adulte, la Corée était devenue une société industrielle en pleine mutation. Nous n’avons Toutefois, cela ne suffit pas. Quiconque vit et partage ce pas résisté aux attraits et aux facilités de la vie quotidienne que la Terre a à offrir doit participer à la sauver et prendre qui étaient aussi délicieux que le chocolat. Mais nous part à la formidable mission de transmettre aux générations étions incapables de mesurer et d’évaluer les conséquences futures les rêves de notre planète négatives. Nous continuions de nous délecter et de consomKim Young Mi écrit des livres pour enfant qui ont reçu des prix. mer tant et plus croyant que c’était une bénédiction. Cet

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L’amincissement de

l’

Une Terre sans écran solaire

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Par Jonathan Shanklin

a formation du trou d’ozone dans l’Antarctique montre la rapidité avec laquelle nous pouvons changer l’atmosphère de notre planète. Il y a de nombreuses autres questions environnementales auxquelles nous faisons face aujourd’hui et nous devons les lier entre elles pour comprendre les causes sous-jacentes et en débattre au lieu de traiter chaque question de manière isolée. L’Antarctique est un continent magnifique. Les glaciers descendent jusqu’à la mer, royaume des pingouins et des baleines. Bien que 70 % de l’eau douce du monde se trouve dans la calotte polaire, le continent est un véritable désert où l’eau douce y est pratiquement inexistante. La glace prend diverses couleurs, du blanc étincelant de la neige fraîche au bleu indigo profond au bas d’une crevasse béante. C’est dans cette terre de contrastes que l’on a découvert le trou d’ozone. L’ozone est une forme d’oxygène similaire au gaz que nous respirons, mais est formé de trois atomes au lieu de deux. C’est donc un gaz très réactif et toxique en concentrations élevées. Quand il est engendré par la pollution près de la surface de la Terre, il peut provoquer des crises d’asthme mais, dans les couches supérieures de l’atmosphère, il forme une protection contre les rayons du soleil. Il s’agit de la couche d’ozone, une zone située à une altitude comprise entre 10 et 35 km où la concentration naturelle de l’ozone est très élevée. À cette altitude, l’ozone résulte de l’action des rayons ultraviolets sur l’oxygène dans la stratosphère et les rayons ultraviolets les plus dangereux sont totalement absorbés durant ce processus. Certains de ces rayons atteignent la surface de la Terre et l’intensité est contrôlée par la quantité d’ozone – plus la couche d’ozone est épaisse, plus l’intensité des rayonnements UV est diminué, et vice-versa. Lorsque la couche d’ozone s’appauvrit, les rayons ultraviolets peuvent la traverser, ce qui a des effets néfastes en

augmentant les risques de coups de soleil, de cancer de la peau et de cataracte. Les recherches sur l’ozone dans l’Antarctique ont débuté il a plus de 50 ans avec l’Année géophysique internationale de 1957-58. Dans le cadre de cette entreprise scientifique, un réseau d’observatoires a été créé dans l’Antarctique, dont plusieurs ont mesuré l’ozone. La station de recherche britannique Halley fut l’une des premières à faire part de ses découvertes : les résultats obtenus pendant la première année de l’opération ont montré une différence surprenante avec ceux de l’Arctique à une altitude équivalente. On s’est vite rendu compte que cela était dû au fait que la circulation stratosphérique était différente au-dessus des deux pôles : au nord, la circulation est relativement complexe, alors qu’au sud, elle est relativement simple avec un vortex (tourbillon) circumpolaire de longue durée ou un cyclone continu de grande ampleur.

Jonathan Shanklin a découvert le trou dans la couche d’ozone en Antarctique en 1985 alors qu’il faisait partie du Groupe d’études britanniques de l’Antarctique. Il dirige le Meteorology and Ozone Monitoring Unit de BAS.

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JONATHAN SHANKLIN    L’Amincissement de l’ozone


L’empreinte humaine

Le trou dans la couche d’ozone antarctique

NASA

Total de l’ozone (unités Dobson) 110

220

330

440

550

Les zones bleues et violettes sont celles où la couche d’ozone est la plus fine, et les zones vertes, jaunes et rouges où elle est la plus épaisse.

L’Unité Dobson sert à mesurer la concentration de l’ozone. Une unité Dobson est le nombre de molécules d’ozone nécessaire pour créer une couche d’ozone pure de 0,01 mm d’épaisseur, à une température de 0 °C et à une pression de 1 atmosphère – la pression de l’air à la surface de la Terre. L’épaisseur moyenne de la couche d’ozone est d’environ 300 unités Dobson soit une couche de 3 mm d’épaisseur. Combien cela représente-t-il par rapport au reste de l’atmosphère ? Si l’air contenu dans une colonne verticale qui s’étendrait du sol à l’espace était recueilli et compressé à une température de 0 °C et à une pression de 1 atmosphère, cette colonne aurait une épaisseur de 8 km. En comparaison des 3 mm d’ozone mentionnés plus haut, on remarque combien la couche d’ozone de la Terre est mince.

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Des nuages nacrés (aussi appelés mère-de-glace ou nuages stratosphériques) à la station du Groupe d’études britanniques de l’Antarctique à Rothera. Ces nuages se forment dans la couche d’ozone à une altitude située à environ 20 km et jouent un rôle important dans l’appauvrissement de la couche d’ozone. En raison de leur altitude, ils restent illuminés par le soleil, longtemps après son coucher. © BAS.

Ces mesures d’ozone à Halley se sont poursuivies en utilisant le même type d’instrument, le spectrophotomètre d’ozone de Dobson, conçu dans les années 1920 par un professeur de physique d’Oxford, Gordon Dobson. Il demeure aujourd’hui encore l’instrument standard pour l’observation de l’ozone. Il utilise les rayonnements ultraviolets qui traversent la couche d’ozone pour mesurer la quantité d’ozone. Cet instrument nécessite de nombreuses manipulations manuelles et les calculs nécessaires pour déterminer la quantité d’ozone à partir des observations sont complexes si bien que, dans les années 1970, une pile d’observations commençaient à s’accumuler. Lorsque j’ai rejoint le Groupe d’études britanniques de l’Antarctique, l’une de mes premières tâches a été de créer des programmes informatiques pour traiter les observations après qu’elles eurent été saisies électroniquement. La première étape a consisté à s’assurer que les données saisies étaient correctes, puis à vérifier le logiciel. Ce fut aussi à cette époque que l’on a commencé à se poser des questions sur l’effet des aérosols et du supersonique Concorde sur la couche d’ozone. Lorsque le Groupe d’études britanniques de l’Antarctique a tenu sa « Journée porte ouverte », on pensait que ce serait une bonne occasion de réassurer le public en affirmant que la couche d’ozone au-dessus de l’Antarctique n’avait pas changé. Or, à la surprise générale, les données semblaient indiquer que les mesures de 86

Les chlorofluorocarbones et les substances associées étant, toutefois, très stables, leur concentration atmosphérique diminue très lentement et ne retrouvera pas le niveau qui existait avant l’apparition du trou avant 2070. Il faudra probablement compter plusieurs années avant que le trou dans la couche d’ozone ne rétrécisse et de nombreuses décennies avant de retrouver les concentrations du début des années 1970. l’ozone au printemps de cette année-là étaient très inférieures à celles relevées dix ans auparavant, mais il me restait à traiter les données recueillies depuis. Une fois fait, il était évident qu’il existait un effet systématique. C’est alors que Joe Forman, Brian Gardiner et moi-même avons écrit un article exposant ce phénomène inattendu au-dessus de l’Antarctique.

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Partout ailleurs en Antarctique, les observatoires ont continué d’effectuer des mesures de l’ozone de manière sporadique, mais sans disposer des techniques instrumentales disponibles à Halley qui permettent d’assurer la continuité des observations sur le long terme. Ce fut un facteur crucial dans notre découverte et qui nous a enseigné comment surveiller l’environnement. En outre, le centre du trou dans la couche d’ozone présente souvent une polarisation vers l’Atlantique, permettant à la station Halley de commencer les mesures plusieurs semaines avant que le soleil ne se lève suffisamment au pôle Sud. Une fois que l’article a été publié dans la revue Nature, les données satellites ont de nouveau été traitées et ont mis en évidence un « trou d’ozone » au-dessus du pôle Sud. Bien que les satellites donnent un excellent aperçu général des changements dans la couche d’ozone, les observations au sol sont nécessaires pour permettre une calibration précise. Nous savons aujourd’hui que ce trou est causé par les chlorofluorocarbones (cfc) et les halons contenant du chlore et des gaz de brome qui détruisent l’ozone. La raison pour laquelle la destruction est particulièrement importante au-dessus de l’Antarctique vient du fait qu’il existe un tourbillon polaire stable avec des températures de dix degrés inférieures à celles de

L

l’Arctique. En hiver, une masse de nuages inhabituelle se forme dans la couche d’ozone antarctique et les réactions chimiques à la surface se produisent dans les nuages et ont un effet sur les substances chimiques qui appauvrissent la couche d’ozone. Lorsque le soleil réapparaît, des réactions catalytiques se produisent qui détruisent l’ozone. Le Protocole de Montréal a été une réponse très efficace au changement de la couche d’ozone au-dessus de l’Antarctique. Ratifié par tous les États Membres de l’ONU à l’exception d’un seul, il a permis de réduire la quantité de substances nocives. Ces substances et autres substances associées étant, toutefois, très stables, leur concentration atmosphérique diminue très lentement et ne retrouvera pas le niveau qui existait avant l’apparition du trou avant 2070. Il faudra probablement compter plusieurs années avant que le trou dans la couche d’ozone ne rétrécisse et de nombreuses décennies avant de retrouver les concentrations du début des années 1970. La réduction de ces substances nocives a eu comme conséquence involontaire de réduire le réchauffement de la planète, les substances chimiques étant souvent des gaz à effet de serre puissants. Le problème du trou dans la couche d’ozone a été traité de manière relativement simple, chacun ayant généralement pris Suite à la page suivante ▶

es périodes de réchauffement climatique ne sont nécessaiLes nouvelles technologies pourraient permettre de rement une invention humaine. Mais les êtres humains ont réduire les émissions de dioxyde de carbone, mais cela ne trouvé les moyens de transformer un cycle naturel en un sera probablement pas suffisant dans ce monde qui ne fait cycle anormal dont la gravité dépasse l’explosion tragique que commencer à consommer, à gaspiller et à détruire. d’une bombe atomique, ou même de plusieurs bombes atomiTenter de réduire la pollution environnementale sans réduire ques. Toutefois, nous ne pouvons pas voir l’explosion parce le consumérisme équivaut à combattre le trafic de la drogue que nous sommes pris dans son tourbillon, parce qu’elle sans combattre la toxicomanie. semble être un accident de la nature auquel nous devons Le consumérisme débridé et irrationnel ne connaît aucune nous résigner. limite. Il n’a pas empêché des millions d’enfants de mourir Les gouvernements monde faim, mais il a mis en danger diaux sont trop occupés à l’existence de l’ensemble de la biosLa pandémie du consumérisme tenter de sauver l’humanité phère. Si le consumérisme n’est pas de la « grande crise » – la remplacé par des valeurs oubliées par Jorge Majfud crise économique – en sticomme l’austérité, nous aurons mulant la consommation qui bientôt à choisir entre la guerre et la nous conduit à une catasmisère, la faim et les épidémies. trophe totale. Si nous n’avons pas encore atteint le niveau Il incombe aux gouvernements et à chacun d’entre nous d’une véritable catastrophe, c’est seulement parce que nous soit d’organiser notre salut soit d’accélérer la destruction de n’avons pas encore atteint les niveaux de consommation soinotre propre monde. disant souhaités. La Conférence sur le climat de Copenhague offre une nouDans cette illusion collective, on confond développement velle occasion de prévenir la plus grande calamité à laquelle et consumérisme, gaspillage et succès ainsi que croissance l’humanité ait jamais été confrontée. Il ne faut surtout pas et engraissement. La pandémie est perçue comme un signe manquer cette occasion, parce que le temps nous est compté. de bonne santé. Son « succès » est tel qu’il n’existe aucun système idéologique ou politique dans le monde qui ne se Jorge Majfud est l’auteur de La Ciudad de la Luna, son ouvrage le plus récent. soit adapté pour le reproduire.

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Paysage près de la station du Groupe d’études britanniques de l’Antarctique à Rothera.

© BAS

Lorsqu’un médecin traite un patient, il est essentiel qu’il prenne en compte tous les symptômes pour pouvoir établir un diagnostic. C’est exactement la même chose lorsqu’on examine la santé de la planète. ▶ Suite de la page précédente

conscience du problème et reconnu la nécessité de trouver une solution en utilisant d’autres produits. Un autre symptôme environnemental – celui du changement climatique – suscite actuellement de nombreux débats, mais en termes d’émission de gaz à effet de serre dans l’atmosphère, on est au-delà du pire scénario prédit par le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (giec). En outre, il existe de nombreux autres symptômes des contraintes exercées sur l’environnement allant de la pénurie de l’eau et de la nourriture à l’effondrement de la pêche à la déforestation et à la destruction de l’habitat. Lorsqu’un médecin traite un patient, il est essentiel qu’il prenne en compte tous les symptômes pour pouvoir établir un diagnostic. C’est exactement la même chose lorsqu’on examine la santé de la planète. Mon diagnostic est que nous devons de 88

toute urgence débattre du problème de l’ozone et prendre des mesures pour réduire les activités humaines qui affectent la planète, sinon d’autres symptômes risquent d’apparaître. Nous pourrions diminuer la consommation des ressources de notre planète, en particulier dans les nations développées; mais il nous faut probablement aussi réduire la population mondiale si nous voulons assurer la santé de la planète à long terme. Pour ce faire, nous devons organiser sans délai un débat si nous voulons éviter un sort comme celui des habitants de l’île de Pâques qui ont épuisé toutes leurs ressources. Malheureusement, ces avertissements, comme les prédictions de Cassandre, ne seront pas entendus et il faudra peut-être une catastrophe majeure avant que des mesures ne soient prises. Les Nations Unies sont le lieu où le débat devrait débuter.  

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La revue des livres de la Chronique

PLANÈTE ONU

Publié par Romuald Sciora et Annick Stevenson Éditions du Tricorne, 2009 pp.164, 16 dollars

Nous étions quatre, dont Staffan de Mistura, près de la ligne bleue qui sépare le Liban Sud d’Israël et qui est supervisée par les Nations Unies. Le ronflement des moteurs des véhicules des casques bleus recouvrait partiellement le léger frémissement du drapeau bleu de l’ONU qui flottait dans le vent. C’était le crépuscule. Silencieux, nous scrutions l’horizon formé par cette frontière sous surveillance, dans l’harmonie rassurante des teintes roses et bleues pastel qui illuminaient nos visages. D’un geste spontané, Staffan nous a rapprochés encore plus les uns des autres dans une étreinte chaleureuse. Un peu plus tôt, Jean Lacouture s’était adressé à lui : « Il faut que je vous pose une question. Pensez-vous vraiment accomplir quelque chose ici ? » Staffan de Mistura, qui a hérité du caractère passionné et volcanique de son père italien et de celui pragmatique et posé de sa mère suédoise, avait brillamment élucidé avec son accent chantant l’importance de la présence de l’ONU : le retrait des mines terrestres, la plantation d’arbres, la construction d’hôpitaux…, de nombreuses initiatives essentielles pour apporter le paix dans la région, avait-il expliqué, « pour que nous n’attendions pas la paix à ne rien faire, mais que nous y œuvrions, car la paix, comme l’amitié, est faite de petits gestes ». Jean avait tout à fait compris. L’objectif des Nations

Unies était d’être une sorte de « plantation de la paix », avait-il conclu. Les Nations Unies, une plantation de la paix…, l’image me semblait évidente. Ce fut à ce moment-là que je compris qu’il fallait continuer; le travail que j’étais sur le point de terminer n’était, en soi, qu’un commencement. J’avais déjà commencé à éliminer de mes pensées l’humeur sombre que nous ressentons tous le soir qui marque la fin d’un tournage, cette émotion qui devient si forte lorsque vous apportez les dernières touches à un film qui, pensez-vous, jettera un jour nouveau sur une situation peu comprise : cette mélancolie qui ponctue la fin d’une aventure qui ne se répétera jamais plus. « Coupez ! » On a éteint le moteur des caméras, débranché les microphones, les techniciens ont commencé à remballer leur matériel et ceux qui participaient au film ont rejoint leur voiture. Mais mon esprit était ailleurs, centré sur l’idée qui venait d’y germer. J’en fis part à Jean Lacouture. Il y a souscrit immédiatement : l’idée de réaliser un long-métrage sur les Nations Unis. Il s’agirait d’un travail global sur l’histoire, l’évolution, les défis et les multiples facettes de cette Organisation qui était aussi si peu comprise et tellement critiquée, mais qui était néanmoins capable d’accomplir le miracle de réaliser des millions de petits gestes dans le monde entier pour préparer le sol à la « plantation de la paix ».

PHOTO ONU/MARK GARTEN

Romuald Sciora collabore avec les Nations Unies sur des projets audiovisuels, littéraires et éducatifs. Il a récemment réalisé une série télévisée sur l’histoire de l’ONU racontée par les Secrétaires généraux, qui a été diffusé dans plus de 20 pays. Cette série a donné lieu à un documentaire appelé « Planète ONU » et un ouvrage du même nom. On trouvera ci-dessous un extrait de l’introduction de M. Sciora au livre.

Romuald Sciora (à droite) avec Kiyo Akasaka, Secrétaire général adjoint à la communication et à l’information des Nations Unies.

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Mythe

Les énergies renouvelables sont chères

« L

es énergies renouvelables sont chères – elles sont bien au-delà de nos moyens ». J’ai entendu cet argument maintes fois. Or, rien n’est plus faux. Les coûts de l’énergie renouvelable ne sont pas plus élevés que ceux des énergies traditionnelles. Le public confond coûts et prix. Il faut qu’il comprenne que les prix du marché des énergies traditionnelles ne reflètent pas la réalité.

Réalité

Le prix du marché des énergies traditionnelles ne reflète pas la réalité 90

COÛTS ET PRIX Le prix des énergies les plus couramment utilisées – l’électricité et l’essence – figure sur votre facture d’électricité mensuelle ou est affichée à la station-service. Ce prix est connu de tous et le consommateur paie individuellement. À première vue, les énergies renouvelables semblent plus chères que les énergies traditionnelles. Mais cela change

dès que l’on considère la chaîne complète énergie-production où les énergies renouvelables sont mieux placées que les énergies traditionnelles. En outre, les énergies renouvelables réduisent la pollution de l’air, de l’eau, des sols, de la flore et de la faune, économisent des ressources et utilisent moins de terres. Les installations d’énergies renouvelables peuvent être désassemblées et recyclées à leur fin de vie, alors que les sociétés doivent supporter les charges financières liées à l’utilisation des énergies traditionnelles comme l’énergie nucléaire et le charbon, aux dégâts environnementaux résultant de l’exploitation de l’uranium et du charbon ainsi que du stockage des déchets radioactifs. Les émissions de carbone produites par les combustibles fossiles et l’énergie nucléaire sont significativement plus importantes que

HÉLÈNE PELOSSE    Les coûts réels des énergies traditionnelles


Les coûts réels des énergies traditionnelles Par Hélène Pelosse

celles issues de la plupart des énergies renouvelables. Ce n’est qu’avec la publication récente du Rapport Stern sur l’économie du changement climatique que les coûts liés aux changements climatiques, dont 50 % sont causés par les émissions de carbone, ont été portés à l’attention d’un plus grand public. Et, comme l’indique le rapport, le recours aux énergies renouvelables entraîne une diminution des coûts. Par exemple, les énergies éolienne et hydroélectrique ainsi que la biomasse émettent en moyenne 40 g de CO2 par kilowatt-heure (kWh), tandis qu’une usine nucléaire, selon l’origine de l’uranium, en émet de 31 à 130 g et une centrale fonctionnant au charbon en émet de 800 à 1 400 g. Les coûts additionnels induits pas les énergies traditionnelles, comme les coûts environnementaux, climatiques et sanitaires, ne sont pas encore reflétés, par exemple, dans les factures d’électricité mensuelles. Le public en général en supporte pourtant une grande partie. Nous sommes donc mal partis si nous considérons seulement les prix et choisissons la forme d’énergie la moins chère sans prendre en compte les coûts additionnels. Contrairement aux prix des énergies traditionnelles, les énergies renouvelables expriment la vérité écologique et réduisent les coûts macroéconomiques de la production d’énergie. UN IMMENSE ÉCHEC DU MARCHÉ La distorsion des prix est même plus prononcée. Pendant de nombreuses décennies, les énergies renouvelables ont été désavantagées en raison de la faiblesse du soutien de la recherche et développement, du manque de subventions et de structures mondiales de la production d’énergie qui sont adaptées aux besoins des énergies traditionnelles. Comment peut-on comparer les prix des énergies traditionnelles et ceux

des énergies renouvelables sans prendre en compte le soutien financier et politique que les énergies traditionnelles ont obtenu dans le passé et les avantages dont elles continuent de bénéficier ? Par exemple, entre 1974 et 1992, les pays de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) ont dépensé 168 milliards de dollars dans la recherche et le développement de l’énergie nucléaire et seulement 22 milliards de dollars dans la recherche et le développement des énergies renouvelables. Entre 1990 et 2004, les dépenses liées aux activités de recherche et de développement de ces technologies vertes dans l’Union européenne ont augmenté de 9 % à seulement 20 %. L’énergie nucléaire a bénéficié d’environ 1 000 milliards de dollars en subventions, sous forme de crédit préférentiel, de subventions à l’investissement, d’exonération fiscale pour les carburants et de décharge des obligations en matière de responsabilité. En revanche, pour les énergies renouvelables, les subventions ont atteint au mieux 40 milliards de dollars au cours des 30 dernières années. Malgré le manque apparent de soutien public, les technologies des énergies renouvelables ont donné des résultats satisfaisants au cours des dernières années. Les économies d’échelle ainsi que les activités de recherche et de développement menées par les petites et moyennes entreprises ont entraîné une réduction considérable des coûts des technologies. Depuis 1991, la réduction du montant total des coûts s’élève à 68 % pour l’énergie solaire, à 60 % pour l’énergie éolienne et à 40 % pour l’énergie solaire thermique. Le secteur vise à obtenir une réduction supplémentaire de 40 % d’ici à 2020 – les prix d’aujourd’hui seront différents de ceux de demain ! En septembre 2009, des experts allemands ont annoncé que d’ici un an, le prix de l’électricité produite par les panneaux

Les coûts additionnels induits pas les énergies traditionnelles, comme les coûts environnementaux, climatiques et sanitaires, ne sont pas encore reflétés, par exemple, dans les factures d’électricité mensuelles. Le public en général en supporte pourtant une grande partie.

Hélèn Pelosse est Directrice générale de l’Agence internationale pour les énergies renouvelables (www.irena.org).

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Malgré les avancées technologiques remarquables en matière de panneaux solaires et de turbines éoliennes, ces énergies n’ont toujours pas la place qui leur revient en raison des infrastructures énergétiques mondiales. solaires sera identique à celui de l’électricité produite par les sources des énergies traditionnelles. Des avancées similaires ont été constatées en Espagne. Au cours des dernières années, à la bourse d’énergie espagnole, l’énergie éolienne a fait baisser le prix global de l’électricité les jours ventés et a été vendue à un prix inférieur à celui de l’électricité produite par la centrale alimentée au charbon la plus chère. Même chose en Allemagne. En 2006, si les énergies renouvelables ont coûté 3,3 milliards d’euros supplémentaires aux consommateurs, elles ont aussi généré des revenus de 5 milliards d’euros. D’autre part, ces énergies ont des retombées importantes : ce sont de véritables machines à créer des emplois. En Allemagne, le nombre de personnes travaillant dans le secteur des énergies renouvelables a quadruplé depuis 1998; aujourd’hui, ce secteur emploie 2,5 millions de personnes dans le monde. Toutefois, malgré les avancées technologiques remarquables en matière de panneaux solaires et de turbines éoliennes, ces énergies n’ont toujours pas la place qui leur revient en raison des infrastructures énergétiques mondiales qui sont mises en place pour satisfaire les besoins énergétiques en charbon, en gaz, en pétrole et en uranium et qui favorisent les énergies conventionnelles. Les pays et les institutions scientifiques ont reconnu le problème et ont progressivement orienté les activités de recherche et de développement vers une infrastructure de réseaux intelligents, intégrant les énergies renouvelables au réseau, les technologies de stockage pour assurer l’équilibre entre les différentes énergies renouvelables et les extensions du réseau pour relier au niveau local les énergies renouvelables au réseau principal. Il sera peut-être nécessaire de modifier les structures de réglementation du marché des énergies renouvelables pour répondre aux besoins de la production décentralisée et fluctuante de ces énergies et de mettre en place un nouveau

régime réglementaire pour les technologies des énergies renouvelables. Les prix de ces énergies diminueront encore plus lorsque le système énergétique mondial prendra en compte leurs coûts réduits. LE MOMENT EST VENU DE REMETTRE LES CHOSES AU POINT Une démarche centrée seulement sur les prix du marché actuels ne reflète pas de manière adéquate les avantages offerts par les énergies renouvelables. Nous devons, en outre, remédier au déséquilibre existant. Pour y parvenir, je suggère une double démarche : La publication d’analyses sur la viabilité : Nous devons sensibiliser davantage le public sur les coûts additionnels des énergies traditionnelles. IRENA, l’Agence internationale pour les énergies renouvelables, aura pour tâche de promouvoir les analyses existantes sur la viabilité de toutes les sources d’énergie, de chiffrer et de publier leur empreinte carbone, la quantité d’eau nécessaire pour leur production et les coûts de suivi. Cette Agence établira une base d’informations et recueillera des informations sur le secteur énergétique mondial. Dans ces activités en direction des gouvernements, du public et des autres parties concernées, IRENA s’emploiera à réfuter les idées préconçues – comme le fait que les énergies renouvelables sont chères. L’inclusion des facteurs externes : Il faut trouver un moyen de réduire les coûts additionnels créés par les technologies des énergies qui émettent du carbone. La mise en place d’une taxe carbone est une mesure appropriée. Une autre solution consiste à adopter des mesures de soutien direct au secteur des énergies renouvelables. Des tarifs préférentiels de l’électricité avec des ajustements tenant compte du développement technologique garantissent que les énergies renouvelables contribueront à réduire les émissions de gaz à effet de serre. Chaque pays devra decider de la direction à prendre. Une exemption fiscale pour la biomasse produite de façon viable est une autre solution. IRENA aidera ses membres à créer le cadre politique, économique et social approprié pour que leurs politiques, leurs programmes et leurs réglementations aient l’effet voulu. Même si les énergies renouvelables ont été boudées dans le passé, elles se sont beaucoup développées. Compte tenu des avantages qu’elles présentent pour la société, l’environnement et le climat mondial, il est clair que cela ne coûterait pas trop cher de les introduire à grande échelle dans l’économie mondiale. Pour y parvenir, IRENA apportera son appui à ses membres, afin de construire un monde entièrement alimenté par les énergies renouvelables. Je suis sûre qu’à l’avenir, le matériel à énergie renouvelable sera vendu dans les hypermarchés – comme les notebooks et les téléphones portables aujourd’hui.  

Les énergies renouvelables pour aller plus loin


L

alimentaire. Les travaux de la terre ne e téléphone sonne, interrompant sont plus une source de fierté. brusquement le silence ­matinal. Je le décroche avec hésitation. « Le ciel nous a humiliés », dit ma L’interlocuteur : mon fils, étudiant en vieille mère. « Peut-être que nous Afrique du Sud. avons fait quelque chose qui n’allait pas », continue-t-elle. « Oui, papa, tout va bien. Mais il se passe quelque chose d’étrange à La végétation locale a changé. Les Johannesburg. Les rues sont couverarbres qui étaient couverts de feuilles tes de neige, partout dans la ville. Il et à fleurs meurent, dépérissent. Les a neigé hier soir. Les gens ne savent lucioles dans les nuits noires d’été pas quoi faire ou quel nom lui donner. ne sont présentes que dans les récits Même les anciens ne se rappellent pas nostalgiques que les parents veulent une seule langue locale qui utilise le bien raconter à leurs enfants. mot « neige ». Il n’y a pas de mot pour désigner celleLes Cycles des Saisons ci. Les parents ont mis en garde leurs enfants de ne par Chenjerai Hove pas sortir. Ils disent que c’est un mauvais présage. » La consternation envahit mon cœur, En Norvège où je vis actuellement, se lit sur mon visage ! le ski, et l’amour des Norvégiens pour ce sport, est menacé, comme tous les De la neige dans mon village. De la animaux en Afrique qui ont appris à neige dans un pays où le mot pour la humer dans un ciel vide car leurs forêts désigner n’existe même pas. disparaissent, et qui engagent une Dans ma jeunesse, dans les années lutte avec les hommes pour l’espace. 1970, la saison des pluies commençait Une bataille perdue ! En Norvège, la vers le 15 octobre et se terminait la glace et la neige fondent à une rapidité première semaine d’avril par des fêtes jamais encore vue. Les hommes et les célébrées dans la joie manifestant femmes férus de sport se désolent à notre gratitude envers du Créateur l’idée que les prochaines générations pour les greniers qui seront bientôt ne pourront plus skier dans quelques remplis de vivres et d’espoir. centaines d’années. La saison des pluies était normale. Notre race, l’espèce humaine, sera Les fermiers savaient à quel moment connue pour ses rejets dans l’air et préparer la terre pour l’arrivée des pluies qui donnent la vie. Les chansons ses déchets déversés dans les eaux sans aucune considération pour les et les danses s’épanouissaient dans conséquences. nos cœurs qui étaient à l’unisson des saisons. Les avancées technologiques dont nous sommes si fiers risquent de disQuarante ans plus tard, en 2009, paraître à jamais car la nature réagit les fermiers ne savent plus quand les avec violence. pluies arriveront. Sept saisons sur dix La destruction des systèmes de il n’y a pas de pluie. Le bétail meurt la nature est devenue notre propre et les fermiers autrefois prospères destruction. dépendent de l’humiliante distribution

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Notre erreur est d’avoir écouté les philosophes qui nous disaient que la mission de l’homme était de conquérir la nature, comme si l’homme ne participait pas à l’harmonie naturelle des choses. Les philosophes africains ont été plus prudents : la mission de l’homme, disaient-ils, est d’être en harmonie avec les autres aspects de la nature. Mais à l’âge des progrès scientifiques, tout le monde a fait la sourde oreille. De nouvelles maladies ont apparu. Nos plantes naturelles pour les traiter ne poussent plus dans les forêts. Le panier de vivres se vide en même temps que notre nourriture est appauvrie par la science et la technologie. Nos vallées autrefois luxuriantes et vertes sont transformées en déserts et les mers menacent de submerger nos villes et nos villages côtiers. L’obsession humaine de tout prouver scientifiquement nous rappelle qu’il existe d’autres formes de savoir traditionnel qui pourraient sauver les êtres humains. Parfois les tabous dits « superstitieux » concernant la nature pourraient réussir à nous faire respecter la nature. Il faut réunir tous les savoirs pour sauver notre planète et la beauté de toutes ses créatures, y compris l’homme. « Les arbres, les oiseaux, les animaux sauvages et le ciel sont notre vie. Ils nous parlent, mais nous sommes trop stupides pour les entendre. Maintenant, nous les avons tués et personne n’est là pour nous mettre en garde contre les dangers des cycles des saisons », disait mon père. Chenjerai Hove est l’auteur d’un ouvrage récent intitulé The Keys of Ram et d’un recueil de poésie, Blind Moon.

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Par WAEL HMAIDAN

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orsque l’on parle d’énergie au Moyen-Orient, on pense instinctivement au pétrole – l’or noir qui a été la source des économies stables et saines dans la région. Or, cela est sur le point de changer. Avec la Conférence des Nations Unies sur le climat qui doit bientôt avoir lieu à Copenhague, les gouvernements réalisent que face à la menace imminente posée par le changement climatique, il n’y a pas d’autre choix que d’agir vite. Selon l’Étude sur la situation économique et sociale dans le monde, 2009 : promouvoir le développement, protéger la planète1, nous devons transformer notre économie à un niveau similaire à celui des périodes de guerre. Lorsqu’il a annoncé qu’un sommet sans précédent sur le climat aurait lieu au siège de l’ONU le 22 septembre 2009, le Secrétaire général des Nations Unies Ban Ki-moon a dit qu’il nous restait moins de dix ans pour enrayer la hausse des émissions de gaz à effet de serre si nous voulions éviter des conséquences catastrophiques pour les populations et la planète. Les petits États insulaires en développement, qui sont directement menacés par l’élévation du niveau de la mer, demandent de fixer un seuil d’émissions d’ici à la fin de 2010 afin de limiter dès que possible la concentration de gaz à effet de serre à 350 parties par million (ppm) d’équivalent CO2 . Cette rapide transformation a, bien entendu, suscitée de vives inquiétudes dans les pays de la région arabe riche en

Quoi qu’il arrive à l’avenir, la région arabe continuera de jouer un rôle important dans la production mondiale d’énergie. Produire une énergie propre et durable qui protégera la planète contre le changement climatique est un choix qui ne dépend pas seulement de la région mais aussi des dirigeants mondiaux. Nous aurons ­l’occasion de faire ce choix à Copenhague dans ­seulement un mois.

pétrole. Le coût du changement climatique est trop élevé. Même la région arabe souffrira, en particulier dans le secteur agricole et le secteur des ressources en eau. L’élévation du niveau de la mer menacera également les pays à faible élévation et les régions agricoles de la région comme le Bahreïn, le Qatar, les Émirats arabes unis et le bassin du Nil. Au Liban, les incendies qui sont de plus en plus fréquents détruisent les forêts. Il est donc nécessaire de transformer nos sociétés et de développer une économie à faible émission de carbone. La question est de savoir quel rôle la région pourra jouer dans la campagne en faveur d’une telle économie. Si la région arabe est le principal producteur de pétrole au monde, elle est aussi l’une des régions les plus riches en ressources pour développer la production d’énergies renouvelables. Si seulement 1 % des déserts de la région étaient utilisés pour produire de l’énergie solaire, cette région pourrait approvisionner l’Europe, l’Afrique et une partie de l’Asie. Cette idée n’est pas nouvelle. Des rapports et des études ont été déjà réalisés à cette fin et des bureaux d’études ont été créés comme DESERTEC Industrial Initiative qui a pour objet l’analyse et la mise en place

Wael Hmaidan est Directeur exécutif de IndyAct, la Ligue des militants indépendants, au Liban.

Le pétrole dans une économie à faible émission en carbone


Dans les années 2070, le potentiel d’énergie hydraulique de l’Europe devrait diminuer de 6 %, avec de fortes variations régionales, à savoir une diminution de 20 à 50 % dans les régions méditerranéennes, et une augmentation de 15 à 30 % dans le nord et l’est de l’Europe. ­—GIEC

d’« un cadre technique, économique, politique, social et économique en faveur d’une production d’énergie sans émission de CO2 dans les déserts d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient ». Le concept DESERTEC est axé essentiellement sur la construction de centrales thermiques solaires qui concentrent les rayons du soleil à l’aide d’immenses miroirs installés pour créer de la chaleur qui, à son tour, produit de la vapeur pour une turbine. À l’avenir, des centrales solaires thermiques seront construites dans les déserts d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient et plusieurs projets pilotes ont déjà vu le jour. En juillet 2009, douze grandes entreprises européennes ont signé un mémorandum d’accord2 à Munich pour lancer l’Initiative DESERTEC. Même si ces initiatives visent principalement à fournir de l’énergie solaire à l’Europe, elles peuvent être facilement développées et un réseau électrique intelligent pourrait être construit pour acheminer l’énergie solaire vers les pays africains et de l’Asie de l’Ouest. La région arabe pourrait donc continuer à jouer un rôle décisif dans le secteur énergétique de demain, dont l’importance dépendra des décisions prises aujourd’hui. Les premiers à investir dans ce secteur seront ceux qui vendront leur technologie ou l’énergie produite par celle-ci, comme cela a été le cas de la technologie éolienne dans certains pays européens. Les énergies renouvelables offrent une occasion unique à la région arabe. Si les pays arabes exportateurs de pétrole nouvellement industrialisés investissent leurs revenus pétroliers dans la technologie solaire, ils contribueront non seulement à protéger la vie sur la planète, mais assureront aussi que leurs économies profiteront de l’exportation de l’énergie solaire propre. Cela leur permettra aussi de diversifier leur économie et de ne pas épuiser leurs ressources pétrolières qui seront même plus précieuses à l’avenir. Certains pays arabes exportateurs de pétrole commencent à voir les avantages que présentent ces

projets. Les États arabes unis se sont établis comme un des leaders des énergies renouvelables en lançant l’Initiative Masdar3 qui a pour objet de construire la première ville totalement neutre en émissions de CO2 . Cette initiative a rassemblé des chercheurs et des entreprises du monde entier. Masdar est aujourd’hui le siège de l’Agence internationale pour les énergies renouvelables (IRENA), une agence intergouvernementale dont la mission est de promouvoir les énergies renouvelables à l’échelle mondiale. La décision de faire des Émirats arabes unis la plate-forme pour les énergies renouvelables montre que les Gouvernements reconnaissent le rôle que cette région peut jouer dans ce secteur. La région arabe peut également jouer un rôle important pour faciliter la transition entre les combustibles fossiles et les énergies renouvelables. Il est peu probable que ce passage se fera rapidement. Il y aura une période de transformation durant laquelle de nombreux pays continueront d’augmenter leur production énergétique, surtout dans les économies émergentes comme la Chine et l’Inde où la demande augmente rapidement et où il sera nécessaire de construire des centrales traditionnelles. Le choix du combustible peut toutefois faire une énorme différence. En choisissant le gaz naturel – le combustible le plus propre – pour produire de l’électricité, les pays pourront réduire significativement leurs émissions de CO2 . Le gaz naturel produit 30 % de moins de dioxyde de carbone que le charbon. Pendant la période de transformation, il faudrait donc accorder une plus grande priorité aux centrales fonctionnant au gaz naturel qu’à celles qui fonctionnent au charbon et au pétrole. Ici aussi, la région arabe a un rôle important à jouer : selon les estimations, le Qatar détient les troisièmes réserves de gaz naturel du monde suivi par l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis, l’Algérie et l’Irak occupant le neuvième et le dixième rang. Quoi qu’il arrive à l’avenir, la région arabe continuera de jouer un rôle important dans la production mondiale d’énergie. Produire une énergie propre et durable qui protégera la planète contre le changement climatique est un choix qui ne dépend pas seulement de la région mais aussi des dirigeants mondiaux. Nous aurons l’occasion de faire ce choix à Copenhague dans seulement un mois.   Notes 1 http://www.un.org/esa/policy/wess/wess2009files/wess09/wess09pressreleases/pr_en.pdf 2 http://www.desertec.org/en/press/press-releases/090713-01-assemblydesertec-industrial-initiative/ 3 http://www.masdar.ae/en/home/index.aspx

chronique onu    No. 3 & 4    2009 © MARIA JOÃO ARCANJO

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Écologie Par Alain de Botton

es dangers environnementaux auxquels l’humanité fait face aujourd’hui met l’intellectuel non scientifique dans une position délicate. Il doit reconnaître qu’il n’a précisément rien d’intéressant à dire sur les deux questions actuelles les plus importantes : « Que va-t-il nous arriver ? » et « Que devrions-nous faire ? » N’attendez donc pas qu’un philosophe vous éclaire sur ces questions. Ceci ne doit pas diminuer l’importance de procéder à un examen attentif de nos dilemmes écologiques, au lieu de chercher simplement à en sortir. Il est important d’essayer de comprendre l’impact qu’ont exercé les abus planétaires sur nos esprits. Nous pouvons nous demander en quoi la prise de conscience de la crise a changé notre paysage intérieur, comment elle a altéré la psyché humaine. Pour commencer, il faudrait faire remarquer que ce n’est pas la première fois que l’humanité confronte la possibilité de sa propre destruction. Le sentiment que l’ordre des choses – les champs soigneusement entretenus, les armoires à linge bien rangées, les greniers pleins – pourrait bientôt disparaître, aurait été très familier à n’importe quel habitant de l’Europe médiévale. Il suffit d’étudier les pierres sculptées aux flancs des cathédrales pour voir que, pendant des siècles, nos imaginations ont été hantées par l’Apocalypse. Toutefois, nous nous sommes habitués à concevoir la situation environnementale comme un fait sans précédent, peut-être à cause des médias ou parce que pour les journaux quotidiens, tout doit être, à priori, une nouveauté. Pour eux il n’y a jamais eu de tremblement de terre à Lisbonne ou de pillage à Rome. Personne n’a jamais tué ses enfants ou perdu sa fortune. Il ne s’agit pas de nier les nouvelles raisons qui nourrissent nos angoisses, mais seulement d’insister que nous devons séparer la morbidité familière, de longue date, de l’homo sapiens des caractéristiques particulières de la situation présente. Dater notre prise de conscience écologique au moment où les deux bombes ont explosé au-dessus d’Hiroshima et de Nagasaki n’est pas la pire des idées. Ces armes nous ont montré non seulement que l’humanité était mortelle (une ancienne idée), mais qu’elle l’était par l’action de l’homme (au lieu de rats porteurs de maladies) : en d’autres termes, nous avions acquis le pouvoir de provoquer l’extinction de l’espèce. Nous savions depuis longtemps que nous étions des êtres bornés et meurtriers. Au cours des dernières générations, nous avons aussi réalisé que nous étions très puissants. Nous avons eu la chance d’être pourvus d’une intelligence assez développée pour altérer nos destins, ce dont aucun animal n’est capable,

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tout en n’ayant pas la sagesse de résister à nos mauvais penchants. Pourtant malgré leurs similarités, la destruction de l’environnement et la destruction nucléaire présentent des différences. Les généraux qui bombardent une zone savent qu’ils vont tuer des gens. Les directeurs exécutifs qui gèrent le transport du lait des dépôts aux supermarchés n’ont pas d’autres motifs que de faire gagner de l’argent aux actionnaires. Lorsque nous faisons couler l’eau à flot pour nous brosser les dents ou que nous prenons l’avion pour aller admirer des tableaux du Titien à Florence, nous ne commettons pas délibérément un acte d’agression. On nous rappelle pourtant tous les jours que les actions quotidiennes innocentes peuvent avoir un effet cumulatif bien plus destructeur que la bombe atomique. On nous demande de nous redéfinir comme des tueurs inconscients. D’autre part, et cela est troublant, on nous dit que la destruction n’est pas directement liée à nos actes individuels mais à nos actes collectifs en tant que race. Nous sommes impliqués dans un crime que nous ne pouvons pas contrôler individuellement. Nul ne peut altérer la situation par son seul engagement personnel. Le salut doit être collectif. Nous sommes donc coupables, mais aussi totalement impuissants. Les choses sont plus simples pour les assassins que pour les citoyens du monde moderne : ils peuvent au moins se délivrer du péché en se repentant et modifier leurs comportements par leur propre volonté. Ils n’ont pas besoin de conclure simultanément un accord avec six milliards de personnes dans 192 pays. Pourtant ne rien faire n’est pas une solution parce qu’on nous rappelle que si tout le monde pensait de la sorte, nous courrions à notre perte. Nous revenons à l’injonction chrétienne d’éviter le désespoir, non pas parce qu’il y a lieu de se réjouir, mais parce que l’espoir est synonyme d’humanité et de souci d’autrui. La situation écologique a changé à jamais notre relation à la nature. Une journée de printemps inhabituellement chaude ne peut être aujourd’hui ce qu’elle était pour Chaucer et Wordsworth : une manifestation du mystère et de la puissance d’un royaume non humain. Depuis que nous sommes sur Terre, l’expérience de la nature supposait une rencontre avec l’Autre. Les montagnes et les vallées ont toujours suggéré que la planète a été modelée par autre chose que nos propres mains, par une force bien plus grande que nous, bien avant que nous ne soyons nés, et qui perdurera bien après notre disparition. Nous pouvions aller dans la nature et voir que nous étions les jouets de forces qui avaient formé les océans et taillé les montagnes. Au début, la nature était Dieu, puis (au milieu

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du XVIIIe siècle en Europe) elle a représenté de manière plus générale tout ce qui dépassait l’homme. Mais que ce soit en tant qu’expérience religieuse puis en tant qu’expérience panthéiste, la relation de l’homme à la nature était essentiellement une remise en cause. Face à la grandeur des déserts et des montagnes, nous étions habités par un sentiment d’humilité. Cela impliquait la manière dont l’expérience du temps était vécue. On quittait les villes et l’on comprenait que l’homme était une créature très temporaire, tandis que la nature était éternelle. Les réalisations humaines s’inscrivaient sur une échelle de temps dérisoire à côté des millénaires gravés dans les pierres. « Il n’y a pour l’homme aucun antidote à l’opium du temps », a écrit sir Thomas Browne au XVIIe siècle, « les générations se succèdent tandis que certains arbres durent des siècles, et les vieilles familles ne survivent pas au-delà de trois générations de chênes ». Dans Le Prélude, Wordsworth rend hommage à la nature pour sa capacité à nous rappeler de manière juste et rédemptrice combien nous sommes petits. Ses œuvres allaient être appréciées pour se défendre devant l’esprit intoxiqué Par les objets présents, et la danse effrénée Des choses qui passent, un spectacle modéré Des objets qui perdurent. Comme les mentalités ont changé. L’équation a été inversée. Les hommes ne sont plus temporaires et les chênes éternels. La nature n’est plus éternelle. La nature ne nous rappelle plus que nous sommes petits, mais fournit plutôt des preuves effrayantes, terrifiantes de notre taille et de notre force. Nous regardons les neiges du Kilimandjaro et pensons à la vitesse à laquelle nos générateurs à charbon ont réchauffé la Terre. Nous survolons les zones déboisées de l’Amazonie et constatons combien nous avons mutilé la planète. Hier nous étions terrifiés par la nature, aujourd’hui nous sommes terrifiés par nous-mêmes. Le sublime naturel a laissé place au sublime technologique. Le printemps inhabituellement chaud ne nous permet pas de nous évader de nous-mêmes. Il ne nous permet pas de profiter des bienfaits de la nature : apaiser nos esprits, conscients d’une réalité qui dépasse l’être humain, qui ne dépend pas de nous, glorieusement indifférente à nos vanités. Aujourd’hui nous ne pouvons penser qu’à l’impact de nos activités. Nous sommes responsables de la floraison précoce des jonquilles wordsworthiennes. Le retour anormalement précoce des oiseaux migrateurs porte notre marque. Nous contrôlons non seulement le trafic aérien et les avions, mais aussi le cycle même des saisons.

Même confrontés aux forces les plus indomptables de la nature, il est probable que nous répondrions à cette force démesurée par un compliment peu convaincant : « Quel spectacle », dirions-nous à la vue d’une mer hivernale déchaînée, « la nature bouillonne encore de vie, cette bête que nous pensions avoir tuée… » En réponse à notre comportement meurtrier, nous faisons preuve d’une sentimentalité hystérique envers la nature. Elle nous fait pitié. Nous la traitons comme un panda blessé. Nous sommes loin de l’attitude des anciens Grecs qui considéraient la nature comme leur adversaire, potentiellement généreuse, mais fondamentalement une ennemie. Nous avons perdu toute notion de cet ancien combat et nous sentons aujourd’hui responsables. Malgré nos constitutions chétives et notre espérance de vie courte, nous avons réussi à nous sentir coupables vis-à-vis des glaciers. Nietzsche s’est plu à railler ces inquiétudes : « Y a-t-il quelque chose de plus répugnant que la sentimentalité envers les plantes et les animaux, de la part d’une créature qui, dès l’origine, a vécu au milieu d’eux comme leur ennemi le plus acharné et qui, finalement, prétend auprès de ses victimes affaiblies et mutilées à la délicatesse de sentiment ! Devant cette sorte de « nature » le sérieux convient d’abord à l’homme, si c’est un homme qui pense. » Le rôle du commentateur cherche d’une part à nous faire remarquer les changements intervenus dans notre environnement. Mais de l’autre, il veut aussi nous faire prendre conscience de notre responsabilité. Il s’agit d’une tâche difficile, car il nous est demandé de nous soucier de la réduction potentielle de la population mondiale sur trois générations, alors que nous sommes confrontés à un problème beaucoup plus imminent : notre propre mort. Jamais dans l’histoire de l’humanité, il nous a été demandé de nous soucier de personnes sur lesquelles nous savions si peu de choses. Notre capacité empathique a été sollicitée jusqu’au point de rupture. C’est peut-être là où l’art intervient. Ce sont les artistes qui vont nous aider à nous représenter – littéralement et figurativement – les dangers qui sont généralement invisibles et qui sont donc constamment subsumés sous le poids de nos préoccupations de la vie courante ou personnelles. Les artistes n’ont peut-être pas de solutions, mais ils peuvent trouver les mots et les images pour rendre visibles et importants les défis les plus abstraits et les plus impersonnels. Alain de Botton est l’auteur de The Pleasures and Sorrows of Work, son ouvrage le pus récent.

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UN SANCTUAIRE

Chasse à l’ours polaire sur la banquise en débâcle de l’île du Spitzberg de l’archipel du Svalbard situé entre la Norvège et le pôle Nord. © PHOTO/Robert Bauer

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a perte de l’habitat est la plus grande menace à la diversité biologique, et 85 % des espèces figurant sur la liste rouge norvégienne de 2006 sont menacées par les modifications intervenues dans l’habitat. Certaines espèces très spécialisées semblent les plus vulnérables, comme l’ours polaire qui dépend de la mer de glace pour survivre. La population mondiale d’ours polaires compte entre 20 000 et 25 000 spécimens répartis entre 19 sous-populations. Les ours polaires

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parcourant cependant des distances considérables, il n’y a pas de différences génétiques majeures entre ces populations. Au Svalbard, ils vivent principalement dans les zones de la banquise et sont les plus nombreux le long de la côte est et dans les fjords au nord. Les zones d’hibernation les plus importantes sont situées sur les îles de Kongsøya, de Svenskøya, d’Edgeøya, de Nordaustland et de Hopen. Cependant, à cause de la diminution de la banquise due au changement climatique, les ours

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EN SURSIS Ursus Maritimus - l’ours blanc

polaires n’hibernent plus à Hopen. C’est un signe que ces immenses zones d’hibernation sont directement menacées par le réchauffement climatique. En 2006, l’ours polaire faisait partie des espèces menacées de disparition figurant sur la liste rouge de l’Union mondiale pour la protection de l’environnement. Étant donné qu’il passe la plus grande partie de son existence sur la banquise, il est particulièrement vulnérable aux modifications de son habitat. En raison de son faible taux de reproduction et de la

durée des générations, l’ours polaire ne peut pas s’adapter aux rapides changements survenant dans son habitat, comme ceux qui ont actuellement lieu dans l’Arctique. S’appuyant sur les prévisions les plus pessimistes, les scientifiques ont estimé que deux tiers de la population des ours polaires pourraient disparaître d’ici à 2050. Si la banquise continue de diminuer aussi rapidement, la situation deviendra encore plus problématique. (Adapté du site www.wwf.org)

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Impacts sur la sécurité

Vulnérabilité des femmes

PERTE DE RÉCOLTES

Assurer l’approvisionnement en combustible domestique; conflits nourriture-combustible

PÉNURIE DES COMBUSTIBLES

Assurer l’approvisionnement en eau; exposition à des sources contaminées

PÉNURIE DE L’EAU SALUBRE

Changement climatique

Inconvénients économiques, manque d’accès à la propriété foncière; moyens de subsistance dépendant des ressources; abandons scolaires. Mariage précoce

INSUFFISANCE DES RESSOURCES

Incidence accrue de la mortalité; réduction de l’espérance de vie; violence et conflits

CATASTROPHES NATURELLES

Manque d’accès aux soins de santé; prise en charge des jeunes enfants, des malades et des personnes âgées

MALADIES

Perte des moyens de subsistance; manque d’abris appropriés; conflits

DÉPLACEMENT

Source : Organisation des femmes pour l’environnement et le développement

Assurer la nourriture de la famille; travail agricole

GUERRE /CONFLIT CIVILS

Perte des moyens de subsistance et pertes en vies humaines; violence sexuelle et traumatismes

Source : Organisation des femmes pour l’environnement et le développement $8 USD ISBN 978-92-1-200305-4

Imprimé aux Nations Unies 10-20498—Janvier 2010

Département de l’information des Nations Unies, Division des produits et services destinés au public

Les femmes et le changement climatique

Les femmes portent le fardeau


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