n°292 - Points Critiques - janvier 2009

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mensuel de l’Union des progressistes juifs de Belgique janvier 2009 • numéro 292

éditorial Union européenne-Israël, une prime à l’occupation

Bureau de dépôt: 1060 Bruxelles 6 - mensuel (sauf juillet et août)

HENRI WAJNBLUM

L

e 20 novembre 1995, l’Union européenne et Israël signaient un accord d’association visant à l’instauration d’une zone de libre-échange euro-méditerranéenne et portant notamment sur l’exemption des droits de douane des produits israéliens à l’exportation. Il aura toutefois fallu cinq ans pour qu’il entre en vigueur, après avoir été ratifié par le Parlement européen, la Knesset et les parlements nationaux des États membres. Jusqu’en 1999, cet accord n’avait été ratifié que par le Parlement européen et 13 parlements nationaux de l’Union. La ratification avait en effet été bloquée à plusieurs reprises en France (commission des Affaires étrangères de l’Assemblée nationale à partir de mars 1997) et en Belgique (Sénat

à partir d’octobre 1997). Ce n’est qu’après la victoire d’Ehoud Barak aux élections israéliennes de mai 1999 que ces deux assemblées ont décidé de ratifier l’accord qui est finalement entré en vigueur le 1er Juin 2000. Mais dès 2002, un différend surgissait entre l’Union européenne et Israël à propos de l’application des tarifs préférentiels sur les produits israéliens à l’exportation. Pour l’Union européenne, seuls les produits israéliens élaborés dans les frontières de l’État d’Israël d’avant 1967 peuvent en effet bénéficier d’une exemption de droits de douanes. Or les douanes israéliennes accordent également le traitement préférentiel aux produits émanant des colonies juives dans les Territoires palestiniens occupés.

BELGIQUE-BELGIE P.P. 1060 Bruxelles 6 1/1511

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sommaire

éditorial ➜

éditorial

1 Union européenne-Israël, une prime à l’occupation ........ Henri Wajnblum

lire

4 Giorgio Pressburger. Exil et identité

...........................Tessa Parzenczewski

regarder

5 Dans les remous de Cobra .................................................................. Jo Dustin

diasporas

6 Varsovie, lieux de mémoire ................................................. Roland Baumann

yiddish ? yiddish !

! widYi ? widYi

8 Une rencontre avec Daniel Mendelsohn ..............................Willy Estersohn

humeurs judéo-flamandes

10 Dépression ...................................................................................Anne Gielczyk

le regard 12 Les colons de Hébron ................................................................ Léon Liebmann

cultes et laïcité

14 Les valeurs des Européens .................................................. Caroline Sägesser

réflexion

16 A propos des nationalismes ......................................................... Jacques Aron 18

activités écrire

22 Citoyenne du monde...de culture juive ashkénaze ........... Isabelle Grynberg

proche-orient

24 Le statut de prisonniers de guerre ................................................. Amira Hass

trop c’est trop

26 Les élections américaines vues par le professeur Kotek .......... Jacques Aron

dessiner

27 L’actualité .............................................................................................. Jo Dustin 28

les agendas

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Rappelons aussi que l’accord d’association se fonde explicitement en son article 2 sur le respect des droits de l’Homme et des principes démocratiques. On sait ce qu’il en a été des espoirs mis en la victoire électorale d’Ehoud Barak : jamais la colonisation des Territoires palestiniens occupés n’avait été aussi poussée que durant son court règne de premier ministre. Court en effet puisqu’il fut largement battu aux élections anticipées du 6 février 2001 par Ariel Sharon. À plusieurs reprises la suspension de l’accord d’association fut évoquée au sein du Parlement européen en raison de la poursuite de la colonisation et du non respect par Israël du droit international. C’est pourtant, au contraire, une véritable prime à l’occupation et à la colonisation que vient de se voir accorder Israël en ce début de mois de décembre.

À L’INSTIGATION DE LA FRANCE Les ministres des Affaires étrangères de l’Union européenne ont en effet adopté, les 8 et 9 décembre, un texte intitulé « Council Conclusions Strengthening of the EU bilateral relations with its Mediterranean partners - upgrade with Israel », dans lequel il est notamment indiqué que « conformément à l’engagement politique qu’il a pris le 16 juin dernier, lors du 8ème Conseil d’association entre l’Union européenne et Israël, le Conseil réaffirme sa détermination à rehausser le niveau et l’intensité de sa relation bilatérale


avec Israël, à la faveur de l’adoption du nouvel instrument qui succédera à l’actuel plan d’action, à compter d’avril 2009 ». Cette décision permettra désormais à Israël de participer à tous les programmes européens et lui accordera le bénéfice d’une coopération renforcée. Il concerne tous les domaines - politique, économique, scientifique ou sécuritaire. Bref, un statut de quasi membre avec tous les avantages et sans réelles obligations. On nous rétorquera que le texte stipule aussi que le rehaussement de la relation bilatérale est fondé « sur les valeurs partagées des deux parties, en particulier sur la démocratie et le respect des droits de l’Homme, de l’État de droit et des libertés fondamentales, la bonne gouvernance et le droit humanitaire international ». La belle affaire… Nous avons en effet vu le cas que faisait Israël de la disposition similaire contenue dans l’accord d’association signé en 1995… Il est piquant de constater que c’est le pays qui a fait le plus de résistance à la ratification de l’accord de 1995 qui se trouve aujourd’hui à la pointe du combat en faveur du rehaussement de ce même accord. C’est en effet sous l’impulsion du ministre des Affaires étrangères de Nicolas Sarkozy, Bernard Kouchner, celui-là même qui vient de déclarer que la création, à laquelle il avait poussé, d’un secrétariat d’État aux droits de l’Homme avait été une erreur « car il y a contradiction permanente entre les droits de l’Homme et la politique étrangère d’un État », que le texte a été adopté. Voilà un spectaculaire retournement de veste de cet ancien hé-

raut du droit d’ingérence. En adoptant ce texte, les ministres des Affaires étrangères européens montrent aussi le peu de cas qu’ils font du Parlement et des parlementaires européens qui avaient décidé quelques jours plus tôt d’ajourner le vote sur le plan d’action, signifiant ainsi clairement à Israël que l’approfondissement de ses relations avec l’Union européenne devait être lié à des avancées réelles dans le processus de paix. Il n’est pas étonnant que la ministre israélienne des Affaires étrangères Tzipi Livni, également candidate au poste de premier ministre lors des prochaines élections du 10 février ait qualifié l’annonce du rehaussement des relations bilatérales de « succès significatif pour la diplomatie israélienne, qui ouvre une nouvelle page » dans les relations avec l’Union européenne. Quel que soit le parti qui sortira vainqueur des urnes, Kadima de Tzipi Livni ou le Likoud de Benyamin Netanyahou, il se sentira conforté dans sa politique d’annexion rampante, de moins en moins rampante d’ailleurs, du Territoire palestinien. Ahmed Qureia, l’un des négociateurs de l’Autorité palestinienne vient en effet de dévoiler la teneur des propositions israéliennes, à savoir l’annexion de 6,8% de la Cisjordanie où sont implantés les quatre grands blocs de colonies : Ariel, Ma’aleh Adumim, Givat Ze’ev et Efrat-Gush Etzion. Ces propositions ont été rejetées par les Palestiniens qui affirment à juste titre – il suffit de regarder la carte - que les terres qu’Israël veut annexer sont vitales pour la création d’un État palestinien viable.

De plus, la politique d’Israël semble avoir les faveurs d’une majorité de la population israélienne… Un récent sondage israélo-palestinien1 révèle en effet que 66% des Palestiniens souhaitent que les pays arabes reconnaissent Israël en échange de son retrait des Territoires occupés, mais que 61% des Israéliens ne sont pas d’accord. Rappelons que le retrait contre la reconnaissance est le principe du plan présenté en 2002 par la Ligue arabe et que le président israélien Shimon Pérès et son homologue palestinien Mahmoud Abbas tentent de relancer depuis quelques semaines. Mahmoud Abbas a même fait passer des communiqués dans les journaux israéliens dans lesquels il affirmait que les 57 pays arabes et musulmans reconnaîtraient Israël si celui-ci se retirait de tous les territoires occupés depuis la guerre juin 1967. En décidant de rehausser ses relations bilatérales avec Israël sans réelles conditions, l’Union européenne se met à nouveau hors jeu. Il reste à espérer qu’une étincelle viendra des États-Unis après le 20 janvier, non pas pour mettre le feu aux poudres comme nous y a habitués Georges W. Bush durant huit longues années, mais pour allumer le feu de l’espoir d’une solution juste pour le peuple palestinien. ■ 1

Sondage réalisé, côté israélien par l’Institut de recherche Harry S. Truman pour le progrès de la paix (Harry S. Truman Research Institute for the Advancement of Peace) de l’université hébraïque de Jérusalem, et côté palestinien par le Centre palestinien pour la recherche et le sondage politique à Ramallah (Cisjordanie).

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lire Giorgio Pressburger. Exil et identité TESSA PARZENCZEWSKI

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ela commence dans un pays non identifié, quelque part à l’Est, dans les années cinquante. On reconnaît la Hongrie. Une armée étrangère occupe la capitale. Andreas, encore lycéen, prend le chemin de l’exil. Plus tout à fait adolescent mais pas encore adulte, Andreas campe dans cette sorte de no man’s land et traverse tous les dangers avec un certain détachement et une curiosité toujours en éveil. Arrivé en Italie, il rêve de théâtre. Son parcours sera jalonné de rencontres décisives, d’amours fulgurantes et éphémères. Il se fraie un chemin exigeant dans les ornières d’un monde ambigu, rempli de pièges. Il traque les compromissions, les complaisances. Des personnages énigmatiques croisent sa route, certains disparaissent aussitôt, laissant des indices biographiques inachevés, d’autres persistent, tel Gerson, chargé de vies multiples. Petit à petit, la langue d’origine s’assoupit pour laisser place à la langue nouvelle. Parfois aussi une langue plus ancienne, à peine connue, refait surface et évoque prières, fêtes et rites d’une autre vie. Continuellement à la recherche de sens, Andreas découvre un texte vieux d’un demi-siècle. Et c’est le livre dans le livre. Giorgio Pressburger fait revivre ici le

Giorgio Pressburger

philosophe Carlo Michelstaedter, originaire de Gorizia, qui se suicida en 1910, à l’âge de 23 ans, après avoir terminé sa thèse universitaire. Cette thèse, ainsi que d’autres écrits furent publiés plus tard et conférèrent à Michelstaedter une sorte d’aura énigmatique. Andreas et Michelstaedter, deux parcours parallèles , mus par la même exigence rigoureuse que Michelstaedter appelait « l’honnêteté absolue ». Parlant à la première personne, Michelstaedter se projette dans l’avenir et évoque, d’une manière quasi feutrée, le destin tragique qui frappera ses proches, des années plus tard. Un roman d’apprentissage, tissé de mélancolie et d’une violence contenue. Une exploration subtile des méandres de la vie intérieure. Une écriture précise et vibran-

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te à la fois, qui se répercute en nous sans effets gratuits. Un récit parcouru de questionnements, où surgissent parfois, tels des repères fragiles, des références à la Torah et à une vie juive qui survit toujours dans cette Mitteleuropa dont l’auteur est originaire. Giorgio Pressburger est né à Budapest en 1937. Comme le protagoniste du roman, il a quitté la Hongrie en 1956 pour s’installer en Italie. Metteur en scène de théâtre et d’opéra, il est l’auteur de plusieurs romans et recueils de nouvelles dont La Neige et la Faute, prix Viareggio et L’Horloge de Munich, prix Elsa Morante. ■ Giorgio Pressburger La Langue perdue Traduit de l’italien par Marguerite Pozzoli Actes Sud 315p. 22,80 EURO


regarder Dans les remous de Cobra JO DUSTIN

L

e Musée d’Art Moderne de Bruxelles fait la fête à Cobra . Cobra, serpent coloré qui unit Copenhague, Bruxelles et Amsterdam dans les années d’aprèsguerre, de 1948 à 1951. Séquence nordique qui célébrait la couleur et chantait la fusion internationale des émois plastiques. Pour ces partisans d’une liberté radicale et subversive, le brassage de la peinture et de la poésie générait un flux pictural plein d’allégresse où la joie ricochait avec vivacité, avec générosité. Comme le proclamait Christian Dotremont, « Cobra, c’est le mélange non dosé de l’origine première par des origines immanentes pour une origine future ». Les artistes Cobra ne s’attachaient pas à l’unicité de l’œuvre, ils accueillaient aussi l’union douce des œuvres partagées, comme on peut le voir notamment dans les créations communes de Dotremont et Alechinsky. Rejetant tous les carcans, ces artistes revisitent également les arts populaires et s’inspirent de la spontanéité des dessins d’enfants. Le carnaval d’Egill Jacobsen marie le coq jaune à une fête vigoureuse. Les paysages de montagne d’Else Alfelt font danser les bleus multiples et les masques de Jorn unissent animaux et fleurs de lune. Les tumultueux assemblages du même Jorn organisent la débandade des visages et des masques grimaçants. Le phallus de Heerup fleurit avec une vigueur neuve et les oiseaux

blancs et gris de Pedersen nagent dans le vent. Il y a dans les rouges d’Österlin des vaches et des géants pleins de rêves. Chez Karel Appel, des enfants interrogent avec une férocité saccageuse. Et ces figures pactisent avec la savane de l’Indien. Les grandes faces grimaçantes de Constant rappellent que l’angoisse crie encore en nous d’une façon exacerbée. Les images de Jacques Doucet gardent une douceur fleurie et les poissons furieux d’Eugène Brands possèdent des dents dévoreuses. Chez Corneille, les amoureux ont des rougeurs très intimes, les dédales en registres de Pierre Alechinsky promettent des voyages exotiques et des pages de carnaval pleines de merveilles et les

photographies de Serge Vandercam mettent en scène les crochets de la dure soumission. On pourrait encore citer les pierres gravées d’Ubac aux courbes dynamiques et les stances de Van Lint qui pactisent avec l’animal, le minéral et le végétal. Ces deux derniers artistes ne faisaient pas partie du noyau central de Cobra, mais plutôt d’un cercle rapproché. Cette exposition se décante à fleur d’abstraction mais elle se situe dans un entre - deux, entre la présence des images et des propositions plus radicales, plus lapidaires et c’est sans doute sa force et son attrait. ■ Musées Royaux des Beaux-Arts de Belgique. Jusqu’au 15 février

APPEL, Karel. Chat taurin, 1951, Huile sur toile, 100 x 137. Collection : Rotterdam, Museum Boijmans Van Beuningen. © Karel Appel Foundation 2008

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diasporas Varsovie, lieux de mémoire ROLAND BAUMANN

L

e 19 novembre dernier, à Varsovie, on inaugurait un parcours mémoriel marquant les limites du ghetto créé par les Allemands en octobre 1940. Réalisé à l’initiative de Eleonora Bergman, Jan Jagielski et Tomasz Lec de l’Institut historique juif, avec le soutien financier de la ville et du ministère de la Culture, ce parcours se compose de 21 plaques commémoratives, marquant des lieux importants dans l’histoire de cette ville-prison, et ponctuant le tracé au sol, à travers les rues de la ville, d’une bande de couleur beige étiquetée en polonais et en anglais (« MUR GETTA - GHETTO WALL - 1940-1943 »). Comme l’exprimait le porte-parole du ministre de la culture, la réalisation de ce parcours contribue à réinscrire la mémoire juive dans le paysage de la capitale polonaise. Il faut se féliciter de voir enfin réalisé ce projet, longtemps attendu, et dont en mars dernier la presse annonçait déjà l’inauguration imminente, en lien aux commémorations de l’insurrection du ghetto, qui comme on le sait, ont été marquées cette année par la venue du président Shimon Peres et d’une importante délégation israélienne. D’année en année, le discours polonais sur la Seconde Guerre mondiale ne cesse d’évoluer dans le sens général d’un approfondissement des connaissances historiques et d’une volonté de dialogue avec le passé. Ouvert en 2004, le Musée de l’Insurrection de Varsovie, se positionnait tout d’abord

dans la concurrence des mémoires, reprochant aux visiteurs étrangers de Varsovie et aux médias occidentaux en général de se focaliser sur la Shoah et la révolte du ghetto et de méconnaitre - voir d’occulter - le souvenir de l’insurrection générale de la ville en août 1944. Aujourd’hui, ce même musée, institution emblématique du renouveau muséographique de la Pologne, développe des relations d’échanges et de collaborations tant avec Yad Vashem qu’avec le Jewish Heritage Museum de New York et met en valeur l’image historique de Varsovie, théâtre d’une défense héroïque en septembre 1939, puis de deux insurrections en 1943 et 1944. Un discours à l’honneur d’un héroïsme partagé, juif et polonais.

AU MUSÉE DE L’ARMÉE D’autres musées varsoviens évoquent l’histoire des Juifs à Varsovie en 1939-1945. Ainsi, dans la section Deuxième Guerre mondiale du musée de l’Armée (Muzeum Wojska Polskiego w Warsawie), parmi l’imposante collection d’uniformes, armes et memorabilia divers associés à la Résistance, figure une vitrine consacrée à la révolte du ghetto, contenant photos, documents, médailles... ainsi que deux revolvers et un fusil, retrouvés après guerre dans les ruines du quartier juif anéanti. Installée dans un ancien fort du périmètre de défense de la ville construit par les russes à la fin du dix-neuvième siècle, l’annexe du musée de l’Ar-

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mée à Czerniaków, rassemble un parc de matériels militaires divers évoquant l’histoire de l’aviation et du corps des blindés polonais et abrite aussi depuis 1993 le musée Katyn. Rassemblant notamment les objets personnels trouvés lors des fouilles des charniers à Kharkov et Miednoje en 1991, ce musée dont la scénographie s’inspire clairement de celle des musées du génocide juif, se veut à la fois lieu de mémoire et institution scientifique rappelant « le martyre de la nation polonaise ». De nombreux officiers juifs, en particulier des médecins, figuraient parmi les milliers de militaires polonais assassinés en masse par la police politique soviétique en avril-mai 1940. Mais, pour le moment, rien dans ce musée-mémorial, pas plus que dans le film récent de Wajda, ne semble vouloir évoquer cette « mémoire minoritaire » des officiers juifs polonais victimes des tueurs de Staline, alors que le mythe du « judéo-bolchévisme » reste toujours présent dans de larges secteurs de l’opinion publique polonaise...

DU CÔTÉ DU MUSÉE DE L’INDÉPENDANCE Méconnu des visiteurs étrangers, le musée de l’Indépendance (Muzeum Niepodległo�ci) occupe un ancien palais noble, proche de l’Institut Historique juif. C’est de cette institution nationale que dépendent le musée de la prison Pawiak et le mausolée de l’allée Szucha. Ouverte en 1835, entre les rues Pawia et Dzielna, « Pawiak »


Réaménagé à trois reprises, ce musée symbole de l’héroïsme et du sacrifice des patriotes polonais contre le tsarisme d’abord, puis contre le nazisme, se veut aussi un lieu de mémoire juive. Situés au coeur du ghetto créé par les Allemands, Pawiak et Serbia sont aussi le lieu de transit de milliers de Juifs, en particulier après la fermeture du ghetto (15 novembre 1940) et au début de la Le porche d’entrée du ministère de l’Éducation nationale, déportation en mas25 allée Szucha, jadis siège de la Gestapo. Photo Roland se de ses habitants Baumann vers Treblinka en devint rapidement la principale juillet 42. Capturés dans la « vilprison politique du régime tsaris- le aryenne », ces Juifs « insoumis » te et aussi un grand symbole de la sont d’abord enregistrés comme résistance polonaise à l’occupant les autres prisonniers puis enrusse, après l’insurrection de jan- voyés pour interrogatoire à la vier 1863, comme lors des grèves Gestapo, allée Szucha et exécutés révolutionnaires de 1905-1906. une fois qu’ils sont identifiés comPawiak et « Serbia », la prison voi- me « non-aryens ». Les détenus de sine, réservée au femmes, sont Pawiak sont « aux premières loaussi les principaux lieux de dé- ges » lors de la révolte du ghetto, tention des prisonniers politiques au centre de l’océan de feu qui endurant la Seconde Guerre mon- gloutit l’ancien quartier juif. Car, diale à Varsovie. En mars 1940, à Varsovie, contrairement à Craces prisons passent sous l’autorité covie ou Lodz, le quartier prison de la Gestapo dont le quartier gé- institué par les allemands corresnéral occupe le siège du ministère pond bien aux quartiers juifs de polonais des cultes et de l’éduca- la ville avant 1939. C’est la révoltion publique, allée Szucha. Le 21 te du ghetto, tout comme l’intenaoût 1944, en pleine insurrection, se vie juive des rues voisines de la les Allemands font sauter les bati- prison, dans ce quartier d’artisans ments de Pawiak après avoir éva- et de petites entreprises, que docué tous les détenus vers Gross- cumente aussi l’exposition du musée de Pawiak. Haut-lieu du paRosen et Ravensbrück. triotisme combattant polonais ce PAWIAK ET SERBIA, musée offre au visiteur une vision LIEUX DE TRANSIT de la vie locale et documente ausEn 1965, à l’initiative de sur- si le « traitement spécial » réservé vivants de Pawiak, un musée est par les Nazis aux détenus juifs. Rénové l’an dernier, le « Maucréé dans une partie des vestiges restaurés de l’ancienne prison. solée de la lutte et du martyre » ,

ouvert en 1952 au numéro 25 de l’allée Szucha, redevenu le siège du ministère de l’Éducation après avoir été le QG de la Gestapo, nous évoque par une scénographie visuelle et sonore, sobre mais très émouvante, le sort des détenus de Pawiak qui étaient amenés ici, dans les caves du bâtiment, pour y être interrogés et torturés. Comme nous le précise le guide du musée de Pawiak, on ne sait pas combien de milliers de Juifs sont passés par cette prison et par le siège de la Gestapo, car à partir de l’été 42, vu leur nombre, ces « suspects » ne sont plus enregistrés dans les registres de Pawiak. Depuis 2007, à l’entrée de la prison-musée une plaque commémorative en polonais et en hébreu évoque le sort tragique de ces « Juifs cachés » tombés aux mains des nazis et détenus à Pawiak d’être assassinés.

VARSOVIE JUIVE Le musée de Pawiak et le mausolée du 25 allée Szucha sont repris dans les itinéraires touristiques de la martyrologie polonaise, mais curieusement, ne figurent pas dans le parcours Warszawa Judaica diffusé cette année par l’office du tourisme de Varsovie. Présentant 28 édifices, monuments et autres lieux de mémoire associés à la vie juive et à la Shoah, ce folder publicitaire, témoigne de la volonté de développer un « tourisme de niche juif » mais semble participer aussi de cette tendance « naturelle », manifestée encore par tant de Polonais aujourd’hui, de maintenir la fiction d’une histoire juive tout à fait distincte et radicalement séparée de « l’histoire nationale ». ■ Pour en savoir plus, voir le site web du Musée de l’Indépendance (en polonais et en anglais): www.muzeumniepodleglosci.art.pl

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Yiddish ? Yiddish ! PAR WILLY ESTERSOHN

N]slednem ljind tim winegeg=b = a bagegenish mit daniel mendelson Une rencontre avec Daniel Mendelsohn Points critiques a consacré un article aux Disparus de Daniel Mendelsohn (édit. Flammarion) en novembre 2007 sous la plume de Tessa Parzenczewski. Ce livre a obtenu, entre autres prix, le Médicis étranger. L’auteur américain est venu parler de son livre à la Maison de la culture yiddish de Paris. Voici ce qu’en écrit der yidisher tam-tam, le périodique de la MCY à l’usage de ceux qui apprennent le yiddish.

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! widYi ? widYi TRADUCTION Le 19 janvier, Daniel Mendelsohn est venu parler des (au sujet de) Disparus, un ouvrage qui a déjà obtenu les plus importants (hauts) prix littéraires, que ce soit en Amérique ou en France. Dans une salle pleine à craquer, le public a écouté attentivement une conversation entre l’auteur et l’écrivain et journaliste français Pierre Assouline. Mendelsohn a parlé en français (soit dit en passant, un très beau français) affirmant qu’il est depuis longtemps un amoureux de (la) culture et de (la) littérature françaises et que, parmi ses écrivains préférés, il y a Proust, Stendhal et Balzac. Après la conversation, on a donné lecture d’un passage du livre – Gilles Rozier1, de la traduction française et Yitskhok Niborski2, de sa propre traduction yiddish faite (spécialement) pour la circonstance. Bien que Mendelsohn ne parle pas yiddish, il a suffisamment compris pour apprécier (avoir plaisir de) la lecture. 1

Écrivain et responsable de la Maison de la culture yiddish – Bibliothèque Medem (Paris).

2

Coauteur de l’indispensable dictionnaire yiddish-français édité par la Bibliothèque Medem.

Daniel Mendelsohn

REMARQUES ljind daniel : orthographe hébraïque. eneriulr=f farloyrene : plur. de Nriulr=f farloyrn:

part. passé de Nrilr=f farlirn = perdre, égarer. ij... i... ij... i... = non seulement... mais aussi,

à la fois... et. tk=peg gepakt : rempli, comble ; tk=peg luf ful gepakt = plein à craquer.

Mlue oylem (hébr.) = public (subst.). rbxm mekhaber (hébr.) = auteur. bg= agev (hébr.) = au passage, soit dit en passant. tbil=b balibt = chéri, favori, préféré. Neneiilr]f forleyenen

= donner lecture, lire devant un auditoire (Neneiil leyenen = lire). ertske ekstre = (adv.) exprès, spécialement ; (adj.) supplémentaire. wt]c khotsh = bien que. hjnh hanoe (hébr.) =

plaisir. Menuf funem = Med Nuf fun dem = de la (lecture).

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ANNE GIELCZYK

Dépression

L

e mois de décembre ce n’est décidément pas ma tasse de thé. J’ai beau faire ma petite cure de lumière tous les matins, m’accrocher, sortir mes griffes, bouffer le nez de tous ces emmerdeurs qui m’exas-pè-rent, la déprime finit toujours par avoir raison de moi. En décembre je m’effondre. Cette année en tous les cas, je ne suis plus seule, c’est toute l’économie qui plonge. C’est officiel, nous sommes entrés en récession, l’économie et moi. En janvier quand je commencerai à remonter doucement la pente, l’économie elle, rentrera dans son deuxième trimestre de croissance négative. Et l’année s’annonce dure. Pendant 30 ans, on a allègrement dérégulé, flexibilisé, et libéralisé l’économie. Les entreprises, elles redistribuaient leurs bénéfices toujours croissants aux actionnaires, des bonus faramineux et des parachutes dorés aux CEO, tout en veillant à réduire « le coût du travail ». L’État se devait d’être modeste et efficace et surtout de veiller à la dépense parce qu’il fallait réduire la dette publique, qui avait pourtant si bien contribué à l’essor et à la richesse de nos banques qui depuis ont trouvé d’autres sources de super rendements qui les feront

plonger à leur tour et nous avec elles. C’est pourquoi, après les dizaines de milliards de nos euros versés pour sauver nos propres sous dans les banques, on a donc ressorti ce bon vieux Keynes du placard où il gisait depuis 30 ans.

I

l y a un an encore il n’était pas question de « vider les caisses qui sont déjà vides » (Sarkozy), et il y a quelques semaines seulement, le déficit budgétaire était déclaré « inexistant » (Leterme) et ensuite onbespreekbaar (Open VLD). Il n’y a que les imbéciles qui ne changent pas d’avis. Aujourd’hui, même si les caisses sont toujours vides, il est désormais permis de dépenser l’argent que l’on n’a pas (encore). Ça s’appelle du deficit spending. L’objectif : doper l’économie avant que la récession ne se transforme en dépression et s’il le faut, au détriment des finances publiques. Car « in the long run we are all dead » disait Keynes. Il faut agir vite et fort. Tout le monde y va donc de son plan de relance, Sarkozy en tête, il n’en est pas à un revirement près et puis, « vite et fort » ça le connait. Personnellement, j’attribuerais la Palme (d’or) au plan de Michael Moore qui propose d’assortir l’argent déboursé pour sauver

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le secteur automobile américain, à l’obligation de produire du durable : des voitures hybrides, des rames de métro, des bus et des trains. En nationalisant s’il le faut. Deux pierres d’un coup, on sauve l’emploi et on garantit l’avenir. Une idée à retenir pour tous ces secteurs qui aujourd’hui viennent mendier des sous à l’État. Malheureusement nos hommes politiques n’ont pas l’air même d’y penser.

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n Belgique, le plan est à l’image du pays. Petit. Les ministres de la justice et de l’immigration Jo Van Deurzen et Annemie Turtelboom ont décidé de lancer de grands travaux publics dans un secteur qui a certes de l’avenir, la construction de nouvelles prisons et l’ « humanisation » des centres fermés. Pour les salariés, le plan prévoit une augmentation des salaires de 150 euros en 2009, soit 12 malheureux euros par mois. Il n’y a pas, il me semble, de quoi fouetter une demande. Pour le reste, mis à part une hausse notable des indemnités de chômage (durant les 12 premiers mois de chômage) et le maintien (provisoire ?) de la liaison des salaires à l’index, nous retombons dans les recettes bien connues de réduction des charges des entreprises, qui depuis 30 ans


n’ont toujours pas prouvé leur efficacité en termes d’emploi ni en termes environnementaux. Le gouffre entre l’ampleur de la dépression qui se prépare et la légèreté des mesures belges est abyssal. Mais tout le monde il a l’air content : les syndicats (sauf peut-être la FGTB) et les patrons, les Flamands et les francophones, les socialistes et les humanistes, mais les plus contents ce sont encore les libéraux ; « sur les 2,1 milliards du plan de relance, 1,4 milliards ira à la compétitivité des entreprises » se targue Dewael. So what ? elles seront compétitives nos entreprises, mais qui achètera leurs produits ? Comme dirait Magritte, ceci n’est pas un plan de relance. C’est un compromis à la Belge. Ça fait illusion, jusqu’à la prochaine crise. Et croyez-moi celle-ci n’est pas loin, ne fut-ce que dans l’industrie automobile ou dans les répercussions planétaires de l’escroquerie de Madoff, après les subprimes, une nouvelle application spectaculaire du système pyramidal de Ponzi et la preuve s’il en faut qu’entre capitalisme et vol qualifié la frontière est mince. Dans l’économie « réelle », c’est fou comme ça se propage vite. Et pas seulement dans le secteur automobile.

l’animateur de l’émission Plat Préféré «mais où est donc passé ma truite»?

500 000 pertes d’emplois rien que pour le mois de novembre aux Étas-Unis. Le quotidien De Morgen comptait 426.290 licenciements connus dans le monde du lundi 8 décembre au vendredi 12 décembre dont quelques centaines rien qu’en Belgique (Arcelor, Bekaert, Ford, Philips...). La direction du journal lui-même annonce 26 suppressions d’emplois de journalistes soit un tiers de la rédaction. Même scénario au journal De Standaard et à la VRT.

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ommage pour la qualité de l’information en Flandre. À la VRT, la qualité des programmes a déjà fameusement baissé ces derniers temps. Prenez le nombre de programmes de cuisine qu’on peut voir sur les télés flamandes depuis quelque temps, c’est dingue. Le dernier en date c’est « Plat préféré », un format sur Canvas qui met en scène les recettes préférées de gens célèbres. Pas vraiment passionnant mais en soi rien de répréhensible à cela sauf qu’après la langouste à la

Catalane de Salvador Dali, et les moules frites de Jacques Brel, on a voulu nous servir la truite meunière, le plat préféré d’un certain Adolf Hitler. Il en a fallu des cartes blanches et des démarches (de la communauté juive d’Anvers entre autres) pour que l’émission soit finalement supprimée.Quelques semaines plus tard rebelote, la VRT lance une campagne de pub pour un autre format original d’émissions touristiques Weg met de Soete en collaboration avec De Morgen. Tomas De Soete, le journaliste nous fait découvrir quelques grandes villes européennes (Marseille, Naples, Madrid, Berlin...) hors des sentiers battus sous le slogan « découvrez la vraie Europe et pas les lieux communs ». Pour faire la pub de l’émission sur Berlin, la VRT n’a pas trouvé mieux que de nous montrer De Soete déguisé en Hitler sur fond de croix gammée. Franchement, pour une émission qui n’aime pas les clichés, c’est réussi. Je suis prête à rire de tout, mais là l’humour m’échappe totalement. Mais peut-être que c’est la faute à ma déprime hivernale... ■

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DE LÉON LIEBMANN

Les colons de Hébron, fer de lance de l’expansionnisme israélien

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l n’a fallu que sept minutes aux unités israéliennes anti-émeutes pour déloger plusieurs centaines de colons enragés de la maison appartenant à un Palestinien où ils s’étaient attachés et barricadés ! Cette occupation n’était pas seulement contraire au droit international mais également à la loi israélienne et, last but not least, à un arrêt de la cour suprême qui avait expressément rejeté la « thèse » du prétendu propriétaire actuel de l’immeuble situé à Hébron, un Juif newyorkais qui affirmait l’avoir acheté et payé à son « précédent » propriétaire. Les documents qu’il avait produits à l’appui de ses dires apparurent comme de vulgaires faux en écriture. Les autorités israéliennes tergiversèrent pendant plusieurs semaines avant que le ministre de la Défense Ehud Barak se décidât à mettre fin à cette occupation qui s’était prolongée pendant deux ans et après avoir ordonné à ces fanatiques squatters de quitter immédiatement leur « bunker ». Ils n’en firent rien. Le choc, quoique fort bref, fut très rude : une vingtaine de récalcitrants blessés et une trentaine d’autres arrêtés pour s’être opposés à une décision de justice et à un ordre formel de vider les lieux.

La riposte du camp des colons fut aussi brutale que prompte. Plutôt que de s’en prendre aux militaires, au moins aussi armés qu’eux-mêmes, ils se vengèrent de leur déconvenue (ils avaient, jusqu’au bout, misé sur la complicité, au moins tacite, de la soldatesque israélienne) sur leur cible de prédilection : des Palestiniens isolés et littéralement sans défense.

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ette spirale de violence démarra à Hébron et dans ses alentours immédiats avant de se propager en Cisjordanie : jets de pierres et bastonnades, tirs de balles à bout portant, profanation de pierres tombales, incendies de maisons d’habitations, graffitis injurieux visant principalement le Prophète (qualifié de porc) et le Coran (traité d’ « immonde »), destruction systématique d’oliveraies… Et cette affreuse liste n’est même pas exhaustive. Les policiers israéliens réagirent au coup par coup, tantôt très vite et efficacement, tantôt trop tard ou trop mollement, étant manifestement peu habitués et c’est un euphémisme - à protéger des Palestiniens contre des « excès » commis par des extrémistes israéliens. Le mouvement entamé par ceux-ci sur une grande échelle risquait de s’essouffler faute d’être immédiatement productif.

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Ses dirigeants, regroupés principalement dans le « Front national juif », un parti d’extrême-droite qui a repris la succession du Kach, fondé par le rabbin extrémiste Meïr Kahane de sinistre mémoire, ordonnèrent à leurs membres de focaliser désormais leur action sur la population arabe du territoire israélien. But avéré, sinon proclamé explicitement : pousser cette population à « choisir » l’exil en lui rendant la vie impossible par tous les moyens. Première étape de ce plan d’épuration ethnique : l’organisation de défilés de masse dans des villes encore majoritairement habitées par des Arabes mais déjà en voie de « judaïsation » par l’établissement accéléré de Juifs israéliens sur des terrains ayant appartenu à ces « citoyens de seconde zone ». Agglomération choisie pour la recrudescence de cette opération de longue haleine : Umm Al-Fahm, située dans l’extrême pointe nord-ouest du territoire israélien et comptant près de 50.000 habitants. Une première « visite guidée », prévue pour le 15 décembre 2008, a été préparée avec soin. Slogan adopté : « c’est nous qui sommes ici chez nous et pas vous ». Le chef de cette expédition, Baruch Marzel, ne cache pas qu’à long terme le Front national nuif qu’il dirige


veut l’expulsion des Palestiniens de tout ce qu’il appelle « le Grand Israël », qui comprend à ses yeux toute la Cisjordanie et la Bande de Gaza. Face à ces attitudes musclées et à ce dessein maximaliste, les autorités israéliennes ont opté pour la « modération » - entendez la leur ! Elles ont autorisé - un arrêt dans ce sens ayant été rendu en octobre dernier par la cour suprême – cette « marche groupée » limitant cependant à cent le nombre de « frontistes » effrontés pouvant y participer. Les groupes extrémistes arabes ont fait savoir qu’ils invitaient leurs membres à participer à une contre-manifestation bien plus massive pour protester contre leurs homologues israéliens et leurs mots d’ordre incendiaires. Des kibbutzniks faisant partie de la gauche pacifiste ont, pour leur part, annoncé qu’ils manifesteront contre la marche des provocateurs « frontistes ». Tout le monde est prévenu et chacun choisira son camp, les modérés des deux blocs étant, eux, pris en sandwich par des apprentis sorciers.

L

es autorités « suprêmes » de l’Etat d’Israël ont publiquement pris position contre l’usage de la violence. Parmi elles, Shimon Pérès, souvent plus attentiste

et moins catégorique, Ehud Barak, toujours plus décidé et plus énergique, et Ehud Olmert, Premier Ministre en fin de règne, n’ont pas caché leur totale opposition aux auteurs de ces « pogroms » de Hébron et d’ailleurs. L’usage de ce terme lugubrement évocateur, repris par Olmert, a soulevé des réactions en sens divers. Elles vont de l’approbation et de l’utilisation du même mot pour qualifier la même chose à la plus vive réprobation de la part des adeptes de la pensée unique qui réservent aux attentats de non-Juifs contre des Juifs l’appellation du mot pogrom.

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ar ailleurs, la récente suggestion faite par Tsipi Livni, ministre des Affaires étrangères et candidate au poste de premier ministre, brille au moins par son caractère inédit : elle donne le choix aux Palestiniens établis en Israël entre y rester, en se fondant dans l’État juif, ou s’en aller dans ce qui deviendra un jour l’État palestinien. C’est une façon à peine déguisée de prôner le « transfert ». Quelle tournure prendra cette nouvelle épreuve de force entre les extrémistes des deux camps ? Quelle influence aura-t-elle sur les citoyens israéliens convoqués aux élections générales du 10

février prochain ? Plutôt que d’émettre un pronostic simpliste et de toute façon aléatoire, je me bornerai à attirer votre attention sur ce nouveau tournant dans l’évolution du conflit israélo-palestinien qui pourrait déboucher sur une guerre civile opposant des Juifs israéliens à d’autres Juifs israéliens. Cette crainte n’est pas seulement exprimée par des pacifistes des deux bords mais aussi, plus étonnamment, par les responsables des services israéliens de sécurité qui n’hésitent pas à mettre en garde les dirigeants et la population de leur pays contre ce qu’ils appellent « la première Intifada des partisans du Grand Israël ». Émettons pour conclure un vœu qui n’a rien de platonique : puisse le fer de lance de l’expansionnisme israélien constitué par les colons de Hébron et d’ailleurs s’avérer bientôt son talon d’Achille. P.S. À la veille de la journée, à haut risque, du 15 décembre, la police israélienne a interdit toutes les manifestations prévues en postposant sine die et pour la seconde fois le droit de manifester reconnu au Front national juif. Le pire a donc été évité de justesse. Mais le problème demeure pendant et entier. ■

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cultes et laïcité Les valeurs des Européens CAROLINE SÄGESSER

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e volume d’Eurobaromètre 69 consacré aux valeurs des Européens vient d’être publié1. Il s’agit d’une vaste enquête d’opinion, réalisée dans les 27 pays membres de l’Union européenne et les trois pays candidats (Croatie, Macédoine, Turquie). Les valeurs qui sont estimées les plus importantes sont la paix, les droits de l’homme et le respect de la vie humaine. Les Européens choisissent ensuite la démocratie, l’État de droit et les libertés individuelles. La religion arrive bonne dernière des choix proposés, puisqu’elle ne recueille que 7 % des suffrages ; avec 5 % de choix en sa faveur, les Belges sont encore moins nombreux à la citer. Les plus attachés à la religion sont, sans surprise, les Chypriotes (27 %) et les Maltais (26 %), loin devant les Roumains (19 %), les Turcs (19 %) et les Grecs (18 %), puis les Polonais (14 %). Ce sont les Portugais (2 %) qui semblent les moins attachés à la religion, avec leurs voisins espagnols, les Danois et les Suédois, les Tchèques, les habitants des pays baltes, les Slovènes et les Français (tous à 3 %). Il est intéressant de rapprocher ce résultat des données que l’on connaît sur l’affiliation religieuse des Européens : même si les ré-

sultats des différentes études sont assez contrastés, on sait qu’une majorité des Européens déclarent encore une affiliation religieuse. Il faut donc conclure que celle-ci s’explique davantage par le poids de la tradition que par la conviction. Cette idée semble confirmée par la réponse à une autre question posée dans l’Eurobaromètre, à savoir : quels sont les éléments qui contribuent au bonheur ? Là, la foi n’est citée que par 9 % des Européens (3 % des Belges !), loin derrière la santé (73 %), l’amour (44 %) ou le travail (37 %). Notons en passant que ce sondage permet de constater que les Danois sont sans doute les Européens les plus romantiques : ils sont les seuls à placer l’amour en première valeur. Quant aux Belges, ils pensent que l’amour et la paix sont plus importants que l’argent. Cependant, l’impression générale donnée par les réponses à ce « baromètre » est, au mieux, celle d’un grand pragmatisme, au pire, celle du naufrage total des idéaux. En effet, 66 % des Européens font du combat contre la hausse des prix un objectif prioritaire, tandis qu’ils ne sont que 28 % à estimer que garantir la liberté d’expression doit également en être un… L’Eurobaromètre a également

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demandé aux Européens quels étaient les valeurs qui représentaient le mieux l’Union européenne. Les droits de l’homme l’emportent d’une courte tête sur la paix et la démocratie, et là, la religion fait encore moins recette, puisqu’elle n’est une valeur représentative de l’Europe que pour 3 % des sondés. Voilà un résultat qui confortera tous ceux qui estiment que la référence à un héritage religieux n’a pas sa place dans le préambule du traité sur l’Union européenne ! ■

On peut télécharger Eurobaromètre 69 à l’adresse suivante : http://europa.eu.int/ comm/public_opinion/index_fr.htm.

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L’illustration de l’invitation à la Maison Blanche

Merry Hanukkah ? Ainsi qu’il est de coutume, le président Bush a invité les représentants de la communauté juive à une fête de Hanouka à la Maison Blanche ; malheureusement, la carte d’invitation était illustrée par l’arrivée du sapin de Noël, et non pas, comme initialement prévu, par une photo de la menorah offerte au président Truman par David Ben-Gourion et Abba Eban, à l’occasion de son anniversaire en 1951…

La menorah offerte à Truman date du XVIIIe siècle. Elle provient de la synagogue de Buergel près de Francfort ; on y remarque l’aigle bicéphale de l’Empire allemand

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réflexions À propos des nationalismes JACQUES ARON

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oute collectivité humaine qui a éprouvé la nécessité ou l’intérêt de se distinguer d’une autre s’est forgée une identité fondamentalement mythique. Celle-ci a longtemps recherché sa légitimité dans une origine lointaine, rattachant sa lignée à quelque divinité protectrice. Avec le temps, chacune n’a cessé de se revendiquer du Dieu prétendument unique. Les Étatsnations modernes ont largement puisé dans ce fonds imaginaire et superstitieux. Notre Brabançonne fit sortir le Belge du tombeau ; les peuples de la Gaule « belge », célébrés par César, étaient censés renaître de leurs cendres. On célébra les anciennes tribus et leurs chefs intrépides. La similitude des discours nationaux est si grande qu’on les croirait interchangeables. « Israël, par son évolution à travers les âges, d’une logique et d’un entêtement historique auquel nul autre phénomène ethnique ne peut être comparé, s’affirme donc comme une nécessité mystérieuse que rien n’a pu détruire et qui, sans doute, malgré les pronostics sinistres, cent fois prononcés, invariablement déjoués, est doué d’une durée indestructible. » Excuse-moi, lecteur, de t’avoir un instant égaré : remplace dans cette « admirable » envolée « Israël » par « La Belgique », et reviens

à toi. Le texte ci-dessus est d’Edmond Picard, à la recherche, en effet, d’un mystère, l’Âme belge, avec sa majuscule. « L’Âme belge est donc multiple en les facteurs qui l’ont engendrée et influencée, quoique assurément désormais unique en son essence. Elle procède de l’âme germaine et de l’âme latine (sans majuscules), ces deux variétés les plus saillantes de la race aryenne, « essentiellement progressive, indéfiniment éducable, irrésistiblement colonisatrice », si superbement épanouie dans les nations européo-américaines et à laquelle, malgré les apparentes faiblesses chevaleresques de son désintéressement, la primauté du monde semble dévolue. »1 On peut être ardent patriote et raciste (et dans ce cas antisémite), il n’y a là rien de contradictoire, au contraire. Tout nationalisme est plus ou moins xénophobe ; rien de tel qu’un ennemi commun pour forger l’union sacrée.

SOUDER UNE NATION Ce texte est publié en 1897, l’année du premier Congrès sioniste. L’argumentation de Picard vise à souder une nation issue du Congrès de Vienne de 1815, découpage imposé par les grandes puissances européennes victorieuses de Napoléon, remanié par l’insurrection populaire brabançonne de 1830. La Belgique a même eu sa

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question des « Territoires », qu’elle dut céder aux Pays-Bas en 1839 : le Luxembourg et le Limbourg hollandais. Trois ministres seulement osèrent accepter un traité de paix imposé par les grands États limitrophes. « Il fallait un courage voisin de l’héroïsme pour affronter, en de pareilles circonstances, les reproches de faiblesse et de trahison qu’allait formuler contre eux un patriotisme égaré. Ils se résignèrent à ce rôle ingrat, soutenus par cette conviction qu’ils obéissaient aux lois d’une inflexible nécessité. », écrira 25 ans après un parlementaire et historien2. Qui ajoute encore ceci : « Les précautions militaires prises aux abords du Palais de la Nation, pendant les longs débats du traité, purent sembler inutile, tant la sagesse du peuple l’emporta sur les conseils d’une folle exaltation. »

L’ÂME BELGE Quand Picard « invente » l’âme belge, l’Unionisme (association temporaire des adversaires catholiques et libéraux) qui a enfanté la Belgique a vécu ; il n’avait résisté qu’une vingtaine d’années. Picard, à l’heure de la fracture sociale et de la colonisation, veut lui donner un nouveau souffle ; la nation doit se forger un peuple par la fusion harmonieuse de deux forces complémentaires : le Flamand artiste par nature,


Nathan Rappoport, Le rouleau de feu. Sur les collines de Judée, le sculpteur conçoit en 1971 ce résumé d’Israël : un rouleau de la Torah - bronze de huit mètres de haut - conduit le peuple déchu de l’Insurrection du ghetto de Varsovie à la guerre des Six-Jours. (source : A. Kampf, Jüdisches Erleben in der Kunst des 20. Jahrhunderts, Quadriga, 1987, Berlin.)

et le Wallon rationaliste et industrieux par tempérament. À l’inverse, le mouvement sioniste célèbre, lui, un « peuple juif » pour pouvoir revendiquer une nation sur la terre reconquise de « ses » ancêtres. Autres objectifs, autres mythes. Chacun emprunte à son fonds de commerce. Mais les projets puisent dans le même sentiment arrogant de supériorité de l’Européen. « La Palestine est notre inoubliable patrie historique. Ce nom seul serait un cri de ralliement puissamment empoignant pour notre peuple. Si Sa majesté le Sultan nous donnait la Palestine, nous pourrions nous faire forts de régler complètement les finances de la Turquie. Pour l’Europe, nous constituerions là-bas un morceau du rempart contre l’Asie, nous serions la sentinelle avancée de la civilisation contre la barba-

rie. », écrit Herzl dans L’État juif (1896).

LA NUQUE RAIDE ET LA FOI TENACE Sur cette histoire-là, on lira avec le plus grand intérêt le livre de Shlomo Sand3, précis, documenté, détaillant la sédimentation graduelle d’un mythe auquel des générations successives croiront dur comme fer : un petit peuple héroïque, vaincu par les légions romaines, jeté, errant, à travers le monde, à la nuque raide, à la foi tenace en son retour, « l’an prochain à Jérusalem ». Certes, le messianisme religieux s’est cristallisé périodiquement à l’annonce d’envoyés qui se mirent à la tête de milliers, voire de dizaines de milliers de zélotes. On les retrouve de siècle en siècle. Jusqu’au grand mouvement théolo-

gico-politique, religieux et laïque à la fois, du sionisme. L’ouvrage de Sand tire évidemment son principal attrait de la fine analyse à laquelle il procède, des retombées très actuelles de ces mythes et de leur ancrage dans la réalité israélienne. Des vagues entières d’immigrants et leurs descendants ont été profondément modelées par eux, rendant plus ardue encore la recherche de la paix au ProcheOrient. ■ 1 La Belgique artistique et littéraire ; une anthologie de langue française 1848-1914, textes réunis et présentés par Paul Aron, Éditions Complexe, 1997, p. 89. 2 Louis Hymans, Histoire de Léopold Ier, Bruxelles, 1866, p. 125. Pour l’anecdote, l’auteur est le fils de Salomon Hymans, Juif du Limbourg hollandais, qui bénéficiera de la faculté d’opter pour la nationalité belge lors de la séparation des territoires contestés. 3 Comment fut inventé le peuple juif, Fayard, Paris, 2008, 450 p.

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activités vendredi 16 janvier à 20h15

Marianne Rubinstein, écrivaine Conférence-débat autour de son livre

Tout le monde n’a pas la chance d’être orphelin Un recueil de témoignages de la 3e génération : enfants d’orphelins de parents déportés PAF : 6 EURO, 4 EURO pour les membres, tarif réduit : 2 EURO

vendredi 23 janvier à partir de 19h

« Soirée - Lokshen » Jeunes et moins jeunes, anciens et nouveaux, connus et inconnus, bons chanteurs et « petits » chanteurs, ...

Venez nombreux et fêtons ensemble en chansons la nouvelle année qui commence Au programme de cette première soirée :

- bouillon juif et plotkes à partir de 19 h. - dès 19 h 45, veillée animée autour des chants avec nos musiciens préférés. N’oubliez pas votre chansonnier « 61 » qu’on vous a concocté avec amour l’année passée, si vous l’avez toujours, ainsi que vos coussins. D’ici là, portez-vous bien et bonne fin d’année 2008. L’équipe des festivités : Catherine D., Musa M., Nathalie D., Nathalie W., Jacques R., Ariane B. PAF : 6 EURO, 4 EURO pour les membres, tarif réduit : 2 EURO

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vendredi 30 janvier à 20h15

Une rencontre avec Louis-Philippe Arnhem Responsable des archives à l’Office des étrangers Depuis quelques années, de nombreux Juifs viennent consulter les archives de l’Office des Étrangers afin de retrouver les traces des membres de leurs familles, disparus en déportation. Photos, demandes de visas, profession, adresses successives, autant d’indices qui permettent de retracer un itinéraire et de découvrir parfois des visages à peine connus. Dans cette quête douloureuse, nous avons tous été réconfortés par l’accueil chaleureux et par la compréhension manifestée par Louis-Philippe Arnhem. À notre tour de l’entendre et d’apprendre comment lui-même a réagi face à la découverte de cette réalité tragique. Nous savons qu’il collabore activement à l’archivage des photos des déportés pour le Musée Juif de la Déportation et de la Résistance à Malines. Mais nous savons aussi qu’il existe un projet de délocalisation de ces archives vers les Archives Générales du Royaume où la consultation des dossiers serait moins accessible et ne bénéficierait plus de l’accompagnement si compréhensif de Louis-Philippe Arnhem. PAF : 6 EURO, 4 EURO pour les membres, tarif réduit : 2 EURO

Un séminaire de réflexion à l’UPJB Première séance le mercredi 21 janvier à 20h15 Du judaïsme au communisme... du communisme à nous. Aux XIXe et XXe siècles, le judaïsme (au sens large) a fortement contribué à la constitution et au déploiement du communisme (au sens large de critique de la civilisation bourgeoise/capitaliste et de volonté de lui substituer une société collectiviste). Apport non seulement humain (en militants et en dirigeants) ou matériel mais aussi en idées et en valeurs. Le judaïsme a irrigué le communisme par des dizaines de canaux visibles ou invisibles. Après la crise puis la faillite du totalitarisme soviétique et de la perte qui s’en est suivie de la force d’attraction des idées socialistes et communistes, on a pu assister à un souhait de redécouvrir le judaïsme et de renouer les fils brisés de la tradition. L’itinéraire de l’UPJB est un exemple de cette démarche. Mais sous prétexte que l’adhésion au communisme avait parfois coïncidé avec une occultation voire un rejet des références et des repères du judaïsme, le risque existe aussi de tomber dans une autre forme d’occultation, comme si le communisme n’avait représenté qu’une parenthèse sans lien profond avec le judaïsme, et donc dans une nouvelle forme d’auto-reniement. L’objectif du séminaire sera d’entreprendre une nouvelle élaboration des liens entre judaïsme et communisme, surtout sous l’angle de la philosophie politique et éthique. La nécessaire pluralité des identités juives passe nécessairement par la reconnaissance de la part latente et invisible de leur passé et donc aussi de leur avenir, à l’encontre de l’enfermement communautariste et du judéo-centrisme sectaire. Jean Vogel

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activités vendredi 6 février à 2Oh15 À l’occasion du centenaire de la Conférence de Czernowitz sur la langue yiddish

Yiddish pour le futur Un film d’Alexandre Wajnberg Œuvre de témoignages et de réflexions avec Mendy Cahan (Yung YiDish), Avraham Novershtern (Université de Tel-Aviv), Justin Cammy (Smith College, Massachussetts) et le grand poète et chanteur Theodore Bikel, en special guest star. Alexandre Wajnberg a participé en 2006 au zumer-program de yiddish à Tel-Aviv, coorganisé par l’Université et le centre Yung YiDish. Par les liens tissés avec ses camarades de classe, sa petite caméra nous introduit au cœur d’un yiddish vivant, joyeux, émouvant, marrant. Ce film est aussi une ode au yiddish en forme de documentaire, où l’on voit le grand Théodore Bikel chanter et expliquer son yiddish, en même temps qu’un linguiste américain situe bien le yiddish dans le monde aujourd’hui.

La projection sera suivie d’une conférence-débat avec

Alexandre Wajnberg, journaliste et documentariste Alain Mihály, professeur de yiddish (CCLJ) et rédacteur à Points critiques PAF : 6 EURO, 4 EURO pour les membres, tarif réduit : 2 EURO

mercredi 25 février à 20h15

Une rencontre avec Giorgio Pressburger, écrivain et Marguerite Pozzoli, sa traductrice et responsable du domaine italien aux Éditions Actes Sud (voir article page 4) PAF : 6 EURO, 4 EURO pour les membres, tarif réduit : 2 EURO

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Giorgio Pressburger


vendredi 27 février à 20h15

Le kibboutz : mythe et réalité Que reste-t-il aujourd’hui de l’utopie fondatrice du kibboutz, initiée au début du siècle dernier ? Quel a été le chemin parcouru, du collectivisme absolu à la propriété individuelle ?

Conférence-débat avec

Rina Cohen, historienne Rina Cohen est enseignante à l’INALCO (Institut National des Langues et Civilisations Orientales), spécialiste de la Palestine au XIXième siècle et de l’Israël contemporain (histoire et civilisation) PAF : 6 EURO, 4 EURO pour les membres, tarif réduit : 2 EURO

Léon Griner (1927- 2008) Le conseil d’administration de l’UPJB et le comité de rédaction de Points critiques présentent à Elisa Griner-Brandt, son épouse, ainsi qu’à Patricia, Murielle et Marc, ses enfants, leurs plus sincères condoléances suite au décès, le 26 novembre dernier, de Léon Griner. Léon Griner est né en 1927 à Charleroi où il participe à la création de la section locale de l’USJJ (Union sportive des jeunes Juifs). Il milite ensuite au Parti communiste qu’il quitte quelques mois après le rapport Krouchtchev. Installé à Bruxelles, Léon Griner participe à la création du CCSJ (Cercle culturel et sportif juif - ancêtre du CCLJ) dont il sera membre du comité jusqu’en 1964. En 1960, le comité du CCSJ le désigne pour constituer la rédaction de la page belge de Droit et Liberté, organe mensuel du MRAP-France (Mouvement contre le Racisme, l’Antisémitisme et pour la Paix) que le CCSJ diffuse en Belgique avant que Regards ne paraisse. En 1964, Léon Griner fonde « Les amis de Droit et Liberté ». En 1965, il est secrétaire du Comité belge contre la prescription des crimes nazis. Il participe également à la fondation du MRAP-Belgique dont il sera le premier président. Après les journées nationales de lutte contre le racisme, en mars 1966, le sigle MRAP sera changé en MRAX. En 1967, Léon Griner participe à la création du « Comité d’Initiative pour la Paix au Moyen-Orient ». Après avoir quitté la revue Regards, il rejoindra l’UPJB et participera au lancement de Points Critiques, alors revue trimestrielle, dont il sera membre de la rédaction de 1979 à 1986. Léon Griner fut ensuite pendant plusieurs années bénévole à la bibliothèque de l’Institut du judaïsme de l’ULB.

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écrire Citoyenne du monde anversoise de culture juive ashkénaze ISABELLE GRYNBERG

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ette contribution est un témoignage intime de la construction complexe et parfois douloureuse de mon identité juive à Anvers. Je suis née à Anvers, 20 ans « après la guerre ». Étrange façon de situer ma date de naissance ? Un jour, en feuilletant l’album de famille d’un ami non-juif, arrivée à l’année 1940, stupeur : rien ne change. Je vois défiler des photos de vacances, de fêtes de famille, de premières communions… Souvenirs d’une famille anversoise dont la vie a continué tant bien que mal au cours des années 1940-1945. Chez moi et chez mes camarades de classe, ces années-là sont un trou noir ! Personne n’a de photos de cette période. Ceux qui ont pu sauver des photos d’avant la guerre les conservent précieusement. Ce jour-là, j’ai compris que quelque chose de fondamental me différenciait de mes amis non-juifs. Certes, cette guerre a laissé des traces douloureuses dans chaque famille. Certes, il y a eu des résistants déportés, des collaborateurs exécutés, des grands-mères tondues, des grands-pères morts au front… Néanmoins, le traumatisme n’a rien de commun avec celui dont nous, enfants de la « deuxième génération », avons été abreu-

Traductrice néerlandais-français, Isabelle Grynberg est née et vit à Anvers. Elle nous livre avec ces lignes un essai d’autobiographie engagée.

vés tout au long de notre enfance et de notre adolescence. Mes grands-parents, paternels et maternels, étaient polonais. Ils sont arrivés en Belgique au début des années 20, en quête d’une vie meilleure. Du côté de mon père, on était profondément croyant et pratiquant, du côté de ma mère on était traditionaliste. Elle et sa famille se sont sauvées grâce à l’achat d’un « vrai faux » passeport bolivien. Mon père a réussi à se sauver en Suisse, mais ses parents, sa demisœur et un de ses neveux sont morts en déportation. À son retour de Suisse, ce jeune homme, peu enclin à la pratique religieuse malgré son éducation strictement orthodoxe, s’est profondément révolté contre Dieu. Du coup, j’ai eu la chance de grandir en dehors de la religion et de la tradition et cette opportune absence de bondieuseries m’a permis de devenir une « juive culturelle ». Inconsciemment, mes parents m’ont fait le plus beau des cadeaux en se parlant yiddish. Cette « langue maternelle », qui a bercé mon enfance et dont ma connaissance est limitée et uniquement orale, s’est toutefois révélée essentielle dans la construction de mon identité. Après mes maternelles dans l’enseignement public, mes parents ont cru bon de m’inscrire à

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l’école juive. C’était une manière de se dégager de la transmission d’un bagage trop douloureux et mal digéré. Le choc fut violent. Je me sentais étrangère parmi les miens. J’étais une intruse et mes petits camarades se méfiaient d’une gamine qui parlait couramment le flamand. Mais le plus traumatisant pour moi était la prière quotidienne : 6 ans à peine et me voilà obligée d’ânonner des prières dans une langue que je ne comprends pas. Cette expérience a scellé mon athéisme, ce qui m’a obligé à chercher une autre voie identitaire que celle enseignée à l’école. Quelques années plus tard, un peu mieux intégrée, j’ai rejoint un mouvement de jeunesse sioniste. Je m’y suis bien amusée et en garde d’excellents souvenirs malgré le discours à la fois naïf et insidieux que l’on nous y tenait : ne jamais oublier le génocide ; toujours soutenir l’État Israël, notre seule patrie ; ne jamais remettre en question le sionisme, la seule idéologie humaniste. J’ai quitté le mouvement de jeunesse à 16 ans et lui ai préféré les cafés de lycéens. Premières amitiés (et amours) hors de la « communauté ». Ensuite, je me suis inscrite à l’université catholique d’Anvers car elle jouissait d’une bonne ré-


putation. Second choc violent. Au bout de douze ans de quasi-confinement dans un univers communautaire, j’avais confondu mon microcosme avec la société et n’étais plus consciente d’appartenir à une minorité et d’être différente des autres jeunes anversois. Je m’étais laissée enfermer dans un milieu dont je partageais les origines et dont on voulait me faire partager l’avenir. À cette époque, je suis entrée en conflit avec mes parents qui s’inquiétaient de me voir abandonner mes copains d’école pour me faire un nouveau cercle d’amis multiculturel. Déception et étonnement : moi qui les croyais libres-penseurs et ouverts, je les voyais soudain pris de panique à l’idée d’un éventuel mariage exogame. Désemparée, troublée, perdue, je me demandais qui j’étais. Pourquoi cette obsession du mariage endogame ? Comment prendre racine dans ma propre ville ? Mes parents craignaient une union exogame ; mes copains de classe restaient sagement entre eux ou faisant leur aliyah ; mes camarades d’université n’avaient de cesse de me rappeler que je n’étais pas des leurs ! À l’aube de l’âge adulte, j’ignorais qui j’étais et pire encore - qui je voulais être. J’ai entamé des études à Bruxelles, en français, mais les ai abandonnées. J’ai pensé partir en Israël - le refuge par excellence de tous les jeunes Juifs ne trouvant pas leur voie - et j’ai fini par accepter une offre d’emploi dans… le secteur diamantaire ! Petit à petit, à force de curiosité et de volonté, j’ai pu mettre en perspective celle que l’on a voulu faire de moi et celle que je voulais être. C’est au cours de cette recherche personnelle que j’ai observé attentivement et tenté de comprendre la vision identitaire des Juifs d’Anvers.

« LA » communauté juive d’Anvers en tant que telle n’existe pas ! Il y a à peu près 15 000 juifs à Anvers et tous sont des individus uniques. Il est impossible de brosser un portrait-robot de cette communauté sans sombrer dans des généralités, des clichés et des inexactitudes. D’autant plus qu’elle se compose en grande partie de hassidim dont j’ignore tout. Ils vivent en autarcie et limitent strictement le contact avec tout individu ne partageant pas leur mode de vie. Quant aux Juifs anversois non orthodoxes, la plupart d’entre eux affichent volontiers un esprit communautaire, un attachement profond à la tradition (ou à ses apparences) et un soutien inconditionnel à Israël. Je suis persuadée que les deux moteurs de cette communauté sont d’une part le sionisme et d’autre part l’obsession de l’endogamie. Je constate et déplore que cette attitude se soit encore plus profondément ancrée et généralisée au cours des quinze ou vingt dernières années : les communautés de la diaspora ne paraissent pas vouloir s’affranchir d’Israël, ni se construire une identité spécifiquement « diasporique ». Au contraire, elles s’identifient de plus en plus à l’État d’Israël. Anvers a été précurseur en la matière : dès les années 60, les écoles juives attirent 90 à 95 % des enfants juifs, la majorité d’entre eux fréquente des mouvements de jeunesse sionistes et pratique leur sport préféré au Maccabi. Une caractéristique propre à la communauté anversoise est le refus quasi systématique de parler la langue locale. Bon nombre de Juifs anversois ont choisi le français - ou un charabia à vague consonance francophone - comme langue véhiculaire, et ce, pour

des raisons d’ordre historique et pragmatique : avant la guerre, le français était la langue de la bourgeoisie et de l’intelligentsia (hormis une intelligentsia nationaliste flamande, souvent fascisante et antisémite), tandis que le néerlandais était la langue des ouvriers et des paysans. Pour s’en démarquer et tenter de gravir les échelons sociaux, la plupart ont opté pour le français. Par ailleurs, de nombreux Juifs arrivés à Anvers espéraient s’embarquer pour les Amériques (USA, Canada, Brésil, Mexique…). À quoi bon apprendre le flamand ? Cette tendance s’est perpétuée après la guerre, confortée par l’idée dominante - justifiée ou non - que les Flamands ont plus collaboré que les Wallons. Cependant, parler une autre langue que celle du pays où l’on vit est une façon de se soustraire à la société et de refuser de s’intégrer. Les années ont passé et petit à petit je me suis construit une identité qui me correspond et que j’assume. J’ai quitté le secteur diamantaire, révisé mes idées politiques, pris un virage à gauche toute et reconsidéré mon opinion sur le conflit israélo-palestinien. J’ai fini par rencontrer l’âme sœur et j’ai compris que si le diktat de l’endogamie me paraît bel et bien un non-sens, je n’aurais probablement pas pu partager la vie de quelqu’un qui ne porte pas en lui ce passé familial commun, ces mêmes angoisses existentielles et cet héritage à la fois riche et douloureux. À quarante-trois ans, je crois avoir compris qu’une identité ne peut être que plurielle, composite et singulière ! ■ Anvers, le 14 décembre 2008

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proche-orient Le statut de prisonniers de guerre AMIRA HASS

du 11 décembre 2008

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usqu’à Auschwitz, le comité qui milite pour la libération de Gilad Shalit est allé jusqu’à Auschwitz où, à ce que l’on rapporte, ses membres ont distribué 888 fleurs jaunes. C’était en octobre et il ne reste plus qu’à espérer que cet artifice médiatique ne se répétera pas : soit qu’un accord soit obtenu prochainement, soit que les organisateurs auront compris à quel point ce geste était de mauvais goût. Le comité poursuit assidûment son activité visant à faire pression sur le gouvernement, en dépit des mises en garde que cela porte préjudice aux négociations. En cela, les organisateurs et les participants manifestent un solide manque de confiance dans la sincérité des promesses des politiciens. Mais le manque de confiance s’arrête quand il s’agit de la politique d’oppression qu’Israël impose à la population palestinienne de la Bande de Gaza. Là,

tout au contraire, les organisateurs (dont la branche chargée des missions du mouvement kibboutzique) acceptent l’approche du gouvernement, mais ils en exigent simplement davantage, bloquer davantage la nourriture, les médicaments, le gasoil et l’argent, démolir davantage l’industrie et l’agriculture, et que davantage de maisons soient privées d’eau. Telle est la logique qui présidait au blocage des points de passage initié, en octobre, par le comité en signe de manifestation. Et le comité tourne maintenant ses flèches en direction des familles des prisonniers palestiniens. Il a ainsi tenté de faire obstacle aux visites des familles à la prison d’Ashkelon et promet de faire de même dans d’autres prisons. La chose n’est pas contestable : la captivité de Shalit est cruelle. L’incertitude et le manque d’information, l’absence de tout contact suivi, le fait qu’il n’y a aucun organisme extérieur pour lui rendre visite et inspecter ses conditions de détention. Le comité exige une « réciprocité ». Mais cela a plutôt des airs de vengeance. Dans notre naïveté, nous pensions que le comité voulait la libération de Shalit. A cette fin, il lui incombait de

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faire ses devoirs à domicile, et pas à l’école d’Ehoud Barak. S’agissant d’illégalité, il aurait dû rappeler à son usage et à celui du gouvernement qu’il est interdit à un pays occupant d’emprisonner sur son territoire souverain des habitants des territoires sous occupation. Ceux qui sont à la tête du comité auraient pu examiner les choses pour savoir que le droit à des visites régulières en prison est refusé à des milliers de Palestiniens (dont un millier de familles gazaouites). Un examen de l’information fournie par l’ « Association (israélienne) pour les Prisonniers Palestiniens » apprendrait aux militants du comité que les prisonniers palestiniens de sécurité n’ont pas le droit d’avoir de conversations téléphoniques régulières avec leurs familles, même quand celles-ci ne leur ont pas rendu de visites depuis des mois ou des années. Est-ce là ce que l’on pense au sein du comité ? Que ce qui est réclamé, c’est encore une pincée de cruauté supplémentaire, afin de mobiliser la population des détenus et de leurs familles dans la lutte pour la libération de Shalit ? Pourquoi ne pas plutôt écouter les Palestiniens ? Pour les Palestiniens, Shalit n’est pas un enfant qui a écrit une histoire touchante [allusion à un conte que l’on a ressorti et que


Shalit avait écrit dans sa jeunesse - ndt]. Pour eux, c’est un soldat des forces blindées, et lui et ses camarades participaient au bombardement d’une population civile. Pour les Palestiniens, Shalit et les 11.000 prisonniers palestiniens partagent le même statut de prisonniers de guerre. Au lieu de se rendre en Pologne et à Ashkelon, les dirigeants du comité pourraient aller à Lod afin d’y rencontrer Leila Bourghal. Mère d’un prisonnier nommé Moukhlas, elle aura bientôt 80 ans, mais avec la clarté de pensée qui est la sienne, elle est en mesure de leur apprendre énormément sur ce qu’est la vie quand vos droits vous sont niés en permanence. Ils apprendront d’elle le courage et aussi à préserver l’honneur et l’espoir, alors même

que personne au monde ne connaît ni ne parle de son fils. Au lieu d’exiger des services pénitentiaires de cesser les visites en prison, ils peuvent demander à rencontrer, dans son lieu de détention à Gilboa, Walid Daqqa, originaire de Baka al-Garbiyah. Et pour se préparer à cette visite, ils sont invités à lire les méditations qu’il a écrites ces dernières années. S’ils rechignent à se lancer dans l’aventure que c’est de faire le trajet jusqu’au village de Kalandiya (au-delà du checkpoint de Kalandiya, mais en territoire annexé à Jérusalem), ils pourront, à l’extérieur du checkpoint, rencontrer les parents du prisonnier Ahmed Amira. Si tous ceux-là avaient été juifs, ils auraient tous été libérés depuis longtemps déjà, même sous le chef d’actes d’ac-

cusation bien plus graves. Mais comme ils sont Arabes, citoyens et habitants de l’Etat, Israël refuse tout net d’envisager leur libération. Même en échange de Shalit. Au lieu de réclamer davantage de cruauté, pourquoi ne pas exiger de l’Etat de lever son opposition à leur libération ? Au lieu de les traiter, eux et leurs familles, en ennemis, il vaudrait la peine que les dirigeants du comité de libération de Shalit les rencontrent et avisent, avec eux, comment agir avec bon sens et justice pour libérer Shalit et les prisonniers palestiniens – tous prisonniers de guerre. ■ (Traduction de l’hébreu : Michel Ghys)

Le Club Sholem Aleichem a rendu hommage à sa regrettée doyenne, Sarah Bloder Le Club lui a réservé sa séance du 4 décembre dernier. Son parcours de vie a été retracé avec beaucoup d’émotion par Monique Buhbinder et Marianne Wagueman, son indéfectible amie des bons et des mauvais jours et la plupart des participants ont apporté leurs témoignages personnels. Lecture y a également été donnée d’une lettre de son cousin, Guillaume Chpaltine. En voici deux extraits plus parlants que tout commentaire. « Sarah est une des femmes les plus courageuses et les plus honnêtes que j’ai connues. Elle a traversé les pires horreurs, la déportation de ses parents, de sa sœur et de son frère, mais elle n’a jamais baissé les bras. C’était une femme de cœur et une femme de gauche. Elle l’est restée jusqu’à sa mort... » « Elle n’a jamais oublié, jamais pardonné, mais elle n’est pas devenue aigrie ni injuste. Elle est restée une femme généreuse. Elle aidait matériellement des réfugiés politiques, des demandeurs d’asile. Nous sommes sortis de la plus horrible des tourmentes et seule la solidarité pouvait nous sauver, nous les survivants. Je remercie tous ceux qui sont présents ici pour rendre hommage à Sarah, pour la faire vivre encore avec nous pour longtemps. »

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trop c’est trop Les élections américaines vues par le professeur Kotek JACQUES ARON

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oël Kotek se réjouit de la victoire d’Obama1 ; moi aussi. Joël Kotek dénonce le fantasme récurrent de l’omnipuissance de l’argent et du lobby juifs aux EtatsUnis ; moi aussi. Là s’arrête probablement notre convergence de pensée. Ceci lui fournit l’occasion de nous livrer une interprétation magistrale des résultats électoraux, scientifiquement décryptés à l’aide des sondages « sortis des urnes » (il fait sans doute allusion à la pratique des sondages à la porte des bureaux de vote). Ceuxci sont censés nous fournir une clé de lecture basée sur le choix exclusivement communautaire de l’électeur américain, ce grand enfant incapable de penser politiquement sans en référer à ses origines, sans voter avec ses racines, autant dire avec ses pieds. Ainsi 77% des Juifs américains auraient apporté leur suffrage à Obama, en toute logique « pour qui connaît la sociologie (sans doute la société, mais sociologie fait plus sérieux) américaine et l’ethos (sic) juif ». Notez que cet ethos - caractère qui serait commun à un groupe distinguerait cependant les Juifs américains de leur « coreligionnaires » (sic) européens. Curieuse anthropologie. Mais, comme tout le monde n’a pas la chance d’avoir une mère

juive, tout le monde n’a pas la chance d’avoir sucé le bon ethos avec le lait maternel. Un contreexemple - par hasard : les Arabes. « En 2000, les Juifs américains votèrent à 79% pour Al Gore et ce, contrairement aux Américains d’origine arabe qui assurèrent l’élection du candidat républicain en votant à 72% pour Bush et à 18% pour Ralph Nader, du fait de ses origines arabes. Le fait que les principaux lobbies arabes avaient officiellement appelé à voter Georges W. Bush, réputé proche des milieux pétroliers arabes, explique (sic) que seuls 8% d’entre eux votèrent pour Al Gore qui, il est vrai, avait choisi un colistier juif (Liberman). » Quelle admirable précision et quelle logique déductive. Notons d’abord que s’il n’y a pas d’argent et de lobby juifs, il y a donc bien du pétrole et des lobbies arabes. Notons aussi que dans cette société américaine et dans sa logique marchande de vente des candidats à l’électeur, Ralph Nader, d’origine libanaise, est étiqueté chrétien maronite. Mais que penser, si l’on essaie encore de penser, de tout ce discours manipulateur qui classe les Américains en 12 groupes selon leur origine « ethnique » : les WASP (ces protestants anglo-saxons blancs), les autres « Blancs », les Hispaniques, les Asiatiques, les Afro-Améri-

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cains, les Indiens, etc... ? Sans omettre toutes les religions, les sectes et sous-sectes, les clivages de genre, les hétéro- et les homosexuels, les classes d’âge, etc. Tout cela pour cerner (et fabriquer) un « vote juif » et comptabiliser le nombre des « élus d’origine juive ». Le lecteur ne saura même pas ce que pèsent proportionnellement ces votes « juif » ou « arabe ». Quant à la moindre analyse des conditions sociales qui conduiraient les uns ou les autres à soutenir tel ou tel programme... Cette manière d’appréhender les enjeux politiques, réductrice et simpliste, gagne du terrain en Europe également. Ne voit-on déjà des hommes politiques de différents partis courtiser des électeurs répartis par appartenance communautaire réelle ou supposée ? Refoulant ainsi les enjeux politiques communs et transcommunautaires. Et surtout les disparités sociales. Effectivement, comme le note sur la page contiguë le docte Guy Haarscher2, le libre examen (et l’esprit critique qu’il suppose) est en déclin. Serait-il mal enseigné ? ■

L’humeur de Joël Kotek. Les antisémythes, Regards, n° 677, décembre 2008. 2 Le déclin du libre examen. Idem. 1


dessiner est le mensuel de l’Union des progressistes juifs de Belgique (ne paraît pas en juillet et en août) L’UPJB est membre de la Fédération des Juifs européens pour une paix juste (www.ejjp.org) et est soutenue par la Communauté française (service de l’éducation permanente) Secrétariat et rédaction : rue de la Victoire 61 B-1060 Bruxelles tél + 32 2 537 82 45 fax + 32 2 534 66 96 courriel upjb2@skynet.be www.upjb.be Comité de rédaction : Henri Wajnblum (rédacteur en chef), Alain Mihály (secrétaire de rédaction), Anne Gielczyk, Carine Bratzlavsky, Jacques Aron, Willy Estersohn, Sender Wajnberg, Manuel Abramowicz, Caroline Sägesser, Tessa Parzenczewski. Ont également collaboré à ce numéro : Roland Baumann Jo Dustin Isabelle Grynberg Jo Szyster Conception de la maquette Henri Goldman Seuls les éditoriaux engagent l’UPJB.

L’actualité vue par Jo Dustin

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agenda UPJB Sauf indication contraire, toutes les activités annoncées se déroulent au local de l’UPJB, 61 rue de la Victoire à 1060 Bruxelles (Saint-Gilles)

vendredi 16 janvier à 20h15

Tout le monde n’a pas la chance d’être orphelin. Conférence-débat avec Marianne Rubinstein, écrivain (voir page 18)

vendredi 23 janvier à 19h

« Soirée - Lokshen » chants et danses (voir page 18)

vendredi 30 janvier à 20h15

Rencontre avec Louis-Philippe Arnhem, responsable des archives à l’Office des étrangers (voir page 19)

vendredi 6 février à 20h15

Projection de « Yiddish pour le futur », un film d’Alexandre Wajnberg et conférence-débat avec Alexandre Wajnberg et Alain Mihály (voir page 20)

mercredi 25 février à 2Oh15

Une rencontre avec Giorgio Pressburger, écrivain et Marguerite Pozzoli, sa traductrice et responsable du domaine italien aux Éditions Actes Sud (voir pages 4 et 20)

vendredi 27 février à 20h15 Éditeur responsable : Henri Wajnblum / rue de la victoire 61 / B-1060 Bruxelles

Le Kibboutz : mythe et réalité. Conférence-débat avec Rina Cohen, historienne (voir page 21)

club Sholem Aleichem Sauf indication contraire, les activités du club Sholem Aleichem se déroulent au local de l’UPJB tous les jeudi à 15h. (Ouverture des portes à 14h30)

jeudi 1er janvier Relâche

jeudi 8 janvier

« Notre Bella se raconte » par Bella Wajnberg, comédienne

jeudi 15 janvier

Visite de l’exposition « Océanie, signes de rite, symboles d’autorité » à l’Espace culturel ING, place Royale. Rendez-vous à l’entrée à 15h

jeudi 22 janvier

« La Chine dans la perspective de « Europalia-Chine » prévue en automne prochain » par Serge Pairoux, ex-professeur de français à l’Université des Langues Étrangères à Pékin

jeudi 29 janvier

« Que peut-on attendre des élections israéliennes du 10 février prochain ? » par Henri Wajnblum


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