mensuel de l’Union des progressistes juifs de Belgique avril 2011 • numéro 315
éditorial Shengen plus forteresse que jamais
Bureau de dépôt: 1060 Bruxelles 6 - mensuel (sauf juillet et août)
HENRI WAJNBLUM
L
’Europe tremble. « Exode biblique » a pronostiqué Franco Frattini, ministre des Affaires étrangères italien… « Flux migratoire incontrôlable » a renchéri Nicolas Sarkozy, soucieux de ne pas laisser le champ libre à Marine Le Pen. À les en croire, la petite île de Lampedusa, point de chute des demandeurs d’asile, serait sur le point de sombrer dans la mer sous leur poids ! Or de quoi s’agit-il ? Si nous avons bien assisté à un exode massif en provenance de Libye, cela se passait aux frontières égyptienne et tunisienne, des travailleurs étrangers fuyant la guerre civile et désireux de rentrer chez eux, pas d’« envahir » l’Euro-
pe. Il s’agit donc en tout et pour tout de quelque 8.000 Tunisiens désireux de trouver un peu de mieux-être en Europe. Il est vrai que si les insurgés libyens étaient victimes du bain de sang que leur a promis Kadhafi, on pourrait assister à un exode plus massif dont une partie s’orienterait sans doute vers l’Europe. Mais on n’en est pas là et n’est-ce pas précisément pour qu’on n’en arrive pas là que Nicolas Sarkozy a été en pointe pour aboutir à une résolution du Conseil de sécurité des Nations unies autorisant des frappes aériennes pour protéger les populations civiles. Mais admettons qu’on en arrive là… Il s’agirait dès lors de réfugiés politiques. Et l’Europe pourrait-elle
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BELGIQUE-BELGIE P.P. 1060 Bruxelles 6 1/1511
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sommaire éditorial
1 Shengen plus forteresse que jamais ...................................... Henri Wajnblum
israël-palestine
4 Retour de Palestine................................................................... Henri Wajnblum 7 Retour de Palestine....................................................................Sophie Liebman
lire, regarder, écouter
8 Notules de mars ......................................................................... Gérard Preszow
diasporas
10 Le destin brisé de Wiera Gran .............................................. Roland Baumann
hommage – Richard Marienstras 1928-2011 12 L’idéologie du Bund et la modernité ............................... Richard Marienstras
écrire
18 Dans le vent violent de l’histoire................................................. Zoltan Veress
yiddish ? yiddish !
! widYi ? widYi
20 a naye tsaytshrift in poyln - Une nouvelle revue en Pologne.Willy Estersohn
humeurs judéo-flamandes
22 Mauvais tout ça ............................................................................Anne Gielczyk
le regard 24 BHV, pierre d’achoppement de la crise belgo-belge............ Léon Liebmann
réfléchir
26 Ne laissez pas les lobbys vous laver le cerveau ! ..................... Jacques Aron
débattre 28 Une faille sensible ......................................................................... Alain Mihály 30
activités lire
33 Nouvelles d’un quotidien inquiétant ..............................Tessa Parzenczewski
upjb jeunes
34 Museum Night Fever ............................................................... Noémie Schonker 36 L’histoire de l’UPJB à travers son chansonnier ................... Noémie Schonker
écouter
38 Mes doigts s’en souviennent ...................................................................... Noé 40
les agendas
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éditorial ➜ leur refuser l’asile alors qu’elle les a tellement encouragés dans leur combat contre le régime libyen ? C’est fort probablement dans la perspective de cette éventualité que Nicolas Sarkozy, toujours lui, a préconisé, suivi aussitôt par les Vingt-sept, la création de « zones humanitaires », lisez des camps de réfugiés, pour « gérer les flux migratoires ». Et de préciser que ces zones devraient, « dans un premier temps être installées en Tunisie et en Égypte, mais nous souhaiterions qu’elles le soient rapidement en Libye pour traiter la question des dizaines de milliers de personnes déplacées ». Et d’en venir enfin aux véritables motivations de cette proposition : « Si on veut que les révolutions arabes ne provoquent pas de peurs, il faut qu’avec franchise nous parlions des flux migratoires (...). On peut considérer qu’il y a 200.000 personnes déplacées, entre l’Égypte, la Libye et la Tunisie. Si on ne traite pas l’accueil de ces personnes déplacées, dans des conditions humaines et décentes, quelle va être leur tentation : elles n’auront pas d’autre choix que de traverser la Méditerranée ». Et de cela, il ne peut évidemment être question ! Mais revenons-en au fond de… la question… Pourquoi donc avoir agité les vieux démons de flux migratoires incontrôlables, alors que rien ne les laisse prévoir à l’heure actuelle ? Alors qu’il ne s’agit que de quelques milliers de Tunisiens ? Tout simplement parce que ce discours recommence à faire électoralement mouche dans les opinions publiques après les déclarations tonitruantes de Nicolas Sarkozy, David Cameron, Ange-
la Merkel et… Yves Leterme, sur l’« échec du multiculturalisme ». Un discours nettement de droite… N’a-t-on pas entendu la députée UMP, Chantal Brunel, proposer de « les » remettre dans des bateaux, et le tout nouveau ministre français de l’Immigration, Claude Guéant, affirmer que « les Français, à force d’immigration incontrôlée, avaient parfois le sentiment de ne plus être chez eux » ?! Et chez nous aussi, la N-VA, le CD&V, l’Open VLD et le MR sont de chauds partisans d’une politique d’immigration plus stricte ! Un discours nettement de droite donc, mais un discours qui peut s’exprimer sans la moindre contrainte tant la gauche se tait dans toutes les langues européennes sur le sujet. Face à ce chiffon rouge des « invasions barbares », le Réseau euroméditerranéen des droits de l’homme a mis sur pied une commission d’enquête sur les raisons du départ des jeunes Tunisiens. Claire Rodier* en faisait partie : « Nous assistons à une surenchère du rejet qui pose la question de notre rapport à la liberté des autres. Le besoin d’émancipation passe aussi par la traversée des frontières, mais la Tunisie ne va pas se vider ! Il est consternant de comparer la frilosité de l’Europe pour ces 8.000 personnes arrivées en Italie et son silence total sur la situation en Tunisie, où c’est par dizaines de milliers que les migrants arrivent de Libye. Sans être équipé, ce pays fait ce qu’il peut pour absorber les besoins du moment. Face à ces jeunes assoiffés de liberté, la seule réponse de l’Europe est de les traiter en agresseurs qu’il faut repousser. Cette mission a mis en lumière une vision extrêmement
Centre de détention pour « immigrants illégaux » à Lampedusa
eurocentrée de la Méditerranée. Considérée comme une barrière ici, elle est vue comme un espace de partage du côté tunisien ». Il n’y a cependant aucune base sérieuse sur laquelle s’appuyer pour prédire des arrivées massives sous les cieux européens. L’OIM (Organisation internationale des migrations) a, il est vrai, parlé de 1,5 million de migrants en Libye. Cela a été interprété, ou, plus justement, voulu être interprété comme si 1,5 million d’entre eux allaient venir en Europe. Mais, qu’ils soient égyptiens ou tunisiens, la toute grande majorité aspirent à rentrer chez eux. Quant aux autres, serait-il tellement choquant que l’Europe les accueille ? Certainement pas. Le discours dominant veut que l’Europe n’ait pas les moyens d’absorber un nombre important de migrants sur son territoire. Fariboles… Il existe en effet déjà des mécanismes d’entraide, comme le Fonds européen pour les réfugiés. Mais il est vrai que les pays riverains de la Méditerranée demandent plus qu’une simple contri-
bution financière, ils exigent une répartition des migrants. Et c’est là que le bât blesse. Il n’existe en effet aucune solidarité entre les États européens, chacun étant soucieux de renvoyer les étrangers dont il ne veut pas vers un autre pays, conformément au Traité de Dublin qui permet d’expulser un demandeur d’asile vers le premier pays européen traversé. Comme le dit encore Claire Rodier, « Il faut savoir ce qu’on veut : est-ce qu’on préfère la démocratie, synonyme de mobilité, ou des régimes autoritaires qui interdisent à leurs ressortissants de partir ? » Et si, pour nos responsables politiques européens, la réponse à cette question n’était pas aussi évidente qu’elle le devrait ? ■ * Claire Rodier, spécialiste des questions de politique migratoire et juriste auprès du groupe d’information et de soutien aux immigrés GISTI (www.gisti.org), compte parmi les membres fondateurs du réseau euro-africain Migreurop (www.migreurop. org).
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israël-palestine Retour de Palestine HENRI WAJNBLUM
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u 4 au 12 mars, j’ai accompagné un groupe à Jérusalem et dans les Territoires palestiniens occupés. Pour 19 des 22 participants, c’était le premier voyage. Ils étaient tous désireux de voir si tout ce qu’ils lisaient ou voyaient dans les médias était conforme ou non à la réalité. Nos déplacements… Jérusalem, le camp de réfugiés de Deisheh, Naplouse, Qalqilia, Jéricho, Hébron, Ramallah, Wadi Foukin, Sheikh Jarrah, se sont tous faits au départ de notre hôtel à Bethlehem. Étant donné que notre car portait une plaque palestinienne, et qu’il ne pouvait dès lors pas passer par Jérusalem distante de quelques kilomètres à peine, nous avons vécu ce que vivent chaque jour les Palestiniens qui doivent se rendre à ou revenir de leur travail dans l’une ou l’autre ville ou village. Ce qui ne doit normalement prendre qu’une demi-heure ou une heure, en prend automatiquement deux ou trois, passage du check-point et routes en lacets et escarpées. Ce qui frappe d’emblée à Bethlehem, c’est ce mur monstrueux qui serpente à travers la ville et l’enclave littéralement, ce sont ces colonies qui l’encerclent comme autant de miradors : Har Homa, Gilo, Maale Adoumim… et la coupent de son espace vital. Les habitants s’y sentent en totale insécurité car l’armée israélienne a le droit, et ne se prive pas d’en user, d’entrer dans les maisons et d’installer des postes d’observation sur leurs toits.
DEISHEH Deisheh est un camp de réfugiés créé en 1949 aux portes de Bethlehem. Il compte quelque 13.000 habitants sur un demi kilomètre carré. Ses habitants viennent de 46 villages juste de l’autre côté de la ligne verte dont ils ont été chassés en 1948 lors de la création de l’État d’Israël. Il est autogéré par un comité populaire constitué de représentants des différentes organisations politiques et associations du camp. Un représentant du camp nous le fait visiter et nous raconte… Deisheh a toujours été à la pointe de la lutte contre l’occupation et des deux Intifadas et il leur a payé un lourd tribut, nombreux morts et blessés et aujourd’hui encore un bon millier de ses habitants sont incarcérés dans les prisons israéliennes. En raison de cette résistance, il a droit au moins deux fois par semaine à des incursions de l’armée israélienne. Tout habitant du camp qui le quitterait perdrait
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aussitôt son statut de réfugié et, donc, l’aide de l’UNWRA qui assure les soins de santé, l’éducation et la fourniture de denrées de base, ce qui fait que le camp se développe non pas en superficie au sol, mais en hauteur en fonction de l’installation de nouveaux jeunes ménages.
MICHEL WARSCHAWSKI Pour nous rendre de Bethlehem à Jérusalem y rencontrer Michel Warschawski à l’Alternative Information Center, notre car est contraint de nous abandonner au check-point (Mahsom en hébreu et en arabe) que nous traversons à pied avec des travailleurs palestiniens et au delà duquel nous prenons un autobus. Grosse impression de Michel sur le groupe. Il nous fait un topo de la situation… La colonisation continue de plus belle et continuera durant de longues années encore. L’objectif du gouvernement israélien et de ceux qui le suivront, quelle qu’en
Le mur… à Bethlehem
à Qalqilia
à Qalandia
soit la composition, est d’arriver à un État juif aussi grand que possible avec un minimum de population palestinienne. C’est pour cette raison que les grandes villes ne l’intéressent pas, mais uniquement la terre. Sa plus grande crainte étant de se voir confronté à la perspective d’une solution à un État, il a besoin d’une Autorité palestinienne, faible mais d’une Autorité tout de même, et c’est précisément ce qu’il a en face de lui. À la question de savoir comment il explique que la rue palestinienne reste aussi passive face aux révolutions qui secouent le monde arabe, il explique que la société civile est en train de se reconstruire. Elle a en effet été fortement traumatisée, et n’en est toujours pas remise, par l’opération Rempart de 2002 qui, si elle a été moins meurtrière que la seconde Intifada a par contre été beaucoup plus violente.
ques immeubles flambant neufs qui abritent les colons dont l’arrogance est sans limites. Une vraie image de désolation qui laisse le groupe partagé entre effarement, incompréhension et colère.
Calme pour l’instant… C’est en effet à notre retour que nous avons appris l’assassinat d’une famille juive de la colonie d’Itamar située près de Naplouse et le bouclage immédiat de la ville…
WADI FOUKIN
QALQILIA
Nous sommes invités par la famille Atieh dont un des fils, Raed, vit en Belgique et est à l’origine de ce voyage initiatique pour la plupart des membres du groupe. Wadi Foukin est un village situé à quelques mètres de la Ligne verte, qui pratique une agriculture ancestrale entièrement biologique. Une grande partie de ses terres a été confisquée au profit de la construction et de l’extension de la colonie de Betar Illit. Le plus grave aujourd’hui est que les eaux usées de la colonie se déversent dans le wadi où est situé ce qui reste des terres cultivables de Wadi Foukin. Ce qui nous a mis un peu de baume sur le cœur, c’est que ce sont des habitants du village israélien immédiatement voisin de Tsur Hadassah, situé de l’autre côté de la Ligne verte, qui se sont chargés d’introduire des recours devant les tribunaux israéliens contre cette pollution. Nous en rencontrons deux, un jeune rabbin nommé Offer et une jeune femme du nom de Tamar, membres de l’association Les Amis de la Terre, qui viennent participer au souper qui nous est offert par la famille Atieh.
Qalqilia c’est tout autre chose… À nouveau le Mur, un mur qui enclave la totalité de la ville, une ville qui comptait cinq voies d’accès et qui n’en compte plus qu’une, une ville dont plusieurs milliers de dounam (un dounam équivaut à 1000 mètres carrés) exploitables se trouvent de l’autre côté du mur et auxquels les habitants n’ont accès que selon le bon vouloir des autorités israéliennes. Pour passer, une seule issue en effet, le seul et unique check-point où l’on se bouscule. Qalqilia donc, une véritable prison. Mais n’est-ce pas le cas de l’ensemble de la Cisjordanie ?
HÉBRON Nous parcourons à pieds la zone H2 qui recouvre la vieille ville restée sous contrôle exclusif israélien en raison de la présence de quelque quatre cents colons ! Comme dans toutes les autres villes de Cisjordanie, le mur affecte considérablement la vie quotidienne des habitants : accès interdit ou considérablement réduit aux terres cultivées ainsi qu’aux sources et aux puits, allongement des distances pour aller vendre les produits. La rue principale d’environ un kilomètre est totalement désertifiée. Les échoppes qui y abondaient ont toutes été fermées pour empêcher les habitants palestiniens de s’approcher des quel-
NAPLOUSE ET JÉRICHO Pas grand chose à dire de ces deux villes, sinon que le calme y règne pour l’instant et que leurs marchés y sont des plus animés.
RAMALLAH À Ramallah, nous rencontrons des représentants de l’ONG palestinienne Addameer, une ONG de soutien aux prisonniers et de défense des droits de l’homme. On nous dit, statistiques à l’appui, que, depuis 1967, plus de 700.000 Palestiniens ont eu les honneurs des prisons israéliennes. Depuis mars 2009, 5.935 y sont encore détenus dont beaucoup le sont en détention administrative, c’est-à-dire sans avoir été jugés, une détention administrative qui peut être prolongée indéfiniment. Au retour de Ramallah, dont on sent qu’elle est la capitale provisoire de l’Autorité palestinienne
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➜ tant on y construit, nous sommes interpellés au check-point de Qalandia. On nous fait descendre du car dont pourtant et le chauffeur et le guide possèdent des accréditations et nous devons passer par le contrôle. Nous nous rendons alors compte qu’il n’y a pas que des militaires qui y officient, mais qu’ils sont assistés par une milice privée encagoulée. J’ai une petite altercation avec un de ces miliciens… J’avais en effet eu l’outrecuidance de prendre une photo du checkpoint… Il me fait sortir à grands cris de la file et exige, en anglais, que je lui donne mon appareil, je refuse bien évidemment, en hébreu, d’obtempérer et lui dis que je ne sais pas qui il est, qu’il me cache son visage, qu’il est peutêtre un terroriste… Une soldate vient calmer le jeu et me demande, poliment, de supprimer ma dernière photo. Je le lui accorde bien volontiers en lui disant que j’ai eu l’occasion de photographier bien d’autres check-points. À celui-ci nous avons passé une bonne heure… Pour nous ce n’était pas bien grave, mais pour les Palestiniens qui subissent le même sort chaque jour, à l’aller et au retour, c’est tout autre chose…
SHEIKH JARRAH C’est un membre de B’Tselem, organisation israélienne de défense des droits de l’homme dans les territoires occupés, Amar Aruri, qui nous amène à Sheikh Jarrah. Le quartier de Sheikh Jarrah est situé en plein cœur de Jérusalem, à quelques centaines de mètres de la vieille ville. Depuis 10 ans, les tensions sont énormes dans ce quartier. En 2001 déjà, des militants d’extrême droite étaient entrés par la force dans une maison et avaient refusé de la quitter. En 2008, un jugement avait reconnu qu’une partie du quartier était la propriété de Juifs sépharades qui
s’y étaient installés à l’époque ottomane ! Et depuis, plusieurs familles ont déjà été expropriées et leur habitations occupées par des colons. Signalons que les habitants de Sheikh Jarrah, des réfugiés de 1948, ont été installés dans ce quartier en 1951 par les autorités jordaniennes et par l’UNWRA moyennant leur renonciation à leur statut de réfugiés. Nous rencontrons Rifa Cord Om Nabil, une vieille dame qui nous explique qu’elle et les siens occupaient deux maisons en raison de la taille de la famille, l’une d’entre elles est aujourd’hui occupée par une famille de colons et l’autre est menacée d’expropriation. Nous rencontrons aussi le président du comité de quartier, Abu Abed Shabag, qui nous dit que depuis quinze mois une manifestation de protestation a lieu tous les vendredis à 15 heures qui réunit les habitants du quartier et des Israéliens. Des heurts fréquents avec la police émaillent ces rassemblements qui se veulent pourtant strictement non violents. Nous sommes jeudi et nous lui promettons que nous serons certainement quelques uns à être présents le lendemain. Ce sera finalement tout le
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groupe qui le sera. Vendredi 15 heures, plusieurs centaines de personnes sont rassemblées près des maisons déjà occupées par les colons, ce qui est remarquable quand on pense que cela se déroule chaque semaine depuis quinze mois déjà. La manifestation est composée pour la majeure partie de Juifs israéliens, ce qui s’explique dans la mesure où, côté palestinien, seuls les habitants de Sheikh Jarrah ont obtenu le droit d’y participer. Ces Juifs israéliens, beaucoup de jeunes, font partie de ce que l’on appelle aujourd’hui la nouvelle gauche. Ils ont créé un mouvement qui s’appelle Solidariut et qui est présent dans plusieurs autres villages palestiniens. Pour les néophytes de notre groupe, cette présence massive de jeunes Israéliens est une véritable révélation. J’avais dit aux membres du groupe qu’ils ne seraient sans doute pas les mêmes au retour de ce qu’ils étaient au départ. Et c’est bien ce qui est arrivé. Ce n’est pas Sophie Liebman qui me démentira dont vous lirez les impressions ci-après. ■ Photos Henri Wajnblum
Retour de Palestine SOPHIE LIEBMAN
E
n Palestine, le temps n’existe pas. En revanche, le portable permet de supporter l’attente insupportable. Ici c’est un luxe, là-bas une nécessité. Les routes ne sont pas destinées à tous : le trajet, qui prend une demi-heure sur une voie carrossable pour les uns1, dure des heures pour les autres, en infinis contournements inutiles et imbéciles sur des toboggans troués. Les contrôles, les fouilles, les files d’attente, les interrogatoires, les humiliations. Le délabrement, le grignotage de chaque coin de terre, de chaque parcelle. Pas les plus belles, même pas. Des moches, même les plus moches. Des maisons qui sont de véritables trous à rats, ici on n’en voudrait pas, même si on nous payait. Tout est bon pour avancer, pour prendre sur l’autre, pour prendre à l’autre éternellement sur le chemin. Dans une
Partout des colonies
des hameaux pitoyables isolés de tout. Le mur est omniprésent, l’apartheid sévit partout. La relégation. Les militaires. Le délabrement et la misère, la crasse. Le désespoir. La colère, la violence. Les check-points. Je n’avais jamais réellement compris le concept de dignité, ne savais pas vraiment ce que ça signifiait. Ici j’ai compris par le détour de l’indignité qui va avec indigne et s’indigner. *
Check-point de Qalqilia
heure, dans un mois, dans un an, ils sont patients mais ils y arrivent et plantent leur drapeau. Les routes barrées. La colonisation. Les expropriations. Les spoliations. Les Bédouins parqués dans
Papa, 25 ans jour pour jour après ta disparition, nous y sommes Mich et moi. Ramallah, Hébron, Naplouse, Deisheh, Qalqilia. Ton ombre plane sur nous mais cette fois c’est par nos propres yeux, ça passe par nous et c’est insupportable. Naïm aussi est tapi quelque part2. Il y a heureusement des poches d’espoir, minces, minuscules : des
Juifs et des Arabes se rassemblent, se parlent, s’allient, sauvent l’honneur. Et puis il y a la culture et la réhabilitation. Les Palestiniens sont très accueillants. Heureusement aussi, il y eut le groupe : onze femmes et onze hommes, un miracle en soi. Dixhuit Goyim3, quatre Juifs. Porteur, discret, à l’affut du moindre signe pour comprendre et capter l’inexplicable. Qui est là, attentionné, quand l’émotion déborde, quand c’en est trop. Et surtout il y eut Michka : présent, mesuré, réservé mais toujours garant, inlassablement à l’écoute du questionnement de chacun. Une seule perte malheureuse : le joli chaperon rouge de Ludmila… ■ Les Israéliens Naïm Khader, représentant de l’OLP assassiné en 1981, ami de la famille Liebman 3 Terme habituel qui signifie non-Juif 1 2
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lire, regarder, écouter Notules de mars GÉRARD PRESZOW -Dégagé sur les oreilles ? -Oui, coupe printemps…
C
’est la première fois que je vais chez ce coiffeur. Depuis toutes ces années que j’ai déménagé à La Chasse, je continuais à aller chez Rachid, aux Bienfaiteurs. J’ai bien été quelques fois chez une coiffeuse du coin mais le plaisir de ses longs ongles vernis qui s’enfonçaient dans mon crâne était devenu très cher, trop . Cette fois, sous le coup de l’impatience et de l’éclat du ciel, je refais le tour des coiffeurs du quartier, et ils sont pléiade – la pléthore de salons de coiffure et de pharmacies serait même une caractéristique bruxelloise (dixit ma cousine athénienne). Il y en a un qui me paraît modeste et adéquat, pas du genre m’as-tu-vu. Je m’approche… ça, c’est bien dommage, fermé, c’est marqué sur le papier … Mais, sur le trottoir, devant la vitrine, un homme bien mis, cravate nouée avec soin et manteau de laine peignée, crinière blanche lissée, moustache fière et peau cuivrée, me dit « il va arriver ; je viens de lui téléphoner, il a eu du mal à se réveiller… ». On attend ensemble. Je demande « il coupe bien ? » « Il n’est pas mal, il n’est pas cher. Vous êtes français ? Votre accent n’est pas d’ici ». Je réponds « non, echte brusseleer, de mère grecque et de père polonais. Et vous ? » « Iranien mais arrivé tout petit » « de Tabriz comme le boulanger à côté de Saint-Antoine, un Azéri fraîchement installé ? » « Non, non de Té-
héran, de l’époque du Shah… ». Le coiffeur tarde. « Je reviens, je vais lire ma gazette au bistrot ». Quand je reviens, c’est mon tour. Sur une étagère, de dos, une télé, juste le son. Al Jazeera. Moi qui ai toujours choisi dentistes et coiffeurs pour leur mutisme, voilà que le son nous fait parler. « Ça fait longtemps que vous êtes là ? » « Six ans » « Ça marche ? » « Oh c’est dur pour les indépendants mais bon, les factures sont réglées fin de mois ». Le printemps des peuples arabes est décidément décoiffant ! * Ce samedi aura tenu ses promesses. 12 heures, je cours écouter le poète Antoine Emaz et Florence Trocmé à la librairie Quartiers Latins, place des Martyrs. Chaque jour Florence glisse un poème dans ma boîte mail. Chaque jour son nom s’affiche sur mon écran. Je veux voir en vrai l’auteur de ce site : Poezibao. Florence le gère seule, de Paris où elle vit. Elle a plus de 700 abonnés. À chaque jour son poète, sa poétesse, une « anthologie permanente », et aussi des critiques, des recensions, des entretiens… le tout toujours autour de la poésie. Ce que presse et revue ne font quasi plus – s’occuper de poésie –, elle le fait artisanalement sur le net. Et c’est une bien belle expérience d’ouvrir ou non le mail quotidien. Et si on l’ouvre, de voir de quoi est faite l’accro-
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che ou le rejet du poème. Et de quelle chair est faite le poème sur lequel on reste, que l’on lit sans quasi s’en rendre compte, dont on prolonge la lecture jusqu’à la fin contrairement à ceux où l’on s’arrête avant la fin. La voix se pose naturellement, trouve son rythme, son chemin. Il ne faut pas nécessairement comprendre tout de suite ce que la langue a condensé dans une forme qui sort du quotidien. Tout à coup, à la vitesse de l’écran, c’est une lecture à contretemps ; dans le rythme du monde, un temps d’arrêt au cours duquel corps et esprit disent « ouf ! », un peu de retrait, une autre écoute, une sortie de secours. Vous vous souvenez de Pierre Goldman… il disait de la salsa qu’elle était « du miel dans les oreilles ». Et bien c’est pareil quand le poème s’impose. Vos yeux poursuivent sans vous. Et vous jouissez de ces mots qui sont d’emblée à votre taille. Sans retouche. Ceux-ci par exemple (mais peut-être ne sont-ce pas les vôtres), je les ai tout de suite adoptés. Disons qu’ils m’ont tout de suite adopté. Un poète chinois, Yu Jian, né à Kunmin, province de Yunnan, en 1954. Extrait du Dossier 0 (traduction de Sebastian Veg et Jinjia Li, Bleu de Chine, 2005) Fiche no . 1 Histoire de la naissance Son origine n’a aucun rapport avec l’écriture il est
Debré signe son expo
issu des douleurs d’une femme de 28 ans Un hôpital de vieille renommée troisième étage véhiculant des inflammations des médicaments des médecins et une morgue Tous les ans il faut blanchir sommairement à la chaux consommer beaucoup de gaze de boules de coton de verre et d’alcool médical Sur le mur on distingue les briques sur le plancher les veines du bois sont effacées des choses provenant du corps humain Ont remplacé la peinture pas lisses un peu élastiques sans rapport avec l’humanité Sur le bistouri le chrome est parti le médecin a 48 ans toutes les infirmières sont vierges Hurler se débattre perfuser injecter transmettre gémir barbouiller Tordre attraper tirer couper déchirer courir relâcher goutter Ruisseler couler Ces verbes sont tous sur
place sur place il n’y a que des verbes des verbes trempés dans une flaque de sang « La tête est sortie » proclame le médecin en expert témoignage : sur la main il y a du sang partout Sur la blouse blanche il y a du sang partout sur les draps il y a du sang partout sur le plancher il y a du sang partout sur le métal il y a du sang partout Témoignage : « Gynécologie » « Interdit de cracher par terre » « Un seul enfant c’est mieux » Matériaux pour enquête : les rhumes à droite les laryngites tout droit « Toilettes hommes » (…) Pour s’abonner : f.trocme@poezibao.com 14 heures : j’attends 16 heures. Je vais prendre un sandwich tomate crevette chez Togni (aux Suisses, « la maison n’a pas de succursale ») et je vais m’asseoir au bistrot d’à côté en compagnie du Monde , de Libération, du Soir et d’une Triple Westmael. Une si bonne compagnie qu’elle me rend
sauvage et barbare au point de refuser à des amis de m’asseoir à leur table. 16 heures : Musée juif. Des jeunes de l’UPJB mettent une dernière touche au spectacle qu’ils présenteront en soirée à l’occasion de La nuit des musées. Ils accueillent les visiteurs par des tableaux vivants et… parlants. Ils animent les photographies de Chim par les mots de Prévert ou Hernandez. La poésie comme cœur de l’histoire, comme condensé éternel de l’actualité. 20 heures : premier concert de la chorale Rue de la Victoire. Et c’est toute une vie qui résonne à travers ce répertoire de chants de luttes, une somme de souvenirs individuels à travers un devenir collectif. Un aller-retour entre galvanisation de groupe et introspection solitaire. Reprendre, chanter en chœur. Comme une invite à se gonfler les poumons et… à passer à l’action. Que fais-tu assis, camarade ?... * Après un Shabbat si chargé, un jour du Seigneur tout en douceur. Olivier Debré (1920-1999) se raconte à pas feutrés au Musée d’Ixelles. Au démarrage chaotique succède l’apaisement d’une sagesse comblée. La séquence des tableaux expose la recherche de quelqu’un qui s’inspire, copie, apprend de ses maîtres : tiens un Picasso, tiens un de Staël, un Poliakoff, un Miro, un… non, des Debré. Et puis, ces grandes surfaces douces recouvrant un tumulte qui affleure sur les côtés, la marque du peintre. Pas un monochrome mais un tremblement pacifié et, comme il le dit si bien, « une abstraction fervente ». L’œuvre de Debré pourrait s ‘intituler : « Méfiez-vous des eaux dormantes… ». ■
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diasporas Le destin brisé de Wiera Gran ROLAND BAUMANN Je suis allée aujourd’hui à un concert donné par Vera Gran. Elle a énormément de succès. Elle chante des airs classiques et des mélodies modernes du jeune compositeur Kuba Kohn, un produit du ghetto dont la musique exprime toute la tristesse et la résistance. Ses œuvres ont un accent original et nouveau que seule a pu leur donner l’atmosphère de souffrance, d’angoisse et de résistance obstinée que nous vivons. 14 décembre 1941, Journal de Mary Berg
P
aru au début de l’année, Wiera Gran. L’accusée, de la journaliste Agata Tuszynska, évoque « la vie cassée » de « la chanteuse étoile du ghetto de Varsovie », « la Piaf polonaise » (Olivier Guez, Le Monde Magazine n° 71), survivante, soupçonnée de collaboration avec les nazis et « détruite par les siens » . Se voulant à la fois « détective et historienne, biographe empathique et enquêtrice d’une mémoire défaillante », Tuszynska produit un récit « poignant et fiévreux ». Certes, mais aussi un modèle d’écriture créative qui touche à des thèmes douloureux avec une certaine « frivolité ». Tuszynska décrit sa première rencontre avec Wiera Gran (19162007), alias Weronika Grynberg, star déchue,vivant près de la Tour Eiffel, dans la pénombre d’un logement « de la taille d’un bunker moyen dans le ghetto »... atteinte de délire paranoïaque et recluse
« dans sa cachette, encore dans un ghetto cinquante ans après » !
LA GUERRE Chanteuse montante dans les cabarets de Varsovie après 1926, « Wiera Gran, la Marlene Dietrich née Grynberg », joue la femme fatale dans Les sans-abris d’Aleksander Martens (1938), avec Ida Kaminska, dernier film yiddish produit en Pologne avant-guerre. La Pologne est envahie par l’Allemagne et l’URSS. Réfugiée à Wilno puis à Lwow avec un jeune médecin – Kazik (Kazimierz Jezierski), son futur mari – Wiera revient en zone d’occupation allemande. Elle chante à Cracovie puis à Varsovie, au ghetto. Star du café Sztuka, elle est accompagnée au piano par Wladyslaw Szpilman et Artur Goldfeder. Tuszynska met en valeur son travail social pour les enfants orphelins du ghetto. Le 2 août 1942, au début de la déportation en masse, Wiera fuit, se réfugie à la campagne. Abritée par Kazik, elle survit, mais, ni sa mère, ni ses sœurs, n’échappent à la déportation et à la destruction du ghetto. À la Libération, Gran rencontre Szpilman, devenu directeur des programmes musicaux de la radio polonaise. Arrêtée et accusée d’avoir entretenu des relations avec des agents de la Gestapo, elle se disculpe, mais commence un long calvaire. Elle n’échappera jamais aux suspicions de collaboration qui la suivront en Israël, comme en France, jusqu’à la fin. Selon Tuszynska : survivan-
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te de l’Holocauste et victime des persécutions de la guerre, Wiera est détruite par les « siens », par les « survivants ». Ce sort tragique contraste avec le destin de Szpilman : faisant carrière de compositeur et pianiste, il publie ses souvenirs, dont Roman Polanski fera un film mémorable en 2002. Tuszynska de noter : « Wladyslaw Szpilman atteignit là-bas l’honneur de la béatification, devint le symbole de la survie héroïque en temps de guerre. »
LE PIANISTE Dans ses interviews, Tuszynska privilégie la relation de la chanteuse au « pianiste », le « sujet brûlant» de son livre. Avant de fuir le ghetto, Gran aurait vu Szpylman avec une casquette de policier, participant à la déportation avec une extrême brutalité : « Il traînait les femmes par les cheveux ». La journaliste précise bien qu’elle n’a pu trouver la moindre confirmation de la véracité de cette scène qui hantait l’esprit de la chanteuse. Elle procède néanmoins à une véritable mise en accusation de Szpilman, qui ne cite pas Gran dans ses mémoires du ghetto, une omission très significative selon Tuszynska : « Il a éliminé Wiera de son livre. Il l’a déportée, expulsée de sa vie ». La journaliste en déduit : « Que s’est-il passé entre Wiera et Szpilman dans le ghetto, pendant ces mois de travail en commun et de vie côte à côte ? ». La rivalité artistique lui semble un mobile crédible : « Elle était une vedette et il
ne et attirante dans le ghetto, riche et populaire, inabordable, arrogante aussi ».
ACCUSATIONS CROISÉES
ne faisait que l’accompagner ». Et comme « la rivalité professionnelle est un angle essentiel pour décrypter ces deux destin s », tout se réduirait donc à « la concurrence, le besoin d’être le meilleur sur scène » et un milieu artistique plein « d’imbroglios, de jalousies, de rivalités » dans lequel « il n’y avait peut-être pas de place pour deux étoiles ? ». Mais, non ! L’investigatrice propose un autre scénario : « chacun savait quelque chose sur l’autre, pas très casher dans le contexte de l’après-guerre ». Le pianiste « attaque le premier » et triomphe de « sa chanteuse » ! Celle-ci, « découpée comme les ennemis du peuple sur les photos soviétiques » est « exclue de la réalité » ! Mais la journaliste élargit son propos : Szpilman n’est en effet pas le seul responsable de la « chute » de « la star du ghetto ». Car « les Juifs rêvaient d’avoir leur Mata Hari, jeune, belle, artiste et pute ». Et comme Tuszynska aime le dire à la presse : « On ne lui a jamais pardonné d’avoir été jeu-
Suite à la publication du livre en Pologne (2010), Andrzej Szpilman a posé plainte pour faire interdire le livre, qu’il juge mensonger et diffamatoire. Le fils du pianiste reprend à son compte les accusations faisant de Gran une collaboratrice de la Gestapo. Historienne spécialiste de l’histoire du ghetto de Varsovie, Barbara Engelking affirme pourtant le caractère calomnieux et mensonger des accusations dont la chanteuse fut l’objet après la guerre. En date du 5 octobre 1942, alors qu’elle est détenue à la prison de Pawiak, Mary Berg voit le pianiste parmi les travailleurs qui apportent les meubles aux magasins de biens spoliés aménagés par les allemands rue Dzielna. Sous ses yeux, un allemand le frappe au visage parce qu’il ne parvient pas à décharger un énorme piano à queue de sa charrette : « son aspect m’a fait frémir. Les yeux caves, décharné, il semblait flotter dans ses vêtements et n’avoir plus que le souffle ». Donc, Szpilman, policier du ghetto : accusation malveillante d’une paranoïaque, relayée par sa « mémorialiste » avide de publicité ?
FICTION ET EMPATHIE En fin de compte, que nous enseigne l’histoire tragique de « la star du ghetto » contée par Tuszynska ? « Que la vérité serait plutôt personnelle, individuelle. Que nous avons tous des tiroirs
cachés et nul n’est droit dans ses botttes... » Fiction historique, dont l’auteur ne cache pas son extrême empathie pour l’héroïne, Wiera Gran. L’accusée, loin d’explorer le contexte social et culturel de l’ascension de « sa chanteuse étoile », avant septembre 1939, puis au ghetto en 41-42, veut surtout faire vibrer le lecteur en évoquant la gloire brisée d’une star, persécutée par les allemands, mais surtout détruite par les survivants, qui veulent « leur Mata Hari » pour faire oublier leurs propres turpitudes. Souffrances, angoisses, compromissions, trahisons, folie... Bref, une histoire de survie et de petites lâchetés individuelles. Dans Vies interdites (Casterman, 1968), Michel Borwicz, qui ne douta jamais de l’honnêteté de Gran, évoque le périple des petits vendeurs de cigarettes de la place des Trois Croix, ces enfants juifs qui, en 1942-1944, parvinrent à survivre du côté aryen, en vertu de leur solidarité, dans le commerce de contrebande, mais aussi comme chanteurs de rues. Eux aussi chantaient pour survivre ! Dans le « roman historique » de Tuszynska, le besoin vital de briller sur scène semble bien plus crucial que le sort de tout un peuple. Le lamento sur la carrière brisée de « la Piaf polonaise » me semble un peu obscène. Lorsqu’il vise d’autres survivants, devenus les méchants de la saga de « la star du ghetto », je pense que le livre de Tuszynska, ce succès de librairie, s’adresse surtout aux amateurs de la presse people, friands de récits « scandaleux »; de « stars déchues » ou « d’idoles à déboulonner », plutôt qu’à tous ceux qui, ne veulent pas oublier et savent bien que le ghetto de Varsovie c’est aussi leur histoire. ■ Agata Tuszynska. Wiera Gran. L’accusée, Paris, Grasset, 2011.
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Richard Marienstras 1928-2011 Né à Varsovie, Richard Marienstras est décédé à Paris le 22 février dernier. Il avait été à 15 ans des maquis du Vercors et à 20 de la guerre israélo-arabe de 1948. Membre-fondateur du Cercle Gaston Crémieux, créé en 1967 « à l’initiative de quelques intellectuels juifs soucieux d’affirmer la légitimité d’une existence juive diasporique sans inféodation à la synagogue ou au sionisme » et dont il fut longtemps président, Richard Marienstras nous laisse un livre majeur et malheureusement épuisé, Être un peuple en Diaspora (1975). De ce recueil d’articles, extrêmement riche, retenons ici l’essentiel « Les Juifs de la Diaspora, ou la vocation minoritaire », paru dans Les Temps modernes d’août-septembre 1973, dans le cadre d’un dossier consacré aux minorités en France. Cet article déclencha dans les Nouveaux Cahiers d’avril 1974 (édités par l’Alliance israélite universelle) la riposte courroucée d’Arieh Yaari, responsable européen du Mapam (sioniste de gauche) qui s’étonnait qu’on donne la parole à quelqu’un « qui ne représente aucun des grands courants d’idées de la communauté juive de France : ni le sionisme, ni l’assimilationnisme, ni le mouvement religieux ». Richard Marienstras, dans sa réponse, se demandait ce qu’un sioniste français, donc un « majoritaire en puissance » aurait pu écrire dans un nuémro spécial consacré aux minorités, lui qui défend « les structures, l’idéologie et les prétentions à la « normalité » de l’État-nation ». Quant au religieux, se positionnant, dans le cadre consistorial, précisément comme religieux, qu’aurait-il eu à dire sur la plan nationalitaire ? L’assimilationniste « a un discours symétrique à celui du sioniste, un rêve symétrique puisqu’il veut épouser, lui aussi, dans la chair et dans l’idée, la majorité d’un autre État-nation, la France ». La réflexion de Richard Marienstras était profondément nourrie des idéologies nationalitaires juives de la fin du XIXe siècle et singulièrement de celle du Bund (Algemeyner Yidisher Arbeter Bund in Lite, Poyln un Rusland - Union générale des travailleurs juifs de Lituanie, de Pologne et de Russie). Sa formulation dans les années 70 était par ailleurs inséparable des courants régionalistes et autonomistes qui se développaient dans la France postsoixante-huitarde. D’une grande importance intellectuelle, elle eut cependant peu de prise sur l’évolution de la communauté juive française. Richard Marienstras fut – naturellement – parmi les intervenants au colloque « Minorités, Démocratie, Diasporas » organisé à Bruxelles le 8 novembre 1997 à l’occasion du centenaire du Bund par le « Collectif pour le centenaire du Bund » composé de membres de l’UPJB auxquels s’était jointe Thérèse Mangot. Ce colloque donna lieu à la publication d’un numéro spécial de Points critiques (alors revue trimestrielle, n°62/63 de décembre 1998/janvier 1999) reprenant les contributions des intervenants, dont celle de Richard Marienstras, que voici à titre d’hommage et pour, peut-être, revenir sur des questionnements suspendus. (A. M.)
L’idéologie du Bund et la modernité RICHARD MARIENSTRAS
L
a question de la lutte des classes fut l’une des premières à se poser aux jeunes intellectuels juifs et aux groupes juifs clandestins qui se formaient, à partir de 1880, en Lituanie et en Russie Blanche, principalement parmi les salariés de l’artisanat et de la petite industrie. Ils poursui-
vaient d’abord des buts purement économiques, puis, comprenant qu’il n’était pas possible de mener la lutte économique sans lutter en même temps contre l’absolutisme russe, elles s’engagèrent dans les voies révolutionnaires. On considère, à cet égard, que le discours prononcé par Martov le 2 mai 1895 à Vilna, devant
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un petit groupe d’agitateurs juifs marxistes, est une étape importante dans la formation de l’idéologie du Bund. Il y affirme, bien sûr, que « la lutte des classes est le seul moteur de l’histoire », et que « la destruction de l’idéalisme doit accompagner la destruction de l’aristocratie »2.
AGIR EN TANT QUE JUIFS Mais Martov proclame aussi que les travailleurs juifs doivent agir en tant que Juifs dans les luttes révolutionnaires, et démêler ce qu’il y a de spécifiquement juif dans les problèmes et les situations qu’ils affrontent. Les sociaux-démocrates juifs se sont, jusqu’à ces jours, contentés de s’aligner sur les ouvriers russes et n’ont fait que survoler les problèmes spécifiquement juifs. Ils se sont exprimés en russe et n’ont pas créé « de contacts avec les masses juives qui ne comprennent pas le russe ». Bien qu’ils aient lié leurs espoirs à ceux du mouvement russe, ils ont élevé leur mouvement à un niveau que le mouvement russe n’avait pas encore atteint. Martov poursuit en affirmant que le prolétariat juif ne peut simplement s’en remettre aux prolétariats russe et polonais, car les dirigeants de ceux-ci pourraient être amenés à faire des concessions aux dépens des Juifs. Par conséquent, !e prolétariat juif doit être prêt à combattre en tant que groupe juif organisé, aux côtés d’autres groupes, « pour sa liberté économique, civique et politique »3. Et il ajoute : « Une classe ouvrière qui se contente de la situation d’une nation inférieure ne s’élèvera pas au dessus de la situation d’une classe inférieure. La passivité nationale des masses juives est aussi un obstacle à l’accroissement de leur conscience de classe. L’accroissement de la conscience de classe et celui de la conscience nationale doivent aller de pair »4. Bien que Martov, devenu un compagnon de Lénine (avant de passer aux mencheviks), eût ultérieurement attaqué les positions du Bund au moment de la polémique avec l’Iskra (1902-1903), les formulations qu’il avait proposées dans ce discours intitulé « Sur
les réalisations théoriques et pratiques du Mouvement », et publié en 1900 dans une brochure ayant pour titre Un tournant dans l’histoire du mouvement ouvrier juif; ces formulations restèrent au centre des débats idéologiques du Bund pendant de longues années. D’abord, parce que la postulation révolutionnaire et la postulation nationalitaire furent souvent senties comme contradictoires, et parfois incompatibles. Ensuite, parce qu’il ressort clairement de l’analyse de Martov que le mouvement ne peut se contenter de n’être qu’un mouvement d’intellectuels qui irait éclairer les masses : celles-ci doivent participer à l’orientation du parti. On a noté que, contrairement aux autres groupes révolutionnaires de Russie, formés le plus souvent de seuls intellectuels, le Bund fut gouverné, pendant presque toute son existence, avec la participation active des travailleurs. D’ailleurs, sur les treize participants5 au congrès de fondation du Bund, les 8, 9, et 10 octobre 1897, cinq seulement étaient des intellectuels, et les autres des artisans ou des ouvriers. Enfin, c’est cette conception de la vie du parti qui a incité une majorité de bundistes à refuser les conceptions autoritaires et centralisatrices de Lénine, et à revendiquer au cours de leur congrès de 1901 (quatrième congrès) une participation à l’union « fédérative » des partis sociaux-démocrates de Russie, ce qui leur valut les foudres de Lénine (je reviendrai là dessus) et provoqua le passage de la majorité des bundistes chez les mencheviks au congrès de Londres de la SDR en 1903.
kadi Kremer, De l’agitation, écrite en 1893 et publiée à Genève en 1896. Il y critique la tactique employée par les sociaux-démocrates russes, qui ne prêtent pas assez d’attention aux besoins économiques des masses laborieuses. Ainsi, la lutte pour la liberté de parole et d’association ne sera comprise par les masses que si elles perçoivent que ces libertés sont nécessaires dans la lutte pour leurs propres intérêts, Pour stimuler la conscience politique du prolétariat, il faut lui faire clairement voir les conflits de classe qui existent dans la société capitaliste, en commençant par les conflits économiques mineurs, car de tels conflits seront pour eux plus évidents. Tout cela s’accompagnait de sorties contre les « théories du socialisme scientifique », ce qui, sans doute, devait frôler l’économisme que critiquera si vivement Lénine6. Alors que dans cette brochure il ne parle pas des ouvriers juifs en tant que tels, dans son discours au congrès fondateur du Bund en 1897 il devait dire : « Une union générale de toutes les organisations socialistes juives n’aura pas seulement pour but de lutter pour faire aboutir les revendications politiques russes en général ; elle aura aussi pour tâche de défendre les intérêts spécifiques des travailleurs juifs, de lutter pour les droits civiques des travailleurs juifs et surtout de lutter contre les lois discriminatoires antijuives. Cela, parce que les travailleurs juifs ne souffrent pas seulement en tant que travailleurs, mais aussi en tant que Juifs »7.
DE L’AGITATION
Cette insistance sur la lutte des classes nous intéresse-t-elle encore aujourd’hui ? N’a-t-on pas, avec l’effondrement du socialis-
L’importance de la lutte des classes fut également soulignée dans-la fameuse brochure d’Ar-
PERTINENCE DE LA LUTTE DES CLASSES
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➜ me réel et la réforme ou la transformation des partis communistes européens, remisé la lutte des classes au vestiaire ? Précisons d’abord qu’il s’agit, aujourd’hui en tout cas, de la lutte des classes, pas de la guerre des classes. Et puis la notion n’est pas du même ordre que – disons – le centralisme démocratique. Il s’agit d’un fait social, qui existe, ou d’un fait qui n’existe pas. Avouons-le : qui n’a pas un instant rêvé que la lutte des classes n’existait plus et qu’avec la mondialisation nous entrions dans l’ère où ne se joue que l’important combat du dirigisme contre le libéralisme ? Nous rêvions, je crois. Mais nous n’avons pas rêvé que, le lundi 13 octobre 1997 peu après 15 heures, Jean Gandois, président du CNPF, a dit qu’il démissionnait de ses fonctions et expliquait qu’il est « plus un négociateur qu’un tueur », et qu’il n’a donc pas « le profil nécessaire pour défendre les entreprises dans les prochains mois ». Et qu’après la décision du gouvernement de légiférer sur les 35 heures, « les entreprises n’ont d’autre choix qu’un combat très dur, sans pitié. Le dialogue social va être interrompu »8. Oui, nous avons bien entendu : au lieu du dialogue social, la guerre des classes entre des « tueurs » et le gouvernement ! Nous n’avons pas rêvé non plus quand nous avons vu et entendu Jean Gandois, vendredi 10 octobre, déclarer : « Nous avons été bernés tout au long de cette journée. L’idéologie a triomphé de la raison. Nous avons perdu une bataille, mais nous ne perdrons pas la guerre »9. Certes, il devait déclarer, un peu plus d’une heure plus tard, au Journal de 20 heures de France 2 : « Non, je n’ai pas été berné car personne ne m’avait rien promis ». Il reste que voici la lutte des classés
réhabilitée par ceux même qui en niaient le plus souvent l’existence : les patrons. Du coup, on ne peut qu’applaudir Jacques Juillard, qui écrit : « 0ui, Jean Gandois a raison, la fixation à 35 heures de la durée légale du travail par le gouvernement Jospin est de nature idéologique. Et alors ? C’est cette même idéologie qui inspirait au début du siècle les syndicalistes révolutionnaires de la CGT quand ils proclamaient fièrement : à partir du ler mai 1906, nous ne travaillerons plus que huit heures par jour ». Il leur fallut attendre la loi du 23 avril 1919 pour obtenir satisfaction. C’est encore cette même idéologie qui était à l’œuvre en 1936 avec le mot d’ordre des quarante heures qui figuraient d’abord dans le programme communiste avant d’être repris, sous la pression des grèves, par le gouvernement Léon Blum. Elle reposait sur cette idée simple et juste que le progrès technique doit se traduire à un moment donné par un progrès social. À quoi les patrons ont invariablement répondu que le temps n’était pas encore venu, et que « le moment actuel était mal choisi, à cause de la concurrence internationale »10.
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Bien entendu, il n’y a plus guère de classe ouvrière juive en diaspora. Mais le monde a changé, et il n’est pas très difficile d’adapter aux considérables classes moyennes juives dans le monde les objectifs de justice sociale et de résorption du chômage contre lesquels le patronat vient de se prononcer. Les leçons du Bund, même sur ce plan, ne doivent pas être oubliées.
QUESTIONS CULTURELLES ET NATIONALES Le second trait de l’idéologie du Bund qui a beaucoup contribué à son originalité est l’insistance sur les questions culturelles et nationales. S’agissant de la
question nationale, il est possible, selon certains historiens, de dire, en simplifiant, que le Bund traversa plusieurs étapes : du début jusqu’en 1901, la question fut généralement ignorée ; de 1901 à 1905, prévalut la résolution adoptée par le Bund à son Quatrième Congrès tenu à Bialystok en 1901 où l’on peut lire : « Le Congrès affirme qu’un État tel que la Russie, composé qu’il est de nombreuses nationalités, doit à l’avenir être reconstruit en une fédération de nationalités dotées chacune d’une complète autonomie indépendamment du territoire où elle se situe. Le Congrès affirme que le terme « nation » doit également être appliqué au peuple juif. Considérant comme prématurée, dans les conditions présentes, la revendication de l’autonomie nationale en faveur des Juifs, le Congrès estime suffisant de lutter actuellement pour l’abrogation de toutes les lois discriminatoires dirigées contre les Juifs »ll. Cette conception provoqua une vive réaction de Lénine, qui écrivit dans l’Iskra : « L’idée tout à fait insoutenable d’une nation juive particulière est une idée réactionnaire, quant à sa signification politique. Partout en Europe la liquidation du Moyen Age et le développement de la liberté politique ont été accompagnés de l’émancipation politique des Juifs, de leur renoncement au jargon, au profit de la langue du peuple au milieu duquel ils vivent et, d’une façon plus générale, d’une assimilation progressive et incontestable de la population juive à son environnement... La question juive aboutit à cette alternative : assimilation ou isolement. C’est ainsi que l’idée d’une nationalité juive est en opposition avec les intérêts du prolétariat juif »12. La polémique se poursuivit en 1903 au Congrès de Londres de
la social-démocratie russe, pendant lequel se produisit la scission en mencheviks et bolcheviks, et où le Bund, après que le Congrès eut repoussé la réorganisation du parti social-démocrate sur une base nationale et fédérative, quitta la social-démocratie russe pour n’y revenir qu’en 1906. Entre 1905 et 1910, le Bund donna à son programme nationalitaire un relief plus marqué en demandant (Sixième Congrès, 1905) une « autonomie nationale et culturelle », sans formuler de programme concret, entendant seulement le libre usage du yiddish dans la vie publique et plus spécialement dans l’enseignement. Ce n’est qu’à partir de 1910 (Huitième Congrès) que la revendication de l’autonomie nationale et culturelle fut assortie d’un programme concret d’activités – organisation de groupes culturels juifs – et ce fut aussi le premier congrès où les délibérations furent conduites essentiellement en yiddish. La préoccupation nationale et culturelle (l’une épaulant l’autre) caractérisa le Bund tout au long de son existence, en Russie d’abord, puis, après sa disparition en Russie, en Pologne à partir de 1920. Le Bund, cependant, n’entérina jamais entièrement la notion de peuple juif. Medem, en effet, rejetait à la fois l’assimilation et le romantisme nationaliste (ou le « mysticisme » nationaliste), développant une théorie dite du neutralisme, selon laquelle il convenait de reconnaître une nationalité juive ayant une langue, des mœurs, des coutumes et des problèmes spécifiques, mais pas de s’engager sur la forme que pourrait avoir une nation juive à l’avenir. Il répondit à Lénine avec une grande vigueur, rejetant la définition léniniste de la nationalité aux ter-
mes de laquelle le territoire et la langue sont constitutifs de la nation – les Juifs n’ayant ni l’un ni l’autre. Medem répond que d’autres nationalités en Europe de l’Est n’ont pas de territoire, et que le yiddish, bien que peu développé comme langue de culture, a le mérite d’exister. Il montre d’autre part qu’en Europe orientale les gouvernements, en alliance avec les groupes nationaux majoritaires, tentent d’exclure de l’économie les groupes allogènes pour monopoliser le marché, selon une bonne logique capitaliste. Il faut donc défendre les groupes minoritaires contre les gouvernements et les majorités nationales. Là est le combat anticapitaliste. Évoquant Kautsky, que Lénine utilisait pour combattre l’idée d’une nation juive, Medem affirme que Kautsky, comme Marx, demande aux populations allogènes de s’assimiler, comme si elles, et non les populations majoritaires, étaient responsables des conflits nationaux. Au lieu d’accuser les antisémites, Kautsky rend les Juifs responsables de l’antisémitisme (à cause de leur obstination à conserver une culture fossilisée), alors qu’il faut au contraire, pour comprendre le développement des Juifs, les étudier à la lumière de l’histoire. Bref, l’appel à l’assimilation n’a rien à voir avec la social-démocratie. Ses positions changèrent, en 1910 d’abord, puis en 1916, dans un article intitulé « Tifer in labn », où il reconnaît qu’un « neutralisme » est insuffisant, et qu’un programme national (ou nationalitaire) implique une volonté nationale – la volonté de préserver quelque chose. Et Medem fut particulièrement actif à partir de 1916, c’est à dire après que les Allemands eurent occupé la Pologne, organisant des écoles et des maisons
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➜ d’enfants, et jetant les bases de programmes éducatifs qui, plus tard, se développèrent à travers l’Organisation centrale des écoles yiddish, ou CISHO (Tsentrale Yidishe Shul Organizatsye). Selon Henri Minczeles, plus de 60.000 enfants fréquentèrent ces écoles dans l’entre-deux guerres : formidable concurrence aux écoles religieuses dont il s’agissait de détourner les enfantsl3. Ainsi, sans formuler de théorie relative au peuple juif, porté et soutenu par les masses juives, le Bund fut un vecteur national et culturel de première importance. N’oublions pas que si les bolcheviks ont férocement attaqué le Bund, c’est parce que ses théories nationales et culturelles étaient un modèle pour d’autres nationalité de l’empire russe : les Lettons, les Arméniens et les Géorgiens en particulier. On retiendra, pour servir à notre époque et à notre lieu d’existence, la formidable leçon que donne le Bund à tous ceux qui croient dans la nécessité d’une vie associative riche et diversifiée. Aux hommes et aux femmes qui font partie d’associations, qui s’y dévouent afin que leur vision particulière de la chose juive puisse survivre et se développer, demandons une pensée pour les bundistes qui, dans des conditions incroyablement adverses, ont non seulement réussi à s’organiser politiquement, créer des groupes d’autodéfense, des syndicats, des regroupements divers, des institutions pédagogiques et culturelles, mais ont contribué à l’extraordinaire explosion de la langue et de la littérature yiddish dans l’entre-deux-guerres. C’est une cause de douleur supplémentaire que de se dire que la Shoah n’a pas seulement éliminé presque toutes ces femmes, ces hommes et ces enfants, mais qu’elle a éga-
« Dos revolutsyonere Rusland » (La Russie révolutionnaire). Recueil illustré publié à New-York par le Bund, 128 pages, 1917
lement supprimé l’avenir dont ils rêvaient.
LA « DO-HIKEYT » Mais ces hommes et ces femmes, au dévouement et souvent à l’héroïsme desquels il faut rendre hommage, nous ont laissé de quoi essayer, dans le mesure de nos faibles moyens, de placer nos pas dans leurs traces. Ici, j’atteins le troisième terme de mon exposé : quelques considération sur la do-hikeyt. Comme il est facile de traduire cela en anglais : hereness. Comme il est difficile de traduire cela en français : l’enracinement social et culturel. Ou l’être-là... le fait d’être là... Quel pouvait être le sens d’un tel mot d’ordre, alors que tant de Juifs émigraient vers des cieux et des terres plus favorables ? Était-ce donc le lieu singulier des luftmentshn ? Non, la do-hikeyt, à mon sens, n’indique pas un lieu, mais le rapport qu’on peut avoir à un lieu : là où tu es, là est ta vie et ton salut. On aura beau jeu d’évoquer la Shoah – mais il ne faut pas le faire, parce que après l’invasion hitlérien-
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ne, le lieu était devenu prison et abattoir. La do-hikeyt est un concept qui suppose le courage et la ténacité, mais aussi l’ouverture à autrui, juif et non juif. Notre destin n’est pas dans les verts pâturages, il est ici, en France, avec tous les Français et aussi avec les étrangers. Et il faut, dans la difficulté, imposer aux autres ce que nous sommes – étant bien entendu que nous les accepterons, s’ils ne sont pas destructeurs, tels qu’ils sont. Et ne soyons pas, surtout pas, des sionistes par procuration. Nos excellents amis de Bruxelles, qui deviennent de plus en plus sionistes belges et contents de l’être, avaient un très bon mensuel, Regards. Depuis peu, à force de sionisme, il ressemble à une brochure d’agence de voyage... On y passe d’un paysage israélien à un autre. Car ce qui caractérise l’existence juive en Diaspora, c’est la fidélité ou l’attachement à des ensembles culturels multiples dont on peut, dans une certaine mesure, se détacher ou se libérer. Depuis plusieurs siècles, un grand nombre de Juifs savent que l’ap-
partenance au groupe minoritaire est un acte volontaire – puisqu’on les somme de s’assimiler ou même de se convertir, – ils savent que tout ensemble culturel est consciemment maintenu, qu’il est une création humaine, et que l’on peut donc choisir ou vouloir son appartenance, choisir ou vouloir son identité ou ses identités. Alors que jadis, on naissait dans sa culture d’origine, et que cela restait une détermination absolue, cela n’est plus aujourd’hui qu’une détermination relative. Et même si cette conscience-là n’est pas partagée par le très grand nombre, elle nous oblige à comprendre l’appartenance culturelle et l’identité culturelle en des termes nouveaux. Sans le formuler, les bundistes, je crois, les comprenaient ainsi. Les farouches attaques de Medem contre la bourgeoisie
mencer par Lénine !), a naguère estimé que l’avenir normal des Juifs ne pouvait être que l’assimilation, c’est qu’après l’émancipation, c’est à dire après les Lumières, l’appartenance au judaïsme (comme d’ailleurs toute appartenance religieuse) apparaissait comme un choix fait par l’individu ou le groupe, alors que l’appartenance à la culture nationale majoritaire était sentie comme une fatalité ou un fait de nature. Il était fatal, donc naturel, d’être français, il était volitionel, donc artificiel, d’être juif. Mais la fragilité des ensembles nationaux et culturels à travers le monde a radicalement changé cela : les cultures se veulent désormais, comme la maternité ou l’économie planifiée. Les jeunes Occitans déculturalisés, les Noirs américains dont la culture « noi-
Appel du Bund à soutenir l’éducation séculière. Pologne 1927
assimilatrice sont très révélatrices à cet égard. Et c’est encore Medem qui insista sur la nécessité de développer des organisations collectives pour renforcer la culture individuelle et le sentiment national. On peut d’ailleurs penser que si une partie de la gauche (à com-
re » est infiniment plus mythique que la culture juive, les Bretons qui hantent Paris depuis trois générations peuvent, s’ils le veulent, modifier l’assiette générale de leur appartenance, rétablir un lien avec une histoire, un groupe spécifique, des coutumes, bref, fon-
der une solidarité sur autre chose que des mots d’ordre politiques et dire « nous » à nouveau, malgré le système majoritaire où chaque individu est complètement isolé face à l’État14. Efforcez-vous donc de vous grouper, de vous fédérer, afin de transmettre ce que vous pouvez de tel ou tel héritage qui vous est cher. Une affiliation à un groupe existant ou, pourquoi pas, la création d’un groupe nouveau vous donnera des soucis supplémentaires et, petit à petit, ces soucis donneront un meilleur sens à votre vie. C’est en tout cas ce que je vous souhaite. ■
Julius Osipovitch Zederbaum (1873-1923), ou Julius Martov. Il rompt avec Lénine au Second Congrès du parti social-démocrate russe (1903) et rejoint les mencheviks. Il quitte la Russie en 1920, après la mise hors- la-loi des mencheviks. Voir l.Getzler, Martov, Political Biography of a Russian Social-Democrat, 1967. 2 Cité par Simon Doubnov, Histoire moderne du peuple juif, Paris, 1933, Éditions du Cerf, 1994, p. 1430. 3 Résumé et citations dans Koppel S. Pinson, Jewish Social Studies ; vol, Vll, 1945, 233-264, p. 238-239. 4 Ibid, p.239. 5 Les treize étaient : Yidl Abramov (Vitebsk), Pavel Berman (Minsk), Leon Goldman (Varsovie), Rosa Grinblat (Bialystok), Maria Zhaludski (Varsovie), John Mill (Varsovie), Abram Mutnik (Vilna), Hirsh Soroka (Vilna), David Katz (Vilna), Hillel Katz-Blum (Bialystok), Israel Kaplinsky (Vilna), Vladimir Kosovski (Vilna), Arkadi Kremer (Vilna). 6 Citation et résumé dans Koppel S. Pinson, op. cit., p.243 et 245. 7 Cité par Koppel S. Pinson, p. 245. 8 Je cite d’après Le Nouvel Observateur du 16-22 octobre 1997, p. 56. 9 Ibid., p.57. 10 lbid., p.55. 11 Simon Doubnov, op.cit., p. 1432 ; Koppel S. Pinson, op.cit., p.248. 12 Cité par Simon Doubnov, op.cit., p.1432. 13 Henri Minczeles, Histoire générale du Bund, Paris, Austral, 1995, p.402. 14 J’adapte ici une page de mon livre Être un peuple en diaspora, Paris, Maspéro, 1975. 1
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écrire Dans le vent violent de l’histoire ZOLTAN VERESS
D
ans le courant du mois de mai paraîtra aux Éditions de Paris Max Chaleil, dans la collection Paroles singulières, le livre autobiographique de Zoltan Veress, Dans le vent violent de l’Histoire – Parcours d’un enfant de la révolution hongroise. Ce récit est l’itinéraire d’un enfant du Danube qui, entre 1932 et 2010, traversa divers moments de l’Histoire : de la Hongrie féodale d’avant-guerre au régime fasciste allié à l’Allemagne nazie, de l’Occupation allemande et la liquidation des Juifs au siège de Budapest, de l’arrivée des Russes à l’instauration, en 1945, d’une « démocratie populaire » totalitaire. Jeunesse difficile où l’adolescent, pénalisé par ses origines bourgeoises, se voit refuser l’accès à l’Université et devient manœuvre puis ouvrier. Un quotidien fait de grisaille et de propagande, de frustrations et de rêves de liberté. En octobre 1956, Budapest soudain s’insurge. Zoltan participe aux combats et à l’espoir démocratique. Mais le 3 novembre, l’armée russe entre dans la capitale et écrase la révolution. Zoltan et quelques-uns de ses amis réussissent à franchir la frontière autrichienne et se retrouvent à l’Ouest. Arrivé en Belgique, il s’inscrit à la Faculté de médecine de Louvain, tout en travaillant pour subsister. Passionné par la psychanalyse depuis son enfance, il obtien-
dra une licence de psychologie. Après un séjour au Congo comme professeur pour l’UNESCO, il rejoint l’École belge de psychanalyse et se lie avec Jacques Schotte, René Micha, Octave Mannoni, Félix Guattari ou encore Jean Oury, avec lesquels il travaillera sur le projet du Snark, institution non répressive apte à recevoir des adolescents difficiles. Il rencontre Jacques Lacan qu’il verra assidûment. Bientôt psychanalyste, il crée, en 1984, avec des amis, le Questionnement psychanalytique. Récit d’un combat acharné, d’une revanche, mais aussi celui d’une désillusion que ne tempérera pas, en 1995, la remise, par son pays, de la médaille des Héros ; en effet, Zoltan découvrira que deux de ses plus proches amis travaillaient pour la police secrète hongroise et l’avaient surveillé de 1969 à 1985. Il meurt à Bruxelles le 13 décembre 2010. (L’éditeur) Extrait :
LA GUERRE (…) De retour à Budapest, nous retrouvons notre tante dans notre appartement. Le sien, situé de l’autre coté du Danube, a été bombardé. Un peu plus tard, elle monte au deuxième étage de notre immeuble, habiter l’appartement qu’a dû quitter une famille juive, les Barat.
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Nous sommes très proches de cette famille. Irène, la femme, médecin spécialiste de la tuberculose osseuse, a soigné Peter. L’homme me reçoit volontiers ; je l’aime beaucoup. Très cultivé et très gentil, il me raconte des histoires, m’offre des gâteaux… Il me parle des livres qu’il lit. Sa sœur, âgée d’une bonne cinquantaine, vit avec eux. Tous doivent partir au ghetto, situé de l’autre côté de Budapest. Ils déménagent, enferment leurs meubles dans une pièce, et cèdent leur appartement à mon oncle, ma tante et leurs trois enfants. Ils sont sauvés par Wallenberg1 qui les fait héberger, avec la protection de l’ambassade de Suède, par une actrice hongroise. Quand ils reviennent, trois mois après le siège, ils trouvent la pièce où ils avaient enfermé leurs biens, pillée. Les pilleurs, autant hongrois que russes, sont partout, la maison est ouverte, tout a été saccagé. Nous avons mauvaise conscience de n’avoir pas pu protéger leurs affaires… Une sorte de rupture de contrat qui nous éloigne d’eux. * C’est à la fin de 1944, après notre retour à Budapest, que, des fenêtres de notre appartement, je suis témoin d’une tuerie effroyable. Les Allemands sont aux abois, talonnés par les Russes, mais avant de partir, ils veulent achever la liquidation des juifs. Ils la
relancent, en effet, après le coup d’État du 16 octobre où le régent Horthy avait été destitué au profit de Szalasi, chef des Croix fléchées, ce parti fasciste dont les membres étaient recrutés dans les bas-fonds de la société et qui dirigera le pays jusqu’en avril 1945. Il faut dire que le gouvernement hongrois, qui s’était rallié à Hitler pour récupérer des territoires perdus en 1920, était, quoique antisémite, hostile à une liquidation des juifs. Et, de fait, il a freiné le programme d’extermination des 700.000 Juifs hongrois… dont beaucoup étaient tout simplement essentiels à l’économie du pays ! Cette résistance fut surtout le fait des premiers ministres Téléki et Kállay avant l’intervention allemande de mars 1944, et de Lakatos, ensuite. Mais à partir d’octobre 1944, Eichmann2, qui organisait la destruction systématique des Juifs hongrois, a pu compter sur l’appui des fascistes auxquels on donne le droit de « chasse aux juifs ». C’est ainsi qu’après la déportation des Juifs des différentes régions du pays, vient le tour de ceux de Budapest. Et ceux qui n’avaient pas été déportés ou fusillés, sont traqués par les hommes des Croix fléchées qui écumaient les rues. Peu à peu, le ghetto s’est vidé, ses occupants envoyés à Auschwitz… Mais ce jour-là, je regarde par la fenêtre et je vois… On a rassemblé sur les berges du Danube, de l’autre côté du fleuve, des Juifs qui n’ont pas encore été déportés. Et, depuis la rive de Buda, j’assiste, horrifié, à la fusillade de ces gens qui sont aussitôt jetés dans les eaux du Danube, tous, sans distinction et sans hésitation. Cette vision épouvantable de la barbarie nazie m’a marqué à jamais
et ces images inhumaines me poursuivent jusqu’à ce jour. Sur les 825.000 Juifs qui vivaient en Hongrie, en 1941, 560.000 seront assassinés dont 500.000 à partir de mars 1944… * À mon départ au château, en mai 1944, j’étais en deuxième année de collège. En revenant, je reprends l’école, d’emblée en troisième année. Cependant, la vie à Zoltan vu par sa fille Tatiana (huile sur toile, 130x100 cm) nes de personnes qui se trouBudapest devient de plus en plus dangereuse. L’en- vaient soit dans les rames, soit sur traînement militaire commence : le pont. Les queues de tram resaprès les cours, on nous donne un tent en l’air, et seuls les passagers fusil, non chargé, et nous appre- qui ont la chance d’y être peuvent se sauver. Nous sommes très annons à faire les manœuvres. goissés, car nos cousines devaient rentrer par l’un de ces trams. * Après cette destruction du pont C’est à cette époque que j’assis- Margit, tous les autres ponts sete à la destruction du pont Mar- ront dynamités par les Allemands. git, le premier pont de Budapest à Le bombardement de Buda par les Russes durera du 24 décemêtre atteint. Ce pont, le plus long de la vil- bre 1944 au 13 février 1945. ■ le, est composé de deux battants. Soudain, une explosion se fait en1 Raoul Wallenberg, diplomate suédois tendre. Un bruit terrible... Tous, en poste à Budapest dès juillet 1944, a nous sortons. Il est 5 h de l’après- travaillé avec le Conseil américain des midi, nous sommes au bord du réfugiés de guerre et le Congrès juif monfleuve. Devant nos yeux, le pont dial pour protéger des dizaines de milliers se soulève puis ses deux battants de Juifs hongrois de la déportation vers Auschwitz-Birkenau. plongent dans le Danube, trois ou 2 Chef de l’équipe « d’experts en déportaquatre trams s’effondrent les uns tion ». En 1944 Adolf Eichmann est nommé sur les autres, puis glissent dans en Hongrie pour organiser la déportation : envoie 400.000 Juifs hongrois dans les le fleuve. Cette explosion provo- ilchambres à gaz nazies. que la mort de plusieurs centai-
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Yiddish ? Yiddish ! PAR WILLY ESTERSOHN
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a naye tsaytshrift in poyln Une nouvelle revue en Pologne
Une revue consacrée au yiddish et à la culture juive vient d’être lancée en Pologne. Il s’agit d’une publication trimestrielle en polonais. Son titre : cwiszn, transcription polonaise du yiddish tsvishn («entre», «parmi»). La rédactrice en chef, Karolina Szymaniak, n’est pas une inconnue. Elle a publié, il y a quelques années, une anthologie bilingue (yiddish-polonais) de l’avant-garde yiddish à Varsovie au lendemain de la Première Guerre mondiale. Le texte qui suit est extrait d’un article du yidisher tamtam, une publication de la «Maison de la Culture Yiddish - Bibliothèque Medem » (www.yiddishweb.com) à l’intention des intrépides qui se sont lancés dans l’apprentissage du yiddish.
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avril 2011* n°315 • page 20
! widYi ? widYi TRADUCTION Avec beaucoup d’autres articles au sujet de la langue yiddish, l’histoire et l’art, le premier numéro offre un riche panorama (sur) de la vie et de la création juives en Pologne et ailleurs dans (sur) le monde. Et pourquoi le titre cwiszn ? Comme le dit Karolina Szymaniak dans l’éditorial, le titre est la philosophie du périodique : à la fois entre polonais et yiddish, entre passé et présent, entre différents genres et moyens d’expression.
REMARQUES tfirwtUq tsaytshrift = publication périodique, revue (de tUq tsayt = temps et tfirw shrift = écrit [subst.]). tig git : 3ème pers. du sing. (au présent) de Nbeg gebn = donner. CUlg uq tsu glaykh = à la fois, en même temps. ren=wz zhaner = genre (litt.).
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ANNE GIELCZYK
Mauvais tout ça
J
’étais déjà mauvaise Juive, les amis, me voilà maintenant mauvaise Flamande. Ça ne s’arrange pas donc, puisque les deux sont cumulables. En effet, devenir mauvaise Flamande ne m’empêche en rien d’être et de rester mauvaise Juive. Pour être une bonne Juive je devrais montrer un peu plus d’enthousiasme à défendre Israël, et mieux encore, aller y vivre. Pour être une bonne Flamande, je devrais avoir un peu moins d’enthousiasme à défendre la belgitude et surtout, ne pas vivre à Bruxelles. A Bruxelles, les Flamands finissent tous par être contaminés, c’est bien connu. En ce qui me concerne, c’est encore pire, puisque même quand je vivais en Flandre, je parlais français avec mes parents juifs. Une horreur. Rassurez-vous, je ne suis pas la seule mauvaise Flamande (ni la seule mauvaise Juive) que compte la Belgique, sauf que dans les deux cas je fais quand même partie d’une minorité, car c’est bien connu, les « bons » sont toujours en majorité. Remarquez ça ne me dérange pas de faire partie d’une minorité, au contraire ça fait partie intégrante de mon identité. Bruxelles, petite ville mondiale et cosmopolite, pays des minoritaires de tout
poil me convient dès lors parfaitement.
C
’est donc bien à Bruxelles, et pas à Anvers ou à Louvain, et plus particulièrement au KVS, le Koninklijke Vlaamse Schouwburg, l'antre historique de la présence culturelle flamande à Bruxelles, que quelques mauvais flamands ont lancé l’opération « Niet in onze naam », une expression que nous connaissons bien nous, les mauvais Juifs, puisque c’est comme ça que nous nous adressons aux dirigeants communautaires juifs quand ils prétendent parler en notre nom. Ici, c’est aux nationalistes flamands que s’adressent les signataires, artistes pour la plupart. Jan Goossens, le directeur artistique du KVS est un exemple emblématique de mauvais Flamand puisque, non content d’organiser des soirées anti-flamandes dans son théâtre, ça fait longtemps qu’il utilise les deniers de la Communauté flamande pour sous-titrer les spectacles du KVS en français et programmer des spectacles en français (sous-titrés en néerlandais). J’en profite les amis pour vous recommander chaudement le KVS si d'aventure il vous prenait l'envie de
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goûter aux joies du théâtre en langue originale. S’il faut en croire certains parlementaires flamands, ça risque de ne plus durer longtemps. C’est Bart De Wever (bien ! vous faites des progrès dites-donc, par contre pour ce qui concerne Wouter Beke, j’en profite pour vous corriger, ce n’est pas Outeur Beck, mais Woawtr Bééke, avec le w de « watt » et pas celui de « ouate », souvenezvous), donc c’est Bart De Wever qui a lancé les hostilités1 en qualifiant la soirée du KVS, de summum de « masturbation idéologique ». Selon lui, depuis que la « droite radicale » comme il dit (entendez « l’extrême droite ») a perdu du terrain (entendez « grâce à la N-VA »), cela n’a pas rassuré ces artistes flamands, bien au contraire, cela les inquiète encore plus. Et de citer Luc Tuymans qui a déclaré qu’il était bien plus dangereux que le Vlaams Belang, et Tom Lanoye qui a osé ironiser sur la « Nieuw-Vlaamse Elite ». Pour BDW, ce ne sont rien moins que des petits bourgeois. Notez au passage que BDW et les nationalistes flamands de la NVA en général ne se considèrent pas comme des petits-bourgeois, eux, mais comme des rebelles qui s’opposent à ce qu’ils appellent « l’establishment »
Prononcez : « Woawtr Bééke »
(belge) tout en n’étant pas « révolutionnaires ». En effet, pour BDW pas besoin de révolution puisque l’indépendance de la Flandre va dans le sens de l’histoire. C’est d’une logique à toute épreuve ! Mais vous n’êtes pas sans savoir que BDW est un esprit brillant.
O
n ne peut pas en dire autant de son acolyte Siegfried Bracke, ancien directeur de l’information à la télévision publique flamande très récemment converti fort opportunément au nationalisme flamand, alors qu’il fut, comme nous venons de le découvrir, membre clandestin du SP.a pendant 14 ans. Marc Didden, cinéaste, chroniqueur et accessoirement (mauvais) Flamand prétend que c’est de lui que Jacques Dutronc parle quand il chante « je ne sais faire qu’un seul geste/ celui de retourner ma veste/de retourner ma veste/toujours du bon côté ». « Den Sieg » comme le dit Bert Kruismans, cet autre mauvais flamand, défend désormais
les valeurs du nationalisme flamand et reproche à son ancien employeur (la VRT) de s’adonner au framing. Alors qu’est-ce que le framing ? C’est le fait de créer un cadre (frame) de pensée. Et ce cadre de pensée ne plait pas du tout à Siegfried Bracke2, car qu'est-ce que fait la VRT, elle produit des émissions sur des Flamands en parlant systématiquement de Belges ! Ainsi, nous avons pu voir sur Canvas, une série (passionnante) de six portraits de scientifiques de renommée internationale, « tous flamands, pas un seul francophone mais Canvas nous parle de scientifiques belges ! » s'étrangle Siegfried Bracke. Je suis sûre que Marc Van Montagu et Ingrid Daubechies et avec eux tous les scientifiques de renommée internationale que compte la Flandre n’en reviennent toujours pas d’être ainsi niés dans leur identité flamande.
R
emarquez, le contraire est vrai aussi. Prenez Le Soir qui publie le 8 mars,
journée internationale des femmes, un aperçu des femmes les plus influentes de Belgique, sélectionnées par un jury composé uniquement de francophones (le jeune organisateur de « Shame », Simon Vandereecken mis à part) ! Même si notre co-présidente Carine Bratzlavsky y figure, le résultat est assez peu cosmopolite et très conforme à l’image caricaturale que s’en fait la Flandre puisque dans la catégorie « les symboles » (de la Belgique) nous comptons une flamande (Kim Clijsters) et quatre francophones, dont trois membres de la famille royale. Là je dis holà les ami(e)s ! Niet in mijn naam ! C’est exactement ce que se sont dit les huit Bruxellois francophones qui ont signé la carte blanche « Pas en notre nom … et pour les francophones la même chose »3. Même si ça manque un peu de femmes et de représentant(e)s de ce cosmopolitisme qu’ils revendiquent, je leur souhaite la bienvenue au club des « mauvais » pour avoir écrit « Nous considérons comme légitime d’attendre de ceux qui s’installent durablement en Flandre (…) qu’ils aient le courage et l’humilité d’apprendre la langue officielle de leur région (…) nous récusons dès lors l’acharnement irresponsable avec lequel les francophones se sont opposés à la scission de BHV ». ■ Dans De Standaard du 22 février. http://www.siegfriedbracke.be/index. php/de-belgische-radio-televisie/ 3 Le Soir du 25 février. 1 2
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LE
DE LÉON LIEBMANN
BHV, pierre d’achoppement de la crise belgo-belge
P
endant que les peuples arabes se dressent contre leurs oppresseurs et luttent pour leur libération d’un joug particulièrement sévère, les partis politiques belges poursuivent leur sempiternelle confrontation par des voies certes pacifiques mais sans le moindre résultat concret. Les leaders des deux partis sortis vainqueurs des élections du 13 juin de l’année dernière – la NVA et le PS – s’étaient pourtant, dès le lendemain du scrutin, déclarés prêts à assumer et à exercer leurs responsabilités – en clair, à gouverner ensemble après avoir adopté des solutions de compromis sur tout ce qui les opposait à propos des problèmes institutionnels et sur la teneur du programme gouvernemental qu’ils concocteraient dans la foulée. Le président du PS, Elio Di Rupo, n’avait cependant pas dissimulé la difficulté de cette double tâche qu’il résumait de la façon suivante : « Il faudra concilier l’inconciliable » ; autant dire résoudre la quadrature du cercle. Malheureusement, ni lui, ni son principal interlocuteur, ni d’ailleurs personne d’autre ne détenait la recette magique qui aurait permis de réussir une telle gageure. Première difficulté rencontrée : fallait-il, dans la recherche de solutions acceptables par les deux plus grands partis belges et par ceux qu’ils entendaient
rallier à leur (hypothétique) accord, traiter simultanément tous les problèmes du contentieux belgo-belge ou les attaquer successivement, quitte à leur appliquer l’adage belge par excellence : « tant qu’il n’y a pas d’accord sur tout, il n’y a d’accord sur rien ». Se souvenant des mécomptes d’un passé encore récent, Bart De Wever, promu à cet effet « clarificateur royal », fit aussitôt connaître sa préférence pour cette seconde méthode, tempérée par la mise en chantier d’autres points litigieux confiés, sans pouvoir de décision, à des experts choisis respectivement par les partis flamands et francophones. Les premiers, engagés dans la « prénégociation » (tous les partis flamands « fréquentables », sauf le VLD, alors décidé à entamer une cure d’opposition) et les seconds, à l’exception du MR, vu l’absence volontaire de son homologue flamand. Les nombreux changements de personnes chargées de mener à bien ce travail titanesque n’eurent d’autre effet que de différer indéfiniment l’issue de la crise.
L
es protagonistes de cette course de lenteur en arrivèrent à faire rapidement du surplace et, parfois même, à marcher à reculons, reniant ou rognant tout ou partie de la substance de leurs accords antérieurs sur des
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points sensibles, accords restés seulement verbaux avant leur remise en cause.
L
e spécialiste n°1 de ces zigzags épuisants pour ceux qui en étaient à la fois les témoins muets et les victimes non consentantes, ce fut et c’est toujours Bart De Wever. Il poussa l’audace, on pourrait presque dire le culot, jusqu’à revenir sur ses engagements, tout en reprochant à ses candidats-partenaires de le révéler publiquement. Dans un ordre d’idées voisin, il fit ce qu’il fustigeait chez eux, et même encore pire : communiquer aux médias la teneur de son rapport au roi avant même de le remettre à son destinataire ! Plus récemment, il est passé d’un sans-gêne maximal à des manœuvres d’intimidation confinant au chantage à l’encontre des partis enclins à ne pas faire partie d’un gouvernement sans la participation de la N-VA parce qu’elle est actuellement le plus grand parti flamand (27 sièges sur 88) et belge de surcroît. Cette manœuvre sans précédent dans les annales de notre pays s’est déroulée en deux temps, le second allant bien au-delà du premier. Bart De Wever commença par décrire les deux scénarios possibles dans la poursuite des négociations institutionnelles et « pré-gouvernementales ». Les mener de front ou l’un
après l’autre avec cependant un correctif : il ne pourrait y avoir d’accord gouvernemental sans accord institutionnel préalable. Mais son intervention dans le débat alla cette fois beaucoup plus loin. Il proclama urbi et orbi que la Belgique devait avoir un gouvernement « à part entière » avant la fin du mois d’avril, date à laquelle notre pays devait faire connaître aux autorités européennes compétentes son plan dûment approuvé par son parlement et comportant les mesures requises pour mettre fin au déficit budgétaire à partir de 2015. À s’en tenir à cette appréciation, on pourrait croire que, pour la première fois, Bart De Wever voulait hâter la constitution d’un gouvernement en lui fixant une limite dans le temps (fin avril 2011), le situant dans un avenir rapproché.
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ais le second volet de son propos dissipa toute ambiguïté : il y précisait que si l’accord institutionnel n’était pas adopté par les neuf (les sept plus les deux partis libéraux), à cette date « fatidique », la N-VA ne participerait pas au gouvernement qui serait formé alors et – cette ultime annonce étant laissée à son mentor Jan Jambon – elle se retirerait de la négociation du volet institutionnel resté pendant. Les leaders de la N-VA s’étaient sans doute imaginés que leurs interlocuteurs attitrés allaient plier devant cette double menace. Il n’en fut cependant rien. Tous critiquèrent l’annonce d’un tel comportement qui, loin de faciliter un accord global, le rendait encore plus difficile
à réaliser dans un aussi bref laps de temps (un peu plus de 6 semaines). Même le CD&V, réputé à la botte du grand parti flamingant, se montra particulièrement sévère à l’égard d’un plan aussi abrupt. À l’heure où j’écris ces lignes (8 mars 2011), on en est là ; et las, s’agissant de la plupart des hommes et des femmes politiques engagés dans cette interminable « pré-négociation » où redites et rétractations sont devenues coutumières. De l’aventurisme érigé en procédé récurrent ou du simple bon sens sans lequel les constructions de l’esprit demeurent des élucubrations sans lendemain, ce choix s’impose aux plus lucides. Il leur faut bâtir les bases d’institutions étatiques solides et non les construire sur des sables mouvants. Je laisserai les deux derniers mots de ce tour d’horizon à deux très grands écrivains français. Pour approuver le premier et mettre en doute l’avis du second malgré la magnificence de son style.
L
e premier n’est autre que le philosophe René Descartes qui, dans son justement réputé Discours de la Méthode, s’exprimait ainsi : « le bon sens est la chose la mieux partagée du monde car chacun croit qu’il en possède suffisamment ». Aux antipodes de cette pensée rationnelle, je citerai un dilettante distingué, André Gide, qui s’est exprimé ainsi : « Je crois en la vertu des petits peuples ; je crois en la vertu du petit nombre. Le monde sera sauvé par quelques uns ». S’agissant du peuple belge et de ses deux composantes flamande et francophone, je crois qu’on
peut miser sur le bon sens du plus grand nombre qui évitera, peut-être in extremis, la scission, sinon de BHV, du moins du pays tout entier. Que nos politiciens des deux bords linguistiques aient en mémoire que l’indépendance de la Flandre n’est, selon tous les sondages ad-hoc, souhaitée par moins de 10% des électeurs flamands. Certes, la tâche de « concilier l’inconciliable » n’est pas aisée à mener à bien. Mais les artisans de ce casse-tête ne manquent pas d’atouts. Le bloc des partis francophones n’a aucune raison de capituler en rase campagne devant les injonctions et les ukases de Bart De Wever. Composer avec lui, ce n’est pas céder sur tous les points litigieux aux exigences d’un interlocuteur particulièrement revendicatif et coriace. C’est pourquoi les plus conciliants des partis flamands ont un rôle à jouer dans le dénouement de la crise. Le CD&V, longtemps à la traîne de la N-VA, semble s’être quelque peu ressaisi. Il entend désormais prendre une part plus active, sinon décisive, dans le déroulement des négociations. À son jeune président, Wouter Beke, de montrer ce dont il est capable. Pendant que les peuples arabes tentent de prendre en mains la direction de leurs pays, nos dirigeants politiques se doivent, faute de pouvoir gommer toutes leurs différences, de résoudre leurs différends pour doter leurs régions, leurs communautés et leur État d’institutions solides et stables qui permettront à notre pays de faire face aux grands et redoutables problèmes de notre temps. ■
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réfléchir Ne laissez pas les lobbys vous laver le cerveau ! JACQUES ARON
L
e nationalisme, quel qu’il soit, est une entreprise d’uniformisation des individus. Dans sa forme la plus totalitaire, le nazisme, les députés siégeaient en 1930 en uniformes paramilitaires dans un parlement encore élu démocratiquement ; parvenu au pouvoir en 1933, il imposa sa « mise au pas » (Gleichschaltung) à l’ensemble de la société. Certes, toutes les formes de nationalisme ne sont pas devenues aussi meurtrières et criminelles que celle-là. Mais au nom d’une solidarité supposée et imposée, il s’agit toujours de faire bloc contre un ennemi intérieur ou extérieur, réel ou fantasmé. Toute la question est là. Même dans sa version « light », le nationalisme est intolérant, séparatiste et particulariste ; les valeurs universelles lui sont, par nature, suspectes. Aux États-Unis, les Juifs jouissent de tous les droits des citoyens américains et de l’influence dont bénéficient, par la liberté de presse et d’association, toutes les religions et les communautés organisées. Aussi, les Juifs américains ne semblentils pas avoir un penchant naturel à défendre la politique de plus en plus réactionnaire et aventuriste d’Israël. Le journal Jewish Week diffusait récemment un article d’Aryeh Rubin, mécène de l’un de ces innombrables lobbys partant en campagne contre cette indiffé-
rence coupable. L’auteur y dénonce les ravages d’une prétendue « théologie libérale de l’universalisme » toute à l’opposé de la conception des sionistes religieux de la Targum Shlishi Foundation qu’il préside. « Quand les choses vont bien, la loyauté du judaïsme au dogme libéral est simplement inquiétante. Mais quand elles vont mal, ce comportement est autodestructeur et vient en aide à nos ennemis. L’avenir d’Israël est en jeu. Israël n’est pas seulement menacé par l’Iran qui disposera bientôt de l’arme nucléaire – mais par une campagne perfide de délégitimation, conduite par des cercles académiques de gauche et activement soutenue par des milieux de la gauche libérale mettant en question le droit d’Israël à exister. Beaucoup de Juifs, plutôt que d’élever la voix contre cette tendance, mettent Israël en danger et abdiquent leur responsabilité en tant que Juifs. » Cette entrée en matière, made in USA, est bientôt suivie d’une généralisation qui inscrit ce comportement dans un néo-darwinisme à rebours, un réflexe individuel inné au détriment de la survie de l’espèce. Une véritable « scientologie » à la sauce juive. « Vue historiquement, la vulnérabilité des Juifs diasporiques a conduit nombre d’entre eux à se faire bien voir de leurs hôtes non-Juifs. Cet-
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te réaction automatique d’apaisement, si elle n’est plus depuis longtemps un réflexe de survie, semble être entrée dans le code génétique (sic) – d’où le comportement typique du Juif diasporique. L’Histoire a pourtant montré à chaque fois que cette approche était infructueuse. »
AU NOM DU LIBÉRALISME Et notre savant auteur d’ajouter : « À travers toute notre Histoire, il y eut toujours des Juifs qui ont abandonné, ce que l’on peut admettre. Ce qui est inacceptable, c’est qu’aujourd’hui, des légions entières (sic) de Juifs travaillent, au nom du libéralisme, contre la survie du peuple juif, soit par ignorance, soit parce que leur priorité n’est pas celle-là ou par manque de compréhension de la situation globale. Confrontés à de vieux ou de nouveaux ennemis qui cherchent à nous anéantir, diffamés par les antisionistes – l’antisionisme est le nouvel habit de l’antisémitisme –, les Juifs américains devraient se regarder dans un miroir, revoir leurs convictions et changer de point de vue. » Je ne sais ce qu’Aryeh Rubin aperçoit chaque matin dans son miroir, mais l’appel de ce sioniste religieux à l’unité indéfectible des Juifs me paraît surtout un vibrant plaidoyer pour une politique de droite, voire d’extrême droite. « Aujourd’hui, c’est la droi-
te américaine qui s’est constituée en un groupe qui est plus philosémite et pro-israélien que la gauche. Les Faucons, et les chrétiens fondamentalistes parmi eux, sont les plus ardents soutiens de l’État d’Israël. Vu sous l’angle de notre propre survie, nous devrions nous rapprocher de ceux qui nous veu-
même, mais pour tous les Juifs et aussi pour le bien-être du monde occidental et de ses valeurs. » L’article que je viens de citer serait anodin, s’il ne représentait un témoignage de plus d’une véritable campagne planétaire, dont les arguments, ou plutôt les affirmations péremptoires, les simplifica-
lent du bien et soutiennent notre présence dans le monde (sic), et travailler avec eux. […] Selon l’intellectuel juif italien Alain Elkann, Israël est le seul contrepoison à Auschwitz, la puissance militaire d’Israël. Vu de la sorte, Israël ne lutte pas seulement pour lui-
tions abusives et les insinuations tournent en boucle depuis une dizaine d’années dans les communautés juives, les auteurs se citant complaisamment les uns les autres. Cette idéologie saumâtre, avec ses généralisations simplistes et son déni permanent de la
réalité de l’occupation des Territoires et de la menace d’implosion et de guerre civile qu’elle fait peser sur Israël, ne parvient plus à masquer de son écran de verbiage, qu’Israël est aujourd’hui son principal ennemi, au point de s’empêcher lui-même de disposer de frontières sûres et reconnues à côté d’un État palestinien de plus en plus problématique. Ce brouet indigeste a pour recette : l’inimitié éternelle et sans cesse renouvelée des « gentils » envers les Juifs, l’amalgame Juif/Israélien, antisémite/antisioniste, l’opposition fantasmée du vrai Juif (fier, armé et courageux) et du faux (lâche, « assimilé », et renégat), la hantise du « mariage mixte », etc. Elkann écrit : « Comment un Juif pourrait-il ignorer le fait que ce pays [Israël], le pays de ses ancêtres, celui dont il a été exilé pendant 2000 ans est à nouveau gouverné par des Juifs ? Sans doute la plupart des Juifs n’ont-ils pas envie d’abandonner leur position sociale, acquise dans la diaspora, et de renoncer à leur travail, mais ils doivent comprendre qu’ils n’ont plus le choix (sic). Ils ont un pays qui leur appartient en propre et s’ils le désirent, ils peuvent acquérir une double nationalité. Si un Juif veut devenir un Juif authentique (?), il doit devenir israélien. ». Une stratégie de chantage permanent qui mine la recherche de toute solution équilibrée des conflits en Israël et dans le monde ; une fuite vers l’aventure militaire, dont certains espèrent de plus en plus ouvertement le fait accompli du plus grand Israël. ■
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débattre Une faille sensible ALAIN MIHÁLY
D
ans sa réaction à mon article « Une radicalité identitaire ? » publié en décembre dernier dans Points critiques1, J. Bude livre un exercice de pure idéologie et de logique binaire, destiné à éviter l’obstacle pourtant irrémissible des « propositions-limites » de S. Chichah. On y apprend, exemple scolaire à l’appui – ce qui laisse penser qu’on l’estime toujours habilité à intervenir contre l’antisémitisme dans des débats publics – que S. Chichah n’est « ni antisémite ni négationniste ». Sauf que la charge portée contre lui était différente. Ses dénégations postérieures à l’événement étaient d’ailleurs relevées et analysées, ce que J. Bude nous reproche comme il nous aurait reproché de ne pas l’avoir fait. C’est non le négationnisme mais le « jeu avec le négationnisme » qui était visé – ce fac-similé du « jeu » de contournement de Dieudonné – ainsi que la provocation et la blessure. À ce dossier était joint a) le refus, dévoilé déjà en 2009 par J. Vogel, de se démarquer de Dieudonné tout en prétendant s’interroger sur les notions d’antisémitisme et d’antisionisme, b) la revendication identitaire « juive sociologique » (le Verus Israël ?) en parallèle avec la démonétisation des Juifs réels présents, accusés l’une (V. Teitelbaum) de soutenir une politique « antisémite comme celle de Sarkozy à l’égard des Roms » (en substance) et l’autre (J. Kotek, en tant que responsable du
CCLJ) « un État raciste, ségrégationniste et colonialiste ». Le tout mettant en scène le glissement volontairement opéré par S. Chichah, épaulé par les autres intervenants à ce « débat » (à l’exception de J. Kotek) du 20 septembre 2010 ainsi que par le président de conférence (que le CCOJB s’en prenne à ce dernier ne constitue pas une preuve de sa compétence) de la « question Dieudonné » à la « question israélienne » et donc, références au judéocide et au négationnisme obligent, à la « question juive ». Confronté à une démonstration qu’il a le droit de ne pas approuver, J. Bude se contente de la dénigrer et de la caricaturer. Comme il se contente de qualifier la phrase litigieuse de S. Chichah sur le négationnisme2 de « raisonnement boiteux […] qui se voulait sans doute provocateur ». Boiteux et sans doute provocateur… Voilà sans doute la faille sensible qui conduit J. Bude à ancrer dans un cadre politique fantasmatique ma démarche critique ainsi que, bien que je sois le seul nommément visé, celle des autres intervenants du « bien curieux dossier de Points critiques », « De la liberté d’expression », tout entier motivé selon lui par une « poussée d’aveuglement communautariste ». Donc Caroline Sägesser, qui fut personnellement la cible, dans le cadre d’un forum social électronique, d’une autre « petite phrase », explicitement sexiste, de S. Chichah, sans doute encore une fois dépassé
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par son démon de la provocation, Pascal Fenaux et Jean Vogel. Sans compter le C.A. de l’UPJB, cité par J. Bude, comme s’il avait du mal à y croire, dans sa dernière note de bas de page. Qu’un universitaire et ami, à ses yeux au-dessus de tout soupçon, produise une proposition inutilement blessante et jouant avec la notion de négationnisme ne rentre pas dans le champ de compréhension de J. Bude. Deux possibilités s’offraient à lui et qu’il a toutes deux choisies. D’abord nier la gravité de la proposition; on le constate, avec effarement, mais il n’est pas le moins du monde blessé ou choqué par une « petite phrase », dont, au minimum, l’incongruité, quand on est censé parler d’antisémitisme (Dieudonné/Faurisson) devrait sauter aux yeux. Ensuite, « amalgamer » (terme galvaudé mais ici pertinent) la critique de cette proposition à l’adversaire politique et communautaire. Viser S. Chichah qu’a visé le CCOJB, c’est faire du CCOJB son double. S. Chichah critique Israël, le CCOJB défend Israël et attaque S. Chichah : celui-ci sera donc défendu quoi qu’il dise (la Palestine serait-elle la seule mesure de toutes choses ?) Il n’y a là qu’idéologie, pur formalisme et absence de prise en compte du réel (les mots prononcés ou le courrier électronique rendu public par S. Chichah lui-même, où s’exprime radicalité identitaire et stigmatisation caricaturale de la contradiction – J. Vogel traité de « sioniste »).
Faille sensible, écrivions nous précédemment. Pour J. Bude, sans la Lettre ouverte adressée aux Autorités académiques de l’ULB par M. Sosnowski, président du CCCOJB, sans la pétition qui y a fait suite (plus de 1500 signatures, écrit-il à deux reprises, ce qui ne peut qu’inquiéter), « l’article d’Alain Mihály, tout comme d’ailleurs le dossier dont il fait partie, n’aurait pas existé. En fait, cet article et la lettre de M. Sosnowski sont indissociables »… Deux éléments échappent à l’entendement sensible de J. Bude. Qu’il est normal sinon logique que l’UPJB s’interroge et prenne position dans un tel débat d’autant que S. Chichah ne s’était pas gêné pour la citer dans sa carte blanche et que Points critiques, en toute indépendance, réalise un dossier sur ce sujet. Ensuite, en ce qui concerne le présent signataire, et alors que cet aspect était explicité à satiété dans l’article incriminé, qu’il ait pu être personnellement blessé en tant que Juif par les propos et l’attitude de S. Chichah. Le parti-pris de J. Bude l’empêche sans doute de voir ou de sentir quand certaines limites sont dépassées et, bizarrement, le conduit à considérer comme « indissociables » idéologiquement des faits qui ne le sont que dans leur succession et à disqualifier en « obsession de l’antisémitisme » l’absence nécessaire et vitale de toute complaisance – trop courante dans les milieux pro-Palestiniens – vis-à-vis de tout estompement de la limite en matière mémorielle ou, le cas échéant, d’antisémitisme. Le développement de J. Bude nous donne l’occasion de nous arrêter, trop rapidement, sur plusieurs postures qu’il illustre à merveille. Passons sur le paradoxe qui
le voit, parallèlement, relater une intervention en milieu scolaire destinée à contrecarrer l’antisémitisme pour ensuite décrire celui-ci comme une « obsession qui s’est récemment exacerbée ». Tout en assénant ceci, qui reprend en l’étoffant ce qu’écrivait déjà S. Chichah « […] Par contre croire que parce qu’ils sont juifs, tous les Juifs avalisent ces crimes parce qu’ils sont commis par des Juifs, est de l’antisémitisme. Par conséquent tout ce qui porte à croire que tous les Juifs soutiennent l’État d’Israël quoi qu’il fasse, incite à l’antisémitisme » qui repose sur une conception, bien que largement répandue, erronée et dangereuse de l’antisémitisme. Une conception qui établit un lien de cause à effet entre les positions politiques et idéologiques de la majorité communautaire juive et l’antisémitisme (la haine des Juifs en tant que Juifs et son florilège de fantasmes et de clichés) ne reconnaît pas aux Juifs le droit de faire de la politique (critiquable ou non) sans « risquer leur peau de Juifs », et conduit, in fine, à admettre que les « pro-israéliens » n’ont que l’antisémitisme qu’ils méritent et dont ils seraient la cause. Une conception qui admet et renforce la logique interne d’un antisémitisme – alors qu’il faut refuser celle-ci – qu’on prétend pouvoir combattre par l’exposition de Juifs exemplaires, dissidents et opposants (ou les « bons Juifs » face aux « mauvais Juifs » pro-israéliens) ou, puisque l’argument nous est donné, qui ne soient pas d’origine bourgeoise et aisée. Reste à comprendre en quoi la bonne nouvelle de l’existence de quelques Juifs critiques mettrait fin à un antisémitisme nécessairement multiforme et à se demander ce que deviennent, dans ce « raisonnement
idéal », les « mauvais Juifs ». Sans compter, obstacle insurmontable, que l’écrasante majorité des Juifs « communautaires » soutiennent Israël, du moins publiquement, et ne remettent pas en cause leurs institutions sur ce point. On notera par ailleurs qu’il aura suffi que l’UPJB et Points critiques s’abstiennent de complaisance dans ce dossier pour qu’ils basculent, aux yeux de certains, du « mauvais » côté3, quels que soient par ailleurs leurs engagements de longue date. Nicolas Weill a parfaitement décrit les conséquences de cette posture de l’exemplarité. La lutte contre l’antisémitisme devient « une lutte sous condition (que les Juifs se désolidarisent d’Israël) et non plus une simple question de principe. [...] le combat contre la haine est insidieusement asservi au comportement des minorités juives [...]. L’antisémitisme se voit peu à peu reconnecté avec le comportement des Juifs (ou des Israéliens), ce qui constitue une formidable régression et diminue les réflexes de rejet du préjugé potentiellement mortifère »4. ■ 1 Le dossier « De la liberté d’expression », dans le cadre duquel cet article est paru, est accessible en ligne sur le site www. upjb.be. La réaction de J. Bude est parue dans Points critiques n° 314 de mars 2011. 2 Citons-la une fois de plus : « Moi, la question du négationnisme, elle ne m’intéresse pas. D’ailleurs, je n’ai pas d’avis puisqu’il est interdit d’avoir un avis dessus donc en tant que légaliste, je m’en tiens à la vérité officielle ». 3 Suite au dossier de Points critiques, la Plate-forme Charleroi-Palestine (www. pourlapalestine.be) titrant le 09/12/2010 « UJFP (Union juive française pour la paix) et UPJB, à chacun ses préoccupations », oppose les deux organisations et reproche, entre autre, à l’éditorialiste de Points critiques d’avoir fait référence à Shoah de Cl. Lanzmann « qu’Alain Gresh qualfie si justement de « cinéaste tribal ». 4 Nicolas Weill, La République et les antisémites, Grasset, 2004.
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activités vendredi 1er avril à 20h15
L’UPJB et « Paix juste au Proche-Orient Ittre » vous invitent à
une soirée de solidarité avec le village bédouin non reconnu
Al Araqib du Nakab-Néguev Le Fond National Juif, organisation semi-gouvernementale, avec l’aide de la police et de l’armée, a décidé de planter, grâce à l’aide de God-TV, télévision d’une secte chrétienne évangélique, une forêt à la place d’Al Arakib. Le groupe Paix Juste au Proche-Orient (PJPO) d’Ittre a décidé de lutter aux côtés des habitants de ce village d’Israël victime de la politique de judéisation du désert du Naqab – Néguev. Avec l’organisation judéo-bédouine « Negev Coexistence Forum (NCF) », nous voulons participer à 3 actions de solidarité afin d’aider la tribu Aturi à se maintenir sur ses terres : 1. Aide financière pour la reconstruction de leurs « cabanes » condition indispensable pour survivre plus ou moins décemment après chaque destruction. 2. Organisation d’expositions de photos prises par les enfants d’Al Arakib, afin de leurs permettre de participer à la résistance de leurs parents. 3. Cours d’anglais pour les habitants, langue indispensable pour communiquer avec les médias et les militants internationaux. Soutien financier au compte BE48 0014 3559 3027 PJPO Ittre, mention Al Arakib 2011 (pour plus de détails, voir www.upjb.be)
Le débat animé par Uri Zakheim, militant israélien et Marco Abramowicz sera précédé de la projection d’un film reportage de Patrick Monjoie sur le village d’Al Arakib. PAF: 6 EURO, 4 EURO pour les membres, tarif réduit: 2 EURO
Mardi 19 avril à 18h L’UPJB commémore le Soulèvement du Ghetto de Varsovie 18h : Dépôt de fleurs au Monument à la Résistance juive et au Mémorial de la Déportation d’Anderlecht, coin rue Emile Carpentier et rue des Goujons Allocutions et Chant des Partisans juifs (Zog nit keyn mol). 19h30 Verre de l’amitié au local de l’UPJB, 61 rue de la Victoire - 1060 Bruxelles
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samedi 2 avril à 20h15 Conférence-débat avec Benoît philosophe
Peeters autour du Jacques Derrida, Images d’une Vie
(1930-2004) « Que peut-on savoir d’un homme ? », se demandait Sartre. C’est une question qui me passionne. Je n’ai pas seulement voulu décrire le parcours de Derrida, j’ai tenté de le comprendre, depuis ses blessures de jeunesse : l’exclusion de l’école à 12 ans en tant qu’enfant juif né en 1930 dans l’Algérie coloniale ; la difficile intégration au milieu parisien ; la guerre d’Algérie, une autre expérience traumatique décisive qui a nourri sa pensée politique ultérieure et notamment ses interventions courageuses sur Nelson Mandela ou le conflit israélopalestinien, comme s’il avait cherché toute sa vie à réparer cette déchirure ; les rejets subis dans le monde universitaire français, qui ont contribué à donner à sa pensée et à son œuvre une dimension véritablement mondiale. Il ne s’est jamais senti Français, au sens restrictif du terme : il a toujours été du côté de « l’autre », des sanspapiers, de l’hospitalité... C’est l’une des raisons pour lesquelles il nous manque tellement aujourd’hui ». Auteur au talent protéiforme, Benoît Peeters a passé « Trois ans avec Derrida » et propose une nouvelle porte d’entrée dans cette œuvre abondante qui paraît intimidante. Faire vivre le philosophe en son siècle en soulignant notamment la dimension politique de sa pensée, entrer dans son intimité, montrer un Derrida fragile et tourmenté, un Derrida sensible et lyrique, qui se rêvait écrivain au moins autant que philosophe, c’est ce qu’il se prépare à faire avec nous, lors de cette soirée animée par Alexandre Wajnberg, sans pour autant prétendre qu’il s’agisse du « vrai » Derrida. La notion de vérité est d’ailleurs l’une de celles qu’il n’a cessé de déconstruire, pour reprendre l’un de ses maîtres-mots. PAF: 6 EURO, 4 EURO pour les membres, tarif réduit: 2 EURO
UPJB-Jeunes — Visite du Musée de la Déportation et de la Résistance dimanche 3 avril à 14h30 Le dimanche 3 avril, l’UPJB jeunes organise une visite du Musée juif de la Déportation et de la Résistance à Malines. La visite sera guidée par Jo Szyster. Les moins jeunes de l’UPJB qui désirent y participer sont les bienvenus. Rendez-vous à 14h30 au Musée. Caserne Dossin, 153 Goswin de Stassartstraat à Malines. Un co-voiturage est possible. Téléphoner au secrétariat 02.537.82.45
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activités vendredi 29 avril à 20h15
Charlotte Salomon. Vie ? Ou théâtre ? avec Lucy
Grauman
Présentation par Dominique Rodriguez Nous vous proposons une conversation autour de Charlotte Salomon. Cette jeune Allemande a fui Berlin après la nuit de cristal. Pour ne pas se suicider, de 23 à 26 ans, elle décide de faire quelque chose de fou et de grand : raconter sa vie à l’aide de gouaches de petit format. Il y en a 1325. Fausse autobiographie, mais autobiographie quand même. Il faut voir. Et aussi écouter puisque certaines gouaches sont accompagnées de références musicales. PAF: 6 EURO, 4 EURO pour les membres, tarif réduit: 2 EURO
samedi 30 avril dès 19h
Alors, on danse... Après le bal et ses folles envolées rythmiques, voici une nouvelle occasion où jeunes et moins jeunes peuvent se retrouver autour d’une activité ludique et conviviale, avec, en prime, cette fois-ci, l’occasion d’explorer les relations femme-homme ou homme-femme ... ! Venez nous rejoindre et partager cette folle soirée animée par un prof plutôt sympa et très tolérant : Gilles Daems. Il nous entraînera à travers les danses de couples d’Amérique latine : salsa, chachacha, tango ou merengue. Une initiation pour tous (mais de préférence à deux donc). Une soirée à danser et s’amuser ensemble sur les rythmes de Cuba, de l’Argentine et de tous les pays entre les deux. Et, bien sûr, dès 19h, le déjà célèbre bouillon lokshn, à la sauce latino-juive ! Au plaisir donc de nous retrouver pour danser ensemble. Nous vous rappelons que nous comptons organiser en juin un cabaret et que nous lançons donc un appel, dès à présent, à tous ceux désireux d’y participer (chanson, théâtre, arts visuels, musique ...). La personne de contact, pour la commission lokshn, est Jacques: jacques.ravedovitz@skynet.be PAF: 6 EURO, 4 EURO pour les membres, tarif réduit: 2 EURO
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lire Nouvelles d’un quotidien inquiétant TESSA PARZENCZEWSKI
C
omme un cinéaste, Yehoshua Kenaz braque sa caméra-clavier sur des univers à première vue banals. Séquences d’un quotidien routinier où progressivement surgira le malaise. Clara, rescapée des camps, sent pousser en elle une peau étrangère, « chair sauvage » qui peu à peu l’envahit, comme le souvenir indélébile des Allemands, et sème l’effroi dans son entourage. Métaphore de la confrontation si problématique entre les rescapés et les Israéliens de souche ? Que savons-nous de nos plus proches, parents, frères, mari, et même enfant ? Rien. Nous savons des choses insignifiantes, mais rien de ce qui est essentiel, des secrets qui risquent de peser sur notre vie… ou notre mort ! Surtout s’il s’agit d’une personne venue de là-bas. Quand on est comme moi israélienne de souche, ancienne combattante du Palmakh, noyau de notre future armée, professeur de piano et de musique dans un vieux village, comment savoir ce qui se passe dans le cœur d’une jeune fille comme elle ? Personne ne revient très normal de là-bas. Parfois je la regarde et je me dis : Mon Dieu, c’est notre ange de la mort. À Tel-Aviv surtout, mais aussi dans sa bourgade d’enfance, l’auteur fait naître situations et personnages, où nul héros ne se détache, mais où les protagonis-
tes se confrontent dans une tension croissante, chacun dans sa solitude et sa propre logique. Et partout rôde la menace. Impalpable, indéfinie. Rien ne semble rationnel. On songe parfois au théâtre de l’absurde : pendaison de crémaillère où personne ne semble se connaître, portes qui se bloquent d’une manière mystérieuse, une hilarante projection d’un film porno en présence de toute la famille, enfant et grand-mère compris. Certaines nouvelles se terminent en chute dramatique et brutale, d’autres laissent la conclusion ouverte, comme autant de points de suspension. Avec un regard sans complaisance mais sans cynisme, Yehoshua Kenaz dépeint une hu-
manité plutôt paumée, fragile, loin des certitudes triomphantes. Allant droit au but, son écriture colle au réel et rend ainsi encore plus surprenants les multiples dérapages qui émaillent les récits. Né à Petah-Tikva en 1937, Yehoshua Kenaz a traduit en hébreu Simenon, Flaubert, Stendhal, Modiano… Plusieurs de ses œuvres ont été publiées en France, notamment Paysage aux trois arbres et La Grande Femme des rêves. ■ Yehoshua Kenaz Chair Sauvage Traduit de l’hébreu par Rosie Pinhas-Delpuech Actes Sud, 221p. , 20 EURO
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UPJB Jeunes Museum Night Fever NOÉMIE SCHONKER
D
ans le numéro de février, je vous annonçais la participation des jeunes de l’UPJB et de Samarcande, notre partenaire, à la Nuit des Musées. Dans le numéro suivant, j’évoquais la cadence frénétique à laquelle s’enchaînaient réunions, visites, rencontres, moments de création et de répétition. J’ajouterais chinage au Vieux marché en quête d’éléments de décor, de déguisements et d’objets insolites, confection d’indices, de cartes, de photomontages, rédaction de dialogues, etc. Cela nous a demandé un travail de dingue ! Partir de l’histoire de Chim, retenir les détails et les exploiter ; s’imprégner des événements historiques qui ont marqué sa carrière ; mettre en exergue la rupture de style qu’il opère, la tendresse de son regard, l’humanisme qui transcende son œuvre, l’intimité de ses clichés ; parler aussi de la naissance du photojournalisme et de la création de l’Agence Magnum… Et, imaginer un jeu de rôle où mise en scène et décors sonores et visuels mettent tout cela en perspective, associer les jeunes de 13, 14 ans à son élaboration et coordonner le boulot des deux partenaires… dont les horaires d’activités ne coïncident pas ! Une visite commune de l’expo,
répartition des rôles, des textes inventés ou empruntés aux auteurs de l’époque et nos jeunes personnages, sortis tout droit des clichés, guident le public, muni d’une carte de presse et d’une photo aérienne du musée, à travers l’Europe mouvementée des années 30 et 40. Émotion perturbante… Les ouvriers des grèves de 1936 déclament Prévert : « … Une grande lumière grimpe sur la tour, Une lumière crue. C’est la lanterne du bordel capitaliste, Avec le nom du tôlier qui brille dans la nuit. Citroën ! Citroën ! (chœurs) […] Citron ? Bénéfices nets Millions […] Mais ceux qu’on a trop longtemps tondus en caniches, Ceux-là gardent encore une mâchoire de loup, Pour mordre, pour se défendre, pour attaquer, Pour faire la grève… La grève, la grève… Vive la grève ! » À l’autre bout de la salle, M. Hernandez récite ses poèmes aux troupes républicaines : « Les vents du peuple me portent ! » (Silence. Bruits d’avions, bombardements) « Hitler et Mussolini ont répondu à l’appel de Franco. Ils ont brisé notre rêve révolutionnaire… Pars Chim, pars ! » Chaque photographie témoignant de la rencontre de Chim
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avec son sujet, les sujets se racontent de salle en salle : Berlin, 1947, « Comme tu vois, not’pays, n’est plus que ruines et décombres et les grands d’ce monde, y s’arrêtent pas d’se disputer notre ville… Du coup, c’est pas facile de savoir c’qu’on va devenir, pis à qui on doit demander… Alors, nous, ben, on survit… On fait avec ce qu’on a (elle montre, son corps) » « Ton petit carré de terre, tu l’cultives… faut compter sur personne. S’il te reste quelque chose après avoir nourri les tiens, tu l’vends au marché noir, pour t’acheter du savon… » 1947, création de l’Agence Magnum, le public assiste à une réunion de rédac. Y est décidé que Chim remplira le contrat de
l’Unicef sur la condition des enfants victime des conflits en Euro-
Carte de visite pe de l’Est. « C’est un contrat pour toi. Ton appareil photo est semblable au stéthoscope d’un médecin ! Ces enfants t’attendent, Chim. Ils ont besoin de toi ! ». 1948, maison d’enfants, Europe de l’Est : « Cher monsieur Seymour, J’aurais pu être un gosse comme les autres, ni meilleur ni pire, si j’étais né ailleurs... à un autre moment… Depuis qu’on est né, on n’a connu que la guerre, les sirènes, les bombardements. On n’a fait que fuir et se cacher. […] Les grands se font la guerre mais ce sont les enfants qui souffrent. Le monde est trop bizarre […] » Europe Occidentale, 2011 : « Cher monsieur Chim, Vos photos sont belles, c’est vrai. Parfois elles donnent envie de pleurer aussi parce que rien n’a vraiment changé. Au contraire. Il y a toujours plus de guerres aux quatre coins du monde qui font beaucoup de morts. Il y en a tellement qu’on sait même pas où ni pourquoi […] » 1950, le monde a changé. Chim photographie les stars... Avedon sur photo : « Salut Chim, t’es un sacré veinard hein ? Tu vas encore aller photographier les plus belles de ce monde... Tu nous laisse te prendre en photo ? Tiens enfile tes lunettes et prends la pose ! 1956, conflit israélo-égyptien... dernier reportage de guerre pour Chim. Dernier reportage tout court... Superposition d’images reprenant les mêmes thèmes, la même esthétique, les mêmes lignes que celles capturées par Chim. 1956/2008... Toujours des conflits à couvrir... Quelles images nous en offre-t-on ? Salves d’applaudissements dans les salles, expérience forte pour nos jeunes que Barack, un ami, a filmée et que nous espérons bientôt pouvoir vous montrer ! ■
L’UPJB Jeunes est le mouvement de jeunesse de l’Union des progressistes juifs de Belgique. Elle organise des activités pour tous les enfants de 6 à 15 ans dans une perspective juive laïque, de gauche et diasporiste. Attachée aux valeurs de l’organisation mère, l’UPJB jeunes veille à transmettre les valeurs de solidarité, d’ouverture à l’autre, de justice sociale et de liberté, d’engagement politique et de responsabilité individuelle et collective. Chaque samedi, l’UPJB Jeunes accueille vos enfants au 61 rue de la Victoire, 1060 Bruxelles (Saint-Gilles) de 14h30 à 18h. En fonction de leur âge, ils sont répartis entre cinq groupes différents.
Bienvenus pour les enfants de 6 ans ou qui entrent en
Les 1ère primaire Moniteurs :
Alice : 0477/68.77.89
Axel : 0471/65.12.90 Josepha : 0479/19.15.15 Charline : 0474/30.27.3 Les pour les enfants de 7 à 8 ans Moniteurs : Shana : 0476/74.42.64 Sacha : 0477/83.96.89 Lucie : 0487/15.71.07 Milena : 0478/11.07.61 Les pour les enfants de 9 à 10 ans Moniteurs : Mona : 0474/42.37.72 Manjit : 0485/04.00.58 Fanny : 0474/63.76.73 Clara : 0479/60.50.27 Les pour les enfants de 11 à12 ans Moniteurs : Lenny : 0474/94.88.15 Valentine : 0494/59.43.09 Sarah : 0471/71.97.16 Totti : 0474/64.32.74 Les pour les enfants de 13 à 14 ans Moniteurs : Yvan : 0474/35.96.77 Marie : 0472/67.11.09 Noé : 0472/69.36.10 Maroussia : 0496/38.12.03
Marek
Janus Korczak
Émile Zola
Yvonne Jospa
Informations et inscriptions : Noémie Schonker - noschon@yahoo.fr - 0485/37.85.24
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UPJB Jeunes L’histoire de l’UPJB à travers son chansonnier NOÉMIE SCHONKER
N
ous devons préparer le premier camp d’hiver avec la toute jeune équipe de moniteurs, pour la plupart enfants de l’UPJB. La première étape de cette préparation est le choix du thème des vacances. Je suis curieuse. Les discussions que nous avons eues en début d’année laissent entrevoir une équipe désireuse de se réapproprier des éléments de l’« identité upéjibienne », de réintroduire des activités « propres » à notre mouvement de jeunes et de se préoccuper d’aspects pédagogiques « spécifiques » à la maison que l’on aurait laissés de côté depuis trop longtemps. Je me demande si ces intentions programmatiques – ne sont-elles que nostalgiques, romantiques, prétentieuses ? – et ambitieuses, vont se retrouver dans le thème de camp. On part des envies en se demandant ce qui fait qu’un thème « marche » ou « ne marche pas ». Pour le grand jeu, un scénario de « révolte contre un oppresseur » est assez porteur et les valeurs à mobiliser évidentes. Mais d’autres ont envie de traiter « la musique », « les chants de résistance »… Cela n’est pas un thème en soi. Il faut donc en trouver un qui puisse se décliner en histoire(s) de luttes d’émancipation, de résistance et en musique. Me vient alors en souvenir un magnifique docu-
mentaire sur la musique noire et le combat pour l�émancipation des Afro-Américains, « Des chaînes de fer aux chaînes en or ». L’idée est jugée bonne mais trop éloignée de la réalité des enfants et des monos. Ils veulent un thème qui parle aux gosses, qui soit proche de ceux portés par l’UPJB et qui leur permettent d’offrir aux enfants d’autres sons que ceux importés des States. Ils veulent pouvoir chanter les chansons de leurs grands-parents mais aussi celles d’aujourd’hui, celles qui les ont bercés petits et qui leur ont permis de se réchauffer cet automne alors qu’ils étaient transis, menottés dans un car de police (cf. les articles parus en novembre). À l’évidence, « l’histoire de la maison à travers son chansonnier » était le thème de prédilection pour le premier camp de cette équipe, nouvelle courroie de transmission d’un bagage familial historique, politique et culturel qu’elle revendique et auquel elle s’identifie tellement ! Rendez-vous sont pris avec Fouine – qui leur fait un exposé-concert de deux heures sur soixante ans d’histoire(s) chantée(s), enregistré pour les absents, et les aide à découper l’épopée qu’ils illustreront quotidiennement par des scénettes et des chansons –, avec Mouchette – qui leur apprend les chants sélectionnés après les réunions du samedi et… Libres en-
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fants du ghetto* devient la bible des monos ! Reste à présent la question de la chanson de camp à régler et celle du grand jeu. Le grand jeu portera sur la guerre d’Espagne. Après deux jours de voyage chanté retraçant la création de la Sol et de l’USJJ, nous allions revenir sur l’engagement politique qui a poussé, « naturellement », les fondateurs de Solidarité juive à entrer dans la résistance dont l’esprit de solidarité et les réseaux structurés ont permis, au lendemain de la guerre, la mise sur pied rapide d’une telle organisation. Cela nous permettrait également d’expliquer pourquoi les chants de la résistance espagnole, française, italienne et juive avaient une si grande place et étaient chanté avec tellement de ferveur et d’émotion chez nous. C’est ce que l’on fit. Epuisés de leur journée de « combat », fort réussie par ailleurs, réunis dans le réfectoire avec leur sac de couchage et les paroles de chansons couvrant les années ´40 à ´55, les enfants écoutèrent Noé à la guitare, Abeille au chant et moi à la parole, retraçant l’histoire des Brigades internationales, de la résistance, de la création de Solidarité juive et de l’USJJ et de leur espoir immense, jusqu’à l’aveuglement, en un avenir meilleur, communiste, soviétique. Drapeau de l’UJJP et panneaux illus-
La veillée
trés de photos d’époque épinglés aux murs, on chante « El Ejército del Ebro », « Bella ciao », « Les Marais », « Ami entends-tu », « L’Appel du Komintern », « J’attends devant ma porte », La Semaine sanglante », « Quatre chevaux », « Ivanski », etc… De chanson de camp, nous n’allions pas en trouver de toute faite… Lorsque les moniteurs commencèrent à chanter les paroles inventées pour l’occasion, j’en eus la chaire de poule. Certes j’étais épuisée et avais dès lors les nerfs à fleur de peau, certes ce genre d’hommages aux générations passées ont l’art de m’émouvoir au plus haut point… Mais de les entendre, ces p’tits jeunes, commencer à entonner fièrement «… Unissons nos voix pour honorer la mémoire de tous ceux qui sont passés par la rue de la Victoire... Et puis la Sol chantait Et puis la Sol chantait, Ces chansons qui résonnent encore et encore. Amis entends-tu le vol noir des corbeaux sur nos plaines… Et puis la Sol chantait Et puis la Sol chantait…Sauf des mouchards et des
gendarmes/ On ne voit plus par les chemins Que des vieillards, tristes en larmes Et puis la Sol chantait Et puis la Sol chantait…Mais un jour dans notre vie/ Le printemps refleurira/ Liberté, liberté chérie/ Je dirai tu es à moi/ Ô terres enfin libres/ Où nous pourrons revivre/ Aimer, aimer, aimer… » Et l’UJJ chantait Et l’UJJ chantait…, Et l’ami Fouine chantait… Et puis Marca chantait…, L’UPJB chantait… », (vous aurez compris la logique), ben, ça m’a surpris, ça m’a prise de court. C’était beau, juste, chargé… Ils s’étaient réapproprié une histoire, la leur mais la mienne aussi… Du fin fond des Flandres belges, ce n’est pas la sono que vous pouviez entendre mais les voix enchantées de l’UPJB-Jeunes qui réussit en une semaine à réintroduire le chant comme moment de rassemblement aux repas, pour calmer les temps de sieste, pour endormir les enfants le soir, pour accompagner la marche, pour célébrer quelqu’un, pour canaliser l’énergie. Les jeux s’enchaînent sur les
thèmes de la Résistance, de la musique, de la dictature, de la solidarité ou tout simplement de l’amusement pur. Aux ateliers de foot succèdent ceux du crix, du grenz, du massacre polonais, israélien, etc… À côté de l’atelier bricolage quotidien, on instaure celui du « carnet de chant ». Les enfants s’inquiètent de ne pas avoir le temps d’écrire toute la chanson de camp – douze minutes quand même – mais ne veulent pas rater pour autant le match de crix qui s’annonce impitoyable. Dilemme. Le dernier soir, les monos présentent leur « monoshow »… chanté, on chante une dernière fois la chanson de camp aux douze anciens monos venus pour le radio crochet et la boum, on crie un hip, hip hourra à la cuisto, Marie-Paule, et on danse toute la nuit, sans penser au rangement du lendemain. ■ * Alain Lapiower, Libres enfants du Ghetto, Éditions Points critiques/Rue des Usines, 1989
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écouter Mes doigts s’en souviennent NOÉ
L
a marmaille ne comprend pas tout de suite. Mais la nouvelle équipe mono est plus qu’enthousiaste. « Sortons nos guitares et empoignons nos tambours/ On va traverser l’histoire c’est reparti pour un tour/ Unissons nos voix pour honorer la mémoire/ De tous ceux qui sont passés par la rue de la Victoire », avait été lancé comme indice quelques heures avant le départ pour le camp. Rouvrir une voie fermée il y a une quinzaine d’années lorsqu’on a vu arriver les premiers monos munis de lecteurs Mp3 ravageurs. Quelques heures nous suffisent pour adopter notre salle de chant. Celle qui nous entendra entonner toute la semaine une chanson de camp de douze minutes. Celle qui nous verra remplir nos nouveaux carnets de chants. Mission réussie. Nos pieds ont cogné sur « La semaine sanglante », des poings se sont levés sur « L’appel du Komintern ». Nous avons redonné vie à des airs yiddish sous forme d’hommages à « l’ami Fouine ». Et si le « serpent à plumes » de Marca a toujours hanté nos veillées, nous avons naturellement réappris son pamphlet contre la guerre du Vietnam. Pas de sono pendant une semaine. Il a fallu en discuter profusément entre monos. Mais les enfants, eux, ne s’en sont pas rendu compte. Guitares sous le bras, Jérémie, Léa, Aristide, Yvan, Alice, Sarah et moi étions parés. Mes doigts s’en souviennent.
Au camp de carnaval. Photo Clara Dejemeppe
Certains n’y ont pas cru, d’autres ne s’en sont toujours pas remis. A cette heure-ci, je devrais d’ailleurs être en classe. Mais après une semaine si riche en émotions, en trouvailles, et en jubilations collectives, comment voulez-vous ? * Le déroulement du jeu est simpliste, ses conséquences substantielles. Pendant une heure, les Jospa ont dû passer des épreuves pour recevoir des parties de
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chansons. Une fois les textes lus, nous avons procédé à une session d’écoute sans interruption. « Ni dieu Ni maître » de Léo Ferré, « Mourir pour des idées » de Georges Brassens et « Voir un ami pleurer » de Jacques Brel. Certains ne les avaient jamais entendus ou auraient honte de les écouter. D’autres y prennent goût peu à peu. Le soir, à la fin du repas, les Jospa ont lu les trois textes en entier. « Cette parole de prophète/ Je la revendique et vous souhaite/ Ni Dieu ni maître ! ». Je me le
est le mensuel de l’Union des progressistes juifs de Belgique (ne paraît pas en juillet et en août) L’UPJB est soutenue par la Communauté française (Service de l’éducation permanente)
prends en pleine gueule. L’émotion était à son comble. * Un grand jeu inter-groupes sur la guerre d’Espagne. Tandis qu’au réfectoire certains fêtent la victoire de Franco, les Brigades internationales et les Républicains rejoignent séparément la forêt afin d’y dresser deux campements. 13 heures, il faut voler pour manger. 16 heures, les ennemis d’une journée se regardent droit dans les yeux. Ça explose. Et notre plaine flamande se transforme en champ de bataille espagnol. Quelques bleus, quelques larmes. Plus de peur que de mal. Elle a huit ans : « Mais ce n’est pas un vrai jeu ! Si c’était un vrai jeu, on ne connaîtrait pas le gagnant. Alors qu’on sait déjà que Franco va gagner. C’est pas juste ! ». Il a quatorze ans et entre les souvenirs familiaux liés à cette guerre civile qu’il me confesse, il chante. Je découvre un passionné de chansons. « El Ejército del Ebro/ Rumba la rumba la rum bam bam !/ Una no-
che el río pasó, ay Carmela, ay Carmela/ Y a las tropas invasoras/ Rumba la rumba la rum bam bam !/ Buena paliza les dió, ay Carmela, ay Carmela. » Il la sait par cœur. * « C’était nous tous les fous on n’parlait que de nous… ». La dernière chanson écrite par l’UPJB Jeunes pour son chansonnier date d’il y a presque vingt ans. La nouvelle équipe mono s’est prise au jeu. En voici un extrait : Un camp sur la chanson Mais quelle drôle d’idée/ Alors que les Ipods Ont tout remplacé/ Nos tambours, nos guitares Nos voix, nos veillées /Ensemble au réfectoire Ou autour d’un feu/ Chants de lutte, chants de joie Est-ce que c’est pas mieux ?/ Nous retrouvons enfin Le temps des anciens Refrain : À l’UPJB, on chante et on danse On rit et on pleure Toujours pour le meilleur Un camp sur la chanson Mais quelle bonne idée/ À croire que les Mala Ont tout chamboulé Entouré de mentors Prêts à les aiguiller/ Nous avons redonné vie à des chansons Revenues d’un autre temps ou d’autres horizons/ Mises de côté Par désillusion. ■
Secrétariat et rédaction : rue de la Victoire 61 B-1060 Bruxelles tél + 32 2 537 82 45 fax + 32 2 534 66 96 courriel upjb2@skynet.be www.upjb.be Comité de rédaction : Henri Wajnblum (rédacteur en chef), Alain Mihály (secrétaire de rédaction), Anne Gielczyk, Carine Bratzlavsky, Jacques Aron, Willy Estersohn, Tessa Parzenczewski Ont également collaboré à ce numéro : Roland Baumann Léon Liebmann Sophie Liebman Richard Marienstras Noé Gérard Preszow Noémie Schonker Zoltan Veress Conception de la maquette Henri Goldman Seuls les éditoriaux engagent l’UPJB. Compte UPJB IBAN BE92 0000 7435 2823 BIC BPOTBEB1 Abonnement annuel 18 EURO ou par ordre permanent mensuel de 2 EURO Abonnement de soutien 30 EURO ou par ordre permanent mensuel de 3 EURO Abonnement annuel à l’étranger par virement de 40 EURO Devenir membre de l’UPJB Les membres de l’UPJB reçoivent automatiquement le mensuel. Pour s’affilier: établir un ordre permanent à l’ordre de l’UPJB. Montant minimal mensuel: 10 EURO pour un isolé, 15 EURO pour un couple. Ces montants sont réduits de moitié pour les personnes disposant de bas revenus.
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agenda UPJB Sauf indication contraire, toutes les activités annoncées se déroulent au local de l’UPJB, 61 rue de la Victoire à 1060 Bruxelles (Saint-Gilles)
vendredi 1er avril à 20h15
Soirée de solidarité avec le village bédouin non reconnu Al Araqib du Nakab-Néguev. Débat animé par Uri Zakheim, militant israélien et Marco Abramowicz et projection d’un film reportage de Patrick Monjoie sur le village d’Al Arakib (voir page 30)
samedi 2 avril à 20h15
Conférence-débat avec Benoît Peeters autour du philosophe Jacques Derrida, Images d’une vie (1930-2004) (voir page 31)
mardi 19 avril à 18h
L’UPJB commémore le Soulèvement du Ghetto de Varsovie. Monument à la Résistance juive et Mémorial de la Déportation d’Anderlecht (voir page 30)
vendredi 29 avril à 20h15
Charlotte Salomon. Vie ? Ou théâtre ? Avec Lucy Grauman (voir page 32)
samedi 30 avril dès 19h
Alors on danse... Danses de couples d’Amérique latine : salsa, chachacha, tango ou merengue avec Gilles Daems (voir page 32)
vendredi 6 mai à 20h15
Éditeur responsable : Henri Wajnblum / rue de la victoire 61 / B-1060 Bruxelles
Qui sont les Frères musulmans ? Conférence-débat avec Brigitte Maréchal, islamologue, auteur de Les Frères musulmans en Europe. Racines et discours et Michaël Privot, islamologue, administrateur d’une mosquée à Verviers et membre des Frères musulmans, coauteur du livre d’entretiens Tareq Oubrou, profession imam
club Sholem Aleichem Sauf indication contraire, les activités du club Sholem Aleichem se déroulent au local de l’UPJB tous les jeudi à 15h (Ouverture des portes à 14h30)
jeudi 7 avril
« Il ne faut pas perdre sa vie en la gagnant : l’homme et l’argent » par Léo Traber, professeur honoraire d’économie
jeudi 14 et 21 avril
Congé de Pessakh et de Pâques
jeudi 28 avril
« L’actualité politique analysée et commentée » par Léon Liebmann
jeudi 5 mai
« Modéliser l’atmosphère : comment ? pourquoi ? » par Simon Chabrillat, chef du service de météorologie chimique à l’Institut d’Aéronomie Spatiale de Belgique
jeudi 12 mai
« Analyse de quelques grandes migrations humaines : Austronésiens, Bantous et Négritos » par Anne Schoonbroodt, historienne et écrivain poète
Prix : 2 EURO
Les agendas sont également en ligne sur le site www.upjb.be