mensuel de l’Union des progressistes juifs de Belgique septembre 2010 • numéro 308
éditorial La passion indocile de Maxime Steinberg
Bureau de dépôt: 1060 Bruxelles 6 - mensuel (sauf juillet et août)
ANNE GRAUWELS
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n mars 2010, Maxime nous avait contactés au sujet d’une interview parue dans Points Critiques à l’occasion de la sortie de « La Belgique docile »1. Il préparait une intervention sur les historiens et la shoah en Belgique au colloque « Le siècle de Lemkin (II) » à l’occasion du 50ème anniversaire du CCLJ. Il voulait retrouver une phrase de Rudi Van Doorslaer qui l’avait frappé : « Ce ne sont pas les Juifs que nous avons étudiés mais les autorités belges »2. Elle lui semblait emblématique du positionnement du CEGES. Il voulait en faire son entame à ce colloque. Il n’approuvait pas les conclusions du rapport du CEGES qui lui semblaient
biaisées par leur option idéologique : l’élite ralliée à l’Ordre nouveau. Pour lui – et il en avait fait déjà largement la démonstration bien avant la publication de la « Belgique docile » – l’État belge a bel et bien collaboré à la persécution des Juifs par les nazis en Belgique. Et pour Maxime, on ne badine pas avec les faits, quitte à se brouiller avec toute la profession s’il le faut. La Fondation Auschwitz en faisait les frais également qui persistait selon lui « dans les errements antérieurs de la prétendue pluralité de « génocides nazis » (...) pratiquant les amalgames habituels de la « mémoire d’Auschwitz » dans sa version antifasciste du temps de la guerre »3. Comme le dit très justement Her-
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BELGIQUE-BELGIE P.P. 1060 Bruxelles 6 1/1511
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sommaire
éditorial
1 La passion indocile de Maxime Steinberg ............................... Anne Grauwels
4 5 6 8 10
hommage à maxime steinberg
Texte lu aux funérailles .................................................. Herman Van Goethem Cher Maxime............................................................................... Gérard Preszow Maxime Steinberg, historien et enseignant ....................... Laurence Schram Au coeur de l’Histoire .................................................................... Alain Mihály Bibliographie des articles et entretiens parus dans Points Critiques .............
israël
12 Le démon de la chasse aux sorcières .................................... Henri Wajnblum
lire, regarder, écouter
14 Notules d’été ............................................................................... Gérard Preszow
diasporas 16 Week-end de fête. Lénine à Varsovie ................................. Roland Baumann
réfléchir
18 Histoire, roman, mythes et fantasmes ...................................... Jacques Aron 20 Inventer des « sous-Français » jeu dangereux de Sarkozy . Esther Benbassa
yiddish ? yiddish !
! widYi ? widYi
22 Dire-gelt – Loyer... ......................................................................Willy Estersohn
humeurs judéo-flamandes
24 Infrarouge .....................................................................................Anne Gielczyk
le regard 26 La Belgique à la croisée des chemins ..................................... Léon Liebmann
lire
28 Le journal intime d’Alejandra Pizarnik ..........................Tessa Parzenczewski 29
activités upjb jeunes
32 Colo, totems et monos ............................................................ Noémie Schonker
écouter
34 Quel chansonnier pour l’UPJB-J ?.................................................................Noé 36
les agendas
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éditorial ➜ man Van Goethem, il ne connaissait ni Dieu ni Maître4, ni dans le monde juif, ni dans le monde académique et il n’avait de cesse de rappeler quelles étaient selon lui les questions centrales. Il nous avait donc paru en pleine forme d’autant plus qu’à l’occasion de la sortie du film « La rafle », il nous avait livré quelque temps après un article fouillé sur la rafle dans la solution finale . Quel ne fut donc pas notre choc en apprenant son décès quelques mois plus tard. Compagnon de route de Points Critiques depuis le début, son départ laisse un grand vide, comme en témoigne notre communiqué de presse publié quelques heures après l’annonce de sa mort : C’est avec la plus profonde tristesse, et en s’associant à la douleur de sa famille et de ses proches, que l’Union des Progressistes Juifs de Belgique (UPJB) ainsi que le comité de rédaction de sa revue mensuelle – Points Critiques – apprennent la mort de Maxime Steinberg. Collaborateur exigeant et conséquent de notre revue à laquelle il livrait encore un dernier texte sagace à l’occasion de la sortie du film « la Rafle », Maxime fut avant tout l’historien rigoureux et imperturbable du déroulement et des responsabilités de la « Solution Finale de la Question juive » en Belgique. Marqué lui-même dans sa chair par le génocide, il sut à la fois restituer avec lucidité et courage à la communauté juive belge sa propre histoire ainsi qu’à la Belgique ses aveuglements et dérives collaborationnistes. Hostile à toute démagogie, Maxime fut autant généreux pédagogue pour les nouvelles générations
qu’historien intraitable aux prises avec le pathos des mémoires. Militant des faits, rien que des faits, il nous lègue en héritage une passion indocile du vrai. * Qu’aurait pensé Maxime de l’appel « à la réconciliation nationale » lancé en juin par la baronne Hilde Van Kieboom, présidente de la Communauté de Sant’Egidio à Anvers et, dans la foulée, par Philippe Van Meerbeeck, psychanalyste et professeur à l’UCL ? On le devine. Qu’il ne peut y avoir de réconciliation nationale sans la reconnaissance préalable du rôle joué par tous les acteurs (l’Occupant, l’État belge, l’extrême droite) dans la persécution et la déportation des Juifs de Belgique. Comment pardonner, pour un Juif, aux collaborateurs du régime nazi si ceux-ci se posent eux-mêmes en victimes (de l’État belge) et ne manifestent aucun regret d’avoir participé à la traque des Juifs ? Comment pardonner si l’État luimême ne reconnaît pas avoir collaboré à cette persécution ? En effet, au contraire de la France que Maxime citait en exemple, cette reconnaissance des « heures sombres de son histoire » (formule utilisée par Jacques Chirac) n’a jamais eu lieu en Belgique, si ce n’est très tièdement par Guy Verhofstadt (« beaucoup ont collaboré ») à Malines en septembre 2002 et plus clairement mais de façon plus ciblée en 2007 quand le bourgmestre d’Anvers Patrick Janssens s’est excusé pour les rafles exécutées par la police anversoise en l’été 1942. Comme le dit si bien Simon Gronowski5, de quelle réconci-
liation parlons-nous ? « Les résistants wallons avec les rexistes ? Les « partisanen » avec les « zwarten » ? Les bourreaux avec les victimes ? La Flandre avec la Wallonie ? Oui Simon, ce n’est pas des Juifs qu’il s’agit ici mais des Flamands et des Wallons. En 2001 déjà, quelques intellectuels flamands regroupés sous le nom de Voorwaarts maar niet vergeten (d’après Bertold Brecht : « Avançons sans oublier ») avaient organisé une journée d’études au Parlement flamand sur la collaboration et la répression en Flandre et plaidaient pour « un débat serein » sur la question de l’amnistie. Cette initiative chaperonnée par le Parlement flamand et son président, le socialiste Norbert de Batselier, faisait partie d’une vaste opération de légitimation de la nouvelle « nation flamande ». Patrick Dewael, alors ministre-président du gouvernement flamand avait annoncé la création d’un musée de la Shoah. Ce projet de musée a depuis connu un parcours agité dans les coulisses. Les curateurs et les projets (musée DES génocides ou musée DU génocide des Juifs) se sont succédés. Selon son curateur actuel, Herman Van Goethem, il ouvrira enfin ses portes en 2012. Aujourd’hui, c’est bien la Belgique que vise cette nouvelle proposition d’amnistie. Comment sauver la Belgique ? Comment concilier une Flandre en quête de plus d’indépendance politique et économique avec une Wallonie en quête de plus de solidarité entre les régions ? Comment rapprocher deux mondes qui ne se connaissent plus et qui se méfient ?
En faisant le geste de pardonner les erreurs historiques du mouvement flamand comme le suggère Philippe Van Meerbeeck ? Comme l’a fait Mandela en Afrique du Sud avec les Blancs ? Certains vont même jusqu’à suggérer que l’initiative viendrait du PS qui se serait emparé de la proposition de Philippe Van Meerbeeck, y voyant une façon de susciter la confiance de la N-VA6. Toujours est-il que cette nouvelle proposition d’amnistie ne semble avoir suscité de véritable débat qu’en pays francophone et qu’Elio Di Rupo s’est empressé de s’en démarquer. En Flandre et particulièrement au sein de la N-VA, on se tait dans toutes les langues. L’amnistie ne fait pas partie du programme de la N-VA (même si en tant que parti nationaliste flamand, elle n’y est évidemment pas opposée). Il y a fort à parier que l’enjeu pour Bart De Wever ne se situe plus sur le plan idéologique mais bien plus sur le plan de la gestion économique et sociale, sur le terrain si prisé en Flandre de la « bonne gouvernance » et de la « responsabilisation ». C’est là qu’il exige des marques de confiance et des avancées significatives. ■
« Entretien avec Rudi Van Doorslaer et Emmanuel Debruyne », Points Critiques (le mensuel), n° 282, janvier 2008. 2 ibid, page 7. 3 « De la responsabilité de l’Etat dans la déportation des Juifs », Points Critiques (la revue) n° 64, janvier 2001, page 62 4 Texte lu au funérailles, voir ci-après p. 4. 5 Carte Blanche publiée dans Le Soir du 20 juillet 2010 6 Marc Reynebeau, « Alles voor een goed gesprek », De Standaard 24 juillet 2010 1
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hommage à maxime steinberg La nouvelle du décès – de la perte – de Maxime Steinberg, historien, ami et collaborateur de Points critiques depuis la naissance du titre nous a frappé au détour de l’été. Nous y consacrons les quelques pages qui suivent.
Texte lu aux funérailles par Herman Van Goethem* C’est au nom du monde des historiens que je voudrais prendre la parole et rendre hommage à Maxime. Nous connaissons tous l’étonnant oubli dont l’histoire du Judéocide a fait l’objet, tant en Belgique qu’ailleurs, dans les premières décennies après la libération. Maxime a été le premier en Belgique à combattre cet oubli et à rompre ce silence. Ses recherches ont permis en 1980 de faire condamner Kurt Asche lors du procès de Kiel. C’est Maxime, en tant qu’expert historique, qui avait fourni au tribunal des preuves irréfutables. Maxime ne cherchait en rien la revanche. Il a toujours travaillé avec une étonnante neutralité, malgré le fait qu’enfant caché, lui et sa famille avaient gravement été touchés par la persécution raciale des nazis. La neutralité de Maxime se conjuguait avec une remarquable impartialité. Ni Dieu ni maître. Chez Maxime, aucun calcul, aucun opportunisme. La vérité historique, sans concession, dans le contexte d’un engagement fondamental tant pour le monde Juif que pour le triomphe de la démocratie et des droits de l’homme. En 1987 Maxime obtenait le grade de docteur en Histoire, à l’ULB, avec les deux premiers tomes de son magnum opus en 4 volumes, L’Étoile et le Fusil. Ce doctorat, le premier en Belgique sur ce sujet, et cette publication, étaient un véritable évènement historique. L’Étoile et le Fusil ont orienté la recherche historique en Belgique sur la piste du Judéocide belge dans toute sa complexité. Impartial et neutre, Maxime avait non seulement fourni une étude globale qui tient en 2010 encore toujours sa place, il a aussi ouvert toutes les questions à poser, toutes les pistes à explorer : la collaboration docile et volontaire de l’administration belge dans le
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contexte des persécutions raciales, et ceci partout en Belgique, d’Arlon à Ostende ; le rôle particulier d’Anvers ; le rôle contestable de l’AJB ; la spoliation des biens Juifs. En tant qu’homme de sciences, Maxime a aussi lutté contre l’antisémitisme et le négationnisme. Il a contribué de façon substantielle à l’élaboration des structures muséales en Belgique, M. Natan Ramet y reviendra. Il ne se limitait pas au Judéocide, comme en témoigne son engagement auprès des victimes du génocide au Rwanda. Maxime a surtout fait école. Me voilà, ici, avec mon engagement comme curateur du nouveau musée Dossin qui ouvrira ses portes en 2012, voici aussi Laurence Schram, qui grâce à Maxime a eu la chance de pouvoir travailler au Musée et qui depuis 1990 a eu l’honneur et le privilège de pouvoir travailler avec Maxime. Oui, Maxime a fait école. Je mentionne aussi l’étude fondamentale de Lieven Saerens sur Anvers, le projet « Démocratie et barbarie », le travail de la commission d’enquête au CEGES qui a publié le rapport La Belgique docile ou encore la Commission d’évaluation de la spoliation des Juifs en Belgique, la commission Buysse. Maxime a été profondément déçu quand on ne lui a pas permis de siéger dans ces commissions. La reconnaissance récente de Maxime comme Mensch, a adouci la plaie. Une autre reconnaissance de son travail était d’avoir été engagé dans l’élaboration du nouveau Musée, Kazerne Dossin. L’engagement de Maxime était total. Il est resté actif, jusqu’à la fin. Il a joué un rôle fondamental… Aujourd’hui, ce sont tous les historiens de la Shoah qui doivent porter son deuil. *Curateur de l’exposition permanente du Musée « Kazerne Dossin: memoriaal, museum en documentatiecentrum voor Holocaust en Mensenrechten » dont l’ouverture est prévue en 2012
Cher Maxime, GÉRARD PRESZOW
Ç
a fait plus de vingt ans maintenant que je t’avais sollicité. En effet, à l’occasion des quarante ans de la Déclaration universelle des Droits de l’Homme, Richard Kalisz mettait en scène L’Instruction de Peter Weiss, pièce qui, partant des minutes du Procès de Francfort, donnait corps aux cadres moyens d’Auschwitz, aux Messieurs-toutle-monde capables du pire. Richard m’avait engagé pour concevoir une exposition itinérante qui parlerait à la fois des modalités de la déportation et de l’extermination en Belgique et de l’Enfer de Dante, autre source d’inspiration de la pièce. Cet emploi allait déterminer mon existence. Sans doute, comme tout bon et rare pédagogue, ignores-tu toi-même ce que notre rencontre a pu provoquer comme cataclysme en moi. Tu m’as fait partager avec passion l’état de tes travaux ; « la rétention d’informations », une pratique que tu ignorais. Pendant des semaines, tu as été mon prof particulier sur la question. Tu m’as fait pénétrer l’empire des archives des 6è et 7è étages, les étages « des victimes israélites » de la Prévoyance Sociale, aujourd’hui occupée par le CEGES, mais alors totalement empoussiérés et quasi laissés à l’abandon. Sur tes recommandations et interventions, j’ai pu me promener librement dans ces dédales de listes, de P.V., de classeurs et photocopier ce qui me semblait utilisable. Tu lisais au fur et à mesure les textes que j’écrivais pour le catalogue qui devait devenir, grâce à la caution
historique que tu lui apportais, un ouvrage de vulgarisation distribué dans les écoles : Documents : de Malines à Auschwitz. C’est chez toi que les corrections se faisaient et que Renée, ton épouse, me servait le café. Et c’est chez toi, aussi, que je découvrais ton côté fantasque, quasi enfantin : tu découvrais les usages de l’ordinateur (qui en était lui-même à ses débuts) et avais grand plaisir à m’en montrer les manipulations qui restaient pour moi totalement incompréhensibles, surtout pour les notes en bas de page.... Mais je ne t’ai jamais raconté où m’ont conduit tes instructions. Il y avait, tu sais, ce qu’on appelait « les armoires aux reliques », deux armoires vertes et métalliques typiques des administrations. Dedans étaient classées par convoi les enveloppes d’écrou à Malines que les Allemands n’avaient pas eu le temps de détruire lors de la débâcle. Un jour, tremblotant, je me suis mis à chercher parmi ces enveloppes quelqu’une qui aurait pu avoir un lien avec ma famille. Et figure-toi que je suis tombé sur les cartes d’identité de ma mère et de ma grand-mère, le passeport de ma grand-mère accompagné d’une photo de ma mère à l’âge de 9 ans à leur arrivée de Salonique après être passées par Marseille, et le permis de travail de ma grand-mère. Je ne te cache pas que ça m’a fait un choc. Et je me suis dit : « merde, on a déjà si peu de choses comme traces familiales, mes frère et soeurs et moi, que je jugeais que ces papiers nous revenaient ». Ni une ni deux, je mets l’enveloppe dans
mon sac et je l’emporte. Abus de confiance pour la bonne cause. Le lendemain, discutant avec la secrétaire, celle-ci me dit que, concernant l’armoire aux reliques, si des ayant-droits en font la demande, ils peuvent récupérer les papiers. Et le surlendemain, j’ai replacé l’enveloppe à sa place et ai introduit une demande officielle… Ce choc m’amena à réaliser mon premier film, qui devait paradoxalement s’intituler La dernière image. Par notre rencontre, je descendais à la fois dans les abysses de mon histoire familiale et j’en remontais par l’aptitude à mettre les mots de l’Histoire. Mémoire et Histoire se confortaient sans s’annuler. Aujourd’hui, cher Maxime, je me permets de te solliciter à nouveau. Tes travaux et les jours ont mis en lumière de nouveaux chantiers. Je n’en ferai pas inventaire, mais voici ce qui me vient dans l’immédiat à l’esprit : le procès de Phnom Penh et la condamnation de Duch, l’élection de Kagamé, les lois contre « les gens du voyage », le clientélisme socialiste et les Arméniens, la légitimité de la Fondation pour le Judaïsme, les restitutions, l’instrumentalisation de la Shoah, la commission invisible de la Belgique docile, l’Amnistie, le Pardon… Qui d’autre que toi, autour de nous, pourrait brasser ces questions pour nos jeunes ? Bien à toi, indéfectiblement reconnaissant, G.P.
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hommage Maxime Steinberg, historien et enseignant LAURENCE SCHRAM1
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n grand esprit, un grand historien, un grand homme a pris son dernier train. Son œuvre magistrale, L’Étoile et le Fusil, est à l’histoire de la Shoah en Belgique ce que La Destruction des Juifs d’Europe de Raul Hilberg est au niveau mondial. Une somme jamais égalée, toujours actuelle. Maxime s’est intéressé à tous les aspects de la Shoah : la politique menée par Berlin, la complexité des rouages administratifs, l’indifférence des populations ou des autorités, la collaboration au judéocide (tant du côté belge qu’au sein de la communauté juive elle-même), l’analyse fine des interactions entre les acteurs, le développement de la résistance, le sort des déportés juifs, l’essence du judéocide, l’organisation du système génocidaire,… Pas un thème qu’il n’ait abordé. Maxime a souvent travaillé seul, en éclaireur, en franc-tireur. Il combattait les mythes historiques et les préjugés, il remettait les évidences et les idées reçues en question. Maxime était toujours à la recherche de la vérité historique. Les faits qu’il exhumait dérangeaient. Cette quête ne lui a pas souvent attiré les sympathies. Maxime était un homme libre, insensible au pouvoir, indifférent aux honneurs. Il poursuivait sa route sans se soucier de ses dé-
tracteurs. Maxime était aussi pudique et discret sur son parcours personnel ainsi que sur son vécu douloureux. Il n’a que rarement évoqué ce qui lui insufflait cette énergie et ce qui l’animait. L’image d’une mère à peine connue, arrachée à son enfance par la Shoah. Savoir ce qu’elle était devenue, retracer son destin. Pour parvenir à ce but, Maxime se devait de déchiffrer des milliers de documents, de lire des milliers de livres, de pister 25.000 autres victimes. Son intérêt pour les chiffres, les nombres macabres et les statistiques funèbres a parfois été mal compris, mal interprété. Il s’agissait pour lui d’établir un compte aussi précis que possible des victimes juives, car chaque numéro sur les listes de déportation recouvre une personne, un visage. Il ne fallait en oublier aucune. Il fallait rendre à chacun de ces êtres humains sa place dans l’Histoire. Identifier, comptabiliser et retracer le destin de chaque déporté Juif est aussi une manière de désamorcer les attaques des négationnistes. Bien avant tout le monde, il avait compris l’importance de ces chiffres pour expliquer la singularité du destin des déportés juifs. Un travail patient à partir des listes de déportation, des listes de matricules à Auschwitz, des Sterbebücher, pour décrire l’indescriptible : le choix privilégié d’éliminer les femmes et les enfants en prio-
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rité, la volonté d’interdire le futur d’un groupe humain, la « décision de faire disparaître ce peuple de la terre »,… Il m’a entraînée dans son sillon dès notre rencontre en 1992. Je n’étais qu’une étudiante, je n’avais jamais eu cours avec le Professeur Steinberg, je ne le connaissais que de nom. Très simplement, il a accepté de me recevoir chez lui et, dès les premiers contacts, j’ai été prise par sa passion pour l’histoire. Il parlait tant, il exposait les arguments, il décryptait les témoignages, il analysait les documents. Il attirait l’attention de ses élèves sur les lieux communs et les préjugés en les forçant à retourner aux sources. Il s’enflammait devant son auditoire, qu’il soit composé de spécialiste ou de novices. Lors de chacune de ses conférences ou de ses cours, il tenait tant à faire passer son savoir, à transmettre, à partager. S’il se perdait parfois dans les méandres de son esprit « 100 idées à la seconde », c’est parce qu’il voulait tellement faire passer son savoir et développer l’esprit critique de ses auditeurs. Je ne suis pas la seule élève à qui il laisse un souvenir impérissable ainsi qu’un grand vide. Les réactions de ses anciens élèves de l’Athénée de Schaerbeek en font foi. L’Institut d’Études du judaïsme de l’U.L.B. a perdu un grand professeur et un grand érudit. Ma rencontre avec Maxime a
Maxime Steinberg au Pavillon belge d’Auschwitz, 7 mai 2006. Photo Musée Juif de la Déportation et de la Résistance
bouleversé mon parcours d’étudiante, le muant en parcours d’historienne. Travailler sous sa direction ou en collaboration était un véritable plaisir. Maxime était toujours disponible en cas de pépins et plein de bons conseils. C’est grâce à lui que j’ai eu la chance de participer à la mise sur pied du Musée Juif de la Déportation et de la Résistance à Malines. Le Comité de ce Musée qui n’existait pas encore, en particulier Nathan Ramet, a sollicité Maxime en tant qu’expert historique. Bien avant son ouverture, alors que les autres historiens invités à faire partie du comité scientifique se sont tous rétractés les uns après les autres, Maxime est resté, toujours passionné et soucieux de rendre aux disparus la place qui leur revient dans la mémoire. La mise sur pied du Musée était un nouveau combat qu’il a pris à bras le corps, sans compter son temps ni son énergie. Comme il l’a toujours fait, au risque de négliger sa vie privée et sa santé. C’était ma première vraie expérience professionnelle et ce fut un plaisir de travailler de concert avec Maxime, qui a élaboré le concept du Musée, et Paul Vandebotermet, qui en a imaginé la scénographie. Au cours de ces deux années de collaboration, Maxime m’a enseigné plus que je n’avais appris pendant toutes mes années universitaires. Le Musée de Malines, en par-
ticulier Nathan Ramet, le président, et Ward Adriaens, le conservateur, a toujours accordé sa confiance à Maxime. Pour chaque nouveau projet – et ils furent nombreux : le Pavillon belge à Auschwitz, le catalogue de cette exposition, la rédaction du livre sur le XXe transport, la publication en quatre volumes Mecheln-Auschwitz 1942-1944, le comité du Musée a choisi de poursuivre avec Maxime. Nous formions vraiment une équipe soudée. Dans le cadre de la refonte du Musée Juif de la Déportation et de la Résistance en Kazerne Dossin, Maxime Steinberg participait au comité scientifique de la nouvelle exposition. Dans ce cadre, notre équipe s’est enrichie de l’historien et professeur à l’Université d’Anvers, Herman Van Goethem. Notre travail commun se déroulait dans la bonne entente et avec enthousiasme. Nous fonctionnions dans une belle complémentarité, même si Maxime nous a toujours imposé un rythme spartiate. Comme l’a souligné Maxime peu avant sa mort, « nous aurions pu faire de grandes choses ». Le cancer ne nous en a pas laissé le temps. S’il pouvait parfois apparaître insensible, rigoureux et sec à ceux qui ne le connaissaient pas, les autres ont percé, derrière cette carapace, un homme toujours profondément humain, plein d’amour pour sa famille et ses proches, jamais aigri par ses blessures d’en-
fant caché et d’orphelin de la Shoah. Le Professeur Maxime Steinberg laisse derrière lui une œuvre immense mais aussi des projets qui lui tenaient à cœur et qu’il n’aura pas vu achever. Outre l’exposition permanente de Kazerne Dossin à laquelle nous voulons que son nom soit à jamais associé, ses enfants, Pascale, Serge, Alain et Raphaël, concrétiseront un autre de ses projets, sous l’œil attentif de son épouse, Renée et de son frère, Kola. Respectueuse de son souci de partager son savoir, ses idées, ses sources, sa famille travaille à la réalisation d’un site internet2 qui rassemblerait l’ensemble des travaux de Maxime afin de les rendre accessibles à tous. ■
Historienne et archiviste, Laurence Schram est responsable du Centre de documentation historique du Musée Juif de la Déportation et de la Résistance de Malines. Co-auteur avec Maxime Steinberg de Transport XX Malines - Auschwitz, Joodse Museum van Deportatie en Verzet, Mechelen - ASP - VUBPress, 2008 et de « Malines-Auschwitz, la destruction des Juifs et des Tsiganes » in Ward Adriaens, Maxime Steinberg, Laurence Schram, Patricia Ramet et Eric Hautermann, MechelnAuschwitz 1942-1944, Joodse Museum van Deportatie en Verzet, Mechelen - ASP - VUBPress, 2009, 18.500 photos de déportés, 4 volumes trilingues. 2 www.maximesteinberg.com 1
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hommage Au coeur de l’Histoire ALAIN MIHÁLY
I
l est toujours singulier de constater comment un seul homme peut faire basculer les perspectives. Il n’en a pas été autrement avec La destruction des Juifs d’Europe de Raul Hilberg ou Shoah, le filmmaître de Claude Lanzmann. Voilà peut-être une question d’histoire que se posait l’historien Maxime Steinberg... Sans lequel, le récit et la compréhension de l’histoire de ce pays et de ses Juifs auraient sans doute été tout autre. Les travaux qu’avait, en ce domaine, initiés le Centre National des Hautes Études Juives de l’ULB (futur Institut Martin Buber et actuel Institut d’Études du Judaïsme), en 1965 et 19731, étaient, avant toutes choses et malgré leur différence de statut, motivés par le désir de maîtriser la mémoire de la guerre. Le premier ouvrage se révélait totalement faussé par son approche apologétique (le livre s’ouvre sur un portrait de la reine Élisabeth) et son parti-pris en faveur de l’Association des Juifs en Belgique (ce qui provoqua la réaction pamphlétaire d’Albert Wolf, résistant et responsable du Comité de Défense des Juifs de Liège) tandis que l’auteur du second élabora une très bancale « théorie des deux AJB » (Association des Juifs en Belgique) - dont l’une, vertueuse, aurait servi de « couverture officielle » au CDJ (Comité de Défense des Juifs) – permettant une réhabilitation, au moins
partielle, de l’incarnation juive de la politique de moindre mal. Jusqu’à Maxime Steinberg, aucun historien issu des universités belges ne s’était penché sur le destin des Juifs sous l’occupation. Le livre majeur de J. Gérard-Libois et José Gotovitch, L’An 40. La Belgique occupée renvoie la question à une annexe réduite2. Le seul ouvrage concernant spécifiquement les Juifs et cité dans cette annexe est celui de Betty Garfinkels, ce qui en dit long sur l’état des travaux à l’époque. On sait qu’il fallut partout attendre longtemps avant que de la gangue mémorielle s’extirpe et le récit des témoins (qu’on l’entende enfin) et le travail des historiens. La mémoire de la guerre, ainsi que peuvent en témoigner Nuit et Brouillard d’Alain Resnais et la chanson éponyme de Jean Ferrat, ne prenait pas en compte, à sa mesure, le sort des Juifs. Raul Hilberg, qui fut des plus précoces, a raconté comment on lui conseilla, pour ne pas condamner sa carrière académique, de se choisir une autre voie et combien se faire éditer lui fut difficile. Maxime Steinberg, enfant du judéocide, orphelin de sa mère assassinée à Auschwitz et communiste, n’a abordé ce terrain – qu’il explorera ensuite avec persévérance et même véritable acharnement – que tardivement. Ses premiers travaux d’historien furent consacrés au mouvement ouvrier belge
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et l’essentiel de son temps d’historien fut ensuite dévolu à l’enseignement secondaire et supérieur. Son premier pas dans ce domaine de recherche, entamé au milieu des années septante, se fit en réponse à une demande des Anciens résistants juifs qui ne se retrouvaient pas dans la vision édulcorée proposée par Lucien Steinberg en 1973. Désireux de voir leur épopée retracée et reconnue, les anciens résistants se tournèrent vers le fils du déporté Mendel Sztejnberg, porte-drapeau lors des commémorations à la Caserne Dossin (plus tard, certains d’entre eux, ne pouvant accepter que leurs souvenirs du temps de guerre ne soient pas toujours corroborés par le travail de l’historien, publieront un contre-ouvrage de témoignages3). Cette demande fut sans nul doute libératrice et Maxime Steinberg accepta cette tâche. Les premières traces en furent la publication en 1979, sous l’égide du « Comité d’hommage des Juifs de Belgique à leurs héros et sauveurs », d’une plaquette de 63 pages4, d’un article qui inaugura la longue et féconde collaboration de Maxime Steinberg avec Points critiques5 et, en 1980, d’un ouvrage lié à son rôle d’expert dans le procès en Allemagne du SS Kurt Asche6. Le parcours de l’historien s’inscrit, à plusieurs niveaux de lecture, dans la problématique de la mémoire juive (au sens large)
de Belgique et son rôle fut décisif dans le processus de cristallisation mémoriel. Face à la stratégie communautaire de cadenasser la question de l’AJB7 (on lui refusera toujours l’accès aux archives « para-officielles » de celle-ci). Face à la problématique, difficile, des témoignages de survivants auxquels la critique historique doit s’appliquer. Quant à la compréhension de la résistance juive, qui mettait en scène des Juifs (pas tous, voir leur dirigeant bulgare, Todor Angheloff, auquel, avec José Gotovitch, il consacra un ouvrage8) organisés et armés par le Parti communiste. Contre le négationnisme9. Dans la mise en évidence de la collaboration administrative et dans le combat pour sa reconnaissance gouvernementale – toujours différée –, le travail de Maxime Steinberg fut déterminant. Un consensus politique – à finalité dilatoire – se fit pourtant en 2003 au Sénat sur la nécessité de confier au CEGES10 la rédaction d’un rapport destiné « à vérifier l’éventuelle implication des autorités belges dans la persécution et la déportation de la population juive... », finalement intitulé La Belgique docile, publié en 2007 et resté sans suite significative. Les initiateurs de la résolution sénatoriale estimaient que « l’ouvrage exhaustif, mais déjà ancien (…) de Maxime Steinberg, L’Étoile et le fusil (…) est passé quasiment inaperçu en dehors du cercle des historiens ». On ne s’attardera pas sur la qualification d’« ancien », destinée à justifier de nouvelles recherches, pour retenir la non-intégration du sort des Juifs dans la vision belge de l’histoire : jusqu’au rapport du CEGES, une institution qui ne s’était pas penchée jusque là sur la « question
juive », la déportation et l’extermination de 25.000 Juifs et Tziganes (la moitié des pertes civiles « belges ») serait donc restée essentiellement une affaire juive. S’il n’était en rien un « Juif communautaire », c’est dans une institution paradoxale, intégrée à l’ULB mais liée aux enjeux communautaires, l’Institut d’Études du Judaïsme, qu’on lui donna la possibilité d’enseigner, alors même que sa relation sans fards des compromissions des notables du temps de guerre le rendait quelque peu « illisible » dans la communauté juive. Ailleurs, un historien de cette envergure se serait vu attribuer un enseignement au sein d’une faculté d’Histoire. La structure académique belge se prête certes peu à l’intégration de tels outsiders ainsi que l’inexistence structurelle de cours thématiques et de départements d’études juives, mais le poids symbolique d’une telle attitude reste frappant. Maxime Steinberg fut un des rouages essentiels, sinon encore plus, de la constitution du Musée Juif de la déportation et de la Résistance et du futur Musée « Kazerne Dossin » mais il faut souligner que le Musée fut à l’origine une ASBL à dominante communautaire. Le statut de « Mentsch », décerné en 2008 par le CCLJ et qui scellait la réconciliation avec une communauté qui a toujours préféré de ne pas affronter les questions posées par l’historien, présente, malgré son importance, un caractère essentiellement intra-communautaire. Chargé de mission de 1994 à 2000 auprès du ministère de l’Éducation, Maxime Steinberg ne fut pas sollicité, ce qui relève objectivement du scandale scientifique, comme expert auprès de la Commission d’études des biens juifs de Belgique, dite Commission
Buysse, créée en 1997. L’État, dont il écrivit l’histoire, resta muet à son décès de même que l’Université. Hommage lui fut rendu par le directeur de l’Institut d’Études du Judaïsme, qui relia l’historien à ses racines juives, ainsi que par le curateur de la « Kazerne Dossin »11. Mais il faudra sans doute encore attendre pour que l’Histoire de Belgique intègre pleinement toutes les dimensions du judéocide et le rôle que joua Maxime Steinberg dans leur dévoilement. ■
Betty Garfinkels, Les Belges face à la persécution raciale 1940-1944 (le livre s’ouvre sur un portrait de la reine Elisabeth) ; Lucien Steinberg, Le Comité de Défense des Juifs en Belgique 1942-1944. 2 Les Juifs en 1940, pp. 457-464. L’annexe a été rédigée par une tierce personne, Adeline Waysblatt. 3 Partisans armés juifs, 38 témoignages, Bruxelles, 1991. 4 Maxime Steinberg, Extermination, sauvetage et résistance des Juifs de Belgique, 1979. 5 Maxime Steinberg, « La problématique de la résistance juive en Belgique », Points critiques n°2, novembre 1979, pp. 8 à 29 6 Maxime Steinberg, Dossier BruxellesAuschwitz. La police SS et l’extermination des Juifs de Belgique, édité par le Comité belge de soutien à la partie civile dans le procès des officiers SS, Bruxelles, 1980. 7 La question de l’AJB est centrale dans le dossier spécial que Points critiques consacra à L’Étoile et le Fusil (dont les deux derniers tomes La traque des Juifs parurent en 1986), Points critiques n°30/31, octobre 1987, pp. 22-66. Le dossier comprend une contribution de Maxime Steinberg, « 19401944. Une xénophobie au-dessus de tout soupçon », pp. 57-66. 8 Maxime Steinberg, José Gotovitch, Otages de la terreur nazie. Le Bulgare Angheloff et son groupe de Partisans juifs. Bruxelles, 1940-1943, Bruxelles, 2007. 9 Maxime Steinberg, Les yeux du témoin ou le regard du borgne. L’histoire face au révisionnisme, Paris, 1990 10 Centre d’Etudes et de Documentation Guerre et Sociétés contemporaines 11 Voir, dans ce numéro, p. 4 1
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hommage Bibliographie des articles et entretiens de et avec Maxime Steinberg parus dans Points critiques
- « La problématique de la résistance juive en Belgique », Points critiques n°2, novembre 1979, pp. 8 à 29 - « Mémoire sur l’affaire Ehlers », Points critiques n°5, octobre 1980, pp. 8-11 - « Procès de Kiel : Non, je n’ai pas de haine mais… », Points critiques n°7, avril 1981, pp. 39-41 - « Les fantômes de Marcel », Points critiques n°25 mai 1986, pp. 3739 (numéro spécial consacré à Marcel Liebman) - « Le réfugié suspect », Points critiques n°29, juillet 1987, pp. 3-6 - « 1940-1944. Une xénophobie au-dessus de tout soupçon »,
Points critiques n°30/31, octobre 1987, pp. 22-66 (dossier spécial consacré à la parution des deux derniers tomes de L’Étoile et le fusil) - « Un certain regard », Points critiques n°32 janvier 1988, pp. 5-10 - « Cinéma : Wansee, le 20 janvier 1942 », Points critiques n°35, juillet 1988, pp. 40-46 - « Entretien avec Maxime Steinberg : La Nuit de Cristal » (Laurent Gross), Points critiques n°36, octobre 1988, pp.11-14 - « Entretien avec Maxime Steinberg : L’histoire ou la discipline de l’historien » (Laurent Gross et Alain Mihály), Points critiques n°37, janvier 1989, pp. 5-9 - « La liberté de ne pas dire », Points critiques n°38 avril 1989, pp. 5-6 - « Rendre à César… La M.O.I. ou les deux naissances de Solidarité Juive ! », Points critiques n°40/41, mars 1990, pp. 19-32 - « Les exilés de la résistance juive ! », Points critiques n°42, juillet 1990, pp. 40-44 - « Les dérives plurielles de la mémoire d’Auschwitz », Points critiques n°50, décembre 1992, pp. 16-27 - « L’écho de la révolte du ghetto de Varsovie en Belgique occupée », Points critiques n°52, août/octobre 1993, pp. 26-36 - « Un « presque » zéro pour les monos : une « mémoire » à revoir »,
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Entre Points critiques1 n°154, avril 1995, p.8 - « Les résistances juives en Belgique occupée », Points critiques n°58, décembre 1995/ janvier 1996, pp. 54-71 - « Le ghetto et ses enfants : un défi à la mémoire », Points critiques n°60, août/septembre 1997, pp. 55-75 - « Entretien avec Maxime Steinberg : De la responsabilité de l’État dans la déportation des Juifs » (Anne Grauwels et Henri Wajnblum), Points critiques n° 64, janvier 2001, pp. 59 à 71 (dans le cadre d’un dossier « Anvers et la solution finale ») - « Comment dit-on ces « heures sombres de notre histoire » en flamand ? », Points critiques n°67, février 2003, pp. 32-37 - « Entretien : À propos de la « Belgique docile » », Points critiques n°2812, décembre 2007 (Willy Estersohn), pp. XIII-XIV (dossier spécial : La Belgique docile) - « Le Vel d’Hiv français dans la solution finale en Europe », Points critiques n°306, mai 2010, pp. 4-10 1 Nous n’avons pas trouvé trace, pour le moment, d’autres interventions de Maxime Steinberg dans les archives du mensuel de l’UPJB (successivement Entre Points critiques, EPOC et Points critiques le mensuel). 2 Le titre reprend, à partir de novembre 2007, la numérotation du mensuel.
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israël Le démon de la chasse aux sorcières LES ORGANISATIONS DE DÉFENSE DES DROITS DE L’HOMME ACCUSÉES DE TRAHISON HENRI WAJNBLUM
I
l y a quelques mois, l’UPJB organisait, en partenariat avec Dor Hashalom et le Cercle des Étudiants araboeuropéens de l’ULB, une soirée d’information consacrée aux discriminations dont est victime la population palestino-israélienne, ainsi qu’à sa place et à son avenir dans la société israélienne. Une des conclusions de cette soirée était que si Israël était une démocratie pour sa population juive, il était loin de l’être pour sa population palestinienne. Ce constat doit, aujourd’hui, être fortement remis en question. Non pas qu’Israël soit soudain devenu une démocratie pour sa population palestinienne, loin s’en faut, mais il ne l’est plus non plus pour une partie de sa population juive. On assiste en effet depuis plusieurs mois à ce qu’il n’est pas excessif de qualifier de chasse aux sorcières contre les organisations de défense des droits de l’homme engagées contre l’occupation et la colonisation des territoires palestiniens. En toile de fond : le rapport Goldstone. Publié en septembre dernier, ce document accuse Israël et le Hamas de « crimes de guerre », voire de « crimes contre l’humanité », durant l’offensive contre Gaza, en décembre 2008/janvier
2009. Ces incriminations ont provoqué la colère du gouvernement de Benyamin Netanyahou, qui depuis fustige le « parti pris anti-israélien » de ce rapport, un rapport qui, selon lui, n’aurait jamais pu voir le jour sans la collaboration de ces organisations. La campagne a été initiée par le mouvement Im Tirtzu (Si vous le voulez) – un groupuscule d’étudiants d’extrême droite, dont le nom fait référence à la phrase de Théodore Herzl : « Si vous le voulez, ce ne sera pas une légende » –, ainsi que par un certain nombre de parlementaires qui accusent en effet des ONG israéliennes d’avoir collaboré avec le juge Goldstone en fournissant à celui-ci « 92% des références négatives » contenues dans son rapport. On ne les accuse pas d’avoir fourni de fausses informations, mais « tout simplement » de mettre en cause l’existence d’Israël et de représenter un « danger pour la nation » en délégitimant Israël à l’étranger.
NAOMI HAZAN EN LIGNE DE MIRE Cette campagne, particulièrement haineuse, vise également, et peut-être surtout, Naomi Hazan, ancienne députée du Meretz à la Knesset et présidente du New Israel Fund.
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Le New Israel Fund est une fondation, née en 1979 et dont le siège est à Washington. Il reçoit des donations des milieux juifs américains, et a versé depuis sa création plus de 200 millions de dollars à de très nombreuses organisations partageant des idéaux de démocratie et de justice sociale. On compte parmi elles B’Tselem, Breaking the Silence, l’Association pour les droits civiques en Israël, le Comité public contre la torture, Médecins pour les droits de l’homme, Yesh Din, Hamoked… soit les principales organisations qui défendent les droits des Palestiniens, donnent la parole aux soldats israéliens muselés par la censure militaire et, d’une manière générale, mènent le combat de la liberté d’expression. Notons que Im Tirtzu, qui prétend agir au nom des « valeurs sionistes » compte parmi ses fondateurs l’association Chrétiens Unis pour Israël, dirigée par le Pasteur John Hagee, celui-là même qui, à l’occasion d’un meeting de soutien au candidat Républicain John McCain, avait déclaré que « Hitler n’avait fait qu’accomplir la volonté de Dieu ». Notons aussi que ces Chrétiens Unis pour Israël ont levé l’an dernier 100.000 $ pour le développement de la colonisation en Cisjordanie. Contre Naomi Hazan, tous les
moyens sont bons : attaques personnelles affichées sur les bannières des grands sites internet du pays, manifestations devant le domicile de l’intéressée... Im Tirtzu s’est même offert une publicité dans le Jerusalem Post, l’un des principaux quotidiens israéliens, qui affichait un portrait de Naomi Hazan portant une corne et affublé de l’inscription New Israel Fund Il s’agit là d’un jeu de mots : « fond » en hébreu se dit keren, qui signifie aussi corne. « Nous assistons là à un dangereux retour en arrière », estimait Arik Ascherman, président du mouvement Rabbis For Human Rigts : « La caricature de Naomi Hazan m’a fait froid dans le dos. Cela m’a rappelé les portraits de Yitzhak Rabin habillé en SS, que les manifestants brandissaient à Jérusalem, quelque temps avant son assassinat. » Et de poursuivre : « Israël commence à se rendre compte de ce qui s’est passé à Gaza. Au lieu de se remettre en question, le pays préfère blâmer ceux qui révèlent la vérité, les
messagers ». De plus en plus de défenseurs des droits de l’homme et de militants sont désormais arrêtés lors de manifestations non violentes. Comme à Bil’In, le village palestinien devenu le symbole de la lutte non violente contre le mur. Ou encore à Sheikh Jarrah, un quartier de JérusalemEst, où chaque vendredi, depuis de nombreuses semaines, des militants israéliens – juifs et arabes – et étrangers manifestent pour exprimer leur opposition à l’expulsion de familles palestiniennes et à l’occupation de leurs maisons par des colons.
LA KNESSET SE DÉCHAÎNE Mais il y a plus, à la Knesset, plusieurs députés mènent une offensive brutale qualifiant les ONG visées de « traîtres » appartenant à une « cinquième colonne ». Ils sont soutenus en cela par le quotidien Maariv dont Yemini Ben-Dror, un de ses éditorialistes, accusait récemment le New Israel Fund ainsi que les associations qu’il soutenait d’être « l’ennemi principal, non seulement d’Israël mais aussi du monde libre et des droits de l’Homme », ni plus ni moins ! Cette campagne a débouché
sur l’adoption récente par le gouvernement d’un projet de loi qui compte imposer une série de contraintes aux diverses associations visées : inscription en tant qu’organisations politiques ; fourniture des numéros de cartes d’identité et adresses personnelles de chacun des membres de l’association ; fourniture détaillée de tous les financements obtenus, avec indication précise des projets auxquels les sommes reçues sont destinés ; obligation, enfin, d’annoncer les soutiens financiers étrangers dont bénéficie l’association, chaque fois qu’un de ses militants prend la parole en public ! En cas d’infraction, les dirigeants de ces associations seront passibles d’un an de prison ! * C’est pour faire le point sur ce que des éditorialistes israéliens réputés n’hésitent pas à qualifier de flambée maccarthyste que l’UPJB organisera une demi-journée de débat, le 20 novembre prochain, en présence de deux ou trois représentants des associations visées par cette campagne de dénigrement et de stigmatisation particulièrement violente. Naomi Hazan nous a déjà assurés de sa particiption. ■
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lire, regarder, écouter Notules d’été GÉRARD PRESZOW
J
e n’en crois pas mes yeux. Je demande à mes proches d’aller jeter un œil pour voir si j’ai bien vu. Il n’était pas là et puis le voilà tout à coup apparu. Au mur, juste derrière la caisse, un peu audessus de la tête de l’épicier, je ne vois plus que lui. D’ailleurs, je ne le vois plus. Désormais, à mon grand regret, je ne m’y rends plus. Pourtant, ça n’avait pas mal commencé. Une nouvelle épicerie polonaise, quasi au bas de mon immeuble, entre le marchand de journaux (polonais, lui aussi) et le bistrot (araméen ? quel plaisir de commander une pintje en coupant la parole du Christ !). Je ne suis pas un aficionado de spécialités polonaises, mais de temps à autre, j’aime bien : une petite vodka un peu spéciale, une bière inconnue, quelque cochonnaille fumée. Je veux quand même être convaincu que je ne délire pas. J’envoie ma copine jeter un œil. Au retour, elle me dit : « tu ne crois pas que tu exagères un peu ? » « Exagérer ? Mais tu l’as quand même bien vu. Il raconte bien quelque chose ce tableau. Aucun élément n’y figure par hasard. C’est quand même un Juif religieux qui est représenté ? » Elle n’en démord pas, obstinée comme toutes les Ardennes d’où elle vient. Je finis par douter. Je dis à mon fils : « tu ne veux pas entrer dans l’épicerie et jeter un œil au mur, juste derrière la caisse ? » À
son retour, il me dit « tu as raison sur la description du tableau, mais est-ce pour autant antisémite ? Et d’abord, peut-être que le gars, il ne sait même pas ce qu’il a mis au mur ». « Mais c’est quand même incroyable, non ? Voilà quasi un siècle que mon père, donc ton grand-père, les a fuis et il faut maintenant qu’ils viennent me provoquer juste en bas de chez moi ». « Bon, là tu exagères un peu… ». Au moins, on est d’accord sur la description : petit tableau de plus ou moins 20 cm sur 30, peint à l’huile ; à première vue, la patte d’un amateur. On y voit : un Juif religieux (il porte une kippa) penché sur un livre (une Bible ?) et, à l’avant-plan, des pièces d’or, le tout dans le clair obscur d’une chandelle. Je demande au sage du quartier, un auguste psychanalyste natif de Budapest et fatalement ferencien, d’aller voir à son tour. Comme prévu, son commentaire me complique la vie : « Ça raconte une Pologne profonde, plutôt bienveillante et sans méchanceté. Le Juif apparaît aimable ; il n’est pas caricatural et tu dois accepter qu’il y a une relation particulière des Juifs à l’argent ». « C’est vrai, lui dis-je, et d’ailleurs, Gertrude Stein en parle très bien ; je crois que c’est dans Autobiographie de tout le monde ». Sur ce, il me prête un livre de François Fejtö, Hongrois et Juifs. Avec les Hongrois, maintenant… avant même que je ne sois déjà quitte des Polonais.
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J’appelle le Centre pour l’Égalité des Chances. J’ai au bout du fil un charmant interlocuteur à qui je décris, sans m’énerver, le tableau. Il m’explique en long et en large pourquoi ce n’est pas répréhensible : en résumé, il n’y a pas appel à la haine raciale. « Ok, mais ça joue quand même sur l’ancestral cliché des Juifs et l’argent ». « Effectivement, mais c’est une représentation populaire qui remonte à la nuit des temps ; d’après ce que vous me dites, elle n’est pas utilisée à des fins condamnables par la loi… ». Le mieux, finalement, c’est que j’aille demander au gars – je veux dire à l’épicier – ce que ça signifie pour lui. J’entre dans l’épicerie ; ça tombe bien, pas de clients, on est seuls. Je lui achète un pain et, le temps qu’il le coupe, je lui demande en montrant le tableau : « c’est un ami à vous qui fait ça ? un cadeau ? » « Non, je l’ai acheté en Pologne » « Et qu’est-ce que ça représente pour vous ? » « Vous savez…, les Juifs et le commerce ». « Ah… »…mon franc tombe (si je puis dire). Un cliché antisémite comme porte-bonheur, fétiche, ex-voto, attrape-clients… Why not ? À chacun sa mezouza…. Un ami andalou, à qui je raconte tout ceci, me demande : « et tu lui as dit que tu étais juif ? » « Non ». « Tu crois qu’il y a beaucoup de gens dans ton quartier qui lui ont
posé la question ? Ah ah, le lapin a montré ses oreilles » ! Me voilà plus riche d’une expression… et l’ex-voto exaucé. * Genre de commentaire qu’on peut trouver à la dernière exposition1 du Musée Juif de Belgique en regard d’une affiche de l’UPJB : (…) derrière les initiales U.P.J.B. se cache une organisation (…) (…) on se doit de constater que (…) nombre d’artistes ont fréquenté leur mouvement de jeunesse et continuent à participer à leurs activités (…) Je me dois de constater – et de vous informer – que derrière une façade muséale se cache une officine de propagande ou d’espionnage… Et, pour être tout à fait objectif, je me dois de vous communiquer que les traductions flamande et anglaise, ayant sans doute flairé cet aveu trop manifeste, disent les choses de bien meilleure manière. Autrement dit, elles disent mieux des mots qu’elles traduisent mal… * L’été est pourri. Trop estival. L’été est chaud. Les yeux souffrent. La beauté pique aux yeux comme la sueur qui perle et dégouline. Bruxelles est trop belle. Des épingles plantées à vif dans l’oeil. Intérieur suffocant de la rame de métro, les nerfs sont à fleur de peau. Et les peaux... les unes sur les autres. Une gamine, 4, 5 ans, gigote gesticule crie ; elle ne tient pas en place. On la comprend et elle nous agace. Les
mines ravageuses disent et implorent des yeux : « mais faites quelque chose, calmez-la, intervenez les mamans ! Votre gamine nous bouffe, sale gamine, mais faites quelque chose, intervenez ! ». La gamine danse crie chante. Une gamine vivante dans une rame de métro dans la touffeur d’un été. Devant elle, deux poussettes avec
route2. À partir de l’édition dite du « rouleau ». Assemblage de pages tapuscrites, enroulées et interrompues en fin de course par les crocs d’un chien. La torah du truck. Je n’avais pas lu les éditions précédentes et voilà le mythe de la beat generation réanimé, la langue qui épouse à la perfection la vitesse et les saccades de la route. Tableau saisissant d’une Amérique des années 50, de long en large, d’Est en Ouest en incessants allers-retours. Ces jeunes hommes blancs qui ne tiennent pas en place, toujours en mouvement, dans un déracinement permanent, toujours « sur la route », à la surface de la terre et des êtres dans un refus de verticalité introspective ou de sédentarisation familiale. Comme une impossibilité d’arrêter la phrase et de la faire descendre à l’intérieur des corps. Bouger, bouger, toujours Ce qui se cache derrière le Musée. Photo gépé et tout le temps, ne bébés, deux femmes – l’une voi- pas donner prise au temps. Ca lée, l’autre non – qui se parlent… prend fin au Mexique, de l’autre en langage gestuel. Et qui tentent côté de la frontière, réelle et méde calmer la gamine par gestes taphorique ; un dérèglement halet cris rentrés. Elles l’engueulent luciné des sens dans une prodien silence. Il faut entendre cette gieuse saoûlerie de sexe, d’alcool folle discordance entre les mains et de musique. Ca s’arrête là où le menaçantes lancées sourdement consul, le personnage central de vers l’avant et le visage fier de Malcom Lowry dans Au-dessous la gamine qui entend et brave le du volcan, pourrait prendre le relangage des signes et du silence. lais. ■ Et crie. Et danse. * Nouvelle traduction du bouquin mythique de Jack Kerouac, Sur la
« Avis à la population, L’histoire juive s’affiche ». Jusqu’au 3 octobre 2010. 2 Jack Kerouac, Sur la route – Le rouleau original, Éd. Gallimard, 2010 1
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diasporas Week-end de fête. Lénine à Varsovie ROLAND BAUMANN
C
e matin du 14 août, au centre de Varsovie, une photo géante du maréchal Jozef Pilsudski accueille le flaneur sur Krakowskie Przedmiescie. Faisant face à cette personnalité emblématique de l’indépendance polonaise, un énorme portrait de Lénine, imprimé sur fond rouge, se dresse, de l’autre côté de la rue, à côté du luxueux hôtel Bristol. Vision insolite, à proximité du palais présidentiel, devenu ces dernières semaines le théâtre d’un conflit permanent à propos d’une croix, érigée devant le palais en avril dernier par des scouts, en mémoire des victimes du crash de Smolensk, et devenue l’objet d’une guerre entre catholiques ultras et défenseurs de la laïcité républicaine. Cette confrontation photographique du leader de la révolution bolchévique et du père fondateur de la Pologne moderne accompagne une exposition en plein air organisée par le musée Pilsudski à l’occasion du nonantième anniversaire de la bataille de Varsovie. Images et textes retracent les enjeux de la guerre entre la Pologne et la Russie soviétique et les étapes du conflit jusqu’à victoire finale des armées de Pilsudski sur les envahisseurs bolchéviques, lancés par Lénine à l’assaut de Varsovie pour prendre ensuite Berlin et propager à toute l’Europe l’incendie de la révolution
« Juifs » lors de la reconstitution du départ au front des volontaires de la défense de Varsovie. Photo Roland Baumann
prolétarienne, vers le triomphe de la révolution mondiale ! Un peu plus loin, à l’entrée de l’université de Varsovie, une formation de soldats en armes et une procession religieuse de civils, tous en habits d’époque, figurent le départ à la guerre des Varsoviens qui, fin juillet 1920, face au déferlement de l’armée rouge, se portent volontaires pour défendre la capitale menacée. Détail curieux de cette brève reconstitution historique : se détachant des autres reconstituteurs et de leur ferveur catholique, deux Juifs, que singularisent leur vêtement « typique » participent du même enthousiasme patriotique. Aux ar-
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mes ! (Do broni !). L’après-midi, à Ossow, une reconstitution historique évoquait les combats qui se livrèrent le 14 août 1920 dans ce village proche de Varsovie, sur la rive Est de la Vistule. Marquant l’arrêt de l’offensive bolchévique sur la capitale, la bataille d’Ossow est un moment fort de la défense de Varsovie, suivie de la fulgurante contre-offensive des armées de Pilsudski et de l’anéantissement du gros des forces soviétiques. Le 18 mars 1921, la paix de Riga fixe les frontières de la Pologne avec la Russie soviétique. La mémoire nationaliste polonaise fit coïncider le souvenir de la victoire inat-
la mort héroïque de sent pour la photo à côté de cal’aumonier Ignacy nons ou de véhicules militaires Skorupka, tombé au d’époque exposés à proximité des feu de l’action, sa croix deux portraits géants des adverbrandie, menant l’in- saires de 1920. À côté du portrait fanterie polonaise à la de Lénine, des clips publicitaires vantant la carrière militaire défivictoire ! Dans la plupart des lent sur un grand écran vidéo. Me événements culturels voyant prendre des photos, un associés aux commémo- petit vieux m’interpelle, me dérations de la bataille de nonçant le scandale de voir au Varsovie l’image de la coeur de la capitale, en un lieu si Pologne « Christ des na- chargé de symbolisme national, tions » semble dominan- l’image géante d’un tel monstre, te. En 1920, face aux « ce Lénine, à qui les Juifs améLénine rue Krakowskie Przedmiescie. Photo Roland hordes bolchéviques, ricains avaient donné des milBaumann comme en 1683 contre lions de dollars pour faire sa rétendue des défenseurs de la capi- les Ottomans à Vienne, la Polo- volution, conquérir toute l’Europe tale, avec la fête de l’Assomption gne, bastion de l’Occident, sauve et anéantir la civilisation ! » Viside la Vierge, le 15 août. Prélude la civilisation... Le cinéaste Jerzy blement, « mon antisémite » faià la défaite écrasante des armées Hoffman tourne un film qui sorti- sait partie des groupes d’ultras d’invasion, le « Miracle de la Vis- ra en 2011 sur la bataille de Var- catholiques « montant la garde » tule » sauvait la Pologne... et l’Eu- sovie. Une partie des figurants de autour du palais présidentiel et cette oeuvre historique en cours de la « croix de Katyn ». Instant rope ! Correspondant à la vogue ré- de réalisation jouaient le rôle des de fête bien à l’image de la Pocente des reconstitutions de bolchéviques dans la reconstitu- logne d’aujourd’hui et de ses ingrands moments de l’histoi- tion d’Ossow. Une re polonaise, telle la bataille de série TV associant Grunwald (1410) ou l’insurrec- romance et aventution de Varsovie (1944), la bataille re à l’évocation de « pour rire » qui s’est livrée dans la guerre bolchéviles champs d’Ossow ce 14 août que est également 2010 s’inspire de l’histoire mythi- annoncée pour le que de « la guerre bolchévique ». printemps prochain. Alternant le récit de la bataille par Faut-il évoquer les un narrateur et les quelques répli- fantômes de la réques des protagonistes de l’action, volution mondiaavec les charges spectaculaires le pour mieux réafet duels au sabre de la cavale- firmer une identité rie, suivis d’assauts à la baïonnet- nationale polonaite et de combats au corps-à-corps se en mutation à de l’infanterie, le tout rythmé l’heure de l’Union par une intense fusillade ponc- européenne et de la tuée d’explosions pyrotechniques, mondialisation ? 15 août, fin ce spectacle de masse s’inspire des représentations picturales du d’après-midi, après « Miracle de la Vistule », en par- les cérémonies offiticulier d’un célèbre tableau de cielles sur la place Reconstitution d’Ossow : l’infanterie soviétique à Jerzy Kossak (Cud nad Wisla, Pilsudski marquant l’assaut des lignes de défense polonaises. Photo Roland Baumann 1930, Musée de l’Armée polonai- ce jour de fête nase à Varsovie). Comme en pein- tionale, honorant chaque année sondables contradictions, noture, la reconstitution de la ba- l’armée polonaise, des couples nante ans après le « Miracle de la taille d’Ossow met en valeur d’amoureux et des familles po- Vistule » ! ■
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réfléchir Histoire, roman, mythes et fantasmes À propos de Tobie Nathan, Qui a tué Arlozoroff ?1 JACQUES ARON
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l n’est pas interdit à un homme de science de s’offrir la distraction d’un roman, et celui-ci n’est pas le premier de l’auteur. Connu pour sa pratique d’ethnopsychiatre, de psychanalyste intégrant l’héritage culturel des peuples, Tobie Nathan s’est livré ici au plaisir esthétique plus trouble du mélange des genres et du brouillage des pistes. Roman, roman policier, historique ou à thèse ? le lecteur qui voudra se laisser entraîner à sa suite en jugera. La colonisation juive sous mandat britannique a été profondément marquée par l’assassinat sur la plage de Tel-Aviv, le vendredi 16 juin 1933, de Victor (Haïm) Arlosoroff2, l’un des principaux dirigeants de l’Agence juive pour la Palestine. Dans cette période de crise profonde du mouvement sioniste, divisé face aux manifestations croissantes du nationalisme arabe et à l’arrivée de Hitler à la chancellerie du Reich, cette disparition envenimera durablement les relations entre les différentes factions qui se sont déjà affrontées au congrès de 1931 : radicaux enclins au terrorisme (dits Révisionnistes) contre partisans de compromis, réels ou tactiques, avec les Arabes ou les Anglais, voire avec les nationauxsocialistes. Arlosoroff revient précisément d’une tournée en Euro-
pe, au cours de laquelle il a jeté les bases d’un accord de transfert en Palestine de Juifs du Reich, qui seraient autorisés à emporter leurs devises contre l’achat de marchandises allemandes. Les querelles internes et les menaces répétées des Révisionnistes contre sa politique et sa personne orientent immédiatement l’enquête dans leur direction. Sa femme qui l’accompagnait au moment du crime a d’ailleurs cru reconnaître l’un d’eux. Le principal suspect est condamné à mort. Le jugement, cassé pour vice de forme, ne sera pas repris ; une situation qui, manifestement, convient à tous ceux qui redoutent, au sein du mouvement sioniste, les conséquences de divisions internes aussi dramatiques.
UNE VICTIME EXPIATOIRE ? Dans ce contexte, et gardant à dessein, pour plus de crédibilité, les noms des personnages historiques impliqués dans son roman, ainsi que certains de leurs propos et de leurs actes, l’auteur va se livrer à une mystification qui plaira d’autant plus aisément à ses lecteurs qu’ils seront enclins à le suivre, par ignorance ou par adhésion spontanée à un récit pseudo-historique qui tend de plus en plus à s’imposer : le sio-
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nisme, manifestation juive d’antifascisme ou d’antinazisme de la première heure. Or, rien n’est plus inexact. La symbolique sousjacente à l’affabulation de l’auteur ne résiste pas un instant au faits : Arlosoroff, « première victime de la Shoah », offrande sacrificielle d’un Juif immolé à Hitler par une ancienne amante fanatisée. Liberté sacrée du créateur, de l’écrivain, s’écrieront évidemment quelques voix indignées. Choix délibéré ou inclination idéologique ?, la question vaut à nos yeux d’être posée. Croira qui voudra à cette « pauvre » Magda Goebbels, obligée d’acheter sous le manteau et à l’insu de son redoutable mari jaloux le numéro de la Jüdische Rundschau (« Revue juive ») annonçant en première page l’assassinat d’Arlosoroff. Pourquoi vouloir à tout prix condenser en cet instant les six années qui nous séparent encore de la Nuit de Cristal, les neuf an-
nées qui nous séparent du génocide ? Arlosoroff, selon le romancier, aurait assisté à l’Autodafé de
livres du 10 mai 1933 ; soit, mais alors qu’ils ont été abondamment publiés en Allemagne, aucun livre sioniste (Weizmann, Klatzkin, Trumpeldor, Jabotinsky, « ce héros de la résistance », etc.) n’est jeté au bûcher. Pourquoi vouloir faire croire à un séjour clandestin, dont Arlosoroff aurait cherché à effacer les traces, à des tractations menées dans le secret ? La Jüdische Rundschau s’étale à tous les kiosques de la ville ; son numéro du 23 mai a développé en pleine page une interview d’Arlosoroff, en même temps qu’il rendait compte des discours de Goebbels et d’autres dirigeants nazis. La simple vérité, moins romanesque – qui ne fait évidemment pas des sionistes des nazis –, est que ces derniers les considéraient pour l’instant comme des alliés potentiels dans leur politique d’isolement et d’exclusion des Juifs. Leurs seuls ennemis étaient encore et pour quelques années, outre les communistes, socialistes, chrétiens rebelles et « judéo-bolcheviques », les Juifs qui avaient l’audace de se prétendre Allemands, et ce parfois depuis des siècles, les « assimilés » honnis et méprisés des sionistes. Ce sont eux dont les livres brûlent avec tous ceux des opposants au régime, alors que les sionistes feignent de croire à la possibilité d’un accord entre nationalistes « véritables ». Les plus radicaux (« Sionistes d’État ») poseront bientôt leur candidature au poste de Commissaire du Reich à l’Émigration. Notre illustration montre la presse juive (« jüdische Presse », à ne pas confondre avec la « Judenpresse », la « presse dite des Juifs » : les grands journaux
d’information libéraux rapidement interdits) s’étalant toujours en juin 1935 aux devantures des kiosques. Parmi les périodiques en vue : le numéro spécial de 28 pages de la Jüdische Rundschau titré « Retour à l’être-Juif ! » Depuis l’assassinat d’Arlosoroff, son tirage a même triplé ! Elle paraîtra jusqu’en 1938. Les auteurs sionistes, aussi, continueront d’être édités tant que les nazis y trouveront intérêt : même les œuvres d’Arlosoroff (la cible de Goebbels fantasmée par Nathan) paraissent en 1936 à … Berlin ; comme celles de Herzl, Ben Gourion, etc. Kiosque à Berlin, juin 1935. Photo H. Sonnenfeld, S’il est un crime qui reproduite dans « Jüdische Geschichte in Berlin », aurait pu étayer la Hentrich, Berlin, 1995 thèse, ou l’hypothèse, du romancier, ce serait plu- Avec ce commentaire : « La mort tôt le meurtre parfaitement do- de Theodor Lessing est la conclucumenté d’un grand philosophe sion d’une tragédie personnelle, juif antinazi, Theodor Lessing, qui qui s’explique par la situation parfut l’objet dès 1925 d’une campa- ticulière de l’intellectuel juif. » Le gne haineuse d’une rare virulen- numéro de la Revue Juive suivant ce. Poursuivi par des tueurs SA, il publia la circulaire du ministère sera abattu en Tchécoslovaquie, de l’Économie concrétisant l’Acfin août 1933, pendant que se te- cord de Transfert. À chacun son nait à Prague un congrès sioniste roman, à chacun son histoire. ■ des plus houleux. Un petit entrefilet (24 lignes à peine) de la Jüdis- 1 Bernard Grasset, Paris, 2010. che Rundschau signala qu’il avait 2 Le choix (délibéré ?) par l’auteur d’une été abattu à Marienbad, ayant autre orthographe rend incroyable la quitté l’Allemagne après la vic- principale pièce à conviction (imaginaire) toire de la Révolution nationale. de son livre.
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réfléchir Inventer des « sous-Français », jeu dangereux de Sarkozy ESTHER BENBASSA*
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andis que la torpeur de l’été commence à occulter le feuilleton Bettencourt, Nicolas Sarkozy se relance, tête baissée, dans sa politique sécuritaire. Les faits sur le terrain, si on prend garde aux montées de colère ici et là, n’attestent pas pourtant, jusqu’ici, de sa réussite. Au contraire, ils étalent au grand jour son échec et l’incapacité de l’État à trouver des solutions viables pour changer la situation d’un pays qui n’a pas su gérer ses villes-ghettos, ni endiguer la violence, ni jeter les bases d’un possible vivre-ensemble, ni même simplement mettre en place des dispositifs susceptibles d’inclure ses populations immigrées, descendants d’immigrés ou gens du voyage. À l’inverse, les déclarations stigmatisantes du président donnent une légitimité au racisme. Si, quand sa popularité ne fait que chuter, elles visent à lui attirer la sympathie de l’électorat d’extrême droite pour les prochaines échéances présidentielles, elles instaurent surtout un climat policier et xénophobe.
SARKOZY ALIMENTE LA CONFUSION ET LA STIGMATISATION Le policier ne peut pourtant pas devenir le symbole prochain d’une France moderne née de la
Cet article a été publié le 01/08/2010 par le journal électronique Rue89 (www.rue89.cm)
Révolution, ni la xénophobie la ligne directrice de sa politique. Le président surfe sur les préjugés bien connus concernant les gens du voyage, voleurs, mendiants, personnes vivant d’expédients, incontrôlables, dont l’« errance » – réelle ou supposée – menacerait la sécurité des bonnes gens. Il crée également la confusion entre gens du voyage français depuis de nombreuses générations, et Roms, venus principalement d’Europe de l’Est et des Balkans avec l’élargissement de l’Europe, et dont le nombre se situerait entre 15.000 et 20.000 âmes. Cette confusion fait implicitement des gens du voyage des sortes d’étrangers nomades – alors même que nomade, la grande majorité ne l’est plus, installée en caravane sur des terrains depuis des décennies –, tandis qu’elle fait des Roms eux-mêmes des immigrés. La boucle est ainsi bouclée, la simplification étant le chemin le plus court pour renforcer le rejet et par conséquent les discriminations envers cette catégorie de population qui en souffre déjà depuis longtemps.
AU LIEU D’AMÉLIORER LA COHABITATION, ON MARGINALISE La manifestation violente de la colère de quelques-uns, suite à la
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mort, causée par un gendarme, de l’un des leurs, a été instrumentalisée pour justifier la politique xénophobe et sécuritaire du gouvernement, visant en l’occurrence les gens du voyage, ces « barbares », dans leur globalité. Amalgames, coercition et expulsions, voilà ce qu’on offre à des populations françaises dites gens du voyage, déjà maltraitées, lorsqu’elles osent exprimer leur mécontentement. Au lieu de concevoir des politiques de cohabitation des groupes de cultures différentes, on marginalise un peu plus. Ainsi établiton différentes catégories de Français, les bons et les autres, ceux de seconde zone. « Restons entre bons Français » sera-t-il le slogan de demain ? Belle utopie en ces temps d’hybridité et de circulation que ce soit des hommes et des femmes ou de l’information et de la culture, tout simplement. Les théories raciales ont créé des sous-hommes, nous voilà maintenant en France avec des sous-Français. C’est ce qu’institue clairement la déclaration du président Sarkozy le 30 juillet à Grenoble préconisant de retirer la nationalité française à « toute personne d’origine étrangère qui aurait volontairement porté atteinte à la vie d’un fonctionnaire de police, d’un militaire de la gendarmerie ou de toute personne dépositaire de l’auto-
rité publique ».
EN JUILLET 40 DÉJÀ, ON DISAIT : « ÊTRE FRANÇAIS SE MÉRITE » L’ambition est bien de créer deux catégories de Français : ceux dont l’« ADN » serait garanti de souche et les autres, à qui on a fait la faveur de donner la nationalité française, en fait un simple privilège sur lequel on peut revenir au gré des humeurs du Prince, et ce dans un État de droit. Certes, la loi prévoit des cas de dénaturalisation en cas d’espionnage ou de terrorisme dans les dix années qui suivent la naturalisation. Avait-on besoin d’élargir ce cadre et pour quoi faire ? Ainsi se représentera-t-on une France avec des Français pour toujours et une autre, avec des Français provisoires, favorisant ainsi une guerre de nationaux, dans un pays autoritaire, enfin net, sans mélange. Chacun saura où il se place, les premiers, dépositaires d’une nationalité « immuable », étant de toute évidence supérieurs aux seconds. En somme, une France enfin démocratique… Monsieur le président, rien de neuf dans tout cela. Est-il interdit de rappeler, même si les circonstances étaient autres, cette loi du 22 juillet 1940 créant une commission de révision des naturalisations postérieures au 10 août 1927, et qui aboutira à la dénaturalisation de milliers de Français de fraîche date ? Le garde des Sceaux de l’époque, Raphaël Alibert, qui devait la mettre en oeuvre, ne disait-il pas – déjà – : « Les étrangers ne doivent pas oublier que la qualité de Français se mérite ». (Xavier Bertrand a em-
ployé le 31 juillet 2010 à Ajaccio à peu près la même formule : « Être français, ça se mérite. La nationalité française, ça se mérite. Tous les droits et les devoirs qui vont avec, ça se respecte ».) Dans le même contexte, une loi datée du 7 octobre 1940 abrogeait le décret Crémieux du 24 octobre 1870, entraînant la dénaturalisation collective des Juifs d’Algérie non occupée. Vous connaissez la suite, je suppose, Monsieur le président.
UN COUP DE POUCE AU COMMUNAUTARISME QU’ON DÉNONCE Ces « punitions » d’un autre temps arrêteront-elles la montée de la violence ou de la délinquance ? On peut en douter. En revanche, une chose est sûre : les Français nés de parents étrangers se sentiront de plus en plus étrangers, nourriront de plus en plus de ressentiment et les Français « purs » discrimineront à leur guise, avec la bénédiction du président, tout en se pensant non-racistes, mais autorisés à voir des inférieurs dans certains de leurs compatriotes. On ne peut pas mieux faire pour diviser la France et donner un coup de pouce au fameux communautarisme tant dénoncé par les élites au pouvoir. On s’assemble avec ceux qui vous accueillent et non avec ceux qui vous rejettent. Demain, étendra-t-on cette mesure aux Français nés de parents étrangers ou naturalisés qui ne sont pas dociles, qui ne se plient pas aux règlements, et qui sait, plus tard, à ceux qui n’adhèrent pas à l’UMP ou ne votent pas Sarkozy ?
L’EXTRÊME DROITE PRÉFÈRERA UN VRAI XÉNOPHOBE À UN JOUEUR DE POKER Brice Hortefeux n’a déjà pas tardé à envisager des prolongements en menaçant de déchoir de leur nationalité ceux qui pratiquent la polygamie, l’excision, la traite d’être humains ou commettent des actes de délinquance grave. Comme on le voit, les scénarios possibles sont multiples. Être d’origine étrangère serait-il déjà en soi un délit – dont seraient coupables, en fait, près du quart de la population française, Monsieur Sarkozy compris ? Et dire que tout cela se résume à une pêche aux voix incertaine. L’extrême droite préférera un authentique xénophobe à un joueur de poker qui imagine une nation utopiquement « homogène » (on se demande pourquoi faire, si ce n’est pour caresser les plus vils penchants racistes) au lieu de remédier aux maux dont elle souffre d’une manière chronique faute d’innovation, d’audace, de politique d’immigration et d’intégration cohérente et de pragmatisme au quotidien. Il est à espérer que les Sages qui contrôlent l’exécutif sauront arrêter ces dérives, avant que ce vent mauvais ne souffle un peu partout dans les institutions et dans la rue. ■ * Historienne, directrice d’études à l’École Pratique des Hautes Études
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Yiddish ? Yiddish ! PAR WILLY ESTERSOHN
tleg-hrid dire-gelt Loyer Cette chanson à caractère social est un classique du répertoire yiddish. Son éditeur, Yehude-Leyb Cahan (Vilnius, 1881 - New York, 1937), s’est installé dans la métropole américaine en 1904. Il y publiera d’innombrables chansons et récits recueillis auprès des immigrants juifs venus d’Europe de l’Est. On peut écouter Dire-gelt sur l’album Ashkenaz Songs II : Work And Revolution interprété par Zahava Seewald & Psamim.
Niirfer refreyn
! iuj-iuj-iuj Nuj tleg-hrid oy-oy-oy
un
dire-gelt
! ium-ewz]b Nuj tleg-hrid moy bozhe
un
dire-gelt
iuuu=d=rg Nuj tleg-hrid gradavoy
un
dire-gelt
Nl]q Nem zum tleg-hrid tsoln men muz
dire-gelt
1 ,s]bel=b red NUr= tmuk balebos
der arayn kumt
,Nketw Nb]rg Med tim shtekn
3 tleg-hrid Nbeg CUj Cij l]z s]uu r=f_ dire-gelt
gebn aykh ikh zol
vos
far
? Nc]rbeq zij Cik id z= tsebrokhn
iz
tleg-hrid Nbeg CUj Cij l]z s]uu r=f dire-gelt
gebn aykh
ikh zol vos
far
? Nc]k uq s]uu Fiuj twin b]h Cij z= kokhn tsu vos
oyf
nisht
,tleg-hrid Niik Mij tig em z= Nuj dire-gelt
hob ikh az
keyn im git
me az un
.Nteb id siurj re tletw betn
kikh di az
grobn dem mit
di aroys
er
shtelt
2 ,wzurts red NUr= tmuk struzh
der arayn kumt
; ltih s]d p]r= re tmen hitl
dos
arop
er nemt
,tleg-hrid Niik tl]q em zj Nuj dire-gelt
keyn
tsolt
me az un
.ltiuuk = siur= re tgneh kvitl
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a aroys
er
hengt
! widYi ? widYi TRADUCTION Refrain : Le loyer et oy,oy,oy ! / Le loyer et mon dieu ! / Le loyer et le policier, / Le loyer, on doit le payer ! Entre le propriétaire, / Avec sa (la) grosse canne ; / Et si on ne lui donne pas le (de) loyer, / Il met les lits dehors. Entre le gardien, / Il enlève sa (la) casquette ; / Et si on ne lui paie pas le (de) loyer, / Il affiche un avis d’expulsion. - Pourquoi vous donnerais-je le loyer / Quand la cuisinière est cassée ? / Pourquoi vous donnerais-je le loyer / Quand je n’ai plus sur quoi faire la cuisine ?
Une rue de Lodz : « Et si on ne lui paie pas le loyer, il affiche un avis d’expulsion. »
REMARQUES tleg-hrid dire-gelt : loyer (littéralement : argent de l’appartement, de hrid dire [hébreu où il signifie au départ logement] et de tleg gelt = argent). ium-ewz]b bozhe moy (russe) = mon dieu. iuuu=d=rg gradavoy (russe) = policier. s]bel=b balebos = patron, maître de maison, propriétaire ; il s’agit d’un hébraïsme dont l’orthographe a été ici yiddishisée. wzurts struzh (dans le dictionnaire : wz]rts strozh) = gardien, concierge. Negnehsiur= aroyshengen : accrocher (pendre) dehors. ltiuuk kvitl = quittance, reçu, billet ; c’est le contexte qui nous suggère de traduire par avis d’expulsion. Nc]rbeq tsebrokhn = cassé, brisé. septembre 2010 * n°308 • page 23
ANNE GIELCZYK
Infrarouge
J
e ne sais s’il vous est déjà arrivé de visiter Florence un presque 15 août ? J’en viens et je peux vous dire, c’est une très mauvaise idée ! Il fait mourant de chaud et contrairement aux si mignonnes petites villes toscanes perchées en haut des collines, les rues y sont larges et donc largement ensoleillées ; les soldes sont terminées, pire, tous les magasins un peu classe qui font le charme du goût italien, sont fermés pour cause de vacances, ne restent que les sempiternels Zara, H&M, Benetton, Hello Kitty et ces affreuses sandales allemandes, les Birkenstock (ah que de Birkenstock, des montagnes de Birkenstock !). Impossible de visiter le duomo ou les Uffizi car les files sont interminables et évidemment, la ville est bondée de touristes, tous en Birkenstock bien sûr. Ils se déplacent en famille et souvent en hordes menées par un guide portant un petit drapeau et un numéro que l’on retrouve collé sur leurs T-shirts, question de ne pas se tromper de guide ni de visite. J’en ai compté une bonne vingtaine en me frayant un chemin entre le David de Michel-Ange et le Duomo. Cette année, il n’y avait pratiquement que des Français, qui comme vous le savez s’expriment exclusivement en français, ce qui énerve les quelques rares autochtones déjà passablement
épuisés en cette presque fin de saison touristique. Moi-même d’ailleurs, j’étais en compagnie de Français et j’étais à peu près la seule à faire l’effort de commencer mes phrases en italien car je sais, pour avoir vécu en Flandre, que c’est surtout le geste qui compte. Tandis que mes amis français, eux, après trois jours en Italie n’avaient pas encore compris que centro se dit « chentro », chianti, « kianti » et « garçon l’addition s’il vous plait », signore il compto per piacere et non pas « signor la quenta please » !
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’ailleurs un compagnon de voyage était d’avis que le mot Florence est bien plus beau que le mot Firenze (qu’il prononce « Fireinzeu » bien sûr). De plus, nous avions tous oublié nos guides verts à la maison et avons donc visité les quelques lieux accessibles après moins d’une heure d’attente, les bras ballants ou alors avec ces horribles audio guides que je n’arrive jamais à écouter jusqu’au bout car, de toute façon, ils vous en disent trop ou trop peu. Bref une visite ratée, nous nous sommes jurés de revenir en hiver pour un week-end prolongé après avoir réservé par internet nos entrées aux Uffizi, et sans oublier bien sûr nos guides verts, que dis-je, allez ! faisons fort, nos guides bleus !
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À
défaut de guide, j’avais emmené avec moi comme lecture de vacances le dernier livre de Nancy Huston, Infrarouge*, qui raconte justement le voyage raté de Rena Greenblatt, à Florence. Rena a décidé d’offrir à son père Simon et sa belle-mère Ingrid une visite d’une semaine des hauts lieux de Florence et de la Toscane. Mardi : Église de San Lorenzo, « chef-d’œuvre de Bruneschelli, LE grand architecte de la Renaissance ». Mercredi : Ponte Vecchio « alors ce vieux pont ? dit Ingrid. Excellente idée ! dit Simon », la Piazza della Signoria et Le David. Rena : « réveillezvous, secouez-vous : on se tient devant le David de MichelAnge. Génie, grandeur, exploits immenses, vous m’entendez ? Rappelez-vous il y a trente siècles : ce jeune juif ». « Ça coupe le souffle » dit Simon. « Lequel de nous deux reçoit mieux cette beauté (...), lequel de nous deux est heureux en ce moment ? » se demande Rena. Jeudi : Palazzo Pitti : « Titien, Tintoret, Rubens, Véronèse, Van Dyck... Tout de même ! Il faut qu’un peu de cette grandeur pénètre enfin dans leurs esprits ! ». Vendredi : piazza della Santissima Annunziata, « Très sainte Annonciation, mon oeil ! mon cul ! Ce n’est pas la parole de l’ange Gabriel mais bien l’outil d’un mec qui a mis Marie
elle à dire en sanglotant, j’ai tété un squelette ».
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en cloque » fulmine Rena. Mais Simon se fait vieux (« où est passé le scientifique juif, jeune, beau et svelte, tant adulé »), et Ingrid s’ennuie face à toutes ces merveilles de la Renaissance, seuls les chérubins éveillent en elle quelque intérêt : « Oh ! ils sont adorables, n’estce pas qu’ils sont adorables Rena ? » « Ils incarnent tout ce que j’abhorre. Sourire niais, peau rose et lisse... » « Rena ! et c’est une mère qui parle ainsi ? ». Elle trouve que les églises sont vides « qu’il n’y a rien à y voir, pas même des vitraux de couleur, que la cathédrale d’Amsterdam est mieux décorée que cela. » C’est qu’Ingrid est hollandaise, née à Rotterdam un mois avant la destruction de la ville par les Allemands le 14 mai 1940 « sa mère et ses trois frères sont morts sous les décombres » « Je suis née dans les ruines, aime-t-
ls ont du mal à démarrer chaque matin et Rena s’impatiente : « Non se dit Rena, je ne me mettrai pas à hurler d’impatience, je ne pesterai pas contre l’invraisemblable force d’inertie de ce couple, sa façon impitoyable de me plonger dans le banal ». Rena Greenblatt , 45 ans, « même tour de hanche qu’à 18 ans, cheveux coupés court, (...) lunettes noires, le noir tout court, le cuir », a laissé son jeune amant Aziz à Paris. Ils travaillent tous deux pour une agence de presse, lui comme journaliste, elle comme photographe. Par l’intermédiaire de conversations avec Subra, l’amie imaginaire, nous apprenons tout sur la vie intérieure et l’histoire mouvementée de Rena. Une adolescence dramatique que le lecteur découvre petit à petit, une mère absente, un frère abusif, un père (trop) complice, trois maris, deux enfants, et beaucoup de rencontres sexuelles. La sensualité et le sexe traversent toutes les activités de Rena : visites au musées (à propos de la « Lamentation sur le Christ mort » du Perugino ... Samuel Becket avait été très frappé par ce « Christ si mignon et guilleret rempli de sperme et les femmes qui touchent ses cuisses en pleurant sur ces secrets »), photographie artistique. Rena se sert de pellicule infrarouge, « qui capte non la lumière visible, mais la chaleur » pour photographier ses propres ébats amoureux et capter « l’univers invisible de la chaleur (...) la face cachée du monde » :
« nos corps s’étreignent pour la troisième fois (...) C’est là que je prends ma photo. Je suis dedans. Le Canon fait partie de mon corps. C’est moi la pellicule ultrasensible ». Rena est une femme libre qui a des idées bien arrêtées sur les rapports sexuels : « ni dans le libertinage dont raffolent tant de Français (ah ! les blasphémateurs ! les éjaculateurs précoces et précieux ! (...) ni dans la sexualité saine et égalitaire que prônent les Américains (distribuant des doctorats en point G, des DEA en endorphines (...) mais aveuglément dans la chair, ce lieu archaïque si loin des mots ». Sur les rapports entre hommes et femmes et la juste place des mères : « La maman touche avec respect le zizi et les toutes petites bourses de son nouveau-né mâle (...) un peu plus tard elle lui apprend à bien viser pour uriner, que ce soit dans la cuvette des W.C. ou au bord de l’autoroute.. et puis...fini. (...) Oui elle cesse définitivement de toucher et regarder le sexe de son fils (...) il le faut ».
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endant que Rena parcourt les musées de Florence, les routes de Toscane et plonge dans son passé, en banlieue parisienne le torchon brûle, nous sommes en été 2005, l’été du « kärcher ». Aziz et son patron la somment de revenir pour assurer le reportage. Elle refuse. « Voilà je n’ai plus de travail.Voyons ce qu’il peut m’arriver d’autre au cours de la journée qui s’ouvre ». La journée sera encore longue. Je vous laisse le soin de la découvrir... ■ * Nancy Huston, Infrarouge, Actes Sud, 2010
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LE
DE LÉON LIEBMANN
La Belgique à la croisée des chemins
L
es élections du 13 juin dernier n’ont pas seulement bouleversé le paysage politique de notre pays. Elles ont également entraîné l’adoption d’une toute nouvelle stratégie des partis candidats à la participation au gouvernement fédéral et, a fortiori, à la majorité parlementaire prête à le soutenir. Un bref résumé des résultats électoraux s’impose tout d’abord. Je n’en analyserai que les deux principaux : les scores obtenus en sièges à la Chambre, ce qui nous permettra de mettre en évidence l’impact des partis qui y sont représentés dans la seule assemblée parlementaire qui dispose du pouvoir d’introniser et de renverser le gouvernement fédéral et de celui de voter ou de rejeter son budget. D’autre part, je mentionnerai, pour le Sénat, dont la composition est basée sur des listes communautaires, les scores obtenus par les différents partis en nombre de voix accordées à des listes communautaires homogènes. Cela donne à la Chambre et en sièges obtenus : - du côté flamand 27 sièges (sur 88) à la N-VA ; 17 au CD&V ; 13 au SPA ; 13 à l’Open VLD ; 12 au Vlaams Belang ; 5 à Groen ; 1 à la Lijst Dedecker. - du côté francophone : 26 au PS (sur 62) ; 18 au MR ; 9 au CDH ; 8 à ECOLO ; 1 au « PP » (Parti Populaire). Pour le Sénat, les scores obtenus en pourcentage de voix sont les suivants :
- du côté flamand : N-VA 31,5 % des voix (27,8 « seulement » à la Chambre) ; CD&V 16,1 % (l’ex-cartel CD&V-N-VA avait, en 2007, rassemblé 31,6 % des voix, soit, à un dixième de pourcent près, le score de la N-VA – hors cartel – en 2010) ; SPA 15,6 % (contre 16,7 % avec Spirit en 2007) ; Open VLD 13,3 % (contre 20,1 % en 2007 !) ; Vlaams Belang 12,3 % (contre 19,2 % en 2007) ; Groen 6,3 % (contre 5,9 % en 2007) ; Lijst Dedecker 3,3 % (contre 5,5 % en 2007). En bref, succès triomphal de la N-VA et défaite désastreuse du CD&V, du Vlaams Belang, de l’Open VLD et de la Lijst Dedecker. - du côté francophone : PS 35,7 % (contre 26,8 % en 2007) ; MR 24,3 % (contre 32,2 % en 2007) ; ECOLO 14,3 % (15,2 % en 2007) ; CDH 13,5 % (contre 15,3 % en 2007) ; Parti Populaire 4 % (il ne se présentait pas en 2007). Là aussi un seul grand vainqueur : le Parti socialiste. Un seul parti en très net recul : le MR qui perd – et de très loin – sa place de premier parti francophone au profit du PS. Encore deux brèves mais éloquentes données chiffrées : le nombre des abstentions, des votes blancs et des votes nuls s’élève à 16,6 % pour la Chambre et 17,4 % au Sénat, soit plus d’un sixième des membres du corps électoral. Les premières réactions des dirigeants politiques ne se firent pas attendre : dès la soirée du 13 juin, l’incontestable leader
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de la N-VA, Bart De Wever, et le Président du PS Elio Di Rupo se dirent « prêts à assumer leurs responsabilités » - mots abstraits voulant dire plus concrètement prêts à concocter et à présenter à leurs collègues un projet de plate-forme gouvernementale et à négocier d’abord entre eux à ce sujet. De son côté, le leader d’un des grands vaincus des deux scrutins, Alexander De Croo, Président de l’évanescent Open VLD, clamait sa résolution de pousser son parti à faire une cure d’opposition.
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e souvenant de l’initiative prise, après les dernières élections régionales, par les partis francophones arrivés en troisième et quatrième position (ECOLO et le CDH) de devancer les deux plus grands partis (le PS et le MR) dans les régions wallonne et bruxelloise, négocièrent entre eux pour aboutir à une base de discussion pour la constitution de majorités dans les régions susdites et à la Communauté Française. Le texte auquel ils aboutirent était nettement de tendance « centre gauche », et il servit de base à l’adoption de plates-formes gouvernementales de la tendance dite « l’olivier » et, bien entendu, dirigée par des personnalités appartenant au PS. La tâche entreprise par Bart De Wever et Elio Di Rupo s’avéra encore bien plus difficile et plus complexe. Il ne faut pas perdre de vue que jusqu’à la veille des élections du 13 juin, leurs
partis respectifs avaient adopté des positions très différentes sur tous les grands dossiers qui constituaient l’enjeu des élections et que, sur des points cruciaux, les programmes de ces partis apparaissaient à tous les observateurs comme étant inconciliables.
A
u moment où j’écris ces lignes (le 21 juillet), aucun résultat tangible n’a été présenté comme acquis. Citons, parmi les plus épineux, la scission de BHV, la réforme des institutions de l’État belge et des entités fédérées ainsi que les problèmes financiers, économiques et sociaux. Les deux présidents ont, par ailleurs, mis l’accent sur la recherche qu’ils partagent de trouver des points de convergence entre les programmes de leurs partis ainsi que la nécessité de trouver des compromis par des concessions réciproques, seule façon d’arriver à constituer un gouvernement pour tout le pays. Mais la principale pierre d’achoppement fut et demeure le statut de la Région de Bruxelles-Capitale sur lequel les négociateurs continuent à buter. Quant à l’annonce brutale et inopinée du Président de l’Open VLD, elle me semble s’expliquer par un choix tactique : préférer « prendre (spontanément) la porte » plutôt que d’être laissé de côté par les autres partis qui n’ont pas avalé mais ont dû avaliser le retrait de l’Open VLD du (dernier) gouvernement Leterme et la crise gouvernementale qu’il déclenchait ainsi, ce qui devait aboutir à des élections anticipées avec les résultats que l’on sait. Une autre difficulté majeure subsiste : l’opposition, jusqu’ici
irréductible, de la N-VA à l’entrée de Groen dans un gouvernement fédéral alors qu’ECOLO, pressenti, lui, pour en faire partie, tient à ce que Groen puisse figurer à ses côtés. Mais, comme je l’ai relevé au début de mon analyse, le plus important est ailleurs : il réside dans le souci partagé des deux côtés de la frontière linguistique d’enfin crever les abcès communautaires et de réformer l’État belge et les entités fédérées d’une façon qui, pour l’essentiel, satisfasse la majorité des Belges. Est-ce un souhait pieux mais vain, une chimère que n’entretiennent que de doux rêveurs ? Dans ce feuilleton aux innombrables rebondissements, une issue favorable ne peut être exclue : si nos politiciens n’y arrivent pas, c’est la dislocation du pays qu’il faut craindre… ou espérer selon qu’on souhaite la rénovation ou la fin de la Belgique. Tous les sondages le montrent : la majorité des Wallons et des Bruxellois mais aussi des Flamands opte résolument pour la poursuite de l’État belge et l’entente entre les Communautés et les Régions. Nos dirigeants entendront-ils et comprendrontils leur message ? Tel est l’enjeu majeur de la partie qui se joue au sommet de l’État et dont, avec vous, je suivrai de très près l’évolution. Elio Di Rupo a, le 30 juillet dernier, lors d’une conférence de presse, déclaré : « Vu les résultats électoraux en Flandre, nous savons que le centre de gravité de la Belgique se déplacera du Fédéral vers les entités fédérées ». Cet aphorisme, qui se présente à la fois comme une constatation objective et une vérité démontrée, appelle une
analyse critique et une prise de position subséquente. Affirmer, comme l’a fait le préFormateur, qui aspire plus que jamais à devenir le principal réformateur de la Belgique, que l’État fédéral qui en demeure encore la pierre angulaire devra « passer la main » aux entités fédérées procède moins d’un choix délibéré de sa part que d’une option imposée par les vainqueurs des élections en Flandre.
C
ertes, tous les partis démocratiques ont marqué leur accord à l’idée d’un nouveau et substantiel transfert de « blocs de compétences » de l’État fédéral aux communautés et régions. Mais plusieurs d’entre eux – et non des moindres – ont fait connaître leur préférence pour un rééquilibrage mûrement agencé destiné à préserver le rôle de l’État fédéral dans les matières où il est le mieux placé pour faire prévaloir les intérêts communs à tous les citoyens du Royaume de Belgique. Il faudra un savant et subtil dosage pour y parvenir, tant est forte la pression des partis nationalistes flamands pour affaiblir au maximum l’État belge. Mais il faudra surtout que les partis francophones réapprennent l’art d’oser parfois s’opposer aux pressions maximalistes de leurs vis-à-vis flamands. Nos dirigeants auront-ils la sagesse et le courage politique nécessaires pour aboutir à un accord ? C’est la grâce qu’on leur souhaite et qu’on souhaite à nous tous. ■
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lire Voyage intérieur. Le journal intime d’Alejandra Pizarnik TESSA PARZENCZEWSKI
E
ntre 1959 et 1972, la poétesse argentine Alejandra Pizarnik a tenu régulièrement un journal où, sans garde-fou, dans l’urgence, elle exprimait son mal-être, ses doutes et ses souffrances. Née en 1936 à Buenos Aires de parents juifs venus d’Ukraine, elle commence à publier ses poèmes dès l’âge de vingt ans. Elle ne sera pas une poétesse maudite. Elle se liera d’amitié avec Octavio Paz et Julio Cortazar, et plus tard, lors d’un long séjour à Paris, avec André Breton, Henri Michaux et André Pieyre de Mandiargues. Publié cette année en français, sous la direction de Silvia Baron Supervielle, traductrice de l’œuvre poétique d’Alejandra Pizarnik, le journal est dépourvu de toute anecdote et va à l’essentiel. Il est aussi la chronique d’un suicide annoncé qui accompagne comme en sourdine, l’élaboration d’une œuvre poétique exigeante, sans concession. Alejandra Pizarnik a mis fin à ses jours le 25 septembre 1972. Tout au long de ces pages, nous parvient une voix déchirante mais intransigeante. Déchirante lorsqu’elle évoque l’irrémédiable solitude, l’abandon, le manque d’amour, la hantise de la folie et intransigeante, lorsque la poétesse nous fait part de ses lectu-
res innombrables, des classiques espagnols : Cervantès, Gongora, Quevedo aux auteurs du XXe siècle : Kafka, Artaud, Virginia Woolf et bien d’autres. Alors, son regard s’aiguise et c’est au scalpel qu’elle analyse certaines œuvres, sans complaisance. Quant à sa propre création, elle semble poursuivre une quête désespérée, une poésie qui dise l’indicible – un silence. Une page blanche. Alejandra Pizarnik demande aux mots plus qu’ils ne peuvent donner, les pousse dans leurs derniers retranchements, élague, décante, et nous donne ces poèmes brefs, intenses, où évidemment on n’entre pas rationnellement, mais par le biais de l’émotion qui ne s’expli-
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que pas. Pour une minute de vie/ brève et unique aux yeux ouverts/ une minute où l’on verrait/dans le cerveau de menues fleurs/dansant comme des mots dans la bouche d’un muet/. Nous ne trouvons dans le journal d’Alejandra Pizarnik aucun écho des bruits du monde en ces années-là, enfermée dans ses souffrances, seule la littérature lui offre des échappées. Parfois cependant affleurent quelques allusions à sa judéité, qu’elle revendique et qui lui donne le sentiment d’être étrangère en tous lieux. On peut découvrir les poèmes d’Alejandra Pizarnik dans Œuvre poétique chez Actes Sud. ■ Alejandra Pizarnik Journaux 1959-1971 Édition établie et présentée par Silvia Baron Supervielle Traduit de l’espagnol (Argentine) par Anne Picard Éditions José Corti 361p., 22 EURO
Le comité de rédaction de Points critiques a le plaisir d’informer les lecteurs de la chronique littéraire de Tessa Parzenczewski que les Éditions Actes Sud ont publié récemment sa traduction de l’italien – en collaboration avec Marguerite Pozzoli – de L’époux impatient de Grazia Livi, récit de la confrontation entre Léon Tolstoï et sa très jeune épouse Sofia Andreevna.
activités Journée du Martyr Juif de Belgique 54e Pélerinage National à la Caserne Dossin à Malines
Dimanche 12 septembre 2010 Réunion devant la Caserne dès 10h30 Rue G. de Stassart, 153 à 2800 Malines
Des cars partiront à 9h30 précises Bruxelles : Place Rouppe Anvers : Loosplaats
vendredi 17 septembre à 20h
(ouverture des portes dès 18h)
À la Maison du Peuple de Saint-Gilles, parvis de Saint-Gilles, 37
Soirée d’hommage bruxelloise à Jean Ferrat Hommage bref à Jean Ferrat par Claudine Bourg, Sonia Rainoldi, Tom Goldschmidt, Aline Dhavrée, Daniel Hélin et Christiane Stefanski Suivi d’un récital Ferrat par Gérard-André Gaillard et Francesca Solleville PAF: 10 EURO (ou tarif Article 27) Places en prévente à : . La Maison du Livre de Saint-Gilles – du mardi au vendredi de 14h à 17h et le samedi de 9h à 13h. Rue de Rome, 28 – 1060 Bruxelles . L’Association Culturelle Joseph Jacquemotte – du lundi au vendredi de 10h à 12h30 et de 14h à 17h. Rue Rouppe, 4 – 1000 Bruxelles . L’UPJB. Versement sur le compte de l’UPJB 000-0743528-23 avec la mention « Jean Ferrat » Une soirée organisée par l’Association Culturelle Joseph Jacquemotte, la Société belge des amis d’Aragon, Bruxelles Laïque, Présence et Action Culturelle Saint-Gilles, la Maison du Livre de Saint-Gilles, les « amis » d’Une autre chanson, le Centre culturel Garcia Lorca et l’Union des Progressistes Juifs de Belgique. Avec le soutien du service de la Culture de la commune de SaintGilles.
Points critiques présente à ses lecteurs, membres de l’UPJB et abonnés, ses meilleurs voeux à l’occasion de la nouvelle année 5771
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activités vendredi 24 septembre à 20h15 Conférence-débat avec
Jean-Christophe Attias, directeur d’études à la Section des Sciences religieuses de l’École Pratique des Hautes Études, où il est titulaire de la chaire de pensée juive médiévale
Autour de son dernier ouvrage :
Penser le judaïsme
Penser le judaïsme, aboutissement d’années de recherche et de réflexion, révèle une culture juive vivante et en constante interaction avec le monde. On y croise d’étonnantes figures, mythiques ou mythifiées : Moïse, coiffé de ses cornes, Jésus, l’enfant sans père, Mahomet, l’imitateur, Isaac Abravanel, le héros juif par excellence... On y parle textes, bien sûr, mais aussi rêves, identité et politique. Cultivant vis-à-vis de son objet d’étude à la fois empathie et distance critique, Jean-Christophe Attias livre là une oeuvre à la fois érudite et personnelle. Loin des tentations du repli communautaire, pas davantage enclin à sacrifier à la frilosité du savant, Jean-Christophe Attias n’explore pas seulement le passé du judaïsme. Il interroge aussi son présent et s’inquiète de son avenir. Il le pense à la fois en chercheur, en Juif et en citoyen. Quitte à toucher des questions explosives, impasses du dialogue interreligieux ou ambiguïtés des rapports entre judaïsme et sionisme. PAF: 6 EURO, 4 EURO pour les membres, tarif réduit: 2 EURO
samedi 25 septembre à partir de 12h – spectacle à 20h30
Journée de rentrée - Roch haChana Premier rendez-vous vers midi pour un grand pique-nique festif et intergénérationnel au parc de Tervuren (parc du Musée de l’Afrique centrale) le long du canal, au fond Merci d’annoncer votre venue par téléphone : 02.537.82.45 ou par mail : upjb2@skynet.be et d’apporter une salade ou un dessert. Nous prévoyons le reste. PAF : 7 EURO adultes, 5 EURO enfants
Second rendez-vous à 20h30 au 61, rue de la Victoire pour un nouveau récital drôle et tendre d’Alain Lapiower Si vous aviez été enchantés, revenez car Alain poursuit pour nous, dans un repertoire étoffé et taillé sur mesure, son exploration du et en yiddish. Si vous l’aviez raté, réservez dès à présent vos places car elles risquent d’être bientôt chères. PAF: 6 EURO, 4 EURO pour les membres, tarif réduit: 2 EURO
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vendredi 15 octobre à 20h15 Politiques de santé internationales ou commerce ? Conférence-débat avec
Jean-Pierre Unger, professeur de santé publique à l’Institut de Médecine tropicale d’Anvers Plus de 60 millions de personnes meurent prématurément chaque année dans le tiers-monde. Il en meurt plus de dix millions de maladies transmissibles. L’essentiel de ces décès pourraient être évités par un meilleur accès aux soins de santé. Est-ce la faute à la pauvreté que si peu de gens puissent voir un médecin ou être hospitalisés quand ils en ont besoin ? Bien plus que les atteintes à l’écosystème, ou que la malnutrition, le manque d’accès aux soins, leur qualité déficiente, et au-delà, les politiques de santé à finalité commerciale, sont responsables d’une mortalité inégalée – dont personne ne parle. PAF: 6 EURO, 4 EURO pour les membres, tarif réduit: 2 EURO
vendredi 22 octobre à 20h15 Identités multiples des Juifs marocains avant et après la création de l’État d’Israël Conférence-débat avec
Paul Dahan, psychanalyste et fondateur du Centre de la culture judéo-marocaine à Bruxelles Paul Dahan est né à Fès, au Maroc et y a vécu pendant 20 ans. Il part ensuite, pendant 25 ans, à la découverte d’autres pays, d’autres cultures. Il rassemble livres, manuscrits, photos, cartes postales, objets quotidiens et de culte pour constituer enfin ce Centre de la culture judéo-marocaine, qu’il aime présenter comme « Un lieu d’échanges ouvert à tous » En tant que psychanalyste, sa recherche essentielle porte sur cette question : « comment une personne peut-elle trouver l’équilibre, malgré l’accumulation d’identités ? » Les Juifs du Maroc ont toujours vécu en bonne cohabitation avec les musulmans. Ces deux cultures ont beaucoup appris l’une de l’autre. Paul Dahan y voit le symbole parfait de la rencontre, de l’échange et de l’apport mutuel entre cultures. PAF: 6 EURO, 4 EURO pour les membres, tarif réduit: 2 EURO
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UPJB Jeunes Colo, totems et monos* NOÉMIE SCHONKER
B
ulgnéville, village vosgien tranquille et paisible, nous voici ! Bulgnévillois, pêcheurs du dimanche ou passionnés de la canne, jeunes vacanciers en recherche de nature silencieuse ou pensionnés nomades arrêtés aux pieds des « Recollets » – notre maison –, accrochez-vous, les « petits Belges » de l’Union des Progressistes Juifs sont de retour ! Hé oui, nous ne passons jamais inaperçus. Cependant, force fut de constater que notre premier séjour laissa un souvenir suffisamment sympathique pour que, et les gérants de la maison, dépassés par notre bordel ambiant, et la mairie, agacée par nos tapages nocturnes des premiers et derniers soirs, ne nous en tiennent rigueur. Accueil chaleureux, familiarité du paysage et météo radieuse... Ni une ni deux, la « colo », forte de septante-sept (!) têtes, prit possession des lieux et trouva rapidement son rythme de croisière. Le thème du camp – que nous comptions introduire en vantant les bienfaits du capitalisme vert pour le remettre en cause par la suite, questionner nos comportements consuméristes et explorer le concept de la décroissance – fut vite abandonné. En effet, les normes d’hygiènes imposées en France aux collectivités balayent tout souci écologique, toute proximité entre l’homme et la nature, offrent des repas en conserves, des condiments emballés individuellement et des
poubelles uniques pour déchets en tout genre. À cela s’ajoute un rythme effréné, où journée monitorat, grand jeu et heyk s’enchaînent. Où, à peine rentrés de heyk, les cloques encore douloureuses, moniteurs et enfants sont plongés dans un monde virtuel pensé et animé par quatre anciens monos, de trois générations différentes, venus le temps d’un week-end imposer leur dictat du « bonheur ». Les équipes rivalisent, gare aux malheureux ! Ici, seuls les bienheureux , les créatifs, auront une place – génial ! Pas le temps donc, d’adapter le thème, il faut en trouver un autre et tout naturellement ce sont les thèmes upéjibiens qui prirent le relais : rapports Nord-Sud, sans-papiers, marchandisation de la société et... filiation, liens, groupe. N’en déplaise d’ailleurs aux Bulgnévillois qui, dimanche à l’heure du goûter, ont vu défiler douze hurluberlus, déguisés en rebbe, guitare à la main, masques blancs et vêtements noirs. Leur mission : totémiser les jeunes yidn en partance pour le Birobidzhen. Surprises et supplices pour les « vermisseaux », rires et émotions pour le public, comblé devant le spectacle offert par un sachem allant de 20 à 45 ans. La suite doit encore être inventée. De nouveaux totémisés, de nouveaux départs, de nouveaux monos... L’UPJB-jeunes fait son histoire, crée son présent, assure son avenir... À la rentrée, un groupe de petits s’ouvre aux enfants de
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6 ans et les Mala , accompagnés de quelques « anciens », prennent la relève, pérennisant ainsi cette magnifique aventure pédagogique, lieu de transmission qui nous nourrit depuis tant de génération. Et pour vous présenter cette nouvelle équipe montante, qui serait mieux placé que leur monitrice... « Bzz, bzz, bonzour à tous. Avant tout, laissez-moi me présenter. Alice, fille de Mouchette, désormais Abeille. Abeille Débonnaire. Croyez-moi, ce n’est pas facile de faire respecter ce changement de nom, d’autant que mes amis ne savent pas ce que « débonnaire » veut dire. Mais ici, à l’UPJB, j’ai bon espoir et il me reste un an de monitorat pour parvenir à imposer mon nouveau nom aux groupes, à tous les groupes et pas seulement au mien. D’ailleurs, le « mien », je ne le moniterai plus. Hé oui, les Mala, mes Mala, sont assez grands pour prendre le relais. Ce groupe d’adolescents que j’ai suivis pendant trois ans, trois ans où ils m’ont menée de surprise en surprise, s’apprête à se transformer en groupe de monos, à passer de l’autre côté de la barrière, à découvrir l’envers du décor. Les questions fusent : « Qui aura quel groupe, et avec qui, et qui reste, et qui part et qui et quoi et qui … ? » Ce dont je suis sûre, c’est que Lynx Fougueux, Yvan, et moi, derniers Arna survivants chez les monos, sommes décidés à rester encore un an pour transmettre notre savoir et aider la nouvelle
équipe. Ce qui est tout aussi certain, c’est que les autres vont nous manquer mais ce qui nous rassure et nous excite, c’est la motivation et l’enthousiasme des Mala à reprendre le flambeau. Je ne sais expliquer ce qui m’a attiré, et m’attire toujours chez eux. Avant de devenir moimême monitrice, les Mala étaient déjà ceux que je voulais animer pour m’ « entraîner » lors des journées monitorat. Ils ont ainsi pu s’habituer à moi et apprendre qu’avec Abeille, on ne glande pas ! Moi aussi, je les ai découvert. Les Mala, c’est un vrai groupe, une bande de potes, arrivés à l’UPJB il y a un bon bout de temps, qui sont devenus des amis inséparables avec les années. Je ne l’invente pas, le premier jeu que je leur ai préparé, leur cri de ralliement fut « Tous ensemble, les Mala contre le roi ! » Soudés, responsables, motivés et attentifs, tant de qualités indispensables pour le rôle qu’ils assumeront dès septembre. Lorsque j’ai commencé à les moniter, ils se sentaient déjà les plus grands et refusaient que l’on se mêle de leurs histoires de groupe. Inutile de vous dire que lors des premiers conseils de groupe que nous tentions d’instaurer, les Mala étaient plutôt laconiques... Vint le moment où ce fut à eux de s’exercer à moniter. Certes tout n’était pas acquis mais ils avaient déjà – vraiment ces jeunes sont épatants – et l’ont davantage à présent, tout ce dont ils auront besoin pour assurer la suite. Imagination, créativité, sens de la transmission, conscience de l’identité upjibienne et l’énorme volonté d’apprendre pour « être à la hauteur »... Je vous le dis, une équipe d’enfer arrive et elle va décoiffer ! » ■ * Les photos seront publiées dans le prochain numéro de Points critiques
Carte de visite L’UPJB Jeunes est le mouvement de jeunesse de l’Union des progressistes juifs de Belgique. Elle organise des activités pour tous les enfants de 6 à 15 ans dans une perspective juive laïque, de gauche et diasporiste. Attachée aux valeurs de l’organisation mère, l’UPJB jeunes veille à transmettre les valeurs de solidarité, d’ouverture à l’autre, de justice sociale et de liberté, d’engagement politique et de responsabilité individuelle et collective. Chaque samedi, l’UPJB Jeunes accueille vos enfants au 61 rue de la Victoire, 1060 Bruxelles (Saint-Gilles) de 14h30 à 18h. En fonction de leur âge, ils sont répartis entre cinq groupes différents.
Bienvenus pour les enfants de 6 ans ou qui entrent en
Les 1ère primaire
Moniteurs : Shana : 0476/74.42.64 Volodia : 0497/26.98.91 Les
Janus Korczak pour les enfants de 8 à 9 ans
Moniteurs : Max : 0479/30.75.71 Mona : 0474/42.37.74 Les
Émile Zola pour les enfants de 10 à11 ans
Moniteurs : Fanny : 0474/63.76.73 Lucas : 0476/56.72.37
Les
Yvonne Jospa
pour les enfants de 12 à 13 ans
Moniteurs : Cyril : 0474/26.59.09 Ivan : 0474/35.96.77 Félicia : 0472/62.06.95 Les
Mala Zimetbaum
pour les enfants de 14 à 16 ans
Moniteurs : Alice : 0476/01.95.22 Théo : 0485/02.37.27
Informations : Noémie Schonker - noschon@yahoo.fr - 0485/37.85.24
septembre septembre2010 2010**n°308 n°308•• page 33
écouter Quel chansonnier pour l’UPJB-J ? NOÉ
J
e me rappelle de l’interdiction formelle faites aux petits de toucher à la sono. Une sono gérée de main de maître par des monos qui n’hésitaient pas à profiter des deux semaines de camp pour parfaire notre culture musicale. Ainsi, je me souviens de diverses paroles collées au mur du réfectoire de notre résidence adorée, à LouetteSaint-Pierre. Parmi elles : « L’hymne à l’amour, moi l’nœud », texte de Gainsbourg, Jacques Dutronc à la musique et en interprète ; ou « Mama Sam » de –M- (Chédid junior). L’ironie de la première m’avait été expliquée par un plus grand. Quant à la deuxième, elle fait toujours partie de notre répertoire. Un répertoire qui a, aujourd’hui, du mal à s’étoffer et à susciter l’enthousiasme lors des soirées chant, jadis autour d’un feu. En effet, même si, depuis quelque temps, nous sommes plusieurs guitares à proposer nos services lors des veillées, la discipline de se mettre en cercle afin que les uns ne sabotent pas les envies de chanter des autres me paraît de plus en plus factice. Et si l’impatience des plus jeunes est légitime, celle des plus âgés traduirait comme un désintérêt pour la tradition du chant à l’UPJB. Trépigner pendant « Le chant des marais » ou « Le galérien » exprimerait-il une dévalo-
risation de chants dont, naguère, personne n’aurait osé se montrer lassé ? Mais est-il encore indispensable de ressortir toujours les mêmes rengaines, si on n’en explique pas les significations ? Pour actualiser notre répertoire, faut-il pour autant négliger les hymnes de lutte d’antan ? Dans ce cas, ne serait-ce pas alors tendre à l’amnésie ? Alors qu’en restant fidèle à notre patrimoine musical, nous pouvons retrouver une histoire commune. En se souvenant des dernières chansons de camp, on peut toujours voir cet engouement pour
Photo Ariane
l’éloquence engagée. Mais sans explication de textes, mot à mot, que vaut-elle, cette initiation débordant de références politiques, à l’âge de six ans ? C’était il y a quelques années, nos monos nous obligeaient à analyser « Vert de colère » de Pierre Perret. Sur le moment, ça nous ennuyait. Maintenant, nous en
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sommes satisfaits. Idem pour « Les temps changent », d’Hugues Aufray. Chanson que l’on connaît encore par cœur. Nous devions, avant et après chaque repas, nous disposer autour des panneaux recouverts des paroles. Mais quels airs introduire, exclure, réinclure durant les camps ? Certains diront qu’il faut vivre avec son époque sans regarder toujours dans le rétroviseur, que ce problème n’en est pas un, et qu’il n’y a pas matière à polémiquer. D’autres penseront que l’UPJB n’est en rien responsable de la popularité des IPods et autres lecteurs Mp3. De plus, il y a encore quelques années, c’étaient les plus âgés qui possédaient les supports nécessaires à un large panel de genres musicaux. Étant donné qu’aujourd’hui, certains petits ont, eux aussi, de quoi écouter, une certaine opportunité d’offrir à leurs ouïes des mélodies à leurs goûts leur est laissée. Sauf qu’un des rôles et une particularité de notre colonie de vacances est justement de nous éloigner de notre quotidien, tout en nous inculquant des valeurs à mettre en pratique tous les jours. Par exemple, celle de la collectivité. Comment mêler support individuel et pratique collective ? Faut-il garder les deux ? Supprimer l’un frustrerait l’enfant qui
Rosine Lewin 1920-2010 Née à Anvers le 27 décembre 1920, Rosine Lewin est décédée au mois de juillet dernier. Engagée dans le mouvement communiste, elle a assumé les fonctions de rédactrice en chef du Drapeau Rouge, l’organe de presse du Parti communiste belge, ainsi que des Cahiers Marxistes, une revue fondée en 1969, dans l’orbite de l’Université libre de Bruxelles. Elle a également collaboré à des revues ou des publications comme Le Monde diplomatique ou Politique. Rosine Lewin était aussi une militante féministe, auteure de nombreux ouvrages et publications sur des thèmes sociaux mais également sur l’histoire de la Belgique contemporaine. Nous la croisions régulièrement dans les locaux de l’UPJB ou dans les manifestations en faveur des sans papiers. Nos affectueuses pensées vont à Jacques Aron, son neveu, qui la considérait comme sa seconde mère après qu’elle l’eut recueilli et élevé après l’assassinat de sa maman à Auschwitz.
ne veut pas faillir à ses habitudes. Supprimer l’autre nous éloignerait d’une coutume de longue date.
Photo gépé
Personne ne peut empêcher un petit comme un plus grand de prêter l’oreille à ce qui lui plaît, et un mono prônant le boycott absolu de la musique dite commerciale serait le seul à interpréter son choix comme une protection contre les airs ambiants qu’il aurait jugés non convenable à l’UPJB. Prenez cette chronique com-
me l’interrogation d’un nouveau mono, adoubé dès le mois de septembre, qui essaye de trouver les manières adéquates pour transmettre l’histoire « upjbienne », faite aussi de chansons. Lors d’un camp qui a pour thème « La décroissance » (été 2010), estce justifié de danser sur le dernier hit de Shakira ou des Black eyed peas ? Tourner ça en sarcasme me semblerait trop facile et ne serait pas compris par tous. En 1950, ils avaient « Bella Ciao » et « La semaine sanglante ». En 1970, ils avaient « Ah, le joli mois de mai à Paris ». Et nous en, 2010, qu’est-ce qui, d’actuel, nous symboliserait ? De ce point de vue, « Des p’tits sous » de Damien Saez, chanson de notre dernier camp, me paraît être dans la continuité de ce qui précède. ■
est le mensuel de l’Union des progressistes juifs de Belgique (ne paraît pas en juillet et en août) L’UPJB est membre de la Fédération des Juifs européens pour une paix juste (www.ejjp.org) et est soutenue par la Communauté française (Service de l’éducation permanente) Secrétariat et rédaction : rue de la Victoire 61 B-1060 Bruxelles tél + 32 2 537 82 45 fax + 32 2 534 66 96 courriel upjb2@skynet.be www.upjb.be Comité de rédaction : Henri Wajnblum (rédacteur en chef), Alain Mihály (secrétaire de rédaction), Anne Gielczyk, Carine Bratzlavsky, Jacques Aron, Willy Estersohn, Tessa Parzenczewski Ont également collaboré à ce numéro : Esther Benbassa Roland Baumann Anne Grauwels Léon Liebmann Noé Gérard Preszow Noémie Schonker Laurence Schram Herman Van Goethem Conception de la maquette Henri Goldman Seuls les éditoriaux engagent l’UPJB. Abonnement annuel 18 EURO Abonnement de soutien 30 EURO Devenir membre de l’UPJB Les membres de l’UPJB reçoivent automatiquement le mensuel. Pour s’affilier: établir un ordre permanent à l’ordre de l’UPJB (CCP 000-0743528-23). Montant minimal mensuel: 10 EURO pour un isolé, 15 EURO pour un couple. Ces montants sont réduits de moitié pour les personnes disposant de bas revenus.
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agenda UPJB Sauf indication contraire, toutes les activités annoncées se déroulent au local de l’UPJB, 61 rue de la Victoire à 1060 Bruxelles (Saint-Gilles)
vendredi 17 septembre à 20h
Soirée d’hommage hommage bruxelloise à Jean Ferrat à la Maison du Peuple de Saint-Gilles (voir page 29)
vendredi 24 septembre à 20h15
Conférence-débat Conférence-d ébat avec Jean-Christophe Jean-Chr Attias, directeur d’études à l’École Pratique des Hautes Études autour autour de son livre : Penser le judaïsme (voir page 30)
samedi 25 septembre à partir de 12h
Journée de rentrée – Roch Hachana. Spectacle à 20h30 (voir page 30)
vendredi 15 octobre à 20h15
Politiques de santé internationales ou commerce ? Conférence-débat avec Jean-Pierre Unger, professeur de santé publique à l’Institut de Médecine tropicale d’Anvers (voir page 31)
vendredi 22 octobre à 20h15
Identités multiples des Juifs marocains avant et après la création de l’État d’Israël. Conférence-débat avec Paul Dahan, psychanalyste et fondateur du Centre de la culture judéo-marocaine à Bruxelles (voir page 31)
club Sholem Aleichem Sauf indication contraire, les activités du club Sholem Aleichem se déroulent au local de l’UPJB tous les jeudi à 15h (Ouverture des portes à 14h30)
Éditeur responsable : Henri Wajnblum / rue de la victoire 61 / B-1060 Bruxelles
jeudi 16 septembre
« Le corps, l’approche de l’ostéopathie » par Frédéric Aron, kinésithérapeute certifié en ostéopathie
jeudi 23 septembre
« Une expérience de la solidarité avec les Bédouins du Neguev » par Marco Abramowicz, psychothérapeute. La conférence sera précédée par la présentation d’un film tourné sur le terrain
jeudi 30 septembre
Actualité du Proche-Orient » par Henri Wajnblum
et aussi dimanche 5 septembre de 11 à 17h
Journée européenne de la culture juive. L’art et le judaïsme. Au Musée Juif de Belgique, rue des Minimes 21 à 1000 Bruxelles - 02.512.19.63 - www.museejuif.be
dimanche 12 septembre à 10h30
Journée du Martyr Juif. 54e Pélerinage National à la Caserne Dossin à Malines. Rue G. de Stassart 153 à 2800 Malines. Des cars partiront à 9h30 précises place Rouppe à Bruxelles et Loosplaats à Anvers (voir page 29) Les agendas sont également en ligne sur le site www.upjb.be