Mémoire fin d'étude - Régénération urbaine autour des friches ferroviaires

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les

jardins d’eole enjeux patrimoniaux face a la regeneration urbaine

S o u s l a d i r e c t i o n d e fa n n y lo p e z EN S A S 2 0 1 6 - V ALENTIN K OTTELAT - M A S TER 2



Remerciements Fanny Lopez : directrice de mémoire. La mairie du XVIIIème arrondissement de Paris, et notamment : Daniel Vaillant - député, maire du XVIIIème et anciennement ministre de l’intérieur. Rodrigue Zampasi-Bau - chargé de mission en urbanisme. La SNCF et notamment : Denys Dartigues, ancien directeur du cabinet de la SNCF (1994-1996), ingénieur civil des mines, et licencié en sciences économiques.

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avant propos


« Est-ce qu’on peut décrire bien un paysage si on ne le parcourt pas de haut en bas – de la terre jusqu’au ciel et du ciel jusqu’à la terre, aller-retour ? »1 J’aimerais avant toute chose introduire ce mémoire par ma rencontre avec le sujet. Ou plutôt avec un site. Appelé jardins d’éole, ou cours du Maroc, j’ai eu l’occasion de découvrir ce parc un peu par hasard. Déambulant dans le Nord Est Parisien, je passais un pont enjambant des voies ferrées. Me retrouvant juste après face à un grand espace dégagé longeant la voie ferrée, à perte de vue. Pris entre le train et des façades dans un rythme ininterrompu. p6

Ce grand dégagement au coeur de la ville n’avait rien d’un parc. Ce n’était pas totalement une friche non plus. En passant la passerelle qui surplombait ce vide et longeait la voie de chemin de fer, je pouvais observer des gamins jouer au basket entre quatre murs de béton. Plus loin, des cheminements, rectilignes, disparaissaient en ligne droite dans l’horizon. Ce grand espace semblait répondre par un effet de miroir inversé et décomposé aux rails métalliques qui le bordaient. Il plongeait presque naturellement dans la nappe métallique. Une sorte de compromis de coexistence. Dès lors, je ne savais plus vraiment si il s’agissait d’un projet de parc encore en chantier. Il semblait qu’ici, et plus qu’ailleurs, on avait voulu faire, de la friche, du fragment, un art. J’avais, à ce moment là, une citation qui me venait en tête...


«A l’image de Smithson, les habitants du quartier avaient déjà récupéré ce non lieu comme espace du tout possible. Ce qui était perçu comme une négation du territoire et de la ville, devient le seul réservoir de vie. Parce que libre ? Parce que délaissé par le pouvoir ? Ce nouveau programme si on peut l’appeler ainsi est à la fois la réanimation du voyage et l’emprise du territoire et la mise en valeur de ces différents paysages. Toutes les réponses seraient elles présentes dans l’infrastructure en ruine ? Si on parle de paysage, a t-il muté ? A t-il été réinterprété ? Reconquis et battu ?»2

GODARD J-L, dans Space Is Only Noise de l’artiste Nicolas Jaar MAROT S. L’art de la mémoire, le territoire et l’architecture, Editions de la Villette, Paris, 2010

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introduction


regeneration Dans une politique de réappropriation des friches industrielles, est crée en 1997, dans le 18ème arrondissement de Paris, l’association des jardins d’Eole. Cette association a pour objectif de récupérer un ancien terrain de la SNCF, la cour du Maroc, qui servait autrefois de plateforme de distribution, pour en faire un jardin. Ce site est à l’image de bien d’autres «friches» industrielles qui ont subi la désindustrialisation, et leur localisation maintenant centrale en font des cibles pour re-dynamiser des quartiers entiers. Cependant, il se dégage de ce projet un paradigme singulier dans son dialogue avec l’infrastructure ferroviaire, avec le substrat mémoriel du site. p10

Si ces lieux inaccessibles de la ville étaient pour la plupart dans la périphérie, ils se retrouvent dans bien des cas, au centre des villes qui se sont étalées. Bien souvent perçues comme des constructions à l’esthétique ingrate, véhiculant une image négative, il n’en a pourtant pas toujours été le cas. Les années 80 marquent un renouveau du projet urbain par le paysage, une projection plus vivante et moins figée3. Les préoccupations environnementales et la densification urbaine amènent à questionner l’existence de cette typologie issue de l’ingénieurerie. Les jardins d’Eole sont l’image de ces questions que pose l’infrastructure. Ces espaces semblent être des lieux pour les habitants ou pouvoirs publics pour affirmer un nouveau paradigme de la ville. Que ce soit dans la conservation ou la destruction de ces friches, il y a une vision de la ville de demain. Une vision de la ville verte par le verdissement de l’infrastructure comme dans le cas des jardins d’Eole, le paradigme de la ville dense comme

l’exemple de Paris Rive Gauche. Ce n’est donc pas seulement les habitants mais aussi les pouvoirs publics qui contribuent à ce changement de paradigme de la ville, la création de la RFF sera notre exemple :

«On ne vend pas des friches ferroviaires, on vend des terrains à construire»4. C’est la réponse d’Anne Florette, directrice du patrimoine de réseau ferré de France (RFF), à la question du devenir des friches ferroviaires. Le processus de patrimonialisation prend, depuis 1997 avec la création de la RFF, un tournant majeur dans la régénération urbaine des friches ferroviaires. Cette perspective qui vise à urbaniser, densifier, ces respirations ou fractures de la ville que représentent les friches ferroviaires vient questionner le devenir de la ville, ainsi que son histoire. Cet espace aujourd’hui remis en question, ou tout du moins, en pleine mutation, nous rappelle l’importance de l’infrastructure dans la fabrication de la ville. On est face dans le cadre des jardins d’Eole, à une connexion avec le réseau ferré. C’est là tout l’enjeu et la spécificité des friches ferroviaires, c’est qu’elles sont en lien avec un réseau ferré et viaire. Elles peuvent être une interface entre ces deux moyens de transports. 3 MAROT S. Conversations publiques, interview de Claude Eveno, CAUE 92, Juin 2014. Disponible en ligne : https://www.youtube.com/watch?v=KkEXoK46s30 4 GIRAUD H, «Les friches ferroviaires très convoitées», in Les échos, Mars 2006 (consulté le 24 février 2015),. Disponible sur internet : < http://www.lesechos. fr/31/03/2006/LesEchos/19638-148-ECH_les-frichesferroviaires-tres-convoitees.htm >


urbaine Ce lien avec le réseau ferré participe d’un imaginaire qui a aussi modelé des quartiers, et des représentations de la ville5. L’infrastructure ferroviaire constitue un enjeu pour la ville, qu’elle soit potentiel de projet ou pas, de par sa grande dimension, et de par sa position géographique et stratégique. Nous sommes face à la question du territoire, et il semblerait que ces lieux que nous étudions, dans un paysage, ambiguë, frontière, sont un lieu de rencontre entre la micro échelle du quartier, singulière, spécifique, et la macro-échelle du réseau national qui constitue en lui même un non lieu6. Très paradoxal, car c’est ce même réseau qui a bien souvent donné la singularité à ces quartiers. Au delà de la simple nécessité immobilière, on y voit une ressource originale, et plus simplement un moyen peut être libre de la fabrication de la ville. Un tissu lâche qui devient de plus en plus rigide avec l’apparition de ces grands projets immobiliers. Ce que nous explique Dominique Rouillard, et qui fait écho à ce que l’on a dit précédemment, c’est que nous sommes maintenant rentrés dans le domaine de la compétitivité entre les villes, «passant d’un modèle territorial à un modèle de distance de temps, d’attraction et d’intégration»7. Le réseau devient donc englobant, total. Il est pourtant inconcevable de projeter une idée de la ville sans un regard aiguisé sur le contexte déjà présent, sur son paysage8.

Le paysage ferroviaire. Mémoire et patrimoine Actes de la journée scientifique organisée par l’AHICF 6 SMITHSON R, Unpublished Writings in Robert Smithson: The Collected Writings, edited by Jack Flam, published University of California Press, Berkeley, California, 2nd Edition 1996 7 ROUILLARD (Dominique) (dir.), Imaginaires d’infrastructure, Paris, p64 l’Harmattan, 2009 8 «Après deux siècles pendant lesquels la gestion du territoire n’a guère connu d’autre recette que la tabula rasa, une conception de l’aménagement s’est donc esquissée, qui le considère non plus comme un champ opératoire quasi abstrait, mais comme le résultat d’une très longue et très lente stratification qu’il importe de connaître pour intervenir.» CORBOZ A, Le Territoire comme palimpseste et autres essais, Les éditions de l’imprimeur, 2001 5

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problematique p12

Nous sommes donc amenés à confronter les jardins d’Eole à ces questions de récupération. D’analyser comment les friches ferroviaires, et plus particulièrement celle-ci, participent à une volonté de changer l’image de la ville. Nous posons donc l’hypothèse ici que la goutte d’eau que représentent les jardins d’Eole dans cet océan projectuel du grand Paris ne se limite pas à la figure du jardin mais bien à un mode d’habiter l’infrastructure. Pourquoi et comment notre relation à l’infrastructure ferroviaire a changé ? Comment les jardins d’Eole préfigurent notre nouvelle manière d’habiter l’infrastructure ?


hypotheses Nous faisons l’hypothèse que les jardins d’Eole permettent d’analyser les mécanismes de réappropriation des friches ferroviaires, de leur importance dans la régénération de la ville. Nous faisons aussi l’hypothèse que le verdissement de l’infrastructure permet aujourd’hui, soit de laisser un site comme un réservoir des possibles, ou quand bien même l’infrastructure est présente, la rendre « accessible », pour économiser un foncier en manque.

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etat du savoir p14

S’il existe actuellement des écrits sur les jardins d’Eole, ils se focalisent avant tout sur la dimension sociale9 et paysagère10. Des analyses qui s’intéressent donc avant tout à la question de la lutte, de la participation citoyenne, et du processus de projet. La dimension d’appropriation de ce lieu en attente est un point important de ce mémoire. Mais il se différencie des écrits évoqués par le lien très fort que nous tenterons de constituer avec les recherches sur l’infrastructure. Tisser un lien entre la problématique de régénération urbaine et les singularités de ce site. Le projet des jardins d’Eole est explicité plus en détail par Michel Corajoud dans une conférence réalisée au Pavillon de l’Arsenal11, ainsi nous pourrons nous appuyer sur ses théories pour comprendre le « nouveau » rapport qu’établit le paysage avec l’infrastructure ferroviaire. On retrouve aussi de nombreuses données sur le site internet de l’association des jardins d’Eole12. Parler de la transformation d’un patrimoine nous amène à nous rapprocher de la patrimonialisation et des analyses de Vincent Veschambre13 sur les outils mis en jeu dans la réappropriation de sites aussi stratégiques que le réseau ferré. Des mécaniques de pou-

voir qui s’appliquent, et l’origine symbolique de la conservation ou de l’oubli des traces. Cela nous amène bien évidemment à rentrer en correspondance avec la question de la régénération urbaine en général, à savoir, dans le grand Paris, avec des opérations plus grandes que sont, les Batignolles14 ou Paris Rive Gauche15, analysées dans des écrits tels que Infraville. Les écrits du laboratoire du LIAT nous amènent à comprendre dans un contexte plus global les manières dont la politique influe aujourd’hui sur la réappropriation des sites ferroviaires ou routiers, des réseaux en général. RENAUD Y. et TONNELAT S. La maîtrise d’oeuvre sociologique des Jardins d’Éole, Comment construire une gestion publique ?, Les annales de la recherche urbaine n°105, octobre 2008 10 CABOT J et SEREMET M, Étude de cas concrets Michel Corajoud & les jardins d’Eole, Master complémentaire en urbanisme et aménagement du territoire, 01/05/2011 11 CORAJOUD M. Conférence pour le pavillon de l’arsenal en juin 2007, intitulée, Paysages. Disponible en ligne: http://www.pavillon-arsenal.com/videosenligne/ collection-6-109.php 12 Site internet de l’association des Jardins d’Eole : http:// kelkit.perso.neuf.fr 13 VESCHAMBRE V. Traces et mémoires urbaines, enjeux sociaux de la patrimonialisation et de la démolition Presses universitaires de Rennes. 2008. 14 BOWIE, K., « L’Opération Clichy-Batignolles à Paris : quelle place pour le patrimoine industriel et ferroviaire ? », L’Archéologie Industrielle en France n°60, juin 2012, pp. 123-127. 15 ROUILLARD (Dominique) (dir.), L’infraville : Futurs des infrastructures, Archibooks, 2012 16 ROUILLARD (Dominique) (dir.), Imaginaires d’infrastructure, Paris, l’Harmattan, 2009 9


Nous retrouvons par la même occasion dans Imaginaires d’Infrastructure16 une analyse fine des grands projets urbains autour des réseaux qui questionnent le rapport au territoire tel que le projet de Manuel de Sola à Barcelone. Dans un troisième temps, nous nous intéresserons plus spécifiquement à l’interrogation du verdissement de l’infrastructure et de l’introduction du paysage à la question de l’infrastructure. Et nous invoquerons les écrits de Pierre Belanger notamment sur le « landscape infrastructure »17, comme nouvel outil pour penser les réseaux, et la ville productive. Tentant de rétablir le lien entre le réseau et l’habiter, ou le territoire, ces enjeux ouvrent la voie à des écrits comme Objets Risqués 18 de Inès Lamunière pour le laboratoire de LAMU, où l’infrastructure devient le support d’un habiter, un cadre permettant de créer de la ville à partir de ce qui n’était qu’autrefois, uniquement monofonctionnel et réservé aux ingénieurs. L’ensemble de ces éléments nous servira à comprendre le projet des jardins d’Eole, sa position dans l’ensemble de l’histoire de la régénération autour de l’infrastructure, non pas seulement ferré. Ainsi nous comprendrons la mutation et l’évolution autour de ce patrimoine, qui a longtemps été délaissé. BELANGER P. Landscape Infrastructure: Urbanism beyond Engineering, Article en ligne. 2012. Disponible sur internet: < http://www.academia.edu/7642504/2012_ Landscape_Infrastructure_Urbanism_beyond_ Engineering> 18 LAMNUNIERE I. (dir.), Objets risqués, le pari des infrastructures intégratives, 1ere édition, Lausanne, 2015 17

Methodologie Nous décidons dans ce mémoire d’utiliser des recherches énoncées dans l’état du savoir, c’est à dire, les réflexions sur le paysage et l’infrastructure au regard de la régénération urbaine. Cette méthode d’analyse et ces comparaisons nous serviront à décrire et décrypter les enjeux de ce site. La rencontre avec Daniel Vaillant18, maire de la mairie du XVIIIème arrondissement de Paris et initiateur du projet des jardins d’Eole nous apportera aussi des précisions pour comprendre la génèse d’un tel projet, et sa singularité dans Paris. De la même manière les correspondances entretenues avec Denys Dartigues19, ancien directeur du cabinet de la SNCF et qui a suivi de près le projet des Jardins d’Eole nous aidera à comprendre de manière plus précise les mécaniques qui se sont jouées pour la réappropriation de ce site, et ainsi faire l’archéologie de la Cour du Maroc. Les archives de Paris nous ont permis aussi de redessiner les mutations successives (les documents originaux sont placés en annexes, les annexes seront annotées par une lettre : A par exemple). Ainsi ce propos se déroule en un croisement de plusieurs acteurs de l’infrastructure : entre les politiques, les chercheurs, et les architectes ou urbanistes (qui apportent un regard concret sur les positions adoptées par rapport au ferroviaire). 18 Entretien réalisé en octobre 2015 à la mairie du XVIIIème arrondissement de Paris 19 Entretien réalisé en octobre 2015 par téléphone ainsi que des correspondance par e-mail

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plan p16

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1// 1849-1997 : Réseau et logistique urbaine P 22

1// Le projet des jardins d’Eole, présentation d’un projet suburbain. P 44

2// 1997-2003 : De la cour du Maroc aux jardins d’Eole P 34

2// Le processus de patrimonialisation : les enjeux de la reconversion P 50

archeles ologie d’un jardins sla icourt edu ma ro c dun ’projet e o ld’ienfrastructure ?


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une conclui n f r a s t r u c - sion ture P 74

dans le paysage

1// Les outils de la régénération urbaine, fabrication d’un métabolis P 58 2// Landscape infrastructure, le nouveau paradigme de la ville dense. Ou comment l’architecte s’est réapproprié l’outil technique et technologique. P 68

Annexes P 78

Bibliographie P 104

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frise chronL e so jla rod ign si dq’ euo lee 20

1840

Premier centre d’industries et d’entrepots de la region parisienne p18

1993, Mars : Campagne electorale pour les elections legislatives de la 19eme circonscription. Segolene Royal Ministre de l’environnement et des elus locaux, plante symboliquement un arbre sur le site marquant leur volonte de creer un espace ludique sur ce site.

1990

desafection du site par la sncf

1997

Installation d’une entreprise specialisee dans le traitement de dechets du BTP


2001, Septembre : avis du Conseil de Paris : La Cour du Maroc doit devenir un espace vert le plus grand possible. Voeu adopte a l’unanimite. Constitution d’un groupe de travail avec conclusions dans un delai de 3 mois. Decembre: acceptation du projet par les associations

2000, Septembre : Avis favorable de la mairie du 18ieme au permis de construire de la SNCF pour une extension avec des entrepots. Recours juridique immediat de l’association des jardins d’aole au permis de construire de la SNCF qui bloque le projet.

1999

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depart de la societe de BTP

2001

Friche qui commence a revivre grace a des nouveaux occupants ephemeres cirques) et a la vie de quartier (repas et fetes de quartier) 1997, Mai : Naissance de l’association les jardins d’eole grace a l’initiative de plusieurs habitants et parents d’eleves du quartier.

20 CABOT J et SEREMET M, Étude de cas concrets Michel Corajoud & les jardins d’Eole, Master complémentaire en urbanisme et aménagement du territoire, 01/05/2011


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1 arche ologie d’un site la cour du maroc


1849-1997 reseau et logistique urbaine l’age d’or d’un reseau

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La question fondamentale de l’urbanisme depuis ses débuts est la gestion des réseaux. Que ce soit avec l’apparition du train dans les villes européenes comme américaines au XIXème siècle, ou l’arrivée de la voiture dans les années 1920, cette ville réseau transforme le peu d’espace qu’elle a en portions de mobilités. Eugène Henard est un exemple, rationalisant les flux, prévoyant les déplacements futurs. L’infrastructure ferroviaire est quant à elle la tête de proue des St Simoniens21. La résultante de l’émancipation progressiste d’une societé rêvant la technologie. Inutile de dire que s’ils n’ont pas directement participé à la construction de ces grands projets d’infrastructure, ils sont l’exemple d’un imaginaire collectif florissant. « L’aventure saint-simonienne pourrait bien constituer l’une des meilleures introductions à la saisie de ce mélange d’églises et d’usines, de machines à vapeur et de tables tournantes au sein duquel s’est décidé le sort de la civilisation industrielle naissante » 22 Lorsque qu’Antoine Picon avance cela, c’est avant tout pour mettre l’accent sur le fait que la technique était vue, non pas seulement

comme d’utilité fonctionnelle, mais aussi spirituelle. C’est à dire que cette pensée révèle un phénomène de société en regard de l’infrastructure. Qui bien au dela de rendre service, permet l’unité technique, l’unité sociale. Car c’est aussi le siècle de l’arrivée des réseaux d’eau, de gaz, etc. La ville devient un corps humain, composée de vaisseaux, d’une grille-territoire permettant de transcender l’homme pré-industriel. Ce sont de vastes chantiers qui débutent en 1832 dans la capitale française : un réseau étendu innervant la ville avec l’extérieur, et une ceinture ferroviaire autour de la ville permettant d’acheminer les diverses marchandises dans plusieurs points de la ville (1852 avec l’exemple de la petite ceinture de Paris)23. Ces structures définissent un nouvel angle d’appréhension du territoire, où les villes sont maintenant mises en réseau, plus que jamais. PICON A. Les saint-simoniens. Raison, imaginaire et utopie, Paris, Belin, 22 Ibid P302 23 LAMMING C. Paris ferroviaire : gares, lignes oubliées, trains célèbres, curiosités, dépôts, matériels, Paris, Parigramme, 1999. 21


Elles correspondent à une rationalisation de la pensée de la ville, à son optimisation dans les déplacements et dans le temps, à une heure où l’éxode rural pousse les politiques urbaines à de grands tracés régulateurs. On pensera bien entendu à Haussmann24, qui est la figure du renouvellement de Paris au XIXème. Paris s’organise donc dans son métabolisme urbain depuis la révolution industrielle grace au transport ferroviaire permettant une meilleure gestion des marchandises arrivant dans les gares ou à l’extérieur de la ville. Le meilleur exemple très fortement médiatisé est celui de la petite ceinture, qui mobilise aujourd’hui de nombreuses associations et urbanistes(annexe) A. Ces différentes lignes à travers la ville étaient organisées autour de points ; des dépôts permettant de distribuer les marchandises. Ainsi on retrouve dans Paris bon nombre de ces plateformes qui continuent pour certaines à perdurer encore aujourd’hui.

UN P A T R I M OINE EN DECLIN Si nous parlions jusque là de la première révolution industrielle, la seconde, qui débute dans la première moitié du XXème siècle, oppose le réseau ferré à un nouveau mode de transport : la voiture. L’arrivée du moteur à explosion ré-agence les modalités de déplacement, passant d’un modèle inflexible (réseau ferré) à un modèle beaucoup plus libre qui est celui du réseau routier, qui va devenir le modèle de liberté par excellence. Un réseau beaucoup plus flexible qui va

concurrencer le ferré. Malgré l’électrification dans les années 70, le transport de biens et de personnes devient de plus en plus aisé grâce notamment à la création d’infrastructures sur l’ensemble du territoire. Ajoutons à cela le développement très important du réseau métropolitain (métro) et du RER. Ces lignes qui s’étirent toujours plus loin sur le territoire de la capitale, prennent le pas sur les petites désertes autrefois assurées par les trains de région (TER). La suppression en grand nombre des petites désertes a donc un impact fort sur les entreprises réalisant du groupage. Même chose pour une institution comme La Poste, qui perd chaque année 7% de son activité ferrée25.

ZOOM SUR LA COUR DU MAROC La cour du Maroc est située à la limite entre le 18eme et le 19eme arrondissement de Paris, sur la rue d’Aubervilliers, limite physique des deux arrondissements. Ce site depuis la création du premier entrepôt de stockage et maintenance ferroviaire en 1849, est directement assigné à un rôle ferroviaire. Dans l’arrondissement le plus dense de Paris, il connait lui aussi le déclin très fort du ferré en France. Nous proposons donc de tenter de faire une archéologie de ce site au travers de différentes sources : archives, interviews d’élus et de responsables de la SNCF. 24 BENJAMIN W. Paris, capitale du XIXème siècle, Paris, Allia. 25 Entretien avec Denys Dartigues

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Cette cour est historiquement un terrain appartenant à la SNCF, d’une emprise de 40 000m2, il voit au fil du XXème siècle la densification des quartiers la bordant. En face de la voie ferrée se trouve ce que l’on appelle aujourd’hui la halle Pajol, anciens entrepôts de la SNCF utilisés par une entreprise pour livrer et distribuer des journaux. C’est donc là la spécificité de ces terrains qui bordent les voies du réseau ferroviaire, ils sont bien entendu propriété de la SNCF, mais avant tout des locaux utilisés par des entreprises pour, dans la plupart des cas, réaliser du groupage et dégroupage de marchandises. La cour du Maroc est un emblème puisqu’elle est le premier terrain à réaliser ce type d’activités à Paris. Elle est dès la fin du XIXème, un point stratégique pour alimenter Paris, à l’image des grandes halles de la Villette26. Au cours du XXème siècle, de nombreuses entreprises louent à la SNCF des hangars pour réaliser du transport de fret à la cour du Maroc. Au 104 et 105 de la rue d’Aubervilliers, scindé par la rue Riquet. On retrouve une entreprise de verrerie, le bien connu fabriquant de bière Jupiler ainsi qu’un distributeur qui va marquer l’histoire de ce site : l’entreprise Tafanel27. Tafanel est créé en 1932 et s’installe en 1963 au 105 de la rue d’Aubervilliers (cour du Maroc). C’est un distributeur de boisson qui livre quelque 6 000 restaurants et hôtels sur la région parisienne. A partir des années 1970, l’utilisation du fret ferroviaire devient de plus en plus complexe, de plus en plus inadapté face au transport routier, ce dernier étant beaucoup plus flexible. Malgré cela, l’entreprise Tafanel conserve son activité avec l’utilisation du réseau ferré, tout comme la verrerie. Fret ferroviaire français : la nouvelle bataille du rail. Rapport public. Disponible en ligne : http://www. ladocumentationfrancaise.fr/var/storage/rapports-publics/034000114.pdf 27 Entretien avec Denys Dartigues 26

cartes


COUR DU MAROC

Gare du NORD Gare de l’Est

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HALLE PAJOL COUR DU MAROC

Gare du NORD

Gare de l’Est


chronologie G F E D

C B A

Avant 1960B :

Série de halles numérotées de A à G.

Carte redessinée à partir des archives de Paris

du site


1960C :

Destruction dans un incendie des halles «D» et «E» en Mai 1960 Construction d’un hall en charpente metallique en Aout 1960 Carte redessinée à partir des archives de Paris


1961D :

Construction d’un entrepôt de 93 mètres de long. Carte redessinée à partir des archives de Paris


1962E :

Construction d’une annexe pour une halle existante. Mise en place de l’arrivée d’une nouvelle ligne avec quai de déchargement Carte redessinée à partir des archives de Paris


COUR DU MAROC deviendra la base travaux avec le RER Eole

1985F :

En plusieurs dizaines d’années, le site a fortement muté. L’entrepôt A est loué par l’entreprise qui demande à la SNCF de déposer un permis de construire pour réaliser une extension de ce dernier. Les anciennes halles ont toutes été remplacées par de grands entrepôts le long des voies. Carte redessinée à partir des archives de Paris


1992 : les travaux du RER Eole) 1992 est une date clé pour la cour du Maroc, en effet, la ville de Paris, avec la SNCF, lance la construction de la ligne de RER E28, intitulée Eole. Cette ligne a pour vocation de relier l’Est parisien jusqu’à l’Ouest. Le but est de favoriser l’échange entre le centre et la banlieue. Déclarée d’utilité publique en 1991, cette ligne permettra de développer les activités tertiaires à la périphérie de la ville; une manière d’éviter la saturation du centre ville. De Chelles-Gournay à Mantes-la-Jolie, la ligne traversera le centre de la capitale en passant par Magenta (gare du Nord), cette nouvelle ligne suit le tracé du faisceau de la gare de l’Est. La densité du centre parisien oblige la SNCF à suspendre les activités de la cour du Maroc pour installer une « base travaux » où sera stocké le tunnelier. Les entreprises installées sur le site s’en vont et laissent donc place à l’immense chantier du RER. Ce n’est pourtant pas, selon la SNCF, une situation durable, mais bien une situation temporaire, cette dernière prévoyant déjà le retour des entreprises sur le site. La base travaux n’occupant pas l’entièreté du site, une petite partie située sur la cour du Maroc reste vide, en friche si l’on peut dire. 1992 toujours, Daniel Vaillant, en pleine préparation pour les élections législatives de 1993, en passant sur le pont Riquet à pied, a l’idée de réutiliser ce qu’il voyait comme un terrain en friche pour créer ce qu’il commencera à appeler les jardins du train29. Avec l’aide d’un urbaniste et d’un dessinateur, il fera faire

une esquisse de ce projet(annexe G) qui fera partie intégrante de sa campagne électorale. Un projet vu comme un moyen de changer le quotidien des habitants, coincés entre le train et l’industrie. Ajoutons à cela que la direction de l’urbanisme a déjà à cette époque là des projets de rachat de ces terrains de la SNCF pour en faire du logement, que ce soit sur la cour du Maroc ou à la place des anciennes messageries.

un grand projet pour le 18eme ? « Je passais sur le pont Riquet à pied avec mon équipe, pour me rendre dans le XIXème, et je me dis, ces espaces, avec la cour du Maroc, ça appartient bien à la SNCF, dans l’état où ils se trouvent.. Et si on y faisait des jardins. Le lendemain, un vendredi, je vais à l’assemblée nationale et je dis à mon équipe : « on lance les jardins du train, de part et d’autre des voies de chemins de fer. » J’imaginais alors un parc style la Courneuve. On fait un espace vert avec une passerelle qui permettra de passer d’un côté à l’autre. »30 Le dix huitième arrondissement de Paris, au delà d’être un des arrondissements les plus denses, a bien souvent souffert d’une image de zone de violence et de trafic en tout genre. Les politiques de rénovations urbaines engagées par la création de l’ANRU Données sur le RER Eole. Disponible en ligne : http:// www.rer-eole.fr 29 Entretiens avec Daniel Vaillant 30 Ibid 28

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tentent d’apporter des solutions urbanistiques dans des zones sensibles. Le 18ème bénéficie depuis une bonne dizaine d’années de nombreux réaménagements ou ré investissements de terrains. Que ce soit par des destructions, ou des réappropriations de « dents-creuses », les projets (majoritairement de logements) se multiplient. Pour un quartier qui fut très ouvrier autre fois, notamment par la présence de très nombreux cheminots qui dépendaient de la gare de l’Est ou la gare du Nord, le nombre d’anciennes maisons ouvrières, et même les industries, représentaient un nombre important, une emprise au sol non négligeable pour ces quartiers si denses31. Dans le cadre de la rénovation urbaine, c’est bien souvent les friches, et les lieux de productions qui sont pris d’assaut. Il n’y a pas de limite de densité, et dans une politique urbaine qui tente d’endiguer l’étalement urbain, les friches représentent des réservoirs pour fabriquer de la ville à partir de l’obsolescence de cette dernière. L’APUR, l’Atelier Parisien d’Urbanisme, a étudié ce phénomène dans l’arrondissement :

« Depuis la dernière guerre, on assiste à plusieurs phénomènes : Un très important mouvement de construction, dans le nord-ouest de l’arrondissement et au contact des emprises ferroviaires, qui se fait au coup par coup, par substitution, sur des parcelles en général industrielles. La mutation des grandes emprises de services... » 32

Elle nous fournit aussi une chiffre permettant de se rendre compte de l’importance de l’état dans le processus de régénération urbaine. Nombreuses sont les parcelles qui appartiennent à l’état : « La répartition des statuts d’occupation du 18ème arrondissement entre les deux grandes catégories propriétés uniques et copropriétés est légèrement favorable aux premières. Elles occupent en effet 57% du territoire (hors voirie) et les copropriétés 43% (Paris respectivement 60 et 40%). Toutefois, parmi les propriétés uniques, le 18ème arrondissement se caractérise par: -l’importance des emprises d’équipements appartenant à l’État ou aux collectivités (47%) à très faible part des propriétés détenues par des personnes morales (3,6%)» 33 Cette histoire particulière du 18ème arrondissement caractérise les leviers qui permettent le renouvellement des espaces urbains. Ici, l’exemple des jardins du train, s’intéresse à ces lieux industriels, que l’on pourrait qualifier sous le terme de non-lieux introduits par Marc Augé : « Si un lieu peut se définir comme identitaire, relationnel et historique, un espace qui ne peut se définir ni comme identitaire, ni comme relationnel, ni comme historique définira un non-lieu. » 34 Histoire du 18ème arrondissement, disponible sur le site internet de la maire du 18ème. Disponible en ligne : http://www.mairie18.paris.fr/mairie18/jsp/site/Portal. jsp?page_id=200 32 Agence de l’APUR, Paris et ses quartiers, article en ligne, octobre 2001. Disponible en ligne: http://www. apur.org/sites/default/files/documents/18e_arrondissement.PDF, p45 33 Ibid, p52 34 AUGE M, Non-lieux, introduction à une anthropologie de la surmodernité, La Librairie du XXe siècle, Seuil, p. 100. 31


Au delà de cet espace flou de la ville, inaccessible, il y a un potentiel foncier difficile à récupérer, quant bien même il serait en friche : « « ni le législateur, ni le pouvoir réglementaire, ni les juges ne les ont clairement identifiées au point de consacrer un régime juridique propre à leur réaménagement » (A. Noury). Le phénomène des friches relève de l’exercice du droit de propriété foncier et immobilier et, aux vues de la multiplicité des règles de droit communément applicables, une certaine complexité découle de cet état de fait. » 35 Malgré ces difficultés, depuis les années 60, depuis le début de la désindustrialisation, les villes tentent de reprendre le contrôle de ces espaces. Pour la mairie du 18ème, ce projet qui peut paraître banal : le programme d’un parc, a pris une ampleur considérable, sorte de reconquête à la fois identitaire : pour donner au quartier un visage nouveau. Territorial : en utilisant tous les espaces normalement inaccessibles. Politique : créer un nouveau paradigme urbain. La reconversion des friches représente donc « la possibilité pour une commune de densifier le tissu urbain. Reconvertir ou réhabiliter offre l’opportunité pour la collectivité locale ou territoriale de récupérer du foncier dans des endroits, où il se fait, le plus souvent, trop rare. De plus, ces espaces sont souvent placés à des endroits stratégiques, au cœur de la ville. C’est aussi l’occasion de créer des opérations de qualité, alliant respect du patrimoine hérité et construction neuve mais aussi d’impulser une nouvelle dynamique dans des espaces souvent délaissés et de produire alors un effet de levier aux abords de l’opération. Pour

répondre aux besoins de logements, d’activités et de services, la reconversion des friches est alors devenue une alternative de plus en plus crédible. »36 Ces endroits stratégiques de l’infrastructure sont très vite réappropriés quand ils deviennent obsolètes. A l’image du collectif d’artiste Motoco, qui a récupéré les anciennes usines DMC à Mulhouse, les anciennes messageries (aujourd’hui ZAC Pajol) étaient « squattées » par un artiste, Carlos Regazzoni, qui réalise des sculptures à partir de récupération d’objets métalliques du réseau ferré. On peut vraisemblablement rapprocher ces actes d’appropriation à un début de mobilisation des habitants pour que le projet des Jardins du Train devenus Jardins d’Eole, se concrétise. 35 DENISE A, HUBERT M, Les friches industrielles, un potentiel foncier pour la ville : essai de classification dans le département des Yvelines, étude l’institut d’urbanisme de Paris. Disponible en ligne : http://urbanisme.u-pec.fr/ servlet/com.univ.collaboratif.utils.LectureFichiergw?ID_ FICHIER=1256309623316&ID_FICHE=40746, p1 36 Ibid, p7

p33


1997-2003 de la cour du maroc aux jardins d’eole p34

1997 est l’année de création de Réseau Ferré de France (RFF). RFF, est une société vouée à être propriétaire et gestionnaire du réseau ferroviaire, ainsi que du patrimoine inutilisé. Son rôle est d’accélérer la vente du patrimoine en friche notamment. Etant donné que Réseau Ferré de France récupère la dette de la SNCF dans le même temps que les terrains. Positionnant la SNCF dans une dynamique de conservation des terrains, et dans le cas de la cour du Maroc par exemple, la location de ceux-ci à des industriels. Le but à partir de 1997 est, semble t-il, de profiter de ce désendettement pour « investir ». Ce qui pourrait sembler être un accélérateur dans la réappropriation des friches ferroviaires (la création de RFF) est en réalité plus complexe que cela37. Nous aurons l’occasion de revenir sur le changement de politique depuis la création de RFF, mais nous pouvons dès lors introduire la grande complexité de cette nouvelle gestion du réseau, qui disparaît en 2014 au profit de SNCF-Réseau. C’est donc dès le départ des intérêts différents qui opposent l’administration du rail. Avec comme point de rencontre et de friction : les espaces inutilisés ou sous-utilisés. Cela demande de répertorier et d’arriver à classer. Car la problématique de ce réseau est qu’il est mouvant, et qu’il n’échappe pas

lui aussi à de grandes mutations. Les espaces récupérés et vendus ne le sont pour ainsi dire à jamais, leur position stratégique doit donc amener à une grande précaution et une grande réflexion. 1997 est aussi l’année de la création de l’association des jardins d’Eole. Car l’idée qui a participé à la victoire de Daniel Vaillant a mobilisé les habitants. Ce que nous qualifions de friche questionne la définition qu’a donné l’IAURIF (Institut d’aménagement et d’urbanisme et la région ile de France) qui a référencé les friches et a créé une définition.

« Une friche est un terrain : - dont la dimension est supérieure à 5 000 m2, - dont l’occupation s’est arrêtée depuis au moins une année, - dont la nature et l’état peuvent être très variés, suivant l’activité qui s’y est exercée et la dégradation des bâtiments présents sur le site. »38 Entretiens avec Denys Dartigues Article par les communautés urbaines de France, Les friches, coeur du renouveau urbain, article en ligne. Disponible en ligne: http://www.developpement-durable. gouv.fr/IMG/pdf/Friches_urbaines.pdf, p18 37 38


Difficile donc dans une pareille définition de pouvoir comptabiliser des espaces sous-utilisés. Les outils de classification semblent être imprécis, d’autant plus que la diversité des espaces en obsolescence est grande. Le cas des jardins d’Eole qui était un terrain, non pas en friche, mais en « transition », est un exemple qui nous fait percevoir la complexité pour comptabiliser. En effet, la base de travaux est retirée en 2000, laissant derrière elle un grand terrain vague. La tentation de réappropriation est donc grande, les envies ont même émergé chez les habitants avant le retrait de la base. Ils savaient qu’elle serait retirée un jour et questionnaient déjà le futur du site. Le but de l’association des Jardins d’Eole est claire : « Objectif principal, interpeller TOUS les décideurs : les services techniques, les élu(e)s, la ville de Paris, l’Etat, la Région, la SNCF, RFF, afin de faire aboutir le projet des Jardins d’Eole sur TOUTE LA SURFACE de la Cour du Maroc. »39 L’année 1998 marque le début de la complexité d’une telle réappropriation. Car si nous avons l’habitude de parler de friches (donc théoriquement abandonnées), nous parlons d’un cas plus complexe qui est celui du réseau ferré, c’est que dépendant de la logistique et des politiques urbaines, ces espaces n’ont même pas besoin d’être inoccupés pour être réinterrogés. Trois mois après que le conseil d’arrondissement du 19ème ait réaffirmé son soutien au projet des jardins d’Eole, la SNCF présente à la mairie, en 1998, un projet pour l’extension des locaux TAFANEL: 37 000m2 d’entrepôts

et 3 000m2 réservés à un jardin pour le quartier. Ce projet fait partie de nombreuses esquisses déposées au cours des années 90H. Les habitants, médiatisent l’affaire en allant manifester devant la mairie le jour de la présentation du projet par la SNCF : « nous organisons notre 1ère manifestation DEVANT la Mairie, avec les slogans : ´ Halte à l’urbanisme autoritaire, ´ Attaquons nous vaillamment à l’urbanisme sauvage . Les élus, sensibles à ce projet, qui est, dans sa génèse, leur idée, demandent la révision du projet. »40 En 1999, alors que la SNCF loue le terrain à une entreprise de BTP (entreprise TRANSFER) depuis un an, l’entreprise se voit forcée de quitter le site, faute d’autorisation préfectorale pour occuper les lieux. S’en suit une réunion entre la SNCF et la mairie afin de trouver une solution pour intégrer l’extension des locaux de TAFANEL. L’association parvient à obtenir l’approbation du maire de Paris quant au projet de jardin de 30 000m2. Le conseil d’arrondissement du 19ème formule le vœu d’un rachat du terrain de la SNCF par la mairie du 18eme et l’annulation du projet d’extension, début des années 2000. Après le départ de la société de TRANSFER, les habitants peuvent dès lors organiser des manifestations sur le site. En Mai 2000, un projet est proposé à la mairie du 18ème avec 12 000m2 d’entrepôts et 30 000m2 de jardins41 I. Site de l’association des Jardins d’Eole. Disponible en ligne : http://kelkit.perso.neuf.fr/historique.htm 40 Ibid 41 Ibid 39

p35


annees 2000 :

Le site est en friche, reste encore un entrepôt rÊcent et une partie d’un ancien batiment


Entrepôt TAFANEL existant Extension entrepôt TAFANEL

Programme de parc

2000I :

Projet d’extension des entrepôts.


Répartition du mode de transport pour les marchandises à Paris

90+7+3T

7% : Eau

3% : Ferré

90% : Route

Source: Le transport de marchandise. Rapport public. Disponible en ligne : www.paris.fr/viewmultimediadocument?multimediadocument-id=26734

Evolution du fret en France Gtk 65 50

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00 Années

Source: Fret ferroviaire français : la nouvelle bataille du rail. Rapport public. P7. Disponible en ligne : http://www.ladocumentationfrancaise.fr/var/storage/rapports-publics/034000114.pdf

% 80 Route

40 Rail

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D’un point de vue des politiques urbaines, l’acceptation du permis de construire de la SNCF suit une logique de réduction du trafic routier en ville. Le but des pouvoirs publics à l’époque est de multiplier par deux le trafic de fret ferré. C’est même au début des années 2000 que les galeries Lafayette décident de se faire livrer par fret, et d’utiliser la cour du Maroc comme plateforme de distribution42. Les politiques de verdissement de la ville existent depuis très longtemps. On se souvient des cités jardins d’Howard. L’importance de la logistique urbaine l’est tout autant, et on pensera aux travaux d’Eugène Hénard sur Paris.

42

Evolution du fret en France

80

L’association s’oppose catégoriquement à ce projet et continue de mobiliser des habitants et des acteurs publics. C’est en Aout que la SNCF dépose le permis de construire du projet. C’est en Septembre que la mairie donnera un avis favorable à ce projet. Après avoir fait un recours pour le permis de construire, l’association organise la résistance, et habite la cour du Maroc.

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00 Années

Source: Fret ferroviaire français : la nouvelle bataille du rail. Rapport public. P7. Disponible en ligne : http://www.ladocumentationfrancaise.fr/var/storage/rapports-publics/034000114.pdf

Entretiens avec Denys Dartigues


En attendant les jardins Face à ces différents rebondissements, les habitants impliqués dans ce combat politique ne désespèrent pas et s’approprient même le site. On voit naître alors sur ce nonlieu un nouvel habiter. Nous pouvons retracer une histoire partielle de cette occupation grâce aux publications fréquentes de l’association43. C’est à partir de 2001 que l’on voit une grande occupation de ce site. L’association soutient les actions culturelles sur le terrain. De nombreux cirques viendront s’installer, mêlés avec la vie quotidienne des habitants qui s’organisent : repas, jardins, etc. A l’image de ZALEA TV qui installe son centre de diffusion, nombreux sont ceux qui sont intéressés pour faire vivre la cour du Maroc, bien au delà des frontières du quartier. Au fur et à mesure, la productivité importante du site et sa médiatisation amène les pouvoirs publics à soutenir le projet. C’est alors qu’en Décembre 2001 la Mairie du XVIIIème propose à l’association un projet de jardin de 43 000m2, sur la surface totale donc. Les entrepôts TAFANEL seront quant à eux intégrés sous les jardins qui ressembleront à une dalle verte avec une infrastructure en son sous-sol. Cette proposition de la Mairie, habile compromis dans la gestion logistique/ habiter, convaincra l’association. En Septembre 2002, les conseils d’arrondissement des 18 et 19ème valident le projet. Les négociations sont longues avec la SNCF, RFF et la mairie. La présence de RFF

vient compliquer les dialogues. La limite est floue entre les deux entités, qui participent toutes les deux au dialogue, avec des politiques bien différentes44. Si RFF se montre très ouverte à l’offre dès le début, c’est tout autre chose pour la SNCF qui considère ce terrain comme utile. Très intéressée pour garder son client numéro un : l’entreprise TAFANEL. L’appel à projet est finalement lancé début 2003 conservant l’idée d’un entrepôt enterré. Le 15 septembre 2003, Michel Corajoud, associé à Georges Descombes remportent le concours. Face à des projets de parcs plutôt traditionnels, ils se distinguent des autres en développant un projet sub-urbaniste. Basé sur la mémoire et les traces du site, ils apportent un nouveau visage à la reconversion des sites ferroviaires. Nous allons développer les détails du projet dans une seconde partie. L’histoire de cette reconversion connait un nouvel obstacle quelques mois après l’annonce du lauréat, l’entreprise TAFANEL se retire du projet pour s’installer sur le faisceau de la Chapelle, non loin du site, au Nord. Malgré cette nouvelle, la pression politique est telle, que l’on demande à l’agence de Michel Corajoud, de modifier les plans en remplaçant l’entreprise par du remblais45, de manière à conserver l’aspect du projet initial (l’entreprise créant unrelief dans le parc). Le projet est conservé et est même soumis à des pressions politiques pour voir le jour dans les plus brefs délais : Site de l’association des Jardins d’Eole. Disponible en ligne : http://kelkit.perso.neuf.fr/journal.htm 44 Entretiens avec Denys Dartigues 45 Entretiens avec Daniel Vaillant 43

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«

D’autre part, nous avons vite compris à quel point le parc était un enjeu politique pour la mairie qui tenait absolument à l’inaugurer au moins six mois avant les élections municipales suivantes, afin de pouvoir l’inclure dans le bilan de la mandature. Les délais étaient considérés comme serrés et les réunions de l’équipe de maîtrise d’œuvre avec la maîtrise d’ouvrage montraient un consensus solide entre tous les acteurs pour éviter tout délai. Il fallait notamment que l’appel d’offres aux entreprises soit lancé rapidement et soit fructueux, afin que les terres rapportées dans le parc 46 aient le temps de se tasser avant l’ouverture

»

p40

RENAUD Y. et TONNELAT S. La maîtrise d’oeuvre sociologique des Jardins d’Éole, Comment construire une gestion publique ?, Les annales de la recherche urbaine n°105, octobre 2008. P 57 46


Vue sur les entrepôts de la cour du Maroc. Prise de vue depuis la rue d’Aubervilliers.

p41 Vue du ciel sur la cour du Maroc avec le cirque Medrano installé. Le reste d’un entrepôt est encore présent.

Vue sur une ménifestation organisée par différentres associations réunies sur le même lieu.

Source : Association des jardins d’Eole



2 les jardins d’eole un projet d’infrastructure ?


«

p44

Pour la première fois dans la cour du Maroc, le printemps va voir pousser des feuilles d’arbres, même si cela fait plusieurs années qu’on peut assister au réveil de la nature dans les Jardins d’Éole : des plantes diverses s’étaient déjà appropriées les lieux. Progression des bulldozers, arbres qui jaillissent littéralement du sol, bâtiments construits en une poignée de jours... Le parc progresse, et dans nos têtes il se heurte aux images du jardin d’avant, le terrain vague, avec ses plantes folles, ses traverses, ses rails, ses bâtiments désaffectés, son bac à sable, ses fêtes, etc. Même si les engins effacent les traces de la Cour du Maroc pour aménager le parc des Jardins d’Éole, nos souvenirs demeurent. Certes, les plans préservent la linéarité des lieux, mais qu’en est-il de l’esprit ? Les aventures que les riverains ont pu vivre dans la Cour du Maroc avant le début des travaux constituent une expérience unique : fêtes, promenade dominicale, spectacles, pique-nique, grande journée ou petit moment... Si les habitants veulent que ce lien qui les unissait au lieu perdure au-delà de l’aménagement en « vrai » jardin, avec ses structures définies, ses horaires, son personnel, il faut nous faire entendre des décideurs. Désormais, nous pouvons aller porter nos demandes, nos souhaits, nos inquiétudes, au sociologue et au personnel de la Ville de Paris qui tiennent la permanence ouverte à cet effet dans le parc. Commençons d’ores et déjà à imaginer ce que pourra être la vie des Jardins d’Éole après leur renaissance. Donnons-nous les moyens de nous construire de nouveaux souvenirs inoubliables. La Ville nous interroge sur le fonctionnement de nombre de nouveaux équipements publics du quartier (104 rue d’Aubervilliers, ZAC Pajol, Jardins d’Éole...), leur aménagement prévoit de laisser aux habitants une marge pour imaginer les activités qui pourront y voir le jour. Saisissons cette opportunité pour que ces lieux, malgré une portée qui dépasse le quartier, permettent aussi de créer du 47 lien entre les habitants et d’améliorer leur vie au quotidien.

»

BOUVAIST M, Un bout du monde, Deuxième numéro d’une revue publiée par l’association des jardins d’éole. Disponible en ligne : http://kelkit.perso. neuf.fr/journal/n2.pdf

47


les jardins d’eole

presentation d’un projet suburbain L’enjeu du parc était pour Michel Corajoud et Georges Descombes de créer un lieu appropriable qui tienne compte de la complexité déjà présente. Ils ont travaillé la dimension paysagère dans un lien étroit avec le paysage de friche : « le site c’est un gigantesque ciel (…) un bel endroit. L’intelligence de ce site, c’est la taille d’un train qui la donne (…) la dimension de ce site est induite par la dimension d’un train.» 48 Laissant un espace dégagé, comme à l’origine. La halle a été détruite pour se laisser recouvrir par l’aménagement. Le jardin est pensé en bandes, rappelant l’identité ferroviaire du site. Dans la conférence de Michel Corajoud pour le pavillon de l’Arsenal, il rappelle l’attention portée à ne pas distinguer la différence entre l’avant et l’après projet : « ces gens là avaient déjà créé le projet des jardins d’Eole, ils l’avaient déjà pensé. Avec Georges on se demandait pourquoi on aménagerait, que ce terrain était parfait et qu’il n’y avait rien à faire. Puis on a vu un petit arriver avec un tesson de bouteille et on a compris qu’il fallait tout de même rendre ce site viable. Mais en reprenant beaucoup d’éléments qui existaient déjà pour ne pas rompre le lien ».49 Nous qualifions ce projet de suburbaniste. Sébastien Marot définit ce mot comme une

« subversion du sur-urbanisme »50 où le sur-urbanisme est défini comme la manière dont on procède dans l’exercice du projet, où le programme précède le site. Il y a donc dans le projet sub-urbaniste une fabrication du programme par le site. Elle invite donc à une lecture du territoire dans sa profondeur, dans les couches archéologiques. Et nous allons, dans cet écrit préciser aussi en quoi est-t-il important de conserver les traces de ces friches ou comme le précise Michel Corajoud : « Ce projet est enraciné dans une présence. Qui est la présence des gens qui vont habiter ce projet. Je ne dis pas que je crois, je dis que je suis sûr, la modernité qu’on cherche tous elle est là, elle est dans cette attention que dorénavant nous allons porter aux choses. Et d’éviter de rompre des fils. De couper des continuités. De faire en sorte que des choses s’enchainent. Qu’il y ait des passages. Qu’on sache sur quoi on se base. Et nous les paysagistes nous savons que l’étude de la composition du sol est essentielle. »51 CORAJOUD M. Conférence pour le pavillon de l’arsenal en juin 2007, intitulée, Paysages. Disponible en ligne: http://www.pavillon-arsenal.com/videosenligne/ collection-6-109.php 49 Ibid 50 MAROT S. L’art de la mémoire, le territoire et l’architecture, Editions de la Villette, Paris, 2010. P12 51 CORAJOUD M. Conférence pour le pavillon de l’arsenal en juin 2007, intitulée, Paysages. Disponible en ligne: http://www.pavillon-arsenal.com/videosenligne/ collection-6-109.php 48

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La dimension du vide urbain laissé au jardin dans son échelle paysagère fait écho à des exemples forts des débuts de l’urbanisme, à l’image de Central Park. Ce jardin fait-il écho à cette pensée de la ville sur le long terme ? Lorsque l’on parle d’approfondissement du territoire, c’est à la fois pour penser la ville dans à long terme (économie de moyens, précaution afin d’éviter l’obsolescence programmée), c’est aussi un attachement à des affects, où l’homme trouve sa place dans la société dans un frôlement avec l’espace urbain. La volonté de ce parc/jardin est aussi de conserver l’idée de l’infrastructure, dans la volonté de faire transparaitre une complexité du site, où grâce à l’utilisation de la passerelle on obtient le lien suivant : « la passerelle qui permet de dominer le territoire du chemin de fer et d’être en contact avec lui, elle est construite avec un système constructif qui est celui de la voie ferré. Ce simple fait d’utiliser le même vocabulaire, les IPN, etc, fait que la limite territoriale entre la voie ferrée et le projet devient floue, et la voie ferrée fait partie intrinsèque du projet. » 52

composer, decomposer Les jardins sont composés au Sud d’une grande aire libre permettant d’accueillir comme c’était le cas du temps de la Cour du Maroc, des manifestations diverses et variées (cirque, concerts, fêtes de quartier, etc). L’idée que la liberté laissée par l’infrastructure dans le dessin des espaces soit conservée, cet espace libre est habillé d’éléments simples toujours dans un système de bandes, avec un ruisseau, des herbes folles et autres plantes persistantes que l’on trouve régulièrement dans les friches. Le Nord est quant à lui plus programmatique, la butte aujourd’hui remplie de terre accueille en son sommet des terrains de sport, des jardins partagés. Deux anciens bâtiments de la SNCF ont été conservés pour créer une école de la deuxième chance ainsi qu’une crèche à l’Est sur la rue d’Aubervilliers. Une passerelle permet de relier la rue du Département à la butte en longeant la voie ferrée. Véritable point de vue sur le faisceau ferré, en retrouve en dessous un mur en claustra réalisé par une artiste permettant d’avoir un lien visuel avec la voie ferrée suivant certains points de vues, jouant ainsi sur le degré de lien entre le réseau et le parc. CORAJOUD M. Conférence pour le pavillon de l’arsenal en juin 2007, intitulée, Paysages. Disponible en ligne: http://www.pavillon-arsenal.com/videosenligne/ collection-6-109.php

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Vue sur la zone libre des jardins d’Eole Source : https://bleulotus.wordpress.com/2012/06/01/16/

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Vue sur la passerelle et le mur à claustra Source : https://bleulotus.wordpress.com/2012/06/01/16/

Vue sur l’aménagement de la zone libre Source : https://bleulotus.wordpress.com/2012/06/01/16/

Vue vers le Nord, on voit la zone libre ainsi qu’au loin, la butte Source : http://www.lejdd.fr/JDD-Paris/Actualite/Jardins-d-Eole-dans-le18e-la-deception-du-paysagiste-Michel-Corajoud-594264


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Plan de masse des jardins d’Eole Source : http://kelkit.perso.neuf.fr/images3.htm

Plan de rez-de-chaussée des jardins d’Eole Source : http://kelkit.perso.neuf.fr/images3.htm


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le processus de patrimonialisation fragment d’urbanisme

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Organisation et planification urbaine. Des termes qui à eux seuls expliquent l’échec d’une ville, car on a eu, durant bien longtemps, le doux rêve de continuité par le jeu de la carte, que ce soit avec le mouvement moderne ou certains grands projets urbains contemporains. La réalité dépasse ou rattrape toujours la fiction. Ces délaissés de l’urbanisme moderne ont construit un autre possible : un lieu de confrontation et de télescopage de différents tissus urbains. De confrontation avec l’infrastructure, le réseau. C’est la trace aujourd’hui de la frontière de la ville, à l’image du sillon de Romulus qui définissait par sa trace la limite du cosmos romain. Le sillon est aujourd’hui devenu l’outil de l’ingénieur : l’infrastructure qui trace sur le sol un territoire abstrait de sa géographie. Ces lieux de superposition (les friches), concentrent la multiplication et l’épaisseur de la ville. Affichage massif de publicités, appropriation sauvage par des artistes ou des habitants, etc. La réalité complexe de ce que l’on pourrait qualifier de vie moderne semble se matérialiser dans «l’absence» d’urbanité ou d’urbanisme. Une sorte d’oubli de la machine urbaine contemporaine. Dans tous les cas, le déchet ou résidu urbanistique semble être aujourd’hui le dernier rempart à l’absolution de l’aplanissement des territoires. Si Sébastien Marot peint un paysage contempor-

-ain d’une grande univocité53, c’est par l’absence de mémoire et la grande présence de l’oubli. C’est bien parce qu’il y a toujours chez l’urbaniste et l’architecte un refus de la complexité54, une difficulté de représentation de ces territoires «défectueux», qui traduit une difficulté de penser la ville multiple. L’étude de la patrimonialisation ou des reconversions des friches aujourd’hui fait apparaître une accélération du remaniement politico-urbanistique de ces espaces. Une oeuvre quasi achevée de la disparition des traces. L’exemple du cas Paris Rive Gauche où tout un pan de l’histoire ouvrière et ferroviaire disparaît au profit d’une écologie urbaine ancrée dans la ville-monde, ou mégalopolis55. “Le siècle n’est plus à l’extension des villes mais à l’approfondissement des territoires. Pas plus que les simulacres de mémoire littérale, le nomadisme moderne ne parviendra à rendre supportables l’aplatissement des lieux et leur grandissante univocité. Le monde est devenu trop étroit pour que l’on puisse seulement songer à ne pas explorer partout sa quatrième dimension il est urgent d’extrapoler” MAROT S. L’art de la mémoire, le territoire et l’architecture, Le visiteur,: revue de critiques des situations construites, 1999, p169 54 VENTURI R, De l’ambiguïté en Architecture, Paris, Dunod, 1999. 55 ROUILLARD (Dominique) (dir.), L’infraville : Futurs des infrastructures, Archibooks, 2012 53


L’espace résiduel et complexe qui se matérialise semble être le refuge au rêve des habitants. La ville nouvelle fait t-elle encore rêver ? Alors que l’esthétique semble être aujourd’hui celle de l’oubli, où comme le dit Richard Scoffier dans sa conférence sur Manières de construire des mondes56, une nouvelle culture architecturale démarre avec les premières destructions de grands ensembles dans les années 80. La contemporanéité ou même la postcontemporanéité fait donc face à cette problématique d’oubli (les grands ensembles comme oubli du territoire) et «d’oubli de l’oubli» (destruction des grands ensembles).

les enjeux de la reconversion L’archéologie et l’histoire du site de la cour du Maroc va nous aider à nous focaliser sur le processus de patrimonialisation. Nous le confronterons, pour en comprendre ses mécanismes, aux analyses de Vincent Veschambre sur ce fameux processus. Comment, en replaçant les jardins d’Eole dans un contexte global, s’opère le processus de protection ou de destruction d’un héritage et d’une mémoire. Les réflexions autour de la patrimonialisation/ conservation de l’infrastructure est assez complexe. La conservation de cet héritage apparaitra au même moment que son démantèlement dira Vincent Veschambre57. C’est la désindustrialisation qui remet en cause toute une période industrielle, presque disparue aujourd’hui. Bien qu’existant au début du Xxème siècle, la patrimonialisation prend une grande importance au milieu du

XXème siècle avec les nombreuses problématiques de reconstructions. En 1964, André Malraux est chargé avec le ministère de la culture de réaliser un recensement du patrimoine et d’en faire la promotion. En 1986, une mission de repérage du patrimoine industriel est organisée. Si les premiers bâtiments qui seront protégés seront des bâtiments ferroviaires en angleterre, ces objets, qui étaient autrefois relégués à l’extérieur des villes sont aujourd’hui, par le fait de l’expansion urbaine, au cœur des métropoles. Malgré cette problématique, même l’industrie représente une trace et la mémoire de toute une civilisation. On comprend aisément le besoin de le conserver. Et on comprend d’autant plus aisément la volonté de faire disparaître ces traces. Vincent Veschambre définit les enjeux de la destruction du patrimoine sous cette forme :

« L’enjeu est bien entendu celui de l’affirmation d’un nouveau pouvoir et celui du marquage de l’espace par des démolitions-reconstructions. Mais plus fondamentalement, il s’agit d’opérer un tri des héritages, tri qui repose sur la conviction, largement répandue, que les formes urbaines (sculptures, architecture...), constituent un levier majeur dans la construction identitaire et mémorielle. » 58 SCOFFIER R. Conférence pour le pavillon de l’arsenal en 2014, intitulée, Manières de construire des mondes : Entre mémoire et oubli: Christian de Portzamparc. Disponible en ligne: http://www.pavillon-arsenal.com/ videosenligne/collection-29-430.php 57 VESCHAMBRE V. Traces et mémoires urbaines, enjeux sociaux de la patrimonialisation et de la démolition Presses universitaires de Rennes. 2008. 58 Ibid P107 56

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Si cette définition est vaste, elle détient les clés de lecture des espaces industriels et plus particulièrement ferroviaires aujourd’hui. Les jardins d’Eole ne se positionnent pas en un abandon des traces de la ville productive. Avant tout grâce à la volonté affichée de Georges Descombes et Michel Corajoud de ne pas rompre les continuités si chères au paysagiste. Pourtant, nous réalisons bien qu’il est de volonté architecturale, ou de paysage, que de prendre une telle position. L’administration elle, est plus généralement, et dans ce cas là plus particulièrement, dans des mécaniques de génération ex-nihilo et non de ré-génération à partir de l’existant. p52

Même si la préoccupation patrimoniale est relativement ancienne, la sélection de ce qui est ou pas patrimoine, est encore un sujet de débat. Car il y a, comme le peint Vincent Vechambre des mécaniques de pouvoir derrière le concept de trace ou de patrimonialisation. Dans le projet de démolition il y a donc toujours la volonté de changer l’image, de transformer. Les Jardins d’Eole sont à la frontière entre les deux : hybrides. Une majeure partie du terrain a été détruite, et a paradoxalement été réinterprétée, à partir de ce qui a été précédemment enlevé. En tout bon lieu stratégique que représente la Cour du Maroc, il s’agit là non pas seulement d’un projet isolé mais bien d’une logique à l’échelle du quartier voir de la ville. Le but n’est pas de rechercher une identité dans le quartier mais c’est bien souvent d’en créer une nouvelle. La logique politique de la mairie du XVIIIème, comme bon nombre des politiques urbaines s’inscrit dans une volonté

de créer une nouvelle identité, dans le cas des jardins d’éole, c’est de pouvoir créer un véritable réseau de respirations urbaines dans ces quartiers ultra denses de la capitale. Nous l’avons analysé précédemment, le cas des jardins fait exception dans la tentative qui vise à puiser dans l’identité pré-existante du quartier.

Redessiner la memoire Bien entendu qu’il y a dans la destruction une disparition de la mémoire, mais soyons en sûrs, le processus de patrimonialisation est bien généralement une disparition de la mémoire. Une disparition partielle et scénarisée ou théâtralisée59. On laisse ici et là, des traces choisies qui n’ont aucun dialogue avec le présent, ci ce n’est l’effet carte postale. Et puis parfois on conserve tout, dans une précaution si grande que nos centres villes deviennent aujourd’hui des musées, avec beaucoup d’images, mais plus aucune pratique. Car il y a toujours cette volonté héritée d’une culture du savoir linéaire qui tend à être totale et conservée dans un registre historisisé. Et pourtant, il n’y a pas de mémoire qui ne vive pas au présent. La mémoire est une réalité qui influe sur notre présent. VESCHAMBRE V. Traces et mémoires urbaines, enjeux sociaux de la patrimonialisation et de la démolition Presses universitaires de Rennes. 2008. 59


Le savoir et la lecture de la ville se fait aujourd’hui dans ce que l’on qualifie de palimpseste. Ce n’est pas un hasard si les friches dont nous parlons sont un réservoir d’urbain car elles sont des lieux de l’hyperville et favorisent une lecture fragmentaire. La lecture n’est pas seulement la ville du moyen âge, ou la ville de la renaissance, ou celle du XXème. Elle est toute ces villes et les contient en un lieu. C’est donc ce qui va nous intéresser dans la ville suburbaine, c’est la notion d’absence et de présence, d’oubli et de mémoire. Il semblerait que dans cet esthétique fragmentaire se dégagent à la fois une incomplétude, et un savoir hybride. Il n’y a donc pas totalement d’oubli dans ces espaces là, mais pas non plus de mémoire achevée ou figée. Il n’y a qu’un degré de lecture composé ou recomposé par l’imbrication des strates. Le post-modernisme est marqué dans l’architecture et dans l’art d’une forme de fragment ou d’altération. Colin Rowe en est l’exemple avec «Collage city» où l’art du fragment et du bricolage questionnent le lien qu’entretiennent les éléments de la ville entre eux. La frontière semble devenir la question fondamentale de la représentation de la ville.

«Nous jugeons «d’exception» à la règle ce qui est finalement devenu cette règle. Il nous faut élaborer une notion de la ville comme lieu du discontinu, de l’hétérogène, du fragment et de la transformation ininterrompue.»60

Les habitants qui côtoient l’infrastructure ne s’opposent pas forcément à cette dernière, mais le fait est qu’au delà de l’imaginaire croît la volonté de s’approprier la ville. Ces zones qui sont historiquement des non-lieux voués à des missions d’ordre national, ou tout du moins qui dépassent l’échelle du quartier ont du mal à vivre aujourd’hui en déconnexion de leur contexte : «La reconnaissance du patrimoine ferroviaire pose d’autant plus problème en terre de banlieue qu’il s’incarne en peu de « monuments » et qu’il se trouve par ailleurs associé à de lourdes nuisances. Comment parler de patrimoine au sujet de ces vastes extra-territoires et coupures urbaines, qui apparaissent comme des plaies béantes ? L’importance historique du chemin de fer dans le développement de ces territoires aux portes de la capitale, l’étendue des traces qu’il a produites, les enjeux de mémoire qu’il porte (déportation, bombardements) devraient rendre la question incontournable.»61

60 CORBOZ A, L’urbanisme du 20e siècle. Esquisse d’un profil, Genève, FAS, 1992 61 LORH E. « Le paysage ferroviaire en Seine-Saint-Denis, un enjeu patrimonial et urbain », Revue d’histoire des chemins de fer. P147 [En ligne], 32-33 | 2005, mis en ligne le 16 mai 2011, consulté le 01 janvier 2016. URL : http://rhcf.revues. org/584

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La patrimonialisation correspond à un désir de conservation d’un bien commun. Cela met, comme on l’a vu, en exergue l’importance du jeu d’acteur. La notion de réutilisation change notre manière de percevoir le patrimoine par rapport à il y a trente ans.

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Selon Vincent Veschambre62, le processus de patrimonialisation peut s’observer en plusieurs étapes : - Obsolescence : un bien se trouve dans une posture où il est possible de le recycler ou de le détruire - Rupture : arrêt d’une activité en un lieu, changement de fonction, de propriétaire - Reconnaissance : évenement déclencheur, à un moment donné, un bien est subitement vu comme patrimoine. Cette grille de lecture, nous pouvons en faire une analogie avec les jardins d’Eole : - Obsolescence : Déclin du fret ferroviaire, utilisation de grandes plateformes à l’extérieur de Paris - Rupture : Le site devient une friche après les grandes mutations liées à la base travaux d’Eole. - Reconnaissance : Après la lettre de Daniel Vaillant, les habitants se mobilisent. Cette grille, qui dans notre cas simplifie la réalité complexe du jeu d’acteur, notamment par le fait que l’obsolescence du site reste subjective. Il est intéressant d’observer la mutation de ces non-lieux du rail qui font face à la question de la mémoire et de l’oubli. Si on suit encore Vincent Veschembre, le patrimoine est en général fait par la classe dirigeante. Et l’élargissement du champ pa-

trimonial reflète les changements sociaux, et l’avènement des classes moyennes issues des milieux ouvriers et paysans. Le fait est que le cas des jardins d’Eole est plus un marqueur de reconnaissance du potentiel de l’infrastructure à être une réserve libre d’urbain. Ce patrimoine est spécifique par le fait qu’il représente une coupure au sein du tissu urbain : «le caractère dérangeant des infrastructures contemporaines (est) le fruit d’une série de contradictions inhérentes au sujet moderne, contradiction par exemple entre le désir d’unicité et la nécessite de communiquer, entre le besoin d’une certaine stabilité et le goût de la vitesse. (...) elles travaillent le lieu en direction du paysage (et) transforment bien souvent le paysage en une sorte de lieu dont l’échelle saisissante échappe aux caractérisations traditionnelles.»63 Aujourd’hui le rapport au patrimoine infrastructurel s’exprime sans doute sous ce rapport délicat entre l’échelle de la planification urbaine et la logistique avec celle de l’habiter, de l’infrastructure comme réserve de vide (voir schéma coupe). VESCHAMBRE V. Traces et mémoires urbaines, enjeux sociaux de la patrimonialisation et de la démolition Presses universitaires de Rennes. 2008. 63 PICON A. L’infrastructure et la distension du lieu, Proposition de recherche dactyl, Bureau de la Recherche Architecturale, 1993, P2. 62


Voie ferrée

Terrain SNCF

Rue d’Aubervilliers

Coupe schématique sur la cour du Maroc : Avant les jardins. Espace tampon inaccessible, distance par rapport au rail.

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Coupe schématique sur la cour du Maroc : Projet des jardins d’Eole. L’espace tampon entre la ville et le rail devient lieu habiter, de contemplation et d’ouverture.



3 une infrastructure dans le paysage


les outils de la regeneration u r b a i n e la mutation forcee de paris p58

L’infrastructure mobilise aujourd’hui toutes les problématiques de la ville contemporaine. Dans ce contexte, les métropoles européennes rentrent dans une prospective allant jusqu’à 203064 (voir p60). Essayant à la fois de limiter l’étalement urbain par un ceinturage des réseaux et en tentant de faire du lien par la «suture urbaine». Deux échelles se confrontent : celle du quartier, où la localité cherche sa propre cohérence. Et celle de la connexion, à une échelle bien plus importante, qui est en pleine mutation, soit par une modernisation de la mobilité, soit par une obsolescence qui tend à générer de l’urbanité. Cette problématique de régénération urbaine interroge tous les types d’infrastructures, que ce soit autoroutiers, ferrés, industriels, etc. De nombreux exemples et des recherches, à l’image de Paris constituent un terrain fertile dans les travaux de renouvellement urbain: «Les opérations de réaménagements de friches, par leur échelle spatiale, leur complexité décisionnelle et les enjeux socio-économiques qu’elles génèrent forment un terrain d’études où, plus qu’ailleurs, s’observent aujourd’hui les nouveaux modes de production de la ville.»65 L’infrastructure aujourd’hui conserve son caractère historique si important pour la ville.

Nous ne dirons pas qu’il y a un changement complet de paradigme. Mais il y a une grande volonté de la part des villes de voir le territoire comme un espace continu. D’où l’apparition de la ville inclusive et des IBA. On voit donc apparaître dès les années 80 un rapport paysager à l’infrastructure, que Pierre Belanger66 et bien d’autre qualifient de landscape urbanism ou landscape infrastructure. Ces infrastructures deviennent un outil de paysage à l’instar de l’autoroute urbaine de Barcelone par Manuel de Sola. Ou bien un outil de l’invisible comme la requalification de l’autoroute à Genève67. C’est le cas pour nombre de capitales européennes, l’atelier du grand Paris est un exemple démontrant l’intérêt de la ville pour son futur : écologique, urbain, et logistique. Site internet de l’atelier du grand Paris : http://www.ateliergrandparis.fr 65 RODRIGUES-MALTA R. Villes d’Espagne en régénération urbaine. Les exemples de Barcelone, Bilbao et Madrid/Spanish cities undergoing urban regeneration. Annales de Géographie. 1999, t.108, n°608. P 398 66 BELANGER P. Landscape Infrastructure: Urbanism beyond Engineering. Article en ligne. 2012. Disponible sur internet: < http://www.academia.edu/7642504/2012_ Landscape_Infrastructure_Urbanism_beyond_Engineering> 67 L’autoroute de genève a peu à peu disparu du paysage pour laisser la place à la campagne romande. Elle est l’image de la disparition de l’infrastructure au profit du paysage. ROUILLARD D (dir.), Imaginaires d’infrastructure, Paris, l’Harmattan, 2009 64


Un potentiel ferroviaire au coeur de la ville

France et tout particulièrement dans la région parisienne, soit à des promoteurs privés, soit plus récemment à des entités comme l’office HLM.

La RFF qui revendique la deuxième place en terme de foncier sur l’ensemble de la France, projette, dans le cas du grand Paris, une restructuration profonde de son aménagement, réhabilitations de gares, abandons de certains sites devenus vides par leur obsolescence. De nombreux projets voient le jour et interrogent cette problématique, de manière plus ou moins brutale, on pourra citer le cas de Paris Rive Gauche J avec l’aménagement d’une grande ZAC, le cas de la Plaine Saint DenisK, la ZAC Clichy Batignoles L, la ZAC Pajol, etc. Ce gigantesque patrimoine de 103 000 Ha devient progressivement au centre des questions urbaines avec en 1997, la création de la RFF qui a pour mission de gérer cette infrastructure:

«La SNCF conserve le transport ferroviaire et l’outil de travail qui va avec, tandis que RFF assure la gestion du réseau, de la dette (20 milliards d’euros à l’époque!) et du patrimoine non utilisé.»68 Hélène Giraud, dans son article, nous rappelle aussi qu’à partir de 2006, l’Etat considère que malgré la division du réseau ferré entre RFF et SNCF, les projets de réaménagements sont jugés trop lents. C’est donc la Sovafim, une foncière d’état qui est créée pour reprendre la main sur les terrains non utiles au ferroviaire. C’est donc un potentiel considérable qui est vendu dans toute la

10 000 Ha

90+10+T

103 000 Ha

GIRAUD H. «Les friches ferroviaires très convoitées», in Les échos, Mars 2006 (consulté le 24 février 2015),. Disponible sur internet : < http://www.lesechos. fr/31/03/2006/LesEchos/19638-148-ECH_les-frichesferroviaires-tres-convoitees.htm > 68

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les principaux projet s urbains du grand paris Production et logistique quartier d’affaire recherche et innovation

Source : Société du grand Paris, Mai 2014


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Mais pour comprendre la relation de Paris à son infrastructure ferroviaire, revenons dans les années soixante-dix. Nous l’avons vu avec l’historique du site, le réseau routier devient largement privilégié. Sans devenir forcément obsolète, le réseau ferré, scindant la ville en deux devient un enjeu de taille. Si la question n’est pas nouvelle, et pour cause, avec les coupes d’Heugène Hénard(voir p63) imaginant le futur de la logistique urbaine à Paris, où le réseau ferré, enterré, côtoie les réseaux de fluide. Cette question devient, dans une période où la France rêve la ville du futur, opérationnelle. On pense donc déjà très largement à recouvrir les voies. La volonté d’un urbanisme sur dalle se concrétise de plus en plus. Cette idée se poursuivra encore jusqu’à aujourd’hui. La plus grande manifestation de cette reconquête s’opère à partir des années 2000(voir coupe Rogers p63) et rentre bien entendu en corrélation avec les jardins d’Eole. La ville change grâce à la réappropriation des friches, qui, bien souvent n’en sont pas. En effet, dans les projets illustres du grand Paris, nous citerons celui du quartier des Batignolles, où dans le cadre des potentiels jeux olympiques à Paris, une grande partie du site de la SNCF est convoitée pour y installer le village olympique. Il s’agit dans ce cas là de l’appropriation par la ville d’un site encore utilisé par la SNCF. Et c’est bien entendu un point d’intérêt majeur dans notre réflexion d’observer que la régénération urbaine autour de ces réseaux est préfigurative de la mort de ce dernier. Ces respirations dans la ville, ont pour vocation d’être reléguées encore plus loin, à la périphérie de la ville (toujours en expansion). Les jardins d’Éole ne sont pas exemptés de cette problé

-matique, puisque l’utilisation de la cour du Maroc était encore effective lors de sa réaffectation en parc. Plus encore, la SNCF projetait un développement plus important sur ce site. Ainsi, les années 2000 incarnent à Paris le remaniement considérable de l’infrastructure au profit des investisseurs. Et crise du logement oblige, la ville analogue se multiplie sur ces espaces, où une bonne partie des logements construits à Paris se feront sur des terrains SNCF. La présence d’un organisme comme la RFF montre à lui seul la volonté politique d’une transformation globale de la ville au profit d’une ville-monde standardisée. Projection imaginée aussi pour les jardins par l’APUR H qui voyait déjà se développer une série de logements sur la cour du Maroc. Ce que nous qualifions de préfiguration portée par les politiques urbaines, apparaît comme nous l’avons dit dans les années soixante-dix, où la compétitivité des villes catalyse les dynamiques de construction. La planification des villes change donc radicalement de modèle, passant, comme nous le peint Dominique Rouillard « d’un modèle territorial à un modèle de distance de temps, d’attraction et d’intégration sur le réseau »69

69 ROUILLARD D (dir.), Imaginaires d’infrastructure, Paris, l’Harmattan, 2009. P 64


p63 Coupe sur la rue du futur - Eugène Hénard, 1911 Source : http://www.germeetjam.com/collectif

Coupe sur la rue du futur - Build Paris on Paris - Agence Rogers, 2005 Source : http://www.rsh-p.com/projects/grand-paris/


Le futur, dans ces conditions, n’est plus assuré par les architectes ou les urbanistes mais par les villes. Ainsi Jean Busquet70 distingue deux projets d’infrastructure : le projet actif qui ordonne l’aedification de la ville, et le projet passif, qui est déterminé par des conditions préexistantes. On peut, dans ce cas, parler d’une opposition entre sub-urbanisme et sur-urbanisme.

Paris rive gauche : icone de l’enfouissement du reseau p64

Débuté en 1991 avec la construction de la bibliothèque nationale de France, le remaniement du quartier « Paris rive gauche » (PRG) fait écho à cette nouvelle vision de la ville que nous avons décrite plus haut. Luigi Manzione, dans imaginaire d’infrastructure analyse le projet PRG et la difficile relation entre ville de mémoire et ville analogue ou ville-monde : « Si le problème théorique du projet ne réside pas principalement à PRG dans la reconnaissance de ce qui préexiste au sens matériel, un autre regard s’impose : la construction de la ville sous (ou sur) la ville suggère que la référence de permanence n’est plus la forme urbaine. La catégorie prévalente est plutôt celle de l’usage : c’est la mémoire industrielle et ferroviaire du lieu à prendre d’abord en compte en tant que matrice du projet. Loin de cela, elle n’est pas réutilisée à PRG, mais elle est repoussée en profondeur, cachée au regard parce qu’estimée incompatible avec la tertiarisation et la gentrification.

Les technologies permettent de créer un terrain artificiel « équipé » qui sépare, régularise, refoule ; un terrain qui, dans la ligne d’un nouvel hygiénisme, nettoie tout ce qui est résidu, marginal, sale. Le destin d’occultation de la Bièvre au XIXème siècle se reproduit autrement pour le chemin de fer, toujours au nom de la modernisation. Ainsi, se dégage pleinement la figure d’une ville clonée par une formation souterraine, une sorte de « ville des immortels », comme celle qui était imaginée par Jorge Luis Borges dans L’Aleph. On peut alors s’interroger sur la compatibilité entre les raisons qui motivent la préservation de la mémoire et les exigences utilitaires du projet d’ingénierie. » 71 On voit bien dans cette citation les problèmes que relève l’infrastructure (figure du nomadisme) face à une ville habitée (figure du sédentaire). L’exemple de PRG semble nier le dialogue de ces deux figures, pourtant essentielles dans la ville contemporaine. Ainsi nous découvrons que la pensée de l’urbanisme moderne du début XXème ne suffit peut être pas à répondre aux attentes des pratiques contemporaines. Ibid ROUILLARD D (dir.), L’infraville : Futurs des infrastructures, Archibooks, 2012. P 48 - 49 70 71


Photographie avenue de France - recouvrement des voies par des bureaux. Source : http://ga-paris.fr/cache_img/3bacda1ee68cbf82ea1df3e9a1946801_size_1700x1000.jpeg

Photographie rĂŠhabilitation universitĂŠ Denis Diderot - Agence Ricciotti - 2001 Anciennement les grands moulins de Paris. Source : http://rudyricciotti.com/projet/universite-denis-diderot-paris-vii#!/rudyricciotti.com/wp

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La question de la mémoire est ici importante, le fait est que ce nouveau paradigme de ville fait «disparaître» tout un pan de l’histoire de notre civilisation. A PRG, quelques traces subsistent, mises en scène dans une « disneyisation d’une expérience alternative et porteuse d’antagonismes » 72 (voir photo p65) . Il serait pourtant dangereux de reléguer l’infrastructure à la seule consistance d’une matière informe se déployant dans le soussol du monde, rendue invisible par facilité. Pourtant, d’un point de vue patrimoniale, « il n’est point de mémoire collective qui ne se déroule dans un cadre spatial. Or, l’espace est une réalité qui dure : nos impressions se chassent l’une l’autre, rien ne demeure dans notre esprit, et l’on ne comprendrait pas que nous puissions ressaisir le passé s’il ne se conservait pas en effet dans le milieu matériel qui nous entoure. C’est sur l’espace, sur notre espace – celui que nous occupons, où nous repassons souvent, où nous avons toujours accès, et qu’en tout cas notre imagination ou notre pensée est à chaque moment capable de reconstruire -, qu’il faut tourner notre attention ; c’est là que notre pensée doit se fixer, pour que reparaisse telle ou telle catégorie de souvenirs » 73 Nous comprenons dès lors que la préoccupation du projet des jardins d’Eole par les habitants et Michel Corajoud ne se limite pas à fonder un nouvel ordre du monde mais bien à garder l’esprit du lieu, le « genius loci »74. Et ce serait aussi nous tromper que de ne pas considérer, sans tomber dans le pittoresque, que l’infrastructure n’est pas le vecteur d’un paysage singulier :

« l ‘infrastructure représente, dans une certaine mesure, ce qu’était le monument : un catalyseur de paysages, d’événements, de modes inédits de sociabilité. A partir du rapport en ville et périphérie, les termes connotant l’urbanisation contemporaine conduisent à repenser les outillages disciplinaires et leurs difficultés par rapport aux lieux « sans qualités ». Entendue comme quelque chose d’irréductiblement autre que la ville – comme lieu de la négation- la périphérie a toujours été refoulée, comme on refoule le pathologique. Peut être est-il temps de renverser ce point de vue, d’élaborer des conceptualisations et des démarches à partir de la périphérie conçue comme ville existante à recomposer et réinventer, au même titre que la ville consolidée, sur la base des traces de sa sédimentation. » 75

Ibid P 45 Citation de Maurice Halbwachs dans : MAROT S. L’art de la mémoire, le territoire et l’architecture, Editions de la Villette, Paris, 2010. P 50 74 NORBERG-SCHULTZ C. Genius Loci. Electa, 1979. 75 ROUILLARD D (dir.), L’infraville : Futurs des infrastructures, Archibooks, 2012. P 49 72 73


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landscape infle nouveau r a sparadigme t r ude cla ville t udense re: p68

Nous avons compris au travers des jardins d’Eole que le projet de paysage est aussi un vecteur qui permet de tisser un lien entre des domaines de la ville qu’on opposait autrefois, celui de l’infrastructure et celui du paysage urbain, de l’habiter. Aujourd’hui il semble être une clé de lecture, et une porte d’entrée pour réconcilier la guerre de l’espace urbain. Plus que ça, le projet des jardins nous raconte déjà une tentative de concilier sur un même site, la production et le loisir. Souvent réservée à l’ingénieur, l’infrastructure s’est extraite du territoire par sa fonction purement pratique. Pourtant elle semble pouvoir être un vecteur pour apprécier un paysage. Etant double, à la fois élément de césure et de rencontre. A la fois très critiquée, tentons de la prendre pour ce qu’elle est, un outil de lien, de transport, de déplacement, mais aussi de production. A partir de là, la typologie se dessinant à nos yeux s’offre à une éventuelle transformation. Car si dans sa fonction elle semble être univoque quant à une possible mixité ou élargissement du champ d’application, elle révèle dans son dessin des possibles bien plus importants. Car si elles semblent être imperméables au territoire, elles sont surtout des objets en devenir, des œuvres inachevées qui tendent une structure rationnelle et simplificatrice du monde. Mais permettent en bien des lieux, de se revêtir d’un tas de rêves et de fantasmes. Et puisque le début du XXI

siècle fait apparaître un nouveau paradigme : la ville verte, le regain d’intérêt pour le paysage, correspondant à la fois à des préoccupations écologiques et durables, et à la fois à un désir visible de retisser un lien avec le territoire. Nous allons observer comment les jardins d’Eole sont un marqueur dans cette nouvelle dynamique de projet, basé sur le paysage et le territoire, attaquant l’infrastructure dans une précaution qui a pour but d’ouvrir le dialogue.

ème

«"Landscape infrastructure", ou le verdissement de l’infrastructure Le concept de « landscape infrastructure » 73 ou infrastructure paysage en français, est introduit par son fer de lance : Pierre Belanger, qui tente d’expliquer et de théoriser cette discipline. Il s’agit de se réapproprier la discipline du dessin de l’infrastructure par l’architecture et le paysage. BELANGER P. Landscape Infrastructure: Urbanism beyond Engineering, Article en ligne. 2012. Disponible sur internet: < http://www.academia.edu/7642504/2012_ Landscape_Infrastructure_Urbanism_beyond_Engineering> 73


Si nous parlons ici de l’apparition du paysage dans le domaine de l’infrastructure, il ne s’agit pas là de parler de sa naissance, qui apparaît déjà au XVIIème siècle avec le chateau de Versailles, où l’homme domine le paysage, le contrôle et l’utilise par le biais de l’infrastructure. On pensera aussi à la machine de Marly utilisée sur le fleuve de la Tamise M. Les exemples ne manquent pas à travers le monde pour décrire le verdissement de l’infrastructure (voir annexe N). Mais au delà donc d’être une fascination pour la nature, la notion de paysage est avant tout un outil très efficace, qui étonnamment trouve plusieurs points communs avec l’infrastructure. Que ce soit les jardins d’Eole ou la High Line de New York, ces projets parlent de près ou de loin de la notion de recyclage74 (voir annexe O). Ou comment aujourd’hui le projet s’insinue dans un territoire complexe, sorte d’hyperpaysage75. Le recyclage est avant tout une notion écologique issue du développement durable, mais pas seulement, l’idée de recycler à l’échelle de l’architecture ou de l’urbanisme, c’est aussi une manière précautionneuse pour éviter de rompre des liens76 et de penser la ville en terme de fragments, en terme de composition et recomposition. Faire paysage à partir de ce qui semble nier ce dernier, c’est une nouvelle méthode qui apprend dans l’exercice du projet à partir de l’existant, pour établir des résonances et des aspirations nouvelles. Car il s’agit là, à la fois de poser la question du renouveau des

friches ou de la métamorphose de terrain de la SNCF, mais aussi la création de nouveaux réseaux. Il semble que la problématique soit similaire et implique l’enjeu de lien et de négociation avec les acteurs et ceux qui pratiquent le territoire. Il s’agit donc d’être dans la négociation, à l’image de l’agriculteur négociant avec relief de sa parcelle77. Le cas de la Ronda de Dalt(voir p71) à Barcelone par Manuel de Sola78 est une démonstration des méthodes non pas seulement techniques mais sociales pour aboutir à un projet plus sensible. Encore une fois la négociation avec les territoires que traverse l’infrastructure ne doit pas se faire à l’aveugle ou dans une négation du réseau, mais bien des rapports de proximités jugées et jaugées. D’ARIENZO R. et YOUNES C (dir.), Recycler l’urbain, Metis Presses, Paris, 2014. 75 MAROT S. L’art de la mémoire, le territoire et l’architecture, Editions de la Villette, Paris, 2010. 76 Notion que l’on a retrouvé précédemment chez Michel Corajoud, où l’art de la continuité des pratiques est un élément moteur du projet. 77 «Ce qui fait, à mon sens, la beauté de ces paysages archaïques, c’est que l’on y voit, à l’œuvre et sans masque, la rationalité des agriculteurs aux prises avec le sol, le substrat d’origine qui s’oppose, résiste ou se prête». CORAJOUD M. Le paysage : une expérience pour construire la ville, Paris, Juillet 2003. Disponible en ligne : http://corajoudmichel.nerim.net/10-textes/texte-grandprix/texte-grand-prix.pdf 78 LAMNUNIERE I. (dir.), Objets risqués, le pari des infrastructures intégratives, 1ere édition, Lausanne, 2015. P 44 74

p69


Ainsi à la manière de ce que décrit Sophie Lufkin79 sur les aires ferroviaires, l’espace entre réseau et ville ou monde rural peut être un formidable lieu pour faire naître des pratiques sociales, un nouvel écosystème. Il semblerait que la frontière entre le réseau et la ville ou « ruralité » devienne un véritable enjeu, un espace tampon où le rêve de la ville est possible, et se matérialise.

p70

Et c’est aujourd’hui un outil qui se perfectionne encore, nous pourrons citer l’exemple du projet de master de Grégoire Polikar80 (voir p71) ; un salon ferroviaire, où border l’infrastructure devient un espace de loisir, multifonction et surtout, mutable. Car c’est ce que nous avons vu aussi dans ce sujet, c’est l’intérêt de l’infrastructure, de pouvoir être un support, un cadre pour expérimenter des vies urbaines singulières. Et c’est dans cette situation que le projet des jardins d’Eole avec ceux évoqués dans l’ouvrage d’Inés Lamunière, propose non pas seulement un verdissement de l’infrastructure, mais des pratiques qui peuvent dialoguer avec l’infrastructure, et peut être, donner à voir des usages qu’on ne voit nul par ailleurs. 79 80

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Coupe sur le projet de la Ronda à Barcelone par Manuel de Sola. - 1982 Les «terrasses» s’offrent à l’infrastructure routière située en dessous, propose une promenade et un lien visuel avec le monde routier. Source : http://manueldesola-morales.com/proys/Moll_de_la_Fusta_eng.htm

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# Conclusion


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Le verdissement de l’infrastructure permet aujourd’hui de générer des respirations dans des villes toujours plus denses. Le danger est évidemment d’oublier et de faire oublier que l’infrastructure existe et existera toujours, et qu’elle est le point central de l’activité d’une ville. L’opposition entre logistique urbaine et vivre en ville forme une césure apparement inconciliable. L’industrialisation nous raconte, selon Sabine Barles81 que l’humanité s’est libérée des contraintes de distances et de temps. Creusant un fossé entre l’échelle de l’habiter et l’abstraction territoriale du réseau. Nous devons retrouver aujourd’hui une cohérence entre ces deux éléments. Il semble comme nous l’avons vu, qu’une des clés passe par la cohabitation, dans une écriture singulière, et un récit où ces deux échelles peuvent dialoguer, se télescoper. Car nous ne devons pas oublier que l’infrastucture, au delà de sa capacité fantasmatique à être une invitation au voyage, est une réserve et une respiration fondamentale dans la ville. Cela dit, ces zones sont longtemps restées des lieux « sacrés » inappropriables par les habitants la bordant. Et c’est donc pour cela que nous observons depuis les années 2000 la progression d’un urbanisme sur dalle où la ville tente de gagner du terrain sur le réseau. Le danger d’une telle manœuvre, et les exemples ne manquent pas, est de créer toujours plus d’abstraction, sans aucun lien avec un réel : celui du territoire et celui de l’instrastructure. Les jardins d’Eole, avec une approche sub-urbaine ont commencé à parler d’un possible dialogue entre ces deux éléments. Où l’infrastructure peut être une ressource privilégiée pour créer un projet à partir du site. A partir de sa mémoire, de son

substrat. Ainsi, les différentes recherches qui mènent au verdissement de l’infrastructure ou à une mixité programmatique, semblent être une clé pour raconter et représenter le paysage complexe des villes d’aujourd’hui, là où l’enfouissement de l’infrastructure nie une réalité qui est la genèse de nos villes. Car « cela vaudrait la peine de retenir quelques leçons du Xxème siècle et de ce futur dont nous avons conçu l’ascension, et vu la chute. Avant de mépriser ce qui semble être obsolète ou inutile, il faudrait peut être le préserver comme le témoin et le souvenir de nos aspirations et de nos limites ».82 Et c’est justement des leçons que nous avons tentées de tirer dans ce mémoire. Penser l’infrastructure, son dessin et sa vocation sert à penser le futur. Les jardins d’Eole ont esquissé un nouveau mode d’habiter l’infrastructure, entre désir de ville verte et passé infrastructurel, la cohabitation est possible. Parmi les mutations du réseau ferré que nous avons pu observer, les jardins d’Eole ont pris l’axe du paysage, et ils restent encore aujourd’hui une référence dans le rapport que le projet entretient avec la mémoire de l’infrastructure, son affirmation en tant que lieu symbolique qui n’est pas un parc mais bien un lieu ouvert aux possibles, pré-squissé par l’infrastructure. Ces enjeux se dessinent encore à travers les travaux du laboratoire d’Architecture et de Mobilité Urbaine ou bien avec le laboratoire du LIAT, comme un outil de paysage, un outil pour faire territoire et pour décrire des villes de plus en plus complexes, qu’André Corboz qualifiait d’hyperville83, ou d’hyperpaysage84 dira Sebastien Marot.


«

Ce panorama degré zéro semblait contenir des ruines à l’envers - je veux parler de tous ces nouveaux bâtiments qui finiraient par y être construits. On a là l’opposé de la «ruine romantique», car ces édifices ne tombent pas en ruine après avoir été construits, mais plutôt s’élèvent en ruine 85 avant d’être construits.»

»

Semaine thématique commune du dsa d’architecte-urbaniste et du dpea architecture post-carbone à Marne la Vallée, 16 Mars 2015 82 OLALQUIAGA C. Urbanismes entropiques, Jeu de Paume, actes du colloque du 22 Novembre 2008. P21 Disponible en ligne : www.jeudepaume.org 83 CORBOZ A. La Suisse comme hyperville , Le visiteur n°6 84 MAROT S. L’art de la mémoire, le territoire et l’architecture, Editions de la Villette, Paris, 2010 85 Ibid P 70 81

p75



Annexes


p78

A - Plans des chemins de fer franciliens en 1863 La petite ceinture apparaît en vert et encercle la capitale «Une couleur spécifique est attribuée au réseau de chaque compagnie ainsi qu’aux Ceintures Rive Droite et Rive Gauche.. La zone grisée représente Paris dans ses limites d’avant 1860. Le trait dentelé représente les fortifications de Thiers.» Source : Site internet de la petite ceinture https://www.petiteceinture.org/Histoire-de-la-PetiteCeinture-ferroviaire-de-Paris-des-origines-a-1934.html


p79

B et C - Plans de la cour du Maroc - 1960

Plan de permis de construire incomplet, mais permet d’identifier la présence des halles D et E (pointillés) qui vont disparaitre Source : Archives de Paris Références : 1534 W 992


p80

C - Permis de construire - 1960

On peut identifier la présence d’entreprises sur la cour du Maroc et aussi mentionner, l’incendie des deux halles. Source : Archives de Paris Références : 1059 W 678


p81

C - Permis de construire - 1960 Source: Archives de Paris RĂŠfĂŠrences : 1069 W 678


p82

D - Plan construction entrepôt - 1961 Source: Archives de Paris Références : 1069 W 678


p83

D - Elevation construction entrepôt - 1961 Source: Archives de Paris Références : 1069 W 678


p84

E - Plan permis de construire - 1962 Projection d’un nouveau quai relié au faisceau. Source: Archives de Paris Références : 1069 W 678


p85

F - Plan permis de construire - 1985 Source: Archives de Paris RĂŠfĂŠrences : 1535 W 992


p86

F - Permis de construire - 1985 Dépot de permis de construire pour l’extension des entrepôts de l’entreprise Jupiter Source: Archives de Paris Références : 1535 W 992


p87

F - Plan permis de construire - 1985 Extension de l’entrepôt Source: Archives de Paris Références : 1535 W 992


p88

G - Dessin aquarelle pour la mandature de Daniel Vaillant - DÊcembre 1992. Source: Transmis par la mairie du XVIIIème arrondissement.


p89


p90

G - Extrait d’article issu du parisien libéré - 18/11/1992 Source: Transmis par la mairie du XVIIIème arrondissement.


p91

H - Projet présenté par la ville en 1999 Source : Association des jardins d’Eole


p92

H - Projet présenté par la ville en 2000 Source : Association des jardins d’Eole


p93

I - Projet présenté par la ville en Mai 2000 Source : Association des jardins d’Eole


p94

Le projet : Recouvrement sur dalle des voies de chemins de fer. Conservation sur les quais donnant sur la Seine, une Halle et un ancien «Frigo»

L’avant projet

J:

ZAC Paris Rive Gauche

Source: http://blog.betonsalon.net/les-lieux/le-quartier/ historique-du-quartier/


p95

K : La Plaine Saint Denis avec le projet de recouvrement de l’autoroute par Michel Corajoud - 1997 Source:

http://img.over-blog-kiwi.com/600x450-

ct/0/56/05/21/20140912/ob_8aa5f5_aerienne-plaine-soisson.jpg


p96 Le projet : Création de logements et bureaux Nouveau quartier tentant la suture urbaine

L’avant projet

L : ZAC Clichy-Batignolles, projet en cours. Source: http://www.lemoniteur.fr/media/ IMAGE/2013/05/30/IMAGE_20130530_21400318.jpg


p97

M : Machine de Marly - Dispositif pour capter l’eau et alimenter les jardins du parc de Versailles. Source: http://www.arts-et-metiers.net/musee/machine-de-marly


p98

N : Central Boston Artery - 1991

Réhabilitation de l’autoroute par une couverture végétale. Projet analysé par Kelly Shannon dans «The landscape of contempory infrastructure» Source : https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/e/e9/2008_Greenway_Boston_2739303146.jpg


p99

N : Nus de la trinitat - 1990

Création d’un parc entre les bretelles d’autoroute, à Barcelone. Source : http://www.batlleiroig.com/en/landscape/parcdel-nus-de-la-trinitat/


p100

O :

Recycler les infrastructures et les friches industrielles de la ville. Article disponible en ligne : http://www. demainlaville.com/recycler-les-infrastructures-et-lesfriches-industrielles-de-la-ville/


p101



bibliographie


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p105


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p107


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p108

vi d eo t h e q ue Corajoud M. Conférence pour le pavillon de l’arsenal en juin 2007, intitulée, Paysages. Disponible en ligne: http://www.pavillon-arsenal.com/videosenligne/collection-6-109.php SCOFFIER R. Conférence pour le pavillon de l’arsenal en 2014, intitulée, Manières de construire des mondes : Entre mémoire et oubli: Christian de Portzamparc. Disponible en ligne: http://www. pavillon-arsenal.com/videosenligne/collection-29-430.php


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Les enjeux de l’infrastructure et notamment autour du réseau ferré a semblerait t-il muté. Les jardins d’Eole catalysent encore toutes les problématiques de la régénération urbaine autour des infrastructures. Nous aidant à comprendre mieux les processus de mutation et les liens qu’ils tissent avec toute une serie d’infrastructures, ces jardins s’inscrivent directement dans un paradigme de la ville-nature. Croisant la ville monde, quels sont les nouvelles problématiques de l’infrastructure ferroviaire ?


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