L vincent bergeron
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L’OBSERVA
ATOIRE
DU
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Bonjour Lecteur, Ici, tu ne trouveras pas de propos aux limites clairement identifiables au premier abord, tu ne trouveras pas non plus la description holistique du futur projet dont ce mémoire fait l’objet. J’ai préféré garder des zones d’ombre et même parfois en créer afin de ménager la surprise pour soutenance du 18 mai. Ce mémoire doit se lire comme un prérequis au projet final. Les points abordés ici ne seront pas détaillés durant la soutenance, ils seront sous-tendus dans l’architecture qui sera proposée et le discours qui l’accompagnera. Si tu ressens le sentiment d’avoir raté une page ou qu’il manque quelque chose, n’oublie pas que cet essai n’est que la première partie d’une pièce en deux actes et que le tout, mémoire + projet, est pensé comme un ensemble et non comme deux entités dissociables, tout comme l’espace et le temps.
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«
— Ô temps suspend ton vol ! dit Lamartine dans un élan lyrique. — Hé, d’accord, mais pour combien de temps ? répond Alain. « Évidement, la réponse en forme de question est géniale parce qu’en répondant de cette façon Alain dit à la fois qu’on ne peut pas suspendre le temps, et surtout que, par conséquent, c’est temporellement que je pense le temps. C’est-à-dire que penser le temps est une entreprise presque impossible dans la mesure où je suis juge et partie. Je suis acteur et spectateur. Je ne suis pas accidentellement temporel comme je serai accidentellement de gauche ou de droite par exemple, non, mais profondément temporel. L’homme, c’est du temps à deux pattes. De fait, le problème du temps, le paradoxe du temps, c’est que c’est dans le temps qu’on pense le temps. Ce que je suis, je ne le sais pas, ce que je sais, je ne le suis plus. »
»
Raphaël Enthoven
Introduction de l’épisode «Le Temps» de la série Arte Philosophie
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Avant-Propos Qu’est ce que le temps si ce n’est de l’espace ? Temps et espace sont intimement liés, ils sont indissociables. Un espace où l’on enlève la notion de temps, de mouvement, n’existe pas, car nous ne pouvons en faire l’expérience ni l’observer. Idem pour le temps, si vous lui retirez l’espace, où peut-il se muer, où pouvons nous observer les changements qu’il opère sur les objets ? Nous évoluons tous les jours dans un monde fait d’espace et de temps. L’architecture est l’acte qui donne de la qualité à l’espace et, par extension, de la qualité au temps passé dans cet espace. Aujourd’hui, où la notion de temps est contractée et où l’espace est réduit à son stricte nécessaire, à quel moment je prends le temps ? Le temps de la réflexion, le temps de l’action ? Le temps, c’est de la maturation. Le temps donne de l’arôme au vin, de la patine à l’or, de la pertinence aux idées, quelque chose de qualitatif naît du temps. Quand l’avons-nous oublié ?
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Où attendons-nous ? On attend le métro, on attend à la fête foraine, on attend dans un bar blindé, on attend un pote, on attend Émile, on attend au coin d’une rue, on attend le serveur, on attend la jouissance, on attend là, on attend que l’Histoire arrive, on attend qu’on nous prenne pour des cons, on attend au Kebab Jean Moulin, longtemps, on attend que la pluie cesse, on attend la vague, on attend Godo, on attend que cuisent les pâtes, on attend les autres, on attend que l’idée vienne ...
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LA NOTION DE
Dans cette première partie, nous verrons à travers des fiches de lecture ce qu’est le temps, que ce soit le temps physique de Carlo Rovelli, le temps philosophique de Bergson, ou le temps architectural de Bruno Zevi. Comprendre les mécanismes du temps nous permettra de l’observer, de le rendre palpable.
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— et si le temps n’existait pas ? — Carlo ROVELLI 1er édition 2004 Dunod Quai des sciences 154 pages
Physicien théoricien au Centre de Physique Théorique de Luminy (Marseille), professeur à l’Université d’Aix-Marseille et membre de l’Institut Universitaire de France.
RÉSUMÉ [PAGES 93 À 123] La relativité du temps La perception du temps est variable et cela le rend non-universel et donc non-vécu de la même façon par les êtres le subissant. Commençons par le paradoxe des jumeaux : si l’un des jumeaux voyage à grande vitesse en s’éloignant de l’autre et ensuite revient, ils auront des âges différents lorsqu’ils se retrouveront. Celui qui n’a jamais changé de vitesse sera le plus vieux (de même qu’entre deux routes reliant deux mêmes villes, celle qui ne tourne jamais est toujours la plus courte). Le temps est propre à chaque objet, nous n’avons simplement pas l’habitude d’observer ses décalages car ils sont trop faibles à notre échelle. Le temps ne s’écoule pas pour tous de la même manière. Nous avons notre temps sur Terre, la galaxie du Grand Nuage de Magellan a le sien, et, de manière générale, ces temps ne peuvent pas être mis en relation. Les deux endroits sont déconnectés physiquement et temporellement. Il n’existe pas d’horloge cosmique qui rythme la vie dans l’univers. Nous devons penser le temps comme une condition locale. Et la question Quel temps fait-il ? prend tout son sens. Cette 00:04:18.3
question du temps propre à chaque objet est dans la description mathématique indissociable de l’espace. C’est l’espace-temps. Le lieux, donc le contexte, est insécable de la notion de temps, l’un agit avec l’autre et vice-versa. L’absence de temps La science avance et la compréhension de ce qui nous entoure avec. Aujourd’hui, la physique quantique induit la gravité quantique et elle a pour idée que l’espace n’existe pas. Combiné avec la relativité restreinte, on en conclut que la non-existence de l’espace implique la non-existence du temps. La fameuse variable (t), chère à nos cours de physique, n’existe pas dans la théorie qui englobe la gravité quantique. Le temps n’existe pas. Cela implique de ne plus penser le changement d’un objet par rapport au temps mais par rapport aux autres objets qui influent sur son changement. On n’observe jamais le temps, alors d’où vient cette notion ? On exprime le changement de l’objet A par rapport au temps : A(t). Comment calculer le temps ? Galilée avait besoin, pour une expérience, de quantifier le temps. Il utilisa les oscillations d’un pendule qu’il compara à son pouls pour s’assurer de leur régularité. Au xixème siècle, les médecins mesureront le pouls des patients avec des horloges rudimentaires, sorte
de pendules plus sophistiqués. On utilise donc le pouls pour être sûr que le pendule est régulier et ensuite un autre pendule pour être sûr que le pouls est régulier. C’est un vrai cercle vicieux. Nous ne mesurons jamais le temps et cela reste vrai aujourd’hui. Les horloges les plus élaborées sont basées sur l’oscillation énergétique d’un atome de césium dont on compte simplement le nombre de cycle. Le temps se place comme une notion abstraite qui résume les différents facteurs non-observables qui agissent sur un objet et induisent son changement d’état, de forme, de place, etc.
COMMENTAIRE
La lecture de Rovelli permet de mieux comprendre que le temps se perçoit différemment selon le lieux et le contexte. Un pendule aura une oscillation différente sur une planète où l’atmosphère sera plus dense, ou même sous l’eau. À notre échelle, la journée qui avance pour passer du matin au soir se perçoit grâce à différents marqueurs temporels que nous percevons de manière inconsciente, comme par exemple les ombres qui s’allongent. Cette notion de perception du temps est aussi ambiguë en science que dans notre expérience du réel. 00:06:24.2
— durée et simultanéité — Henri BERGSON 1er édition 1968 PUF Quadrige 479 pages
1859-1941. Bergson a uni au plus au point la création des concepts (la durée) et la critique des problèmes (l’espace), les exigences de la science et celles de l’écriture, la vocation théorique et la vocation pratique de la philosophie. Prix Nobel de littérature, acteur politique, interlocuteur des plus grands de ses contemporains, il a montré en quoi la tâche philosophique est toujours à reprendre.
RÉSUMÉ [CHAPITRE III] Bergson distingue deux types de temps, le temps des choses que l’on peut appeler le temps des horloges et le temps intérieur à chacun , la durée, qui est notre expérience du temps. Cette durée se présente comme un flux continu, irréversible, insécable, inarrêtable et spontané. Mais, comment passons nous de ce temps intérieur au temps des choses ? Et, de même, comment cette nouvelle notion du temps nous intéresse dans l’acte architectural entreprit ici ? Bergson introduit la notion de conscience et d’expérience personnelle au temps. Nous savions que le temps n’existait pas sans espace, mais l’espace n’existe pas si il n’y a personne pour l’expérimenter. Alors, si l’espace n’existe pas sans nous, il n’y a donc pas de temps sans nous. Temps, espace et conscience sont indivisibles. L’expérience du temps, c’est ce qui permet, dans un même lieux et au même instant que deux personnes percoivent le passage du temps différemment. Pour l’un, une éternité s’est écoulée, alors que l’autre n’a vu qu’une seconde passer. Cette durée n’est pas mesurable, pourtant elle le devient par 00:07:48.2
l’observation. Le présent de l’action est dans l’action, immesurable par lui-même. Par contre, il laisse des traces dans l’espace, traces qui sont observables et mesurables. Nous ne mesurons pas le temps mais les empreintes que nous laissons à travers. Nous en revenons ainsi à l’étude du texte de Carlo Rovelli qui nous avait permis de conclure que nous ne faisions pas état du temps lui-même mais plutôt que nous le percevions grâce aux changements qui se produisent en son sein. Bergson, en ajoutant la conscience à notre réflexion, ouvre la voie à la perception. La conscience est ce qui rend notre rapport au temps sensible. Le temps et l’espace existent pour nous et différemment pour chacun de nous. La perception du temps n’est pas qu’affaire d’horloge mais aussi de conscience.
COMMENTAIRE
La conscience étant propre à chacun et nourrie des expériences que nous vivons, elle rend notre perception du temps personnelle. Et, vu que nous faisons état du temps dans le temps et dans l’espace, alors les notions de contextes et de rapport aux autres (hommes ou objets) viennent aussi s’inscrire dans notre rapport au temps. C’est en effet dans l’espace que nous expérimentons le temps et que le changement laisse des traces mesurables par chacun. C’est ici que se rejoignent la durée et le temps des choses. Si nous sommes assez proche physiquement, c’est dans cette proximité que nous partageons un temps commun. La perception des changements appliqués à l’autre, que ce soit son vieillissement ou le fait qu’il se déplace, nous renvoit à notre propre temps et est un élément à part entière de notre propre perception du temps. 00:09:07.3
— le langage moderne de l’architecture —
pour une approche anticlassique
Bruno ZEVI 1er édition 2016 Textes rassemblés Parenthèses Eupalinos 107 pages
1918-2000. Zévi étudia à la faculté d’architecture de Rome avant de s’expatrier à Londres puis aux États-Unis où il est diplômé de l’université de Harvard dans la section dirigée par Walter Gropius. De retour en Europe en 1943, il dirige la revue L’ architecttura; cronache e storia de 1955 à 1978, tint une rubrique dans L’Espresso, et enseigna à Venise puis à Milan.
RÉSUMÉ [CHAPITRE VI] Dans cet ouvrage, Bruno Zevi met en place un vocabulaire et des codes pour guider et comprendre l’architecture moderne. Il introduit au chapitre VI la notion de temporalisation de l’espace, une notion qui induit de la dynamique, du mouvement, et du temporel à l’espace. Pour être moderne, il faut inclure ce principe en comprenant comment il s’est construit à travers les étapes de l’histoire. Zevi écrit : Avant le panthéon, il n’y a pas d’espace créateurs. La signification du lieu pour l’homme primitif se fait par un plein, son monument est le menhir. L’Orient antique multiplie les solides, des pyramides aux temples, et dans ces derniers l’espace des salles hypostyles est usurpé par d’énormes colonnes. Le temple grec humanise le volume, mais ignore l’espace [...]. Des siècles vont s’écouler avant que l’homme admette la possibilité d’un dialogue entre la cavité et la ville. Cette évolution, cette expansion de l’espace produite par l’homme place ce dernier comme référent. Ce n’est plus l’homme qui tourne autour du menhir ou de la pyramide, mais l’espace qui contient l’homme. 00:10:32.2
On arrive à la naissance de l’architecture de parcours. Pour Bruno Zevi, le sixième invariant de l’architecture moderne est l’espace temporalisé, l’espace vécu. C’est un espace social qui a le potentiel d’exalter toute sorte d’événements. Un espace où l’on se déplace offre une multitude de point de vue et de cadrage. Chaque pièce se parcourt, le couloir comme le bureau, mais les temporalités varient autant que les fonctions. Le chemin à travers chaque espace doit être architécturé. Pour cela, il y a différents facteurs à prendre en compte et de multiples éléments qui interviennent. Le soleil, sa course, est un des premiers facteurs dynamiques. Mais il y a également le sol, un changement d’inclinaison incite le déplacement, le raumplan, une courbe ouvre une trajectoire et le son lui-même peut nous pousser à nous mouvoir par curiosité. Chaque pièce est le début d’une histoire et une architecture pensée dans sa temporalité permet de donner de la qualité à ce récit.
COMMENTAIRE
Grâce à Bruno Zevi, on associe l’architecture et la notion de temps. La qualité de l’espace dépend de sa temporalité. Un espace dans lequel je peux me mouvoir aura une expression différente d’un espace où je suis statique. Dans l’idée de parcours, je prends différents points de vue sur l’environnement que j’explore et ainsi je peux en saisir différentes histoires. L’espace ne se contemple plus, il se vit et offre à contempler, car un parcours ce n’est pas seulement un mouvement au grès des circulations, c’est aussi des points de tension où le chemin varie, et des points d’arrêts comme autant de ponctuation dans un roman. 00:11:54.9
LA PERCEPTION DU
La perception du temps, sa pluralitĂŠ qui dĂŠpend de chacun, offre de multiples axes de traitement spatial. Mais, comment traiter un espace pour prendre conscience du temps ?
00:12:11.2
«
Architecture des contemplatifs Il serait nécessaire de comprendre un jour, et probablement ce jour est proche, ce qui manque avant tout à nos grandes villes : des lieux de silence, spacieux et fort étendus, destinés à la méditation, pourvus de hautes et longues galeries pour les intempéries ou le trop ardent soleil, où ne pénètre nulle rumeurs de voiture ni de crieurs, et où une bienséance plus subtile interdirait même au prêtre l’oraison à voix haute : des édifices et des jardins qui dans leur ensemble exprimeraient la sublimité de la réflexion et de la vie à l’écart ! Les temps sont révolus où l’Église possédait le monopole de la méditation, où la vita contemplativa était toujours en premier lieu vita
religiosa : et tout ce que l’Église a construit dans ce genre exprime cette pensée. Je ne serais dire comment nous pourrions bien se satisfaire de ces édifices même désaffectés de leur destination ecclésiaste. Ces édifices parlent un langage beaucoup trop pathétique et contraint en tant que maison de Dieu et en tant que lieux somptueux d’un commerce avec l’au-delà pour que nous autres sans-dieu puissions y penser nos propres pensées. Notre désir serait de nous voir nous-même traduits dans la pierre et dans la plante, de nous promener au dedans de nous-même lorsque nous irions de-ci de-là dans ces galeries et dans ces jardins.
»
Friedrich Nietzsche
Le Gai Savoir, livre IV, fragment 280, trad. Pierre Klossowski (1956) revue par Marc B. de Launay, dans Oeuvres philosophiques complètes, t. V, Paris, Gallimard, 1982, p. 192.
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Un programme,
deux entités insécables Un observatoire est un lieu d’observation et d’expérimentation qui a pour objet de comprendre ce qui nous entoure. Le lieu de l’expérimentation, scientifique comme sociale, est balisé. C’est-à-dire que les facteurs qui le définissent sont paramétrés et paramétrables. Le lieu de l’expérimentation doit offrir un contrôle continu sur chacun des facteurs pouvant influer sur l’expérience qui doit s’y dérouler. Comme en architecture, l’espace est pensé et organisé pour son usage. Le lieu d’observation, indissociable de celui de l’expérience, est, lui, dans la distance. Il ne doit pas interférer avec l’expérience afin d’en permettre le déroulement spontané. Notre programme d’observatoire du temps reprend le même schémas, il se composera d’une partie d’où l’on observe et étudie, et d’une partie qui est observée et où l’on expérimente.
Ce programme n’est pas né hors contexte comme le serai un sexshop au Vatican. Il est apparu à la rencontre d’une idée et d’un bâtiment. L’idée, c’est le temps et ses bienfaits quand il est dosé justement. Le bâtiment choisi, c’est un lieu sans boîte aux lettres, sans numéro de porte, tellement absent que son architecture des années soixante érigée en flanc de colline au milieu des arbres est invisible au regard des rares badauds. Il est à un endroit où rien ne se visite. Il y a bien un centre hospitalier voisin, il se nomme la Maison des aveugles… Les seuls témoins de cet édifice sont les élèves d’une école proche qui utilisent son parking pour retrouver leurs parents le soir venu, une certaine expérimentation de l’attente. Un bâtiment dont la structure n’a rien de l’élégance et de la puissance d’un étalon, plus proche de la massivité et de l’immobilité du placide rhinocéros. 00:15:15.3
Pourtant, son implantation, sa morphologie et son exosquelette permettent de le détacher du sol mais pas de l’élever. Il est isolé, invisible et les yeux grand ouverts sur ce qui l’entoure. Voir sans être vu, un adage parfait pour un observateur.
La Promenade
Le Temps
La promenade est le lieu d’expérimentation du temps. Un lieu propice à l’arrêt, un lieu d’observation, qui permet la méditation tout en restant en prise avec l’extérieur. Ce lieu n’est pas offert à lui-même. Ce n’est pas la friche d’une architecture mise en ruine, vivant seulement du romantisme entre sa structure et la végétation dévorante. Ce sera un jardin avec ses espaces de contemplation, de réflexion et de circulation, mais un jardin traité comme un espace intérieur où les codes de l’architectures feront office de végétation. L’espace sera scénographié, il utilisera les moyens de la photographie pour s’exprimer.
GEORGE TICE Bois de trembles dans le Colorado, 1969
00:16:05.5
Pour se rendre compte du temps, il faut qu’il offre des choses observables. C’est pourquoi je ne parlerai pas du temps biologique qui se ressent plus qu’il ne se sent. Le temps biologique, c’est celui qui nous dit qu’il est l’heure de se coucher, il est aussi forgé par les habitudes comme le rythme des repas dans une journée. Ici, nous verrons le temps qui permet de voir la terre tourner et les gens bouger.
Percevoir par la vue Le sens de la vue est le plus utilisé dans notre société pour se rendre compte du déroulement des événements qui nous entourent. Il permet d’observer l’élément principal dans la création d’un espace, la lumière. C’est aussi le sens tout indiqué pour faire état du mouvement. Un même espace sous différents éclairages peut exprimer une multitude d’ambiances et dévoiler différents caractères, idem selon le point de vue avec lequel on l’observe. Plusieurs moyens s’offrent à nous spatialement pour jouer avec la vue, la lumière et la forme.
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LE CADRAGE PAR LA FORME Le cadrage induit la notion de limite, ici elles sont crées par un élément physique, soit par les limites de l’objectif, soit par les éléments mêmes de la photo [3] et [4]. Le cadrage permet différent travail sur ce qui est au-delà du cadre [4] et même avant [3]. Il permet de zoomer ou de mettre en avant un élément précis, cela peut avoir pour effet de rendre un sujet méconnaissable et de donner un rendu graphique à la photographie [1]. Il permet aussi de fragmenter une image comme pour souligner chaque élément important [2] ou rendre un élément important simplement en le distinguant.
traduction spatiale Grâce à cet outil, l’architecture maîtrise ses points de vue. Ici, il nous intéressera pour mettre en évidence certains marqueurs de changement disséminés dans le paysage, tels que la végétation ou le bâtit, et pour localiser les points d’intérêt offerts par la promenade.
1. GENE ANTISDEL 10 Novembre, 1969 2. GEORGE HALING New York 3. BRIE France, 1968 4. RON BRUNER
2
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1
3 4
LE CADRAGE PAR LA LUMIÈRE Le contre-jour est un révélateur de forme, il dessine les silhouettes et réduit le sujet à son essence. ll laisse percevoir un minimum d’information tout en permettant de comprendre la nature du sujet. Ce type de cadrage crée une relation rapprochée avec le premier plan, faisant disparaître l’arrière-plan. traduction spatiale Il nous permettra de rapprocher l’utilisateur du bâtiment et, contrairement au cadrage par la forme ou par l’ombre que l’on verra ensuite, il permet de mettre en avant les qualités intrinsèques du lieu et d’utiliser ce dernier comme cadre des nouvelles interventions.
1.JACK SCHRIER Escalier au Pavillon français, Exposition 1967, Montréal, 1967
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2. SIMIANE-LA-ROTONDE France, 1970
3. JIM BARSTOW Crépuscule, 1970
1. RON BRUNER
LE CADRAGE PAR L’OMBRE Le cadrage par l’ombre va au-delà du cadrage par la forme dans sa narration. Il nous raconte une histoire en mouvement, mais nous montre juste un instant fragile, en suspension, qui peut perdre sa poésie en un battement de cils. L’ombre peut se déplacer, obombrant le visage et enlevant toute force au moment [2]; ou s’effacer, dévoilant plus qu’il ne faut et brisant le charme [1].
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traduction spatiale C’est un cadrage de la précision, l’ombre dessine la forme à un instant précis. Les ombres projetées des éléments architecturaux existants ou nouveaux permettront de se situer dans l’écoulement de la journée telles des cadrans solaires et ainsi l’architecture ellemême deviendra un marqueur temporel.
2. EIMU ARINO
1. LARS WERNER THIEME Le Mercredi des Cendres, Munich, Allemagne, 1934
LA FORME DE LA LUMIÈRE La lumière dévoile la forme à l’œil. Elle peut par sa propre forme, née du jeu avec l’ombre, métamorphoser le modèle existant. Elle peut rendre un visage surréaliste [3], muer une galerie
2. HENRI GROSKINSKY
toute en longueur en un espace partitionné [1], et faire ressortir avec un même modèle différent caractère [2]. La lumière modèle la forme.
3. RALPH MORSE L’homme de l’âge spatail, 1954
traduction spatiale Ce moyen permet de faire muer un espace au fil de la journée, et ainsi par le changement de constater le passage du temps.
Percevoir par le mouvement Le mouvement est la traduction du temps dans l’espace. Le déplacement induit une temporalité. Pour aller d’un point A à un point B, je mets un certain temps, ces points sont immobiles mais le temps entre eux peut varier. C’est l’alternative de la ligne droite et la ligne sinueuse, si des obstacles se dressent entre les deux points alors la temporalité change. Ensuite, l’intention et la curiosité peuvent amener à s’arrêter ou faire des détoures, le trajet se modifie et sa durée change. Le mouvement est le pivot intrinsèque d’une circulation, il est ponctué par les séquences qu’offre l’espace. Observer quelqu’un se mouvoir nous renvoi à notre propre temps. Par exemple, l’automobiliste qui constate que la voiture qui le précède est lente est lui-même lent.
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1. FRITZ GORE Les étoiles qui tournent autour du pôle Sud, 1951
LE MOUVEMENT DU TEMPS Ces photographies sont soit une superposition de plusieurs photographies [2 et 3], soit une seule photographie avec un long temps d’exposition [1]. Elles offrent le même résultat, la décomposition du mouvement.
2. ANDREAS FEININGER Hélicoptère de secours de la Marine américaine, 1949
traduction spatiale Pour faire état du mouvement en architecture, on peut le décomposer avec un jeu de plein/vide le long d’une circulation et ainsi observer le passage d’un autre usager. Fragmenter le mouvement permet de le rendre perceptible. Les séquences d’absence créent un jeu de curiosité.
3. GJON MILI Stick Work
Percevoir par l’ouïe Ce sens est fortement utilisé pour rythmer les journées car il ne nécessite pas de se trouver à un endroit précis, contrairement à la vue. On fait sonner la cloche pour signaler l’entrée en classe et pour indiquer aux ouvriers la fin de la pause, le carillon des vêpres indique l’office du soir, le coq chante pour célébrer l’arrivée du jour.
00:21:47.5
LE SON DU TEMPS Le son est une onde qui se propage dans toute les directions, mais elle peut aussi être contenue avec certains dispositifs. Elle a également la faculté de s’adapter à l’espace dans lequel elle se propage.
traduction spatiale Une promenade, c’est finalement comme une mélodie. Elle a son rythme, ses bifurcations, ses pauses et ses silences. Elle se développe et se révèle petit à petit jusqu’à s’ouvrir complètement sur ce qui l’entoure. Le son peut-être un marqueur temporel pour signaler l’ouverture et la fermeture du lieu. On ne parle pas ici d’un bip agressif mais d’une mélodie choisie avec soin.
1. SEBASTIAN MILITO Prisme et Spectre, 1970
2. PAUL H. CORDS JR. L’écoulement de l’air, 1969
3. HAROLD E. EDGERTON Onde de choc, 1936
L’Observatoire
Salle d’exposition . Salle de contemplation . Laboratoires photographiques
L’observatoire sera, comme son nom l’indique, un espace d’observation offrant trois programmes : Lieu d’exposition qui, selon le thème, pourra mettre en avant le regard d’un photographe sur son époque, ou faire état de l’évolution d’une ville par les photographies qui retracent ses changements. Espace des archives dévoué à la recherche et à la réflexion, un espace où l’on vient prendre conscience de l’évolution des mœurs, des modes de vie. Un espace de prédilection pour un observateur d’architecture, où il pourra découvrir l’évolution d’un chantier, l’avant/après d’une parcelle ou les mutations d’un quartier. Laboratoires photographiques qui sont une rencontre entre l’expérimentation
du temps de la promenade et les archives photographiques. Chaque étape du développement d’une photographie est minuté, la précision est de l’ordre du dixième de seconde, et sa réalisation offre une expérimentation du temps. Comprendre l’élaboration d’une photographie et sa subjectivité apportée à chaque manipulation choisi par le photographe permet de prendre du recul sur l’élément photographique comme un état réel et objectif du monde. L’observatoire aura une double orientation, la première en direction de la promenade intérieure afin de contempler le temps du bâtiment et l’évolution des promeneurs, la seconde directement liée à l’extérieur afin de rester connecté avec le temps du contexte dans lequel se mue le bâtiment.
00:23:48.0
1. LEE FRIEDLANDER Princeton, New Jersey, 1969
2. LESLIE KRIMS, 1971
1. Les archives photographiques sont comme
Lee Friedlander, elles avancent tout en regardant derrière leur épaule, faisant état du présent sans savoir ce que le futur offre.
2. Elles sont aussi un catalogue d’histoires et de souvenirs, la photographie permet à la mémoire de faire resurgir le moment avec un simple regard.
00:24:47.4
3. ROMAN OPALKA Extrême détail
3. Ces archives permettent de constater le changement, ici Roman Opalka s’est photographié chaque soir après avoir peint avec les mêmes vêtements et le même éclairage. On saisit ainsi le passage du temps.
4. Comme
Opalka, Ken Josephson nous parle des instants qui ne seront plus les même une fois passés. Un jour, il y des statues, le lendemain des caisses en bois. Les statues sont-elles dans les caisses ? Les caisses sont-elles de nouvelles œuvres. Peut-être existe-t’il une photo du moment où tout a changé ...
4. KEN JOSEPHSON Visite à une carte postale, Stockholm, 1967
1. ANDRÉ KERTÉSZ New York, 1955
2. GJON MILI Centaure, 1939
La photographie est un arrêt du temps, c’est un instantané. Le moment de la photographie n’est vu ni par vous, ni par moi, ni même par le photographe. En effet, à l’instant où la photographie est prise, l’obturateur se ferme afin de capter la bonne quantité de lumière et ainsi une photographie contient un instant avec un point de vue qui n’a jamais été réellement perçu. La photographie est liée au sens le plus sollicité dans nos sociétés, la vue. On est informé par la publicité, on en a besoin pour trouver le quai du train, la porte de la boulangerie, savoir que le feu passe au vert. La photographie n’est pas de l’ordre de l’image, elle ne se cantonne pas à montrer ce qui est visible. Elle interroge, extrapole. Elle est absurde voir surréaliste, elle prend du recul sur l’œil et sur notre société. Elle parle aussi à chaque instant du temps, temps de pose, vitesse d’obturation, temps du développement, temps du tirage, temps de séchage. C’est pour cela que ce programme allie le temps de la promenade et la photographie qui en est son principale observateur et qui permet de questionner la temporalité de nos sociétés. 00:25:54.8
POURQUOI LE
Dans cette dernière partie, j’exposerai mes interrogations face au temps dans le contexte architectural et plus généralement.
00:26:07.9
Pourquoi le temps ?
Aujourd’hui, je me suis arrêté, je me suis assis sur un banc au milieu de mes pensées et je les ai regardées déambuler. J’ai vu mes décisions prises trop vite et mes paroles exprimées prématurément. J’ai ressenti du regret, celui de ma propre précipitation à des moments où rien ne me pressait. J’ai questionné ces moments passés trop vite, imaginé une fin plus réfléchie à ces conversations de l’instant. Pourquoi sommes nous aussi pressés, pressés de tout vivre, se lassant d’une chose à une autre. Alors que nous savons que c’est dans la profondeur du plaisir, dans l’accomplissement complet que nous trouvons du bonheur. Avons nous peur de mourir au point d’en oublier de vivre ? Le monde va trop vite, on s’y perd, on s’oublie. Aujourd’hui, j’ai compris que pour réussir à faire les choses de la meilleure des façons, il fallait prendre le temps. J’ai choisi l’architecture comme un médecin qui veut apprendre à soigner son propre mal. L’architecture est un acte qui nécessite la faculté à ne pas se spécialiser, à comprendre et synthétiser. On est tantôt garagiste, tantôt philosophe, mais aussi galeriste ou montreur d’ours. La synthèse n’est pas une faculté de la vitesse, c’est une faculté de la patience, elle a besoin de maturité pour acquérir son épaisseur. L’architecte n’est pas un formaliste qui puise ses gestes dans le flot de l’ins-
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tant, il doit être intemporel. Il doit s’extraire du bassin contemporain pour trouver les réponses aux questions du futur. Un bâtiment pensé dans son essence ne sera pas une ruine dynamité, mais le berceau de nouveaux usages. Une réhabilitation n’est pas un changement de destination mais une confrontation, un débat qui doit offir des réponses inattendues. L’architecte a besoin de prendre son temps, pour que les modes de vie évoluent sur les pierres du passé, et non faire table rase du placo plein d’humidité. L’architecture ne peut pas être vue comme un consommable, vite pensée, vite produite, vite vendue. Il est difficile de ne pas l’oublier à chaque nouveau concours, pressé par une administration qui ne se pose pas la question de ce qu’elle demande. Deux mois pour esquisser un bâtiment culturel, un mois pour une maison individuelle, quelques semaines pour un espace intérieur. La dead-line qui se profile à la vitesse d’une batte, hâtant la rencontre avec la balle. On avance vite. Pas le temps de s’arrêter. Il faut produire, supprimer les idées que l’on suspecte hors budget, choisir l’économie à chaque pensée et ne pas revenir en arrière. L’économie, ça fait plomber toute les gaines, ça systématise tous les logements d’un même immeuble, ça fait gagner de l’argent... L’économie ne fait pas une
Pourquoi le temps ?
architecture. L’être humain ne se limite pas à l’économie, il est aussi sentiment, jeux, passion, astrologie, mysticisme et crème au chocolat ultra-calorique. Les monuments qui ont traversé les âges sont des temples, des églises, des cathédrales, des espaces du sacré où la rationalité du budget n’a pas sa place. Pourtant, il nous inspire tous, on les admire qu’importe notre confession. Ce sont des espaces du ressentit, de l’évocation, ils se construisent sur des dizaines, voire centaines d’années. Ils ont dépassé l’échelle des hommes qui les ont commandités. Pourtant aujourd’hui, où le durable est à l’honneur, on se presse de construire des ruines en attente. C’est absurde quand on y pense. Avec le temps, je peux affiner, optimiser, peaufiner les détails, trouver les bons artisans, rechercher et développer. Le temps me permet de mûrir un projet, de mieux comprendre le lieu, les besoins, les usages et d’anticiper l’imprévu. Avec le temps, je peux rendre le bâtiment immortel. Il est le meilleur ingrédient de la qualité. La question du temps en architecture, et plus particulièrement du manque de temps, n’est pas nouvelle. J’ai pu consulter de nombreux romans, essais, nouvelles, revues, interviews qui parlent d’architecture en crise, d’architectes sans place qui évoluent dans une société en crise où le temps ne trouve pas son rythme.
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Dans l’agence d’architecture où je travaille parallèlement à mes études, j’ai également été confronté au problème du temps. J’ai pu voir les différentes phases d’un projet, la place difficile de l’architecte qui doit être tantôt dessinateur, tantôt créatif, tantôt politique et, malgré les volontés de donner de la qualité à l’usage, j’ai vu l’agence se plier aux impératifs du client, à ses délais et se heurter à son incompréhension du temps nécessaire au projet. Il n’y a pas qu’au niveau de la conception où la charette est religion. J’ai vu certains chantiers être lancés avant même que la phase Pro ne commence et se transformer en joyeux bordel où seul le rendement était de mise, bienvenu au bal des réserves. De la conception à la réalisation, le temps est sans cesse contracté, condencé, raccourci, nié, évité, parfois méprisé, souvent mal connu. Pour prendre le temps, pour le comprendre et le réhabiliter, un observatoire m’est apparu comme un premier mouvement pertinent.
Asseyons-nous, prenons un cafÊ en prenant le temps d’en discuter. Je vous donne rendez-vous le 18 mai.
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TABLE LA NOTION DE TEMPS — Et si le temps n’existait pas ? — — Durée et simultanéité — — Le langage moderne de l’architecture —
LA PERCEPTION DU TEMPS
00:03:03.4 00:04:18.3 00:07:48.2 00:10:32.2
La Promenade Percevoir par la vue Percevoir par le mouvement Percevoir par l’ouïe L’Observatoire, la photographie
00:12:11.2 00:16:05.5 00:16:56.8 00:20:53.7 00:21:47.5 00:23:48.0
POURQUOI LE TEMPS ?
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SOURCES PHOTOGRAPHIE Collection LIFE LA PHOTOGRAPHIE
Photographie 1881/1882 Photographie 1880/1881 L’Appareil photographique La Lumière et la Pellicule La Couleur Les Grands Thèmes Les Problèmes spéciaux Les Techniques photographiques L’Art de la photographie La photographie de documentaire Les Confins de la photographie
PHYSIQUE ROVELLI Carlo, Et si le temps n’existait pas ?, Dunod, 2014, 161p. KLEIN Étienne, Le facteur temps ne sonne pas deux fois, Flammarion, 2009, 265p.
PHILOSOPHIE BERGSON Henri, Durée et simultanéité, puf, 1968, 213p. NIETZSCHE Friedrich, Le Gai Savoir, livre IV, fragment 280, Galimmard, 1982, p. 192
ARCHITECTURE BRAUD Claire, Chantier interdit au public, Casterman, 2016, 168p. ZEVI Bruno, Le langage moderne de l’architecture, Parenthèse, 107p. 00:30:58.8
DUBOŸ Philippe, Carlo Scarpa – L’Art d’exposer, JRP Ringier, 2012, 240p. BOFILL Ricardo, Espaces d’une vie, Odile Jacob, 1989, 254p.
MUSIQUE BOULEZ Pierre, Le pays fertile – Paul Klee, 2008, 175p.
FILMS RIDLEY Scott, Blade Runner, 1982, 1h57
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REMERCIEMENTS Je remercie mon tuteur de mémoire, Claude Mathieu pour m’avoir encouragé à développer mon propos de la manière qu’il me semblait le mieux. Je remercie ma sœur, Marion, pour sa précieuse aide dans la rédaction. Je remercie Noémie pour sa relecture et les encouragements. Et je remercie cet inconnu croisé au coin d’une table d’un café qui intrigué par mon travail est venu prendre le temps d’en discuter.
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