Supplément au journal du lundi 21 février 2011 - Ne peut être vendu séparément - Directeur de la publication : Jacques Hardoin - Imprimerie : ZI La Pilaterie, rue du Houblon, 59 700 Marcq-en-Barœul
16 pages spéciales à conserver
JUSTICE
Dix ans après... Les leçons d’Outreau
Dix ans après, retour sur l’affaire qui a ému, passionné, choqué, révolté ou étonné les Français. Récits, témoignages, analyses : voyage au cœur d’un fiasco judiciaire. PHOTO GUY DROLLET
La justice et la démocratie JEAN-MICHEL BRETONNIER « Plus jamais ça. » Il fallait réformer la Justice. Les juges devaient se remettre en cause. Mais aussi les experts, les journalistes. Et l’opinion. Tout le monde devait se regarder dans la glace. Au lendemain du désastre judiciaire d’Outreau, les bonnes résolutions pleuvaient. Dix ans après, quelles leçons ? On les pèsera plus facilement au trébuchet qu’à la balance à bascule. La révolution judiciaire n’a pas eu lieu,
mais plus rien n’est tout à fait comme avant. Ce qui reste d’Outreau, dix ans après, ce sont les visages des acquittés témoignant devant la commission parlementaire. La France les écoute, figée par l’émotion. Ils parlent avec le calme de ceux qui ont vécu l’enfer ; ils ont oublié les caméras. Ils sont habités par la force et la vérité de leurs propos. Ils crèvent l’écran. On n’oubliera pas non plus le juge Burgaud. Blême, inexpressif, les yeux vides. Le corps fermé à double tour derrière des bras croisés. Le ton monocorde, le propos à peine audible. Quand ceux qu’il a poursuivis s’allègent en parlant, lui se plombe.
Ce qu’on a appris d’Outreau, c’est à travers ces visages. L’opinion, les journalistes, les juges, tous ont gardé en mémoire ces destins brisés. On savait depuis longtemps l’erreur judiciaire toujours possible. On sait maintenant qu’on peut s’y enferrer des années durant, en dépit des évidences. On a mesuré les dégâts humains que peut causer une machine infernale conduite par des gens qui ne voient ni n’entendent plus rien d’autre que ce qui les arrange. Ce qui n’a pas changé, en revanche, c’est la place de la Justice dans notre démocratie. Dix ans après le début d’une affaire qui vit l’institution
chavirer, les juges étaient quasiment en grève, ulcérés qu’on leur fasse porter un chapeau trop grand, alors qu’on les laisse se battre avec des dossiers qui s’accumulent, des moyens qui manquent, une sérénité qui se dérobe. En matière de justice, le retard du budget de la France est criant. La nation des Droits de l’homme traîne toujours dans les profondeurs du classement. On avait dénoncé la toute puissance du juge, et en même temps sa solitude. La commission avait préconisé la collégialité de l’instruction. On l’attend toujours. Pas assez de moyens. Mais surtout, pas assez de volonté politique. Comme si, en France, la Justice, à l’instar des autres pouvoirs, devait éternellement être tenue en lisière par l’exécutif. ᔡ