- LEXIQUE NOMADE -
- ÉDITO -
D’un mot à un autre, des écrivains se révèlent et s’abîment, se confient, digressent. À l’océan du monde et de la littérature répondent de petits îlots de sens, parfois instables et glissants. On s’y cramponne, on est emporté. Recomposant chaque année un territoire qu’il appartient au lecteur d’habiter et de nommer, les auteurs invités aux Assises Internationales du Roman s’interpellent et se répondent d’une langue à une autre, d’une œuvre à une autre. Instantané de création contemporaine, ce lexique tisse la toile toujours en construction d’une aventure de la sensibilité et de la raison, et d’un partage renouvelé de la langue et de la fiction. Au lecteur, la liberté d’inventer ses rencontres et de partir en promenade. Cette carte est sans itinéraire, sinon le sien.
- DÉFINITIONS -
ÂME Les idées d'Ame et de Dieu sont les fictions majeures créées par l'esprit humain. Des fictions capables de créer des réalités beaucoup plus vastes que l'image du monde appelée par nous réalité. N'importe quelle tribu primitive est capable de créer un monde d'esprits et de divinités et il serait sans doute impossible de trouver un groupe humain qui dès l'origine aurait consenti à vivre dans une réalité plate et finie. Des divinités des aborigènes australiens aux dieux grecs, les hommes ont créé des fables plus grandes que la vie même. Sans doute l'invention d'un Dieu unique mit-elle fin à ces fictions, car après quelques interventions douteuses ce Dieu s'est retiré dans le mutisme et l'invisibilité. Alors est apparue la littérature dont les héros étaient des êtres humains mortels. Le Poème de Gilgamesh exprime dans les termes les plus crus la perte de l'immortalité et de la divinité. Quand la fiction se termine, les êtres humains se retrouvent prisonniers d'un enfer de sable aride, monotone, dépourvu de sens. L'image de l'Ame est née de cette nécessité d'imaginer une vie au-delà des limites imposées par le temps et le besoin. Il n'y aurait pas de littérature sans cette capacité à inventer un être humain au-delà de la chair. Les dictionnaires définissent l'âme comme "cette part immatérielle de l'être humain qui est capable de sentir et de penser et qui, avec le corps ou part matérielle, constitue l'essence humaine". Mais ce que nous concevons comme une réalité spirituelle ou comme une simple croyance est peut-être la clé qui ouvre la porte à l'imaginaire et à la pensée du futur. Car les conceptions linéaires du temps n'ont plus aucun sens pour la science. Et peut-être un jour l'idée que la vie a une fin ne voudra-t-elle plus rien dire. Nous écrivons des poèmes et des récits, nous composons de la musique, nous créons de l'art et des pensées parce ce n'est que dans nos créations que nous pouvons voir le reflet de notre divinité. Car en elles nous percevons le souffle de notre âme immortelle. Et tout spécialement dans la littérature, cet espace où l'imaginaire merveilleux se déploie, s'épanouit et se transforme. Perdre de vue ce devoir d'imagination signifierait pour nous enfermer le monde dans des limites asphyxiantes.
LES AVEUX Je voudrais un livre écrit comme une flèche et qui se lise en un instant ; la vie dure un instant. Nous sommes tous ainsi, condamnés à une jeunesse éternelle. Nous croyons vieillir. Nos cheveux blanchissent, notre peau se tanne, mais nous n’avons pas pris une année de plus, pas une seconde, rien. Le temps passe et nous laisse intacts, immobiles au milieu de nous. Pourtant, l’instant s’étire, et ce que l’on espérait atteindre d’un geste, se sauve, échappe, décanille. On est orphelin. Mais de livre en livre, une silhouette se dévoile, un sens se confie. C’est comme si, lentement, il me fallait lier entre eux les indices, les signes, que chaque livre m’apportait une clarté nouvelle, une autre raison de ne pas consentir à l’illusoire. Bien sûr, il y a toujours l’abandon, le souffle coupé, l’incertitude. Tout manque à nouveau ; et on n’écrit sans doute qu’à partir de ce défaut. On doit reprendre, et cependant c’est encore le même désir qui requiert, la même vérité qui tourmente. Mais quoi ? C’est une chose qui nous concerne tous ; tout au long de l’Histoire, elle donne le vertige. Elle est ce qui biaise les signes, ce qui masque, ce qui concentre la puissance — l’artisan de nos gloires et de nos malheurs. Elle farde ; elle est la jouissance avaricieuse. Mais l’écriture nous en libère. Elle est un pacte avec la réalité, elle dégrise. Elle sait traduire et révéler. Je n’écris que pour ça, afin que ce qui nous enivre et nous tourmente passe aux aveux.
ÉRIC VUILLARD
FELIPE HERNÁNDEZ Traduit de l'espagnol par Dominique Blanc
ANTI-MÉDECIN Il est extraordinaire d’observer a posteriori le nombre de choix qu’on accomplit pour déplaire à son père. J’aurais aimé être médecin. Mais dans la famille, le médecin, c’était lui, et l’imiter eût été lui accorder une satisfaction trop grande. En optant pour ce métier, je me serais condamné à demeurer longtemps, peut-être même pour toujours, le « fils du docteur ». Ainsi — c’est souvent ce qui arrive —, je me suis transformé en l’exact contraire de mon ambition : en écrivant, je suis devenu un anti-médecin. Au lieu de soigner, j’agis comme un vecteur volontaire de pathologies, je m’efforce de les propager le plus loin possible, y compris en-dehors des pages, à travers mes personnages. Par soumission ou par jalousie — je l’ignore —, j’ai peuplé mes histoires de médecins qui, en s’efforçant de corriger un disfonctionnement précis de l’organisme, échouent dans une entreprise plus importante. Neurologues, oncologues, orthopédistes, dentistes, chirurgiens, otorhinos, spécialistes des maladies tropicales et de la fécondité masculine, missionnaires en Afrique Noire et médecins des assurances sociales, même un acupuncteur et un pédiatre végane : chacun d’eux est une extension de ma personne dans le royaume infini de ce-qui-aurait-pu-être-et-qui-n’a-pas-été. Bout par bout, j’acquiers une instruction rudimentaire et chaotique dans un milieu clinique, une autre de ces compétences peu spécifiques (et donc totalement inutiles) auxquelles contraint la fiction littéraire. Et je poursuivrai dans cette voie, je le sais. En tant que représentant de l’anti-médecine, je continuerai à mettre en scène des versions hypothétiques de moi-même au point de prendre en considération toutes les nuances de ce destin désormais impossible, afin qu’on puisse au bout du compte me ramener à la case départ et recommencer à dire : « Ah oui, on voit bien que c’est le fils d’un docteur ».
PAOLO GIORDANO Traduit de l’italien par Nathalie Bauer
CE N’EST PAS TOUT OU RIEN Ils sont du côté de la violence, ceux qui nous disent sans cesse : « c’est tout ou rien » ou encore « c’est à prendre ou à laisser », comme s’ils disaient, le doigt sur la gâchette : « c’est la bourse ou la vie », ou disposaient sur nous d’un droit de vie ou de mort. Or, le plus souvent, dans notre vie, il en va tout autrement : il y a du soleil ce matin, un mot de toi, dans le flot des messages, un soutien à une résistance, face à l’agrégation des abandons, quelque chose, face au reste. Ce n’est pas rien, même si cela n’est pas « tout », au sens du « plein », au sens de toutes choses, de la toute puissance et des autres mythes de la totalité, si solidaires de la détresse et du vide. « Je n’attendais plus rien, quand tout est revenu » : début du poème que Reverdy, dans La liberté des mers, intitule « Le bonheur des mots », justement parce que ce qui revient, c’est d’abord la parole, et avec elle choses et relations précises qu’il a ensuite le bonheur de dire. J’étais assombri face au rien, et tout revient, mais non pas le grand Tout, bien plutôt quelque chose ou quelqu’un, ceci ou cela, lui, ou toi, et moi, du même coup. Tout n’est pas dans tout, mais dans certains êtres, face à ce qui les détruit. Et il suffit d’un peu, mais réel, de ceci, la vie la justice l’amour le monde, pour s’opposer à cela, qui s’y oppose. Mais il faut un peu de tout cela, face à tout ceci : il faut à la fois de la vie de la justice de l’amour du monde. De tout, contre les manques les trahisons les crimes les effondrements. Face aussi au tout et au rien en général, la totalité et le néant, le nihilisme et le totalitarisme. Il arrive que ce soit tout ou rien, l’urgence vitale, la haine absolue, la dictature, la catastrophe ; alors il faut jouer le tout pour le tout. Mais dans chaque expérience qui s’oppose à tout cela, nous revivrons.
FRÉDÉRIC WORMS
- LEXIQUE NOMADE -
DÉSINVOLTURE
DÉSIR
L’invite est dangereuse, qui voudrait vous faire révéler votre « mot talisman », celui qui « vous anime ». Et moi, golem lambda, je donnerais le mot ? Non, bien entendu (ou ce serait par inadvertance, car chacun ignore quel il est, ce mot tracé d’une main sans âge sur un papier crasseux, plié en sept et enfoui dans la région du cœur. Pourquoi en sept ? On ne peut plier une feuille de papier plus de sept fois). À présent, un mot qui m’est cher : la désinvolture. N’est-ce pas la plus enviable des qualités ? Certaines lectures baroques, à l’adolescence, m’avaient donné le goût de fouiller les poubelles du vocabulaire. Criblant la baraque de Huysmans, écumant les jardins d’Hamilcar (à Mégara, faubourg de Carthage), je me suis enrichi de vocables au rebut, de ceux qui font de vous un abscons, un précieux. Chacun ses timbres, chacun ses marottes. Peu à peu, je me débarrasse par l’oubli de ce bruyant barda, des breloques douteuses… Il me souvient pourtant d’une joie franche, le jour où le Grand Larousse m’a donné : invagination (qui désigne, en médecine, le repli d’un organe sur lui-même). De des Esseintes à del Dongo, d’invaginé à désinvolte, et retour à la nuit, à la forge. Lame au fourreau, sabre au clair. C’est le mouvement de déplier qui importe surtout à l’écrivain. Et c’est pourquoi il s’applique longtemps à former des plis, à coups de maillet ou en se mettant à l’école des fleurs : bouton de pivoine, œillet, coquelicot, on froisse. C’était aussi le secret des armuriers de Damas : plier l’acier, le battre, le replier, l’étendre, des centaines de fois. Vient alors la joie, inépuisable, de déplier telle ou telle de nos images dans la lumière. La désinvolture n’est pas la nonchalance, c’est le bonheur de celui qui chaque jour déplie les involtini de son cœur et ceux de son esprit.
Désir, sans article défini, et avec toutes les significations plus ou moins sulfureuses que comporte le terme : tentation, appétence, pulsion, inclination… Le mot résume à lui seul le propos que j’ai voulu tenir sur des sociétés dans lesquelles la parole libre n’est pas garantie. Il prend tout son sens dans ces pays où la notion de tabou reste prégnante. La soif des individus est d’autant plus inextinguible que pèsent l’interdit, les proscriptions sacrées, la menace de la condamnation, du bannissement, du rejet. Dans des esprits auxquels on a inculqué les hautes valeurs de la pureté et de la vertu, le désir peut être assourdissant, car il ne va pas sans un sentiment pernicieux de culpabilité. Je fais bien entendu référence au désir sexuel, mais pas uniquement. Il y a aussi la frustration du pouvoir, de la puissance, de l’argent. Il y a encore l’attrait qu’exerce l’Occident, associé dans l’imaginaire collectif à l’idée même de la jouissance, que celle-ci soit d’ordre sensuel ou intellectuel – en Orient, une multitude de gens vivent ainsi en rupture avec leur environnement, dans la fascination de tout ce qui se rapporte à cet Occident. Le désir de parler librement, un plaisir qui relève peu ou prou du péché. Le désir charnel, symbole de la transgression du sacré. Le désir de vivre pleinement, de goûter à tous les plaisirs que peut offrir la vie, jusqu’au bruit de la cuillère sur la marmite, l’odeur des épices et des agrumes, les crépitements de l’huile dans la poêle à frire, et même le ballet des mouches autour des plats. Mes romans décrivent les mouvements du fantasme, la quête des assouvissements imaginaires et les logiques autodestructrices auxquelles celle-ci peut conduire. Mes personnages se plaisent à braver les interdits et les dangers en exprimant haut et fort leurs envies. La perspective de la jouissance peut suffire à satisfaire leurs appétits narcissiques et à déchaîner en eux de puissantes émotions. Leur exaltation ne fonctionne pas sans l’illusion – de fait, les gens ne pourraient vivre s’ils ne pouvaient composer avec la réalité. De mon point de vue, ces aspects longtemps négligés par les sciences sociales fournissent aux romanciers une matière inépuisable.
ALI BADER Traduit de l’arabe (Irak) par Emmanuel Varlet
DAVID BOSC
CERCLE « Tout ce qui est droit meurt. Toute vérité est courbée ; le temps lui-même est un cercle », disait le nain dans Ainsi parlait Zarathoustra. Un cercle est un phénomène étrange. Contrairement à ce qui est linéaire, un cercle ne se bat pas pour de nouveaux territoires, d’ailleurs il ne rêve pas de terra incognita. Pour un cercle, le voyage est, de fait, un concept étranger. La nouveauté est un paradoxe, la vieillesse, une énigme. Le progrès est une utopie. La vérité, un augure inversé. La connaissance est un cycle de souvenirs et d’oublis : boire à la fontaine de Mnémosyne, puis plonger la tête la première dans les eaux argentées de Léthé. En Bulgare, le verbe qui signifie « encercler ou décrire un cercle » est vurtya, apparenté au sanskrit vratayatti, « tourner », « pivoter », « décrire un cercle ». Vurtya est aussi la racine du mot bulgare pour le temps, vreme, et également de vreteno, le « fuseau ». Ainsi, dans la langue dans laquelle j’ai grandi, le temps est associé à quelque chose de circulaire, de cyclique. La terre tourne, les saisons se succèdent de manière circulaire, Clotho dévide le fil de la vie sur son fuseau, nous nous souvenons pour mieux oublier et nous oublions pour nous souvenir ; le jeune devient vieux, le vieux redevient jeune, le commencement se confond avec la fin : le temps est un serpent qui se mord la queue. L’association entre le cercle, le temps et la mémoire est importante dans l’orphisme, le pythagorisme, les mystères dionysiaques, le jaïnisme et le bouddhisme, dans le Rig-Véda. L’opposition entre temps linéaire et temps cyclique est également ce qui sépare l’Est et l’Ouest. D’un côté, il y a le Big Bang et le jugement dernier, et de l’autre, le Kalachakra (la roue du temps, en sanskrit), l’intrigue cyclique du Phaedon, et, bien sûr, Nietzsche, qui, à la fin du Crépuscule des idoles, affirme qu’il est le dernier disciple de Dionysos et qu’il enseigne le retour éternel. La philosophie du cercle – avec tous ses aspects principaux, le temps et la mémoire – est présente dans toute mon écriture. Tellement présente et évidente, en fait, qu’à la fin de mon roman Wunderkind, le personnage en revient au point où tout a commencé pour lui, à l’académie de musique, deux ans avant la fin de la guerre froide. Ceux qui sont morts reviennent à la vie, et ceux qui ont survécu recommencent tout depuis le début. Qu’est-ce qu’un cercle, en vérité ? Une damnation éternelle, une très longue répétition, ou un symbole de la catharsis ? Mais bien sûr ! Demandez à n’importe quel magicien : un cercle est une illusion.
NIKOLAI GROZNI Traduit de l’anglais (États-Unis) par Benjamin Fau
LÉONOR DE RÉCONDO PIETRA VIVA ` LEONOR ` DE RECONDO PIETRA VIVA A rroman oman
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Une poussière étoilée tombe des mots de Léonor de Récondo, et la finesse de ces particules provient d’un geste sûr, comme envoûté. La pierre vivante, pietra viva, dans laquelle cette romancière sculpte avec ferveur, est un épisode de la vie de Michel-Ange, au creux d’une carrière de marbre, à Carrare. Marine Landrot, Télérama
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- LEXIQUE NOMADE -
L’HUMOUR Je n’ai jamais cherché à écrire avec humour. Mais mes amis m’ont toujours dit : tes œuvres sont pleines d’humour. C’était le cas en Chine et ensuite, quand elles ont été traduites, mes amis parlant d’autres langues répétèrent : tes œuvres sont pleines d’humour. À tel point que j’ai bien été obligé de me demander : en quoi ? Finalement, j’ai compris : ce ne sont pas mes œuvres, mais la vie – ou bien la vie en Chine – qui est pleine d’humour. Par exemple, en 1942, à cause d’une grave sécheresse, trois millions de personnes sont mortes dans ma province natale du Henan. Que représentent trois millions de personnes ? Pendant la Seconde Guerre mondiale, dans le camp de concentration d’Auschwitz, les Nazis ont persécuté et exterminé 1,1 million de Juifs ; les morts du Henan en 1942 correspondent à trois camps de concentration d’Auschwitz, moins les Nazis et Hitler. Or, les Nazis ont persécuté les Juifs par discrimination ethnique et à cause de la guerre, alors que les trois millions de morts du Henan ne sont dus qu’à une sécheresse naturelle. En tant que descendant de victimes, quand j’ai cherché à clarifier cet épisode, la première difficulté que j’ai rencontrée est que les témoins directs et leurs descendants avaient depuis longtemps oublié 1942 et ses trois millions de morts. Quand j’interrogeai ma grand-mère maternelle, une survivante directe, sur la situation, elle demanda « 1942 c’était quelle année déjà ? ». Je lui précisai que c’était l’année où beaucoup de gens étaient morts de faim. Elle répondit immédiatement : « Il y a tellement d’années ou beaucoup de gens sont morts de faim, de laquelle veux-tu parler enfin ? ». Cette réplique était elle-même pleine d’humour. Encore plus humoristique : quand je me replongeai dans l’année 1942, la découverte qui m’ébranla le plus ne fut pas le chiffre gigantesque de trois millions de morts de faim, mais l’attitude de ces gens face à la mort. Un Européen ou un Américain qui a été privé de nourriture, exprimera son indignation avant de mourir, et demandera certainement : pourquoi dois-je mourir ? Qui m’a affamé ? Que fait le gouvernement ? Mais mes compères du Henan n’ont ni exprimé d’indignation, ni demandé de comptes, ce qu’ils ont légué au monde avant de disparaître sont de dernières expressions d’humour. Vieux Zhang, au seuil du trépas, ni indigné ni revendicatif, pense à son ami Vieux Li. Or celui-ci est mort de faim trois jours plus tôt – ce qui provoque l’exclamation de Vieux Zhang : « J’ai vécu trois jours de plus que Vieux Li, je suis un sacré gaillard ! » Pendant les années où les cadavres d’affamés recouvraient la plaine, le cannibalisme n’avait rien de très amoral. Vieux Zhang est mort, Vieux Wang tire sur son pantalon pour couper un morceau de viande. La douleur réveille Zhang, qui fixe Wang et s’exclame : « Je ne suis pas encore fini ! » Wang le toise et rétorque : « Mais si, tu es fini ». Zhang réfléchit, en effet il est fini, il tourne la tête et s’affaisse. Chers Chinois, pourquoi avez-vous tant d’humour ? Pourquoi aimez-vous tant oublier ? Ainsi, la réponse de ma grand-mère maternelle montre que d’énormes famines comme celle de 1942 étaient en effet très nombreuses dans l’histoire de la Chine. Quand des affamés se transforment en une nation où chacun a accès à un repas simple, quelle autre méthode pour affronter cette réalité grave mais quotidienne que l’oubli ? Voilà le problème. Les Chinois peuvent témoigner d’expérience qu’au moment de faire face avec gravité à une réalité grave, celle-ci devient un morceau d’acier et les êtres humains des œufs : quand l’œuf heurte l’acier, il se brise immédiatement. Si l’on se sert de l’humour pour affronter une réalité grave, celle-ci devient un morceau de glace, l’humour se transforme en océan ; quand la glace tombe dans l’océan, elle fond rapidement. Voilà l’astuce qui a permis à la nation chinoise de survivre. C’est aussi la source de l’humour chinois. J’ai écrit une nouvelle intitulée « Se souvenir de 1942 ». Ceux qui l’ont lue s’accordent pour dire que, parmi beaucoup d’œuvres décrivant une catastrophe exceptionnelle avec colère et vindicte, c’est la première fois qu’ils rencontraient une œuvre décrivant avec humour la mort de trois millions de personnes. Mais ils ajoutent que l’humour de « Se souvenir de 1942 » fait pénétrer la souffrance au plus profond des os. Ce que je veux dire n’est pas que j’ai choisi une attitude humoristique pour écrire sur 1942, mais que les trois millions de morts de 1942 utilisaient cet humour pour faire face au monde. J’ai compris du même coup que l’humour, ce n’est pas raconter des blagues, c’est une attitude face à la vie ; l’humour n’est pas une comédie mais un genre de tragique. Enfin j’ajoute que « Se souvenir de 1942 » est traduit en français, chacun peut se faire son opinion – ceci n’est pas une publicité.
(L’)ENNUI Je me suis toujours beaucoup ennuyé. Il y a quelques années, je voulais devenir comédien pour m’ennuyer un peu moins. Je prenais des cours de théâtre avec un professeur de renom qui, lui, affirmait ne jamais s’ennuyer. Il avait une méthode infaillible, même quand il faisait la vaisselle. Son attention devait se porter sur chaque détail, de sa main à l’assiette, de l’éponge au liquide vaisselle, et il nous encourageait à faire de même. Moi, je pensais : « ce type est débile, au mieux un imbécile heureux ». Je l’enviais aussi un peu car malgré sa légère condescendance, il semblait avoir vu la Vierge dans son évier. Quelques années plus tôt, j’étais au CM2 et j’écoutais un autre professeur. Je portais un survêtement en éponge qui me tenait incroyablement chaud. Notre maître nous avait demandé de sortir une feuille pour faire un exercice d’écriture automatique. J’ai rosi des joues parce que j’avais très chaud, mais également parce que j’avais réussi à casser avec mon stylo Bic la frustration de ma jeune existence. Ce jour-là, j’ai arrêté de m’ennuyer. Malheureusement je n’ai pas continué. Pendant des années, personne ne m’a demandé de refaire cet exercice, on m’enjoignait plutôt à dessiner des paysages et des robots sur des feuilles blanches, et lorsqu’il fallait écrire, c’était surtout des cartes postales pour mes grands-parents. Des années après, alors que je m’ennuyais encore, je me suis administré ce trompe-ennui. Depuis, je continue, j’écris. Ce qui ne veut pas dire que j’ai complètement arrêté de m’ennuyer, mais ça va mieux. Parfois, je repense à ce professeur de théâtre. Je ne sais pas s’il y a une relation de cause à effet, mais peu de temps après son cours magistral sur le liquide vaisselle, il est mort. J’ai toujours pensé qu’il aurait été plus heureux en s’ennuyant un peu.
COLAS GUTMAN
LIU ZHENYUN Traduit du chinois par Sebastian Veg
LE FRÉMISSEMENT DU MYSTÈRE Pour moi, tout commence par le frémissement du mystère... Voilà un homme qui gît par terre, tué par un autre homme – pas par une bête sauvage ni par une catastrophe naturelle, mais par un autre être humain. Et ses camarades sont assis à côté de lui, les yeux hallucinés après le combat, ils fument. Je me souviens, près de Kaboul, les morts étaient couchés là et regardaient le ciel, ils avaient tous un air abasourdi. La guerre est un univers grandiose et carnassier qui ressemble au théâtre : un tank qui manœuvre, des ordres qui retentissent, le sillage des balles qui brille longtemps dans l'obscurité... Quand on pense à la mort, quand on la voit, il se produit quelque chose avec le temps. On touche à l'infini. Le frémissement du mystère... Mes livres ne parlent pas de la guerre, ils parlent de la mort et de l'amour. Du mystère.
FIN
SVETLANA ALEXIEVITCH
C'est parce que rien n'est jamais vraiment fini que ce mot résonne si bien, qu'il demeure si nécessaire. Proust le savait bien quand, en terminant (sans jamais avoir terminé) À la recherche du temps perdu, il se permet d'ajouter le mot sur la dernière page de son roman, qui, lui, nous montre que rien n'est fini, que tout ne fait que changer de forme. Mon roman sur la fin du communisme tente d'évoquer cette sensation de déclin, de dégénérescence (deux autres mots qui m'attirent), et de mettre en valeur ce que je pourrais appeler les richesses de la corruption, de la décadence (d'ailleurs, en écrivant ces lignes, je me rends compte que j'aime tous les mots qui commencent par 'dé-') et des fins. Qu'on finisse vite ou lentement, bien ou mal, enrichi ou les mains vides, peu importe : les fins ont leur propre goût, car tout ce qui est, du moins tout ce qui est intéressant (je pense) atteint son sommet en finissant : une vie, un régime, un amour, touche à son apogée au moment-même où il se met à faisander. Ceci n'est certes pas une déclaration de pessimisme de ma part, juste une constatation. Mais, comme dans le recyclage, tout change de forme, on ne peut se débarrasser de rien. J'ai une fois rêvé d'écrire un livre entièrement composé de fins – de derniers actes, de derniers mots, de fins de comptes, de clôtures et de bouclages – mais je ne l'ai pas fait. Je me suis rendu compte que ce ne serait qu'un livre de débuts.
Traduit du russe (Biélorussie) par Sophie Benech
PATRICK MCGUINNESS
Je me souviens de Tchernobyl la première année, les jardins étaient en fleurs, les oiseaux chantaient, j'attendais une voiture, et il y avait un petit mulot qui jouait dans un vieux tas de paille, il pleuvait... En apparence, tout était familier, tout était normal – c'était la même eau, la même herbe, la même terre – et rien n'était plus pareil. Je regardais le monde autour de moi avec d'autres yeux. Cette eau, il ne fallait pas la boire, cette herbe, il ne fallait pas s'asseoir dessus, ces baies, il ne fallait pas les cueillir – tout pouvait vous tuer. Les nouveaux visages de la mort. Dans la zone délimitée par du fil barbelé et gardée par des miradors était resté « le monde d'après » – une route qui ne mène nulle part, des fils électriques qui ne vont nulle part. Des maisons et des objets sans l'être humain. Une jeune femme, l'épouse d'un liquidateur en train de mourir... Pendant longtemps, elle ne dit rien, c'est comme si elle ne m'entendait pas, et puis elle se met à raconter qu'à l'hôpital, le médecin, au lieu des paroles de réconfort habituelles, lui a dit : « Il ne faut surtout pas t'approcher de lui. Interdiction de l'embrasser ! De le caresser ! Ce n'est plus l'homme que tu aimes, mais un objet à décontaminer ». Dans ce monde-là, l'amour aussi a changé. Et la mort. C'est toujours le même frémissement du mystère. Je passe toute ma vie à chercher des mots pour ça...
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MOT
LITTÉRATURE PERFORMATIVE Nous désignons par littérature performative non un genre particulier d'écriture, mais la capacité spécifique qu'ont certaines œuvres littéraires à rester vivaces par-delà la lecture et le temps, continuant, d'une certaine façon, à fonctionner, à exercer un effet bien après le moment où elles ont été écrites. On pourrait alors parler du caractère diachronique de certains textes, qui revêt deux aspects : • le sentiment d'une actualité pressante, qui répond au raisonnement par abduction. La littérature performative est à nos yeux une littérature qui « parle » de ce qui touche le monde. Et même quand elle traite de ce qui est connu (ou déjà vu), elle ne mérite pas d’être blâmée pour s’intéresser à ce qui n’est plus. • l’agentivité, autrement dit une capacité à agir sur autrui. La littérature performative « nous parle » de quelque chose qui touche le monde (même si cela n'est pas nécessairement quelque chose qui nous concerne nous au sens strict). En même temps que la littérature performative nous parle du monde, elle s’attache à mettre en avant trois dimensions importantes : • elle signale que le monde n’est pas constitué d'une unité unique et cohérente • elle signale que la langue ne dit pas seulement une chose à la fois • elle signale que la littérature parle en son nom propre. Par conséquent, la littérature performative remplace le référent singulier par la différence persuasive. Le caractère performatif n'est pas un point commun repérable par tel ou tel symptôme dans les textes de littérature performative qui formeraient une catégorie définie. Le caractère performatif consiste en un ensemble de points communs qui se signalent différemment à chaque fois et définissent une ressemblance familière. Cela suppose naturellement l’existence d’un caractère général défini (d’où l’idée de ressemblance familière), mais sans nécessairement la présence d’un canon qui fasse office d’instance régulatrice.
CHRISTOS CHRYSSOPOULOS Traduit du grec par Anne-Laure Brisac
MÉANDRES Pour moi, ce sera donc « méandres ». Au pluriel, s’il vous plaît. A-t-on jamais vu un méandre replié en solitaire ? Non ! Et j’en veux de toutes sortes, car j’aime à répéter ce mot, « méandre », frère des courbes, des obliques, des virages. Le mot dit la lenteur des grands fleuves paresseux et les sinuosités des rivages étales. À mon imagination, il dit aussi les inflexions de la voix qui se brise, les courbures des corps généreux, les chemins d’écolier qui s’égarent, les heures qui s’éternisent, les flâneries des pensées vagabondes. Et les détours, les errances, l’indolence et la langueur, la grâce de ceux qui prennent le temps de se laisser distraire. Il dit encore le labyrinthe des sentiments obscurs, les passions souterraines et les chagrins cachés, les errements des cœurs indécis, et les espoirs déçus, et les oscillations, les replis de la mémoire et le dédale des oublis. « Méandres » ... Miroirs de ce que nous sommes : si opaques à nous-mêmes, tâtonnants, incertains et perplexes – et si heureux de l’être. Donnez-moi des méandres, s’il vous plaît. Je ne serai pas en avance, mais j’aurai voyagé.
ANNE VANTAL
MÉMOIRE « Lorsque l’esprit va ramasser du bois mort, il rapporte le fagot qui lui plaît…». Enfant, j’ai souvent entendu les adultes glisser cette phrase au milieu d’une conversation. Ce n’était alors pour mes jeunes oreilles qu’un des nombreux proverbes destinés à clouer enfin le bec à un palabreur coriace. Mais devenu romancier, je me suis aperçu que, de manière assez troublante, ce proverbe-ci était tour à tour attribué à l’anonyme sagesse wolof et Birago Diop. C’est que ce dernier, malicieux poète, en avait donné une version française où le terme « xel » (« esprit ») était remplacé par « mémoire ». « Lorsque la mémoire va ramasser du bois mort… ». Ce parfait hold-up sémantique a tout changé et m’a aidé, je l’avoue, à mieux comprendre qu’un roman s’écrit bien plus avec des souvenirs, et surtout les souvenirs les plus obscurs et embarrassants, qu’avec les fausses évidences de la raison. Et aussi que la mémoire, loin d’être un simple outil au service du romancier, est le romancier lui-même. Voilà pourquoi il ne m’a guère été difficile d’écrire « par devoir de mémoire » pour les morts du Rwanda. « Ramasser du bois mort », constituer un fagot, c’est ajuster l’un à l’autre des éclats du réel pour bâtir un texte et c’est le travail même de l’écrivain, que l’on voit errer seul dans des lieux incertains. Sans la mémoire, pourtant réputée n’avoir de sens que par rapport au passé, le futur aurait-il une place dans un récit ? J’ai depuis toujours la conviction qu’écrire c’est d’abord et surtout redire. Les « confuses paroles » qu’évoque tel autre poète sont pour moi si anciennes qu’il ne m’a été possible de les entendre vraiment – et donc de les restituer – que dans ma langue maternelle. C’était dans ma vie d’avant celle-ci, totalement imaginaire. Car être un romancier, un homme libre, c’est aussi cela : pouvoir se souvenir d’événements que l’on n’a jamais vécus et, en les racontant, les rendre plus vrais.
BOUBACAR BORIS DIOP
Il y a vingt-cinq ans, j’ai commencé à écrire le seul livre que j’écrirai jamais : l’histoire d’un homme qui, pour cesser d’écrire, tente de tout écrire. En commençant ce projet, qui compte pour le moment sept fragments publiés séparément et comprenant chacun entre vingt mille et cent cinquante mille mots, j’ai songé que je pourrais aussi bien résumer tout ce travail en ce seul mot : « mot ». Comme « personne », « mot » veut dire ce qu’il dit et son contraire. Il est la parole – et sa négation. Lorsqu’on le prononce, il éveille l’espoir d’un discours – et à la fois l’interdit. Son étymologie cumule deux types prévus par Isidore : l’onomatopée (il est le mu que ne parviennent à articuler que les bovins et les bouches closes) et l’antiphrase (comme bois (lucus) qui serait dérivé de lumière (lucem) parce que dans un bois il n’y a pas de lumière). Le français étant ma langue d’écriture mais non ma langue maternelle, la découverte de ce mot fut fulgurante : il n’existe dans aucune des autres langues qui me sont familières. Le mot n’est pas la parole. La parole lance, distribue. Le mot tait, revient vers soi. La parole évoque le bavardage incessant des cigales ; le mot, le silence assourdissant du regard mélancolique d’une vache. La parole est multiple, finie parce qu’elle est infinie. Le mot est unique, inépuisable. La parole peut être dramatique, lyrique, épique ; elle peut produire de la prose, des vers libres, des alexandrins. Le mot se réfère à l’instant où le monde nous parle cette langue limpide qu’on ne peut traduire, ce langage sensible que nous comprenons mais que nous ne connaissons pas. Le mot est ce qui reste, dans la langue, de cet instant qui précède le poème et qui ne demande pas à être écrit.
SANTIAGO AMIGORENA
« UN LIVRE REMARQUABLE PAR
L’ELEGANCE LITTERAIRE DE SA MEDITATION ET SON AMBITIEUSE REFLEXION
«
Marc Weitzmann, Le Monde des Livres
Grasset
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MOT
MYTHE
Longtemps, le mot a été mon ennemi. Je suis né sans langue, ou presque. Ma langue ? Un bloc de viande en trop, une tumeur collée au palais, un polype à encombrer. Enfant, mes lèvres n’offraient ni baisers ni mots. Je n’étais habitué ni aux uns ni aux autres. J’étais bègue. Ceux qui parlaient fluide avaient dit ça de moi. Ou alors j’étais fou. Certains le pensaient. Je les effrayais. J’avais des bulles en bouche, les dents claquées, la salive sèche, des grimaces de noyé. Je manquais d’air, pas de mots. Les mots étaient coincés. Dans mon ventre, dans ma tête, enfouis de peur en peur jusqu’au silence. Ils n’osaient vivre leur vie. Ils restaient là, les mots. À me hurler en gorge, papillons effrayés par la violence du jour. Je haïssais les mots. Je méprisais les mots. J’étranglais en silence les copains de préau et tous leurs mots pour rien. Ils parlaient comme on pisse. Leurs mots en rires. Jamais en larmes, leurs mots. Un taffetas écœurant, un habit du dimanche repassé par leurs mères pour dire : je t’aime aussi. Mes mots à moi étaient d’acier. Ils jaillissaient de mon cœur en pelote de clous. Il m’a fallu les entendre, les écouter, les comprendre avant même oser les dire. Il m’a fallu les écrire pour qu’ils me regardent. Et s’habituent à moi. Alors, peu à peu, d’âge en âge, j’ai fait la paix avec mes mots. Aujourd’hui, je les respecte. En échange, ils ont desserré leur étreinte. Nous ne sommes pas amis, ni complices, ni rien. Je vis avec, c’est tout. Et j’ai moins mal aux mots.
Nous les croyons anciens, mais tous les jours, de nouveaux surgissent : les mythes peuvent être des histoires sacrées et millénaires qui servent de poétiques leçons de comportement mais également, dans une acception plus large, le cancan brodé et enflé de notre époque. Souvent, ces mythes modernes viennent d’histoires criminelles qui fonctionnent comme des contes de mise en garde, de manière bien plus ferme que lorsque Daphné est changée en arbre, ou le voyeur de Diane en cerf, pendant une chasse. Et si le nouveau porte certains des traits de l’ancien mythe, c’est d’autant mieux. Quand on écrit de la non-fiction, on tente toujours de résister à l’attraction mythique, de se limiter soi-même à la monotonie des faits. Dans la vie réelle – quelle qu’elle soit – on n’échappe évidemment pas à un prétendant en le transformant en laurier-rose, pas plus qu’on ne distribue des sorts en guise de punition. Pourtant, même l’informateur le plus vigoureusement honnête ne peut souvent pas éviter de mêler des ingrédients mythiques à sa version des faits. Notre langage et nos imaginations sont trop bien colonisés par la culture populaire, par des personnages archétypaux et des intrigues. Les histoires engendrent les histoires. Nous avons une addiction pour les récits qui fait qu’on ne peut pas faire autrement que raconter des histoires au filtre de toutes celles que nous avons entendues. Pour autant que l’on doute des mythes parce qu’ils seraient puérils, sans doute n’arrivons nous pas à abandonner l’espoir qu’ils contiennent quand même des vérités essentielles.
SORJ CHALANDON CHLOE HOOPER Traduit de l’anglais (Australie) par Clara Royer
NEIGE Un mot que, durant mon enfance dans le sud-ouest, à Arcachon, j’ai longtemps entendu dépourvu de tout équivalent dans la réalité, de toute traduction dans un événement vécu. Je connaissais physiquement, sensuellement, la blancheur du sable, mais pas celle de la neige. Tout ce que je pouvais me représenter de cette douceur mouillée qui vous tombe du ciel était contenu dans le mot seul, dans la langueur de sa sonorité, si prégnante qu’elle ne permet pas au i pointu, aigu, volontiers strident, au i de cri, de se faire entendre. Je murmurais neige et j’étais saisie d’une envie d’inconnu, du besoin de savoir comment c’était de vivre et marcher dans une de ces cartes de Noël qui, chaque année, venaient me narguer avec leurs bonhommes de neige et leurs chemins de candeur. Des images qui me parlaient la langue de Robert Walser (l’écrivain suisse qui, en guise de mourir, un jour – de Noël ! – est allé s’endormir dans la neige) : « Va donc voir le gentil paysage sous la neige qui t’accueillera d’un bon et beau sourire. Réponds à son sourire et salue-le de ma part ». Lorsque le mot et la chose se sont rejoints, à l’occasion d’un séjour dans les Pyrénées, non seulement je n’ai pas été déçue, mais le charme du mot s’en est trouvé amplifié. J’ai continué de me le répéter comme une incantation – au jeu des déguisements, à la merveille des métamorphoses, à la toute-puissance de la fiction : à cette liberté et à cette insolence qui inspirent Jean Genet lorsqu’il fait dire à l’un de ses personnages, un général en plein délire érotique : « J’étais si doux, que je me mis à neiger. À neiger sur mes hommes, à les enliser sous le plus tendre des linceuls. À neiger ? Bérézina ! ».
CHANTAL THOMAS
LA PENSÉE SAUVAGE Je suis souvent surpris par ce que les gens pensent de nous – les Indiens, les Indiens d’Amérique, les peaux-rouges, les « Américains d’origine ». Je suis surpris par la profondeur du sentiment, la force des opinions. Et je le suis d’autant plus que la distance est grande entre ce que les gens pensent et les contours réels, la matière de nos vies. Je suis surpris par ce qu’ils imaginent de notre apparence, de notre habitat – comment nous devrions agir et ce que nous devrions être. En ce qui nous concerne, certains ne voient que le meilleur côté des choses. Ils perpétuent le romantisme qui anime la fameuse expression de Rousseau, le « bon sauvage ». Ce romantisme nous dote de toutes sortes de qualités admirables — courage, stoïcisme, honneur, respect, etc., etc. — mais il nous prive de notre humanité. Le bon sauvage cesse « d’exister » dès lors que nous agissons mal. Et en tant qu’êtres humains, cela nous arrive souvent. D’autres ne pensent qu’au pire, cependant. Pour eux, nous sommes des « nègres en bois », des « peaux-rouges » et des « nègres des prairies ». On ne peut pas nous faire confiance. On ne devrait jamais nous plaindre. Nous sommes des violents, des perturbateurs, des sournois, des dangereux, en fait rien de moins que des vaincus on ne sait trop comment encore en vie. Et parmi vous, et dans le monde. Mais qu’est-ce que j’en pense, moi ? J’aime le mot « sauvage ». Il a plus de sens pour moi qu’Indien ou Indien d’Amérique. Il suggère ce que j’aime le plus chez nous, et par extension ce que j’aime le plus dans l’écriture.
DAVID TREUER Traduit de l’anglais (États-Unis) par Benjamin Fau
PÊCHE Mon frère Casimiro était déjà mort quand je suis né. Toute mon enfance, je l'ai imaginé à mon image, un garçon qui grandissait comme moi, qui me parlait et avec qui je pourrais tout partager. Pourtant je savais qu'il gisait sous terre, et je pensais au mot cœur comme ayant la même signification que le mot noyau, une graine. Je pensais que les enfants morts faisaient naître des pêchers gigantesques, parce que les pêches avaient comme eux une peau. J'ai mangé ma première pêche à l'âge adulte. Mais je n'ai jamais cessé, malgré tout, de m'en défier. C'était un enfant horizontal. Mon frère horizontal. Il était couché et il attendait. Je devais rester assis devant le vase de fleurs sèches qui était immanquablement renversé. Je joignais les pieds, les genoux, j'entourais mes jambes de mes bras, silencieux, très silencieux. Je regardais. Cette terre compacte qui ressemblait à du vieux bois s’effritait après les pluies, après le soleil, après les nuits et les jours qui passaient. Un homme armé d’une pelle remettait de l'ordre. Il accourait au-devant les femmes qui arrivaient, faisant son généreux, son apitoyé, soucieux de la tristesse des autres. On aurait dit qu'il allait leur arranger le col de la chemise, leur remonter la veste sur les épaules. Les vêtements. On m'expliquait que mon frère m'aimait et qu'il veillait sur moi. On me disait que nous serions toujours ensemble. On me disait de prier, mais je ne savais pas comment. Je ne connaissais pas les paroles, cette séquence parfaite qui ressemblait à de la magie, de la sorcellerie. On récitait les Ave Maria pour créer de la sorcellerie. C'est ce que je pensais. Si nous les récitions correctement, nous serions capables de faire des miracles et de rendre possibles bien des choses impossibles. Notre quotidien simple pouvait alors devenir un lieu habité par des héros.
VALTER HUGO MÃE Traduit du portugais (Angola) par Danielle Schramm
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RISQUE
RYTHME
Risque n’est pas un mot risqué. Qui se risquerait, de nos jours, à ne pas parler de risques : ne pas dire qu’il en prend ? Il le faut bien : c’est si vulgaire de ne pas se présenter vaillant, chercheur inlassable, expéditionnaire des bouts de sa langue ; c’est si mal vu de ne pas vouloir voir au-delà de son nez, voire du nez de son temps. Alors on se rassure en assurant à toute voix qu’on prend des risques, qu’écrire c’est se risquer. Et pourtant : on est, qui plus qui moins, des bardes de BD. Nous vivons des temps mous – qui ont congelé leurs risques pour les livrer tout faits. On les connaît si bien : il convient de plus ou moins mélanger les personnages et les lignes, les phrases et les temps ; il est de mise de miser sur des sujets qui n’aient pas fait l’objet de trop d’histoires ; il est aussi recommandé de commander aux mots de jouer des jeux jaunis. Ou bien l’on peut même feindre de croire que faire comme les ancêtres est follement risqué : reprendre, remanier. Et, bien sûr, il s’agit d’à tout prix prescrire des risques – à prendre et à donner. En tout cas : risque de pacotille, refrains pour pouvoir dire qu’on prend le train train train. Mais si tout de même on croit – si réellement on pense – que le propre de l’écrivain est de chercher, comment prendre des risques quand le risque est le lieu le plus commun, le moins risqué ? Comment en prendre quand on ne connaît pas ce qu’on ignore ? Comment, quand on craint de ne pas se tromper ?
Le rythme d’une phrase, le rythme d’une histoire… Le rythme est le moteur qui propulse la prose, qui l’entraîne et l’éloigne puis la ramène. C’est l’unité, l’harmonie ; l’attraction et la palpitation des mondes imaginés ; notre moi lisant, respirant, écrivant en liberté sur la page… Partout le rythme. Le rythme comme le début et la fin de la fiction, ses ouvertures et ses clôtures, sa plénitude et ses trouées, l’esprit de la vie présent dans l’agencement particulier et réfléchi des mots.
MARTÍN CAPARRÓS
Traduit de l’anglais (Royaume-Uni) par Jacqueline Odin
KIRSTY GUNN
REDEMPTION SONG Dans l’histoire de l’humanité, les récits qui m’attirent sont ceux qui racontent un rachat. Lorsqu’une dette est annulée parce qu’une bonne âme la rachète et en libère le débiteur. Parce que je n’ai pas trouvé beaucoup de ces récits de rédemption dans l’histoire de mon peuple, « rédemption » est devenu mon mot-clef. Et j’espère qu’avec le temps, d’autres vont me rejoindre dans le train de la rédemption qui part, idéalement, du « Redemption Ground Market » de Kingston.
RÉBELLION Pour moi, écrire est une interrogation – et parfois un renversement – de l’ordre établi. D’expérience, les réalités humaines sont par nature résistantes à la vérité, elles dérivent toujours vers le consensus et des versions convenues des choses : écrire est la compensation de cette dérive, la réaffirmation d’un savoir individuel contre la convention sociale. Enfant, j’ai passé beaucoup de temps à observer les adultes et les écouter parler ; j’ai grandi dans un petit village de la campagne anglaise et ma mère parlait souvent au téléphone à ses amis qui étaient ailleurs. Comme j’étais fréquemment malade et que je restais à la maison pendant la journée, j’entendais le récit d’événements dont j’avais souvent été témoin, et je me suis aperçue de la relation complexe entre ce qui s’était passé et ce qu’elle disait qu’il s’était passé. Il me semblait que les adultes cherchaient toujours à convenir d’une version de la vie qui soit acceptable par chacun d’entre eux et, dans un certain sens, j’en suis venu à considérer la réalité sociale comme une fiction alors que les livres que je lisais me semblaient décrire la vérité. La rébellion est nécessaire pour revigorer la relation entre fiction et vérité : il s’agit du moteur du changement, elle est passionnante, inquiétante et gênante, et la société l’appréhende avec une ambivalence infinie. La rebelle est reconnue et désavouée en même temps, on a besoin d’elle mais on n’en veut pas, on l’accueille comme une invitée mais elle ne sera jamais l’une des nôtres. Elle est d’autant plus réprouvée qu’elle pense que son message est nécessaire. De la même manière, je considère l’écriture comme un embarrassant réconfort, un soulagement et un défi – un refuge qui ne deviendra jamais complètement un chez soi.
Autrefois un cimetière pour les victimes du choléra, le « Redemption Ground Market » est devenu un marché, le jour, ainsi qu’un lieu de rassemblement, la nuit, pour les fidèles de la spiritualité africaine et les fondateurs de la religion rastafari comme Leonard Howell et Joseph Nathaniel Hibbert. Des femmes se sont également réunies là, dont on ne se souvient pas des noms, des femmes engagées dans une rédemption active de leur peuple par le refus définitif de son esclavage mental. Beaucoup de ces hommes et de ces femmes ont été des disciples d’Alexander Bedward, le pasteur charismatique dont la rhétorique anticoloniale et la promesse de prendre son envol avec ses disciples a galvanisé des milliers de personnes. Un envol rédempteur, loin de la misère et du désespoir de la vie en Jamaïque après l’esclavage.
RACHEL CUSK Traduit de l’anglais (Royaume-Uni) par Clara Royer
Nous ne saurons jamais s’il aurait pu honorer cette promesse. Les autorités ont interrompu sa carrière et il a fini sa vie dans un asile. Cependant, ces hommes et ces femmes, ses disciples, ont persisté. Et sur « Redemption Ground », ils ont inventé une religion dont le Dieu leur ressemblait. Un jour, l’un d’entre eux, né de la rencontre de l’Europe et de l’Afrique, a écrit une chanson inspirée par les mots de Marcus Garvey, un grand combattant de la liberté. La chanson est intitulée « Redemption Song », elle est devenue un hymne dans le monde entier. De manière tacite, elle nous prie de chanter, nous aussi, et d’écrire d’autres chansons de rédemption. Des chansons et des récits, voilà ce que j’espère faire le reste de ma vie.
Siri HUSTVEDT, Svetlana ALEXIEVITCH, Eric VUILLARD, Olivier PY et Christos CHRYSSOPOULOS participent aux ASSISES INTERNATIONALES DU ROMAN
LORNA GOODISON Traduit de l’anglais (Jamaïque) par Benjamin Fau
Siri HUSTVEDT Vivre, Penser, Regarder Lundi 19 mai à 19h
SIRI HUSTVEDT
Vivre
Penser
Regarder
PRÉCISION Une après-midi à Leroy-Merlin revêt plus de valeur littéraire que probablement la moitié des romans que la Bibliothèque nationale reçoit chaque année en dépôt légal. La lecture de Funéraire magazine, tiré à cinq mille pour les professionnels des pompes funèbres, l’émission “ Votre auto” de Jean-Luc Moreau sur RMC, l’édition du catalogue Jeff de Bruges, celle du Robert culturel ou du Larousse des arts ménagers éd. 1926, le dos des briques de lait, l’étiquette de mon pull, le mode d’emploi de votre lave-vaisselle, les affichettes scotchées aux feux de signalisation de la porte d’Aubervilliers : itou. J’écris par fidélité à mon plaisir de lire. Il n’est jamais aussi grand qu’au détour d’une phrase qui m’arrête, et me force à reconnaître la belle adhérence du mot à la chose. Mes proches s’en amusent et disent que cette quête de la précision est chez moi pathologique. C’est que – j’ai honte de l’écrire – je préfère souvent l’image des choses aux choses elles-mêmes. Ma proie est une ombre, ce que je voudrais atteindre en singularisant, en particularisant, en éliminant le vague et le superflu. Le mot précision est emprunté au latin impérial praecisio, et désigne l’action de rogner, de couper, de retrancher. Acuité du langage qui resserre ses anneaux. Illusion de pouvoir saisir le monde à travers le mot juste. La précision seule me semble belle, brutale et poétique. Alors seulement, Louise n’appuie plus sur l’interrupteur mais le vaet-vient. Hubert ne prend plus appui au montant de la porte mais sur son dormant. Le cadavre d’Aristide ne sent pas mauvais, il a cédé ses liquides. Chloé, par temps de verglas, ne roule pas lentement, mais avec un œuf sous la pédale de frein. Alors seulement, Daniel ne franchit pas les obstacles, son cheval les boit.
Svetlana ALEXIEVITCH La fin de l’homme rouge
essai traduit de l’américain par Christine Le Bœuf
Mercredi 21 mai à 21h ACTES SUD
Eric VUILLARD Congo et La Bataille d’Occident Mercredi 21 mai à 21h OLIVIER PY
Siegfried, nocturne NOUVELLE
Olivier PY lit des Contes de Grimm
Samedi 24 mai à 16h30
HUGO BORIS
Christos CHRYSSOPOULOS Une lampe entre les dents Samedi 24 mai à 18h30
ACTES SUD
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JE ME SOUVIENS La mémoire, c'est comme les clefs de chez soi. Je dois me rappeler où je les ai mises hier parce que j'en ai besoin aujourd'hui pour rentrer chez moi. La mémoire est un lien avec le passé qui a du sens au présent. Ce n'est pas le passé qui revient pour se superposer au temps que je vis en ce moment. Les clefs que j'ai dans ma poche n'évoquent pas le passé, elles ne me ramènent pas en arrière, je n'éprouve aucune nostalgie quand je les prends en main pour ouvrir la porte. La clef est un objet qui a une fonction bien précise, elle sert à quelque chose et quand elle ne sert plus à rien je peux aussi bien la jeter. Ça m'arrive avec les clefs des chambres d'hôtel, quand par erreur je les embarque sans les rendre à l'accueil. Cette nuit j'ai dormi dans un hôtel à Camposampiero près de Padoue. Je vide mes poches et je m'aperçois que cette fois encore j'ai gardé les clefs de la chambre. Ce sont deux grosses clefs en métal accrochées à un bout de fer bien lourd où est gravé le chiffre un. Ce genre de porte-clefs sert justement à éviter que le client oublie de rendre ses clefs. Mais moi, j'oublie quand même. Dans certains cas je les rapporte à l'hôtel, dans d'autres cas je les renvoie par la poste, et sinon je les jette, elles ne servent plus à rien. C'est pareil avec la mémoire. Si tu peux en faire quelque chose, si ça te sert pour ouvrir une porte, alors tu gardes, sinon, tu oublies et tu jettes. Les institutions attachent un haut prix à la mémoire. Elles instituent des journées du souvenir de ceci ou cela. Les représentants de l'État défilent entre les drapeaux en se rappelant le début ou la fin d'une guerre, la mort ou la naissance d'un héros. Ils déposent des couronnes de fleurs sur les autels de la patrie et tiennent d'inoubliables discours. Ils nous remettent en mémoire ce dont nous ne devons pas perdre le souvenir. Bref, ils nous mettent de gros trousseaux de clefs dans les poches pour ouvrir les portes qu'ils ont choisies pour nous. Ce qui me fait penser à l'histoire de cet infirmier qui travaillait à Florence dans un grand asile de fous, qui heureusement n'existe plus. Le premier jour, on lui remet un trousseau de clefs et on lui dit : « Tu peux entrer dans toutes les pièces que tu réussiras à ouvrir avec ces clefs, mais pas dans les autres. Plus tu feras carrière, plus on te donnera de clefs ». C'est comme ça que ça marche, la mémoire institutionnelle : je te bourre les poches des clefs que j'ai moi-même choisies pour te faire entrer dans les pièces que je veux. Plus tu as de clefs dans les poches et plus tu es convaincu d'avoir une maison qui t'attend et où tu pourras rentrer. Les Juifs arrêtés lors de la rafle du ghetto de Rome ont emporté les clefs de chez eux, les nazis leur rappelaient de le faire pour leur faire croire qu'ils reviendraient. Ils leur disaient de bien fermer la porte et de garder la clef avec eux. Les Palestiniens qui ont quitté leur maison emportent leurs clefs eux aussi, ils se les accrochent autour du cou pour les montrer dans les manifestations de rue ou sur les télévisions internationales qui viennent les filmer. Ces Palestiniens brandissent leurs clefs comme s'ils disaient « tôt ou tard ces clefs ouvriront de nouveau ma porte et ce sera de nouveau la porte de chez moi ». En ce moment je suis à Venise. Le réceptionniste me donne la clef de ma chambre. Je lui dis « rappelez-moi de vous la rendre, sinon je vais l'embarquer ». Il me répond que je peux bien l'embarquer vu que c'est une clef en plastique, de celles qui ressemblent à une carte de crédit. C'est une clef intelligente programmée pour ouvrir la porte de ma chambre jusqu'à demain matin et c'est tout. Sur la porte il est écrit check-out time : 9.00 a.m. The key will not open the door after that hour, et ça veut dire que demain après neuf heures du matin ça redeviendra un bout de plastique qui oubliera avoir été la clef de la chambre 239. Certaines clefs n'ont pas de mémoire. Si ça ne sert à rien autant ne pas en avoir du tout.
ASCANIO CELESTINI Traduit de l’italien par Christophe Mileschi
SE SOUVENIR
SI Si est rêverie. Tout vient de là. Ni du rêve, ni de la pensée, mais de ce qui est exactement à mi-chemin : la rêverie – une pensée qui a la volupté d’un rêve, un rêve aussi précis qu’une pensée. Je peux être à ma table de travail ou sur un lit, allongée sur la pelouse ou assise face à l’océan, dans une rame de métro bondée ou un repas de famille qui s’éternise, l’essentiel est que je m’invente un monde et que j’y circule. Ensuite, l’écriture vient. C’est un préalable, et une nécessité. Mais ce mot fait de rêve et de rire ne doit pas faire illusion : il ne s’agit pas ici que de douceur ou de nuages. J’ai d’ailleurs failli choisir l’adjectif “dur“, dans un premier temps ; c’est dire que je me méfie des mots qui semblent trop confortables, et que ma rêverie n’est pas un oreiller de pensées moelleuses. Si j’ai d’abord voulu choisir le mot “dur“, c’est parce que cela me met en colère quand un lecteur me dit qu’un de mes livres est « dur, tout de même », alors que c’est aussi une qualité que je revendique. Mes livres parlent de guerre et d’esprits dérangés, du temps qui nous échappe et de nos corps qui se ratatinent, des lois absurdes qui nous empêchent de vivre dans un autre pays que celui où on est né, même s’ils parlent aussi des amitiés indéfectibles de l’adolescence ou d’amour fou. Mes rêveries sont peuplées de démons et d’horreurs, de vies ratées et de désillusions. Comment pourraitil en être autrement ? Cette rêverie est ce qui permet l’écriture, et ce qui me plaît le plus en elle. Je m’y vautre. Je cherche comme une droguée chaque petit moment qui va me permettre de m’y adonner. Comme le temps, dont elle est pour moi l’incarnation la plus directe, je la savoure. Car c’est aussi une vraie liberté, celle de ne plus se consacrer qu’aux mots, aux idées, à l’écriture, dans un monde où le temps est compté et où chaque instant doit être utile et rentable – une rareté. Une façon d’être, en sens inverse des aiguilles du monde. Sous ses habits de clown, la rêverie porte en elle des promesses de révolution. Pourtant, ce n’est pas le mot “rêverie“ en lui-même qui me permet de m’y plonger, mais bien ce mot, “si“. Si, note de musique, impulsion intérieure, entrée dans la fiction.
SILLON À mains nues, je creuse. La terre est souple et chaude, Les doigts resserrés, les ongles affûtés Je plonge dans le sillon. À mes pieds, entre ciel et terre, Chercher sous les fleurs, Là où aurait pu se cacher, Se faufiler, le premier mot. Il m’échappe, Glisse dans le sillon. Je l’ai vu, presque tenu, C’est ce qui me pousse à creuser encore.
Et comme les arbres, Au plus profond de la terre, Forer pour se hisser vers le ciel. Tout entière dans le sillon, Les mains pleines de boue, Je poursuis ma quête infinie, Celle du mot qui résonne Des racines à la cime.
LÉONOR DE RÉCONDO DELPHINE COULIN
Nous ne nous contentons pas du souvenir, nous nous souvenons. La langue, qui est bien plus consciente du sens qu’elle porte que celui qui l’utilise, n’a pas choisi une forme simple mais une forme réflexive – et la langue a raison, comme toujours. Il faut que cela soit un verbe réfléchi car nous empiétons sur nous-mêmes à chaque fois que nous nous souvenons, nous changeons quelque chose en nous, et à notre mémoire. Nous transformons constamment notre passé, nous le polissons et nous le retravaillons avec de nouveaux récits jusqu’à trouver une forme avec laquelle nous pouvons vivre. Plus nous le faisons et plus nos souvenirs s’approchent d’une certaine perfection. C’est pour cette raison que les chapitres des Mémoires consacrés à la jeunesse sont toujours les plus intéressants (d’ailleurs, quelles que soient ces Mémoires, leur meilleur titre est toujours « inventé de toutes pièces »). Ce n’est pas par hasard non plus que le verbe “se souvenir“ vient du latin “subvenire“, c’est-à-dire “venir en aide“. À chaque fois que nous nous souvenons, nous nous venons en aide, nous nous rendons meilleurs, plus intelligents, plus spirituels que ce qu’en réalité nous sommes et avons été. Nous nous souvenons de notre meilleur passé, nous nous en souvenons beau. En nous souvenant, nous nettoyons devant nous-mêmes, nous nous parons aussi longtemps qu’il le faut des plumes du paon jusqu’à être persuadés qu’elles ont poussé toutes seules. Et c’est pourquoi – la langue l’a toujours su – nous ne nous contentons pas du souvenir, mais nous nous souvenons.
CHARLES LEWINSKY Traduit de l’allemand (Suisse) par Nils C. Ahl
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VARIABLE
LES TAXIS ET LES DOLMUS D’ISTANBUL Au milieu des années 1970, vers l'époque où Kemal tomba amoureux de Füsun, tous les taxis d'Istanbul, aussi bien individuels que collectifs, étaient équipés de taximètres ; mais, en raison de la hausse constante du prix de l'essence et des permanents changements de tarifs, et aussi parce la plupart étaient dans un état défectueux, personne ne s'en servait vraiment. Il arrivait parfois qu'une dispute éclate entre un chauffeur et un client qui lui demandait : « Pourquoi ne mettez-vous pas le taximètre ? » Mais la principale fonction des taximètres – un peu comme les bandes de damier noir et blanc courant sous les fenêtres – était de marquer les véhicules comme taxis ou dolmu . Si être moderne consiste à pouvoir se sentir à l’aise dans une ville, parmi des gens qu’on n’a jamais rencontrés auparavant et à partager sereinement avec ces gens un même objectif, réel où imaginaire, alors l’endroit où les Stambouliotes sont le plus modernes reste les banquettes de taxis, individuels ou collectifs. Dans les dolmus où s’opèrent constamment un complexe échange de monnaie, où les poignées d’ouverture de portes varient d’un véhicule à l’autre (qu’il soit produit en Europe ou aux ÉtatsUnis), comme il est bien plus agréable de se sentir membre d’une communauté plutôt que parmi des étrangers, tout le monde s’entraide et discute avec son voisin et le chauffeur. Tout en regardant par la vitre du véhicule la ville, avec ses paysages urbains inépuisables, ses coins étranges et la mer apparaissant au détour d’une côte, j’aime bien écouter les passagers raconter à de parfaits inconnus pour quelle raison ils se sont disputés la veille avec leur femme, pourquoi ce qu’ils ont vu dans la soirée à la télé est une honte, pourquoi l’état du monde et du pays empire ou bien leurs souvenirs du service militaire. Depuis des années, je rêve d’écrire un roman fondé sur les allées et venues d’un chauffeur de dolmu ou de taxi dans la ville.
Un être humain est une variable dans un champ infini. Cela ne veut dire qu’une seule chose : qu’il y aura toujours plus d’inconnu que de connu – qu’il s’agisse de quelque chose ou de quelqu’un, et quelle que soit l’époque. Pourtant, au moment de livrer nos analyses, nous n’admettons que rarement que notre faculté de percevoir soit limitée. Nous passons près d’une personne dans la rue. Il (ou elle) glisse à la droite de notre corps. Nous sommes distraits par un son, nous ne voyons que son manteau bleu de belle facture et d’une matière indéterminée. Parce que nous sommes ce que nous sommes – des êtres humains propulsés par un cerveau, c’est-à-dire à peine plus qu’une soupe d’instinct et d’intention, un petit récit défectueux qui bricole des machines – c’est sans effort que nous intégrons cette information à notre interprétation du monde. Quelle qu’en soit la conclusion, nous n’avons pas forcément tort, mais nous ne sommes pas précis, et notre compréhension du monde n’en est pas plus profonde. Le mystère que nous ne voyons pas s’épaissit. Au moment de nous éloigner, nous n’avons pas vu le reflet d’une écharpe qui s’évanouissait dans la devanture d’une boutique, un reflet magnifié par une goutte de pluie sur la vitrine. L’écharpe et la vitrine ont toutes les deux une histoire, l’une et l’autre décrivant des cercles qui s’élargissent et s’enfuient, se retournent et se dirigent vers un point d’origine séparé et distinct, dans un cas comme dans l’autre. Ainsi, pour moi, l’écriture est à la fois un acte de reddition et une tentative d’atteindre l’impossible. En termes simples, il s’agit d’un effort de limitation et de démarcation, du choix de mes propres variables et de mettre le reste de côté. Mais il s’agit aussi d’un effort pour transformer ces choix en modèle, en structure, qu’elle soit simple ou complexe, afin de résister à l’infinie incompréhension du monde, et de trouver un moyen de dire qu’une chose est vraie même si elle est inconnaissable.
KEVIN POWERS Traduit de l’anglais (États-Unis) par Clara Royer
ORHAN PAMUK Extrait de L’Innocence des objets, traduit du turc par Valérie Gay-Aksoy (Gallimard, 2012)
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aux éditions Christian Bourgois dès novembre 2014
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On me demande quel est mon mot préféré. Je n’en ai pas. Je n’ai pas non plus de couleur préférée. Ça, on ne me le demande pas, mais on le demande beaucoup aux autres. Je connais d’ailleurs des gens qui ont une couleur préférée. J’en connais aussi qui ont un mot préféré. Bref, j’ai des relations. Mais je n’ai pas de mot préféré. J’ai des musiques préférées, des toiles préférées, des livres préférés, des phrases préférées. Je ne dis pas ça pour faire le malin, je suis sincère, et je n’ai pas envie de mentir. Je n’ai pas envie de mettre en avant un mot, après m’être creusé le crâne, et d’affirmer, en glosant autour, que c’est mon mot préféré. La vérité est que je n’aime aucun mot sorti de son contexte. Ce que j’aime, précisément, c’est la façon dont les mots s’agencent. C’est même le propos de l’écrivain, me semble-t-il, d’agencer les mots. Il se peut d’ailleurs qu’un mot se présente dans une phrase, un de ces mots pour lesquels je pourrais avoir une certaine affection, un mot élégant (on peut affirmer sans trop risquer de se tromper qu’il en existe, eu égard à leur sonorité, notamment), et que je le rejette parce qu’il ne cadre pas, ou parce qu’il cadre trop. Du coup, ce mot élégant, non seulement je le rejette, mais de surcroît, comme je lui en veux de s’être présenté au mauvais moment, j’ai tendance à le rayer de mon lexique pour un bon bout de temps. Ce qui fait qu’au cas où il aurait une chance de se signaler comme un de mes mots préférés, il la laisse passer, cette chance. Et que, au bout du compte, aucun mot ne parvient à conserver ma préférence. Ça ne signifie pas, on l‘aura compris, que je n’aime pas les mots. Au contraire. Ils me sauvent. Tous. Presque tous. Et il me revient à l’esprit qu’en fait il y a certains mots que je n’aime pas, que je ne supporte pas, et que, de ces mots-là (sans les citer, naturellement, et seulement à force de périphrases, tant ils me font horreur), j’aurais pu parler. Dommage, ce n’est pas le sujet.
CHRISTIAN OSTER
10 € www.christianbourgois-editeur.com
- LEXIQUE NOMADE -
- LES AUTEURS a
b
Svetlana Alexievitch
Santiago Amigorena
Ali Bader
Hugo Boris
David Bosc
LE FRÉMISSEMENT DU MYSTÈRE
MOT
DÉSIR
PRÉCISION
DÉSINVOLTURE
(Argentine) est réalisateur, scénariste, acteur, producteur et écrivain. Il entreprend depuis 1998 la rédaction d’une encyclopédie de lui-même. Il vient de publier Des jours que je n'ai pas oubliés (P.O.L, 2014).
(Irak) vit actuellement en Belgique. Grande voix de la littérature arabe, il est l’auteur de nombreux essais, recueils de poésie et romans, dont le troisième, Papa Sartre (Seuil, 2014), a rencontré un véritable succès dans le monde arabophone.
(France) est l’auteur de cinq romans, tous unanimement salués. Dans Trois grands fauves (Belfond, 2013), il écrit sur la construction des grands hommes, à travers les figures de Danton, Victor Hugo et Winston Churchill.
(France) est écrivain, traducteur et essayiste. Dans La Claire Fontaine (Verdier, 2013), il esquisse un portrait lumineux et poétique des dernières années de la vie de Gustave Courbet. Il a reçu le Prix suisse fédéral de littérature en 2014.
Martín Caparrós
Ascanio Celestini
Sorj Chalandon
Christos Chryssopoulos
Delphine Coulin
RISQUE
JE ME SOUVIENS
MOT
LITTÉRATURE PERFORMATIVE
SI
(Argentine) est une grande voix du journalisme argentin et un auteur prolifique. Living (Buchet Chastel, 2013) a reçu le prestigieux prix Herralde. Ce roman politique nous plonge dans l’Argentine de 1950 à nos jours à travers le destin rocambolesque de son héros.
(Italie) est dramaturge, acteur, musicien et écrivain. Figure de proue du théâtre de la narration, il est lauréat du prix de la Critique en 2002. Lutte des classes (Notabilia, Noir sur Blanc, 2013), donne la parole à ces héros du quotidien. Il vient de publier Discours à la nation (Notabilia, Noir sur Blanc, 2014).
(France) a été grand reporter et rédacteur en chef adjoint à Libération. Il a reçu le prix Albert-Londres pour ses travaux sur le procès de Klaus Barbie et sur l’Irlande du Nord. Son dernier roman, Le Quatrième Mur (Grasset, 2013), lui a valu le Prix Goncourt des lycéens en 2013.
(Grèce) est romancier, essayiste et traducteur. Membre du Parlement Culturel Européen, il est l’auteur d’une œuvre prolifique souvent récompensée. Une lampe entre les dents (Actes Sud, 2013) est un témoignage littéraire porté par l'urgence de dire ce qu'il advient d'Athènes à l'heure de la crise.
(France) est romancière et réalisatrice. Voir du pays (Grasset, 2013) met en scène deux amies d’enfance de retour de guerre d’Afghanistan : un roman sur l’amitié, les stigmates de la guerre et le retour au pays.
d
g
Rachel Cusk
Boubacar Boris Diop
Paolo Giordano
Lorna Goodison
Nikolai Grozni
RÉBELLION
MÉMOIRE
ANTI-MÉDECIN
REDEMPTION SONG
CERCLE
(Royaume-Uni) explore les relations familiales, amicales et amoureuses, avec lucidité et audace. Contrecoup (L’Olivier, 2013), texte percutant, est l’histoire d’une femme écrivain, mère de deux filles, qui analyse son foyer dévasté par son divorce.
(Sénégal), romancier, essayiste et journaliste, est très engagé dans la vie politique du Sénégal. Murambi, le livre des ossements (Zulma, 2011) mêle la voix des victimes à celle des bourreaux du génocide au Rwanda. Il publie cette année, avec Aminata Traoré, La Gloire des imposteurs. Lettres sur le Mali et l'Afrique (Éditions Philippe Rey, 2014).
(Italie) a reçu le Prix Strega en 2008 pour La Solitude des nombres premiers (Seuil, 2009), traduit dans de nombreux pays et adapté au cinéma par Saverio Costanzo. Son deuxième roman, Le Corps humain (Seuil, 2013), nous plonge dans le quotidien d’un bataillon envoyé en « mission de paix » en Afghanistan.
(Jamaïque) est l’auteure de recueils de poésie et de nouvelles. Membre de la commission jamaïcaine de l’UNESCO, elle enseigne à l’Université du Michigan. Sous l’emprise de l’amour (Zoé, 2013) est un recueil de vingt-deux nouvelles autour de l’échec amoureux et de la distorsion entre les rêves et la réalité.
(Bulgarie / États-Unis), pianiste prodige dans la Bulgarie communiste des années 80, vit aujourd’hui aux États-Unis. Dans Wunderkind (Plon, 2013), son premier roman, il définit la musique comme un facteur d’émancipation face au despotisme.
(Biélorussie) est journaliste, documentariste et dramaturge. Elle s’intéresse à la vie en exURSS et son œuvre a connu la censure dans son pays. La Fin de l’homme rouge – ou le temps du désenchantement (Actes Sud, 2013) a obtenu le prix Médicis de l’essai en 2013.
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Kirsty Gunn
Colas Gutman
Felipe Hernández
Chloe Hooper
Charles Lewinsky
RYTHME
L’ENNUI
ÂME
MYTHE
SE SOUVENIR
(Nouvelle-Zélande / RoyaumeUni) est romancière et nouvelliste. Elle enseigne actuellement la littérature et l’écriture créative à l’Université de Dundee. Dans son dernier ouvrage, La Grande Musique (Christian Bourgois, 2014), elle fait de la musique la matière première de la littérature.
(France) est l’auteur de livres impertinents et drôles pour jeunes lecteurs. Après Joyeux Noël Chien Pourri (l'école des loisirs, 2013), il poursuit les aventures à la fois graves et désopilantes de son héros dans Chien pourri à la plage (l'école des loisirs, 2014).
(Espagne) interroge, dans La Partition (Verdier, 2008), les démons de la création qui troublent un jeune compositeur. Il compose ainsi un roman baroque, à la lisière du fantastique.
(Australie) s’intéresse aux conditions de vie des Aborigènes et à la ségrégation dont ils sont victimes. Grand homme (Christian Bourgois, 2009) est une enquête policière qui pense la destruction de ce peuple et de cette culture
(Suisse) est dramaturge, scénariste et romancier. Entre biographie et roman, son dernier ouvrage, Retour indésirable (Grasset, 2013), évoque le parcours tragique d’un juif allemand pendant la Seconde Guerre mondiale.
- LEXIQUE NOMADE -
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p
Valter Hugo Mãe
Patrick McGuinness
Christian Oster
Orhan Pamuk
PÊCHE
FIN
...
LES TAXIS ET LES DOLMUS D’ISTANBUL
(Angola), écrivain, musicien, performeur, critique artistique et littéraire, a reçu plusieurs prix pour ses romans. Dans L’Apocalypse des travailleurs (Métailié, 2013), il décrit deux femmes, l’une désabusée, l’autre idéaliste, dans leur quête du bonheur.
(Tunisie / Royaume-Uni) est traducteur et poète et enseigne la littérature française à l’Université d’Oxford. Les Cent Derniers Jours (Grasset, 2013), son premier roman, finaliste du Man Booker Prize, fait la chronique des mois précédant la chute du régime communiste en Roumanie.
(France) est l’auteur de nombreux ouvrages, notamment pour la jeunesse. Il a reçu le prix Médicis en 2001 pour Mon grand appartement (Minuit, 1999). Dans En ville (L’Olivier, 2013), il décrit avec finesse la fragilité de personnages confrontés au temps qui passe.
(Turquie) a reçu le prix Nobel de Littérature en 2006. Traduits en soixante langues, ses livres font découvrir une Turquie toujours scindée entre laïcité et religion, entre Occident et Orient. Djevdet Bey et ses fils (Gallimard, 2014), premier de ses romans, dépeint magistralement l’émergence d’une Turquie moderne.
r
t
Kevin Powers
Léonor de Récondo
Chantal Thomas
David Treuer
VARIABLE
SILLON
NEIGE
LA PENSÉE SAUVAGE
(États-Unis), vétéran de la guerre en Irak, a publié Yellow Birds (Stock, 2013) à son retour du front. Ce roman fascinant sur l’absurdité de la guerre, à la force aussi réaliste que poétique, a reçu le Prix littéraire du Monde en 2013
(France) est romancière et violoniste baroque. Dans Pietra viva (Sabine Wespieser, 2013), elle s’arrête sur une année cruciale dans la vie de MichelAnge, qui traverse une crise existentielle alors qu’il doit répondre à une commande du Pape.
(France), directrice de recherches au CNRS, est essayiste, romancière, dramaturge et collabore au Monde et à des émissions de France Culture. Sa passion pour le 18e siècle traverse son œuvre et nourrit L’Échange des princesses (Seuil, 2013), son dernier roman.
(États-Unis) est originaire d’une réserve du Minnesota. Indian Roads (Albin Michel, 2014) est à mi-chemin entre l'enquête historique, l'autofiction et le journalisme narratif. L'auteur nous fait découvrir de l'intérieur le monde des réserves et en défend la culture.
v Anne Vantal
Éric Vuillard
MÉANDRES
LES AVEUX
(France) a travaillé dans la presse et l'édition avant de se tourner vers la littérature jeunesse. Elle explore dans ses romans les relations familiales, les questions d’identité. Sauf que (Actes Sud junior), son dernier roman, a paru en 2013.
(France) est écrivain et cinéaste. Il a reçu en 2012 le Prix Franz Hessel pour Congo et La Bataille d’Occident (Actes Sud). Il dépeint l’époque coloniale qu’il dénonce, et revisite la guerre de 14-18. Son prochain roman, Tristesse de la terre (Actes Sud), paraîtra en août 2014.
RENCONTREZ LA JEUNE LITTÉRATURE ÉTRANGÈRE AIR DU 19 AU 25 MAI 2014
Sofi Oksanen
w
z
Frédéric Worms
Liu Zhenyun
CE N’EST PAS TOUT OU RIEN
L’HUMOUR
(France), spécialiste de Bergson, enseigne à l’Université Lille 3 et dirige le Centre international d’étude de la philosophie française contemporaine (CIEPFC) à l’École Normale Supérieure. Avec Revivre. Éprouver nos blessures et nos ressources (Flammarion, 2012), il analyse les blessures existentielles et leurs cicatrices.
(Chine) est l’un des noms les plus importants de la littérature chinoise contemporaine. Ses livres ont été adaptés au cinéma et ont été récompensés en Chine par le prix Mao Dun en 2011. Se souvenir de 1942 (Gallimard, 2013) est un reportage sur la famine qui a frappé la province du Henan, tandis que son dernier roman En un mot comme en mille (Gallimard, 2013) dresse les portraits des habitants du Henan.
Baby Jane
Le À l’ouest rien de nouveau des guerres américaines en terre arabe, selon Tom Wolfe
Amour, prozac et folie ordinaire… Un autre visage de Sofi Oksanen
- LEXIQUE NOMADE -
- TABLE DES MATIÈRES -
A
2
ÂME, Felipe Hernández ANTI-MÉDECIN, Paolo Giordano (LES) AVEUX, Éric Vuillard
C CE N’EST PAS TOUT OU RIEN, Frédéric Worms CERCLE, Nikolai Grozni
3
DÉSINVOLTURE, David Bosc DÉSIR, Ali Bader
E
4
(L’)ENNUI, Colas Gutman
F
4
FIN, Patrick McGuinness (LE) FRÉMISSEMENT DU MYSTÈRE, Svetlana Alexievitch
P
6
R
7
PÊCHE, Valter Hugo Mãe (LA) PENSÉE SAUVAGE, David Treuer PRÉCISION, Hugo Boris
RÉBELLION, Rachel Cusk REDEMPTION SONG, Lorna Goodison RISQUE, Martín Caparrós RYTHME, Kirsty Gunn
S
4
(L’)HUMOUR, Liu Zhenyun
L
5
5
MÉANDRES, Anne Vantal MÉMOIRE, Boubacar Boris Diop MOT, Santiago Amigorena MOT, Sorj Chalandon MYTHE, Chloe Hooper
9
(LES) TAXIS ET LES DOLMUS D’ISTANBUL, Orhan Pamuk
V
9
VARIABLE, Kevin Powers
LITTÉRATURE PERFORMATIVE, Christos Chryssopoulos
M
8
SE SOUVENIR, Charles Lewinsky (JE ME) SOUVIENS, Ascanio Celestini SI, Delphine Coulin SILLON, Léonor de Récondo
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H
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NEIGE, Chantal Thomas
2
D
N
… …, Christian Oster
Les Assises Internationales du Roman sont co-conçues par Le Monde et la Villa Gillet, en co-réalisation avec les Subsistances. Ce Lexique Nomade est publié à l'occasion de l'édition 2014 du festival. Coordination des traductions : Nils C. Ahl. La Villa Gillet est financée par la Région Rhône-Alpes, la Ville de Lyon, la Direction Régionale des Affaires Culturelles Rhône-Alpes (Ministère de la Culture et de la Communication), le Centre National du Livre, et bénéficie de l'aide des services culturels du Ministère des Affaires Étrangères.
Retrouvez les Assises Internationales du Roman sur www.lemonde.fr et sur www.villagillet.net
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