Eric Marty

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L’écriture de la sexualité L’auteur

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Éric Marty, né en 1955 à Paris, est professeur de littérature française contemporaine à l’Université Paris VII - Diderot. Il est l’éditeur des œuvres complètes de Roland Barthes. En 1988, il intègre le CNRS comme chargé de recherche dans le laboratoire de l’ITEM, où il travaille notamment à l’édition du Journal de Gide pour la collection de la Pléiade et autour de la génétique textuelle sur le texte poétique (René Char) et les textes théoriques (Roland Barthes). Il soutient sa thèse de doctorat d’État en 1996 sur son édition du Journal de Gide. Sa rencontre à la fois personnelle et intellectuelle avec Roland Barthes, en 1976, a été décisive pour son orientation intellectuelle ; il la raconte dans la première partie de son Roland Barthes, le métier d’écrire, paru aux éditions du Seuil en 2006. Par ailleurs, Éric Marty dirige les collections « Littera » et « Le marteau sans maître » aux éditions Manucius. Éric Marty est également écrivain, auteur d’un roman ; il a aussi écrit des poèmes et des nouvelles publiées dans la revue L’Infini, ainsi que des pièces radiophoniques diffusées sur France Culture.

Pourquoi le XXe siècle a-t-il pris Sade au sérieux ? (Seuil, 2011) (440 p.)

La presse « Éric Marty fait de cette traversée du XXe siècle une véritable radiographie du champ de la perversion. » France Culture

© Marty

Éric Marty

France

« Ce qui fait de son essai une lecture essentielle, c’est la limpidité avec laquelle il synthétise la pensée d’un siècle. À mesure qu’il donne à voir la philosophie sadienne dans toute sa profondeur et sa complexité, il parvient, dans un mouvement double et inverse, à rendre accessibles les discours qui s’offrent d’ordinaire le moins facilement, ceux de Blanchot ou de Lacan par exemple. » Les Inrocks

Après la prison et l’internement, après l’oubli au XIXe siècle, Sade apparaît, au XXe siècle, comme une référence majeure, jusqu’à devenir, à partir des années cinquante, dans une sorte d’évidence partagée par l’ensemble de la Modernité, l’objet d’une véritable passion intellectuelle. « Pourquoi le XXe siècle a-t-il pris Sade au sérieux ? » À cette question, on pourrait répondre par une autre. Par exemple : d’où vient qu’au XXe siècle, le sujet pervers, celui de la transgression extrême, fascine les Modernes, et semble leur fournir une issue aux impasses de l’Histoire et un modèle culturel, esthétique, philosophique, politique pour penser ces impasses et s’en affranchir ? Ou encore : si, au XXe siècle, la pulsion de mort se manifeste comme une tendance fondamentale de l’humanité moderne, Sade ne peut-il alors apparaître comme l’annonciateur, le prophète et le récitant de cette rupture décisive dans l’Histoire ? Ou enfin : jusqu’à quel point peut-on être sadien ? Qu’est-ce qui retient certains, après l’avoir été passionnément, de l’être tout à fait ? En quoi le fait de le prendre au sérieux peut provoquer l’insoutenable jusqu’à retourner la fascination en abjuration ou en oubli ? Au milieu des années 70, Pier Paolo Pasolini sonne la fin de cette singulière fête sadienne avec son terrible Salò ou les 120 journées de Sodome. Auparavant, Adorno, Klossowski, Bataille, Blanchot, Foucault, Lacan, Deleuze, Sollers, Barthes et d’autres, ont donné leur vision et leur lecture de Sade, faisant de lui un personnage fondamental de leur aventure intellectuelle qui est aussi une aventure personnelle. Le temps est venu, avec le recul, d’interroger cet engouement qui nous concerne profondément et peut-être plus que jamais.

« L’ouvrage laisse deviner une interprétation inverse à celle qu’affiche le titre ; après tout, il n’est pas impossible que les auteurs du XXe siècle n’aient pas seulement pris Sade au sérieux. Cette dimension, celle de l’humour, montre que Sade est définitivement irréductible. » Le Magazine Littéraire

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L’œuvre

Roland Barthes, la littérature et le droit à la mort (Seuil, 2010) (58 p.)

L’Engagement extatique. Sur René Char (Manucius, 2008) (67 p.)

Une querelle avec Alain Badiou, philosophe (Gallimard, 2007) (184 p.)

Pourquoi le XXe siècle a-t-il pris Sade au sérieux ? (Seuil, 2011) (440 p.) Roland Barthes, la littérature et le droit à la mort (Seuil, 2010) (58 p.) L’Engagement extatique. Sur René Char (Manucius, 2008) (67 p.) Une querelle avec Alain Badiou, philosophe (Gallimard, 2007) (184 p.) Roland Barthes, le métier d’écrire (Seuil, 2006) (335 p.) Jean Genet, post-scriptum (Verdier, 2006) (116 p.) Lacan et la littérature, collectif (Manucius, 2005 INDISPONIBLE) (207 p.) Bref séjour à Jérusalem (Gallimard, 2003) (265 p.) Louis Althusser, un sujet sans procès (Gallimard, 1999) (238 p.) Sacrifice, roman (Seuil, 1992) (215 p.) André Gide, Qui êtes-vous ? (La Manufacture, 1987 ; Renaissance du livre, 1998 ÉPUISÉ) (316 p.) L’Écriture du jour, le journal d’André Gide (Seuil, 1985 - 2001) (266 p.) René Char (Seuil, 1980 ÉPUISÉ ; Points-poche, 2007) (320 p.)

Le 26 octobre 1977, au lendemain de la mort de sa mère, Roland Barthes entreprend d’écrire un Journal de deuil. Le propos de cette conférence donnée le 9 février 2010 au Collège de France et publiée en commémoration du trentième anniversaire de la mort de l’écrivain est de lire ce texte inclassable à la lumière de la célèbre formule de Maurice Blanchot, « la littérature et le droit à la mort ». Partant d’une question éminemment moderne – « qu’ai-je le droit, que m’est-il permis d’écrire ? » –, Éric Marty suggère que ce Journal ne pouvait exister qu’à titre posthume. Se situant, du vivant même de l’auteur, en réserve de l’oeuvre, l’écriture approche au plus près de ce « droit à la mort » – énigmatique et lointain –, qu’il s’agit ici d’explorer et de faire entendre.

Le livre recueille deux L’engagement textes, extatique et Commentaire du fragment 178 des Feuillets d’Hypnos. L’unité en est la question de l’engagement de René Char dans la Résistance contre l’Occupation nazie. Les deux commentaires articulent l’un à l’autre deux mouvements qui sont comme les deux battements rythmiques – poétiques – de cet engagement : l’angoisse d’une part, l’extase d’autre part. Soit par exemple, le tableau de La Tour, au cœur du fragment 178, qui associe la figure de l’homme prisonnier, pris dans la plus extrême solitude et le plus extrême délaissement, et la figure de la femme, de l’ange rouge, parole qui désaltère, délivre et maîtrise les Ténèbres. Il s’agit donc au travers d’une lecture poétique et philosophique des écrits poétiques de combat de René Char des années noires, de penser ce qu’a été cet engagement, bien au-delà de ce qu’on a pu entendre par exemple depuis Sartre par cette expression devenue le « lieu commun » des intellectuels. À l’évidence, c’est dans une conscience aiguë d’être face aux signes d’une apocalypse historique exceptionnelle que Char prend la double décision de se taire – il ne publie pas une ligne pendant toute cette période – et de combattre en guerrier les armes à la main.

Dans un ouvrage récent au titre insolite – Portées du mot « juif » – le philosophe Alain Badiou propose quelques thèses radicales. Il définit Israël comme un État racialiste, colonial et génocidaire, il conseille au peuple juif d’oublier le génocide dont il a été l’objet pendant la dernière guerre, il explique que le mot « juif » en tant qu’il assume une position d’exception, trouve son sens final dans la métaphysique hitlérienne. Nous voici donc face à un nouveau carnaval philosophique puisque tout y est à l’envers : l’État d’Israël est décrit comme un État antisémite, le film Shoah de Claude Lanzmann devient un film nazi, le véritable juif est celui qui rompt avec ce nom, le vrai juif c’est le Palestinien, c’est saint Paul, c’est Badiou lui-même, etc. Un carnaval philosophique d’une inquiétante étrangeté. Ou plutôt d’une inquiétante familiarité tant Alain Badiou, en donnant une formalisation philosophique à ce qui pourrait n’être qu’une fantasmagorie personnelle, entre en résonance avec le bruit de fond de l’époque et des propagandes. Comment interpréter cette position dans le champ politique et philosophique contemporain ? Quelles significations donner à l’extrême violence de ces thèses ? À quelles transformations, à quels plis, à quels accidents de l’histoire de la pensée associer le livre de Badiou dans la rumeur contemporaine sur la criminalité de l’État d’Israël et désormais, grâce à lui, sur la criminalité du mot « juif » lui-même ?

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Roland Barthes, le métier d’écrire (Seuil, 2006) (335 p.)

Jean Genet, post-scriptum (Verdier, 2006) (116 p.)

Bref séjour à Jérusalem (Gallimard, 2003) (265 p.)

Louis Althusser, un sujet (Gallimard, 1999) (238 p.)

Pourquoi Roland Barthes ? C’est peut-être à cette interrogation que le présent livre tente de répondre. Plus de vingt-cinq ans après sa mort, mais aussi, après la disparition, dans les années qui suivirent, de toute une génération qui avait donné un sens neuf à l’acte de penser, une telle question n’est pas indécente. Davantage qu’une nécessité, elle trouve un certain charme à être posée. Roland Barthes, le métier d’écrire expose Barthes à trois lectures : « Mémoire d’une amitié », récit autobiographique qui raconte au quotidien les dernières années ; « L’œuvre », qui parcourt la totalité des textes dans leur déploiement chronologique et singulier ; « Sur les Fragments d’un discours amoureux », séminaire qui décrypte la stratégie souterraine du livre le plus connu de Barthes, à travers les motifs obsédants de l’Image et du « NonVouloir-Saisir ». Le témoignage, le panorama, le séminaire : tout cela constitue un véritable cheminement. Au récit de la rencontre du jeune disciple avec le maître succèdent une méditation sur l’œuvre et son exploration minutieuse. « Le métier d’écrire » devient alors la formule même de la vie d’écrivain.

Cet ouvrage prolonge, à partir de deux questions, une réflexion entamée en 2003 avec la parution de « Jean Genet à Chatila ». La première est celle du Tabou, structure constitutive de la transaction imaginaire que Genet impose à son lecteur. La seconde : celle de l’engagement politique que la logique perverse, présente dans son œuvre, renverse et déploie en pur semblant. À la croisée de ces deux textes, ce qui est en jeu c’est à nouveau l’antisémitisme de Genet dans toute sa singularité et au revers d’une écriture dont la violence – opaque, entêtée, destructrice – n’est neutralisée par aucune catharsis, par aucune transaction compensatrice avec le monde, sinon celle précisément du Tabou. La question antisémite posée dans ce livre, loin d’être une chasse aux sorcières dont Genet serait le gibier, vise tout simplement à le lire, si le lire vraiment c’est l’ouvrir à une vérité que d’une main il tente d’écrire quand de l’autre il s’efforce de l’aveugler, si le lire ne peut s’accomplir sans lui faire, d’une certaine manière, violence, et s’il est vrai que cette violence est la seule empathie que son écriture supporte et à laquelle elle aspire.

« Israël aujourd’hui n’a pour être que son existence, Israël n’est qu’existence. Cette détermination purement existentielle d’Israël, je la vois dans une double vulnérabilité. Une vulnérabilité historique : Israël a à peine plus de cinquante ans, l’âge d’un être humain – encore assez être humain pour pouvoir mourir, disparaître et retourner à la poussière. Une vulnérabilité géographique : Israël est grand comme à peine deux départements français ; sans réserves territoriales, une seule défaite peut l’anéantir. Israël ne joue jamais avec la vie, car tout son être est dans cette existence finie. Cette détermination purement existentielle d’Israël, je la vois dans son nom propre et dans l’anthropologie qu’il dessine : ce nom hérité d’un homme, Jacob. Jacob a été appelé Israël parce qu’il a lutté avec Dieu toute une nuit et qu’il n’a pas cédé sur son identité. » Ce livre comprend : « Bref séjour à Jérusalem », « Jean Genet à Chatila », « La Terre comme arche », il est complété en annexes par une série d’interventions dans le débat politique français sur la question d’Israël.

Le 16 novembre 1980, le philosophe Louis Althusser, dans un moment de démence, assassinait sa femme Hélène par strangulation. Chaque terme de cet énoncé possède un sens précis et pourtant, pris ensemble, ils constituent une énigme : énigme pour le meurtrier lui-même, pour ses disciples, pour ses lecteurs, ses amis, ses ennemis et ses contradicteurs. En 1985, Althusser écrivit très vite une longue autobiographie qui ne parut qu’après sa mort. Œuvre sans précédent dans l’histoire de la philosophie pour un acte sans précédent de la part d’un philosophe, un meurtre. Ce livre n’a pas pour objet d’être une monographie supplémentaire sur le « cas Althusser » : ce qui fait la profondeur de l’énigme et du meurtre, c’est leur force d’interruption et de désordre dans nos habitudes de pensée. Mieux : une interruption de la pensée elle-même. Là commence peut-être alors, au croisement de la folie et de la politique, du meurtre et de la philosophie, de l’époque et de la biographie personnelle, une autre façon d’écrire l’histoire d’un passé encore très récent.

É. M.

sans

procès

É. M.

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Sacrifice, roman (Seuil, 1992) (215 p.)

L’Écriture du jour, le journal d’André Gide (Seuil, 1985 - 2001) (266 p.)

René Char (Seuil, 1980 ÉPUISÉ ; Points-poche, 2007) (320 p.)

Sacrifice est l’histoire d’une circoncision. À l’origine, l’arrivée d’un roi à la souveraineté incertaine, puis celle d’un étranger dans un village à l’orée du désert. Le rêve du premier et les fausses prophéties du second révèlent à un enfant, héros de l’aventure, l’existence de ce rite mystérieux dont son sexe porte témoignage. La fiction s’organise ainsi autour de ce sacrement dans un monde où le symbolique s’effondre, où les affabulations, les mythomanies, les rêves, les faux-semblants gouvernent et rongent toutes les certitudes de l’enfant : le circoncis. Nous sommes dans un temps et un territoire archaïques non précisés. En quittant son village pour se rendre à travers le désert dans une grande cité d’Orient, l’enfant connaîtra avec une prostituée la possibilité de nouer sa vie à un fil moins énigmatique. Mais l’espace de la ville n’est sans doute pas moins menteur, mystificateur et meurtrier que celui d’où il vient. Le roman, à la fois burlesque et cruel, associe le mythe et sa parodie, l’initiation érotique et les contre-initiations perverses dans un univers où la mort, la destruction et le désir sont conjointement les enjeux immédiats de l’existence. Et ceux de l’écriture même du livre.

Le Journal de Gide a quelque chose de fondateur en ce qu’il réalise comme aucun autre ce qui fait la loi même de cette pratique L’Écriture du qu’est jour. Ni autoportrait, ni autobiographie, ni confession qui sont des entreprises de rétrospection, le Journal traque et dessine dans la trivialité fragmentée des jours, une trace singulière de soi à même le Réel. En ce sens, L’Écriture du jour est la tentative de se déprendre de toutes les doxa tout en s’y affrontant : les discours du Monde, comme les discours du Moi ; mais c’est également le lieu où s’éprouve au présent l’authenticité de la parole dans ses engagements les plus exclusifs : l’amour, le mysticisme, le politique. Si Gide a pu passer pour le premier des Modernes grâce aux innovations formelles de son œuvre romanesque, son Journal extrait de lui un visage plus secret, plus fascinant et moins saisissable : celui du premier des Maîtres que le vingtième siècle ne cessera, au travers de ses lecteurs les plus attentifs (Sartre, Blanchot, Camus, Barthes, Lacan...), de vouloir ressaisir. Ce livre a obtenu lors de sa première publication en 1985, le Grand Prix de la Critique.

« Char, au travers de la lecture de ses poèmes, apparaît comme un homme qui a beaucoup désiré ; c’est peut-être dans la mesure même de ce désir qu’il a pu élaborer cet univers poétique qui ne ressemble à aucun autre. » Cette monographie propose à la fois une présentation du poète et une lecture attentive de son œuvre. Elle retrace le parcours de René Char depuis son enfance jusqu’à sa mort, sa proximité avec les surréalistes, sa participation à la Résistance et la construction d’une œuvre poétique déterminante dans le siècle. Elle interroge aussi l’hermétisme de sa poésie, ses thèmes, sa violence, ses alliés (peintres, poètes, philosophes) et ses sources (l’événement, la femme, le paysage).

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