Dialogue d’écrivains L’auteur
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Pierre Pachet, né en 1937 de parents juifs d’origine russe, est professeur des universités, écrivain et essayiste. Il a publié des ouvrages consacrés à la littérature, au rêve, aux soubresauts de l’Europe de l’Est. Une partie de son œuvre est autobiographique. Il est par ailleurs, depuis les années 1970, membre du comité de rédaction de La Quinzaine littéraire, bimensuel fondé par Maurice Nadeau. Outre des compte-rendus de livres, il y publie une chronique mensuelle intitulée « Loin de Paris » . Il a reçu le prix Roger Caillois 2011.
Sans amour (Denoël, 2011) (150 p.)
L’œuvre
© C. Hélie - Gallimard
Pierre Pachet France
Sans amour (Denoël, 2011) (150 p.) Devant ma mère, récit autobiographique (Gallimard, 2007) (171 p.) Loin de Paris (Denoël, 2006) (170 p.) L’Amour dans le temps, essai autobiographique (CalmannLévy, 2005) (231 p.) Aux Aguets. Essais sur la conscience et l’histoire (Maurice Nadeau, 2002) (200 p.) Adieu (Circé, 2001) (123 p.) L’Œuvre des jours (Circé, 1999) (113 p.) Conversations à Jassy (Maurice Nadeau, 1997 ÉPUISÉ ; Denoël, 2010) (178 p.) Bêtise de l’intelligence, avec Jean-Louis Faure, sur Arthur Koestler, Jean-Paul Sartre et Simone de Beauvoir (Joca seria, 1995) Le Grand Âge (Le temps qu’il fait, 1993 INDISPONIBLE) Un à Un. De l’individualisme en littérature (Seuil, 1993 ÉPUISÉ) Les Baromètres de l’âme. Naissance du journal intime (Hatier, 1992 ÉPUISÉ ; Hachette, 2001) (187 p.) La Force de dormir, études sur le sommeil en littérature (Gallimard, 1988) (204 p.) Autobiographie de mon père (Belin, 1987 ; LGF, coll. « Livre de Poche », 2006) (185 p.) Voyageur d’Occident (Gallimard, 1983 INDISPONIBLE) Nuits étroitement surveillées, études psychologiques (Gallimard, 1980 - 1994) (215 p.) De quoi j’ai peur, essai (Gallimard, 1979 INDISPONIBLE) Le Premier Venu, essai sur la politique baudelairienne (Denoël, 1976 - 2009) (170 p.) Du bon usage des fragments grecs (Le nouveau commerce, 1976 ÉPUISÉ) (19 p.)
Les dames âgées ne sont pas nées telles. Elles furent des jeunes filles, qui attiraient le regard des hommes et le regard en général. Pour les regarder comme elles le méritent, je dois opérer une conversion de mon regard : le forcer à cesser de se tourner vers ces jeunesses attirantes, pleines de vie et de charme, dont le sourire heureux, conquérant, ravageur, s’atténuera puis s’effacera avec l’âge, sans qu’elles perdent pour autant leur beauté ou leur attrait... À travers des personnages de femmes qu’il a connues, Pierre Pachet s’interroge sur le renoncement à l’amour, sur le choix de la solitude, quand viennent l’âge, la mort ou l’abandon d’un compagnon. Sur le mystérieux - pour lui - désir de paix des femmes. Irène, Léa, Mme Salzberg, Mania, Mizou... Leurs destins ont été liés. En essayant de les reconstituer, l’auteur fait aussi renaître des époques : les années 30, l’Occupation, le frémissement de la fin des années 50, et un milieu constitué d’émigrés russes, de Juifs hésitant entre diverses appartenances.
Ressources Le blog de Pierre Pachet : http://pierrepachet.blogspot.com/
La presse « Le sens de l’autre est si aigu qu’il renouvelle absolument la définition de l’altérité, la terreur du temps et la consolation de l’amour, à moins que ce ne soit celle de l’amour, tout court. » Actualitté
6es Assises Internationales du Roman / Un événement conçu et réalisé par Le Monde et la Villa Gillet / Du 28 mai au 3 juin 2012 aux Subsistances (Lyon) / www.villagillet.net
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Devant ma mère, récit autobiographique (Gallimard, 2007) (171 p.)
Loin de Paris (Denoël, 2006) (170 p.)
L’Amour dans le temps, essai autobiographique (Calmann-Lévy, 2005) (231 p.)
Aux Aguets. Essais sur la conscience et l’histoire (Maurice Nadeau, 2002) (200 p.)
« Enfant, m’a-t-on dit, je voulais être avec ma mère, ne pas la quitter, qu’elle ne me quitte pas. On me l’a rappelé plus tard, dès la fin de la guerre, avec attendrissement, ou pour se moquer un peu de mes désirs d’indépendance. A présent, je ne peux plus être avec elle, ni même près ou auprès d’elle. Dans l’état où elle est, ce que je peux espérer en allant la voir et en y passant du temps, c’est qu’elle regardera dans ma direction, sans me reconnaître vraiment, et qu’elle me permettra ainsi d’être devant elle, de lui parler pour réveiller brièvement sa capacité à mimer une conversation, de lui donner à manger. Je la reconnais, je la regarde, je l’écoute. Malgré notre connivence humoristique de toujours, à présent presque totalement détruite, je me sens comme devant une figure très ancienne, une statue faiblement animée mais puissante, monumentale. » Pierre Pachet
Loin de Paris rassemble 50 chroniques brèves parues dans La Quinzaine littéraire, entre janvier 2001 et septembre 2005. Une fois par mois, il s’agissait d’illustrer les pages du journal d’une vignette écrite évoquant un voyage, un séjour, une visite ou une rencontre. Ce que Paris exclut - la nature, la province, les villes et les villages, les animaux, les nuages - vient là au premier plan, mais intimement nourri de lectures et de souvenirs, et détaillé par une curiosité avide, sensible à ce qui passe, à l’humour des choses dépaysantes, à la diversité disjointe des modes de vie et des façons d’habiter la terre. En filigrane se dessine un mouvement autobiographique plus grave. Atteint par le deuil, un homme réagit par instinct, par goût de vivre, en allant regarder les choses et les gens. Ce qu’il voit, ce qu’il montre, les mots qu’il trouve pour le faire, ne le distraient pas du chagrin. Le chagrin y trouve à s’employer, il se creuse en se donnant à la diversité sensible de ce qu’il rencontre.
« L’amour dort dans l’air, sur le vent. Il ne laisse pas de trace matérielle. Il ne laisse pas de trace entre les amants. Chacun d’eux a été transformé par son passage, rendu meilleur peut-être, plus humain, plus exigeant ou plus amer. Ou plus aimant (comme il apparaîtra au prochain passage de l’amour, s’il repasse). Je t’aime - et notre amour est d’autant plus vrai, poignant et indubitable, qu’il n’est suivi d’aucun : et je t’aimerai toujours. Je t’aime les yeux ouverts, même si tu es par excellence la femme à côté de qui je peux dormir. Ainsi l’amour est pleinement dans le temps. » Comment le chagrin d’avoir perdu une femme aimée se transforme en besoin d’aimer, en désir, en ouverture à la multiplicité des désirs ; comment cette modification de son être intime et presque de son identité peut mener à une fidélité plus profonde ; ce qu’est la chaîne qui conduit d’un amour à d’autres, à un autre ; à quoi l’amour engage, ce qu’il demande... Ces questions surgissent ici à travers des circonstances, des rencontres, des situations et des portraits. L’auteur raconte, se souvient, décrit, s’interroge sur l’histoire dont il est le personnage principal, et cherche à la rendre visible pour chacun - et d’abord pour lui-même.
Ce volume rassemble des textes composés par l’auteur au cours des vingt dernières années, ils témoignent du lien singulier qui s’affirme dans sa réflexion entre une donnée très intime, et une réalité collective et historique. D’un côté, la conception d’une conscience à la vigilance envahissante, une vigilance qui ne cesse pas et se prolonge jusque dans le sommeil ; de l’autre l’attention portée de façon réitérée, au fil des années, à des situations politiques ou historiques dans lesquelles s’est déchaînée la violence : violence révolutionnaire dont témoignent des œuvres comme celle d’André Platonov, de Mikhaïl Boulgakov, de Pierre Pascal ; violence totalitaire exercée dans les formes contemporaines de la torture, ou dans la catastrophe engendrée par le nazisme, à laquelle réfléchit Simone Weil. La méditation de Pachet cherche à comprendre comment son propre souci de vigilance réagit au sentiment d’être encerclé par la violence du monde ; et surtout à faire apparaître la violence à l’œuvre dans le rapport de la conscience à elle-même, une conscience cruelle, excessive, tant elle est avide de voir et de connaître ; une conscience dont les mouvements - dans la relation avec les animaux, dans la tentation de la privation volontaire, dans la pensée du meurtre ou de la torture subie ou exercée - finissent par prendre dans ces pages une dimension fantastique et presque romanesque.
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Adieu (Circé, 2001) (123 p.)
C’est le portrait d’une femme aimée, tracé alors qu’elle vient de quitter la vie ; c’est l’effort pour ressaisir le mouvement d’une vie orientée par le désir de vivre avec vérité. C’est pour l’auteur une nouvelle tentative pour capter en dehors de lui ce qu’il a de plus intime.
L’Œuvre des jours (Circé, 1999) (113 p.)
Conversations à Jassy (Maurice Nadeau, 1997 ÉPUISÉ ; Denoël, 2010) (178 p.)
Bêtise de l’intelligence, avec Jean-Louis Faure, sur Arthur Koestler, Jean-Paul Sartre et Simone de Beauvoir (Joca seria, 1995)
« Ce sont les jours, dans leur discontinuité, chacun apportant un projet, une sollicitation, une diversion, qui ont travaillé pour moi. Après trente ans de publications, je me retourne avec curiosité vers cette dispersion que j’ai voulue et que je veux encore. Occasion de reconnaître moins des thèmes que des puissances, aptes à désorienter et à orienter, à relancer et à suspendre : l’ennui (et la peur de l’ennui), les émotions, la conversation (et la peur d’être englouti en elle), la diversité et la multiplicité des livres, possibles et réels, l’hésitation passionnée devant les formes. Comment le nom juif a-t-il persisté ? Par un support à la fois matériel et littéral dont l’Europe ne veut rien savoir : la continuité de l’étude. Comment l’étude a-t-elle continué ? Par une voie dont l’Europe moderne ne veut rien savoir : la décision des parents que leur enfant aille vers l’étude. Pourquoi la haine ? Parce qu’en dernière instance, le nom juif, dans ses continuités, rassemble les quatre termes que l’humanité de l’avenir souhaite vider de tout sens : homme/femme/parents/enfant. » Pierre Pachet
En 1996, Pierre Pachet se rend dans le nord de la Roumanie, dans la ville de Iasi. Ce n’est pas la première fois qu’il va dans un pays que l’expérience du communisme a écrasé, pour goûter l’atmosphère qu’on y respire, écouter les gens, se situer par rapport à cette histoire. Cette foisci, les choses tournent autrement : peut-être parce que le père de Pierre Pachet était luimême originaire de cette région de l’Europe. Le voyageur veut aller plus loin et plus profond, remonter, en dessous même des malheurs engendrés par le communisme, jusqu’à l’antisémitisme, jusqu’à la xénophobie qui a été si longtemps intimement liée au nationalisme roumain. Sous la ville contemporaine de Iasi, il veut revoir la ville de Jassy, jadis riche d’une forte population juive, et le pogrom de juin 1941 tel que Malaparte l’évoque dans d’inoubliables pages de Kaputt. Au-delà de l’actuelle province roumaine de Moldavie, il se fait expliquer ce qu’est la Moldavie indépendante, ce que furent la Bucovine, la Bessarabie où vivait son grandpère, la Transnistrie où tant de Juifs furent déportés. Les conversations, les lectures, les réflexions s’organisent en une enquête sur ce qui a eu lieu : en 1941, en 1943, en 1947, en 1989. Le lieu où se tiennent ces conversations, auquel elles veulent se tenir, est marqué par des frontières, des annexions, des expulsions, des violences contre les anciens voisins. La tentation y est forte, pour chacun, de rester accroché à son malheur, à son point de vue.
Pierre Pachet se livre avec son acuité et son ironie habituelles à un original exercice de critique littéraire à partir d’une scène (imaginaire ?), sculptée en bois peint, laiton et résine par Jean-Louis Faure et intitulée « JeanPaul Sarte et Simone de Beauvoir refusant de serrer la main d’Arthur Koestler ». Dans cet exercice d’humour noir décapant, l’artiste comme l’essayiste ne cachent pas où va leur préférence.
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Le Grand Âge (Le temps qu’il fait, 1993 INDISPONIBLE)
Un à Un. De l’individualisme en littérature (Seuil, 1993 ÉPUISÉ)
Les Baromètres de l’âme. Naissance du journal intime (Hatier, 1992 ÉPUISÉ ; Hachette, 2001) (187 p.)
Autobiographie de mon père (Belin, 1987 ; LGF, coll. « Livre de Poche », 2006) (185 p.)
Un essai léger et ému sur la vieillesse, ses craintes, ses douleurs, ses faiblesses et sa grandeur. Où l’on s’avise que le grand âge n’est pas une maladie.
Qu’y a-t-il de commun entre des écrivains comme Henri Michaux, Salman Rushdie et Vidiadhar Surajprasad Naipaul ? Selon l’auteur, une correction particulière de l’individu, une manière propre de raconter l’histoire d’individus qui tentent de s’émanciper de leur culture d’origine sans croire qu’il est possible de rompre totalement avec elle...
Pierre Pachet propose ici une traversée des premières explorations du « moi » intime, à travers l’écriture quotidienne d’un journal. Cette écriture va permettre une observation quasi météorologique des mouvements de l’âme. Analysant les auteurs à l’origine du genre (Maine de Biran, Constant Joubert, Stendhal, Amiel, Michelet, Delacroix), il s’attache au paradoxe d’une œuvre qui suscite un « for intérieur » en le vouant à la publication. Pierre Pachet montre ainsi comment l’apparition de ce genre littéraire va de pair avec l’éclosion d’une nouvelle sensibilité et que la forme invente ici en même temps son objet : l’intime.
Pourquoi faire revivre celui avec lequel on a si peu parlé, son propre père, et dont on précise sans tarder qu’il « n’était aucunement un héros » ? Pour régler ses comptes ? Sûrement pas. En choisissant d’écrire à la première personne une biographie de son père, l’auteur prend un pari littéraire risqué et magistralement gagné. Le docteur Simkha Opatchevsky, « juif de son temps », né en Russie en 1905 et mort à Vichy en 1965, n’était sans doute pas la parfaite figure paternelle dont chacun peut rêver. Mais le roman de sa vie, tributaire de l’exil, des guerres, puis, en France, de l’occupation nazie, retracée avec une intense sobriété, donne la voix à un homme dont la richesse se révèle comme un trésor au fil des pages. C’est cette « voix », qui resta intérieure jusqu’à ce que son propre fils la donne ici à entendre, qui fait la magie de ce livre : familière, autoritaire, énigmatique. Comme le dit Pierre Pachet : « La parole de mon père mort demandait à parler par moi, comme elle n’avait jamais parlé, au-delà de nos deux forces réunies. »
« Une méditation rude et sèche sur la vieillesse avec ce que le désir d’être vrai sur soi réclame de simplicité, de résistance au masochisme, infiniment plus qu’à la complaisance, obstacle somme toute plus aisé à franchir qu’on ne veut bien le faire croire. » J-M de Montremy, La Croix
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La Force de dormir, études sur le sommeil en littérature (Gallimard, 1988) (204 p.)
Le Premier Venu, essai sur la politique baudelairienne (Denoël, 1976 - 2009) (170 p.)
Trop naturel, le sommeil : on n’y prête guère attention. Ou bien c’est qu’il se détraque, et l’on demande à la médecine de nous le rendre aux moindres frais. Le sommeil à la différence du rêve - futil jamais pris pour objet de pensée ? Devint-il matière à élaborations littéraires ? Comme une eau, on voit au travers ; son départ laisse à peine un scintillement... À la surprise du lecteur, l’essai de Pierre Pachet révèle que le sommeil est partout présent dans la littérature. Il s’insinue dans maintes œuvres où jamais nous ne l’avions remarqué. Il est vrai qu’il y paraît moins comme un thème tout offert que par éclipses, tensions, retraits. La paradoxale « force de dormir » qui donne accès au sommeil, il faut en être privé pour en percevoir l’existence. Lui-même au travail, le sommeil fait œuvre dans les poèmes de Baudelaire, dans les proses de Nerval, dans les extraordinaires récits de Platonov. Pour déceler cette puissance poétique du sommeil et les conditions - sociales, historiques de son apparition, il fallait une attention insomniaque.
Charles Baudelaire n’est pas seulement l’auteur des Fleurs du mal. Il est aussi celui qui a compris, notamment dans Fusées et dans Mon cœur mis à nu, la profonde métamorphose des sociétés modernes. Au cours du Second Empire, l’ordre ancien achève de disparaître : ni les individus ni les valeurs n’ont plus de place définitive. C’est désormais le règne du premier venu, qui s’incarne dans différents personnages baudelairiens - le promeneur, le dandy, le tyran, la victime, le bourreau, l’artiste... Ce monde qui se démocratise est agité, à l’instar du cœur humain, de mouvements confus où chacun peut se retrouver soudain élu ou exclu, couronné ou sacrifié au terme d’un suspens qui se cristallise dans des situations-limites, telles que l’exécution capitale, le suicide, le complot ou simplement la solitude... Dans cet essai aujourd’hui réédité dans une nouvelle version revue et augmentée, Pierre Pachet nous restitue la pensée paradoxale et fulgurante d’un Baudelaire encore méconnu.
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