Palazzi A Venezia Avril 2021

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Phot valeriamelis

Scène symphonique L’Empire des Sens de Boucher à Greuze Ernst Auguste Hanovre Centuripe La pierre de Centuripe Roberta Barba J.R. à Palazzo Strozzi Elisabeth Magie Aldo Rossi al MAXXI Heidi Weber et Le Corbusier Marion Tivital Nawal el Saadawi agnes b. Walter Musco Venise fete 1600 ans

PALAZZI A VENEZIA Publication périodique d’Arts et de culture urbaine de l’association homonyme régie par la Loi de1901 ISSN/Commission Paritaire : en cours Distribution postale/digitale aPrésident Directeur de la Publication Vittorio E. Pisu Projet Graphique Emmerick Door Maquette et Mise en Page L’Expérience du Futur Correspondance zoupix@gmail.com palazziavenezia@gmail.com https://www.facebook.com/ Palazzi-A-Venezia https://www.vimeo.com/ channels/palazziavenezia Trentedeuxième Année / numéro 04 /Avril 2021 Prix au numéro 5 euros Abonnement annuel 50 euros Abonnement de soutien 500 euros


SAVE THE DATE ! L’Appart Renoma, 129bis rue de la Pompe,

Paris 75016 ouvre ses portes

du 9 Avril 2021 jusqu’au 29 Mai 2021 à la nouvelle exposition

“Scène Symphonique” qui met en lumière les artistes Maurice Renoma, Famakan Magassa et William Bakaimo. Merci à Floréal Duran et Edith Mbella mais aussi à Communic’Art pour cette belle aventure qui débute très prochainement ! www.facebook.com/ renoma.couture

‘année écoulée depuis le début de la pandémie qui nous embarrasse encore, n’a pas encore permis de mettre un terme aux situations de fermeture, de confinement, de lock down et autres restrictions qui ont affecté principalement le monde de la culture dans toutes ces manifestations. Musées, théâtres, cinémas, opèras, galeries d’Art fermées mais supermarchés et autre lieux du commerce quotidien bien ouvert tout comme les églises, sans parler des transport en commun particulièrement bondés en contradiction flagrante avec les mesures de distanciation sociale, port de masques chirurgicaux et autres joyeuseté hygiéniques qui n’ont pas donné les résultats espérés, alors quoi faire ? Dans tous les pays affectés par cette pandémies les réactions ont été disparates mais force est de constater que la négation du problème n’a pas aidé à sa résolution et des pays comme les États Unis d’Amérique, depuis peu sans le Drumpf de service, mais aussi le Brésil qui, avec son premier Bolsonaro, essuient le plus gros des décès, du développement de l’infection et du collapse d’un système sanitaire déjà mis à mal. Mais en Europe on n’est pas mieux lotis et entre confinement plus ou moins sévères, zone rouge ou orange, on attend fébrilement que la distribution des vaccins (qui tardent étrangement) nous permette de retrouver un semblant de vie plus ou moins normal. Le moins que l’on puisse dire c’est que la classe politique ne s’en sort pas vraiment grandie, au contraire, et le démembrement du système sanitaire au profit des cliniques privées a montré toutes ses limites. Il reste la résistance du personnels infirmières et médecins confondu qui contre une recrudescence sévère de l’épidémie essayent de faire face. Et les artistes qui, même confinés, ont continués à produire des images, des mots, de la musique, des pas de dance, de l’espoir en une possible manière de résister aux changement que cette pandémie nous impose et qui devraient être principalement la manière d’envisager autrement notre fonctionnement et notre futur. Lors du premier confinement la nature nous avait envoyé un signal en nous montrant comment les animaux, les végétaux, et jusqu’à l’eau de la mer et l’air que nous respirons ont besoin que nous arrêtions de foncer dans le mur de la destruction planétaire et de l’extinction de notre espèce qui est à peine une espèce animale comme une autre et une habitante de cette terre tout comme n’importe quel autre être vivant et que notre disparition affecterait vraiment marginalement le futur de la planète. L’aurons nous compris ? j’espère que ces quelques pages saurons vous donner des thèmes de réflexion ou à tous le moins de divertissement. Je vous souhaites des Bonne Pâques. Vittorio E. Pisu

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Photo Tony Querrec

dont celle, notable, de Boucher – ou alors dans le domaine parallèle des gravures pornographiques. L’art et la pornographie, d’ailleurs, entretenaient des liens parfois assez étroits. Il existait, au siècle des Lumières, tout un répertoire clandestin de contes libertins, dont les plus brillants représentants, Crébillon, Piron, étaient amis de Boucher. Guillaume Faroult, conservateur au Louvre et spécialiste de la période, a explicité le contexte culturel dans lequel s’insère notre tableau. À commencer par la mode orientalisante qui marque le goût, sous la Régence et sous Louis XV, mode dont l’ouvrage de Jean-Antoine Guer, “Mœurs et usages des Turcs” (1746), est un des marqueurs. Décrivant un sérail, l’auteur, qui n’est jamais allé en Turquie, y évoque tout «un imaginaire de la réclusion lascive ». Or, Boucher donne plusieurs illustrations pour cet ouvrage, au moment même où il travaille à son Odalisque. Celle-ci, cependant, n’a d’oriental que quelques plumes dans les cheveux, un vase chinois sur la petite table, et son oisiveté lascive décrite par Guer… Mais elle a aussi un «sopha», comme on l’écrivait alors : « espèce de lit de repos à la manière des Turcs », (suit page 4)

rançois Boucher, maître des scènes galantes, est l’auteur de quelques nus pour le moins osés, dont cette aguichante Odalisque, clou de l’exposition « L’Empire des sens », consacrée à l’érotisme au siècle des Lumières, au musée Cognacq-Jay à Paris, (prolongée jusqu’au 27 mai), qui fait le point sur une nouvelle approche de la peinture du XVIIIe. Celle-ci insiste sur son caractère licencieux et sur «l’entrelacs des corps » allant jusqu’aux frontières de l’interdit. par Guy Boyer Entrée au musée du Louvre avec le legs Schlichting, en 1914, et révélée au public après la guerre, cette toile, qu’on intitula alors “L’Odalisque brune”, était jusque-là à peu près inconnue. Depuis, elle apparaît comme l’un des sommets de l’art de François Boucher, à la pointe même de cette veine galante dont le peintre de Louis XV fut le maître incontesté – galanterie ici poussée jusqu’à la polissonnerie la plus franche, pour ne pas dire effrontée. Qu’une telle peinture soit demeurée si longtemps secrète était dans l’ordre des choses, car ce qu’on appelait alors les « peintures de nudités » était destiné aux cabinets d’amateurs et non au grand public. Au fil du temps, de mains en mains, ces toiles restaient confinées dans le secret d’appartements privés. Traditionnellement, ces nudités se prévalaient toujours d’un prétexte mythologique, c’étaient des Vénus, des Dianes, des nymphes et des naïades, et le nu en tant que tel n’existait pas – à de rares exceptions près,

L’Empire des sens, de Boucher à Greuze jusqu’au 27 Mai 2021 Commissariat Annick Lemoine, directrice du musée Cognacq-Jay assistée de Sixtine de Saint-Léger Comité scientifique Guillaume Faroult, conservateur en chef musée du Louvre Françoise Joulie, historienne de l’art Alastair Laing, conservateur honoraire au National Trust, Londres

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Photo Tony Querrec

(suit de la page 3) selon une définition de 1692. Celui-ci est composé de matelas et de coussins à même le sol. Ce « sopha » ottoman où se prélassent les femmes du harem a si bien captivé l’imaginaire du temps que Crébillon en fait le personnage principal de son conte homonyme (1742), où le héros, jeune homme amoureux, se voit métamorphosé en sofa où vient s’étendre sa belle, à qui, par l’intermédiaire des coussins pressés et des étoffes froissées sous la peau nue, il communique son ardeur… Notre spécialiste voit là une des sources principales du tableau. Et quid du commanditaire? Il est resté dans l’ombre, vu la nature du tableau. Mais, là encore, une piste s’avère très probable. Alexandre Jean Joseph Le Riche de La Popelinière était un richissime fermier général, et l’un des grands mécènes su siècle, connu surtout pour être le protecteur du compositeur Jean-Philippe Rameau. Il avait un talent de plume et publia en 1750 ses “Tableaux et mœurs du temps dans les différents âges de la vie”, couplés à une leste ”Histoire de Zaïrette” où transparaît sa passion pour les postérieurs féminins. À l’inventaire de ses biens, figuraient plusieurs toiles de Boucher, dont

une femme nue allongée sur le ventre. Notre Odalisque ? Rien ne serait moins étonnant, car celle-ci se signale par son ostentation fessière. Ce qui saute aux yeux, en effet, c’est le point central et névralgique du tableau: ses lignes médianes et obliques se croisent toutes à la jonction de la raie et des plis des fesses, elles traversent la figure en son fondement. On ne pouvait être plus explicite, et certes le clin d’œil est appuyé. Mais qu’importe ! Il faudrait être bien jocrisse pour bouder son plaisir et jeter l’anathème sur ce morceau divin où la peinture exulte, blonde, lissée, nacrée, onctueuse : on en mangerait ! Fesses, jambes au dessin si juste dans leur abandon, dos à demi drapé dans la chemise relevée qui mousse telle une crème fouettée, épaules, poignets délicats, délicieux minois… Tout cela magnifié par le somptueux écrin que constituent le sofa, son désordre écumant, et cette cascade de velours bleu comme irisé de givre, qui déferle en torrent sur (et sous) la belle. C’est qu’il y a un homme là-dedans ! Enfin, remarquons, comme d’autres avant nous, le foisonnement de plis et replis – peau, chair, chemise, draps, coussins, tapis, rideau… – qui travaille en tous

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sens la surface du tableau, et surexcite notre regard. Le XVIIIe siècle français célébra la recherche du bonheur et des plaisirs, considérée comme une quête légitime et intrinsèque à la nature humaine. Le thème des rapports amoureux traverse tous les domaines, philosophie, littérature, théâtre, musique, arts plastiques, tout au long du siècle, de la Régence à la Révolution. L’exposition en explore les plus notables avatars, les plus audacieux, à travers une centaine de peintures, dessins et estampes, dus aux plus grands maîtres, Watteau, Boucher, Fragonard…, et à de moins connus. Un cabinet d’erotica permet aussi de suivre le dialogue entre « grand » art et pornographie. Mais une histoire de l’érotisme est-elle possible ? Pouvons-nous plus particulièrement tracer les contours des composantes historiques qui façonnent celui du siècle des Lumières ? Dans quel sens en sommes-nous encore les héritiers? Pour répondre à grands traits à ces questions, nous nous centrerons surtout ici sur les dispositifs élaborés pour susciter l’imagination érotique, voire pornographique, à cette époque. Le XVIIIe siècle réhabilite la connaissance par les

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sens et le goût de la volupté, desserre nombre de contraintes qui pesaient sur les mœurs à l’époque classique. Dans l’histoire de la balance des sens, c’est-àdire de la hiérarchisation des cinq sens dans la perception du monde extérieur, frappe surtout la prééminence du regard dans l’érotique du siècle des Lumières, nous le verrons. L’influence de l’empirisme anglais, du sensualisme, qui établissent la dignité philosophique de l’expérience par les sens, donne leur part au toucher, à l’odorat, à l’ouïe et au goût pour illustrer la disponibilité de l’être soumis aux influences de l’environnement. Mais ses sens participent surtout des dispositifs d’une mise en scène globale où prime le tableau: la vue est accompagnée des autres sens. L’émergence d’un nouvel espace de l’intime influe considérablement sur la mise en scène érotique. Cette nouvelle architecture de la vie privée, dégagée de l’apparat aristocratique multiplie boudoir, cabinets, jardins clos et petites maisons, espaces réduits saturés de sensualité qui jouent des demi-jours tamisés. Le goût de l’effraction dans une intimité dont le négligé est toujours très étudié permet l’alliance du confort bourgeois et de l’élégance aristocratique. (suit page 6)


Photo muséecognacqjay

(suit de la page 5) Une autre approche pour une histoire de l’éros consiste à déterminer les découpages entre l’érotique et l’obscène, soumis à fluctuation. Gilles Lapouge fait justement remarquer que l’érotique est souvent la pornographie de la veille. Fluctuation dans le temps, mais aussi à l’intérieur même d’une société où l’obscène renvoie à la crudité supposée de l’éros populaire. Il est tentant alors de s’attacher à l’histoire des mots pour en parler. Outre le charme de découvrir des mots qui sont tombés en désuétude ou de se rendre compte que certaines notions n’avaient pas été inventées, le champ sémantique parcouru permet de cerner les représentations des sexes et du sexe, les formes de domination et d’interdiction qui les structurent. Ces textes, ces représentations – faut-il le rappeler? – sont alors frappés d’un interdit civil et social. Ce dispositif de pouvoir et d’interdits, qui n’a pas véritablement d’équivalent aujourd’hui, correspond à des codes religieux et au fonctionnement de la censure. Il s’inscrit également dans les clivages sociaux d’Ancien Régime en profonde mutation. Le code religieux s’entend dans l’accusation de libertinage qui concerne autant les mœurs que l’esprit.

À l’exemple des libertins érudits du XVIIe siècle, ceux qui raisonnent trop, refusent les dogmes, se donnent la liberté de conscience comme celle de mener discrètement la vie privée qui leur convient sont vivement dénoncés par l’Église. Dans ses mandements, elle met sur le même plan écrits impies et licencieux, livres frivoles et livres lascifs. Le libertinage prend un autre sens à la Régence et caractérise des mœurs dissolues : la galanterie équivaut à la débauche. La critique des mœurs aristocratiques s’en mêle pour stigmatiser ceux qui ne s’inquiètent ni de la famille ni des autres vertus bourgeoises. Car si les philosophes se montrent parfois grivois et égrillards, ils sont toujours très émus des attachements familiaux et réprouvent ceux qui les négligent. Par ailleurs, il existe une relation complexe entre police et libertinage. Les fiches des « mouches », c’est-à-dire des indicateurs de police de l’époque, renseignent sur les pratiques libertines et surveillent les débauches outrées dans un but de répression. Mais, ils alimentent les conversations, la chronique scandaleuse de la Cour et de la ville, et inspirent les écrits pornographiques. L’interdit excite la curiosité et la réalité inspire la fiction. En s’interrogeant sur les composantes historiques de l’érotique du XVIIIe siècle, il est également intéress-

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ant de questionner sa permanence. Plus que le propos sentimental, le texte pornographique parvient à se survivre pendant plus d’un siècle. Les comédies larmoyantes du XVIIIe siècle ne font guère plus pleurer quelques décennies plus tard. Nous ne versons guère de larmes aux malheurs de Julie et de Saint-Preux qui provoquaient auprès des lecteurs de véritables déluges, empreints d’une dimension de conversion morale et d’identification. Pour Jean-Marie Goulemot, il existe en revanche une pérennité du texte érotique et surtout « une transhistoricité de l’obscène » : l’enfer du XVIIIe siècle est constamment réédité au XIXe et provoque semble-t-il les effets attendus sur les lecteurs. Les situations sont copiées et réactualisées comme si l’obscène n’avait d’histoire que de ces apparences et de ces costumes, rapidement ôtés, d’ailleurs. L’espace clos est le lieu favori du roman libertin ou pornographique comme de la gravure, mais aussi des pratiques du libertinage. Il instaure un nouveau rapport aux sensations et à la sphère privée. Le Camus de Mézières fait paraître en 1780 un traité qui associe sensualisme et art de la construction: “Le génie de l’architecture ou l’analogie de cet art avec nos sensations”. Serre chaude des dévoilements et des ébats, l’espace est micro climat artificiellement créé pour appeler à la volupté et conduire sans effort les proies sur l’ottomane.

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Dans un subtil calcul des plaisirs et une apologie presque cynique du luxe dans le détail, un nouvel étage de fortune, une folie de dépense, les petites maisons, lieu de la licence aristocratique à partir de la Régence, affolent les imaginations et multiplient les rumeurs. Le cabinet retiré ou le boudoir, sorte de petite maison intérieure luxueusement meublée, est l’écrin de la volupté. Tout en courbes, en sinuosité, en douceur pour évoquer la féminité, il est garni de miroirs et de divans profonds, de peintures galantes, de rideaux qui installent un demi-jour et multiplient les sensations et les coups d’œil par saturation. Chaque objet, chaque détail y concourent dans un luxe de références culturelles et mythologiques pour l’enivrement des sens, de tissus moelleux, d’odeur de fleurs fraîches. Lieu de consommation et d’assouvissement des désirs, la distribution de l’espace ménage des niches et des mises en abîme. Les jeux de reflet privilégient le petit, le bon goût luxueux sur la grandeur, la vastitude des espaces aristocratiques traditionnels. La lumière tamisée est l’équivalent visuel du «gazé » du langage libertin. La présence de coulisses permet le voyeurisme. (suit page 8)


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(suit de la page7) Ces aménagements sont encore accentués par les dispositifs machiniques et mécaniques qui rappellent les machines du théâtre ou de l’opéra, les automates de Vaucanson et l’homme-machine de La Mettrie. La technique peut simplement accroître les sensations de plaisir et faciliter l’intimité, comme dans “Point de lendemain”de Vivant Denon où les amants basculent dans une grotte garnie de coussins moelleux. Mais les machines servent aux voyeurs pour participer aux ébats sans être vus, et aux libertins pour imposer progressivement le lieu de leurs assauts en emprisonnant leurs victimes dans un fauteuil infernal. Le boudoir se transforme en torturoir, selon le mot de Rétif, et Sade en fait la philosophie. Au-delà de ces excès, Diderot, Rousseau, Mercier dénoncent ces débauches de luxe dénaturé qui rendent l’art mignard et la volupté artificielle. Diderot s’en prend à Boucher et à ses compositions frivoles qui sentent le petit maître et le boudoir ainsi qu’à ses émules qui dégradent les grands sujets « en les réduisant à la bambochade ». Et il définit en quoi la nudité naturelle peut se distinguer des petites mises en scène de boudoir: « Une femme nue n’est point indécente. C’est une femme troussée

qui l’est. Supposez devant vous la Vénus de Médicis, et dites-moi si sa nudité vous offensera. Mais chaussez les pieds de cette Vénus de deux petites mules brodées. Attachez sur son genou couleur de rose un bas blanc bien tiré. Ajustez sur sa tête un bout de cornette, et vous sentirez fortement la différence du décent et de l’indécent. C’est la différence d’une femme qu’on voit et d’une femme qui se montre. » En dehors des charmes du naturel qui lui paraissent plus doux que les mignardises des coquettes, Diderot préfère être le voyeur ignoré. Diderot, dans les Salons de peinture donnés à la Correspondance littéraire, explique que la meilleure position pour regarder un tableau est celle du spectateur, ni trop loin ni trop près. Il développe ce point de vue en commentant à plusieurs reprises le thème pictural de “Suzanne et les vieillards”. Commentant le tableau du Titien, il explique : « La toile renferme tout l’espace et il n’y a personne audelà. Lorsque Suzanne s’expose nue à mes regards, en opposant aux regards de vieillards tous les voiles qui l’enveloppaient, Suzanne est chaste et le peintre aussi; ni l’un ni l’autre ne me savaient là. » Le spectateur du tableau est en position d’extériorité, il n’entre pas dans la scène du tableau et il est ignoré. Dans l’art érotique de Diderot, le voyeur est d’autant

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plus troublé qu’il assiste au spectacle d’une prétendue innocence qui l’ignore. C’est d’ailleurs ce qui l’incite à trouver des sous-entendus grivois aux jeunes filles de Greuze pleurant leur cruche cassée. Diderot joue des ambiguïtés : vertueux dans son discours philosophique, il est volontiers grivois dans ses écrits érotiques et ses conversations privées, et contradictoire dans ces récits, sans souci de cohérence. Le libertinage s’épanouit dans la diversité des styles, du « gazage » allusif propre au roman de Crébillon à la crudité des romans licencieux, de la courtisanerie à la gauloiserie, du roman allusif à celui des propos orduriers. Ces distinctions recoupent les clivages sociaux, qui se repèrent jusque dans les titres des ouvrages, et des propos tenus : allusion des personnages aristocratiques, crudité de la virilité populaire se lisant dans les titres des romans qui disent le rang des personnages de fiction. L’âge classique instaure une séparation entre l’obscène, lecture de transgression assumée, et le grivois, le voilé, l’allusif, lecture où joue la complicité culturelle aux limites du licite et du toléré. Ce qui n’était pas séparé du temps de Rabelais a subi une censure aux temps de la Réforme et de la Contre-Réforme, pour réapparaître marqué par ce clivage. Le gazé joue des voiles et des dévoilements, qui renvoient au clair-obscur de la scène érotique, au trouble des impudicités régulées.

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Le grivois s’entend au double sens, au jeu de mot, à l’érotisation généralisée du langage, comme dans “Les bijoux indiscrets”, de Diderot où tout peut être entendu comme évocation du sexe. Y joue donc une grande part d’implicite et de référence. L’obscène en revanche est ce qui s’oppose à la pudeur, laquelle est à défendre selon Malesherbes qui établit les règles de la censure en fin connaisseur des lettres. Le distingué organisateur de la censure prône moins de sévérité à l’égard du licencieux (contes de La Fontaine, épigrammes de Jean-Baptiste Rousseau). Le lascif décrit l’effet produit par l’obscène qui porte à la luxure. Le mot pornographique n’est pas encore d’usage, et Rétif l’emploie essentiellement pour traiter de la prostitution. Par érotique, on entend tout ce qui a trait aux choses de l’amour où l’excès des appétits corporels n’exclut nullement les sentiments. Pour différencier l’érotique à référence culturelle de la pornographie, le dispositif de séduction nous renseigne également. Sur le plan de la relation entre hommes et femmes, la conquête impose la captation de l’âme, sujet du roman libertin où la joute de langage tient autant d’importance (suit page 10)


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(suit de la page 9) que les manœuvres d’approche du corps féminin. Se tient au centre de la scène la stratégie de séduction du libertin qui rencontre une résistance, un obstacle qui diffère la victoire, un vacillement qui trouble, un consentement arraché comme un aveu. Il s’agit avant tout de convaincre la proie de transgresser les interdits moraux, religieux et de la réduire à sa merci. Roman de paroles plus que de tableaux, l’exercice est cérébral et tient à l’art de la conversation comme à celui du persiflage. L’habitude du persiflage participe du libertinage, car il exerce une forme de domination par le ridicule et circonvient sa victime en la sub-juguant. Séduire est avant tout convaincre, faire céder. Le procédé n’est pas inoffensif et l’usage de la métaphore guerrière comme l’effet de soumission recherché en font un jeu de pouvoir qui peut finir dans le sang et la mort, comme dans “Les liaisons dangereuses”. Mais le procédé n’est pas visuel. À l’inverse dans le roman pornographique, les personnages sont avant tout disponibles aux ébats, sans psychologie, présentant seulement des aptitudes remarquable au plaisir qui les entraînent dans de folles sarabandes. Les personnages sont toujours en quête de bacchanales.

La disponibilité permanente des corps désirants et offerts constitue une sorte de communauté de jouissance. Ce genre romanesque transforme, nous le verrons, le lecteur en voyeur. Entre ces deux pôles, du libertinage galant aux romans pornographiques, s’étagent tout une gamme d’écrits. Nous avons affaire à des textes mixtes : même dans le roman le plus directement érotique ou pornographique, les intermèdes philosophiques ou moraux, qui se veulent plus argumentatifs et critiques (en versant dans la satire antireligieuse par exemple), suspendent le récit. La satire sociale construit ainsi un Orient imaginaire pour critiquer le despotisme dans “Les bijoux indiscrets” de Diderot. Si on comprend bien pourquoi le roman libertin à référence se fait bavard, il est plus curieux que cette manie de discourir se trouve aussi dans les romans plus clairement pornographiques. Il faut s’interroger alors sur les stratégies d’écriture et sur le résultat recherché. L’énorme succès de la littérature et de la gravure pornographiques correspond à une production et à une circulation considérables, malgré des interdictions sans cesse contournées par la fraude et la contrebande. Curieusement, la relative tolérance à l’égard des ouvrages philosophiques et critiques, sensible dans la deuxième moitié du siècle, ne touche pas les livres obscènes : auteurs, graveurs, libraires, imprimeurs et

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colporteurs en font les frais avec lettres de cachet et embastillements. D’autant que dans la seconde moitié du siècle, le livre obscène se fait politique et participe à accélérer la désacralisation de la monarchie : Marie-Antoinette inspire particulièrement cette nouvelle imagination pornographique. Les frasques des grands sont vouées à la vindicte publique. La bohème littéraire, au bord de la misère, survit grâce à la production de la littérature érotique à caractère politique. C’est le cas de Mirabeau qui, interné à la Bastille, a besoin d’argent et publie “Ma conversion ou mémoire d’un libertin de qualité” : la liste des boudoirs correspond à la multiplication de ses assauts dans un style où la pornographie emprunte au vocabulaire de la prostitution, pour associer les positions et les anomalies morphologiques de ses compagnes. Car le roman pornographique utilise aussi le grotesque, le monstrueux, la laideur. Un vaste public est touché par cette production. À Paris, on en vendait dans les lieux les plus passants, le Pont Neuf, le Palais royal, dans les sous-sols de l’hôtel Soubise. On en propose sous le manteau au château de Versailles. Les vendeurs de livres interdits suivent la Cour dans ses déplacements. Jean-Marie Goulemot a tenté de définir les spécificités du livre pornographique, « ces livres que l’on ne lit que d’une main » selon l’expression de Rousseau.

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Elles résident dans une recherche d’efficacité du texte sur ces lecteurs, mode de fonctionnement exemplaire d’un dispositif de lecture radicale. Il s’agit pour l’auteur de roman pornographiques de savoir comment créer un effet d’excitation, qui consiste essentiellement à donner à voir par l’écriture : l’incitation de la lecture impose de succomber à sa séduction et à son emprise. Dans cette utopie du dispositif efficace, la primauté du regard frappe d’emblée. Lecteurs et spectateurs se comportent et se placent comme des voyeurs. La constitution d’un théâtre de la séduction où prime le tableau permet la mise en scène d’un espace saturé. L’œil perçoit, scrute et se trouble. Y dominent l’image fixe, le regard halluciné, fasciné, parfois naïf par le truchement d’un jeune narrateur ingénu. Dans le roman pornographique prévaut la vision du corps jouissant, aux appétits toujours renouvelés. La condition de la jouissance du lecteur réside dans cette vision dérobée du corps saisi par le désir. La gravure qui accompagne le roman redouble cette présence du regard par la figuration d’un témoin étranger tandis que les personnages sont toujours dans l’ignorance de celui qui les scrute. (suit page 12)


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(suit de la page 11) La gravure respecte l’esthétique du tableau, et l’extériorité limite singulièrement l’identification. Il est possible d’établir un parallélisme entre l’effet moral du tableau recherché dans le roman sentimental ou le drame bourgeois et l’efficacité de l’excitation provoquée par la littérature érotique. Il est admis que l’on provoque plus d’effet par l’imagination visuelle et qu’elle est facilité par l’extériorité du spectateur par rapport au tableau. Il en va de même dans la peinture et la critique des Salons de peinture de Diderot joue aussi sur cette extériorité du spectateur. Le sentimental, le moral et le sexuel ne sont pas en opposition, du moins dans ses procédés littéraires et dramatiques. La vertu peut d’ailleurs rendre égrillard et participer du dispositif sadien. À cette utopie du dispositif efficace s’oppose la digression bavarde, toujours présente, qui offre une pause au déchaînement des corps et participe à l’état de tension et de manque qui doit être provoqué chez le lecteur. Ce discours philosophique et moral tend à légitimer la jouissance et le plaisir, et à critiquer l’hypocrisie morale. Sont condamnés ainsi la lubricité des moines dans “Le portier du chartreux” ou les mensonges de la religion dans “Thérèse philosophe”, les deux

plus grands succès de la littérature pornographique de l’époque. Contrairement à la pornographie d’aujourd’hui qui se définit justement par son absence de discours, celle du XVIIIe siècle demeure discoureuse, pour imposer un rythme particulier à l’incitation érotique. Notre époque éprouve une véritable nostalgie pour le libertinage d’Ancien Régime ou plus exactement trie dans l’héritage pour construire un âge d’or d’un sexe libre et raffiné, un rien fanfaron. Cette nostalgie, déjà présente au XIXe siècle, ce dont témoigne l’ouvrage des Goncourt “L’amour au XVIIIe siècle”, a pris une faveur nouvelle avec la libération des mœurs dont nous sommes les contemporains. Il s’agit souvent de célébrer un âge d’or de l’érotisme avant sa démocratisation, ce qui est contestable sur le plan historique, nous l’avons vu. Cette nostalgie du libertinage, qui est aussi celle d’un certain aristocratisme, évite d’évoquer les contradictions du passé. Il importe donc de relever ce qui nous en approche et ce qui nous en éloigne. L’âpreté de la subversion et de la transgression a également perdu de son tranchant de nos jours où le risque d’embastillement a disparu. Le clavier des interdits, de la religion à la censure de la librairie, s’est délité, tout comme le souci de discourir ou de philosopher dans la pornographie des films classés X. Si le libertin des Lumières est voyeur, il aime l’om-

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rapport à l’image mobile, hyperréaliste, morne, qui interroge le vide de la jouissance du voyeur dans une indécence qui aurait fait horreur à Diderot. Manuel Jover

L’Empire des sens de Boucher à Greuze Photo melissagolden

jusqu’au 27 Mai 2021

bre : il est rarement narcissique, il n’étale pas sa vie privée, il ne s’exhibe pas, contrairement à nos contemporains. Du boudoir, lieu du repli et du retrait où l’on vient bouder la vie sociale, la publicité, dans un luxe désormais désuet, nous avons peut-être la nostalgie, quand nos espaces privés sont habités d’étranges lucarnes, de sonneries de téléphone, de connexions permanentes. De même, l’utopie de la production pornographique du XVIIIe siècle repose sur celle des pouvoirs de la littérature, « entrée en concurrence avec le monde, véritable et efficace trompe-l’œil » comme le dit Jean-Marie Goulemot. Elle incite à une lecture naïve, primitive et spontanée, et mobilise un imaginaire littéraire que nous aurions perdu, autre source de nostalgie. La primauté du regard pourrait être un trait commun d’hier et d’aujourd’hui. Si la littérature pornographique du XVIIIe siècle peut sembler proche des dispositifs modernes, les personnages qui se livrent aux ébats ne se savent jamais regardés. Or la provocation de la photographie ou du cinéma pornographiques contemporains réside dans un phénomène opposé : parfois l’acteur fixe le spectateur en un étrange défi, comme le remarque Giorgio Agamben, affichant sa conscience d’être regardé, sans illusion ni expressivité. L’esthétique du tableau, qui cadrait le fantasme et faisait appel à l’imaginaire, est dissoute dans un nouveau

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Ouvert du mardi au dimanche de 10h à 18h (fermeture de la caisse à 17h30). Nocturne le vendredi jusqu’à 20h pendant l’exposition temporaire (fermeture de la caisse à 19h30).

Afin de garantir votre visite, la réservation en ligne d’un billet horodaté (même gratuit) est fortement recommandée sur billetterie-parismusees. paris.fr, compte tenu du succès des expositions et des jauges d’accès aux musées. Ouverture de la billetterie en ligne à venir.

Musée Cognacq-Jay 8 rue Elzevir 75003 Paris www.museecognacqjay.paris.fr/

voir la vidéo https://youtu.be/ JsRix47Q1tg


ERNST AUGUST DE HANOVRE

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e prince Ernst August de Hanovre a annoncé avoir saisi la justice allemande pour récupérer trois domaines appartenants à sa famille, dont le célèbre château néo-gothique de Marienburg. Il accuse son fils de dilapider les biens précieux de sa dynastie. Rien ne va plus entre Ernst August de Hanovre et son fils, également nommé Ernst August de Hanovre. La justice allemande a en effet été saisie par le patriarche qui reproche à son fils de porter atteinte à ses droits en accaparant et en dilapidant les biens de la maison de Hanovre, une des plus anciennes familles aristocratiques d’Europe. Son fils avait notamment fait don d’un des trois châteaux réclamés par le père à l’administration de Basse-Saxe (Allemagne): celui de Marienburg, pour un euro symbolique en 2018. Ernst August de Hanovre a, suite à cette décision, qualifié son fils d’« ingrat». Le château au cœur de la discorde est un des plus célèbres d’Allemagne, avec près de 200 000 visiteurs par an. Ernst August père, qui a cédé trois châteaux à Ernst August fils, entre 2004 et 2007, ne s’est pas rendu compte du cadeau empoisonné qu’il faisait à son fils. Avec plus de 27 millions

d’euros de rénovations nécessaires, le château de Marienburg (construit entre 1858 et 1867) était le principal problème, d’où sa cession en 2018 au gouvernement de Basse-Saxe. Ce don symbolique de l’édifice néo-gothique digne d’un conte de fées n’est pas passé auprès d’Ernst August père qui poursuit désormais en justice son fils pour récupérer la propriété des châteaux et des biens qu’il lui a transmis. Il lui reproche également d’avoir dilapidé son héritage et d’avoir récupéré certains biens illégalement. Le lot de châteaux, les meubles et les œuvres qu’ils contiennent sont estimés à plus de 5 millions d’euros. Ernst August fils, quant à lui, réfute ces accusations, qu’il refuse de commenter pour « protéger son père ». Il estime que le contrat d’héritage anticipé qu’ils ont signé est parfaitement légal et que « Rien ne s’oppose à la préservation à long terme de Marienburg en tant que monument culturel central de la Basse-Saxe, ouvert à tous ». L’histoire de la maison de Hanovre est longue et prestigieuse. On estime que leur ascendance peut être retracée au moins jusqu’à 819, leur plus ancien ancêtre connu, Welf Ier, étant mentionné pour la première fois à cette date. Ils ont régné sur une partie de l’Allemagne jusqu’au XIXe siècle, mais également sur le Royaume-Uni entre 1714 et 1901.

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C’est en effet en 1901 que la reine Victoria décède et que la régence du Royaume-Uni passe à la maison Windsor, qui règne encore aujourd’hui. Au fil des années, et bien qu’ils aient perdu leurs titres royaux en 1866, la maison de Hanovre a accumulé énormément de richesses, sous forme de biens, de terres ou de propriétés à l’instar de ces trois châteaux. Bien avant d’être au coeur de cette querelle princière et judiciaire, l’édifice néo-gothique a appartenu au roi George V de Hanovre (1819-1878) et à son épouse, la reine Marie de Saxe-Altenbourg (18181907). Après l’annexion du royaume de Hanovre par la Prusse lors de la guerre austro-prussienne (1866), le château est laissé à l’abandon au départ de la reine, en 1867. Ce n’est qu’au lendemain de la Seconde Guerre mondiale que les Hanovre y reprennent leurs quartiers. Avant la vente symbolique de 2018, la famille s’était déjà séparé d’une partie des objets d’art conservés au château ayant généré 44 millions d’euros à l’occasion d’une vente aux enchères chez Sotheby’s, en 2005. Antoine Bourdon https://www.connaissancedesarts.com/monuments-patrimoine/chateaux/vendu-pour-un-euro-symbolique-le-chateau-de-marienburg-est-au-coeur-dune-querelle-princiere PALAZZI15VENEZIA

e prince Ernst August de Hanovre semble avoir des problèmes non seulement avec son fils mais aussi avec la justice autrichienne. En effet le Tribunal régional de Wels, en Haute-Autriche, a infligé ce mardi 23 mars 2021 au prince Ernst August de Hanovre, arrière-petit-fils du dernier empereur d’Allemagne Guillaume II, une peine de dix mois de prison avec sursis et une interdiction de résidence. Le troisième époux de la princesse Caroline de Monaco (dont il est séparé) et père des princes Ernst August junior, Christian et de la princesse Alexandra de Hanovre, comparaissait pour des violences et des menaces à l’encontre de policiers ainsi que de certains de ses employés qui se seraient déroulées pendant l’été 2020. Le magazine allemand «Spiegel» signale que le «tribunal a estimé qu’il était prouvé que l’homme de 67 ans, en état d’ébriété, avait agressé des policiers et menacé gravement un couple travaillant sur sa propriété». Outre cette condamnation qui n’entraîne pas son incarcération, le juge a indiqué à «Herr Hannover» (Monsieur Hanovre, les titres de noblesse étant interdit en Autriche depuis 1919) qu’il ne serait pas autorisé à vivre (suit page 16)


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(suit de la page 15) dans son ancien lieu de résidence (son pavillon de chasse à Grünau im Almtal en Haute-Autriche), pendant au moins trois ans. Le Spiegel relate que le prince Ernst August a qualifié cette directive d‘«impossible» et d’ «impensable», vivant dans cette demeure depuis 50 ans. Ernst August de Hanovre avait rejeté les accusations et plaidé non coupable Comme le rappelle le magazine allemand, le prince Ernst August, qui risquait jusqu’à trois ans de prison, s’est excusé au début de l’affaire pénale, déclarant: «J’assume la responsabilité, je regrette profondément ce qui s’est passé et je suis prêt à couvrir les dommages». Mais il a «rejeté les accusations du procureur et plaidé non coupable». Sa défense a par ailleurs expliqué qu’il se trouvait dans une situation exceptionnelle au moment des faits, suite à une opération pour un cancer et un conflit avec son fils, et s’était senti abandonné. «Spiegel» a précisé que ce jugement n’était pas définitif, la défense et le parquet n’ayant encore fait aucune déclaration. Ce qui nous démontre à souhait que l’on peut avoir du sang bleu dans les veines et révendiquer une descendance très prestigieuse sans pouvoir être à l’abri des tracas de la vie quotidienne. VEP

a Sicile est riche en beautés artistiques et paysagères. Chaque coin offre des détails, des facettes, des rues étroites, des vues incroyables, qui méritent absolument d’être vues, contemplées, et pourquoi pas aussi peintes et photographiées. Parmi ces beautés, il y en a une vraiment incroyable. Nous parlons de Centuripe, la ville aux mille formes. Centuripe, une petite ville située à environ 60 km d’Enna, a des origines assez anciennes et semble avoir été fondée par les Sicules. Le nom de Centuripe remonte probablement à la colonisation grecque de Kentoripa au 4e siècle avant J.C., mais l’aspect rocheux de ses lieux fait remonter le nom au latin Centum Rupes, qui signifie “cent rochers”. Sous la domination romaine, la ville de Centuripe a connu une période vraiment florissante sous l’aspect économique, mais aussi culturel et elle était un point stratégique sur la voie de communication entre la plaine de Catane et les montagnes de l’intérieur. Elle est connue dans le monde entier pour ses céramiques précieuses, mais pas seulement. En effet, Centuripe présente un plan d’urbanisme très particulier et, vue d’en haut, elle ressemble à une figure humaine (pour beaucoup, en effet, elle ressemble au corps d’un homme couché sur une colline verte, les mains et les bras ouverts) pour d’autres, au contraire, elle rappelle une étoile de mer. La ville de Centuripe est située dans une position élev-

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ée et défensive sur un imposant système montagneux, à environ 730 mètres au-dessus du niveau de la mer, à mi-chemin entre les villes de Catane et d’Enna. Du sommet, il est possible de profiter d’une vue à couper le souffle, dominée par l’Etna, les larges vallées (la vallée du Simeto, la vallée du Salso et la vallée du Dittaino) et la plaine de Catane jusqu’aux Monti Erei et Nebrodi. Grâce à sa position et à son belvédère, Garibaldi l’appelait “le balcon de la Sicile”. Son usine urbaine remonte au XVIe siècle et se caractérise par des rues étroites et pittoresques conçues pour une viabilité exclusivement animale. Il est subdivisé en secteurs transversaux avec des maisons mitoyennes à plusieurs étages, entrecoupés de rues étroites, souvent en escalier, qui descendent vers la vallée en raison de la pente accentuée des zones rocheuses sur lesquelles elles sont situées. Le plan de la zone habitée a la forme d’une étoile arrondie à cinq branches ou d’une hirondelle aux ailes déployées et suit parfaitement la tendance orographique du site. Centuripe offre des paysages uniques de l’arrière-pays sicilien, mais aussi d’importantes traces archéologiques, signe d’une longue histoire caractérisée par diverses dominations. Le long du cours de la rivière Simeto, par exemple, on trouve les vestiges d’un pont qui a séduit les voyageurs au XVIIIe siècle. Parmi les découvertes les plus suggestives et les plus remarquables qui subsistent à Centuripe, citons les thermes romains, les augustes du Ier et IIe siècle,

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deux tombes-tours monumentales, la douane, dont seul l’étage supérieur est visible, et le château de Corradino. En 1963, on a retrouvé une dalle calcaire en dialecte dorique, datant du deuxième siècle avant J.-C., qui rendait compte d’une ambassade centuripine, composée de trois hommes, qui s’était rendue à Lanuvio et à Rome pour renouveler les liens de la Syngheneia (fraternité). Il est explicitement rapporté dans l’inscription que le sénat lanuvien a accueilli le poste d’ambassadeur et a renouvelé ces liens. Une pierre calcaire, trouvée parmi les ruines antiques du quartier de Crocifisso à Centuripe, a été longtemps utilisée par une famille centuripine pour battre des olives à fourrer sur l’une de ses faces, qui était la face la plus lisse. Sur la face opposée était gravée une inscription grecque en dialecte dorique, qui a été remarquée par hasard par M. Mazzucco de Centuripe. Il se mit d’accord avec l’ingénieur Rizzotti de Catane pour le faire examiner par le talentueux épigraphiste et professeur d’université Giacomo Manganaro : ce fut un choix très heureux, qui détermina le salut de ce rare document épigraphique pour le monde de la culture. (suit page 18)


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(suit de la page 17) Le professeur Manganaro a interprété de façon savante l’épigraphe, dont il a essayé de combler les lacunes grâce à son talent peu commun d’épigraphiste érudit, apprécié à juste titre par les chercheurs italiens et étrangers. La pierre fragmentaire, qui mesure 0,41 m. de largeur, 0,30 m. de hauteur maximale et 0,10 m. d’épaisseur dans les parties les moins ruinées, faisait primitivement partie d’une stèle, qui devait atteindre près d’un mètre de hauteur. Il n’est pas improbable que dans la stèle, après le texte grec, ait également été gravé le texte latin correspondant. L’inscription de la Centuripe sicilienne a été gravée dans le dialecte dorique, car l’ancienne ville a été hellénisée entre le Ve siècle avant J.-C. et le milieu du siècle suivant, et a donc fait partie de la “Koinè” ou communauté dorique des villes siciliennes et siciliennes, qui utilisaient le dorique comme langue officielle. Ce dialecte grec a continué à être utilisé par les Centuripini pendant longtemps, même à l’époque de la domination romaine. Dans l’épigraphe de Centuripine, qui comprend dix-huit lignes plus ou moins conservées et des mots écrits en lettres de 1,4 cm. de haut dans les deux premières lignes et de moins d’un cm. dans

les autres lignes, nous lisons que trois nobles ambassadeurs centuripins, Filìarcos, fils de Filìarcos, Làmpon et Csòarcos, fils de Menìscos, vers la fin du mois de novembre se sont rendus à Rome et à Lanuvio, pour obtenir du Sénat de Lanuvio la reconnaissance officielle des liens de parenté, d’amitié et d’hospitalité, qui unissaient les Centuripins aux Lanuvins. Avec le dictateur Furio collaborait l’édile Gaio Attilio et un autre édile qui était le fils d’un certain Gaio. La convocation a eu lieu avant les kalendes de décembre : le Sénat de Lanuvio a reconnu la validité de la demande centuripine et a émis le décret de validation des liens de parenté lointains entre les deux peuples. L’extension du décret se fit en présence de Lucius, Marcius, fils de Quintus, et Lucius Cattius, fils de Marcus. L’événement a été transmis à la mémoire des descendants, comme le mentionne l’épigraphe, de sorte qu’il est facile de déduire que l’essentiel du décret du Sénat de Lanouva a ensuite été gravé sur deux stèles, qui ont certainement été placées dans des lieux publics importants ou dans la zone sacrée de quelque sanctuaire des deux villes. Il est certain que dans la stèle de Lanuvino, le texte latin précède le texte dorique, à condition toutefois que l’épigraphe primitif soit bilingue. Dans l’inscription, la “colonie de Centuripini” est nommée dans une ligne lacunaire, ce qui ne permet pas de préciser le sens de la phrase. À partir de certaines caractéristiques de l’épigraphe et

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d’autres considérations historiques, le professeur Manganaro a d’abord déduit que l’événement remonte à la période de 44 à 42 av. J.-C. ou aux années postérieures à 36 av. J.-C. ; ensuite, d’autres réflexions l’ont amené à dater l’épigraphe du deuxième siècle av.C.. Le professeur Manganaro a présenté le résultat de ses études dans la revue faisant autorité “Rendiconti della Accademia di Archeologia Lettere e Belle Arti” (Nouvelle série - Vol. XXXVIII, 1963, Naples MCMLXIV). En juillet 1971 j’ai communiqué l’intéressante étude de Manganaro dans la revue “Castelli Romani” (n. 7) et dans l’article “Un jumelage ancien” j’ai proposé “aux amis de Lanuvio d’étudier la possibilité de procéder au renouvellement du jumelage avec les descendants de la ville sicilienne” de Centuripe. Les découvertes conservées au musée archéologique régional de Centuripe sont particulièrement importantes.Par conséquent, se promener dans les rues étroites de Centuripe signifie faire un saut dans le temps et connaître son passé, l’admirer et l’apprécier de plusieurs points de vue, en restant fasciné par sa forme particulière. Roberta Barba / Francesco Dionisi https://www.balarm.it/news/ha-la-forma-di-una-stella-marina-o-un-uomo-disteso-il-paesino-del-dilemma-e-in-sicilia-122618 http://www.comune.lanuvio.rm.it/home/entrare/ la-citta/gemellaggi/centuripe/

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‘historienne de l’Art Roberta Barba, originaire de Nise (Caltanisetta) est aussi à l’origine de la restauration d’un édicule votif dédié à la Sainte Damille et situé à Caltanisetta, où elle demeure. Ces édicules votifs ont des origines lointaines et bien que certains soient tombés en désuetude, ils font l’objet d’un culte assidu. Depuis son enfance elle s’est intéressée à l’Art notamment à l’occasion d’une visite de Pompei à l’age de huit ans, elle a commencé à photographier jusqu’aux pierres. Ensuite l’Academie des Beaux Arts après le lycée, puis un Master en Histoire de l’Art. A l’occasion d’un examen en Décoration elle a présenté le projet de restauration d’un édicule votif allant jusqu’en reconstituer certains avec du materiel de récupération, ce travail c’est ensuite transformé en une véritable passion et la volonté d’en remettre en état un certain nombre. Il s’agit géneralement de petites constructions qui reproduisent la forme d’un temple classique destinée à accueillir une image religieuse, souvent ils ont le sens d’ex-voto, surtout dans le Sud de l’Italie ou la dévotion à leur égard est encore vivante. D’autres restaurations suivront à Caltanisetta ou dans les environs. V.E.P.


Photo Astrid Krogh

à où les mots ne peuvent atteindre, l’art parle. C’est ce qui s’est passé au Palazzo Strozzi, au centre de la ville de Florence, où l’artiste français de renommée internationale JR a changé le visage du bâtiment avec une installation monumentale présentée sur le mur d’accès au bâtiment. Le nom de l’œuvre d’art, “La Ferita” et le lieu où elle est exposée, représentent un message clair et une réflexion explicite sur l’accessibilité des lieux de culture limités par les restrictions en vigueur pour la lutte contre le Covid-19. En fait, ce sont les musées, les événements culturels et les grandes expositions qui souffrent le plus de cette période de fermeture forcée, car ils ne peuvent plus accueillir les visiteurs dans leurs espaces. L’entaille affichée sur le mur du bâtiment est un collage en noir et blanc.

J.R.

Vous pouvez apercevoir la colonnade de la cour et d’autres éléments qui ne sont pas vraiment présents à l’intérieur de la structure, comme le “Printemps” et la “Naissance de Vénus” de Botticelli. “La Ferita” fait partie de Palazzo Strozzi Future Art, une initiative qui encourage la créativité, la participation du public et le soutien des nouvelles générations en faveur d’une revitalisation du système interne. “Cette œuvre - dit JR - réveille beaucoup de choses en chacun de nous et ce qui m’intéresse, c’est que chacun va l’interpréter selon sa propre histoire, chacun aura une lecture différente. Une œuvre de ce type ne reste que quelques mois (jusqu’au 22 août), mais son image restera dans les esprits à l’avenir, et je pense que même lorsqu’elle aura disparu, les personnes qui l’auront vue iront voir ce qu’il y a derrière ce mur”. Haute de vingt-huit mètres et large de trente-trois mètres, l’installation monumentale de JR offre une sorte d’aperçu visuel de la façade du Palazzo Strozzi, ouvrant sur la vision d’un intérieur à la fois réel et imaginé. L’œuvre, réalisée avec un collage photographique typique du style de l’artiste, est construite comme une anamorphose, un jeu illusionniste dans lequel, lorsqu’on l’observe d’un point de vue précis, plusieurs pièces du Palazzo Strozzi s’ouvrent devant les yeux, comme à l’intérieur d’une plaie : la colonnade de la cour, une salle d’exposition imaginaire et une bibliothèque. En insérant des œuvres iconiques du patrimoine artistique florentin et en citant directement un lieu réel comme la bibliothèque de l’Istituto Nazionale di Studi sul Rinascimento, JR propose une réflexion directe et évocatrice sur l’accessibilité non seulement du Palazzo Strozzi mais de tous les lieux de culture à l’époq-

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Photo JR

ue du Covid-19. Le Palazzo Strozzi devient ainsi la scène spectaculaire d’une blessure symbolique mais douloureuse qui unit toutes les institutions culturelles d’Italie et d’ailleurs : musées, bibliothèques, cinémas et théâtres, contraints de limiter ou d’interdire l’accès de leurs espaces au public. JR utilise le collage photographique comme technique caractéristique de son style, qui a explosé dans la dimension de l’art public dans les villes du monde entier. Comme le dit l’artiste lui-même : “Je possède la plus grande galerie d’art imaginable : les murs du monde entier”. Ses recherches combinent originalité et appropriation, se distinguant toujours par une forte connotation publique et une participation qui l’a amené à créer des œuvres de grand impact visuel et de participation dans différents lieux et contextes, des favelas de Rio de Janeiro à la grande place de la pyramide du Louvre, d’Ellis Island à New York à la prison de haute sécurité de Tehachapi en Californie. L’initiative est promue et organisée par la Fondazione Palazzo Strozzi et Andy Bianchedi en mémoire de Hillary Merkus Recordati. Soutiens de la Fondazione Palazzo Strozzi : Ville de Florence, Région Toscane, Chambre de commerce de Florence, Fondazione CR Firenze, Comité des partenaires du Palazzo Strozzi, Intesa Sanpaolo. Sous le patronage de l’Institut français Firenze. Nous tenons à remercier la Galleria Continua pour sa collaboration au projet JR.

Mardi 6 Avril 2021 17 heures Mercredi 14 Avril 2021 à 18h00 Jeudi 22 Avril 2021 à 19.00 Vendredi 30 Avril 2021 à 17h00 L’inscription est obligatoire pour participer. Pendant la phase d’inscription, vous recevrez une indication pour une petite activité à réaliser avant la présentation.

Sigma CSC

Du lundi au vendredi 9.00-13.00 ; 14.00-18.00

Tél. +39 055 2645155 prenotazioni @palazzostrozzi.org

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e Palazzo Strozzi organise en avril une série de quatre événements, pour raconter l’évolution de son style, de ses premiers projets dans les rues de Paris à La Ferita, l’installation pour la façade du Palazzo Strozzi. Le très jeune JR peint ses premiers tags (c’est le nom utilisé par les artistes de rue pour indiquer leur signature) dans les tunnels de trains, les passages souterrains, les wagons de métro : chaque espace de la ville peut accueillir son art. En peu de temps, la photographie est également devenue une partie de son langage visuel, s’hybridant avec l’écriture. Cette évolution marque la naissance de l’Expo 2 Rue, des expositions illégales organisées dans les rues les plus fréquentées de Paris, Rome et New York, où de petites impressions en noir et blanc dialoguent avec ses écrits. Déjà les premières expositions revendiquent une dimension publique, l’art pour JR doit être accessible à tous, une approche qu’il maintiendra inchangée tout au long de sa production. L’art de JR est inspiré par les rencontres avec les gens, la mémoire des quartiers, l’architecture de la ville et les histoires des petites communautés. Pour JR, l’art est un outil de connexion et de découverte du monde.


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ELISABETH MAGIE

lizabeth Magie est une conceptrice américaine de jeux de société, née en 1866 à Macomb dans l’Illinois et morte en 1948 à Arlington en Virginie. Inspirée par l’économiste Henry George, elle invente en 1904 le jeu The Landlord’s Game (Le Jeu du propriétaire foncier), précurseur de Monopoly, pour dénoncer l’oppression des rentiers de l’immobilier sur les locataires. Elizabeth Magie naît au lendemain de la guerre de Sécession. Son père, James Magie, est éditeur de presse. Il possède des parts dans un journal, The Canton Register. Dans les années 1880, Elizabeth Magie exerce le métier de sténographe et secrétaire. Elle invente un dispositif afin de faire passer plus facilement le papier entre les rouleaux des machines à écrire. La jeune femme se consacre également à l’écriture de poèmes et de nouvelles,

et monte sur scène pour y interpréter des sketches. Magie fait partie du mouvement quaker et apprécie les idées de l’économiste Henry George, qui veut limiter le pouvoir des propriétaires fonciers avec un impôt unique. Elle a découvert son livre “Progrès et pauvreté” (Progress and Poverty) grâce à son père, James Magie. En 1903, elle dépose un brevet pour un jeu de société, “The Landlord’s Game” (Le Jeu du propriétaire foncier), avec lequel elle souhaite illustrer la « nature antisociale du monopole ».Il se diffuse sur les campus, dans le milieu des intellectuels de gauche et parmi les quakers, notamment à Atlantic City. Des amis de Charles Darrow lui font découvrir cette version. Il s’en inspire pour créer le Monopoly. Magie est également connue pour avoir fait paraître une fausse annonce de mariage, dans laquelle elle se vend au plus offrant. L’affaire suscite l’intérêt de la presse, qui publie des articles à son sujet. Propriétaire de sa maison et de plusieurs acres de terre, Magie éprouve néanmoins des difficultés à subvenir à ses besoins avec son faible salaire, et présente le mariage comme la seule issue offerte aux femmes. En 1906, elle est embauchée comme reporter dans un journal. En 1910, malgré ses doutes envers le mariage, elle épouse l’homme d’affaires Albert Phillips. Elizabeth Magie meurt sans enfants en 1948. Son rôle dans l’histoire du Monopoly est redécouvert au cours des années 1970 lorsque l’éditeur Parker Brothers intente un procès à Ralph Anspach, qui enseigne l’économie à l’université et commercialise un Anti-Monopoly. Pour assurer sa défense, Anspach effectue des recherches sur l’origine du jeu de société et apprend l’existence du brevet de Magie. Après plusieurs années de procédure, la plainte de la société Parker est rejetée par la Cour d’appel, puis par la Cour suprême.

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Photo fondazionealdorossi

ne rétrospective qui analyse l’extraordinaire contribution théorique et pratique d’un “architecte anormal”. Animé par une profonde culture et une extraordinaire sensibilité poétique. Un grand innovateur et un partisan convaincu de la responsabilité éthique et culturelle de l’architecture envers le monde. L’exposition présente des documents provenant d’archives et de collections du monde entier. Après l’exposition consacrée à Gio Ponti, le célèbre Aldo Rossi est le protagoniste d’une grande rétrospective au MAXXI qui analyse l’extraordinaire contribution théorique et pratique d’un “architecte anormal”, dans la reconstruction de Berlin comme dans le débat à Barcelone, mais situe ses études dans une plus large tradition de culture analytique nationale et en relation avec les thèmes les plus urgents de la vie urbaine contemporaine. Le MAXXI “Museo nazionale delle arti e siti del XXI secolo” célèbre aujourd’hui un autre grand maître italien de l’architecture mondiale avec l’exposition Aldo Rossi, dont les archives riches et hétérogènes constituent le noyau fondateur de la collection MAXXI Architettura dirigée par Margherita Guccione, avec celles de Del Debbio, Musmeci, Nervi et Scarpa. L’exposition Aldo Rossi. “L’architetto e le città” est organisée par Alberto Ferlenga avec la coordination de Carla Zhara Buda, réalisée en collaboration avec la Fondazione Aldo Rossi et grâce à la précieuse contribution de Fausto et Vera Rossi et de Chiara Spangaro,

Aldo Rossi L’architetto e le città galleria 2 a cura di Alberto Ferlenga

du 10 mars 2021 au 17 octobre 2021 MAXXI Via Guido Reni, 4a 00196 Roma RM Tél.: +39 06 320 1954

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conservatrice de la Fondazione. Les sponsors sont Molteni&C et UniFor. Les villes étaient le principal centre d’intérêt d’Aldo Rossi (1931 1997). Son livre de 1966 “L’architettura della città” reste un classique de la littérature architecturale. Les villes, qu’Aldo Rossi a vues déchirées par une terrible guerre et qu’il s’est efforcé de reconstruire, sont des organismes complexes, point de rencontre de tous les styles architecturaux et de toutes les époques artistiques. Et dans les villes du monde, en Europe, en Amérique et en Asie, il a exercé son activité d’archistar ante-litteram, culminant en 1990 avec le premier prix Pritzker attribué à un architecte italien. “Un travail énorme, ‘désespéré’, produit au fil des ans pour redonner à l’architecture une dignité scientifique et de nouveaux outils ; fait d’écrits, de dessins, de projets, de travaux, continuellement mesurés au rythme des villes. Et ce sont les villes qui sont les protagonistes de cette exposition sur Aldo Rossi, observées et mélangées par la sensibilité du poète et la profondeur de l’érudit, unies dans une figure qui a traversé la scène architecturale internationale d’une manière tout à fait unique”, dit Alberto Ferlenga. (suit page 24)


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(suit de la page 23) L’exposition Pour saisir l’ampleur du regard de Rossi, la complexité de sa pensée et de ses recherches et la variété de son travail, l’exposition est riche en matériel, avec plus de 800 pièces comprenant des documents, de la correspondance, des maquettes, des croquis, des dessins et des photographies provenant principalement des archives d’Aldo Rossi conservées dans la collection Architettura du MAXXI et de la Fondation Aldo Rossi, avec des prêts importants de l’IUAV de Venise - Project Archive, du Deutsches Architektur Museum de Francfort et du Bonnefantenmuseum de Maastricht. En plus des œuvres de Rossi, l’exposition contient les images photographiques de nombreux photographes importants qui se sont mesurés à l’œuvre de l’architecte, enrichissant le sens de chaque pièce d’architecture de leur regard personnel. Outre les célèbres clichés de Luigi Ghirri, l’exposition comprend ceux d’autres photographes connus tels que Gabriele Basilico, Giovanni Chiaramonte, Ugo Mulas, Mario Carrieri, Stefano Topuntoli, Antonio Martinelli, Marco Introini et d’autres. L’exposition est organisée en deux grandes sections, l’une décrivant les projets en Italie, l’au-

tre ceux dans le monde, et trois focus : le premier retrace ses années de formation à Milan, les autres sont consacrés à deux des projets les plus emblématiques de Rossi : le cimetière San Cataldo à Modène et le Teatro del Mondo à Venise. L’exposition commence par un premier focus, au centre de la Galerie 2, sur les premières années de Rossi dans le Milan d’après-guerre, encore meurtri par les bombardements et immortalisé par les photographies d’Enrico Peressutti. Ici, dans la rédaction de “Casabella” dirigée par Ernesto Nathan Rogers ou à la “Casa della Cultura” dirigée par Rossana Rossanda, mûrissent à la fois la nécessité éthique du jeune Aldo Rossi de contribuer à une culture architecturale adaptée à la tâche de reconstruction et le langage poétique qui l’accompagnera tout au long de sa vie. Cette section comprend également la grande maquette de la cathédrale de Milan que Rossi conservait dans son atelier. Aux deux extrémités opposées de la galerie, l’accent est mis sur le cimetière de Modène et le théâtre du monde. Rossi a conçu le cimetière de Modène, conçu en 1971 avec Gianni Braghieri et encore inachevé aujourd’hui, comme une ville des morts composée d’allées rectilignes à portique avec deux figures architecturales archétypales à leurs extrémités : un cube rouge et un cône. Cette ville des morts, pourtant si essentielle et

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métaphysique, est d’une grande force et suggestion, comme dans la célèbre photographie de Luigi Ghirri où le cube rouge, sanctuaire des morts de la guerre, se détache sur un manteau blanc de neige, présentée dans l’exposition avec d’autres photos que Ghirri a prises au cimetière pour la revue Lotus International et le reportage aérien de Stefano Topuntoli, qui met en évidence le dialogue avec le territoire. Derrière ce centre d’intérêt, il y a la vidéogalerie avec la projection du film “Ornement et crime” réalisé par Rossi avec Gianni Braghieri et Franco Raggi à l’occasion de la 15e Triennale de Milan et des interviews, des interventions lors de conférences, des documentaires. Amarré dans l’un des endroits les plus visibles du monde, le Théâtre du monde (évocateur, joyeux, éphémère) est à l’origine de la renommée internationale de Rossi. Construit pour la première Biennale d’architecture, dirigée par Paolo Portoghesi en 1980, le petit théâtre flottant était situé en face de Punta della Dogana. À la fin de la Biennale, il a navigué jusqu’à Dubrovnik avant de revenir à Venise et d’être démantelé. Sa construction et son épopée sont racontées par des dessins et des maquettes et documentées par les photographies d’Antonio Martinelli. Derrière ce centre, la célèbre bibliothèque “Piroscafo”, conçue il y a trente ans (1991) pour Molteni&C avec l’ami de toujours Luca Meda, abrite des textes d’Aldo Rossi et sur Aldo Rossi ainsi que les “Qua-

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derni azzurri”, une sorte de journal contenant des réflexions, des notes, des souvenirs et des dessins dont sont tirées les citations qui accompagnent toute l’exposition. L’exposition est complétée par les fauteuils Parigi (1989) produits par UniFor. Sur toute la longueur de la Galerie 2, dans une colonne centrale aussi déchiquetée et encombrée que le tissu de la ville, se succèdent 40 maquettes qui constituent l’axe sur lequel s’appuient les deux sections principales de l’exposition, celles consacrées à des projets en Italie et dans le monde, fragments d’un récit de villes, poétique et réaliste à la fois, où les couleurs et les profils distinctifs des bâtiments redonnent une âme même à des contextes anonymes. Les modèles dialoguent avec des œuvres graphiques, des photographies, des dessins artistiques de différents formats et réalisés à l’encre de Chine, à la cire, au pastel ou à l’aquarelle, tout comme les compositions et les fantaisies architecturales, dans lesquelles des objets réels et des éléments architecturaux hors d’échelle sont comparés sur un pied d’égalité, donnant vie à des scénarios urbains fantastiques. Dessins et photographies sont disposés sur les murs et sur 40 tables produites pour l’occasion par le groupe Molteni. (suit page 26)


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(suit de la page 25) Toujours sur les murs, une série de vitrines explore divers aspects de l’œuvre et de la pensée de Rossi, comme son enseignement à l’IUAV, son rapport avec la Biennale de Venise et la Triennale de Milan, avec la ville de Berlin et l’Amérique, sa rencontre avec le Japon, sa passion pour le cinéma, sa production éditoriale et ses livres à succès comme “L’architettura della città”, traduit dans le monde entier, ou son “Autobiografia scientifica”, une sorte de journal intime dans lequel la création de projets et ses études ne font qu’un avec son histoire personnelle. Dans la section consacrée aux projets en Italie, nous trouvons le grand dessin de 2x2 m de la célèbre “Città Analoga”, une réflexion mémorable sur une ville imaginaire, suspendue entre mémoire et désir, représentée par un collage de parties urbaines, d’architecture historique et de projets de Rossi lui-même. “Città Analoga” est également accompagnée d’une application expérimentale développée par Dario Rodighiero, qui permet d’identifier chaque élément qui compose l’image, en fournissant des informations et des références pour une étude plus approfondie. Et puis il y a les projets achevés, dont ceux de deux des plus importants théâtres italiens, le Carlo Felice de Gênes et

la Fenice de Venise, ceux de la Piazza di Fontivegge de Pérouse et du “Gallaratese” de Milan, un long bâtiment urbain qui rappelle la typique maison à balcon lombarde, à l’intérieur d’un plus grand complexe conçu par son ami fraternel Carlo Aymonino, deux tentatives pour redonner un rôle urbain à la banlieue. Parmi les projets internationaux, introduits par le grand panneau avec le relief de Zurich, réalisé pendant ses années d’enseignement à l’ETH, on trouve le nouveau Bonnefantenmuseum de Maastricht qui, situé au bord de la Meuse, est le plus important musée réalisé par Rossi, auteur de nombreux projets muséaux et d’autant d’installations ; le complexe coloré de la Schützenstrasse à Berlin, réponse de Rossi à la reconstruction grise de la capitale allemande ; le siège de Disney à Orlando, fragment urbain coloré où les formes historiques de la ville italienne se mêlent à la verticalité de la ville américaine. À l’occasion de l’exposition, l’inventaire des archives d’Aldo Rossi dans les collections du MAXXI Architettura sera publié. L’Inventaire, outil d’étude pour les chercheurs et le public du musée, ordonne et décrit le fonds riche et hétérogène comprenant 1909 œuvres graphiques, 1 895 photographies, 11 maquettes, 30 dossiers de documents, de correspondance et d’écrits documentant l’activité professionnelle, artistique, éducative, scientifique et culturelle du maître. Les documents des archives d’Aldo Rossi peuvent être consultés sur rendez-vous dans la salle d’étude

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du centre d’archives du MAXXI Architettura et également dans la base de données en ligne sur le site du musée. Electa publiera également le volume “Aldo Rossi. I miei progetti raccontati”, édité par Alberto Ferlenga, qui rassemble tous les rapports écrits par Aldo Rossi pour présenter ses projets, un véritable parcours parallèle de réflexion le long duquel les œuvres prennent vie grâce au récit et les mots ont la même charge communicative et émotionnelle que les dessins. L’exposition sera accompagnée d’un riche programme de rencontres, de débats et de projections de films pour faire connaître au public la figure extraordinaire d’Aldo Rossi, architecte, intellectuel, érudit et grand maître du design. Le premier événement as eu lieu le vendredi 12 mars à 18 heures avec la conférence, diffusée en direct du musée, “Aldo Rossi e l’autonomia del disegno” (Aldo Rossi et l’autonomie du dessin) : une rencontre avec Maristella Casciato, conservatrice principale des collections d’architecture au Getty Research Institute de Los Angeles, et Chiara Spangaro, conservatrice de la Fondazione Aldo Rossi, animée par Margherita Guccione, directrice du MAXXI Architettura, pour examiner le rapport très particulier d’Aldo Rossi avec le dessin d’architecture. https://www.area-arch.it/ voir la vidéo https://youtu.be/YRP3WZozjxE https://www.maxxi.art/en/events/

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près avoir obtenu le diplôme d’architecte de l’École polytechnique de Milan en 1959, Aldo Rossi devient l’un des rédacteurs de la revue milanaise Casabella-Continuità de 1961 à 1964. Il enseigne dans plusieurs écoles d’architecture . Rossi était non seulement architecte, mais également auteur, artiste, professeur et théoricien. Bien que Rossi souligne l’autonomie de l’architecture dans une culture donnée, il met également en avant l’importance d’une évolution du rationalisme. Dans ce livre “L’Architettura della città”, Rossi analyse la ville en tant qu’architecture — précise-t-il dans l’introduction — mais elle n’est pas selon lui un simple conglomérat d’édifices, elle est la résultante d’une longue histoire sans cesse reconstruite. Pareille prémisse, simple en apparence, rompt radicalement avec bon nombre de constructions urbaines du xxe siècle dont le point de départ est la ville idéale planifiable. Aux côtés d’architectes tels que Carlo Aymonino et Paolo Portoghesi, Aldo Rossi participe à partir des années 1960 à l’éclosion d’une école d’architecture italienne : La Tendenza. Il obtient le Prix Pritzker en 1990. Il est décédé dans un accident de voiture en 1997.


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HEIDI WEBER

eidi Weber découvre des tableaux de Le Corbusier au Kunsthaus Zürich et en est profondément impressionnée. Sa voisine, une graphiste et designer, lui a dit qu’elle possédait un collage de Le Corbusier. Elle est fascinée par l’œuvre de peintre de Le Corbusier, encore inconnue à cette époque. Elle va proposer sa Fiat 500 en échange dui collage. Elle va rencontrer Le Corbusier le 16 août 1958 à Cap Martin. Après elle va se rendre à Paris le 2 septembre 1958. Le Corbusier l’invite dans son atelier privé. Heidi Weber est très impressionnée par le nombre d’œuvres présentes, par la profusion de documents, d’objets et de sculptures, qui occupent tout l’atelier et qui témoignent de l’intense activité de l’artiste. Heidi Weber découvre les dessins de meubles de Le Corbusier.

Jusqu’alors, ses prototypes n’avaient jamais trouvé d’acquéreur, Le Corbusier ayant abandonné cette activité en 1929 lorsque ses appels à l’industrie manufacturière pour produire ses meubles en série sont tombés dans l’oreille d’un sourd. Le Corbusier et Heidi Weber décident alors de lancer la production de ses quatre chaises et la vente de ses œuvres d’art. De retour à Zurich, Heidi Weber se met immédiatement à la recherche d’un local pour la production des meubles ; par chance, elle trouve un endroit approprié dans la Spiegelgasse, tout près de son propre atelier. Ces locaux ont servi d’usine pour les modèles de quatre sièges et de fauteuils et la production a commencé à la fin du mois d’octobre 1958. 1ère Exposition de Meubles et Esquisses de Le Corbusier, décembre 1958 - janvier 1959. Déjà en décembre, deux mois plus tard, Heidi Weber a pu inviter Le Corbusier à la 1ère Exposition “Meubles et Esquisses Le Corbusier”. Le Corbusier est impressionné par l’enthousiasme de Heidi Weber pour ses meubles et par son dynamisme. En juin 1957, un an avant que Heidi Weber ne rencontre Le Corbusier, elle avait ouvert son propre magasin, le Studio “mezzanin”. Son studio d’aménagement intérieur présentait des meubles modernes, par exemple les œuvres de Charles Eames et de Georges Nelson, dont les œuvres étaient modernes et factuelles, mais pas à tout prix. Elle voulait vraiment créer un centre de design d’intérieur moderne. Deuxième exposition “Peintures, Tapisseries, Dessins, Lithographies, Mobilier”. Heidi Weber a présenté la nature holistique de l’artiste Le Corbusier. Elle a reçu un accueil toujours positif de la part des clients et de la presse.

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Le Corbusier a signé le premier contrat pour les droits de production avec Heidi Weber le 1er décembre 1959, il lui accorde les droits pour l’Europe et les États-Unis pendant trois ans. La relation de Heidi Weber avec Le Corbusier se développe autour de son art et elle sent constamment qu’il y a plus à faire et que de nouveaux domaines requièrent son attention. En 1960, elle conçoit l’idée d’un musée conçu par Le Corbusier, qui pourrait contenir toute la collection de ses œuvres plastiques, de ses tapisseries, de ses meubles assis et de ses livres. Ce nouveau défi n’est pas seulement motivé par des raisons artistiques mais par l’idée vertueuse de promouvoir les œuvres de Le Corbusier à leur meilleur au sein d’un chef-d’œuvre de l’architecture de Le Corbusier ! Jusqu’alors, personne n’avait jamais proposé à Le Corbusier un concept aussi stimulant. En route pour l’Inde le 11 avril 1960, Le Corbusier rencontre Heidi Weber à Zurich pour faire le point sur les travaux en cours. Excitée par sa nouvelle idée et consciente que son temps avec lui est limité, elle lui propose de quitter l’aéroport pour aller se promener au bord du lac. Lorsqu’ils arrivent au parc de Zurichhorn, l’un des endroits les plus prestigieux et les plus beaux de la ville, Le Corbusier, quelque peu surpris, tente de déceler la motivation de sa compagne : “Pourquoi allons-nous nous promener ?”

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Heidi Weber lui répond en souriant : “Monsieur, les femmes ont toujours quelque chose derrière la tête. Je voudrais construire à cet endroit un musée conçu par vous !” Le Corbusier est très surpris : “Ne me dites pas que vous aurez le droit de construire dans ce beau parc !”. Puis, après réflexion, il poursuivit sur un ton grave : “Vous savez que je ne ferai rien pour les Suisses ; les Suisses n’ont jamais été gentils avec moi (...)”. Profondément consciente que Le Corbusier avait été très déçu par la Suisse dans le passé, lorsque tous les contrats et projets n’avaient abouti à rien, Heidi Weber répondit avec éloquence : “Personnellement, je n’investirais même pas 100 CHF dans la Suisse - je voulais déjà émigrer à l’âge tendre de quatorze ans ! Mais je sais une chose : avec votre aide, nous pouvons construire quelque chose de non suisse en Suisse, quelque chose qui résistera au passage du temps et qui dépassera les frontières...” Le Corbusier : “Oui, vous avez raison, nous allons leur montrer, aux Suisses.” En mai 1960, Le Corbusier commence à travailler sur le nouveau projet lorsqu’il est de retour à Paris et il informe Heidi Weber de son accord (de principe) pour construire la “Maison d’Homme” (suit page 30)


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(suit de la page 29) (nom que Le Corbusier donne au projet). Une seule condition sine qua non : l’architecte zurichois, son ami Willy Boesiger, se chargera de l’exécution (construction, supervision, contrats, etc.) de son projet. Heidi Weber accepte sans restriction. Le 23 juin 1960, le conseil municipal de Zurich confirme la cession de la propriété. Heidi Weber en informe Le Corbusier par une lettre datée de deux jours plus tard. Plus déterminée que jamais, Heidi Weber investit tout ce qu’elle a dans la réalisation de ce projet imposant et ambitieux. Pour financer cette aventure, elle a vendu tous ses biens, y compris sa propriété, et a loué un petit appartement (1 pièce et demie) pour son fils et elle-même. Au cours des mois suivants, Le Corbusier commence à travailler sur les plans d’une construction en métal et en verre. Puis il revient brusquement à son projet initial en béton, car, comme il le disait “On ne sait jamais dans quelle entreprise on se lance avec le métal.” Enfin, grâce aux encouragements de Heidi Weber et à sa persévérance, Le Corbusier revient alors définitivement à l’idée d’une construction en métal et en verre ; il est soutenu par un expert, l’ingénieur M. Fruitet, qui assume d’importantes

responsabilités techniques. Il va sans dire que les différents plans et changements ont provoqué quelques difficultés bureaucratiques et que de nouvelles concessions ont dû être demandées à plusieurs reprises aux autorités compétentes. Le Corbusier rédige un contrat, qui sera modifié le 26 novembre 1962. Ce contrat confère à Heidi Weber (à titre personnel et pour une période de trente ans) le droit exclusif d’acheter ses œuvres directement auprès de lui ainsi qu’auprès de la Fondation Le Corbusier, alors en cours de création, et le droit de vendre ses peintures, dessins, sculptures, émaux, gouaches et collages dans le monde entier. Le permis de construire modifié pour les étages supérieurs en acier et en verre a été accordé par le département des bâtiments II le 18 septembre 1964. La production s’est déroulée sans heurts et les ventes ont été extrêmement fructueuses - les commandes affluaient de New York, de Hong Kong et d’autres régions du monde - à tel point que Heidi Weber a dû prendre une décision importante. Son petit atelier fonctionnait à pleine capacité et elle ne serait pas vraiment en mesure de répondre à l’augmentation constante de la demande mondiale. À ce stade, elle a dû choisir si elle voulait rester dans le secteur du meuble ou si elle préférait externaliser sa production et la sous-traiter à une société de production de meubles bien établie. Cassina S.p.A., une entreprise familiale de la ville de Meda, près de Milan, était l’un des nombreux preneu-

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rs de licence potentiels. Dirigée par Franco Cassina, cette société s’était concentrée sur un secteur limité du marché du meuble. Elle était spécialisée dans la production d’intérieurs en bois pour les navires et les hôtels. Pour sortir de ce marché fermé, elle avait besoin d’une nouvelle gamme de meubles et d’une marque grand public. Heidi Weber a convaincu leurs directeurs qu’en fabriquant des meubles de Le Corbusier, ils feraient un geste stratégique important pour capter l’attention d’un groupe de consommateurs entièrement nouveau. Après de longues négociations, Heidi Weber signe un contrat de sous-licence avec Cassina S.p.A. le 23 octobre 1964, qui leur accorde les droits de production et de distribution pour l’Italie. Le contrat de sous-licence avec Cassina est étendu à l’Europe et, un an plus tard, Heidi Weber étend à nouveau cette sous-licence à l’Europe et aux États-Unis. ... “Dans son studio parisien, rue de Sèvres, je ne savais pas que nous nous rencontrions pour la dernière fois, mais lorsque nous nous sommes serrés la main à la fin de ce qui devait être notre ultime réunion, je me suis senti renforcé par une force inexplicable et implacable, qui m’a rempli de confiance en l’avenir. Je ne savais pas qu’avant de partir, il me transmettait ses derniers mots, qui sont restés gravés dans ma mémoire. Des mots que je peux encore entendre aujourd’hui. Avec des yeux souriants et amicaux, il m’a dit : “... maintenant tu peux aller de l’avant...”

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“... maintenant vous avez le feu vert ...” Le 27 août 1965, Le Corbusier meurt d’une crise cardiaque alors qu’il se baigne dans la mer Méditerranée au Cap Martin à Roquebrune. Heidi Weber est désormais seule, confrontée à la difficile tâche de réaliser son dernier projet architectural et de mettre méticuleusement en œuvre ses plans originaux. Face aux réticences et aux doutes de Willy Boesiger (du vivant même de Le Corbusier, le directeur du chantier avait tenté d’imposer des changements) Heidi Weber, qui était toujours restée respectueuse des plans, refuse toute modification. Blessé et peut-être pas assez progressiste, Boesiger se libère de ses engagements et de ses responsabilités - “Je ne vais pas me laisser commander par une femme” Face à cette grave situation, Heidi Weber signe le 4 avril 1966 un accord avec l’architecte A. Tavès, l’un des derniers assistants de Le Corbusier qui avait participé à la réalisation des plans, et le charge de terminer la construction du musée. A. Tavès et son collaborateur R. Rebutato reprennent immédiatement la direction des travaux jusqu’en mai 1967. Leur contrat est résilié deux mois et demi avant l’inauguration du bâtiment car leur aménagement intérieur du musée (suit page 32)


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(suit de la page 31) s’écarte des plans originaux de Le Corbusier. Ainsi, Heidi Weber se retrouve une fois de plus dans la même situation que celle qu’elle avait connue avec Willy Boesiger auparavant. Cette fois-ci, elle décide de poursuivre et de gérer seule les travaux, comme elle l’avait déjà fait auparavant pour les différents chantiers qu’elle avait entrepris en tant qu’architecte d’intérieur. L’inauguration du Centre Le Corbusier a lieu le 15 juillet 1967 et commence par une réception de la presse internationale. Puis, le 16 juillet 1967, des passionnés de Le Corbusier venus du monde entier y assistent. Au cours de sa première année, 45 000 visiteurs se sont rendus au Centre Le Corbusier. Grâce à diverses expositions et activités, Heidi Weber éveille l’intérêt pour l’œuvre artistique de Le Corbusier. En soulignant l’universalité de Le Corbusier, elle fait comprendre que ses activités vont bien audelà de la simple planification architecturale. Ses utopies urbaines et son approche socialement critique font l’objet de discussions et les questions environnementales sont abordées. Les événements, les présentations, les publications, les films et les panels de discussion de Heidi Weber ont pour but d’encourager la prise de

conscience des questions culturelles et de l’homme. Le côté sombre : Heidi Weber se trouve devant une montagne de dettes de 635’000 francs suisses (valeur actuelle environ 2’650’000 francs suisses) en raison d’un dépassement massif du budget de construction, car aucun compromis sur la construction n’a pu être convenu après la mort de Le Corbusier. Un effondrement financier menace : le prélèvement d’un agent d’exécution frappe à la porte tous les deux jours avec de nouvelles sommations de paiement. Quatre procès de construction pèsent sur les épaules de Heidi Weber. D’autres batailles doivent être maîtrisées. Aucun des amis fortunés de Le Corbusier n’est prêt à se tenir à ses côtés. Dans les documents historiques, il est mentionné que le soutien de Heidi Weber aux idéologies socialistes pendant le mouvement de protestation de 1968 était une épine dans la chair des autorités politiques. Elle avait par exemple mis le musée à la disposition du groupe du “Manifeste de Zurich”, du 4 au 9 septembre 1968, en tant que plate-forme de discussions libres, un événement désigné dans les annales comme la “course de six jours au Centre Le Corbusier”. Le manifeste de Zurich a été rédigé par Max Frisch, Gottfried Honegger et dix-neuf autres personnalités issues des milieux politiques, culturels et scientifiques. Ils sympathisent avec la jeunesse zurichoise qui, à l’époque, se bat pour obtenir un centre de jeunesse autonome, ce qui conduit aux troubles politiques con-

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nus sous le nom de “Globuskrawall”. Puis, de sa propre initiative, Heidi Weber a lancé un “Forum pour les questions environnementales” progressiste dans le bâtiment. En tant que femme proactive ayant des ambitions politiques, elle était très en avance sur l’esprit du temps, ce qui la rendait inacceptable pour l’establishment politique, elle est considérée comme une agitatrice politique et enregistrée dans le contexte du scandale des dossiers secrets de 1989 Pour sauver le musée financièrement menacé et éviter la faillite, Heidi Weber est contrainte de vendre une partie de sa collection sous le titre “Cinquante œuvres de Le Corbusier” chez Sotheby’s, à Londres, en 1969. La vente connaît un succès surprenant.. Pour sauver le Centre Le Corbusier, un comité de patronage est constitué. Le comité lance un appel public pour obtenir une subvention municipale. Le “Comité de patronage Centre Le Corbusier” composé du conseiller national Max Arnold, de Max Frisch, de Gottfried Honegger, du professeur Lucius Burckhardt et de plusieurs architectes dépose une pétition de 400 signatures à la mairie. Concrètement, le comité demandait une subvention annuelle de 280’000 CHF. L’objectif est de cofinancer d’autres activités au Centre Le Corbusier, où le Forum des projets environnementaux pour le public, nouvellement créé, a été mis en place. Heidi Weber n’était plus en mesure d’assumer seule

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les coûts des expositions temporaires, les frais généraux de fonctionnement et l’entretien du musée, puisque les coûts annuels du musée s’élèvent à 350’000 francs suisses. La levée de boucliers du comité de patronage en 1970 n’a pas permis d’influencer le conseil municipal. Max Frisch suggère même aux médias de faire figurer le bâtiment, démontable, dans la colonne “à vendre” du New York Times. En 1971, peu après l’octroi du droit de vote aux femmes, Heidi Weber s’est présentée aux élections municipales et a été victime d’une fraude électorale. Elle a rendu les incohérences publiques dans un procès et les élections ont dû être recommencées. Son sens de la justice lui vaut d’autres ennemis. Entre 1977 et 1979, Heidi Weber a mis gratuitement son musée à la disposition de l’Institut Gottlieb Duttweiler, un organe de recherche du groupe Migros, afin que le bâtiment soit ouvert à un public intéressé. La coopération Migros a financé les frais d’entretien et les activités par une généreuse contribution. L’institut crée un “Forum pour les questions communales”, appelé “CoCo”, qui signifie “Corbusier Community Workshop”. (suit page 34)


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(suit de la page 33) Parallèlement, Heidi Weber continue d’exposer d’autres œuvres artistiques de Le Corbusier à l’étage inférieur du bâtiment, spécialement conçu à cet effet. Le contrat de deux ans avec l’Institut Gottlieb Duttweiler n’est pas renouvelé car le forum a causé des dommages importants au bâtiment et à ses installations, et n’a pas respecté les conditions contractuelles. Par la suite, l’édifice est resté fermé pendant plusieurs années (1979 1984). Des heures d’ouverture régulières étaient impossibles, Heidi Weber n’étant pas en mesure de financer l’intégralité des coûts de sa poche. Le musée et l’exposition permanente pouvaient toutefois être visités sur demande par les personnes intéressées. La construction en acier devait être rénovée régulièrement, une entreprise coûteuse car il n’existait pas de procédure standard pour ce concept innovant. Lors de sa construction dans les années 1960, il avait fallu faire appel à des compétences techniques et parfois avoir le courage d’essayer quelque chose d’entièrement nouveau. Le coût de l’entretien et de la rénovation, l’hypothèque et les frais généraux de fonctionnement ont continué, même si le musée n’était pas ouvert au public.

La charge financière : Un budget annuel préparé par des professionnels pour le Centre Le Corbusier présentait la situation comme suit : Fonctionnement du musée toute l’année avec trois expositions temporaires environ CHF 1,5 mio. Recettes moyennes estimées des droits d’entrée CHF 250’000. Dans les années 1970, l’exploitation d’un musée n’était pas sensiblement moins chère, alors comment Heidi Weber a-t-elle réussi à financer le musée pendant 50 ans ? Cela n’a été possible que grâce à un énorme effort financier, basé sur des ventes stratégiques d’œuvres d’art et, surtout, grâce à une politique très restreinte en matière d’heures d’ouverture. Le 28 mars 1985, la Fondation Heidi Weber renouvelle sa demande du 27 novembre 1984 et sollicite à nouveau un minimum de CHF 100’000 pour faciliter l’allongement des heures d’ouverture. A l’occasion du centenaire de Le Corbusier en 1987, Heidi Weber a prévu trois grandes expositions à réaliser dans les années 1985, 1986 et 1987. Le coût total était estimé à 650 000 CHF. En raison de pressions financières et de l’approche rapide de l’échéance, Heidi Weber a demandé d’urgence à la ville une déclaration définitive à ce sujet le 25 mai 1985. Les concepts des expositions sont prêts, mais la durée des heures d’ouverture du musée dépend du montant de la subvention municipale. Le 28 mai 1985, Heidi

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Weber a contacté par téléphone le Dr. Hoby qui l’a ensuite informée que la ville n’avait pas de fonds disponibles pour des crédits supplémentaires. Heidi Weber décida de se retirer des négociations infructueuses et réalisa le cycle d’exposition sans aucune contribution de la ville. Une exposition de sculptures était prévue pour 1985 la plus grande en dehors de la France, suivie en 1986 d’une analyse artistique de l’œuvre littéraire de Le Corbusier. Enfin, en 1987, une exposition complète célébrant le centenaire de Le Corbusier devait offrir des aperçus et des impressions sur l’ensemble de l’œuvre artistique de Le Corbusier en tant qu’homo universalis. Conclusion : Au final, la ville n’a pas versé un seul franc suisse pour la célébration du centenaire de Le Corbusier. En septembre 1988, Heidi Weber a publié “Le Corbusier - L’artiste” avec des œuvres de sa collection. Heidi Weber a reçu la médaille d’or pour ce livre lors de l’exposition internationale de livres d’art de Leipzig, décernée par un jury international en 1989. En l’été 1990 exposition “Le Corbusier - Tapisseries “Muralnomades” Tourné vers l’avenir, Le Corbusier proclamait que ses tapis muraux en laine peuvent être démontés, roulés sous le bras et emportés dans le logement suivant où ils peuvent être accrochés à nouveau comme une peinture murale. Il appelait ses tapisseries “murales nomades”, car

“Il n’existe pas de sculpteurs seulement, de peintres seulement, d’architectes seulement. L’événement plastique s’accomplit dans une forme globale en devoir de poésie. “ (Le Corbusier) Ces mots ont été écrits par Le Corbusier en 1962 lorsque Heidi Weber l’a interrogé sur sa spécialisation.

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l’homme est un nomade. En 2007 all’occasion du quarantième anniversaire du Musée Heidi Weber - Centre Le Corbusier le célèbre musée national Reina Sofia de Madrid a consacré une exposition rétrospective de 1 000 mètres carrés intitulée “Le Corbusier - Museo y Coleccion Heidi Weber”, en hommage au dévouement de Heidi Weber à la cause de Le Corbusier. En 2008 Heidi Weber a célébré l’anniversaire de sa première rencontre avec Le Corbusier en 1958 avec une exposition intitulée “50 ans ambassadeur pour Le Corbusier”. Cette exposition présentait ses nombreuses activités pionnières ainsi que des œuvres d’art exceptionnelles provenant de sa collection privée. Un livre a été publié parallèlement à l’exposition, qui a été recompensé par le Prix 2008 de la Fondation Heidi Weber pour Dr. Naïma & Jean Pierre Jornod par Heidi Weber. Pendant plus de huit ans, les auteurs Dr. Naïma et Jean-Pierre Jornod ont fait des recherches et se sont documentés pour son catalogue de près de 1200 pages sur l’œuvre peint de Le Corbusier. Le 19 mai 2009, Heidi Weber a reçu une première lettre du conseil municipal reconnaissant ses efforts depuis plus de quarante-deux ans. (suit page 36)


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(suit de la page 35) Le maire nouvellement élu de la ville, Corinne Mauch, a applaudi l’”initiatrice et propriétaire du bâtiment” pour ses réalisations. “Je suis consciente que vous n’avez pas toujours reçu l’estime que vous et vos efforts incessants auraient mérité. Je considère donc qu’il est important d’entamer un dialogue avec vous.” Au cours de l’été, Corinne Mauch a rendu une visite surprise à Heidi Weber à la Höschgasse et lui a remis un bouquet. Elle a été la première titulaire d’une fonction publique suisse à rendre une visite inaugurale au musée. Le 29 septembre 2009, la maire Corinne Mauch a écrit qu’elle apprécierait beaucoup de poursuivre la conversation. “Je souhaite tout particulièrement rendre hommage à vos efforts désintéressés qui vont au-delà de l’achèvement et de l’entretien pendant dix ans du musée Heidi Weber.” Il est très important pour la maire de Zurich, Corine Mauch, de préparer et d’exécuter avec soin la réversion du bâtiment Le Corbusier initié et construit par Heidi Weber à partir du 13 mai 2014, afin de garantir que l’œuvre d’Heidi Weber et de Le Corbusier sera préservée à long terme pour le public. Elle fera donc tout son possible pour convaincre

les autorités politiques compétentes de créer une fondation de droit public qui exploitera le Centre Le Corbusier / Musée Heidi Weber et l’ouvrira régulièrement au public. La ville doit transférer le bâtiment d’exposition à la fondation sous une forme appropriée, faire don du capital social et verser des contributions d’exploitation et une contribution à la rénovation. Le calendrier prévu pour ce processus a été communiqué à Mme Heidi Weber dans le courriel du 10 mars 2014 et confirmé par Bernard Weber le 11 mars 2014. Le président de la ville est également disposé, sous réserve des décisions pertinentes des organes compétents, à assumer la présidence de la fondation de droit public et à permettre au directeur de la culture d’y siéger également. Deux sièges sont réservés à la Fondation Heidi Weber, et un cinquième siège est attribué à une personne nommée par la ville de Zurich et indépendante de l’administration. Les statuts de la fondation seront basés sur les propositions telles que convenues par les deux parties. La ville de Zurich assumera la responsabilité du Centre Le Corbusier / Musée Heidi Weber à partir du moment de sa réversion et jusqu’à sa consécration à la fondation de droit public. Heidi Weber, qui en tant qu’initiatrice, fondatrice et bâtisseuse du Centre Le Corbusier a rendu un grand service à la préservation et à la communication de son œuvre, se déclare prête à accompagner le processus

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de réversion de manière constructive et, avec son fils Bernhard Weber et le président de la Fondation Heidi Weber, le Prof. Dr. Felix Richner, à faire tout ce qui est en son pouvoir pour que la réversion se déroule sans heurts et à l’amiable en mai 2014. Elle s’engage à rendre le musée accessible aux représentants des autorités qui en sont chargées pour les clarifications nécessaires dans le cadre de la réversion, ainsi qu’à accompagner avec bienveillance l’exploitation future du Centre Le Corbusier et à en remettre la responsabilité à la Ville de Zurich. En outre, Heidi Weber se déclare prête à conclure un contrat de prêt avec la ville de Zurich pour l’ameublement du bâtiment et les œuvres de Le Corbusier jusqu’à la création de la fondation de droit public. Comme base de ce contrat, Heidi Weber fournira à la ville de Zurich un inventaire complet et une description de l’état des différents objets. Mme Weber évoque également la possibilité de conclure un contrat de prêt permanent avec la fondation de droit public, une fois celle-ci créée. Les deux parties, la Ville de Zurich et Mme Heidi Weber, s’engagent à informer le public sur l’avenir du Centre Le Corbusier / Musée Heidi Weber tel que décrit ci-dessus avant la réversion. Zürich 24. 03.2014 Après 50 ans. Le Musée Heidi Weber - Centre Le Corbusier est devenu la propriété de la ville de Zurich. Traduit de l’anglais www.heidiweber-centrelecorbusier.com/en/

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e début d’une grande aventure. Il y a 58 ans, presque jour pour jour, Heidi Weber a échangé sa Fiat Topolino contre un collage de Le Corbusier. Après une longue odyssée de recherche, le fils de Heidi Weber, Bernard, a réservé une grande surprise à sa mère : Une Fiat Topolino de 1957, rappelant le début de grandes actions en tant que protagoniste de Le Corbusier. Heidi Weber est évidemment entrée dans l’histoire. Elle a planifié avec Le Corbusier un magnifique bâtiment dont la réputation dans le monde de l’architecture et sur la scène artistique a largement dépassé les frontières du pays. Sans oublier la fabrication et la production de la collection de meubles de Le Corbusier, mondialement célèbre, qui se poursuit encore aujourd’hui. Plus de 50 ans après, Heidi Weber transmet avec beaucoup d’engagement, d’enthousiasme et une immense fascination le travail de Le Corbusier, son œuvre, ses pensées et son esprit.


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“Dans les paysages de Marion Tivital, ce qui est manifeste nous séduit en nous apportant des vues silencieuses, un temps suspendu et un traitement poétique de la lumière, quelque fois une étrangeté surprenante... Mais c’est par ce qui affleure à la surface et qui émane de ses tableaux, sublime la scène apparente et capte l’invisible, en nous révélant quelque chose sur la présence mystérieuse du monde, que ses oeuvres prennent tout leur sens.” Myriam et Philippe Bentley es compositions de Marion Tivital sont pour le moins énigmatiques. Des intrigues en soi, pourrait-on dire. Les paysages quelque peu taciturnes n’indiquent pas vraiment s’ils sont inspirés de lieux réels ou s’ils sont le fruit de l’imagination. Les structures industrielles, les édifices compacts et

MARION TIVITAL du 3 Avril 2021 au 6 JUIN 2021

Galerie ARTENOSTRUM Le Parol allée des Promenades Dieulefit 26220 Tél.:+33 (0)4 75 46 83 30 http://www.mariontivital.com http://www.artenostrum.net

parallélépipédiques, les habitations sommaires, paraissent désertés, voués à eux-mêmes. On n’y perçoit, d’ailleurs, ni fenêtre, ni ouverture, comme s’ils avaient décidé de soustraire aux yeux du monde la réalité de leurs entrailles. Des intrigues visuelles, en effet, car les atmosphères silencieuses sollicitent un sentiment de stase ou d’engourdissement, une sorte de ralentissement du regard propice à la contemplation, mais aussi à la spéculation. Si le temps paraît figé, indéfini, car saisi de forces qui se contractent à mesure qu’elles se dilatent, aussi ce temps enclenche-t-il une conscience de l’inexplicable ; ces bâtisses qui miroitent des étendues nordiques ne semblent pas être à leur place. Ces ciels, chargés de nuages sourds, noircis par des nuits imminentes, possèdent parfois le caractère de ce qui est irréel, peut-être même quelque chose de fantomatique, comme un ordre invisible qui habillerait le monde de sa présence diaphane. Des interrogations, sans doute, mais surtout une impression globale. Celle qu’induit le fait de se mesurer à des univers irrésolus où le bon sens et la logique sont susceptibles de faire défaut. Celle également qui consiste à fusionner un langage éminemment tangible à des réalités immatérielles. Or, on dit de l’inquiétante étrangeté qu’elle se manifeste lorsqu’un sujet se heurte à des situations qu’il croit reconnaître, sans parvenir, pour autant, à les qualifier. À l’échelle de la peinture de Marion Tivital, si l’on peut parler d’inquiétante étrangeté, vraisemblablement estce à travers le basculement subreptice qui s’accomplit entre, d’un côté, des physionomies pleines, coutumières, peut-être même rassurantes – à l’image de ces formes géométriques qui s’empilent comme des jeux d’enfants, ou de ces architectures qui s’érigent

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Photo marionvivital

façon à dire que le réel ne se livre pas toujours d’un seul tenant. Julien Verhaeghe

en abris désinvoltes face à la nature – et, de l’autre, un abrègement des aspérités du réel, de ses détails, de manière à ce que nulle identification ne puisse avoir lieu. Un sentiment de quiétude s’associe donc à celui d’égarement. Peut-être est-il soutenu, autrement, par la prépondérance des volumes et des découpages géométriques. De telles figures, en effet, en plus d’être favorables, dans les peintures de Marion Tivital, à des ombrages indolents, sont aussi porteuses de mystère et de rêveries de toutes sortes, ne serait-ce qu’en raison de leur potentiel symbolique, philosophique ou mathématique. Aussi, l’absolu recul de la figure humaine, dans la majorité des compositions, résonne-t-il avec la série des portraits silencieux ; les visages, sereins et dormants, réitèrent la part d’étrangeté entrevue dans les structures inhabitées. Les songes qu’on leur prête s’agrègent inévitablement aux réalités dissimulées derrière les cloisons des édifices. On comprend alors que la prétendue inertie que suggèrent les architectures et les paysages alanguis par les nuits hivernales, masque en réalité un surcroît de sens, un vitalisme, une effervescence, car celui qui a les yeux clos n’est pas forcément celui qui se fige. Au contraire, il est peut-être le plus voyageur d’entre tous, en renvoyant à des mondes intérieurs foisonnants et volubiles, ouvrant d’innombrables possibles, de

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Les friches industrielles et les usines désaffectées sont, pour Marion Tivital, de mystérieuses présences immobiles et muettes. Oubliant leur fonction première, vidées de toute présence humaine, elles semblent se réintégrer dans le paysage et elles acquièrent ainsi une fascinante intemporalité. « L’énergie et la force sereine qui les habitent, la plastique de leurs structures presque abstraites, donnent envie d’écouter leur langue ténébreuse » dit l’artiste. Cette langue parle d’absence et de mélancolie, mais aussi d’harmonie et de sérénité retrouvées. Et c’est le silence même de ces lieux de mémoire, puissamment chargés d’humanité, qui devient sujet plastique et objet d’infinies rêveries. Pierre Souchaud «C’est un grand terrain de nulle part…» Comme Bashung, la peintre Marion Tivital, parcourt, mais des yeux, ces no man’s land contemporains, ces sites industriels qui, vus sous un certain angle et à une certaine distance, ressemblent à des legos. L’artiste parvient à y faire se rencontrer préoccupations plastiques et formelles et sensations ambivalentes vis-à-vis de ces paysages à la fois inhumains et sidérants. Jean-Emmanuel Denave


Photo wikipedia

NAWAL EL SAADAWI

’écrivain et psychiatre égyptienne Nawal El Saadawi, l’une des plus importantes figures intellectuelles de l’émancipation des femmes dans le monde arabe, une plume féministe “rebelle” de renommée internationale, est décédée le 21 Mars 2021 à l’âge de 89 ans des suites d’une maladie. L’annonce de sa mort a été faite par le journal “al-Masry al-Youm” pour lequel elle écrivait. Le ministère de la culture lui a également rendu hommage, rappelant son “intérêt pour les questions sociales” et ses livres “dont les opinions ont donné naissance à un mouvement intellectuel.” Née le 27 octobre 1931 dans le village de Kafr Tahala, Nawal El Saadawi est diplômée en médecine au Caire en 1955. Son premier livre, “Women and Sex”, lui a valu d’être expulsée du ministère de la santé et per-

sécutée par les autorités religieuses en 1972. Depuis lors, l’écriture et l’engagement civil sont devenus inséparables pour elle et ont donné lieu à certains des livres les plus choquants écrits sur l’oppression des femmes arabes, tels que “Firdaus”. Storia di una donna egiziana” (Giunti, 1986) et “Dio muore sulle rive del Nilo” (Eurostudio, 1989). Elle a été en première ligne dans la lutte contre la pratique des mutilations génitales féminines, qu’elle a elle-même subies dans son enfance. Ses livres sur des sujets tabous, tels que la sexualité féminine et la dénonciation de la société patriarcale, ont été interdits en Égypte et dans d’autres pays arabes. L’autobiographie de la féministe la plus célèbre du monde islamique s’intitule “A Daughter of Isis” (Nutrients, 2002). Parmi ses livres “L’amour au temps du pétrole” (Editrice Il Sirente, 2009), un roman de 2001 dans lequel l’écrivain égyptien questionne le rôle des femmes dans un ordre répressif et patriarcal. L’ouvrage, comme la plupart des livres d’El Saadawi, a été censuré par la plus haute institution religieuse d’Égypte, l’université d’al-Azhar, qui a ordonné son retrait de toutes les librairies égyptiennes quelques mois après sa publication. Arrêté au début de 1981, l’écrivain n’a été libéré qu’après l’assassinat de Sadate. En 1993, elle a été contrainte de s’exiler pendant trois ans aux États-Unis (où elle enseignait à l’université) parce que son nom figurait sur la “liste des morts” d’un groupe islamique fondamentaliste. La dernière persécution remonte à 2001, lorsque seule une grande mobilisation internationale l’a sauvée d’un procès pour apostasie et du divorce forcé exigé, contre sa volonté et celle de son mari, par un avocat fondamentaliste.

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Photo wikipedia

Née le 27 octobre 1931 à Kafr Tahla, un village du delta du Nil, Nawal El-Saadawi a étudié la médecine à l’université du Caire et à l’université de Columbia, à New York. L’excision qu’elle subit à l’âge de 6 ans, ainsi que son expérience de femme psychiatre dans sa campagne natale, qu’elle a relatée dans « Mémoires d’une femme médecin » en 1958 (Memoirs of a Woman Doctor, City Lights Books, 1988, non traduit) en 1958, ont forgé ses convictions. Son premier essai La Femme et le Sexe (L’Harmattan, 1969) a ouvert le débat sur la pratique des mutilations génitales – qui concerne encore plus de 90 % des Egyptiennes. Pour Nawal El-Saadawi, c’est le début d’une abondante production littéraire – plus de cinquante livres, traduits dans une trentaine de langues, et des contributions régulières dans les médias –, dans laquelle elle dénonce le patriarcat et l’extrémisme religieux, la polygamie et le port du voile islamique, les violences faites aux femmes et l’inégalité des droits de succession entre hommes et femmes en islam. Mère de deux enfants, une fille et un garçon, elle a elle-même « divorcé de ses trois maris ». Considérée comme controversée et dangereuse par le président Anouar El-Sadate, elle est emprisonnée deux mois à la prison de Qanatir en 1981, où elle écrit « sur un rouleau de papier toilette et avec un crayon à sourcils » ses Mémoires de la prison des femmes (Le Serpent à plumes, 2002).

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A sa sortie, en 1982, elle fonde l’Association de solidarité des femmes arabes, puis cofondera l’Association arabe des droits de l’homme. En 2005, elle a décidé de se présenter aux élections présidentielles en Égypte, avant de renoncer en raison du non-respect des règles régissant la présentation de candidatures par de nouveaux candidats. El Saadawi a été fondatrice et présidentente de l’Association de solidarité des femmes arabes et cofondateur de l’Association arabe pour les droits de l’homme. Elle a reçu des doctorats honorifiques des universités de York, Illinois, Chicago, St Andrews, Tromso et Mexico. Elle a reçu de nombreux prix et distinctions, dont le Premio Internacional Catalunya, le prix NordSud du Conseil de l’Europe, le prix “Femmes de l’année”, le prix Sean MacBride pour la paix et l’Ordre national du mérite de la République française. En 2004, elle a reçu le prix Nord-Sud du Conseil de l’Europe. Ses premiers écrits comprennent une sélection de nouvelles intitulée “J’ai appris à aimer” (1957) et l’autobiographique “Mémoires d’un médecin” (1958). Son œuvre a été traduite dans plus de 20 langues. https://www.repubblica. it/cultura/2021/03/21/ news/egitto


Photo agnestroublé

agnes b.

ette semaine, nous retournons (je veux dire, nous avançons) sur la scène de l’art contemporain, plus précisément à La Fab, Fondation agnès b. - un musée, une galerie, une librairie. Le musée est fermé, bien sûr, mais la galerie est ouverte, du moins pour le moment. Depuis la dernière fois que j’ai écrit, les choses sont devenues encore plus sombres dans la ville des lumières. Le couvre-feu est toujours fixé à 18 heures, mais les magasins de 10 000 mètres carrés et plus sont désormais fermés - la dernière fois, lorsque le Bon Marché a fermé à mi-exposition, il s’agissait de magasins de 20 000 mètres carrés ou plus. Ce n’est pas, mes amis, un pas dans la bonne direction. Et les vaccins sont introuvables. Donc, comme je l’ai dit, au moins pour le moment,

les galeries sont ouvertes.Vous connaissez agnès b. n’est pas ? La e e cummings des créateurs de vêtements ? Je fais du shopping dans ses boutiques depuis très longtemps. C’était ma boutique préférée lorsque ma fille avait quelque chose à fêter, comme son admission au couvent du Sacré-Cœur et, quelques années plus tard, son admission à l’université de Berkeley. J’ai marqué les occasions avec un cadeau parfait et pas trop cher d’agnès b. Et j’apprécie qu’au lieu d’allumettes ou de menthes à la caisse, il y ait des préservatifs. J’en prends toujours un, on ne sait jamais. Agnès b a fait parler d’elle récemment. Depuis que le mouvement #MeToo est passé du harcèlement sexuel sur le lieu de travail (enfin, sauf pour Andrew Cuomo) à l’inceste à la maison (le pseudo-documentaire sur Woody Allen tombait à point nommé), des hommes et des femmes ont commencé à partager leurs histoires d’inceste. Agnēs a traité la sienne il y a quelque temps, avec un film qu’elle a écrit en 2003 et produit une décennie plus tard. Elle a dit que c’était “comme un exorcisme (qui) a été projeté au Festival du film de Venise... ” Dans une interview accordée au Monde en 2017, elle l’explique ainsi : “ (À 11 ans) j’avais des seins, de longs cheveux blonds ; (j’étais) une nymphette “ Et un bel homme de 45 ans (un oncle) s’est attaqué à elle. Sa mère était flattée que cet homme s’intéresse à sa fille, et donc elle n’a pas vu / n’a pas voulu voir ce qui se passait. Il est intéressant de voir comment les mères et les femmes plus âgées sont complices des traumatismes sexuels des filles, de Roman Polanski à l’excision. Agnès B. (née Troublé - beau nom, n’est-ce pas ?) est

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Photo parisinsider

née dans une famille catholique bourgeoise en 1941. Troisième de trois filles, après la naissance de son jeune frère (quatre enfants en cinq ans), ses parents n’ont plus jamais partagé le même lit. Je suppose que c’est le meilleur moyen d’éviter les grossesses non désirées pour les personnes qui n’aiment pas répandre des graines. Elle a parlé avec tendresse de son père, le qualifiant d’âme sœur. Sa mère, pas tant que ça. Par exemple, elle insistait pour que ses enfants la vouvoient, ce qui était apparemment la chose à faire dans les familles conservatrices, surtout catholiques, jusque dans les années 1960. La famille vivait à Versailles, à 200 mètres du château. Le parc était le jardin d’Agnès, où elle faisait du vélo quand elle était contrariée, où elle recherchait la sérénité. Pour se protéger de nouvelles avances non désirées, Agnès se fiance à 16 ans et se marie à 17 ans. Enceinte à 18 ans, mère de jumeaux à 19 ans, elle divorce de son mari à 20 ans. Sa famille bourgeoise ne l’a pas reprise, bien sûr qu’elle ne l’a pas reprise, car il aurait été très embarrassant pour sa mère d’avoir une jeune beauté dépouillée dans les parages. Avec seulement une petite allocation de son ex-mari, elle a dû trouver un moyen de gagner sa vie et elle l’a fait. Un soir, pendant cette période où elle jongle avec les bébés et les biberons, Agnès se présente à un dîner en portant des trouvailles du marché aux puces : des bot-

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tes de cow-boy, une jupe courte ou peut-être étaitce un jupon qu’elle avait coupé court et une veste de surplus militaire. Elle attire l’attention d’un autre invité, qui se trouve être rédacteur en chef du magazine Elle. Il a proposé à Agnès un essai, qu’elle a réussi, ce qui lui a permis de trouver un emploi. Au bout d’un moment, Agnès ne voulait plus écrire sur la mode, elle voulait la faire. Elle a commencé à travailler en free-lance pour des créateurs. Lorsqu’une photo d’une pièce qu’elle avait conçue était sur le point de paraître dans “Elle”, on l’a appelée pour lui demander comment elle voulait être créditée. Elle a répondu Agnès B, se disant que puisque son mari utilisait le nom complet, elle devait choisir l’initiale. Et elle est allée encore plus loin lorsqu’elle a enregistré le nom, en optant pour la minuscule : agnès b. Quelques années plus tard, frustrée par les limites imposées par la création pour autrui, le nouveau compagnon d’Agnès (de 11 ans son cadet, avec qui elle aura deux filles), apparemment aussi éthéré qu’entreprenant, lui propose d’ouvrir une boutique. Nous sommes en 1976. Ils trouvent une boucherie déserte près des Halles (un no man’s land à l’époque), rue du Jour, à l’ombre de la cathédrale St-Eustache. (suit page 44)


Photo parisinsider

(suit de la page 43) La boutique était caverneuse, les oiseaux entraient et sortaient et construisaient leurs nids en hauteur avec les fils qu’ils récupéraient dans les vêtements. L’écrivain de mode Penelope Rowlands a dit que la boutique lui rappelait Biba, le magasin de Londres pour lequel une autre photographe dont j’ai parlé, Sarah Moon, a créé des images intéressantes. Agnès a toujours détesté la publicité, mais quand je pense au travail de Sarah Moon, si elle et Agnès s’étaient un jour rencontrées les photos auraient été étonnantes. Bien que l’espace soit immense, il n’est jamais encombré. agnès n’a pas rempli sa boutique comme le font H & M et Target. Elle l’a laissée pratiquement vide, comme le fait Armani. J’ai suivi un cours de marketing à la Wharton School. Le professeur expliquait que le nombre de vêtements dans la vitrine d’un magasin est fonction du prix. lus les vêtements sont bon marché, plus il y a de vêtements entassés dans la vitrine. Plus les vêtements sont chers, moins il y en a dans la vitrine. Les vêtements d’Agnès n’étaient peutêtre pas des Armani Privé chers, mais la façon dont elle les présentait laissait penser qu’ils l’étaient. Et pourtant, la première collection d’Agnès était un riff sur les vêtements d’ou-

vriers - ce que les peintres portaient, ce que les plâtriers portaient, ce que les serveurs portaient - des salopettes, des pantalons larges, des vestes courtes. Mais pas en blanc. Dans la boucherie blanche devenue boutique, les vêtements étaient teints en rose, rouge et bleu pâle. Selon Laura Jacobs, la boutique d’Agnès était subtilement politique, elle faisait des vêtements de travailleurs pour tout le monde. C’était “la mode avec un accent démocratique”. J.J. Buck, l’ancien rédacteur en chef du Vogue français, qualifie les créations d’Agnès de “radicales et socialistes, il ne s’agit jamais de se montrer. Il s’agit simplement d’avoir des vêtements corrects qui vous mettent en valeur.” Agnès elle-même a déclaré : “Je n’ai aucune envie d’habiller une élite... Les vêtements ne sont pas tout. Quand ils deviennent trop importants, quand ils cachent la personne qui les porte, alors je ne les aime pas..... Je n’aime pas la mode. J’aime les gens et les vêtements.... Et j’ai toujours voulu faire des vêtements durables, ... que l’on peut garder pendant vingt ans. Je recherche le confort, l’harmonie, les choses qui s’associent facilement et permettent de composer une myriade de tenues.” Emilia Petrarca a récemment écrit sur le cardigan à boutons-pression d’agnès b. qu’elle a conçu en 1979 et qui est toujours d’actualité. Petrarca le qualifie de “combinaison uniquement française d’aisance bohème et d’austérité bourgeoise,

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Photo parisinsider/kazy

une veste Chanel rencontre un sweat à capuche Champion rencontre une grenouillère pour bébé”. Agnès explique comment elle en est venue à concevoir le cardigan : “J’avais de longs cheveux bouclés, alors je me suis dit que ce serait bien de ne pas avoir à enlever [mon sweat-shirt] par-dessus ma tête”, alors elle a coupé le devant au milieu et l’a retiré. Et elle a commencé à dessiner, lui donnant des manches spacieuses, “pour pouvoir lever les bras et embrasser quelqu’un.” Les boutons-pression ont été inspirés par les statues de rois et de reines du XVIIIe siècle qu’elle connaissait grâce à ses promenades à vélo dans les jardins de Versailles. Agnès achète des tissus français dès qu’elle le peut. Les cardigans sont donc “faits d’un coton molletonné robuste provenant de Troyes, en France”. Selon Petrarca, ils “ont tendance à s’améliorer avec l’âge, comme un bon vin lavable en machine”. Cela ne vous donne-t-il pas envie d’enfiler votre cardigan à boutons-pression MAINTENANT ? En 1984, elle ouvre la Galerie du Jour, à côté de la boutique, rue du Jour, pour présenter les œuvres d’artistes qu’elle admire et vendre des livres publiés par Christian Bourgois, son premier mari, à l’origine du “ b “. dans son nom. Agnès dit qu’il n’a pas été facile de créer une galerie d’art en France, car les Français n’aiment pas que les gens fassent des choses différentes, cela va à l’encontre de leur mentalité “restez dans votre voie”.

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Mais elle a fait preuve de persévérance et s’est spécialisée dans deux catégories - la photographie et le graffiti - évitant ainsi tout soupçon d’élitisme. “J’ai toujours aimé le graffiti”, a déclaré Agnès. “À New York, à la fin des années 1970, au début des années 1980, je me suis passionnée pour ceux qui envahissaient la ville et le métro. Dès l’ouverture de la galerie en 84, j’ai essayé de montrer ce que représentait pour moi le street art, les œuvres qui étaient collées sur les grands panneaux publicitaires du métro. J’aime montrer dans la galerie ce qui se passe “dehors”, (dans les rues) en mettant en évidence ce qui me semble important.” Dès le début, tout ce qui se trouvait dans la galerie était à vendre. L’idée était, et est toujours, de présenter des œuvres contemporaines et historiques, des créations originales, des multiples et des éditions, en particulier des pièces de jeunes designers contemporains. Dispersés dans la galerie et également à vendre, des meubles vintage qu’Agnès a récupérés ici et là. Agnès a conçu sa galerie comme un moyen de soutenir les jeunes créateurs, de présenter différentes formes d’art et d’attirer de nouveaux publics. Elle suit son instinct et achète ce qui lui plaît. Elle est devenue un mentor pour les jeunes photographes, les conseillant, (suit page 46)


Photo parisinsider

(suit de la page 45) les achetant, les exposant. L’esthétique brocante d’Agnès, exposée lors de ce dîner il y a tant d’années, est toujours bien vivante dans sa Galerie du Jour. La Galerie du Jour a gardé son nom mais a déménagé de la rue du Jour à la rue de Quimcampoix dans le Marais en 1998. Une décennie plus tard, Agnès et son équipe se mettent à la recherche d’un autre site pour sa galerie. Elle voulait trouver un endroit qui ne soit ni trop grand ni trop arrogant, où elle pourrait partager sa collection sans l’imposer. Ils ont concentré leurs recherches dans la partie nord de la ville. Ils voulaient quelque chose d’avant-gardiste, près de St. Denis. Mais tous les bâtiments qu’ils ont vus nécessitaient trop de rénovations. Lorsqu’ils ont appris l’existence d’un bâtiment dans le 13e, tout juste dans la rue de la Bibliotheque Nationale, ils ont décidé qu’ils pouvaient le faire fonctionner. Les tours jumelles de Jean Nouvel, situées à quelques rues de là, devraient être terminées d’ici la fin de l’année. Leur profil supérieur bizarre me rappelle les bâtiments jumeaux de Frank Gehry à Prague, mais sous stéroïdes, surnommés “Fred et Ginger”. Les bâtiments de Nouvel sont énormes en comparaison. L’un des murs sera recouvert de végétation,

comme son Musée Quai Branley, ce qui ajoutera de la chaleur, voire du charme, à son échelle monumentale. La Fab occupe aujourd’hui les deux derniers étages d’un immeuble à usage mixte qui comprend 75 logements sociaux et une crèche. L’adresse est Place Jean-Michel Basquiat, ce qui est normal puisque Agnès connaissait Basquiat à l’époque, il y avait même une relation entre eux. Les architectes qui ont conçu le bâtiment ont dessiné l’intérieur de La Fab. Comme le fait remarquer agnès, “Prendre possession d’un lieu prend du temps, c’est animal, il faut y entrer, planter sa tente, se l’approprier.” L’exposition que j’ai vue dans la galerie portait sur le travail de sept photographes américains. Pour ceux qui sont à Paris, l’exposition se tient jusqu’au 3 avril. L’un des sept était Kenneth Anger. Agnès b se souvient de la première fois qu’elle l’a rencontré. “C’était en 1960, lorsque Christian Bourgois, mon mari à l’époque, a publié Hollywood Babylone (d’Anger) et que j’ai eu la chance de le rencontrer au Café de Flore, tout de cuir noir vêtu... pantalon et veste de motard légendaires, cheveux noirs... Comme Christian, il m’appelait ‘agneau’” (comme sa mère l’avait appelée avant lui, agneau en français se dit agneau, pas si loin d’Agnès). Elle a organisé une exposition de son travail en 1997 et une autre en 2012 qui s’est concentrée sur les œuvres majeures de l’artiste, Hollywood Babylon et le cycle de films Magick Lantern.

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Sont maintenant exposés des photogrammes agrandis d’Anaïs Nin en Astarté, de Claude Revenant en Arlequin, de Marianne Faithful en Lilith et de Sampson de Trier en Seigneur Shiva. Un autre artiste dont les œuvres sont exposées est Jonas Mekas qu’agnès a exposé pour la première fois en 1999. Il s’agit d’images rares et personnelles de Jacqueline Kennedy et de ses enfants en vacances à Montauk avec leur tante Lee Radziwill et ses enfants, leurs cousins, à qui Jonas a appris à manier la caméra. Une lettre manuscrite de Jacqueline Kennedy à Jonas Mekas le remerciant est exposée avec les photogrammes. Les images elles-mêmes sont légères et pourtant on se rappelle que de toutes, seule Carolyn survit. Des photographies d’Agnès et de Mekas ensemble au fil des ans, sont une célébration de leur longue amitié. Dash Snow est également présent. . Les images de Snow parlent de lui-même et de sa génération, celle de l’après-11 septembre. Membre de la riche famille Menil, collectionneur d’art, il est mort d’une overdose en 2009 à l’âge de 27 ans. La nécrologie du New York Times l’a qualifié de “Baudelaire du centre-ville”. Le Guardian l’a décrit comme un jeune artiste nerveux comparable à Jean-Michel Basquiat. Tous deux sont issus de la sous-culture du graffiti et sont morts au même âge, de la même chose. Enfin, il y a le travail de la photographe Olivia Bee. Bien qu’agnès n’ait pas écrit les lignes suivantes sur Oli-

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via Bee, ses commentaires montrent à quel point son esthétique et sa philosophie de conception et de collection sont proches. “Dans ma collection, il y a beaucoup de photographies de jeunes gens, j’aime les gens au moment où ils se font, où ils deviennent eux-mêmes. Il y a quelque chose de respectueux lorsque le photographe prend en photo quelqu’un qui n’est pas exactement dans le cadre.“ Pour agnès, c’est une différence essentielle entre la photographie en tant qu’art et la photographie publicitaire. C’est l’une des raisons pour lesquelles agnès n’a jamais fait de publicité. Le commentaire d’Agnès est en fait une merveilleuse métaphore de ses vêtements, qui respectent les personnes qui les portent (des personnes qui vivent dans leurs vêtements mais ne sont pas contraintes par eux, qui, en fait, vivent en dehors du cadre. Oh une dernière chose, ne vous précipitez pas à La Fab pour acheter des préservatifs. Il y a, m’a-t-on dit, une “rupture de stock”, ils sont tous en rupture de stock un peu comme la situation des vaccins - on ne semble pas pouvoir se protéger à Paris ces jours-ci ! Beverly Held, Ph.D. aka ‘Dr. B.’ traduit de l’anglais https://parisinsider-fr.com/ https://www.museemusings.com/home/la-fabulous https://la-fab.com/


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i le printemps est synonyme de renaissance et Pâques de résurrection, pour un professionnel qui révolutionne le monde des gâteaux en Italie, ce mois de mars est synonyme de rebranding : la pâtisserie Bompiani de Rome a cessé d’exister et, tel un phénix mythologique, renaît sous le nom de son fondateur, Walter Musco. Mais pourquoi un magazine qui traite de l’art publierait-il un article sur des gâteaux et des sucreries de toutes sortes préparés par un laboratoire qui travaille avec de la farine, du beurre, du chocolat et des œufs? Car l’âme de ce formidable lieu des sens a décidé d’ajouter un ingrédient supplémentaire à ses recettes : l’art contemporain. Depuis dix ans, Walter Musco produit des œufs de Pâques et des gâteaux inspirés des grands maîtres peintres, mais pas seulement : ses hommages sont souvent dédiés à la musique, à la littérature, à la mode, au cinéma. Une perspective globale qui lui a permis de s’imposer dans le monde de la pâtisserie avec originalité et créativité, en conquérant une clientèle déjà sensible aux langages contemporains (“ Vous me feriez un gâteau Bauhaus ? “ lui demandent souvent les architectes) ou du moins curieuse et prête à goûter non seulement de nouvelles saveurs mais aussi une délicieuse bouchée d’art. Mais c’est au moment de Pâques que Walter Musco

UNE TRANCHE DE BURRI, UNE BOUCHÉE DE BANKSY, UNE FOURCHETTE DE POLLOCK. UNE PLAISANTERIE ? PAS DU TOUT. À ROME, IL Y A UN PÂTISSIER QUI DIFFUSE SON ART CONTEMPORAIN ADORÉ AU SON DES GÂTEAUX ET DES ŒUFS DE PÂQUES. NOUS VOUS PRÉSENTONS WALTER MUSCO ET SES CRÉATIONS ORIGINALES.

est au mieux de sa forme : comme chaque année il présente une exposition d’œufs en chocolat et maintenant, pour célébrer le dixième anniversaire de l’ouverture de la pâtisserie, il a choisi comme thème la perception, l’intériorisation de l’expérience esthétique qui se manifeste dans la sensibilité d’aujourd’hui. Ici, le passé - les œufs qui ont le plus enthousiasmé leur créateur au fil des ans - est repris et actualisé, tandis que les sens sont amplifiés par les œuvres : il y aura donc des œufs “ à écouter, à sentir et à toucher, en mettant au second plan le goût et la vue, les deux sens “ canoniques “ plus liés à l’alimentation. Retraçons cette histoire, qui a commencé dans une galerie et s’est progressivement transformée, tout en gardant ses racines ancrées dans l’art. Walter, votre lien avec l’art s’est développé bien plus tôt que celui avec la pâtisserie, non ? Oui, j’ai grandi dans un contexte familial où l’art était très présent, et cela a certainement contribué à mon amour des langages artistiques. En grandissant, j’ai ouvert ma propre galerie : elle s’appelait Gondwana, comme le territoire qui existait avant la dérive des continents, et je m’occupais d’art tribal. Non pas l’artisanat, mais les œuvres et les artistes de grande qualité d’Amérique du Sud, d’Afrique noire, d’Asie du Sud-Est et des aborigènes d’Australie. J’avais de très bonnes relations avec le musée ethnographique Pigorini de Rome et j’ai parcouru tous les coins de ces pays à la recherche des protagonistes les plus intéressants. Mais maintenant vos goûts ont changé, n’est-ce pas ? Maintenant, je préfère tout ce qui s’adapte aux environne-

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WALTER MUSCO

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ments minimaux et industriels. Et entre-temps, j’ai changé de profession et je me suis consacré à la pâtisserie. Par exemple, Bonalumi et Castellani m’ont donné l’inspiration pour des œufs de Pâques “retournés” et mon premier gâteau signature a été dédié à Piero Manzoni : c’était un hommage à ses Achromes. À l’époque, je me concentrais uniquement sur l’esthétique des gâteaux, puis j’ai rencontré Massimo Bottura et, grâce à une comparaison avec lui, j’ai commencé à travailler sur tous les aspects des gâteaux, de la forme aux ingrédients, jusqu’à ce que je trouve une synthèse idéale entre l’esthétique et le contenu. En quoi consiste cette synthèse ? L’histoire et les ingrédients vont de pair. Par exemple, mon dernier gâteau signature est le Grande Cretto, une reproduction fidèle en miniature de l’œuvre d’Alberto Burri à Gibellina. Pour le réaliser, j’ai utilisé des amandes et des mûres, produits typiques de la Sicile : il y a donc un lien profond entre l’extérieur et l’intérieur et c’est un effort culturel qui dépasse la simple technique, pour devenir une histoire. Comment vos clients réagissent-ils lorsqu’ils sont confrontés à un gâteau en portions individuelles inspiré de Burri, ou à une tarte qui rappelle la petite fille au ballon de Banksy ? Les réactions sont merveilleuses. Ma clientèle est surtout éduquée, tant au niveau du palais que de la connaissance de l’art, mais même ceux qui n’y connaissent rien sont curieux et j’espère qu’une fois rentrés chez eux, ils raconteront être allés dans une pâtisserie

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où les desserts sont inspirés de peintures ou de sculptures. Il s’en souviendra et voudra peut-être approfondir l’histoire de l’artiste qu’il a rencontré grâce à mes gâteaux. Ma pâtisserie devient ainsi un instrument de diffusion de l’art, de mes passions et des formes expressives de l’homme. On pourrait penser que les demandes de collaboration des galeries et des musées sont sans fin... Mais non... bien sûr, on m’appelle pour un service de traiteur, mais il est difficile pour les galeristes de me confier la conception d’un gâteau inspiré par un de leurs artistes : j’ai l’impression que le monde de l’art a peur de dénigrer le nom des artistes si leurs œuvres sont évoquées dans un produit pâtissier. Et puis il y a les fondations des artistes qui vous inspirent, ceux qui protègent leurs images. Quelles expériences avezvous eues avec eux ? En général, mes créations sont très appréciées : par exemple, la Fondation Burri a été enthousiasmée par le gâteau dédié à Grande Cretto, et beaucoup d’autres personnes ont compris mon opération - qui n’est certainement pas à but lucratif - et ont diffusé les photographies sur leurs canaux sociaux. Cependant, j’ai eu une mauvaise expérience : il y a quelque temps, j’ai fait des œufs dédiés à Capogrossi et la fondation m’a menacé de poursuites judiciaires. (suit page 48)


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(suit de la page 47) Je les ai détruits avec un marteau, transformant le geste en performance. Mais je n’ai pas baissé les bras : cette année, j’ai réalisé une nouvelle œuvre en hommage au maître... on verra bien ce qui se passera ! Avez-vous déjà collaboré avec des artistes pour créer des projets ensemble ? J’ai un jour fait un moulage en chocolat du visage d’un artiste qui, soumis à la chaleur d’une lampe, a fondu devant le public. Mais je dois reconnaître que même les jeunes artistes ne se prêtent pas au jeu de la pâtisserie. Mais si je trouvais de bons projets et animés d’un enthousiasme mutuel, je les épouserais sans aucun doute. Enfin, quelle est votre relation avec les musées ? D’un point de vue professionnel, aucun. Et dire que les librairies des musées vendent des objets abominables, des milliards de copies d’œuvres d’art, des affiches aux porte-clés. Il est étonnant que les directeurs de musées ne voient pas ces choses comme une abomination, comme une marchandisation grossière de leurs collections. Et d’autre part, je pense qu’ils interprètent mon travail comme un avilissement, comme si la pâtisserie n’était pas digne. Oublier que l’art est historiquement lié à la nourriture. Marta Santacatterina https://www.artribune. com/2021/03/walter-musco-pasticceria/

e 25 mars 2021 la ville de Venise célèbre le 1600ème anniversaire de sa fondation, et à partir de maintenant et jusqu’à la fin de 2022, elle proposera un calendrier d’événements pour raconter l’histoire, les excellences, la culture qui en ont fait une icône mondiale en 16 siècles. Le super-anniversaire, dans les intentions de l’administration municipale, ne peut être qu’un signe de renaissance, pour contraster avec la pandémie, qui l’a vidé de ses touristes. Le premier moment officiel du programme est aujourd’hui, 1600 ans après la date à laquelle la légende fait remonter la pose de la première pierre de l’église de San Giacomo di Rialto (San Giacometto), le 25 mars 421. En réalité, les historiens ne s’accordent pas sur une date exacte, car cette période a été marquée par l’évolution de flux migratoires continus, et les établissements des premiers habitants sur les îlots de la lagune ont été rejoints par des Vénitiens fuyant le continent des assauts des barbares. Cependant, par convention, la fondation de Venise est attestée par la source manuscrite du Chronicon Altinate, et à une époque plus récente, par le Marin Sanudo, qui, décrivant le grand incendie de Rialto en 1514, écrit : “Solum restò in piedi la chiexia di San Giacomo di Rialto, la qual fu la prima chiexia edificata in Venetia dil 421 a dì 25 Marzo, come in le nostre croniche si leze”. Ce sont les premières célébrations : à 11 heures, en

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concomitance avec l’Annonciation, dans la basilique de Saint-Marc, le patriarche Francesco Moraglia a célébré une messe qui, pour éviter les rassemblements, est diffusée en direct à la télévision par le réseau “Antenna 3 “ et le profil Facebook de “ Gente Veneta“. L’après-midi, à 16 heures, toutes les églises du patriarcat ont fait sonner leurs cloches. À 18h30, la RAI a rendu hommage à la cité lagunaire en diffusant sur RAI 2 une émission spéciale consacrée à Venise avec laquelle, à travers des images et de la musique, les 16 siècles d’histoire de la Sérénissime seront racontés, avec un regard vers l’avenir. Le président de la République Mattarella a déclaré : “Venise appartient au monde entier. Son inestimable patrimoine artistique et culturel doit être défendu et préservé. Sa vivacité particulière, son économie, le fait qu’elle soit, ensemble, une communauté locale forte et soudée et un point de référence international doivent être soutenus et relancés. Pas une ville-musée, donc, mais une ville pleine de vie et de dynamisme. Parce que Venise ne peut exister sans les Vénitiens”. C’est ce qu’a souligné le président de la République, Sergio Mattarella, dans un message à l’occasion du 1600e anniversaire de la fondation de Venise. Le message du chef d’État fait partie de l’histoire de Venise en images et en musique, interprétée par l’orchestre et le chœur du Teatro La Fenice, diffusée sur

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Rai2. “Venise ,a souligné Mattarella dans son message, est une ville vénitienne et italienne, fière à juste titre de l’originalité et du caractère unique de ses racines et de ses traditions. Mais son caractère et son universalité font que la ville transcende les frontières régionales et nationales. Venise appartient au monde entier”. Dans son message de vœux pour “l’anniversaire important et significatif des mille six cents ans de sa fondation”, le chef de l’État rappelle les caractéristiques de la ville “sans murs et sans armée, capable d’étendre son influence bien audelà de son territoire limité”. Un succès mondial, attesté non seulement par les Vénitiens célèbres dans le monde entier : Marco Polo, Vivaldi, Tintoretto, Tiepolo, Bellini, Goldoni. Mais aussi par l’attrait et la fascination que la cité lagunaire a toujours exercés sur les plus grands hommes de culture de tous les temps : de Shakespeare à Goethe, de Byron à Stendhal, de Wagner à Thomas Mann, pour n’en citer que quelques-uns. “Venise a toujours été un pont entre l’Orient et l’Occident, un lieu de rencontre privilégié entre les civilisations, les cultures, les peuples et les religions, et elle reste (et restera certainement) (suit page 50)


Photo meteoweb

(suit de la page 49) un symbole de dialogue, de rencontre et de connaissance. Capable de trouver sa vocation et ses racines dans l’universalité et l’ouverture, dans la culture et l’entreprise. C’est pourquoi l’histoire et le succès de Venise au fil des siècles sont un exemple pour l’Italie d’aujourd’hui”, a-t-il conclu. Le maire de Venise Luis Brugnaro nous invite à célébrer une ville qui peut le faire “Aujourd’hui, nous écrivons une nouvelle page du livre qui raconte notre passé, notre présent et qui détient la clé pour affronter les défis de l’avenir. Aujourd’hui, Venise a 1600 ans. 1600 ans d’histoire, d’innovation, d’intégration, d’hospitalité, de beauté que le monde entier admire. Une histoire de nombreuses femmes et de nombreux hommes qui, avec leur vie, ont construit non seulement une ville, mais son essence, son esprit, son âme. Une ville libre et résiliente qui, au cours de ces 1600 ans, a su surmonter de nombreux moments difficiles et en sortir plus forte et plus fière”. C’est ce qu’a déclaré Luigi Brugnaro, le jour du début des célébrations des 1600 ans de la ville qui vont se prolonger et se poursuivre jusqu’en 2022 suivant des nombreuses propositions.

Bien deux cent trente cinq propositions d’initiatives ont été en effet soumises par cent trente cinq sujets, suite à l’appel international à propositions lancé par le Comité pour les célébrations du 1600e anniversaire, mis en place par la municipalité de Venise. Les propositions doivent être caractérisées par un lien historique et culturel avec Venise, en tant que ville de terre et d’eau, et peuvent avoir lieu en Italie ainsi que dans d’autres pays européens et non-européens. Les propositions comprendront des événements commémoratifs uniques, mais aussi des actions de plus longue durée. Le logo des célébrations synthétise bien l’image de Venise : un signe graphique qui rejoint le lion de Saint-Marc, les trois coupoles de la basilique et les quadrilobes du palais des Doges. En vue des événements des 1600 ans, Venise confirme entre-temps deux rendez-vous en présence pour le printemps-été : la nouvelle édition du Boat Show à l’Arsenale (du 29 mai au 6 juin), et à partir du 22 mai la Biennale Architettura. En tout cas, ce sera un anniversaire différent de l’habituel et moins agité, conditionné par les restrictions de la zone rouge. Et nous ne pouvons que lui souhaiter encore 1600 ans de splendeur. Redazione Rai News http://www.rainews.it/dl/rainews/articoli/venezia-1600-anni-della-Serenissima-celebrazioni-fino-al-2022.html

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lus qu’une ville, Venise est une créature qui appartient au mythe, un miracle qui se renouvelle à chaque aube, depuis plus de 1600 ans. Nombreux sont les ressorts qu’aujourd’hui 25 mars 2021 célèbre, malgré la pandémie impose des règles réfractaires aux parties. Pour commémorer la fondation de la “plus ancienne ville du futur”, c’est le slogan choisi par le Conseil municipal pour l’occasion, à 16h00 le Patriarcat de Venise a invité tous les curés à faire sonner les cloches, célébrant ainsi de manière doublement symbolique ses 1600 ans. Dans l’immobilité et le silence surréalistes qui l’enveloppent depuis plus d’un an, sa beauté triomphe, encore plus poignante, suspendue entre l’Orient et l’Occident, entre un monde et un autre. Parce qu’ici, vous pouvez sentir l’Orient et le caresser, à chaque coin de rue ; votre regard s’attarde sur chaque brique, pierre, gribouillis, arche mauresque, dentelle de marbre qui semble avoir été sculptée par la lumière, plutôt que par un ciseau. En attendant que les musées et fondations rouvrent leurs portes, il suffit de se perdre parmi les calli, campielli, campi, branches, en errant peut-être sans but et sans GPS, la meilleure façon de la découvrir. Les églises, qui sont restées ouvertes, ne vous décevront jamais car chacune d’entre elles recèle des trésors et constitue un chef-d’œuvre en soi. Entre Bellini, Titien, Tintoret, Cima da Conegliano, Palma, Véronèse, Tiepolo (pour ne citer que les plus célèbres) c’est un festin continu pour les yeux et l’âme. En glissant le long du Grand Canal, la plus belle “rue”

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aquatique que l’homme ait jamais conçue, il est facile de se sentir comme un petit fragment de l’univers entré dans l’orbite de la puissante ville flottante, où rien n’est immobile, pas même les façades des maisons qui défient souvent la gravité en s’en moquant. Certes, le commerce, sur lequel elle a bâti sa puissance au fil des siècles et qui lui a valu le surnom de “reine de la Méditerranée”, est à genoux, tout comme l’ensemble du secteur touristique ; cependant, la ville a recommencé à respirer et les irréductibles habitants, dispersés sur les plus de cent îles qui la composent, se sont lentement réappropriés leur ville. Complice du calme, même les dauphins ont jeté un coup d’œil dans le bassin de San Marco, s’élançant joyeusement vers Punta della Dogana. Venise, patrie de personnages mythiques tels que Elena Lucrezia Cornaro, première femme diplômée d’histoire, de navigateurs et de découvreurs de mondes tels que Marco Polo ou les Cabotos, d’irrésistibles libertins tels que Giacomo Casanova, d’une liste interminable de peintres, d’écrivains et de musiciens, Vivaldi en tête, de condottieri, de héros, d’entrepreneurs visionnaires et de commerçants entreprenants. L’art du verre, de la dentelle, des tissus, qui sont encore fabriqués avec des métiers à tisser manuels sur le Grand Canal, par la famille Bevilacqua, (suit page 54)


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(suit de la page 51) héritière d’une tradition millénaire. Et puis le style, l’élégance, la mode, avec l’invention des chaussures à talons vertigineux, dangereuses au point d’être interdites par le Doge et ramenées à des proportions plus sûres; la joie de vivre de ses habitants, quelle que soit leur richesse ; son légendaire carnaval. Un kaléidoscope de beauté, d’harmonie, d’émotions, d’histoires et d’équilibres fragiles concentrés dans une petite bande de terre flottante dont la forme, curieusement, est celle d’un poisson. On fait remonter sa fondation au 25 mars 421 en vertu d’un document du XIe siècle, le Chronicon Altinate, qui contient les nouvelles de la consécration de San Giacometo a Rivus Altus - d’où dérive le nom de Rialto -, considérée par beaucoup comme la première église de Venise, et dans lequel on lit que “Alberto Faletro et Tomaso Candiano”, ou Zeno Daulo, ont été les élus, sont allés à Riva Alta, l’année ci-dessus 421 le jour 25 du mois de mars au milieu du jour du lundi saint, cette Illustre et Eccelsa Christiana Ville, et merveilleux a été donné début trouver le Ciel dans la disposition singulière”. Selon Lorenzetti, auteur de l’une des meilleures publications consacrées à l’histoire de la Sérénissime, “Venise et son estuaire”, publiée en 1926, parmi les marais entre Grado et Cavarzere, au milieu desquels

se trouve Venise, “vivaient, depuis l’époque romaine, des gens pauvres et humbles, pour la plupart des mineurs de sel, des pêcheurs, des horticulteurs, des bateliers et des passeurs, des chasseurs de marais, qui menaient leur vie de privations et de travaux”. Le saut qualitatif qui allait transformer ce groupe de petites îles lagunaires en communautés habitées de façon plus permanente a eu lieu entre les VIe et VIIe siècles lorsque, pour se protéger des Lombards, les populations de l’arrière-pays “ont constitué une province de l’Italie byzantine gouvernée par des magistrats dépendant de l’exarque de Ravenne, formant une association d’îles qui serait la base du futur duché vénitien”. Selon les sources, à l’aube des temps, les centres de la vie lagunaire étaient : Grado, où se concentrait le pouvoir religieux transmigré d’Aquilée ; Eraclea, aujourd’hui engloutie, siège du pouvoir gouvernemental ; et Torcello, la plus splendide de toutes, emporium commercial animé, dont il reste la splendide cathédrale dédiée à Santa Maria Asssunta, fondée en 639 A.D., dans laquelle sont conservés d’admirables cycles de mosaïques, dont un gigantesque et spectaculaire Giudizio universale, datable aux alentours des XIIe-XIIIe siècles ; l’église de Santa Fosca, construite au XVIe siècle, est le siège du pouvoir gouvernemental et le petit palazzetto du Podestà qui abrite le charmant petit musée de Torcello dans lequel est conservé le célèbre trône d’Attila. Le premier “duc”, dont dérivera bientôt le mot “Doge”, est nommé en 697, lorsque l’augmentation de la population d’une part, et la pression croissante des Lombards

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d’autre part, incitent l’empereur de Byzance à élever la région vénitienne à un rang supérieur. Elle survécut aux visées expansionnistes de Charlemagne, à l’incursion belliqueuse de son fils Pipino ; elle passa en quelques siècles, grâce à sa puissance commerciale et maritime, de la condition de sujet à celle de précieux collaborateur de l’empire d’Orient, à l’aube du XIIIe siècle elle transforma définitivement son nom - Civitas Rivoalti - en celui beaucoup plus célèbre de Venise, touchant ainsi à son apogée. Tout le reste est de l’histoire, entré désormais dans la légende et dans l’imaginaire collectif du demi-monde. Sur la place Saint-Marc, Ostro et Libeccio font tour à tour vibrer le sommet des mâts des drapeaux. Comme un métronome, ils marquent ce temps lent. Depuis la Tour de l’Horloge, les tiges de bronze des Maures leur font écho. Ils sont appelés ainsi parce qu’ils sont fondus dans le métal brunissant et sont là depuis 1499, lorsque Venise s’apprêtait à vivre l’aube des livres, qui ont vu la lumière ici et ont révolutionné le monde. Derrière leur apparente simplicité se cache un jeu de rôles plein d’esprit. Les deux Maures marquent les heures en frappant la cloche avec leur marteau (beaucoup d’heures, beaucoup de carillons), mais avec une différence : le Vieux Maure frappe les heures deux minutes avant l’heure exacte, pour représenter le temps écoulé ; le Jeune Maure frappe l’heure deux minutes plus tard pour représenter le temps à venir.

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Nous pourrions continuer encore longtemps, non seulement en chantant les exploits de l’époque où la Sérénissime dominait la Méditerranée, mais plutôt en nous attardant sur les nombreux mots que le monde entier utilise et qui ont vu la lumière à Venise. Le terme Lazzaretto, par exemple, a été inventé au début du 15e siècle, lorsque deux îles de la lagune ont été utilisées comme hôpitaux pour les victimes de la peste afin d’éviter la contagion - une idée qui a ensuite été exportée dans le monde entier - et est resté en usage jusqu’au 18e siècle. Et que dire du mot Ghetto? C’est en 1516 qu’un décret établit que tous les Juifs de la Sérénissime doivent être confinés sur une portion de territoire à cotè de fonderies (getar en venitien). Avec le temps le terme “ghetto” a indiquè le lieux où les juifs étaient confinés et c’est repandus dans le monde entier. Les villes invisibles, chantées par Calvino, sont toutes là, enfermées dans cet amas d’îles ouvertes sur le monde, sur lesquelles a été construite la seule qui semblait folle même à imaginer. Une ville où les pierres deviennent de l’eau, le bois se transforme en pierre et les lampadaires ont la couleur du coucher du soleil. M.Alessandra Filippi www.vanityfair.it/viaggi-traveller/notizie-viaggio/2021/03/25/ venezia-storia-leggenda-mito-compleanno-1600-anni


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