Palazzi A Venezia Decembre 2021

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Petroleuses Dans le cerveaux de Ettore Ettore Sottsass L’Objet Magique Ferdinandeum Innsbruck Native Artists Badiucao Marc & Bella Chagall Etel Adnan La Mère Brazier Dix Musées nous régalent Isaac Celnikier Ody Saban Eva Jospin Ghislaine Verdier Keith Haring L’imperfetta Bellezza Maison Loo Salon SOBD Odile Decq Double jeu Francesca Mucelli L’Enfer Frida Viva la Vida Jacques Lombard Maurizio Cattelan Pablo Picasso et la France Cripto Art

PALAZZI A VENEZIA Publication périodique d’Arts et de culture urbaine de l’association homonyme régie par la Loi de1901 ISSN/Commission Paritaire : en cours Distribution postale/digitale aPrésident Directeur de la Publication Vittorio E. Pisu Projet Graphique Emmerick Door Maquette et Mise en Page L’Expérience du Futur Correspondance zoupix@gmail.com palazziavenezia@gmail.com https://www.facebook.com/ Palazzi-A-Venezia https://www.vimeo.com/ channels/palazziavenezia Trentedeuxème Année / numéros 09 / Decembre 2021 Prix au numéro 5 euros Abonnement annuel 50 euros Abonnement de soutien 500 euros


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avière Gauthier réhabilite la mémoire des « Pétroleuses », à travers la vie hors du commun de cinq d’entre elles: Nathalie Lemel, pendant la Commune, prend la tête de l’organisation de l’Union des femmes pour la Défense de Paris et les soins aux blessés. Paule Minck, libre-penseuse et socialiste, combat pour une éducation identique des garçons et des filles, pour la séparation de l’Église et de l’État, et pour l’entrée des femmes dans la vie politique. Elisabeth Dmitrieff, russe proche de Marx lui-même, allie féminisme et socialisme dans sa lutte politique. André Léo, romancière, dénonce dans ses fictions des codes sociaux injustes emprisonnant la femme. Et Louise Michel, la vierge rouge, rendue célèbre par sa hardiesse dans les combats lors de la Commune de Paris. “Horrifiés de voir des femmes prendre la parole, prendre la plume et même prendre les armes, pendant la Commune de Paris de 1871, des hommes les ont affublées du nom de “pétroleuses”. Depuis longtemps, je me suis intéressée à la plus célèbre d’entre elles, Louise Michel. J’ai écrit sa biographie, édité sa correspondance et ses romans. Il aurait été injuste de laisser dans l’ombre ses compagnes et je suis heureuse aujourd’hui de faire connaître: Nathalie Lemel, relieuse et organisatrice syndicale, Paule Minck, libre-penseuse et socialiste, André Leo, romancière engagée et Elizabeth Dmitrieff, l’internationale des femmes. Toutes, elles ont fait l’Histoire. Elles revivent dans les luttes des femmes de par le monde”. Xavière Gauthier

es publications de Palazzi A Venezia on été interrompue depuis la fin du mois d’aout à cause du surcroit de travail que j’ai du assumer. Je le regrette et en même temps j’était heureux de pouvoir organiser des nombreuses expositions à Cagliari et aussi à Oristano (en Sardaigne) en attendant d’autres développements que je ne vous détaille par pour l’instant, et travailler aussi, entre autres, sur la monographie d’une artiste que j’aime particulièrement et dont j’ai immédiatement compris le talent, lors de ma première rencontre avec ses toiles, dans sa chambre de la Cité des Arts à Paris, où elle avait organisé un vernissage avec quelques-uns de ses amis et admirateurs. Je ne m’étais absolument pas trompé et je suis très heureux de participer avec la mise en page de sa monographie à la diffusion de son Art. Vous aurez d’ailleurs compris que la Rédaction de Palazzi A Venezia se résume en fait à ma modeste personne et que la journée étant faite que de vingtquatreheures c’est difficile parfois d’arriver à tout concilier. Bon j’espère que mes choix éclectiques et subjectifs ne vous aient pas trop manqué et voici à nouveaux pour la fin de l’année un petit choix que j’ai concocté avec gourmandise en espérant vous faire plaisir en retrouvant des informations que vous connaissez déjà de longue date ou en vous en faisant découvrir des nouvelles. Quoiqu’il en soit ma permanence forcé en Sardaigne ne m’empêche nullement de jeter un regard, pas distrait du tout, non seulement sur ce qui se passe à Paris et en France, mais aussi dans quelques autres coins du globe qui continue à supporter les effets particulièrement néfaste d’une pandémie qui de vague en vague parait ne pas vouloir nous abandonner. Quoiqu’il en soit cela ne nous empêche, et d’ailleurs n’empêche pas les artistes de continuer à travailler, de visiter les expositions qui arrivent malgré tout à se monter, et, bien entendu, continuer à lire, regarder des vidéos et des films, écouter de la musique, aller au théâtre quand c’est possible et aussi danser, rire, s’amuser et profiter de la vie dans toutes ses expressions, gastronomiques et alcooliques en premier. Bien sur le moment n’est pas très propice aux réjouissances mais justement c’est dans des moments pareils que l’on apprécie pleinement les manifestations culturelles qui nous réconcilient avec la vie parfois morne et aussi cruelle. Je vous donne donc rendez vous à la mitaine du mois pour la parution du Supplément que j’espère aussi intéressant que ce numéro du mensuel, en attendant les festivités de fin d’années, qui nous rappellent toujours que nous avons crains que le soleil à force de se coucher de plus en plus tôt finisse par disparaitre. Eh bien il n’en fut rien et c’est pour cela que nous fêtons le 25 décembre. Alors avec Mithra ou avec Gesù, Bonnes Fêtes! V.E.Pisu PALAZZI 2 VENEZIA


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ETTORE SOTTSASS orsqu’il entre à la bibliothèque Kandinsky, le fonds d’archives d’Ettore Sottsass est déjà minutieusement classé. Les trente-deux agendas et les soixantedix-neuf carnets sont datés et numérotés, les feuillets et les visuels sont groupés par liasses dans des enveloppes systématiquement titrées, abondamment annotées, le tout accompagné d’une pléthore de listes répertoriant les thématiques ou proposant d’autres nomenclatures pour les mêmes ensembles. Il n’est pas rare que les documents soient arrivés avec leur contenant : des boîtes en bois, pour la plupart fabriquées sur mesure, des supports cartonnés taillés spécifiquement, et, détail inédit, la photothèque est arrivée depuis l’atelier de Milan sans quitter le meuble signé Olivetti où elle était conservée. À l’intérieur des tiroirs, sur les enveloppes de tri, des notes aux encres différentes laissent entendre que les archives n’étaient pas un simple stockage mais une matière vivante et souvent visitée. L’iconothèque d’Ettore Sottsass a mis à mal nos pratiques archivistiques basées sur une description à la pièce. Nommée très explicitement : « Collection documentaire constituée par Ettore Sottsass », elle est constituée de cartes postales, d’images découpées, d’emballages de bonbons, de cigarettes, de rouge à lèvres ou de dentifrice… Quel intérêt pourrait-on trouver isolément à la col-

Dans le cerveau de

Ettore Sottsass Foisonnant, l’univers visuel d’Ettore Sottsass s’exprimait aussi dans des carnets de notes personnalisés, et dans l’accumulation d’objets comme des emballages ou des images découpées. Des « instruments de travail » exceptionnellement présentés dans l’exposition « L’objet magique », et qui font partie du riche fonds d’archives de la bibliothèque Kandinsky. Immersion dans un monde d’images, qui sont comme une mise en espace de la mémoire de l’artiste.

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lecte des papiers dorés qui entourent les tablettes de chocolat ou à celle des cartonnages illustrés qui protègent les savonnettes? Comment expliquer que chaque pièce soit si soigneusement contrecollée sur des cartons aux tailles et couleurs harmonisées? Manifestement, il s’agit là d’éléments destinés à être mis en résonance. Une résonance visuelle, globale, au sens kantien selon lequel la compréhension esthétique des choses consiste dans la manière dont le divers est « parcouru et rassemblé » à la fois. Ce double mouvement d’accumulation et de mise en espace semble être une constante dans la démarche de Sottsass. Lorsqu’il décolle les bords d’une boîte de cigarette pour la fixer dépliée sur un carton, Ettore Sottsass opère un passage de trois à deux dimensions. C’est un dépli et un repli à la fois : la surface de l’emballage d’abord cubique, prend une forme géométrique plane couverte d’écritures désordonnées aux couleurs disparates, graphiquement rythmée. Notons que, vus de loin, certains objets dépliés ressemblent à des totems ! Un détail qui renvoie, à tort ou à raison, à sa position de designeur. Cette redistribution des formes dans l’espace est (suit page 4)


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(suit de la page 3) bien sûr une façon d’archiver l’objet à plat, mais elle induit surtout une autre façon d’envisager l’objet. Peut-être que le dessin des objets et le dessin de leur présence dans l’espace (…) ne sont justifiés que par la fonction d’agir comme des filtres pour ordonner, selon des successions précises et causales, la façon dont s’enchaînent les états de conscience. L’aspect bigarré, géométrique et typographique de sa collection ne constitue donc pas seulement une sorte de banque de données dans laquelle il puise des inspirations : c’est le lieu où s’opère une véritable métamorphose de l’objet, une sorte d’écartèlement (comme l’entomologiste écartèle un insecte avant de l’épingler), une mise en espace qui permet d’en saisir un aspect, si infidèle soit-il, de ce que l’on nomme sa réalité. Le même objet dépourvu de sa fonction devient forme, trait, couleur, rythme. Matière et signe. Dans son iconothèque, chaque objet recueilli « fait signe » dès lors qu’il est isolé, mis à plat, puis placé en résonance avec tel ou tel autre. À l’instar de la collection d’images, la collection de photographies semble procéder d’un lien direct entre la cu-

riosité et l’archivage. “J’étais si curieux de tout ce que je voyais, et je voyais tellement de choses que je n’arrivais pas à tout archiver.” Ettore Sottsass Cette expression n’est pas sans rappeler la démonstration d’un James Joyce qui déploie la surabondance des événements incluse dans un temps limité et ordinaire. Lorsqu’Ettore Sottsass parle de photographie comme « substitut de la mémoire », il ne suggère pas l’idée de fixer le temps comme on fixe un souvenir. Il prélève dans la succession infinitésimale « le bagage des fragments et des membres dispersés de la vie quotidienne », pour en suggérer une appréhension qui n’est pas forcément narrative et il opère, comme pour les images ou les emballages, un redéploiement des données. Notamment dans le temps. La problématique du temps est une constante dans les archives d’Ettore Sottsass, et plus précisément la question de sa mise en espace. Lorsque de part et d’autre d’une ligne verticale qui décompte les jours, il dispose le vécu avec force couleurs et illustrations, cette présentation synoptique met en résonance les événements à la fois « parcourus et rassemblés », pour reprendre l’expression kantienne. En parallèle des agendas, Ettore Sottsass multiplie les chronologies : il pointe le temps sur ses cahiers, PALAZZI 4 VENEZIA


sur des feuilles volantes, sur d’immenses affiches… Et il ne capture pas que son vécu ! Dès ses premiers carnets, on trouve des chronologies de civilisations anciennes, d’inlassables tracés de temps préhistoriques, paléolithiques, géologiques, etc. Ettore Sottsass varie les échelles, comme autant de tentatives de ramener à une dimension plus concevable des chiffres démesurés. L’infiniment grand, l’infiniment petit… Depuis les temps astrologiques jusqu’à ses éphémérides, Ettore Sottsass subdivise le temps et multiplie les jalons pour finalement échouer sur un constat : le temps n’est pas une somme. Au-delà de la profusion de dates, d’images, de photographies, de lignes et de listes, au-delà de tous ces titres qu’il biffe, raye, corrige sur les enveloppes, ce que Sottsass semble chercher, ce n’est pas ce qui reste du temps, c’est ce qui passe, et plus précisément la façon dont l’éphémère s’inscrit dans la matière. Pointées, cochées, dénombrées, mais aussi disposées par colonnes, mises en cases ou éclatées en schéma circulaire, les dates et les listes de Sottsass sont autant de tentatives pour rendre visible/sensible, ce qui advient et solliciter nos impressions, voire nos sensations. “Nous lisons le monde de manière sensuelle. Nous le cataloguons, nous l’intellectualisons aussi, mais la source de tout reste les sens.” Ettore Sottsass interviewé par Hans Obrist pour PALAZZI 5 VENEZIA

le magazine Surface, décembre-janvier 2001 Dans la profusion infinitésimale et ininterrompue des données de la perception, les éléments ne prennent leur sens qu’à la lumière du tout. Pour cette raison sans doute, Barbara Radice, veuve de l’artiste, insistait au moment de la donation sur l’idée de ne rien dissocier. En 2013, le fonds des archives d’Ettore Sottsass rejoint au Musée national d’art moderne les quatre cent trente-deux dessins et objets de sa collection. Cette donation, consentie par Madame Barbara Radice, veuve d’Ettore Sottsass, complète le reversement en 2003 des archives professionnelles du designeur autour de sa collaboration avec la firme Olivetti. Quelque deux mille ouvrages issus de sa bibliothèque privée intègrent notre fonds d’imprimés. Parmi les quatre-vingt-quatorze titres de revues numérisées, la bisannuelle d’architecture “Terrazzo” dont Ettore Sottsass est l’un des fondateurs, est accompagnée par onze boîtes de correspondance, épreuves et photographies documentant sa rubrique Travel notes (1988-1996). Les quatre cents affiches d’expositions ou événements, touristiques, politiques ou publicitaires (suit page 6)


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(suit de la page 5) parmi lesquelles figurent ses propres créations sont en cours de numérisation. Une centaine est déjà en ligne sur le site de la bibliothèque Kandinsky. Trente-deux agendas minutieusement annotés, le premier daté de 1948, les autres de 1966 à 1997, et soixante-dixneuf carnets de notes et dessins datés de 1974 à 2005 ont été numérisés en priorité. Quant aux plus de cent trente-neuf mille photographies, diapositives et planches-contact, elles sont distribuées, conformément au classement d’Ettore Sottsass, en projets professionnels (1922-2005) et en photographies personnelles et de voyage (19372007). À cela s’ajoutent les quatre boîtes de diplômes et prix, ainsi qu’une vingtaine de boîtes d’images constituant une sorte de répertoire visuel, soigneusement organisé. La bibliothèque Kandinsky propose une soirée publique de consultation collective de l’ensemble du fonds lundi 22 novembre 2021 de 18h30 à 20h30. Béatrice Pardossi-Sarno Responsable des fonds d’archives architecture et design, Musée national d’art moderne, bibliothèque Kandinsky https://www.centrepompidou.fr/fr/magazine/article/dans-le-cerveau-dettore-sottsass

Ettore Sottsass, de la spiritualité dans le design

À la fois designeur, architecte, artiste et écrivain, Ettore Sottsass fut, toute sa vie durant, en quête de compréhension de notre être au monde. Alors que s’ouvre l’exposition consacrée à son travail, la commissaire Marie-Ange Brayer revient sur le parcours du légendaire créateur italien, fondateur du groupe Memphis, pour lequel « tout converge dans le dévoilement de la dimension magique des objets et des êtres ».

omment devenir un « homme nu » ? Comment renouer avec la « tragique appartenance à la planète » s’interroge Ettore Sottsass. Instigateur d’une « méthodologie du doute », Sottsass (1917- 2007) ne cessa de puiser dans la mémoire des choses son inspiration de créateur polymorphe, tout à la fois designeur, architecte, artiste, écrivain. Dessins, meubles, objets, céramiques, photographies, écrits, architectures sont les affluents d’une seule et même quête immense, insatiable, de compréhension de notre être au monde. Pour Sottsass, tout s’origine dans la reconnaissance du caractère inéluctable de la disparition des choses. Tout converge dans le dévoilement de la dimension magique des objets et des êtres. La force incandescente de l’écriture d’Ettore Sottsass renoue avec l’oralité du conteur et irrigue toute sa création. Ses mots se donnent comme des éclats lunaires de langage, sans âge, denses et luisants comme des pierres astrales. Pour Sottsass, tout s’origine dans la reconnaissance du caractère inéluctable de la disparition des choses. Tout converge dans le dévoilement de la dimension magique des objets et des êtres. Après la Seconde Guerre mondiale, Sottsass déclare s’être retrouvé vidé, « au milieu de ruines », sans rien. Il crée, en 1947, son agence d’architecture avec son père architecte, tout en travaillant pour des projets publicitaires, des scénographies de foires, etc.

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Il se met à fabriquer des petits objets, des sculptures, des vases qu’il expose et publie dans la revue Domus. La céramique arrive presque par hasard, en 1956, à l’occasion d’une commande qui lui est passée par un entrepreneur américain. Dès lors la céramique, qui précède l’invention de l’écriture, sera, pour Sottsass, ce qui lui permet de renouer avec des temps immémoriaux. Objet pauvre, la céramique sera associée au geste primordial qui relie l’homme au cosmos, ouvrant à la «fonction rituelle et symbolique » des objets. En 1961, son voyage en Inde s’avère initiatique, Sottsass éprouve alors une expérience sensorielle et émotionnelle intense, ainsi que le lien qui unit chaque chose à une autre. Gravement malade à son retour, il se rend pour se soigner, en 1962, à l’hôpital de Palo Alto en Californie, où il rédige, depuis sa chambre, un journal (East 128) à l’esthétique pop. Cette épreuve où il côtoie la mort renforce son intérêt pour la dimension magique et thérapeutique des choses, dont témoignent les Céramiques des Ténèbres (1963) et ensuite, les Offrandes à Shiva (1964) qui célèbrent le retour à la vie. La céramique, déclare Sottsass, est la vie même, toujours en mouvement. Sa pauvreté et sa simplicité l’émeuvent. Il lui semble que les céramiques ont tout enduré de l’histoire violente du monde et sont à même de conjurer la maladie et la mort. PALAZZI 7 VENEZIA

Ce poids rituel qu’apporte la céramique se retrouve dans ses créations à grande échelle, des Superbox (1966) pour Poltronova aux Menhirs, Ziggurat et Stupas qu’il expose en 1967 à la galerie Sperone à Milan. Les totems de grands disques de céramiques qu’il réalise alors, se donnent dans leur échelle anthropomorphique et transcendent l’objet pour accéder à une dimension d’environnement spatial. « Petites architectures », ou métaphores de tombes de cimetière, les Superbox sont des armoires qui, pour Sottsass, suspendent le temps, à la frontière du rationnel et de la magie. Proches du menhir, telles des formes archétypales, les Superbox, « étranges et indéchiffrables », construisent pour Sottsass « des lieux petits, mystérieux ». Pour Sottsass, le mobilier est un exercice d’architecture et les Superbox se donnent comme des expérimentations sensorielles, mémorielles, creuset d’un rapport magique à l’espace et au temps. Au début des années 1970, Sottsass traverse une crise existentielle, il s’éloigne de son agence, délaisse l’architecture et le design pour se tourner vers l’écriture et le dessin. Le design « comme métaphore sur la vie » le conduit au renoncement de l’objet. Il se dit alors « déserteur», abandonnant sa table de travail pour arpenter la nature ; (suit page 8)


(suit de la page 7) désertant les « styles », qui entravent son imaginaire. Sottsass s’enfuit, part dans le désert, traverse, avec l’artiste Eulalia Grau, les montagnes des Pyrénées et d’Espagne. Ce seront les séries de photographies des Design Metaphors (1971-1978), installations d’objets ou architectures inachevées au sein de paysages de montagnes, où Sottsass récolte des matériaux pauvres – morceaux de bois, feuilles, pierres, plumes d’oiseau, objets dont le destin est de disparaître ; matériaux ancestraux à partir desquels Sottsass réalise des constructions précaires qu’il photographie, tel un artiste conceptuel ou du Land Art. Les Design Metaphors (1971-1978) sont pour lui un exercice spirituel de reconquête « des actions les plus élémentaires ». Elles se donnent comme «une étude du langage architectural » (Barbara Radice) à travers lesquelles Sottsass s’interroge sur le « sens du construire » et le sens de la place qu’on occupe. Les Design Metaphors sont des constructions dans le paysage, réalisées « avec la matière de l’architecture », dira Sottsass. Comme les tombes des cimetières qu’il dessinait, enfant, et qui lui semblaient des architectures à son échelle, Sottsass donne un titre et un sujet

à chaque photo, sur le ton d’une question posée par un enfant. « Je voulais mettre le concept de design dans une condition presque ridicule » dira-t-il. « Quand par exemple je dessine une porte pour entrer dans l’ombre, je veux dire que la chose la plus importante n’est pas le dessin de la porte, mais ce qui se trouve derrière. » L’énigme du monde doit être toujours présente, aussi lancinante que la vibration cosmique des signes qui nous entourent. Cet espace du dénuement, Sottsass le trouvera dans le désert et les nombreux voyages qu’il fera à travers le monde, sur tous les continents. Voyage et photographie sont indissociables de son odyssée spirituelle. Sottsass dira qu’il voyage pour vivre et non pour voir des choses. C’est pour lui une « nécessité profonde » de visiter des lieux déserts, des montagnes, « d’établir une relation physique avec le cosmos, qui est le seul environnement qui soit, précisément parce qu’il ne peut être mesuré, anticipé, contrôlé ou connu… ». Pour Sottsass, sa vie est celle d’un nomade qui voyage pour survivre, pour approcher au plus près les zones liminaires de la vie et de la mort. Marie-Ange Brayer, conservatrice https://www.centrepompidou.fr/fr/magazine/article/ ettore-sottsass-de-la-spiritualite-dans-le-design PALAZZI 8 VENEZIA


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einture, sculpture et littérature, avant-gardes modernes, architecture radicale se déploient selon un parcours chronologique. Point fort de l’exposition : la reconstitution partielle d’une exposition historique, en 1969, à Stockholm (« Miljö för en ny planet», Nationalmuseum, Stockholm) avec la présentation d’un ensemble exceptionnel de céramiques monumentales qui participent de son approche du « design magique ». Pour Sottsass, il n’y a pas de différence entre une céramique, un meuble, une architecture, une photographie, un texte, chacun étant la ponctuation rituelle d’un tout cosmique. Designer, architecte, écrivain, Ettore Sottsass Jr. (Innsbruck, Autriche, 1917 - Milan, Italie, 2007) est un précurseur à chaque période de sa vie. Opposé au rationalisme, il ne cesse de revendiquer une expérience émotionnelle des objets. Il envisage le design comme une manière de refonder l’architecture, ainsi que de tisser un lien nouveau entre l’homme et les objets : « J’ai toujours pensé que le design commençait là où finissent les processus rationnels et où commencent ceux de la magie. » L’exposition débute avec les premières créations d’Ettore Sottsass, dans les années 1940, nourries par les avant-gardes artistiques et architecturales (cubisme, constructivisme, ou encore néo-plasticisme). Il réalise alors des œuvres à appréhender comme des « constructions spatiales » (Maquet-

Ettore Sottsass L’objet magique

13 oct. 2021 / 3 janv. 2022 L’exposition réunit un ensemble unique de pièces historiques majeures du designer italien Ettore Sottsass (1917-2007), des années 1940 aux années 1980. Plus de quatre cents œuvres (dessins, peintures, objets de design), cinq cents photographies et deux cents documents inédits issus des archives de la bibliothèque Kandinsky, mettent l’accent sur toutes les composantes créatrices de son œuvre.

Centre Pompidou

Place Georges-Pompidou 75004 Paris

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te spatiale, 1947, coll. Mnam-Cci), « objets architecturaux», à la croisée de la peinture, sculpture et de la maquette. À partir de 1947, il fonde son agence de design à Milan et commence à réaliser des objets de mobilier et des projets d’aménagement intérieur. Cette époque est, pour lui, celle des premières expérimentations où il est tout à la fois architecte, designer, peintre, sculpteur, scénographe, graphiste, critique, etc. Ettore Sottsass réalise en 1956 ses toutes premières céramiques. Matière pauvre, l’argile relie l’homme au cosmos, ouvrant à une «fonction rituelle et symbolique » des objets. Après un voyage en Inde en 1961, il contracte une grave maladie qui le conduit en Californie. De cette période sombre naissent, en 1963, les Céramiques des ténèbres, ponctuées de dessins diagrammatiques. En 1969, il expose un ensemble de céramiques monumentales, entre architectures primitives et totems chamaniques, au musée d’art moderne de Stockholm dont une reconstitution partielle est présentée dans cette exposition. Le « poids rituel » que Sottsass confère aux objets se retrouve à toutes les échelles, y compris ses créations de bijoux. (segue pagina 10)


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(segue dalla pagina 9) Les années 1960-1970 sont aussi celles des expérimentations radicales, entre design et architecture, dont témoignent les Meubles containers, réalisés en 1972 pour le MoMA à New York. En 1981, Sottsass fonde le groupe Memphis. Par sa vision libératoire du design, Memphis jette les bases d’une autre approche créative, pointant la faillite des idéologies modernes au profit d’une dimension émotionnelle et sensorielle des objets. Le renouveau décoratif, initié par Memphis, à travers les motifs, les couleurs, les matériaux et une expressivité nouvelle de l’objet, ouvre sur des expérimentations infinies de formes, qui seront présentées dans un environnement immersif de motifs créés par Sottsass. Cette exposition permet également de découvrir la passion d’Ettore Sottsass pour la photographie comme instrument de captation du réel. Pour lui, voyage et photographie participent d’une même odyssée spirituelle et nourrissent son œuvre et son concept de « pensée magique ». Plusieurs centaines de photographies inédites seront présentées, issues du fonds de la bibliothèque Kandinsky. www.centrepompidou.fr/

endant quelques secondes, le “Divin Claudio”, surnom du musicien Claudio Monteverdi, né à Crémone le 9 mai 1567, semble encore être parmi nous. Il tourne la tête, esquisse un sourire, arque un sourcil, et cherche un contact visuel inexistant. La magie du mouvement est une astuce d’intelligence artificielle, mais son visage (et sa silhouette) réalistes sont l’œuvre du peintre Bernardo Strozzi (15811644), l’un des principaux protagonistes de la saison animée du baroque génois, qui l’a représenté en 1640. Ce tableau est le premier d’une série de vidéos intitulée “Art Contemplations”, dans laquelle Peter Assmann, historien de l’art et directeur des Tiroler Landesmuseen, le réseau des musées régionaux du Tyrol, dont le Ferdinadenum à Innsbruck, s’intéresse de près aux “images de personnes”. Monteverdi est sans aucun doute l’une des figures les plus importantes du patrimoine artistique italien : il est le musicien qui a créé l’Opéra, une formule destinée à un succès extraordinaire, l’emblème même de notre pays. L’événement théâtral qu’il a créé au début du XVIIe siècle a immédiatement suscité un tel enthousiasme qu’il est passé du statut de somptueux divertissement privé pour les familles nobles à celui de spectacle populaire et payant, exporté puis imité dans le monde entier. Sans l’exemple de ses chefs-d’œuvre, un genre qui a enchanté Mozart, par exemple, puis conduit à Verdi, PALAZZI 10 VENEZIA


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Rossini et Wagner, pour ne citer que quelques noms (illustres), ne se serait pas développé. Le tableau de Strozzi le représente alors qu’il a environ 50 ans et qu’il est au sommet de sa gloire en tant que Maestro di cappella de la basilique Saint-Marc à Venise : une célébrité de son temps, immortalisée par l’un des plus importants peintres du XVIIe siècle dans un chef-d’œuvre qui rappelle les atmosphères du Caravage, de Rubens et de Van Dyck. Le portrait de Claudio Monteverdi par Bernardo Strozzi n’est qu’un des trésors cachés du Ferdinandeum d’Innsbruck, la maison de l’art de la ville, le musée qui propose un voyage à travers 30 000 ans d’histoire du Tyrol avec une visite de l’âge de pierre à nos jours. Les diverses collections font du Ferdinandeum non seulement la “mémoire du Tyrol”, mais aussi une institution culturelle de renommée internationale. Son histoire a commencé il y a deux siècles lorsque, à l’initiative de l’archiduc Jean et du gouverneur du Tyrol, Karl Graf Chotek, l’assemblée constitutive pour la fondation du musée a eu lieu le 13 mai 1823. Héritier du trône, l’archiduc Ferdinand assume le protectorat et accepte le nom de Ferdinandeum. Les premières collections ont été constituées grâce à des dons de la population et à des achats ciblés par l’association du musée. Conçu par l’architecte Anton Mutschlechner, la première pierre a été posée en octobre 1842. Trois ans plus tard, le 15 mai 1845, le musée est inau-

guré par l’archiduc Jean. La façade a été conçue par l’architecte Natale Tommasi dans le style de la néo-Renaissance florentine : avec son vestibule à piliers, elle présente une structure très plastique (qui laisse parfaitement visibles son volume et la richesse de ses formes articulées) des frises horizontales, des corniches réunies en bandes et un parapet décoré de sculptures. Un bâtiment au charme unique. Depuis sa fondation, le Ferdinandeum est un narrateur de l’histoire culturelle de son pays, mais avec une orientation européenne. Aujourd’hui, il expose une exceptionnelle collection hollandaise (dont Rembrandt et Brueghel), des portraits d’artistes tyroliens célèbres, des têtes de poètes et de scientifiques sculptées dans du marbre d’Arco par Anton Spagnoli, des objets Biedermeier et des instruments de musique de grande valeur, comme ceux fabriqués par le luthier tyrolien Jakob Stainer. D’autres éléments particuliers sont l’autel ailé du château du Tyrol datant de 1370 et la coupe Artuqid, à l’intérieur de laquelle se trouve un médaillon avec l’Apothéose d’Alexandre le Grand, un émail byzantin de la première moitié du XIIe siècle. Avec ses collections, (suit page 12)


(suit de la page 11) le Ferdinandeum se classe parmi les leaders internationaux des musées d’État et nationaux. Il fait partie intégrante et reflète l’identité du Tyrol et surtout d’Innsbruck, une ville où les contraires se rencontrent, car elle est tournée vers l’avenir mais fière de son passé. Palais de la Renaissance, résidences baroques, mais aussi œuvres contemporaines audacieuses en font une ville aux multiples facettes où histoire et modernité, culture et nature coexistent en équilibre. Un lieu capable d’accueillir le visiteur dans une étreinte, symboliquement représentée par les montagnes qui encerclent la ville de tous côtés. Innsbruck cultive en effet une relation particulière avec l’environnement: depuis plus de vingt ans, elle a adopté un modèle de réaménagement attentif à la verdure, aux espaces publics et au développement d’infrastructures (comme les pistes cyclables) capables de renforcer la relation entre le tissu urbain et l’environnement naturel. On peut voir les extrêmes en se promenant dans les pittoresques rues médiévales, pleines de pâtisseries et de boutiques de souvenirs : mais juste à l’extérieur du vieux centre, on trouve de nombreux témoignages qui, au cours des deux dernières décennies, ont fait d’Innsbruck une ville qui

a évolué, également d’un point de vue architectural. Un exemple : les sommets de la chaîne de montagnes Nordkette, que l’on peut atteindre en vingt minutes à peine depuis le centre par le Hungerburgbahn, le funiculaire inauguré en 1928, mais désormais célèbre dans le monde entier pour les quatre stations de son parcours conçues par Zaha Hadid Architects comme des nuages de verre visionnaires. L’art et l’innovation vont de pair à Innsbruck depuis des siècles, peut-être parce que les magnifiques paysages d’Innsbruck ont toujours été une source d’inspiration pour la peinture, la musique, la littérature et l’architecture. La beauté de la nature est la toile de fond intellectuelle et concrète de nombreux romans, peintures et airs de musique. Pour accéder facilement aux grands maîtres du passé et du présent et découvrir les coulisses de l’activité culturelle dynamique de l’Autriche, le site web d’Autriche Tourisme propose, dans la section Artistes et chefs-d’œuvre, une sélection substantielle des plus beaux chefs-d’œuvre, une galerie d’images et d’histoires qui peuvent devenir une source d’inspiration. Entre art, architecture, design, musique, science et mode, vous serez emmené dans un voyage de découverte à travers certains des lieux les plus magiques d’Autriche. C’est la première étape pour savourer Innsbruck et son paysage alpin, au milieu de trésors culturels et de merveilles naturelles. Marco Basileo https://www.ad-italia.it/ PALAZZI 12 VENEZIA


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tochtones d’Amérique et d’Alaska. La Renwick Invitational 2023, une vitrine biennale pour les artistes émergents qui a vu le jour en 2000, présentera les œuvres d’artistes issus de nations tribales de l’Alaska, de Washington, du Minnesota et du Maine. Organisées autour du double thème des “honneurs et des fardeaux”, les œuvres évoqueront également le “sens de la responsabilité qui va de pair avec ces honneurs et ces fardeaux”, explique M. Evans. Parmi les jurés de l’exposition figure Anya Montiel (d’origine mexicaine/ tohono o’odham), conendant des décennies, les efforts artistiques servatrice au National des Amérindiens et d’autres groupes indiMuseum of the American gènes ont rarement été reconnus comme de Indian. l’art. “En tant que personne qui L’art amérindien était exposé séparément et isolémtravaille dans le domaine ent de l’art occidental ou américain, souvent présenté de l’art autochtone depuis comme un artefact anthropologique et non comme une près de 25 ans, je suis très expression contemporaine et vivante. enthousiaste à l’idée de Ces dernières années, des expositions bien intentionl’exposition Renwick Innées organisées dans des lieux aussi prestigieux que vitational 2023”, déclarele Metropolitan Museum of Art de New York et l’Art t-elle. Institute of Chicago ont fait fi de ces antécédents hiD’autres expositions d’art storiques. amérindien ont eu lieu au Pourtant, ces expositions n’ont pas échappé aux critiRenwick, rappelle Mme ques ; elles n’ont pas bénéficié de la participation critiMontiel, notamment que d’universitaires, de conservateurs et de conseillers l’exposition de 1972 inautochtones. titulée “Pueblo Pottery La semaine dernière, le Smithsonian American Art : Zuni and Acoma DesiMuseum a annoncé que la dixième édition de la gns from the Smithsonian Renwick Gallery Invitational, qui ouvrira ses portes Collections” de 1972. en mai 2023, sera entièrement consacrée à six artistes La nouvelle exposition, indigènes et sera organisée par Lara M. Evans (nation SMITHSONIAN MUSEUM dit-elle, “est une occacherokee), directrice du Research Center for Contemporary Native Arts de l’Institute of American Indian 1000 Madison Drive NW sion pour les visiteurs et les amateurs d’artisanat Arts de Santa Fe. Washington, D.C. 20560 américain de voir comL’exposition place stratégiquement “les artistes autochtones dans le tissu de l’art américain”, explique https://www.smithsonianmag. ment les visions du monLara M. Evans, qui a également fait partie du jury de com/smithsonian-institution/ de indigènes, les terres l’exposition, lequel est composé de personnes con- native-artists-and-their-wor- natales et le moment présent (suit page 14) naissant parfaitement les artisans contemporains au- ks-receive-major-recognition

NATIVE ARTISTS

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(suit de la page 13) influencent ce que les artistes indigènes font aujourd’hui”. Six artistes autochtones et leurs œuvres reçoivent une reconnaissance majeure L’exposition sera organisée par Lara M. Evans (nation cherokee), directrice du Research Center for Contemporary Native Arts de l’Institute of American Indian Arts de Santa Fe. Jason Ordaz Les artistes sélectionnés pour concrétiser la vision de l’exposition sont Joe Feddersen (Arrow Lakes/ Okanagan) ; les sœurs Lily Hope (Tlingit) et Ursala Hudson (Tlingit), qui travailleront en duo ; Erica Lord (Athabaskan/ Iñupiat) ; Geo Neptune (Passamaquoddy) ; et Maggie Thompson (Fond du Lac Ojibwe). “Je suis époustouflée”, déclare Hope, qui ajoute qu’elle est heureuse d’être “suffisamment présente dans le monde de l’art pour être acceptée et incluse dans cette exposition”. Hope, de Juneau, en Alaska, pratique le tissage Chilkat et Ravenstail depuis son adolescence, ayant appris de sa mère, Clarissa Rizal (Tlingit). “Si je voulais passer du temps avec elle, il fallait que je fasse ce qu’elle faisait”, dit Hope, notant que le style de tissage Chilkat, pratiqué par les Tlingit, les Haida, les Tsimshian et d’autres nations de la côte nord-ouest, demande beaucoup de travail.

Une couverture Chilkat (dont le fil est fait de laine de chèvre de montagne et d’écorce de cèdre ) peut prendre jusqu’à 2 000 heures, soit un à quatre ans, selon Mme Hope. De nos jours, seule une douzaine de tisserands consacrent le temps et les efforts nécessaires à la fabrication des robes de cérémonie, mais c’est devenu une passion pour Hope, qui a abandonné une carrière d’enseignante et enseigne désormais le tissage. Après le décès de sa mère des suites d’un cancer en 2016, la poursuite du tissage “a été une révélation, une prise de conscience et l’acceptation de ce travail comme étant celui que je suis censée faire”, déclare Hope, notant qu’il s’agit également de “s’assurer que plus de deux personnes prennent ma place lorsque je passe dans le royaume des esprits”. Elle fournira plusieurs couvertures, dont une en cours de réalisation intitulée “Between Worlds” en l’honneur de Rizal. Hope est également très enthousiaste à l’idée de fabriquer et de présenter un plat à feu, conçu pour contenir et transporter les aliments préférés d’un être cher vers le royaume des esprits, qui est tissé et non sculpté dans du bois. En général, ces plats à feu sont brûlés en l’honneur de la personne décédée. Six artistes autochtones et leurs œuvres reçoivent une reconnaissance majeure Geo Neptune (Passamaquoddy) utilise le bois des frênes noirs pour tresser des paniers aux couleurs vives et PALAZZI 14 VENEZIA


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fantaisistes. Sipsis Peciptaq Elamoqessik (Passamaquoddy) Hope créera également quelques œuvres avec sa sœur Hudson, tisserande, photographe, peintre et graveuse, qui a reçu une bourse LIFT 2021 de la Native Arts and Cultures Foundation de Vancouver. La Fondation a également accordé à Hope la bourse SHIFT 2021, qui soutient des projets répondant à des questions de justice sociale, environnementale ou économique à travers une optique autochtone. Elle a aidé l’État de l’Alaska avec son projet #WhyAKMasksUp destiné à encourager les populations autochtones à porter des masques pendant la pandémie de Covid-19. Hope a également fabriqué des masques protecteurs Chilkat et des brassards en l’honneur de Black Lives Matter. Certains des masques Protector seront présentés dans l’exposition de Renwick. Ensemble, Hope et Hudson visent à utiliser leurs pièces collaboratives pour amener ce qui a traditionnellement été un travail tissé par des femmes pour des hommes dans un espace plus féminin, dit Hope. Elles cherchent également à faire reconnaître la notion de tissage Chilkat comme une forme d’art vivante et évolutive. Les autres artistes présenteront également des œuvres contemporaines ancrées dans la tradition. Feddersen, graveur, verrier et vannier, crée des motifs abstraits à partir de la vie ordinaire, qu’il représente dans ses œuvres de la manière dont les motifs sont

voir les vidéos https://youtu.be/ D2drTA_6u6Q https://youtu.be/ A8Ar1xBXCZA

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généralement utilisés dans les arts de la région du Plateau, entre les Rocheuses et les Cascades, explique Evans. “Il utilise le savoir des traditions et le transforme en de nouveaux matériaux et de nouveaux contextes”, par exemple en utilisant du fil au lieu d’herbes indigènes ou de verre pour fabriquer ses paniers, dit-elle. Ses œuvres ont tendance à refléter la relation entre l’homme et l’environnement. Six artistes autochtones et leurs œuvres reçoivent une reconnaissance majeure “Il s’agit d’un point de départ pour que non seulement les œuvres artisanales soient remarquées comme des œuvres d’art, mais aussi pour que les œuvres artisanales autochtones soient élevées au rang d’œuvres d’art”, déclare Lily Hope (Tlingit). Sydney Akagi Pour l’exposition de Renwick, l’artiste multimédia Lord mettra l’accent sur le thème du fardeau, notamment en réalisant des représentations graphiques du matériel génétique de certaines maladies qui touchent de manière disproportionnée les communautés autochtones. Les œuvres ressembleront à des “sangles de fardeau”, universellement utilisées dans les cultures amérindiennes pour aider à porter de lourdes charges. (suit page 16)


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(suit de la page 15) Au Renwick, elles auront plusieurs significations, notamment celle du fardeau de la maladie qui pèse sur les populations à risque, explique M. Evans. Neptune, maître vannier, activiste, éducateur et bispirituel, mettra l’accent sur le fardeau que représente le maintien d’une tradition alors même que les matériaux traditionnels disparaissent. L’artiste non binaire - qui a remporté une bourse Berresford de 50 000 dollars en février 2021 - utilise le bois du frêne noir pour tresser des paniers aux couleurs vives et fantaisistes. Mais l’agrile du frêne, une espèce envahissante venue d’Asie, a décimé les frênes noirs dans la région des Grands Lacs et du Nord-Est. Les Neptune, qui ont appris la vannerie auprès de leur grand-mère Molly Neptune Parker (lauréate du National Endowment for the Arts Heritage Fellow), tressent depuis l’âge de quatre ans. Aujourd’hui, elles enseignent les techniques à une nouvelle génération et tentent également de préserver les arbres, explique Mme Evans. “C’est à la fois un fardeau et un honneur”, dit-elle. Le deuil sera un thème récurrent dans la série, car il va souvent de pair avec l’honneur. La pandémie de Covid-19 sera directement évoquée par certains des artistes et de manière périphérique

Alicia Ault est une journaliste basée à Washington, DC, dont les travaux ont parus dans des publications telles que le New York Times, le Washington Post et Wired. Lorsqu’elle n’est pas à la recherche d’une histoire dans la capitale, elle profite de la nourriture, de la musique et de la culture du sud-ouest de la Louisiane depuis le perchoir paisible de sa résidence secondaire à la Nouvelle-Orléans.

par d’autres. Selon Evans, l’artiste textile du Minnesota Maggie Thompson a été “poussée” à honorer son père, décédé d’un cancer du pancréas en 2014. Dans son installation, l’utilitaire et le laid seront rendus beaux, avec des quilts traditionnels en étoile ornant une série de sacs mortuaires. “Nous sommes si nombreux à avoir vécu un deuil lié à la pandémie que la transformation de quelque chose d’ordinaire, de fonctionnel et d’horrible en quelque chose de beau, qui honore une personne, est vraiment touchante”, explique Mme Evans. Mme Evans espère que les visiteurs auront une compréhension plus nuancée des thèmes complexes que sont les honneurs et les fardeaux, et qu’ils “pourront établir des liens avec des modèles qu’ils observent dans leur propre vie”. Tout aussi important, elle souhaite qu’ils “repartent en appréciant le travail actuel des artistes autochtones”. Hope souhaite également faire passer un message. “Il s’agit d’un point de départ non seulement pour que l’artisanat soit considéré comme de l’art, mais aussi pour que l’artisanat autochtone soit élevé au rang d’art”, dit-elle. “Parce que c’est le cas.” Alicia Ault https://www.smithsonianmag.com/smithsonian-institution/native-artists-and-their-works-receive-major-recognition

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ne exposition provocation de l’artiste chinois dissident Badiucao a été inaugurée samedi 13 novembre dans la ville industrielle de Brescia, dans le nord de l’Italie, malgré les pressions exercées par l’ambassade de Chine à Rome pour l’annuler. Une lettre de l’ambassade contenait des menaces économiques voilées, faisant état des échanges commerciaux de l’Italie avec la Chine, dans le but d’empêcher la première exposition personnelle de Badiucao - le pseudonyme utilisé par l’artiste dont le travail s’attaque à la politique et aux droits de l’homme en Chine. Le maire de Brescia, Emilio Del Bono, “a réagi avec délicatesse et fermeté”, a déclaré Elettra Stamboulis, commissaire de l’exposition au Musée de Santa Giulia de la ville. “Bien sûr, nous sommes toujours un peu inquiets, pas tant pour la sécurité de l’artiste, mais parce que nous savons qu’il existe des moyens plus glauques de faire taire les artistes dissidents”, a-t-elle déclaré. Après qu’une précédente tentative d’exposition solo à Hong Kong en 2018 ait été annulée sous la pression, Badiucao a déclaré être “fier et heureux” que l’exposition de Brescia soit enfin ouverte au public. Le “Banksy chinois”, le dessinateur Badiucao, fait tomber son masque pour marquer l’anniversaire de Tiananmen. “Parce que mon art se concentre toujours sur les questions de droits de l’homme en Chine ... cela fait de moi presque le type d’ennemi numéro 1”, a déclaré PALAZZI 17 VENEZIA

Badiucao. “Ils me traquent. Ils me harcèlent, harcèlent mes familles, menacent les personnes qui travaillent avec moi en permanence. C’est pourquoi, pour moi, il est vraiment difficile d’avoir une exposition dans une galerie établie, un musée comme celui-ci.” L’exposition, qui se tient jusqu’au 13 février, retrace la carrière artistique de Badiucao depuis ses débuts jusqu’aux œuvres les plus récentes créées en réponse à la crise sanitaire déclenchée par la pandémie de Covid-19. Ancien assistant de l’artiste dissident chinois Ai Weiwei, basé à Berlin, Badiucau travaille actuellement en exil en Australie. Les œuvres vont de la peinture à l’huile aux installations et à l’art de la performance. L’une d’entre elles évoque le scandale du lait maternisé contaminé exporté par la Chine en 2018, une autre rappelle la répression de la place Tiananmen et une autre encore représente le “mouvement des parapluies” de Hong Kong dans le cadre des manifestations pro-démocratie réprimées par la Chine. Pendant les jours d’ouverture de l’exposition, Badiucao s’assiéra sur une chaise de torture et lira un extrait du journal intime que lui a confié un habitant de Wuhan, la ville chinoise où le coronavirus (suit page 18)


CLAUDE MONET A VENISE

Photo ghaleriemaubert

(suit de la page 17) a été détecté pour la première fois. J’en veux vraiment à Banksy, car il ne fait jamais d’œuvres qui critiquent le gouvernement chinois. Badiucao “J’ai donc lancé un appel public sur Twitter aux habitants de Wuhan pour leur dire que j’aimerais partager le fardeau et le risque avec eux, et que si vous me faites confiance, vous pouvez envoyer vos informations”, a déclaré Badiucao. Le journal intime, qui sera lu en mandarin, contient 100 jours d’enregistrements. L’artiste a gardé son identité secrète pendant de nombreuses années, portant des masques lors de ses apparitions publiques pour protéger les membres de sa famille. Ce long secret a suscité des comparaisons avec le graffeur britannique Banksy, dont la véritable identité reste entourée de mystère. Mais, selon Badiucao, toute comparaison passe à côté de l’essentiel. “Si l’identité de Banksy est révélée, il ne sera pas, ou elle ne sera pas, pourchassé par la police de sécurité nationale du Royaume-Uni, ce qui dans mon cas est totalement différent”, a-t-il déclaré. “Mais aussi, je suis vraiment en colère contre Banksy, parce qu’il ne fait jamais d’œuvres d’art qui critiquent le gouvernement chinois.” https://www.scmp.com/news

es toiles que Monet a peintes lors de son unique voyage à Venise à l’automne 1908 sont parmi les plus connues et les plus populaires. Elles sont pourtant en nombre assez réduit : 37 toiles représentant une dizaine de sujets différents, pris à quelques centaines de mètres les uns des autres. “Bien que je sois enthousiasmé de Venise et que j’y aie commencé quelques toiles, je crains bien de ne pouvoir rapporter que des commencements qui seront uniquement des souvenirs pour moi”, écrit-il au marchand d’art Gaston Bernheim le 25 octobre. De l’avis même de Monet, le peintre n’a réalisé “que des commencements” à Venise. Bien que les toiles aient été terminées en atelier par la suite, elles n’ont pas l’empâtement d’autres oeuvres qui ont donné au peintre bien des difficultés, comme les Cathédrales de Rouen. Monet ne savait pas en partant s’il aurait envie de peindre à Venise. Peut-être se méfiait-il de ce sujet rebâché par tous les peintres. Pour ne rien décider d’avance, il a préparé un envoi de quelques châssis, au cas où. Et puis, une fois sur place, voilà que Monet est “saisi par Venise”. Après plusieurs jours de repérage, il est pris de l’urgence de peindre. Dans la suite de vues vénitiennes qu’il réalise, on peut voir quelque chose du touriste qui veut emporter des images de son voyage. De fait, il jette son dévolu sur des thèmes consacrés - le palais des Doges, San Giorgio par exemple - sur la vue depuis son logement - le palais da Mula - ou sur des scènes typiques comme le rio de la Salute. Mais peu à peu, le séjour se transforme en véritable campagne de peinture, comme il en a déjà entrepris de nombreuses. Monet, le peintre de l’eau et des monuments, vit le choc d’une rencontre avec la ville qui confond les deux. Monet a 68 ans quand il découvre Venise.

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Il est déjà allé en Italie, mais seulement sur la Riviera, à Bordighera. C’est l’invitation d’une amie anglaise, Mary Hunter, qui dispose du palais Barbaro appartenant à Mrs Curtis, sur le Grand Canal, qui le décide à se rendre dans la Sérénissime. Le voyage comble de joie son épouse Alice : habituellement, tous deux ne s’éloignent guère de Giverny, où Monet explore les secrets de son étang aux Nymphéas depuis cinq ans déjà. “Nous avions des pigeons partout et j’en faisais une légère grimace de peur. Mais on a pris le moment où ils étaient envolés..” C’est grâce à Alice que nous connaissons les détails de ce séjour italien. Tous les jours, elle écrit à sa fille Germaine Salerou. Cette correspondance quotidienne a été publiée en 1986 par le petit-fils de Germaine Salerou (Philippe Piguet, “Monet et Venise”, éd. Herscher). Les Monet arrivent à Venise par le train, le 1er octobre 1908.

“C’est trop beau pour être peint ! C’est inrendable !” s’écrie Monet, en admiration. Mais bien sûr, il relève le défi. Dès que son matériel lui est livré et que le temps le permet, le 9 octobre, le voilà à la tâche. Sa journée est réglée par la course du soleil : à 8 heures, il est à San Giorgio Maggiore, face à la place San Marco. A 10 heures, il se rend place San Marco, en face de San Giorgio. Après déjeuner, Monet travaille sur les marches du Palazzo Barbaro. En fin de journée, Monet s’offre un moment de détente, il se promène en gondole avec Alice. Ils admirent le coucher du soleil et sont de retour à 19h. Après les avoir accueillis pendant quinze jours, Mary Hunter est obligée de quitter Venise. Les Monet s’installent alors au Grand Hôtel Britannia, car Monet a “commencé à peindre des merveilles” sous les yeux admiratifs de sa femme. Enthousiasmé par le temps splendide,

chaque jour, il met en train de nouvelles toiles. L’emploi du temps du matin ne change pas, l’après-midi, Monet peint “dans le canal” puis de la fenêtre de sa chambre. “La vue depuis nos fenêtres est merveilleuse, on ne peut rien rêver de plus beau et c’est tout pour Monet”, raconte Alice. Les Monet apprécient le confort de l’hôtel et son “éclairage électrique vraiment magique. Monet voit ses toiles, c’est délicieux et vous ferait désirer l’avoir chez soi”. Ils feront installer l’électricité à Giverny dès leur retour. Plusieurs jours de mauvais temps font enrager Monet en le condamnant à l’inaction. Il parle de rentrer et de revenir l’année suivante ; le doute s’installe ; il trouve ses toiles mauvaises. Mais quand le soleil refait son apparition, Monet retrouve bientôt son ardeur au travail. Ces variations dans le moral se reproduisent plusieurs fois. Malgré ces interruptions, le travail avance, Alice est “heureuse de voir Monet si plein d’ardeur, et faisant de si belles choses, et, entre nous, autres que les éternels nymphéas”. Ce n’est que le froid qui fait renoncer Monet, malgré la fourrure aimablement prêtée par Louis Aston Knight, jeune peintre Américain installé à Rolleboise, près de Giverny, et retrouvé par hasard à l’hôtel. Le 3 décembre, Monet peint une dernière esquisse, une gondole. Le 7 décembre, c’est le retour, après deux mois de séjour dans la cité vénitienne. Ils ne devaient jamais revenir. La santé d’Alice se dégrade peu après leur retour. Elle meurt en 1911. Monet mettra longtemps avant

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de finir en atelier les toiles de Venise. En effet, il attend novembre 1910 pour se décider à en retoucher un certain nombre. Mais il laisse en l’état la dernière, la gondole, qu’il offre à son ami Georges Clemenceau. Elle est aujourd’hui conservée au musée des Beaux-Arts de Nantes. 29 toiles sont exposées quatre ans après le voyage, en 1912, à la galerie Bernheim-Jeune à Paris. L’exposition connaît un immense succès. Citons simplement le bel hommage de Paul Signac, plus jeune que Monet de 23 ans : “J’ai eu la joie de voir une grande part de vos oeuvres nouvelles. Et j’ai éprouvé devant vos “Venise”, devant l’admirable interprétation de ces motifs que je connais si bien, une émotion aussi complète, aussi forte, que celle que j’ai ressentie, vers 1879, devant vos “Gares”, vos “Rues pavoisées”, vos “Arbres en fleurs”, et qui a décidé de ma carrière... Toujours un Monet m’a ému. Toujours j’y ai puisé un enseignement, et aux jours de découragement et de doute, un Monet était pour moi un ami et un guide. Et ces “Venise”, (...) je les admire comme la plus haute manifestation de votre art”. https://www.facebook.com/ yoyo.maeght.officiel/


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amais peut-être n’y eut-il de peintre ou d’artiste qui n’ait autant consacré son talent et son œuvre à la célébration de sa femme que Marc Chagall (1887– 1985). Elle s’appelle Bella Rosenfeld (1889–1944) et c’est au cours de sa vingtième année que le peintre entre dans sa vie. La scène est inaugurale, elle relève des plus belles représentations du coup de foudre, thème éminemment romanesque. On connaît celles qu’ont rapportées Flaubert, Rousseau, Madame de La Fayette, Stendhal, Balzac ; il faut lire aussi le récit de la rencontre que Chagall raconte dans son autobiographie. Dans sa brièveté, la rencontre illumine ses mémoires et donne la mesure de l’ampleur de l’inspiration que Bella sut lui insuffler. Jeune homme, Marc ne

En 1909, Marc Chagall rencontre Bella Rosenfeld. Le coup de foudre est immédiat. Muse, épouse, complice, la jeune femme habitera les tableaux comme le cœur de l’artiste pendant trente-cinq ans, et par-delà la mort. C’est cet amour absolu que raconte Alain Vircondelet dans notre livre, Amours fous, Passions fatales, consacré aux grandes passions amoureuses de l’art. Extrait.

compte plus ce qu’il appelle « les enfantillages romanesques ». Peu déluré mais très attiré par les jeunes filles, il tente de les séduire : Olga, Théa, Aniouta, Nina, elles défilent toutes dans son livre de souvenirs comme pour lui rappeler l’enchantement des vertes amours enfantines à Saint-Pétersbourg et à Vitebsk. C’est lors d’une visite chez l’une d’entre elles, Théa, dont il se croit amoureux, qu’il fait la connaissance de Bella Rosenfeld. Des décennies après, malgré celles qui lui ont succédé et dont il aura des enfants, accru par le souvenir éploré de sa mort, il s’en souvient encore : la fulgurance du souvenir traverse sa mémoire comme elle traversera sans cesse l’œuvre entière, pour la plus grande part dédiée à la défunte. Tandis qu’il converse avec Théa, on sonne chez elle. « Qui est-ce donc ? se dit-il. C’est une amie de Théa. Elle entre. Sa voix retentit, elle gazouille avec Théa. Je reste encore dans le cabinet. Je ne sors pas. Si, je suis sorti, mais l’amie, me tournant le dos, ne peut m’apercevoir. Je sens… Qu’est-ce que je sens ? […] Qui est-elle ? J’ai peur. Non, je veux l’aborder, me rapprocher d’elle. Mais déjà elle prend congé de Théa. Elle me regarde à peine et s’en va. Nous partons, Théa et moi, nous promener. Sur le pont, nous la rencontrons de nouveau. Elle est seule, toute seule. Brusquement je sens que ce n’est pas avec Théa que je dois être mais avec elle ! « Son silence est le mien. Ses yeux, les miens. C’est comme si elle me connaissait depuis longtemps, comme si elle savait tout de mon enfance, de mon présent, de mon avenir ; comme si elle veillait sur moi, me devinant du plus près, bien que je

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MARC & BELLA CHAGALL

la voie pour la première fois. Je sentis que c’était elle ma femme. Son teint pâle, ses yeux. Comme ils sont grands, ronds et noirs ! Ce sont mes yeux, mon âme. Théa me parut indifférente, étrangère. Je suis entré dans une maison nouvelle, et j’en suis inséparable. » Bella aura été le modèle et la muse constante du peintre, iconisée d’une certaine manière en éternelle fiancée survolant le ciel de ses compositions oniriques. À ce souvenir écrit en 1922, Chagall se tiendra jusqu’à la mort de Bella, en 1944, emportée par une infection virale alors qu’ils sont réfugiés aux États-Unis. Il s’y tiendra même bien au-delà de la mort, conservant avec elle un lien indéfectible, ravivé sans cesse par sa peinture. Car Bella aura été le modèle et la muse constante du peintre, iconisée d’une certaine manière en éternelle fiancée survolant le ciel de ses compositions oniriques. Pourtant, la vie aurait pu contrarier les projets du jeune homme amoureux des femmes. En 1909, le père de Bella est un riche bijoutier juif de la ville de Vitebsk, aujourd’hui en Biélorussie mais faisant alors encore partie de l’Empire russe. Bella a vingt ans et Chagall deux ans de plus. Il est l’élève du peintre russe Léon Bakst, très prisé en Europe pour ses multiples talents de dessinateur, de peintre, de décorateur et de costumier.

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Reconnu à la Cour et à l’Académie des beaux-arts, il se manifeste pourtant pour un art nouveau qui, tout en refusant la déconstruction du cubisme, s’attache à renouveler la tradition russe en la modernisant par des jeux de symétrie et de couleurs dont les arts décoratifs européens vont s’emparer. Particulièrement lié aux Ballets russes, Bakst réalise, à l’époque où il enseigne la peinture à Chagall, des décors et des costumes restés célèbres pour, notamment, “L’Oiseau de feu” ou “Schéhérazade”. Il est très estimé par Marcel Proust qui l’admire « profondément», prétendant ne rien connaître de plus beau que «Schéhérazade ». Chagall se résout à partir à Paris, devenu le plus grand centre de l’art. C’est un émerveillement pour lui et une découverte qui va le stimuler. Intéressé par le fauvisme, pour son usage flamboyant des couleurs et leur audace, et par le cubisme dont il ne parvient pas cependant à accepter totalement la déconstruction, il fréquente des artistes de la bohème qui vont faire l’art du XXe siècle : le Douanier Rousseau, Jean Metzinger, Paul Klee ; il se lie d’amitié avec Robert Delaunay et Guillaume Apollinaire et entreprend de se consacrer à sa propre inspiration, (suit page 22)


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(suit de la page 21) faite de souvenirs lointains, comme filtrés, de sa petite ville de Vitebsk, de la vie quotidienne juive, auxquels se mêlent dans un savant désordre mémoriel la tour Eiffel et Montmartre. En 1914, il expose pour la première fois au Salon des indépendants puis à Berlin aux côtés de Paul Klee et d’Alfred Kubin. Est-ce le souvenir de Bella, jamais oubliée, qui le ramène en Russie la même année ? Entre-temps, elle est devenue une ravissante jeune femme, elle a vingt-cinq ans et nul ne peut entraver désormais l’amour qui les a déjà unis cinq ans plus tôt. Il l’épouse en 1915 et Bella, en 1916, donne naissance à leur fille, Ida. La guerre ayant éclaté en France, ils se sont installés dans la ville de leur jeunesse, à Vitebsk, où Chagall devient, à la révolution de 1917, « commissaire aux beaux-arts». En 1919, il est nommé directeur de l’école des Beaux-Arts dont il sera très vite démis pour être remplacé par Kasimir Malevitch, sûrement jugé plus radical et engagé. Dès lors, Marc et Bella, accompagnés d’Ida, s’installent à Moscou où le peintre affine son style fait de lyrisme et de poésie, largement inspiré de l’univers biblique et hassidique.

Ils voyagent tous trois beaucoup, partent pour Paris, puis Berlin, reviennent en France où ils font une pause dans une ville du Sud, à Céret, où beaucoup d’artistes, attirés par la lumière qui baigne les collines du Roussillon alentour, s’y sont installés (Aristide Maillol, Chaïm Soutine, Juan Gris, Pablo Picasso…) Ils y séjournent deux années, entre 1927 et 1929. La muse absolue, par-delà la mort Face à la montée des fascismes en Europe, la vie errante et bohème des Chagall est de moins en moins sûre et confortable. Bella demeure toujours son guide et sa muse. Elle fortife cet amour en rédigeant en yiddish, entre 1935 et 1944, ses propres mémoires, celles du temps d’avant leur mariage dans la ville de Vitebsk, qui devient une sorte d’archétype du lieu du bonheur. “Les Lumières allumées” et “Première Rencontre” seront traduits en français et publiés deux ans après sa mort, en 1946. Considéré comme « artiste dégénéré » par les nazis dès 1935, Chagall est arrêté en 1941 à Marseille, ainsi que Bella, et ils ne doivent leur salut qu’à la bienveillance d’un journaliste américain, Varian Fry, qui transmet au vice-consul américain de Marseille une liste d’artistes et d’intellectuels menacés en vue de leur obtenir des visas pour fuir aux États-Unis. Trois années plus tard, emportée par une infection virale, Bella meurt à cinquante-cinq ans. PALAZZI 22 VENEZIA


Photo arambartholl

Chagall est tétanisé et ne peindra plus pendant près d’un an tant la douleur est vive. « Des années durant, écrit-il, mon art ressentit l’influence de son amour. » Se souvient-il de cet anniversaire de 1915, pour lequel Bella, à peine mariée, lui offrit un bouquet de fleurs et qu’aussitôt après l’avoir reçu, il sentit que cette rencontre était inévitable, déclarant qu’une « chimie s’était opérée » à laquelle il ne pourrait échapper ? Dans la vie et par delà la mort, Bella est non seulement l’épouse quasi biblique, mais aussi la muse absolue. La plupart de ses tableaux révèlent sa présence : une éternelle mariée vêtue de blanc ou quelquefois de bleu, la couleur préférée de Chagall, qui flotte dans les airs, comme ferait un Magritte mais sans la sophistication surréaliste. Chez Chagall, aucune intention surréaliste, mais plutôt une dimension sacrée qu’il accorde à la femme aimée. Telle ces Vierges Marie qui ouvrent leurs vastes manteaux pour protéger l’humanité venue se réfugier dans leurs plis, Bella survole l’univers du peintre, elle recouvre d’ondes célestes et lumineuses, mais surtout bienveillantes, la petite ville de leur jeunesse devenue ville de légende. Dès la première rencontre en 1909, leur amour s’est imposé comme thème principal : “La Fiancée aux gants noirs”, Bella bien sûr, inaugure le motif le plus récurrent de la peinture de Chagall. PALAZZI 23 VENEZIA

Puis Bella au col blanc (1917) surplombe, dans le style d’une Tamara de Lempicka plus incarnée, le jardin de leur maison, où l’on devine infiniment plus petits, un homme et un enfant : Bella protectrice suprême, déesse aimante, dont le regard grave couve la scène. Dans des œuvres régulièrement exécutées comme “Les Amants bleus” (1914), “L’Anniversaire” (1915), “Les Amoureux aux lilas” (1930), “Les Trois Bougies” (1938), “Les Mariés de la tour Eiffel “(19381939), “Les Amoureux de Vence” (1957)… c’est toujours le beau visage de Bella qui apparaît, bien audelà de la mort, malgré ses deux autres compagnes, Virginia Haggard, dont il aura un fils en 1946, puis Valentina Brodsky, qu’il épousera en 1952. Mais nulle autre muse n’a pu effacer le souvenir de Bella que Chagall continua à dessiner, à peindre et à glisser dans ses tableaux aux multiples détails, comme le signe inaltérable d’un amour, échappant à toute raison et à toute vigilance. Alain Vircondelet Bella Rosenfeld, l’éternelle fiancée de Marc Chagall https://www.beauxarts. com/grand-format/bella-rosenfeld-leternelle-fiancee-de-marc-chagall/


Photo connaissancedesarts

lors que l’exposition « Écrire, c’est dessiner », dont elle est à l’origine, vient d’ouvrir ses portes au Centre Pompidou Metz, Etel Adnan (née en 1925 à Beyrouth, au Liban) est décédée à Paris ce dimanche 14 novembre à l’âge de 96 ans. Plasticienne et poétesse, elle laisse derrière elle une œuvre qui mêle lettres et arts plastiques, comprenant des poèmes, des essais, des romans, des peintures, des dessins, des gravures, et une importante collection de « leporellos », grands accordéons de papier illustrés. Jack Lang lui a rendu hommage en fin de journée dans un communiqué. Plasticienne et poétesse Polyglotte mais écrivant d’abord en français, l’artiste est autant plasticienne que poétesse. Ou plutôt : elle mêle sans cesse les disciplines, en particulier grâce à ses leporellos.

« En 1964, j’ai découvert ces carnets japonais qui se déplient en accordéon, dans lesquels les peintres nippons accordaient dessins, textes et poèmes… J’en trouvais dans une boutique de San Francisco où les gens les achetaient pour faire leurs albums de famille. J’ai aussitôt imaginé que ce serait une excellente alternative au format carré ou rectangulaire de la page ; comme si vous écriviez la rivière elle-même », disait-elle à « Connaissance des Arts » en 2019. Une artiste dans la lumière Etel Adnan est actuellement au cœur de deux grandes expositions : « Lumières du Liban » à l’Institut du Monde Arabe et « Écrire, c’est dessiner » au Centre Pompidou Metz, imaginée à la suite d’une conversation entre l’artiste et la directrice du Centre, Chiara Parisi. La première présente des artistes libanais modernes et contemporains, des années 1950 à aujourd’hui, tandis que la seconde explore les liens entretenus entre l’écriture et les arts graphiques, l’artiste désirant faire voir l’écriture « comme un tableau dans un musée ». Ces dix dernières années, les plus grandes institutions ont déjà mis ses œuvres en avant, du Guggenheim de New York au Zentrum Paul Klee de Berne en passant par la Documenta de Cassel en 2012. Elle avait également bénéficié de sa première rétrospective à l’Institut du Monde Arabe en 2016, où elle avait par ailleurs été décorée Chevalier des Arts et des Lettres. L’hommage de Jack Lang Le président de l’Institut du Monde Arabe et ancien ministre de la Culture, Jack Lang, a rendu PALAZZI 24 VENEZIA

Actuellement mise à l’honneur dans plusieurs expositions, la poétesse et artiste plasticienne Etel Adnan s’est éteinte ce dimanche 14 novembre à Paris. Âgée de 96 ans, elle laisse derrière elle une œuvre poétique mêlant images et lettres.


Photo eteladnen

hommage à l’artiste, célébrant notamment sa sensibilité et son engagement : « Par sa curiosité et son talent d’observatrice remarquable et sensible, elle explorait les sentiments d’errance de l’homme, sa légèreté et ses exils successifs. Etel Adnan portait un regard original sur notre monde et sur la nature. Elle voyait dans la mer et la montagne le visage le plus durable et constant de l’homme. Depuis son Olympe, sa Montagne Sainte Victoire, son cher Mont Tamalpaïs où l’inspiration lui était soufflée, elle nous invitait à la suivre dans son univers, sa quête, son voyage. Elle refusait de regarder les événements de l’histoire de sa fenêtre. Artiste engagée, représentante des plus importantes [mouvances] de la modernité arabe, éprise de liberté, elle n’a cessé d’épouser la cause des peuples opprimés dans leurs luttes et leurs déchirements. À la seule force de ses mots, elle s’engageait contre les guerres, militait pour les causes indienne et palestinienne, luttait contre la guerre civile qui enflamma son Liban natal ». Clara Baudry voir la vidéo https://youtu.be/jx9lXXh80d0 https://www.connaissancedesarts.com/depeches-art/deces/mort-detel-adnan-peintre-et-poetesse-au-croisement-des-artsPALAZZI 25 VENEZIA

ans une pandémie mondiale, cette année aurait marqué le siècle du restaurant La Mère Brazier à Lyon, qui est passé de main en main mais est toujours resté fidèle à la cuisine d’Eugénie Brazier. Celle que l’on peut sans crainte qualifier de plus grande cuisinière de tous les temps, un “pilier de la gastronomie mondiale” selon les mots de son plus célèbre élève, Paul Bocuse, qui l’a fait représenter sur les fresques de Collonges. C’est l’histoire aventureuse d’une suffragette de table, née très pauvre et consacrée “sainte des gastronomes” par leur prince, le célèbre critique et son apologiste Curnonsky. Né en 1895, Brazier a grandi à la campagne, parmi les vaches et les chevaux, et a rapidement commencé à donner un coup de main. À l’âge de cinq ans, elle s’occupait déjà des cochons, avec une soupe rustique de poireaux au lait comme collation avant de se laver le visage avec de la rosée. C’est sa mère, décédée lorsqu’elle avait 10 ans, qui a essuyé le tissu sur son front : désormais, elle n’aura plus qu’à travailler pour gagner ses sabots, une robe et quarante sous pour son père, sans même un diplôme. Pour le reste de sa vie, elle restera pratiquement analphabète(suit page 26)


LA MERE BRAZIER

Photo sebastienschmieg

(suit de la page 25) et aura besoin d’aide pour toute tâche bureaucratique. Mais à la ferme, Eugénie se met à cuisiner : gaude de maïs, barboton de pommes de terre, gaufres. Lorsqu’elle part soudainement faire les corvées dans une famille de fabricants de pâtes, les Milliat, elle est déjà une mère célibataire, rejetée et renvoyée par son propre père ; mais en plus du petit Gaston, le grand amour de sa vie, elle soutient sa sœur et son frère cadets. Chez les Milliat, ses plats simples se sont progressivement enrichis de crème et de lait, de champignons et de truffes. C’est le précurseur de son passage dans la restauration, où il travaille aux côtés de la déjà célèbre Mère Fillioux, enseignant la poularde demi-deuil, le gibier et les fonds d’artichauts au foie gras, suivi d’un passage à la Brasserie du Dragon. Puis vient son premier établissement, une épicerie remodelée en accumulant les dettes avec un peu de chance. Le menu ? Homards à la mayonnaise, pigeons rôtis, petits pois à la paysanne avec carottes et brioche flambée aux pommes pour 5 francs. Selon les fournisseurs, dans les jours qui suivent, brochet et perche, boudin noir et gratin de macaronis, sans frigo et avec la vaisselle au lavoir.

Le succès vient du bouche-à-oreille des clients, le restaurant de la rue Royale s’agrandit et sa renommée s’étend à tout Paris, et La Mère ne pouvant plus suivre, elle décide finalement de le laisser à son cher Gaston, terrassé par une crise cardiaque lors d’une chasse (“ la plus grande douleur de ma vie “). Mais le repos n’est pas son truc, s’il est vrai qu’elle grimpe presque immédiatement au Col de la Luère, où quelqu’un lui a offert une cabane en bois sans électricité, eau ni gaz. Et du plaisir de servir une collation à des amis de passage, le deuxième restaurant prend son envol. Celle où un jeune Paul Bocuse débarque sur son vélo, transpirant et nostalgique, et raconte une vie sans repos, des réveils à 5 heures du matin et des couchers à minuit, une myriade de tâches disparates entre la cuisinière et la campagne, une obsession de la propreté et des rages constantes. De 1933, première année des notes de la rousse, à 1939, elle a obtenu deux fois trois étoiles au Michelin, dans des lieux où le beau monde défile : un record qu’aucun cuisinier n’a jamais égalé. Et à ceux qui lui demandent qui est le meilleur cuisinier du monde, Curnonsky ne se lasse pas de répéter : “C’est la Mère Brazier”. “Vous savez très bien que ma cuisine n’est pas faite avec de la malbouffe”, prétend-elle pour justifier la violation du rationnement pendant la guerre, qui lui a coûté de lourdes amendes et même la fermeture du restaurant.

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Photo philippechardon

Mais le personnel est toujours nourri de restes, et en vendant des gésiers et des foies, Eugénie a acheté sa Peugeot 301, qu’elle utilise chaque année le 1er février pour se rendre à Fernand Point ou à la Maison Pic, pour enregistrer ses papilles. Cependant, sa cuisine reste une cuisine simple, composée d’une gamme de plats invariables, qui peut-être pour cette raison même, par la médiation de Bocuse, participera à la révolution de la nouvelle cuisine, au nom de la fraîcheur et du territoire. « Avec le recul, je peux dire que c’était une bonne époque, et c’est certainement au contact de cette femme que mon penchant naturel pour la cuisine simple (ce qui ne veut pas dire facile) s’est affirmé. Je lui dois un sens de l’économie et une inflexibilité sur la valeur des produits», raconte Bocuse dans Des fourchettes dans les étoiles. « C’était l’école de la vie, j’y ai appris à traire les vaches, à faire la lessive, à repasser, à cultiver les légumes dans un potager. La mère ne nous accordait jamais aucun jour de repos ». Et puis, la mère crie beaucoup, au point que Bocuse compose avec les autres commis une chanson sur l’air de « La Mer » de Charles Trenet (La mère qu’on voit gueuler / Au col de la Luère). « Ce que l’on trouve révolutionnaire aujourd’hui était chez elle des trucs de bonne femme », y relate aussi le pape de la gastronomie. « Par exemple, elle faisait cuire les artichauts en entier avant d’en prélever le fond. C’était long, délicat, onéreux… mais quelle saveur ! »

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Lorsqu’Eugénie Brazier prend sa retraite en 1968, dix ans avant de disparaître, son fils Gaston récupère le restaurant. Puis c’est Jacotte, la fille de Gaston, qui prend le relais. « En 2004, j’ai vendu le restaurant trois fois rien à deux messieurs dont un copain amoureux de ma maison », nous raconte Jacotte Brazier. Les deux messieurs n’ont pas vraiment le sens des affaires, le restaurant ne tarde pas à faire faillite. La Mère Brazier de Mathieu Viannay En 2008, Mathieu Viannay rachète l’établissement et décroche deux étoiles 6 mois après. C’est au MOF Mathieu Viannay que La Mère Brazier doit sa renaissance. Il l’achète en 2008 au tribunal de commerce. «Une question de feeling, je m’y suis senti bien », raconte-t-il. « On a fait un million de travaux pour remettre tout en ordre en gardant ce qui faisait l’originalité de la maison : les petits salons, les faïences des années 1930… » Quelques mois après la réouverture, La Mère Brazier affiche de nouveau deux étoiles au Michelin. « Je n’ai pas connu Eugénie Brazier mais c’était une personne de caractère, intransigeante sur les produits. J’ai cherché à faire ce qu’elle aurait pu faire à notre époque », confie Mathieu Viannay. (suit page 28)


Photo reportergourmet

(suit de la page 27) « La poularde, on la fait en deux services, l’artichaut n’a plus rien à voir mais on a gardé l’essentiel, cette association artichaut-foie gras, très moderne. » Depuis, un bar à vins attenant au restaurant de la rue Royale a ouvert ses portes pour faire découvrir les produits de la mère à moindre prix. Et il existe aussi, depuis peu, une épicerie de la Mère Brazier (53 rue de St Cyr). « On y trouve les produits avec lesquels on travaille : pains, viennoiseries, terrines et pâtés, fromages, vins… », détaille Mathieu Viannay. Aujourd’hui, Eugénie Brazier, c’est aussi une bourse, imaginée par Jacotte. En février 2007, elle a créé une association, Les Amis d’Eugénie Brazier (validée par « Paul » qui trouve l’idée excellente)pour patronner des jeunes filles « plutôt défavorisées » qui veulent se lancer dans les métiers de bouche. « J’en ai presque dix par an, on les suit jusqu’à ce qu’elles quittent le lycée professionnel. Je leur donne 1000 euros chaque année pour payer la scolarité, les vestes, les couteaux, je les aide à trouver des stages », énumère Jacotte Brazier. Et d’expliquer ce qui l’a poussée à devenir une bonne fée du girl empowerment en cuisine : «Ma grand-mère était

voir la vidéo https://youtu.be/ qEc4vUQDZN0

une femme, je suis en femme et, pour les filles, en cuisine, ça n’est pas facile. Il y a des législations contraignantes. Il faut des vestiaires de filles, des douches de filles, donc les restaurateurs prennent plutôt des garçons. Et puis il y a le harcèlement en cuisine. Si on ne fait pas attention, ça fait des drames. » Non contente de donner un coup de pouce aux Eugénie Brazier du XXIe siècle, Jacotte décide quelques temps plus tard de créer un prix littéraire. Avec l’auteure et cuisinière Sonia Ezgulian « et une ou deux amies », elle fait le tour du Salon du Livre, se présente aux éditeurs, récupère des ouvrages, constitue un jury trois étoiles. La première année, en 2007, elle n’a rien moins que Jean-Pierre Coffe et Bernard Pacaud (autre trois étoiles formé par Eugénie Brazier) pour primer livres de cuisine et autres romans gourmands. Et pas n’importe lesquels. Jacotte Brazier n’est « absolument pas féministe » mais de L’art de saucer à Un chemin de table, de La main à la pâte à Natures mortes au Vatican, tous les livres nominés pour le prix Eugénie Brazier parlent de ou sont écrits par des femmes. Fanny Rivron https://www.academiedugout.fr/articles/que-reste-til-de-la-mere-brazier https://reportergourmet.com/198956/la-piu-grandecuoca-di-tutti-i-tempi-eugenie-brazier-la-prima-donna-della-storia-a-ricevere-le-3-stelle-michelin-e-lunica-in-due-ristoranti

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Mais surtout, Fabien Rouillard y déploie ses talents de chef pâtissier avec une carte de desserts et viennoiseries diablement gourmande. Idéal pour le tea time ! Le Café Mulot 6 Place des Vosges, 75004 Paris https://www.cafe-mulot. com/

u musée d’Art moderne de Paris, la carte réconfortante de Forest Suivi par près de 50 000 abonnés sur Instagram, le chef Julien Sebbag sait donner l’eau à la bouche avec ses clichés ultra-gourmands. Grande nouvelle : sa cuisine colorée et généreuse se déguste désormais au musée d’Art moderne de Paris, où il est accompagné en musique par le directeur artistique Dorion Fiszel. On ne peut plus chic ! Bon à savoir pour les petites bourses : toujours au MAM, la terrasse éphémère de Dumbo, installée jusqu’à fin décembre, sert une street food à prix accessible. Musée d’Art Moderne de Paris 11 avenue du Président Wilson, 75116 Paris http://www.forest-paris.com/ n café romantique avec Victor Hugo Voici un lieu chouchou des Parisiens que l’on visite avec un regard neuf après plusieurs mois de réaménagement. En pleine place des Vosges, on s’invite dans l’intimité de l’immense Victor Hugo, avec une grande nouveauté : un jardin romantique caché – installé dans une ancienne cour d’école voisine – qui accueille désormais le café Mulot. Dans un élégant décor design et sous les auspices d’une toile murale évoquant Les Travailleurs de la mer (signée Florentine et Alexandre Lamarche-Ovize), on se régale d’une cuisine sur le pouce, simple et bien exécutée.

10 nouvelles tables de Musées qui nous régalent Chefs étoilés, cantines ultra-fraîches, vues affriolantes ou salon de thé caché : les musées sortent le grand jeu avec de nouvelles tables aux cartes alléchantes et à la déco léchée. Petit tour d’horizon de nos adresses préférées. Maïlys Celeux-Lanval et Florelle Guillaume

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es étoiles au château La Coste avec Hélène Darroze Un paysage provençal enchanteur, de grands vins, la crème de la crème des architectes, de l’art contemporain en plein air et des expos de haute volée… Si vous hésitez encore à vous aventurez jusqu’au Puy-Sainte-Réparade, sachez que l’exceptionnel château La Coste recèle en sus pas moins de cinq excellentes tables. La plus gastronomique se niche dans les hauteurs du domaine, au milieu d’un hôtel spa au luxe inouï : la Villa La Coste. Depuis cet été, on y déguste la cuisine méridionale de la célèbre cheffe étoilée Hélène Darroze. Finement sélectionnés et travaillés, les légumes du sud révèlent ici toute leur générosité et leurs saveurs explosives. L’irrésistible touche finale ? Un cannelé à tomber et une tartelette à l’abricot qui fleure bon la madeleine de Proust. Côté décor, on choisit entre la salle toute de verre (suit page 30)


(suit de la page 29) présidée par la sculpture The Couple de Louise Bourgeois ou une terrasse sous les oliviers, avec vue imprenable sur le Lubéron. On en reste baba ! F.G Hélène Darroze à Villa La Coste Château La Coste, 2750 Route de la Cride, 13610 Le Puy-Sainte-Réparade https://chateau-la-coste.com/fr/villa/restaurant-villa-la-coste.html Photo beauxarts.com

ambini roucoule au Palais de Tokyo Vous sortez des entrailles de béton brut du Palais de Tokyo et avez envie de lumière? Bambini vous attend de pied ferme, avec ses pizzas moelleuses et ses assiettes de pâtes aussi jolies qu’un tableau. Avec son décor fleuri et ses grands parasols blancs, l’adresse a le goût de l’Italie et, pour peu que le soleil s’en mêle, l’allure d’une trattoria estivale ! Un lieu du groupe Paris Society, spécialiste des tables chics et atypiques. La terrasse du restaurant Bambini au Palais de Tokyo. 13 avenue du Président Wilson, 75116 Paris https://bambini-restaurant.com/ es Petites Mains au musée Galliera : tiré à quatre épingles ! Une photo s’impose : le nouveau restaurant du Palais Galliera offre une

vue spectaculaire sur la tour Eiffel. On y fait un tour tout en fraîcheur, du déjeuner au crépuscule, après avoir visité une des expositions de mode organisées par le musée, pour goûter à la carte de Vincent Mallo. Celle-ci change chaque semaine et, quelle bonne idée, est faite à partir de produits bruts d’Île-de-France. Une cuisine de saison, végétale et peu coûteuse en matières grasses. De quoi plaire aux petites robes noires et aux pantalons à pinces ! Les Petites Mains au musée Galliera 10 avenue Pierre 1er de Serbie, 75016 Paris https://www.lespetitesmains.paris/ ech comme un poisson dans l’eau à la Maison de l’Amérique latine Il avait converti le 17e arrondissement aux charmes du poisson : le restaurant Rech et son chef Alain Ducasse investissent la superbe Maison de l’Amérique latine, et s’offrent ainsi une adresse ultra-paisible au cœur du 7e, dont la terrasse est installée dans le très joli jardin intérieur. Côté expo cet automne ? Les dessins graphiques de l’artiste cubain Agustín Cárdenas (1927–2001) et les sculptures modernistes de l’Argentine Alicia Penalba (1913–1982). Rech à la Maison de l’Amérique latine 217 boulevard Saint-Germain, 75007 Paris https://www.ducasse-paris.com/fr/les-adresses/rech PALAZZI 30 VENEZIA


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uvrez grand vos Mirette à la fondation d’entreprise Pernod Ricard C’est le nouveau lieu d’art incontournable du 8e arrondissement – et il ne va pas sans son Café Mirette, tenu par la fine équipe Franck Baranger, Pauline Labrousse, Nicolas Chatellain et Édouard Bobin (déjà parents d’une tripotée d’adresses branchées dans le quartier de Pigalle). Ouvert en continu, cette cantine avec terrasse sert cafés, encas, goûters et apéros étudiés. On y feuillette volontiers un bouquin acheté à la librairie voisine. M.C-L Mirette à la Fondation Pernod Ricard 1 cours Paul Ricard, 75008 Paris https://www.fondation-pernod-ricard.com/cafe-mirette écouvrir les Franciscaines de Deauville au Réfectoire Deauville avait tout – la mer, le charme bourgeois, la proximité avec Paris – sauf un lieu culturel majeur. Un manque désormais réparé avec les Franciscaines, qui nourrissent leurs visiteurs au sein du Réfectoire. Au menu ? Une grande table commune qui fait plaisir à voir, une restauration légère à petit prix et une déco immaculée, entourée de rayonnages de livres. M.C-L Réfectoire aux Franciscaines de Deauville 145b avenue de la République, 14800 Deauville https://lesfranciscaines.fr/fr/espaces/le-refectoire PALAZZI 31 VENEZIA

Carnavalet, les plaisirs de la vie parisienne C’est éphémère, mais courez-y ! Depuis ce printemps, c’est avec bonheur que l’on redécouvre, après un long chantier, le plus ancien musée de Paris et sa foisonnante collection sur l’histoire de la capitale. Avec en prime la bonne surprise de pouvoir profiter d’une pause gourmande so chic au cœur de ses jardins à la française, à l’abri de l’agitation du Marais. Dans les allées envahies de parasols et de chaises en rotin, les cheffes Chloé Charles (ex « Top Chef ») et Andréa Sham nous servent une délicate cuisine végétale servie dans de traditionnelles lunch box indiennes en inox, à composer soi-même et à prix doux : 9 € le plat ou le dessert. Le soir, on goûte également aux cocktails raffinés et colorés (option virgin) de Camille Vidal. Des Jardins d’Olympe décidément divins que l’on aimerait voir perdurer bien après l’été. Les Jardins d’Olympe 16 rue des Francs-Bourgeois, 75003 Paris Ouvert jusqu’au 3 octobre, du mardi au dimanche, de midi à 18 heures (sans réservation), puis en soirée à partir de 19 heures (sur réservation). http://www.lesjardinsdolympe.com/ (suit page 32)


Photo galeriep’artking

(suit de la page 31) imosa à l’Hôtel de la Marine : la surprise de la rentrée Ouvert au public en juin pour la première fois depuis le XVIIIe siècle, l’Hôtel de la Marine se découvre restauré, et sublimé. Ses cours intérieures respirent à nouveau et accueillent les passants, qui peuvent ainsi rejoindre la place de la Concorde ou la rue Royale. Un stop s’impose au Café Lapérouse, première annexe de la prestigieuse table du quai des Grands Augustins. Décoré par Cordélia de Castellane (directrice artistique des collections Baby Dior et Dior Maison), le café vous accueille dans l’une de ses deux terrasses couvertes, ou dans ses salons habillés de velours colorés, de boiseries et de céramiques réalisées par des artisans français. Très bientôt une seconde table : le Mimosa, nouveau restaurant du chef médiatique Jean-François Piège, qui promet : « Il y aura la cuisine que j’aime manger, celle qui, à chaque bouchée, fait pétiller le soleil et la joie de vivre, tel un été permanent!» Alléchant. Le Café Lapérouse à l’Hôtel de la Marine 2 Place de la Concorde, 75008 Paris h t t p s : / / w w w. h o tel-de-la-marine.paris/

ISAAC CELNIKIER LA GALERIE LE P’ART KING

a le plaisir de vous inviter a l’exposition

ISAAC CELNIKIER jusqu’ au

5 décembre 2021

du mercredi au dimanche de 14H à 19H. 36 Rue Miguel Hidalgo, 75019 Paris, France M° Danube - Botzaris + 33 06 35 18 13 80

lepartking@gmail.com

www.lepartking.com

saac Celnikier, peintre et graveur né à Varsovie en 1923, a placé sa création sous le signe de la mémoire et de l’impossible oubli. Enfermé dans le ghetto de Bialystok en 1941, il sera déporté dans les camps nazis de Stutthof, Auschwitz, Birkenau, Flossenburg, Dachau. Après la guerre, Isaac Celnikier entreprend des études d’art à Prague de 1946 à 1951. Il suit des cours d’art monumental auprès d’Émile Filla, peintre avant-gardiste tchèque. Il retourne ensuite à Varsovie et y crée le groupe Arsenal. Il participe à la grande exposition « Contre la guerre, contre le fascisme » à Varsovie en 1955. Il s’installe à Paris en 1957. Son œuvre traduit son engagement à transmettre graphiquement la mémoire de ces événements tragiques. André Malraux le fera chevalier des Arts et des Lettres en 1967. Deux importantes expositions montreront son œuvre au Musée des Augustins (Toulouse, 1991) et au Musée Fabre (Montpellier, 1993). L’artiste recevra le prix de la Mémoire de la Shoah décerné en 1993 par la Fondation du judaïsme français. Isaac Celnikier est mort à Ivry-sur-Seine en 2011. http://isaac.celnikier.free.fr/

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Photo odysaban

ODY SABAN ollectionneur compulsif, musicien intermittent, dee jay hawaiian, selekta aka Diaboloman et galeriste nomade de profession, je porte un intérêt certain et depuis fort longtemps sur l’Art Populaire Contemporain en général et sur les créations marginales fort lointaines en particulier C’est l’envie de partager mes découvertes avec le plus grand nombre qui m’a donné envie de créer La Pop Galerie dans les années 2000. Rendre compte de cette formidable richesse à la marge de l’art officiel qui trouve rarement sa place dans les lieux consacrés. Car il existe depuis toujours une création underground qui alimente la passion d’une micro société d’amateurs éclairés qui sort aujourd’hui de l’ombre et vient enrichir notre définition de l’œuvre d’Art . “ c’est cette face cachée de l’Art contemporain qu’il faut réintroduire dans l’histoire si l’on veut comprendre le vrai sens de l’Art d’aujourd’hui ”-Laurent Danchin. Et que l’on parle d’Art Brut, Outsider, Singulier, Visionnaire ou tout simplement d’Art Populaire Contemporain, il suscite l’engouement d’un nouveau public séduit par le caractère intuitif des œuvres et la personnalité haute en couleur de ces génies ordinaires. Des Ex Voto Mexicains, ces petites peintures émouvantes réalisées sur des tôles où le bon peuple remercie Dieu et ses Saints des miracles survenus dans leur vie, aux artistes réunis pour Rock’n’Folk Art, originaires

Je vous annonce avec grand plaisir mon exposition de groupe

Ody SABAN jusqu’au

18 décembre 2021

La Pop Galerie 15, quai du Pavois d’Or

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Sète

du Deep South, entre Memphis et le Delta du Mississippi berceau du Blues primitif à Holywoodoo, les Incredible Movie Posters du Ghana, ces affiches de cinéma réalisées par une poignée de peintres d’enseigne d’Afrique de l’Ouest sur des sacs de farine de 50 kg, une vision eXtrème du 7ème Art, pratique originale qui disparaît sous nos yeux, en passant par Elvis, Glorious Elvis, où l’artiste le plus célèbre du 20ème siècle (symbole des Etats Unis d’Amérique au même titre que le Coca Cola ou la bannière étoilée) se dévoile sous toutes les coutures de préférence pailletées au Paradirama, tikis, surfeurs et vahinés qui présentait entre autre Aloha He, installation terminale de Kevin Ancell, parrain des Beautiful Losers, pilier de Dogtown, de « Kitsch Catch » ou « Sur Le Fil » et ses déviances textiles, aux Panos, l’Arte carcéral griffé par les prisonniers Chicanos sur les mouchoirs de la pénitentiaire, à Manila Vice, la découverte de pépites dans les dédales arty de cette ville-monde extra-ordinaire et dernièrement Fan Club, consacré à l’univers tonitruant des musiques rythmées … C’est en s’appropriant telles des icônes Pop les signes puissants du quotidien, que ces artistes demeurent toujours proche de la réalité et porteurs d’une mémoire collective. Pascal Saumade


Photo SophieCarré / CHANAKYA-SchoolofCraft

va Jospin est née en 1975 à Paris. En 2002, elle a obtenu le Diplôme National Supérieur d’expression plastique à l’École des Beaux-Arts de Paris. Elle a participé à de nombreuses expositions collectives, dont Rehab à la Fondation EDF, Round the clock à l’Arsenale Novissimo de Venise, La Dernière Vague à la Friche la Belle de Mai à Marseille, Inside au Palais de Tokyo, Des hommes et la foret au Musée Historique du Château de Nyon et Le bas relief dans tous ses états à la Galerie Suzanne Tarasieve à Paris. Elle a également fait l’objet de plusieurs expositions personnelles, en commençant par Opere recenti à la Galleria unosunove de Rome, en poursuivant avec Art Mobile à l’Institut français de Jakarta et à la Galleria Le Pleiadi de Mola di Bari, Détails d’une forêt à la Galerie pièce Unique de Paris,

EVA JOSPIN Sculpteur est son titre, ni homme ni femme, tant sa matière concilie les contraires. Elle fait du carton la source de ses forêts à sortilèges. Elle dessine un immense panorama brodé pour Dior et ravive la magie des palais romains. Elle pose une folie de béton dans les bois et attend que la nature fasse son oeuvre. Portrait d’une artiste qui ne se résume pas à «fille de».

Carte blanche à Eva Jospin à la Manifattura dei Gobelins, Déjeuner sur l’herbe, et en terminant par sa dernière, Panorama, à la Cour Carrée du Louvre. En 2015, il a reçu le Prix de l’Académie des Beaux-Arts / Prix de gravure et sculpture Frédéric et Jean de Vernon. L’imagerie de la forêt a toujours occupé une place centrale dans son travail. Le motif récurrent est plus mental que figuratif, et reflète les angoisses humaines telles que l’idée de se perdre ou de se trouver, et la relation avec les histoires d’enfance. Ces forêts sont donc des lieux de recherche de la connaissance, mais elles favorisent aussi l’évasion mentale. Interview paru dans Vogue Italia en juillet 2021 Qui est Eva Jospin, l’artiste qui a conçu le magnifique décor brodé du défilé haute couture de Dior ? Maria Grazia Chiuri a choisi la créatrice française connue pour ses œuvres immersives et gigantesques. Eva Jospin a créé la scénographie de la dernière collection automne-hiver 2021 de Dior.

Votre père, Lionel Jospin, a été Premier ministre français de 1997 à 2002. Pourquoi avez-vous choisi de vous consacrer à l’art ? “C’est une longue histoire ! Enfant, je rêvais de devenir peintre et, à l’adolescence, j’ai réalisé à quel point ce serait compliqué. J’ai donc pris du temps pour moi, pour savoir ce que je voulais faire avant de m’inscrire à l’École nationale supérieure des beaux-arts de Paris, alors que j’avais une vingtaine d’années, mais il m’a fallu du temps avant de créer des œuvres intéressantes. Au début, ils n’étaient pas très bons (rires).” PALAZZI 34 VENEZIA


Photo sculpturenature

Quels sont les artistes que vous admirez ? “Je suis éclectique et je n’admire pas vraiment les maîtres car, en tant qu’artiste féminine, être comparée à eux peut être lourd. Cela dit, ce sont les artistes que j’aime. Pour Chambre de Soie, je me suis inspiré du travail des artistes du mouvement nabi, en particulier des peintures d’Édouard Vuillard (1868-1940, ndlr) et de la salle des broderies du Palazzo Colonna à Rome, que beaucoup considèrent comme un artisanat, mais qui est pour moi un chef-d’œuvre. J’ai étudié les tapisseries pour comprendre comment la broderie s’harmonise avec le fond et les couleurs, créant ainsi un tableau qui ressemble presque à un camouflage. Je voulais que le fond soit toujours présent, pour qu’il y ait un contraste avec les fils.” Quand avez-vous eu l’idée de Chambre de Soi, et comment s’est-elle développée ? “L’idée m’est venue lorsque j’étais en résidence d’artiste à la Villa Médicis à Rome en 2016. Il est important pour un artiste de vivre le moment présent, mais en même temps, il a des rêves qu’il veut réaliser un jour. Stéphanie Ovide, restauratrice de textiles et experte en pigments naturels qui était dans la même résidence m’a aidé à faire une colorimétrie des écheveaux de soie. En décembre 2020, une brodeuse a travaillé dans mon studio pendant trois semaines pour créer un PALAZZI 35 VENEZIA

prototype, puis j’ai rencontré Maria Grazia Chiuri. Nous avons commencé à parler du Palazzo Colonna et non seulement elle connaissait la salle de broderie, mais elle est aussi une grande amoureuse de cet art et de cette technique, et elle m’a aidé à réaliser ce travail, la confiance était totale. Il a fallu plusieurs mois aux ateliers Chanakya et à la Chanakya School of Craft en Inde pour achever la broderie à la main”. Était-il important pour vous de créer une œuvre sensorielle comme celle-ci en réaction à nos vies si numériques ? “Je ne suis pas un artiste numérique, je réalise généralement des œuvres de grande taille ou des sculptures. Il y a toujours des détails que l’on ne voit pas. Aucune photographie de la Chambre de Soie, par exemple, ne pourra jamais rendre le caractère unique de chaque point, ni l’œuvre dans son ensemble. J’aime le voir en direct car on se perd dans le paysage. On peut le toucher, et après une année d’isolement, il est agréable de voir que certaines choses ne peuvent être faites sans la main de l’homme. Ce n’est pas du numérique, ce n’est pas un moule, c’est juste de la broderie à la main. (suit page 36)


Photo iteatri.re.it

(suit de la page 35) Que va-t-il advenir maintenant de votre œuvre Chambre de Soie ? “Elle sera exposée au musée Rodin à Paris du 6 au 11 juillet”. Où pouvons-nous voir d’autres de vos œuvres ? “J’ai une exposition qui s’ouvre au Noordbrabants Museum en Hollande en septembre et une autre au Musée de la Chasse et de la Nature à Paris en novembre. Ensuite, j’exposerai également mon travail au Musée des Impressionnismes de Giverny, au nord-ouest de Paris, à nouveau en novembre.” Liam Freeman

“Côté cour / côté jardin”

ommande de l’artiste par le Festival Aperto et le Festival de Reggio Parma - est une œuvre au titre évocateur. Dans le langage du théâtre, en effet, en regardant la scène depuis la salle, la cour est le côté droit, le jardin le côté gauche. L’artiste a imaginé une sorte de dispositif scénique statique qui, placé au centre de l’espace, crée un mouvement centripète et offre différents points de vue en fonction du déplacement du public. La dichotomie entre la droite et la gauche, la cour et le jardin, le théatre et le skené, se retrouve dans les deux représent-

Eva Jospin Côté cour / Côté jardin jusqu’au 14 décembre 2021 RIDOTTO DEL TEATRO VALLI Teatro Municipale Romolo Valli Piazza Martiri del 7 Luglio,1

42121ReggioEmilia https://www.iteatri.re.it/

ations scéniques différentes : d’un côté la scène d’un palais à colonnades, rappelant la façade du théâtre luimême, de l’autre une forêt dense et mystérieuse. Deux environnements qui permettent des possibilités de représentation différentes. Dans le répertoire classique, de nombreuses pièces et opéras se déroulent entre ces deux paysages : le palais, souvent symbole de la ville entière, est le lieu où commence et finit un opéra, où les décisions sont prises, où l’homme est maître de son destin. La forêt est le bois enchanté où interviennent des personnages magiques, un royaume de mystères et d’embûches, un lieu cathartique par excellence. “Côté cour / côté jardin” est une œuvre en constante dialectique entre opposés et complémentaires, à différents niveaux d’interprétation. D’une part, la rationalité géométrique de la perspective Renaissance représentant le palais à colonnades avec un point de fuite central et un jeu de trompe-l’œil rappelant le théâtre olympique de Palladio ou la fausse perspective de Borromini au Palazzo Spada ; d’autre part, l’émotivité d’une forêt où tout peut arriver. Mais si l’œuvre d’Eva Jospin analyse un dispositif scénique et questionne le théâtre lui-même, elle reste une œuvre d’art en rondeur car elle est conçue pour être contemplée. voir la vidéo https://youtu.be/RM7pKm0Sw5Y https://www.iteatri.re.it/spettacolo/eva-jospin-cote-cour-cote-jardin/

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Photo l’oeildelafemmeabarbe

L’œil de la femme à barbe, c’est quoi ? La synthèse d’une vie Un aboutissement Un projet global La presse parle même d’un label ! Lire : https://loeildelafemmeabarbe.fr/quoi-un-label Une entreprise entièrement vouée aux artistes et à l’art. Lire : Un supplément d’art pour tous

GHISLAINE VERDIER

près trois éditions successivement annulées, vous pourrez, enfin, retrouver les 18 ouvrages édités par L’œil de la femme à barbe depuis juin 2016 et rencontrer plusieurs des artistes qui vous feront la surprise d’une visite impromptue et le plaisir d’une signature sur le stand. Vous aurez aussi l’occasion de découvrir les livres (tous genres confondus) d’éditeurs français ou étrangers dont la production originale contribue activement à la bibliodiversité. Voir le site de l’association https://www.lautrelivre.fr/ Ghislaine Verdier, c’est qui ? Formation littéraire - Un CV à choix multiples de la vente à la communication, depuis presque toujours dans la culture et l’édition. Ne craint rien de pire dans le travail que l’ennui et le confort ronronnant... Pour en savoir plus, lire : https://loeildelafemmeabarbe.fr/qui-portrait

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8ème Salon du Livre Haïtien à Paris samedi 5 et dimanche 6 décembre Dédicace par Kevin Pierre samedi 5 de 13h à 16h > Mairie du 15ème - 31 rue Péclet, 75015 Paris Une belle occasion de découvrir la richesse de la littérature haïtienne et de rencontrer les auteurs! voir la programmation du salon www.salondulivrehaitien.com/ Les jeudis Rita à Montreuil jeudi 9 décembre à 19h30 Performance, lecture bilingue à 2 voix, projection... Association Comme Vous Emoi, 5 rue de la Révolution, 93100 Montreuil (métro 9 Croix de Chavaux) La programmation de ces soirées croise poésie, peinture, musique ou histoire de l’art... sur l’invitation de Jeff Pourquié et de Rita, Revue Indépendante de Théorie Apocalyptique. voir Rita la revue https://rita-comics.com/index. php/mon-compte/post90actionedit/ Musée de la Halle Saint Pierre à Paris samedi 11 décembre à 15h Signature performée à la librairie Musée dédié à l’art brut, à l’art singulier et l’art populaire, doté de surcroit d’un café fort sympathique et d’une librairie très richement achalandée ! 3 rue Ronsard, 75018 Paris voir le site du musée www.hallesaintpierre.org/


Photo wikipedia

’exposition Keith Haring, au Palazzo Blu de Pise, du 12 novembre 2021 au 17 avril 2022, organisée par la Fondazione Pisa en collaboration avec MondoMostre et avec la participation extraordinaire de la Nakamura Keith Haring Collection, sous la direction de Kaoru Yanase, conservateur en chef de la Nakamura Keith Haring Collection, rend hommage à l’artiste américain, universellement reconnu comme l’un des pères du street art. L’exposition présente pour la première fois en Europe une riche sélection d’œuvres, plus de 170, provenant de la Nakamura Keith Haring Collection, la collection personnelle de Kazuo Nakamura, située dans le musée dédié à l’artiste, au Japon. La collection comprend des œuvres allant des plus anciennes aux plus récentes de Haring, de

nombreuses séries complètes comme Apocalypse (1988), Flowers, (1990) et divers autres dessins, sculptures et grandes œuvres sur toile comme Untitled (1985). Largement reconnues pour ses œuvres aux couleurs vives et jubilatoires, les œuvres de Haring sont familières et connues même de ceux qui ne connaissent pas sa courte parabole artistique car ses petits bonL’art est la vie. shommes stylisés et émouvants, ses cœurs, ses chiens et ses signes en général font partie du bagage d’imaLa vie est un art. ges publiques et autres dans le monde entier et ce sont L’importance des eux qui ont fait de lui un symbole de la culture pop et de l’art des années 1980. deux est exagérée Entre les valeurs factices de l’illustre société de conet mal comprise. sommation et les franges les plus furieuses de la marginalisation sociale et raciale, naissent des expérienc(Keith Haring, es artistiques très expressives. Keith Haring (Reading, Journal intime, 1978) 1958 - New York, 1990) est l’un des artistes les plus emblématiques du graffitisme frontalier. Il a réussi à faire vivre l’art en dehors des galeries et des musées, démontrant qu’en dehors de notre bulle, il existe un monde capable de nous surprendre. En 1989, Keith Haring, reconnu comme l’un des pères du street art, a séjourné à Pise pour peindre la fresque Tuttomondo sur un mur du couvent Sant’Antonio. Le projet est le résultat d’une rencontre entre l’artiste et le jeune étudiant Piergiorgio Castellani à New York en 1987. L’exposition au Palazzo Blu de Pise renforce le lien entre Keith Haring et la ville toscane, en rendant hommage à l’artiste américain. le 4 mai 1958 à Reading, en Pennsylvanie, et pasTel. +39 050 916 950 Né sionné de bandes dessinées, Haring s’inscrit rapidement dans une école d’art à Pittsburgh. Il s’installe ensuite à New York et entre à la School of Visual Arts en 1978. PALAZZI 38 VENEZIA

KEITH HARING

jusqu’au

17 avril 2022 PALAZZO BLU Lungarno Gambacorti 9, 56125 Pisa info@palazzoblu.it www.palazzoblu.it


Photo palazzoblu.it

Au même moment, il est sorti du placard. Au début, sa toile était le métro de New York. Il utilise de simples signes graphiques pour dessiner des enfants, des animaux, des télévisions, des anges et, devant agir à l’insu des policiers et des employés qui peuplent les stations de métro de New York, il crée à une vitesse exceptionnelle. Lorsqu’il voit un panneau publicitaire inutilisé, il descend du train pour dessiner d’un seul trait, puis remonte. Il a ensuite affiné son style, commençant à planifier ses itinéraires et passant tout son temps dans le métro, façonnant un langage immédiatement reconnaissable appelé le “code Haring”. Les dessins underground de Haring sont devenus populaires et Tony Shafrazi a voulu le faire travailler dans sa galerie de Soho. En 1982, Haring inaugure sa première grande exposition, à laquelle participent Andy Warhol, Roy Lichtenstein, Robert Rauschenberg et Sol LeWitt. Il a créé des sculptures à grande échelle pour des terrains de jeux et des espaces publics, des peintures murales pour les murs des villes, des boîtes de nuit et des hôpitaux pour enfants dans le monde entier. Une grande partie de son art contient des messages politiques liés au sida, aux drogues et à l’apartheid. Au fur et à mesure que Haring mûrit, le sujet de son art devient plus profond et plus complexe, comme on le voit dans Apocalypse, 1988. En tant qu’homosexuel vivant avec le sida, la poliPALAZZI 39 VENEZIA

tique et la peur qui le tenaille deviennent les thèmes dominants de son œuvre. En 1986, il a été chargé de réaliser une peinture murale pour le mur de Berlin. La même année, il réalise la peinture murale “Crack is Wack” à East Harlem et organise un atelier pour enfants : CityKids Speak on Liberty, créé pour célébrer le centenaire de la statue de la Liberté. Plus d’un millier d’enfants sont venus de tout New York, du Bronx, de l’école des Nations unies, une école pour les sourds, et de Phoenix House, un programme de réhabilitation pour les toxicomanes et les alcooliques, pour travailler avec lui. C’est également en 1986 qu’il ouvre le Pop Shop, où il expose des objets qu’il a lui-même conçus, avec l’idée révolutionnaire de vendre des créations artistiques pour un dollar à des millions de personnes, plutôt que d’en vendre une pour un million de dollars à un seul collectionneur. Il peint les plafonds, les sols, les murs et les colonnes avec de la peinture noire, transformant l’espace de la salle en une grande peinture tridimensionnelle. L’événement, dont la musique est également le protagoniste, ressemble davantage à une nouvelle forme d’art qu’à une inauguration. (suit page 40)


Photo nadinefraczkowski

L’IMPERFETTA BELLEZA ART COMTEMPORAIN

(suit de la page 39) “La première chose que je veux faire est de briser la barrière entre l’art commercial et l’art traditionnel. Il en va de même pour les dessins souterrains. Mon espoir est qu’un jour, les enfants qui passent leur temps dans la rue s’habituent à être entourés d’art et puissent se sentir à l’aise pour aller dans un musée”, déclare Haring, qui a ouvert un Pop Shop à Tokyo en 1988. La plupart des œuvres de Haring sont sans titre; l’artiste préfère laisser l’interprétation de l’œuvre au public. Les artistes qui l’ont le plus inspiré sont Henri Matisse, Fernand Legér, Pablo Picasso, Jackson Pollock, Pierre Alechinsky, Jean Dubuffet, Clifford Still, Mark Tobey, Stuart Davis, Roy Lichtenstein et Andy Warhol. Le 16 février 1990, Keith Haring meurt. Deux jours avant sa mort, au plus bas de ses forces, il prend un feutre et essaie à plusieurs reprises de dessiner quelque chose, puis réussit enfin : l’image est celle de l’enfant radieux. L’image est celle de l’enfant radieux, un nouveau-né qui libère des rayons de puissance reçus de l’univers, possède une énergie infinie, rampe sans cesse, vers partout, défiant tout danger. L’enfant radieux représente Haring lui-même.

vons-nous la capacité de voir la beauté dans l’imperfection ? La recherche de l’or dans les choses imparfaites et incomplètes est en somme l’acceptation du non conventionnel. Et dans ces choses imparfaites, nous nous voyons, cette partie de nous avec ses défauts et ses faiblesses. Sélection L’artiste (ou le groupe d’artistes) est invité à soumettre n. 1 œuvre, de préférence en rapport avec le thème. Le commissaire et l’institution hôte feront une sélection des œuvres envoyées en candidature sur la base de l’appartenance au thème, de la capacité à utiliser des méthodes d’expression contemporaines, de l’innovation et de l’expérimentation, de la valeur de la recherche artistique, de l’originalité, de l’utilisation des langues de manière transversale. Sections L’exposition prévoit la présentation d’œuvres d’arts visuels dans les catégories suivantes :

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Photo nadinefraczkowski

peinture, sculpture, photographie, installations, arts du spectacle. Du matériel sera produit pour accompagner l’exposition : invitation, affiche, communiqué de presse et catalogue, en format web et papier. Durée et période de l’exposition L’exposition durera une semaine, du 19 au 26 décembre 2021 (la galerie sera ouverte pendant les vacances). Localisation Espace d’exposition ImagoArs au Campo del Ghetto Vecchio à Venise. Un lieu riche en histoire qui, il y a quelques années encore, abritait l’un des derniers ateliers de dorure situé sous le même toit que la Synagogue espagnole. Inscription jusqu’au 12 décembre 2021 Informations, règles et formulaire https://www.ginaaffinito.com/uploads/9/9/9/8/99985514/regolamento_limperfetta_bellezza__1_.pdf Gina Affinito, commissaire du projet Tél.:+39.327.3463882 gina.affinito@gmail.com www.ginaaffinito.com

voir la vidéo https://youtu.be/ bjVGOLmWmRw

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a Maison Loo dresse sa silhouette singulière d’inspiration chinoise en plein cœur d’un quartier à l’esthétique très haussmannienne. Haute demeure de quatre étages, elle est l’héritage architectural légué à la Plaine Monceau par Ching Tsai Loo (1880-1957), marchand et collectionneur d’art asiatique. Lorsque l’homme d’affaires achète la bâtisse originelle en 1922, il s’agit d’un très classique hôtel particulier Napoléon III, établi sur seulement deux niveaux. Monsieur Loo qui a le sens de la communication confie la transformation de cet édifice à l’architecte Fernand Bloch (1864-1945). Il souhaite offrir un écrin à ses collections personnelles et faire rayonner son commerce, des galeries spécialisées dans l’art extrême-oriental. La Maison Loo, adaptation libre de l’architecture chinoise, est caractérisée par un enduit rouge ocre qui tranche avec panache sur la pierre de taille blonde du quartier. Toit en épis, avant-toits incurvés relevés en courbes, tuiles vernissées, le riche décor de la façade se complète de corniches moulées, de pilastres et bandeaux richement ornés. (suit page 42)


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(suit de la page 41) Les garde-corps des fenêtres se parent de motifs caractéristiques. Deux colonnes surmontées d’éléments en céramique et de frises gravées encadrent le portail d’entrée en bois précieux. L’intérieur à l’avenant n’est malheureusement pas accessible au public. Administrée par une société privée, Pagoda Paris, la Maison Loo a abandonné ses projets culturels pour embrasser une vocation de salle dédiée aux événements privés. Par sa présence incongrue dans un quartier bourgeois au classicisme haussmannien, la Maison Loo nous raconte par-delà les décennies le destin d’un jeune marchand d’art ambitieux, modeste orphelin chinois qui par son entregent, et son absence de scrupules, a construit un puissant empire commercial. Ching Tsai Loo (1880-1957), discret sur ses origines, s’est inventé un passé afin de séduire la bonne société occidentale. Né à Huan Wen, il se prétend le descendant d’une famille d’intellectuels ruinés. A l’âge de dix ans, il perd ses parents et entre au service de la famille Zhang, enrichie dans le commerce de la soie. Attaché au fils aîné, Zhang Jinjiang, il le suit à Paris lorsqu’il est nommé à l’ambassade de Chine

Paris : Maison Loo, une pagode chinoise au coeur du quartier haussmannien de la plaine Monceau - VIIIème

en France en 1902. En parallèle de ses devoirs diplomatiques, Zhang Jinjiang développe des activités commerciales. A la Belle Epoque, les expéditions archéoligiques publiques et privées ont mis le goût chinois est la mode. Zhang établit un magasin de marchandises d’importation place de la Madeleine, la galerie Tongyun, bientôt rebaptisée Ton-ying. Rapidement, la gestion de la boutique est confiée à C.T. Loo où il acquiert une réputation d’expert. En 1908, il ouvre sa propre galerie rue Taitbout, la galerie Laiyuan, « qui vient de loin ». Au cours des années 1910, l’instabilité politique en Chine favorise les affaires. La dynastie Qing abdique en 1912 et les seigneurs de guerre se disputent le pouvoir. Au début du XXème siècle, en Occident, la plupart des institutions muséales et des collectionneurs privés se contentent encore de « chinoiseries » des pièces d’artisanat de piètre qualité, produites uniquement dans l’intention d’être exportées. C.T. Loo initie les acheteurs occidentaux à l’art asiatique véritable. Il les instruit et forme leur goût pour les jades et les bronzes archaïques, les fresques bouddhiques, la grande statuaire. Il n’hésite pas pour alimenter le marché qu’il a créé à recourir au pillage des trésors nationaux chinois. C.T. Loo fait appel à des receleurs ou organise lui-

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même des expéditions dans les temples, les tombes, les palais impériaux. Le commerce d’antiquités orientales rencontre un véritable succès. Le marché florissant lui permet d’ouvrir une succursale à Londres puis une troisième à New York en 1915. C.T. Loo est impliqué dans la vente aux Etats-Unis de deux stèles remarquables à décor de chevaux, appartenant à l’ensemble « Les six coursiers » du mausolée Zhao, prélevées dans la tombe de Tang Taizong deuxième empereur de la dynastie Tang (618-907). Après la révolution de Xinhaire, en 1912 ou 1913, les six bas-reliefs du mausolée sont volés à Zhaoling. Les autorités de la province du Shaanxi les saisissent et les envoie à Beijing en 1915 à l’instigation président chinois Yuan Shikai. Là, deux bas-reliefs sont revendus par un intermédiaire à au marchand Lu Qinzhai connu dans le monde occidental sous le nom de C. T. Loo. Les quatre derniers bas-reliefs sont confisqués par les autorités locales. Ils sont déposés à la bibliothèque provinciale de Shaanxi jusqu’aux années 1950 date à laquelle ils sont transférés au musée Beilin à Xi’an, où ils se trouvent encore. Les deux premiers bas-reliefs volés sont expédiés aux États-Unis quelque temps avant mars 1918. PALAZZI 43 VENEZIA

Inestimables, ils sont néanmoins vendus par C.T. Loo à l’University of Pennsylvania Museum of Archaeology and Anthropology pour la somme de 125 000 dollars (environ 2,5 millions de dollars actuels). Un pareil montant donne lieu à une longue tractation qui s’étend de 1918 à 1921. Au final, Eldridge R. Johnson, hommes d’affaires et ingénieur, premier producteur américain de phonographes et de disques phonographiques, finance l’achat et fait don des bas-reliefs au musée. Le commerce de C.T. Loo a enrichi les plus grandes collections publiques et privées, dont le Musée Guimet en France, le Smithsonian à Washington, le MET à New York. L’hôtel particulier de la plaine Monceau est acquis en 1925 par le marchand d’art afin d’accueillir ses collections privées, son domicile et un espace de vente. C.T. Loo missionne l’architecte Fernand Bloch afin de métamorphoser le classique hôtel particulier en maison chinoise ce qui éclaire le sens inné du marketing de l’homme d’affaires. Cet écrin est développé sur une originelle de deux niveaux, surélevée pour devenir cette grande pagode à quatre étages. Les façades et toitures, (suit page 44)


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(suit de la page 43) le sol de la parcelle, sont inscrits aux Monuments historiques par arrêté du 9 décembre 2002, modifié par arrêté du 14 mars 2006, ainsi qu’une partie des intérieurs aménagés avec faste. Au rez-de-chaussée la salle dite des “cavaliers” déploie une frise à décor de chars. Les deux salons sont agrémentés de plafonds à caissons en staff ornés de dragons chinois. Au premier étage, le palier et les deux salles en laque chinoise du Shansi des XVIIème et XVIIIème siècles composent un ensemble remarquable. des activités de la famille. Joël Cardosi Loo (1945Au quatrième étage, la 2017), le petit-fils, revend la Maison Loo au début galerie indienne présdes années 2010, à un investisseur privé qui entreente des boiseries et des prend un vaste chantier de rénovation. sculptures aux motifs de Au bout de deux ans de restauration, l’inauguration cavaliers et d’éléphants de ce nouveau musée privée se fait en grande pompe qui datent du XIXème le 12 octobre 2012. siècle, somptueux décor Il est administré par une société privée, Pagoda provenant d’un temple Paris, dont la baronne Jacqueline von Hammerdu Rajasthan. stein-Loxten est la gérante. L’ensemble de la cage Cette dernière a de grandes ambitions pour ce lieu d’ascenseur et sa cabine mais peu de temps après sa réouverture, la Maison en laque et bois, la salle Loo abandonne sa vocation culturelle pour devenir d’exposition au sous-sol essentiellement une salle dédiée aux événements sont également inscrits privés. aux Monuments historiLa bibliothèque de C.T. Loo, un fonds d’archives ques. exceptionnel composé de 1300 livres, 3000 cataloA partir de 1948, la gagues d’expositions et de ventes, 3000 photos origilerie parisienne de C.T. nales d’objets d’art ainsi que la correspondance proLoo est gérée par sa fille, fessionnelle du marchand et de nombreux artefacts Janine Loo. rares, y est toujours conservée. En Chine, le régime Maison Loo communiste ferme les 48 rue de Courcelles - Paris 8 frontières aux exportaBibliographie tions dès 1949. Le guide du promeneur 8è arrondissement - PhilipLes nouvelles réglempe Sorel - Parigramme entations internationaParis secret et insolite - Rodolphe Trouilleux - Pales d’exportation des rigramme antiquités conduisent à https://www.facebook.com/wa- https://www.parisladouce.com/2021/01/maisonla diminution drastique tch/?v=257340229406368 loo-48-rue-de-courcelles-paris-8 PALAZZI 44 VENEZIA


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Photo architectscouncil’sofeurope

’ai toujours considéré que l’œuvre architecturale ne se limitait pas à l’enveloppe du bâtiment et à son organisation spatiale mais, qu’à l’instar des architectes du début du XXe siècle, elle se prolongeait dans l’aménagement intérieur, le mobilier et parfois l’œuvre d’art. Depuis l’ouverture de mon studio d’architecture au début des années 1980, j’ai souvent tenté d’installer des éléments mobiliers dans mes bâtiments. J’y suis parvenue très ponctuellement. Dans les années 1980 et 1990, les clients que j’avais n’y étaient pas enclins. J’ai toutefois réalisé dix lampes « Javelots » pour une salle dans le bâtiment de la BPO en 1990. Ces lampes sont devenues les prototypes de la lampe « Javelot » développée ultérieurement pour le MACRO à Rome avec Luceplan au début des années 2000. Lorsque la BPO a été vendue et vidée de son contenu, mobi-

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lier compris, je les ai toutes rachetées. Ensuite, c’est l’opportunité d’un concours pour le remplacement des cabines téléphoniques pour le siège de l’Unesco à Paris, remporté en 2000, qui m’a permis de démarrer mon travail de design à plus grande échelle. Dans le hall où étaient installées ces cabines, on m’a demandé de choisir du mobilier et j’ai pris la décision de les dessiner et les faire réaliser. Pour le comptoir d’accueil des délégations, j’ai dessiné un objet de 11 mètres de long puis les fauteuils, les tables, les corbeilles à papier et les cendriers. Je fréquentais le Salon du meuble à Paris depuis longtemps et j’ai consulté les sociétés exposées là-bas avec mon dossier de meubles ; c’est ainsi que j’ai commencé à travailler avec Domeau & Pérès qui ont bien voulu se lancer dans l’aventure avec moi. Au MACRO à Rome, on m’a alors suggéré de poursuivre le travail du bâtiment par le mobilier. J’ai ainsi été au Salon du meuble à Milan et j’y ai rencontré Luceplan avec mes dessins de la lampe « Javelot ». Luceplan m’a ensuite recommandé Poltrona Frau pour réaliser mes sièges et, de fil en aiguille, j’ai réalisé tout le mobilier du musée ainsi que la signalétique. Pour les italiens, il semblait évident de demander à l’architecte de le faire là, où depuis les années 1960, tous les grands designers italiens étaient architectes. Pour le Frac Bretagne, cela a été un peu plus compliqué de pouvoir le faire du fait du fractionnement des marchés publics en France ; celui qui fait le bâtiment n’est pas celui qui fait le mobilier, ni même le graphisme de la signalétique. Mais j’ai réussi, malgré tout, à dessiner quelques pièces. Le projet sur lequel j’ai été le plus loin est celui de la tour Antares que je viens de terminer à Barcelone. J’y ai tout dessiné : les meubles, les lampes des espaces

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Photo nationalgallery

publics, les baignoires, les lavabos, les cuisines, les piscines, les espaces de sport, les tables et les chaises du restaurant, la signalétique et le jardin. Le jardin m’intéresse de plus en plus. La recherche des espèces à y implanter me fascine tout autant que la prise en compte du temps de pousse et des saisons. Depuis l’enfance, l’art est important pour moi, je l’ai étudié dès le collège grâce à un incroyable professeur de dessin qui m’a aidée à peindre. J’ai commencé des études d’histoire de l’art avant de m’inscrire à l’école d’architecture. J’ai regardé, suivi, visité, exploré les salons et les foires à Paris. J’ai abandonné la peinture après le début de mes études d’architecture car je n’ai plus trouvé le temps de poursuivre et je n’étais pas certaine de mes capacités dans ce champ qui me fascinait et en même temps m’intimidait. Les galeries Polaris à Paris et Oniris à Rennes m’incitaient à réinvestir ce champ et j’ai sauté le pas une première fois en 2007 à Paris. En 2004, la galerie Artist Space à New York m’avait déjà confié un espace en me demandant une installation « sans faire de l’architecture ». J’ai alors puisé dans mes préoccupations conceptuelles pour proposer un espace virtuel construit déstabilisant le corps du visiteur, « Sensual HyoerTension ». Je me suis, à ce moment, souvenue de l’installation faite au Magasin à Grenoble en 1993 « HyperTension », plus spatiale

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mais cherchant également à brouiller les pistes de l’appréhension et de la perception de l’espace. Au festival de Chaumont en 2000, « Memories of Highland Lights » était aussi une installation plus qu’un jardin, de même « Black Hole » en 2009. Bien antérieures, les maquettes invraisemblables, plus œuvres d’art accrochées sur les murs du studio de la rue Saint-Honoré en 1989, que maquettes d’architecture dont elles ne représentaient que les concepts ou les lignes de force des projets. Je pourrais encore évoquer plus d’instants dans mon histoire au cours desquels l’art et l’architecture se sont trouvés entremêlés sans vraiment savoir lequel était le premier ou lequel était le moteur. J’ai toujours dit qu’il y avait une composante artistique dans l’architecture et, dans mon travail, cette part a pris de plus en plus de place jusque parfois devenir l’œuvre elle-même. Ainsi, les œuvres présentées à la galerie 8+4 sont certes venues d’œuvres architecturales mais n’étaient-elles pas là avant, dès le stade de la conception du projet lors des prises de décision des compositions architecturales à différentes échelles ? Je ne saurais pas répondre à cette question aujourd’hui et sans doute de moins en moins. C’est pourquoi, il ne me semble pas nécessaire de savoir de quel bâtiment il s’agit… Odile Decq https://mcusercontent.com/


Photo francescamucelli

FRANCESCA MUCELLI

rancesca Mucelli est née en 1995 à Bagno a Ripoli, Florence. Elle est diplômé avec la note maximale en Arts Visuels Graphiques à l’Académie des Beaux-Arts (FI) en 2019. La production de l’artiste est principalement figurative et illustrative, un figuratif capable de se déformer selon le système dans lequel il s’inscrit et caractérisé par une forte valeur symbolique. Les thèmes s’inspirent du tissu social contemporain et de l’observation de l’essaim numérique, la société dans le virtuel. En se dotant d’un symbolisme, inséré parfois dans des détails très infimes, il veut donner au spectateur un sens critique, une envie de s’interroger sur ce qu’il observe, car les messages contenus dans ces œuvres sont souvent

énigmatiques, pas clairs. Le concept de l’homme automate apparaît, de l’homme bloqué, incapable de réagir à cause d’agents extérieurs, comme le système dans lequel il vit. Les éléments mécaniques, technologiques et numériques prédominent pour transporter notre attention vers la réalité qui s’impose le plus dans nos vies, la réalité virtuelle où tout, les sentiments, le corps et les actions se transforment en quelque chose de numérique. Il y a aussi des thèmes profondément personnels, qui retracent des souvenirs de sensations passées, de voyages, de rencontres, de douleurs. L’image de la femme est la protagoniste, souvent rendue fière et indépendante, sauveuse, capable d’assumer les souffrances de l’humanité. La forte curiosité qui caractérise l’artiste dès son plus jeune âge l’amène à expérimenter diverses techniques et donc à avoir des langages visuels très différents. Des projets photographiques à la peinture acrylique, de l’utilisation de l’encre de Chine à celle de l’aquarelle, du dessin numérique à l’art graphique : chalcographie, gravures sur zinc, bois et autres supports. Cela avec l’art graphique est un amour profond, appris à l’Académie de Florence, entravé seulement par l’impossibilité d’avoir toujours les espaces nécessaires disponibles, ce qui est devenu l’occasion d’effectuer des techniques expérimentales. https://www.behance.net/mucellifrancesca https://www.newexclusiveart.com/2021/10/29/ explorer-of-art-francesca-mucelli/

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“Cuntru a ‘ndrangheta ndi tingimu i mani” - Coupable de solidarité. Travail en faveur de #mimmolucano effectué en 2018. Connu dans le monde entier pour le modèle d’accueil des demandeurs d’asile créé à Riace, la petite ville de Calabre dont il était le maire et où il a créé un microcosme de paix, Domenico Lucano (alias Mimmo) est aujourd’hui condamné à 13 ans et 2 mois de prison, (presque le double de la durée demandée par l’accusation), et devra restituer 500 000 euros de fonds reçus de l’Union européenne et du gouvernement. Mimmo a été traité comme un mafioso, lui qui a créé un modèle d’accueil étudié et apprécié dans le monde entier et ridiculisé et criminalisé en Italie ; qui n’a pas seulement fait du bien aux migrants en leur donnant #dignité, #confort et #soutien mais a aussi revalorisé Riace, une ville oubliée par une classe politique corrompue, la rachetant de la condition d’abandon et de dégradation dans laquelle elle vivait. C’est une phrase qui criminalise l’accueil. Ce judgment semble être un avertissement à tous ceux qui se mettent au service d’autres êtres humains en italie. PALAZZI 49 VENEZIA


’il est bien question de délectation du regard, il s’agit aussi d’interroger les tabous contemporains et la liberté artistique dans notre temps présent. Un sujet d’autant plus d’actualité que certains musées décrochent Balthus et Gauguin. « J’ai remarqué que les artistes s’interdisent certains sujets de nus, plus qu’avant. On entre dans une censure qui n’est pas verbalisée. J’ai donc pensé mettre en relation l’art et l’idée de l’Enfer des bibliothèques qui est liée à la censure», observe Sabine Bayasli. Qu’est-ce qu’un artiste d’aujourd’hui s’interdit de dessiner ou de peindre? L’Enfer ainsi imaginé dans la galerie serait-il capable de casser les barrières du politiquement correct qui astreint le champ de la création et dicte certains codes du marché ? L’art, pour s’accomplir entièrement, n’a-t-il pas, par essence, le devoir de défier la morale ? Au travers d’un panorama qui fait se côtoyer plusieurs générations d’artistes, des plus émergents (Karine Rougier, Adrien Belgrand, Marion Charlet, Arnaud Adami ) aux plus établis (Stéphane Pencréac’h, Mathieu Mercier, Thomas Lévy-Lasne, Lionel Sabatté) cette exposition met aussi en lumière la

L’Enfer Exposition jusqu’ au

15 janvier 2022 Commissariat Olivier Masmonteil

Galerie Sabine Bayasli

99 rue du Temple 75003 Paris Horaires d’ouverture : Du mardi au samedi de 12h à 19h ou sur rendez-vous https://galeriesabinebayasli.com

censure dont a été victime la peinture elle-même, medium un temps banni des écoles d’art et dont le retour en grâce récent mérite d’être analysé. En ouvrant une porte secrète, cette exposition lève un voile sur les désirs et les non-dits de l’art d’aujourd’hui. L’œil est voyeur. Il se glisse avec délectation dans les anfractuosités érotiques des mots et des images. N’est-ce pas l’Arétin qui disait, à propos de ses Sonnets luxurieux: « Je les composais à la barbe des hypocrites en me désespérant de la misérable opinion et de la chienne de coutume qui prohibe aux yeux ce qui les délecte le plus ». Le grand ami de Titien était bien de ceux à avoir dans sa demeure un studiolo aux atours licencieux. Dans le même temps, les dessins érotiques de Jules Romain représentant les amours des dieux valaient un séjour en prison à l’infortuné Marcantonio Raimondi, coupable de les avoir gravés. Tout cela se passe au milieu du XVIe siècle. Plus proche de nous, la sulfureuse Histoire de l’œil de Georges Bataille rédigée au dos de fiches de la Bibliothèque nationale puis diffusée sous le manteau, n’aurait pas manqué d’être jetée au feu ! Une chose est sûre : elle fit scandale. Dessins voluptueux, estampes licencieuses, poèmes blasphématoires, écrits hérétiques, marbres érotiques, peintures lascives… l’énumération est sans fin. Ces « Curiosa », quand elles n’étaient pas condamnées

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Photo galeriesabinebayasli

ou brûlées, firent le bonheur des bibliophiles et des amateurs d’art qui en remplirent leurs cabinets de curiosités. Soustraites au regard, cachées, jalousement gardées, elles furent aussi préservées dans des lieux dédiés, au moins pour le versant littéraire. Là où nous mènent, avec tout le mystère et la confusion propres aux chemins initiatiques, un Guillaume de Baskerville ou un Jorge Luis Borges, entre les rayons obscurs d’une bibliothèque, jusqu’à leur antre le plus secret, celui qui fut opportunément nommé L’Enfer. Il y en a eu au sein des abbayes et des forteresses royales, au creux des tiroirs cadenassés des collectionneurs. Les deux Enfers les plus connus restant celui de la Bibliothèque Vaticane et celui de la Bibliothèque nationale de France (fermé en 1969). C’est en référence au modèle de ce lieu vicié du sceau de l’interdit et en même temps éjaculateur de toutes les licences, que le peintre Olivier Masmonteil et la galeriste Sabine Bayasli ont eu l’idée de créer un «Enfer artistique » qui serait propice aux évasions créatrices les plus osées. À l’éclairage de l’histoire de la censure, artistes et visiteurs sont invités à se questionner sur les tabous contemporains. Qu’est-ce qu’un artiste d’aujourd’hui s’interdit de dessiner ou de peindre ? Un tel Enfer serait-il capable de casser les barrières du politiquement correct qui astreint le champ de la création et dicte certains codes du marché ? PALAZZI 51 VENEZIA

L’art, pour s’accomplir entièrement, n’a-t-il pas, par essence, le devoir de défier la morale ? « J’ai proposé à une cinquantaine d’artistes de réfléchir sur cette idée de l’Enfer et de créer une œuvre qui serait soit leur œuvre secrète, qu’ils n’assument pas ou veulent garder pour eux, soit une œuvre qui parle d’interdit érotique, religieux, esthétique, tous les sujets sont possibles », explique Olivier Masmonteil. Dans la série d’images licencieuses qu’il a choisie de montrer, de grandes iris recouvrent les scènes. Etrange phénomène d’autocensure qu’il n’explique pas complètement et qui l’a conduit à s’interroger sur sa pratique et ses frontières. Derrière des rideaux feutrés, dans une scénographie rappelant l’atmosphère d’un boudoir intimiste, la suggestion de l’exposition est justement celle de la transgression d’une pratique et de ses frontières. En lien direct avec la thématique, les photographies troublantes d’Hélène Marcoz, par un subtil jeu de transparence et de superposition, montrent les pages d’un manga érotique ou d’un Dorcel Magazine en train d’être feuilletées. Comme un écho, dans une veine plus bibliophile et plus sexuelle, le livre d’acier de Stéphane Pencréac’h intitulé L’Enfer ne peut s’ouvrir qu’avec une clef (suit page 52)


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(suit de la page 51) maintenue dans le creux d’une bouche et renferme de belles lithographies sur papier de verre qui réinterprètent à merveille les fresques érotiques de la Villa du Faune de Pompéi. De son côté, la jeune artiste Mathilde Lestiboudois séduit par sa peinture épurée et conceptuelle qui traduit avec élégance la dimension spirituelle et architecturale d’une bibliothèque. Une œuvre qui opère comme une mise en abyme de l’exposition, là où l’extravagance et l’errance licencieuses s’épanouissent, là où sont rangés pêle-mêle les encres évoquant la chute des anges rebelles de Sarah Jérôme ou les charmants dessins botaniques à connotations érotiques d’Alice Baillaud. Les thèmes religieux (abordés par Arnaud Adami présentant la peinture d’une jeune femme voilée à côté d’un sac Deliveroo ou par Laurence Bonnel et sa Descente de Croix reprenant la descente d’escalier duchampienne) s’entremêlent à la dominante des sujets érotiques ou pornographiques traités par Damien Cadio, Duncan Wylie, Sylvain Ciavaldini, Abel Pradalié, Adrien Belgrand, Marion Bataillard, Katia Bourdarel, Karine Rougier ou Anne-Laure Sacriste. Chez eux, parfois, percent aussi la mémoire de “L’Origine du Monde” de

À l’initiative de la galerie Sabine Bayasli, l’artiste-peintre Olivier Masmonteil signe son premier commissariat d’exposition et réunit une cinquantaine d’artistes invités à imaginer leur « Enfer », en référence aux anciennes sections de bibliothèques dédiées aux livres et aux œuvres interdites ou immorales. Axée majoritairement sur des petits formats, l’exposition recrée l’atmosphère d’un boudoir intimiste, dans lequel l’œil se glisse au plus près des œuvres. Dessins érotiques, peintures obscènes, sculptures blasphématoires, photographies apocalyptiques, l’ensemble pourrait répondre à ce précepte du non moins anti-conventionnel Georges Bataille : « de la nécessité d’éblouir et d’aveugler ».

Courbet et le souvenir des premières photographies scandaleuses. Se jouant des codes, Nazanin Pouyandeh interpelle nos rapports émotionnels et sociaux à l’autre et à sa différence. Son couple, dans les flammes de l’enfer, semble annonciateur du pire. Image évanescente et angoissante, le dessin érotique fait de poussière de Lionel Sabatté évoque une histoire plus sombre tandis qu’Elise Morin ou Julien Beneyton sondent notre futur écologique qui pourrait devenir l’enfer de ses prochaines années. Chez Lara Bloy, le mythe s’est même effondré, le cygne décapité sans Léda, figé en nature morte, finissant de mettre à terre nos illusions. Images obscènes, objets de délectation scopique, parfum de fin du monde, évaporation de nos croyances, l’exposition, au-delà des interdits traditionnels liés à l’histoire de la censure, esquisse les préoccupations actuelles des artistes quant à leur liberté d’expression et de création. Si nos tabous ne sont plus les mêmes que du temps de l’Arétin, ils ne sont pas moins violents. A chaque époque, son Enfer, soumis à d’autres logiques de pouvoir, dont un reflet nous est donné à voir à travers cette exposition intergénérationnelle qui permet aussi d’éclairer les questionnements des jeunes artistes au regard de leurs aînés. Car il est aussi un endroit où la peinture a été bannie un temps, c’est le milieu de l’art.


Photo galeriesabinebayasli

Son récent retour en grâce permet de s’interroger sur cette mise au ban dont a souffert toute une génération dans les années 1970 et 1980. « L’Enfer de la peinture » a aussi existé nous soufflent, derrière le rideau, Olivier Masmonteil et ceux de sa génération. Pour conclure, et à l’attention des déboulonneurs et des bannisseurs de tout poil, voici ce que disait l’Abbé Grégoire, à propos des œuvres envoyées en Enfer: « Ces ouvrages si condamnables d’ailleurs, ont une sorte de mérite qui les rend précieux ; ils servent à l’histoire de l’humanité, des mœurs, des coutumes et des arts. C’est sur les productions de cette espèce que l’observateur éclairé juge souvent le siècle qui les a vu naître. » En ouvrant une porte secrète, cette exposition souhaite lever un voile sur les désirs et les non-dits de l’art d’aujourd’hui.

L’Enfer Exposition du 27 novembre 2021 au 15 janvier 2022 Commissariat : Olivier Masmonteil Galerie Sabine Bayasli 99 rue du Temple 75003 Paris Horaires d’ouverture : Du mardi au samedi de 12h à 19h ou sur rendez-vous https://galeriesabinebayasli.com Contact presse Agence Dezarts agence@dezarts.fr Marion Galvain : 06 22 45 63 33 Noalig Tanguy : 06 70 56 63 24 Joséphine Renard : 06 38 18 40 08

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Les Artistes: Arnaud Adami, Alice Baillaud, Marion Bataillard, Adrien Belgrand, Julien Beneyton, Diane Benoit du Rey, Romain Bernini, Lara Bloy, Laurence Bonnel, Katia Bourdarel, Rebecca Bournigault, Damien Cadio, Thierry Carrier, Marion Charlet, Sylvain Ciavaldini, Gaël Davrinche, Gregory Forstner, Bruno Gadenne, Aurélie Galois, Karine Hoffman, Sarah Jérôme, Kraken, Marie-Claire Laffaire, Magdalena Lamri, Frédéric Léglise, Mathilde Lestiboudois, Thomas Lévy-Lasne, Alexandre Lichtblau, Eve Malherbe, Nicolas Marciano, Hélène Marcoz, Olivier Masmonteil, Mathieu Mercier, Filip Mirazovic, Emmanuel Moralès, Élise Morin, Stéphane Pencréac’h, Delphine Perlstein, Nazanin Pouyandeh, Abel Pradalié, Lou Ros, Karine Rougier, Lionel Sabatté, Anne-Laure Sacriste, Delphyne V, Duncan Wylie.


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FRIDA VIVA LA VIDA

e 24 novembre, Frida Kahlo (1907-1954) fait son grand retour au cinéma. Le documentaire “Frida Viva la Vida”, réalisé par Giovanni Troilo, montre deux facettes de cette pionnière de l’art du XXe siècle : l’artiste révolutionnaire et la femme au corps torturé. Malgré les trop nombreuses séquences de transitions oniriques et poétiques, ce nouveau film permet aux spectateurs de (re)découvrir l’histoire de Frida Kahlo et offre une nouvelle lecture de chefs-d’œuvre tels que “Quelques Petites Piqûres” (1935) et “La Colonne brisée” (1944). Si le biopic Frida (2002), de Julie Taymor avec Salma Hayek dans le rôle-titre, a marqué les esprits des cinéphiles et des aficionados de l’artiste mexicaine, il en est moins sûr pour Frida Viva la Vida. Mêlant entretiens de

spécialistes, documents originaux, mots de l’artiste (lettres, journaux intimes et confessions privées), narration d’Asia Argento (grande admiratrice de Frida Kahlo), reconstructions poétiques et commentaires d’œuvres, le film se donne 98 minutes et six chapitres pour partir à la recherche de la personnalité privée et publique de Frida Kahlo. Malgré son esthétique haute en couleurs, ses musiques dynamiques et son rythme moderne, les séquences d’illustration, moments contemplatifs mettant en lumière l’aura et la spiritualité des tableaux de Frida, sont trop présentes pour réellement permettre d’entrer dans les toiles de l’artiste. Plus d’œuvres n’auraient pas été de trop. « J’ai voulu mettre en lumière les deux âmes de Frida Kahlo, d’un côté l’icône et le symbole d’un féminisme contemporain, et de l’autre l’artiste libre malgré les contraintes physiques. », explique le cinéaste Giovanni Troilo. Ainsi, Frida Viva la Vida mêle des deux histoires, celle du corps de Frida et celle de son âme de peintre, représentées par Les Deux Frida (1939). Les éléments biographiques de l’artiste permettent de cette façon d’éclairer certains de ses plus grands chefs-d’œuvre comme “Quelques Petites Piqûres”, après la découverte d’une liaison entre Diego Rivera et sa sœur Cristina Kahlo. Des photographies et des objets montrés pour la première fois à l’écran Ainsi, le film a le mérite de montrer pour la première fois des photographies et des objets ayant appartenu à Frida, conservés dans les archives du Musée Frida Kahlo (vu par très peu de personnes), ainsi que des originaux de Graciela Iturbide qui a photographié la salle de bains de Frida en 2004, et surtout de retracer les grandes étapes de la vie de cette icône mexicaine.


Photo sotheby’s

de dollars chez Sotheby’s ce mois-ci, image ci contre), en librairie avec la sortie de Frida Kahlo. Tout l’œuvre peint chez Taschen et dans les musées, avec l’exposition événement « Viva la Frida! – Life and Art of Frida Kahlo » au Drents Museum (Pays-Bas). «C’était une femme libre, c’est ça qui est révolutionnaire chez elle », conclut Asia Argento. Agathe Hakoun

En s’appuyant sur les témoignages d’experts et d’artistes tels qu’Hilda Trujilo, directrice du Musée Frida Kahlo depuis 2002, Cristina Kahlo (petite-nièce de Frida), James Ole, professeur d’art au Wellesley College et assistant-curateur au Musée Davis d’art latino-américain, Carlos Phillips, assistant directeur du Musée Frida Kahlo, du Musée Diego Rivera Anahuacalli et du Musée Dolores Olmedo, Giovanni Troilo raconte les événements qui ont marqué Frida Kahlo, son accident, sa rencontre avec Diego Rivera en 1922 et leur relation tumultueuse, ses voyages aux États-Unis… Certains aspects essentiels à la compréhension de l’œuvre et de la figure de Frida Kahlo sont également soulignés comme son intérêt pour les autoportraits («Je suis le motif que je connais le mieux », disait l’artiste), aussi cathartiques qu’introspectifs, ou encore son enracinement dans la peinture traditionnelle du XIXe siècle. De ses toiles à sa manière de s’habiller, l’artiste n’a cessé d’explorer l’iconographie précolombienne. Le film montre ainsi les tableaux de l’artiste mettent en lumière les thèmes opposés propres à l’art populaire mexicain : douleur et plaisir, ténèbres et lumière, lune et soleil, la mort au sein de la vie et vice-et-versa. Alors, si le film ne révolutionne peut-être pas l’histoire du cinéma ni les recherches historiques sur l’artiste, il participe à faire rayonner cette figure majeure de l’histoire de l’art qui continue de s’imposer sur le marché de l’art (avec un record à plus de 34 millions

“Siempre que te pregunto, Que cuándo, cómo y dónde, Tu siempre me respondes, Quizás, quizás, quizás”. C’est par ces notes que commence le documentaire sur Frida Kahlo, pour diluer l’histoire d’une vie intense qui est sur le point d’être dévoilée. Beaucoup de gens connaissent Frida. En effet, l’artiste mexicain représente divers symbolismes sous de nombreux aspects, tant humains que culturels. Au Mexique, son pays d’origine, elle est même considérée comme une sainte, aimée et idolâtrée par les femmes qui ont souffert ou qui ont besoin de protection. Par tous. “Frida - Viva la vida” est un documentaire consacré à cette figure désormais mythologique et à son pays.

voir les vidéos https://youtu.be/ 0qVntjNnZ40 https://youtu.be/ 067wk4qQEas https://www.mymo- Frida viva la vida vies.it/film/2019/ Un film di Gianni Troilo. Con Asia Documentario, durata 90 frida-viva-la-vida/ Argento min. - Italia 2019. - Nexo Digital trailer/ www.mymovies.it/

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Photo saisonsdeculture

a ville, dès ses débuts, n’étaitelle pas une première utopie, une première vision du monde, celle des monarques, des sultans, des maharajahs, des marchands mais aussi des tyrans, des despotes, des satrapes et des oppresseurs quand l’un ne se confond pas avec l’autre? De Mari, l’antique cité sumérienne au bord de l’Euphrate au Welthauptsadt, le « Nouveau Berlin» de Hitler resté inachevé ou plus récemment à la Casa poporului, «la maison du peuple », édi iée par Ceausescu et digne du « Château » de Kafka, en passant par Pienza en Toscane, manière de bibelot pour un pape, on comprend que la ville est une mise en ordre de ses habitants dans le double jeu des échanges et de la déclinaison des formes symboliques du pouvoir. La cité témoigne ainsi de

L’espace des imaginaires, pour une architecture de l’invisible

Jacques Lombard

cette utopie, l’inscription dans l’espace d’un idéal de la vie en société, au fondement de l’idée de « bonheur », du bien vivre indispensable aux hommes, dessinée en quelque sorte à leur corps défendant et pour la plus grande gloire de son inventeur. Au fond, tout architecte porte en lui ce vieux rêve fou, même de nos jours, quand il prête de moins en moins la main aux tyrans mais trouve néanmoins auprès des dirigeants les ressources pour des ambitions partagées. Imaginer et décider de ce qui est bien pour les autres dans la modulation la plus concrète de l’espace en bridant en quelque sorte leur quotidien. Mari a vu naître la nécessité de la ville, et donc son « idée » et son « image » dans l’univers occidental, trois mille ans avant notre ère, atteignant cet équilibre fondamental entre l’élevage sur les plateaux et l’agriculture de décrue associés à un contrôle de la navigation sur le fleuve, qui lui assurait entre autres l’accès aux matières premières travaillées par les artisans de la cité, et exportées ensuite dans tout le Croissant fertile. L’importance cruciale de l’eau du grand fleuve, dérivé grâce à un canal qui traversait Mari en l’approvisionnant et en assurant la liaison avec l’Euphrate, se révèle dans le culte rendu à la « déesse du vase jaillissant » qui tient dans ses bras une cruche d’où jaillit la source de la vie. Mari, ville riche de ses productions et de son commerce, garantissant à ses habitants la nourriture et la sécurité, voit naître en son sein un palais immense et magnifique comme un symbole de son identité profonde, peut-être l’un des premiers de ce genre où le souverain aux heures les plus chaudes se délectait de boissons glacées…


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Et Pienza où le Pape Pie II façonna dans la glaise de son modeste village natal un palais pontifical, une cathédrale, et une place offrant la Renaissance comme modèle selon les principes de Léon Battista Alberti. Puis les projets babyloniens élaborés par l’architecte Speer à la demande d’Adolf Hitler, projets à la mesure de la volonté despotique du régime nazi qui imaginait une immense coupole pour le Reichstag, dix fois plus grande que celle de la Basilique de Rome. Ces exemples choisis parmi des milliers d’autres possibles dévoilent le rôle grandissant de la ville comme le lieu par excellence du pouvoir, à l’image de l’orant saisi par la toute-puissance du dieu dans la « monumentalité » du temple, ou bien du sujet écrasé par l’enfilade cosmique des vestibules qui mènent à la salle du trône. Aujourd’hui et sans revenir sur les exemples récents de par le monde que nous avons tous en tête, on peut sans doute dire que la ville réunit des êtres qui tentent de plus en plus d’échapper aux parcours obligés de l’organisation de l’espace, malgré les formes contemporaines de sa « sacralisation » ou de sa patrimonialisation. Simplement parce que, à travers les réseaux numériques de communication les plus divers, leur développement et leur évolution quasi exponentiels, les habitants de la ville peuvent échapper à la ville mais aussi parce que ce développement ininterrompu des PALAZZI 57 VENEZIA

échanges, couplé avec la multiplication et la mutation des possibilités d’expression, produisent une autre ville à l’envers de la ville, à l’envers de l’utopie coloniale du « bonheur » concédé ou imposé menant vers une autre utopie, celle de la « reconnaissance », de la transformation des uns par les autres. La « déesse du vase jaillissant » ou bien le podium de l’esplanade de Nuremberg qui capturaient les regards de chacun, tournés dans une seule et même direction, comme un point d’aboutissement du sens de la ville, dans une verticalité garantissant l’ordre de la société, s’estompent maintenant au profit d’un gigantesque foisonnement, d’une « horizontalité » des êtres en recherche de leur « bonheur », dans le dialogue permanent et le partage de leurs expériences. Les regards terrifiés, levés vers le dieu dans le temple immense ou vers le souverain dans son palais gorgé de richesses, se tournent alors vers l’agora, la place où vibre l’immensité des différences, des couleurs et des désirs, démultipliés à l’infini. Jacques Lombard h t t p s : / / w w w. s a i s o n sdeculture.com/arts/ lespace-des-imaginaires-pour-une-architecture-de-linvisible/ www.cuberevue.com


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e Jugement dernier est le titre de la première exposition personnelle de Maurizio Cattelan (Padoue, 1960) en Chine, rien de moins qu’une référence insolente à la fresque de Michel-Ange. Une comparaison légèrement exagérée ? Le fait qu’il s’agisse d’une exposition record était clair dès la conférence de presse, lorsque le commissaire, Francesco Bonami, a délibérément provoqué le public chinois en qualifiant Cattelan d’héritier de Michel-Ange et en le présentant même comme plus célèbre que le Caravage. Ces déclarations ont peut-être fait tomber de leur chaise des générations d’historiens de l’art (peu habitués à l’irrévérence du célèbre conservateur), mais en Chine, elles ont été accueillies par des expressions amusées de perplexité et

Maurizio Cattelan Le jugement dernier UCCA

JUSQU’AU 20 FEVRIER 2022 https://www.artribune. com/dal-mondo/2021/11/ mostra-maurizio-cattelan-ucca-pechino/

d’hilarité de la part du public. Inaugurée le vendredi 19 novembre, l’exposition s’est immédiatement révélée dans toute son extraordinaire puissance médiatique. Un concours de clichés, d’histoires et de vidéos a immortalisé les 29 installations emblématiques de Cattelan et a envahi les médias sociaux en Chine et ailleurs. Le résultat ? Dès le premier week-end d’ouverture, l’exposition a enregistré 4500 visiteurs avec des files d’attente interminables à la billetterie et plus de deux heures d’attente pour accéder aux fresques de la chapelle Sixtine en miniature. Le grand hall de l’Ucca Center for Contemporray Art de Pékin accueillera jusqu’au 20 février prochain une distillation de l’irrévérence, du génie et des provocations artistiques de Maurizio Cattelan au cours des trente dernières années de sa carrière. L’espace ouvert de la grande salle et la disposition libre et omniprésente permettent au visiteur d’activer une relation instinctive et personnelle avec les œuvres, de déambuler à sa guise, sans être obligé de suivre un parcours structuré et séquentiel. Seuls des murets blancs ponctuent le parcours de l’exposition, invitant le public à engager un dialogue plus intime avec les œuvres exposées. Contrairement aux installations extravagantes et inhabituelles qui ont souvent accompagné les expositions de Cattelan - pensez à la rétrospective de 2011 au Guggenheim de New York où presque toutes les œuvres étaient suspendues au plafond - cette exposition à l’UCCA adopte une approche plus holistique, offrant au public la possibilité de s’arrêter et de réfléchir à la vision de l’artiste, de se reconnaître dans l’une des multiples identités mises en scène. Dans l’espace ouvert du grand hall de l’UCCA, 29


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œuvres sont exposées qui racontent l’histoire de la carrière de l’artiste, y compris des installations, des sculptures et des performances, en commençant par ses premières œuvres importantes telles que Lessico Familiare (1989), Cattelan (1994) et Bidibidobidiboo (1996). Il ne pouvait pas manquer Comedian (2019), la banane insolente collée au mur avec du ruban adhésif qui a tant choqué et divisé l’opinion publique et les professionnels de l’art dans le monde entier, ainsi que sa très célèbre série d’œuvres de taxidermie animale. Parmi elles, Novecento (1997), le célèbre cheval empaillé suspendu au plafond, le cou plié et les jambes tendues, a certainement suscité un sentiment de trouble, de perplexité et de désorientation chez le public chinois qui, malgré cela, n’a pas manqué d’immortaliser l’œuvre. Pour agrémenter l’exposition, et pour célébrer sa première exposition solo en Chine, Cattelan a voulu surprendre le public du Dragon avec des installations et des performances in situ conçues pour l’occasion. Ainsi, juste devant la reproduction de la chapelle Sixtine, apparaît une sculpture représentant un sans-abri de Pékin allongé sur le sol, couvert de haillons et de pigeons et accompagné d’un chariot rempli d’objets improbables. Il s’agit de Zhang San (2021), qui sait si le public l’appréciera vraiment. La star absolue de l’exposition s’est avérée être l’installation reproduisant la chapelle Sixtine en miniature. PALAZZI 59 VENEZIA

Plus de deux heures d’attente pour entrer dans le temple de l’art de la Renaissance de Michel-Ange, parfaitement reproduit en miniature. Une expérience de visite paradoxale, désorientante, amusante et irrévérencieuse qui, dans l’action de rétrécir l’architecture et les fresques, rapproche pour la première fois les visiteurs des détails de ce chapitre iconique de l’histoire de l’art. Toujours considérée comme intouchable, inaccessible et sacrée, Cattelan prend la Chapelle Sixtine, la transporte en Chine et, par un acte insolent de rétrécissement, la rend au public à une échelle “ humaine “, tant en termes de taille que d’aura qui, en quittant le contexte sacré - au sens propre et figuré du terme - est rendue plus facilement accessible au visiteur. L’action de Cattelan, aussi déconcertante soit-elle, doit être interprétée comme une volonté de faire de l’art pour le présent et pour les gens, se déclarant irrévocablement opposé à la sublimation et à la spiritualisation de l’art. On pourrait presque penser que les œuvres, le commissaire et la conception de l’exposition veulent positionner Cattelan dans un récit en continuité avec les grands maîtres de l’histoire de l’art. Cela a été confirmé par la performance qui a inauguré l’ouverture de l’exposition :(suit p. 59)


Photo ucca.org

(suit de la page 58) une mascotte à tête géante et chemise rayée s’est fait passer pour Picasso qui, déambulant dans les espaces de l’UCCA, a invité le public à entrer. Cattelan avait déjà “disneyfié” la figure de Picasso en 1998 lorsque, invité par le MoMA de New York, il s’était présenté vêtu de la classique chemise à rayures et d’une tête géante avec une forte caricature de ses traits somatiques. A cette occasion, Cattelan a voulu jouer avec la réputation inviolable de Picasso pour faire une critique forte de la société américaine dans laquelle tout, y compris l’art, risque de devenir un simple divertissement. À Pékin, ce message a été amplifié par la performance de la mascotte et l’installation d’une fresque murale, dans une allusion claire à l’exposition Picasso - Naissance d’un génie accueillie par l’UCCA en 2019. Cattelan s’appuie une fois de plus sur l’aspect ludique de ses œuvres pour mettre en garde le public contre l’équilibre fragile sur lequel repose l’ensemble du système artistique ; dans le même temps, Cattelan (qui n’a pas pu assister à son exposition) invite rien moins que Picasso lui-même à accueillir les spectateurs et à inaugurer sa première exposition personnelle en Chine. Le Jugement dernier n’est pas seulement une inter-

rogation obsédante de l’artiste sur la culture de masse, la société et le système mondialisé de production et de consommation d’art, mais aussi, et peut-être surtout, l’éternelle tension entre le choix actif de juger et la condition passive d’être jugé. Conçue pour inciter les visiteurs à rechercher des œuvres dans une disposition apparemment aléatoire, l’exposition encourage les spectateurs à rechercher des histoires authentiques dans chaque œuvre, à entrer dans une relation intime et personnelle avec elles afin de parvenir à un jugement. À cet égard, parmi les différents posts qui ont fait parler de l’exposition, celui publié par Bonami sur son compte Instagram (puis relancé par l’UCCA) est certainement l’un des plus significatifs : un visiteur allongé au sol fait semblant d’être mort à côté de l’œuvre, constituée d’un trou rectangulaire creusé dans le sol et d’un monticule de terre. Le conservateur ne manque pas une occasion de demander : “Lequel de ces éléments est de l’art ? La personne ? Le trou ? La montagne de la terre ? Vous choisissez !”. Giorgia Cestaro Pékin // jusqu’au 20 février 2022 Maurizio Cattelan - Le Jugement dernier UCCA 798, n° 4, rue Jiuxianqiao https://ucca.org.cn/en https://www.artribune.com/dal-mondo/2021/11/mostra-maurizio-cattelan-ucca-pechino/


Photo georgesdezayas

n a l’impression que tout a été dit sur Pablo Picasso (Malaga, 1881 - Mougins, 1973) et qu’aucune autre œuvre n’a suscité autant d’agitation, de débats et de controverses. Mais peu connaissent encore les obstacles qui se sont dressés sur le chemin de ce jeune artiste, qui est arrivé à Paris en 1900 sans parler un mot de français. Comment Picasso s’est-il installé dans cette métropole moderne ? Comment a-t-il vécu ses premières amitiés et ses premiers succès ? Pourquoi sa demande de naturalisation française a-t-elle été rejetée en 1940, alors qu’il était déjà célèbre dans le monde entier ? Sur la base d’une enquête de l’historienne Annie Cohen-Solal, exposée dans son livre “Un étranger nommé Picasso”, le Musée de l’Histoire de l’Immigration porte un regard radicalement nouveau sur l’artiste, mettant en évidence le lien entre l’histoire politique et son œuvre. Dessins, sculptures, tapisseries et documents d’archives racontent l’histoire de l’artiste le plus célèbre du XXe siècle sous l’angle de sa relation contrastée avec la France. Pour Annie Cohen-Solal, il existe un “paradoxe de Picasso”. Celle d’un homme qui, dès l’année qui suit son déménagement, est la cible de la police. D’un artiste qui a suscité l’intérêt des Américains dès 1911 mais qui a dû attendre 1932 pour exposer ses œuvres à la Galerie Georges Petit à Paris.

L’EXPOSITION AU MUSÉE DE L’HISTOIRE DE L’IMMIGRATION À PARIS EXPLORE LES RELATIONS CONFLICTUELLES DE PICASSO AVEC LA FRANCE. PENDANT PLUS DE QUARANTE ANS, L’ARTISTE ESPAGNOL A ÉTÉ CONSIDÉRÉ COMME UN ÉTRANGER ET UN SUSPECT.

PALAZZI 61 VENEZIA

Enfin, le paradoxe d’un citoyen qui s’est vu refuser la nationalité française après avoir vécu en France pendant quarante ans, mais qui a travaillé jusqu’à sa mort pour contribuer au prestige de son pays d’adoption. Les documents exposés examinent comment la situation existentielle de Picasso en tant qu’étranger en France a conditionné son travail artistique et comment cette condition d’étranger a été un moteur de sa créativité. Six années de recherches dans les archives ont permis de mettre au jour les anomalies et les scandales qui ont touché un pays aux institutions obsolètes, secoué par des vagues de xénophobie jusqu’en 1945. Dès juin 1901, moment de sa première exposition à la galerie Vollard, la police crée un dossier contre l’artiste espagnol, le qualifiant d’anarchiste. Pendant plus de quarante ans, il sera perçu dans les administrations françaises comme un intrus, un étranger, un extrémiste de gauche, un artiste d’avant-garde. Toutes ces choses dont il n’a jamais parlé à personne, mais qui ont sans aucun doute marqué sa vie quotidienne. Même sa demande de naturalisation a été refusée parce qu’il était considéré comme un suspect. Le dossier indique que l’artiste avait été hébergé par un anarchiste, (suit page 62)


(suit de la page 61) mariée à une Russe et avait également travaillé pour un marchand d’art juif et allemand. Et, plus intolérable encore, il avait promis de léguer sa collection à la Russie communiste. “C’est une façon singulière de remercier la France de l’avoir accueilli et, dans les circonstances actuelles, son comportement est pour le moins inconvenant”, conclut le policier dans la note des Renseignements généraux. L’exposition nous conduit à travers cinq salles, de l’arrivée de Picasso à Paris, où il rejoint ses compatriotes catalans à Montmartre, une phase caractérisée par des œuvres mettant en scène les personnes les plus marginalisées, comme les clochards et les prostituées, aux acrobates de la période bleue et rose. Il se dirige ensuite vers les cercles d’avant-garde, marqués par son amitié avec Max Jacob, Apollinaire et les collectionneurs Leo et Gertrude Stein. L’invention, avec Braque, du cubisme a également donné lieu aux premières critiques virulentes à l’encontre de son travail, notamment lorsque certains députés ont qualifié son art d’ordure. Après Guernica, Picasso se déclare ouvertement du côté des républicains espagnols et ce moment coïncide avec sa demande de naturalisation, qui sera rejetée par la suite. Bien que célèbre, il re-

présentait en fait “l’archétype de la menace” car il était riche, célèbre, indéchiffrable, incontrôlable et cosmopolite, comme le dit Annie Cohen-Solal. Il a conquis la France en 1944 en adhérant au parti communiste et n’a obtenu la nationalité française qu’en 1958. L’artiste, âgé de 77 ans, a décidé de le refuser. L’histoire de Picasso est un excellent prétexte pour analyser les relations entre la France et ses immigrés. La dernière partie de l’exposition et le catalogue nous invitent à réfléchir aux leçons contemporaines que cette histoire suggère, à une époque où la richesse culturelle des échanges migratoires est fortement remise en question. Plus que jamais, la France s’interroge non seulement sur les événements et les séquelles de son passé colonial, mais aussi sur son rapport à l’étranger, entre passé et présent. Ce n’est donc pas un hasard si plusieurs personnalités et artistes d’origine étrangère trouveront leur place dans la future exposition permanente du Musée national de l’histoire de l’immigration à partir de l’automne 2022. Arianna Piccolo Jusqu’au 13 fèvrier 2021 Picasso l’étranger MUSÉE NATIONAL DE L’HISTOIRE DE L’IMMIGRATION 293, avenue Daumesnil www.histoire-immigration.fr


Photo lapermanente

maginer l’art du futur est l’objectif, déjà présent dans le titre, de 2121 - Crypto Art is now, une exposition qui marquera les débuts du NFT et du crypto-art dans un musée italien, en l’occurrence au DART | Dynamic Art Museum at Permanente à Milan. L’exposition, qui s’ouvre aujourd’hui et se poursuit jusqu’au 6 février, rassemblera les œuvres de 70 des plus importants artistes numériques du monde, et comprendra à la fois des œuvres totalement numériques et la numérisation d’œuvres physiques par le biais de la blockchain et des systèmes NFT. Pendant toute la durée de l’exposition, le DART et le groupe Wrong Theory, dont les fondateurs ont également collaboré au commissariat des œuvres, ont organisé un calendrier d’événements pour approfondir et élargir le débat sur la NFT et la crypto-art. Ces événements porteront sur des sujets tels que la relation entre la crypto-art et la technologie, le potentiel de l’intelligence artificielle et le potentiel et les problèmes de la crypto-économie, ainsi que des rencontres avec les artistes de l’exposition et les collectionneurs. Le plus beau, c’est que l’exposition elle-même fait partie d’une déclaration plus large sur la nature de l’art qui est mise en scène au DART : parallèlement à l’exposition NFT, il y a également une exposition d’art “traditionnel” consacrée à des œuvres d’artistes tels que le Caravage et le Guercino, qui se trouvent dans des collections privées historiques dans toute l’Italie. L’idée est de donner un poids égal, dans le même espace muséal, à la collection d’art classique et à la collection d’art

2121 Crypto Art is now jusqu’au

6 février 2022

DART | Dynamic Art Museum

Permanente Via Filippo Turati, 34 Milan

Tél.:+39 02 655 1445 www.lapermanente.it/

PALAZZI 63 VENEZIA

futur - un type d’opération qui est en soi très “méta” et représente un raisonnement intéressant sur la nature de la créativité et l’évolution des techniques artistiques dans un pays, comme l’Italie, où la vie contemporaine se déroule presque toujours à côté de la présence constante de l’histoire et du passé. L’exposition explore le présent en pensant à demain, à travers des œuvres d’artistes qui, dans un laps de temps court et exponentiellement accéléré, proposent et créent de nouveaux points de réflexion sur la manière dont une œuvre doit être conçue, réalisée, utilisée et transmise pour être déclarée telle Organisée par DART en collaboration avec Alessandro Brunello, Alan Tonetti et Serena Tabacchi, “2121” vise à montrer au public la première exposition physique de Crypto Art, en créant une exposition basée sur l’interaction entre l’être humain et le monde numérique. Le Crypto Art englobe toutes les formes d’art qui impliquent la création d’une œuvre totalement numérique, ou la numérisation d’une œuvre physique, grâce aux systèmes blockchain et NFT (Not-Fungible Token), qui permettent d’identifier les œuvres au moyen d’un ensemble spécifique d’informations numériques garantissant l’authenticité de l’œuvre elle-même. https://artemagazine. i t / 2 0 2 1 / 11 / 1 6 / l a - c r y p to-art-al-museo-della-permanente-di-milano/


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