Palazzi A Venezia Février 2021

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Phot valeriamelis

Prix Swiss Life à 4 Mans Faith Ringgold Simphiwe Ndzube Jorg Colberg Saqqarah Giuseppe Piazzi et l’asteroide Ceres Fondation Margherite et Aimé Maeght Marta Magdalena Abakanowicz Josephine Verstille Nivison En Inde Dieu fait l’amour Vegetaliser la Place de la Concorde La fausse protection de la Butte Rouge Mies Van Der Roe / David Chipperfield Frank LLoyd Wright Nili Pincas Alexander von Vegesak De l’Art et du Cochon Barbara Ceciliato Federica Poletti Le Artefici del Mondo Prix des Musées d’Art Le Soleil dans un miroir Ciro Miguel VESSEL New York City

PALAZZI A VENEZIA Publication périodique d’Arts et de culture urbaine de l’association homonyme régie par la Loi de1901 ISSN/Commission Paritaire : en cours Distribution postale/digitale aPrésident Directeur de la Publication Vittorio E. Pisu Projet Graphique Emmerick Door Maquette et Mise en Page L’Expérience du Futur Correspondance zoupix@gmail.com palazziavenezia@gmail.com https://www.facebook.com/ Palazzi-A-Venezia https://www.vimeo.com/ channels/palazziavenezia Trentedeuxème Année / numéro 02 /Fèvrier2021 Prix au numéro 5 euros Abonnement annuel 50 euros Abonnement de soutien 500 euros


4ème édition du Prix Swiss Life à 4 mains

La Galerie Thierry Bigaignon lève le voile sur Le Bleu du ciel Un an après avoir été consacrés par le Prix Swiss Life à 4 mains, Edouard Taufenbach (photographe) et Régis Campo (compositeur) présentent leur œuvre originale commune Le Bleu du ciel à l’occasion d’une exposition inédite à la Galerie Thierry Bigaignon à Paris,

du 2 au 16 février 2021

Photo artension

Accompagnés par la Fondation Swiss Life et ses conseillers artistiques (Emilia Genuardi et Elsa Janssen pour la photographie ; Olivier Bouley pour la musique), Edouard Taufenbach et Régis Campo ont pu travailler sur leur création originale en 2020 pour produire une œuvre riche et variée. D’une case à l’autre, d’une mesure à l’autre, d’une hirondelle à l’autre, Le Bleu du ciel dessine des espaces de liberté, construisant un sentiment de mouvement, de vitesse, de ruptures de lignes, si caractéristiques du vol des hirondelles. Sans jamais s’illustrer l’une l’autre, l’image et la musique se pourchassent, se dépassent successivement. Un exercice de voltige où la répétition de rythmes et de motifs s’appuyant sur la composition de la musique itérative dialoguera avec la répétition d’images organisées. h t t p s : / / w w w. s w i s s l i f e . fr/Le-Groupe/Fondation-Swiss-Life https://www.thierrybigaignon. fr/ Nathalie Dran nathalie.dran@wanadoo.fr + 33 (0)6 99 41 52 49

a photo qui illustre la couverture du mensuel a été publiée sur la page Facebook de venessia. oom par Marco Santin, avec cette note : Cette photo a été trouvée hier lors de travaux de rénovation dans l’une des plus anciennes maisons de Venise. C’est la seule preuve photographique existante qui montre le pont qui reliait Riva degli Schiavoni à l’île de San Giorgio, avant qu’il ne soit détruit par l’explosion le 17 octobre 1940. Elle sera exposée dans le musée après que des experts l’auront analysé. Bien sur vous aurez compris qu’il s’agit d’un photomontage et c’est bien le Brooklyn Bridge. Par contre j’ai trouvé amusant de la proposer puisque en 1985, invité à participer à la consultation lancée par la Biennale de Venise qui proposait dix zones urbaines dans la Vénétie à aménager, dont trois à Venise même. J’ai choisi le Pont de l’Académie que je remplaçais par une réplique à l’échelle du même Brooklyn Bridge, en utilisant le Palazzo A Venezia per il Mio Amore que j’avais crée pour le Noel 1984 comme cadeau à ma Dulcinée. (voir https://www.facebook.com/vittorioepisu89) Il a bien proliféré depuis et entre Alphabet (ici les lettrines), service à thé, coffret à bijoux, maison de poupées, salle à manger de l’émission Solo Opéra, organisateur d’expos et autre festivités culturelles, éditeur de publications diverses et jusqu’à ce magazine que vous êtes entrain de lire. Comme quoi je ne suis pas le seul à avoir eu cette idée. Pour le reste on continue à nager en pleine confusion entre lockdown et couvre feu on ne sait plus à quelle heure on va prendre l’apéro. Pendant ce temps là les artistes continuent de nous proposer leurs œuvres et les curateurs, galeristes et autre instances muséales s’évertuent à interpréter les ukases des différents gouvernements (sic) européens pour coute que coute et vaille que vaille, ouvrir leurs espaces à un public qui visiblement réponds d’une manière enthousiaste à ces propositions. Comme toujours ma sélection très subjective vous propose des balades sympathiques entre Histoire, Architecture, Arts Plastiques et autres curiosités parfois très anciennes et d’autre fois toutes récentes depuis les Arts Textiles jusqu’au Soleil réfléchi pour village de Haute Montagne en passant par les manifestations de Fondation célèbres et les temples aux sculptures érotiques, en espérant vous apporter des raisons d’espérer face à cette situation qui s’éternise et qui ne veut pas que nous retrouvions les plaisir simple de nous retrouver, même avec masques, d’aller au restaurant, au théâtre, aux music hall et d’autres lieux de divertissement qui pour l’instant nous sont proprement interdits laissant la morosité s’installer. En espérant que les mois prochains seront ceux de la liberté retrouvée je vous souhaite un Bon Carnaval.V.E.P. PALAZZI 2 VENEZIA


Photo galerieuniver

FAITH RINGGOLD

es artistes travaillant dans des médiums historiquement considérés comme des “métiers” par l’establishment du monde de l’art ont gagné en reconnaissance au cours des dernières décennies, ainsi qu’une place sur le marché. L’un des chefs de file de cette évolution est l’artiste américaine Faith Ringgold, qui a commencé à réaliser de puissantes œuvres textiles en deux et trois dimensions dans les années 1970. Les sculptures douces, les œuvres mixtes et les quilts qui en résultent comptent aujourd’hui parmi ses œuvres les plus connues et les plus recherchées. Ses célèbres “Story Quilts”, des peintures exécutées sur des supports en tissu cousus et rapiécés, qui incorporent souvent des textiles trouvés, représentent les cinq plus grands résultats de Ringgold aux enchères; toutes ces œuvres sont arrivées depuis 2015 et sont ses seules œuvres à être vendues pour des sommes à six chiffres sur le marché secondaire. Le record actuel de Ringgold aux enchères a été établi par un quilt qu’elle a réalisé pour la défunte poète et activiste Maya Angelou, qui a presque doublé son estimation élevée lorsqu’il s’est vendu pour 461 000 dollars lors de la vente aux enchères de 2015 de la Swann Auction Galleries d’œuvres d’art provenant de la succession d’Angelou. Sur le marché primaire, cependant, les œuvres de Ringgold atteignent souvent des sommes à six chiffres. Lors de l’édition en ligne de Frieze Masters en octobre, les galeries ACA de New York proposaient plus

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d’une douzaine d’œuvres de Ringgold, dont deux de sa série de sculptures douces “African Masks” des années 1970, proposées pour 125 000 dollars chacune, et d’autres pièces textiles de la même période dont les prix affichés se situent entre 120 000 et 325 000 dollars. Bien que le marché secondaire n’ait pas encore totalement compris, les prix du marché primaire pour les œuvres de Ringgold ont probablement été soutenus par un fort soutien institutionnel pour son travail, y compris une importante exposition personnelle avec les Serpentine Galleries de Londres en 2019 et des acquisitions récentes par le Musée d’art moderne, le Musée d’art de Baltimore, et d’autres. L’artiste sud-africain Simphiwe Ndzube suit les traces de Ringgold en brouillant les frontières entre l’art textile, la sculpture et la peinture. Ses tableaux captivants allient des compositions figuratives audacieuses à des saillies de tissu sculptural. L’artiste, qui partage son temps entre Los Angeles et Le Cap, est bien représentée dans ces deux villes, où il expose avec la Nicodim Gallery et Stevenson. Cette dernière accueille actuellementune exposition personnelle de ses derniers hybrides de peinture et de sculpture textile dans son avant-poste de Johannesburg. (suit page 4)


Photo vanityfair

(suit de la page 3) En décembre, lors de l’édition virtuelle d’Art Basel in Miami Beach, la galerie a offert l’œuvre titulaire de l’exposition, The Fantastic Ride to Gwadana (2020), pour 50 000 dollars. Ce chiffre suggère que le marché primaire de Ndzube est légèrement en avance sur son marché secondaire, qui jusqu’en juin 2020 était limité aux seules maisons de vente aux enchères sud-africaines. Depuis lors, ses œuvres ont été vendues en France et en Chine, mais son record d’enchères reste le diptyque à grande échelle “Sarah and some Gentlemen” (2014), qui s’est vendu pour 512 100 ZAR (35 950 $) lors d’une vente Aspire Art au Cap en mars 2019. Ce record pourrait ne pas durer longtemps, avec sa première exposition personnelle aux États-Unis, qui doit s’ouvrir au Denver Art Museum en juin. Notre équipe de conservateurs a rassemblé une collection d’œuvres qui incarnent trois tendances émergentes pour 2021 qu’Artsy a identifiées : “Craft Figuration”, “Return to Nature” et “Colored Pencil Revival”. Parmi les points forts de cette collection, citons une pièce brodée richement colorée de Joana Choumali, une sculpture surréaliste de grande taille de Simphiwe Ndzube et une petite œuvre sur papier de Cui Jie. https://www.artsy.net/

SIMPHIWE NDZUBE

imphiwe Ndzube est né en 1990 à Hofmeyr, dans la province du Cap-Oriental, et vit à Los Angeles. Il est titulaire d’une licence en beaux-arts de la Michaelis School of Fine Art de l’université du Cap. Des expositions individuelles ont eu lieu au Museo Kaluz (2019) ; à la CC Foundation, Shanghai (2018) ; à la Nicodim Gallery, Los Angeles (2017, 2019) ; et à WHATIFTHEWORLD, Le Cap (2016) aux côtés de Stevenson (2019). Parmi les expositions collectives, citons A Fair Share of Utopia, Nest, Pays-Bas (2020); Là où les eaux se mêlent, 15e Biennale de Lyon (2019) ; Open Borders, 14e Biennale internationale de Curitiba, Brésil (2019) ; People at Jeffrey Deitch, Los Angeles (2019) ; New Acquisitions, Rubell Family Collection, Miami (2019) ; Hacer Noche (Crossing Night) à Oaxaca, Mexique (2018) ; The Eye Sees Not Itself, Nicodim Gallery, Los Angeles (2017) ; Hierophant, Nicodim Gallery, Bucarest (2017) ; Women’s Work, Iziko South African National Gallery, Cape Town (2016) ; Our Lady, Iziko South African National Gallery (2016) ; The Art of Disruptions, Iziko South African National Gallery (2016) ; #theopening, Greatmore Studios, Cape Town (2016) ; Kasi-2-kasi Public Arts Festival dans le cadre de Remaking Place, Gordon Institute for Performing & Creative Arts, Cape Town (2015) ; Revisiting the Latent Archive in Sites, The Hostel, Cape Town (2015) et Peter Clarke and Friends, Frank Joubert Art Centre. Ndzube a effectué des résidences aux Dalton Warehouse Studios, South Central, Los Angeles (2018) et aux Greatmore Studios, Woodstock Cape Town (2016). Il a reçu le prix des créateurs culturels “Innovateurs et leaders” en art (2019), le prix Tollman pour les arts visuels (2016), le prix Michaelis (2015), le prix Simon Gerson (2015) et la bourse Cecil Skotnes (2013) à l’UCT.

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Photo jorgcolberg

JORG COLBERG a nouvelle monographie du photographe est une collection d’images prises entre l’Allemagne et la Pologne, créant une atmosphère d’incertitude qui caractérise l’avenir de cette nation troublée. En allemand, l’expression “Vergangenheitsbewältigung” décrit le processus d’acceptation et d’analyse du passé troublé de la nation, en particulier l’Holocauste et les autres crimes de la Seconde Guerre mondiale. Chez les autochtones, le terme est bien connu. Cependant, au fil du temps, et les cicatrices laissées par le traumatisme des nazis menacent de passer dans la mémoire, le sens de ce terme devient creux et sans importance. “Cela ne veut rien dire si vous ne l’abordez pas dans le présent”, déclare le photographe allemand Jörg Colberg, qui explore cette notion dans son dernier livre, Vaterland, publié par Kerber Verlag. “Je voulais faire un livre sur ce que cela signifie réellement. Si nous ne faisons que nous sentir tristes certains jours, alors ce n’est qu’un rituel, et un rituel vide”. Aujourd’hui, l’Allemagne est un leader politique et économique mondial. Angela Merkel, la première femme chancelière, aura effectué quatre mandats, totalisant 16 ans, en 2021, et a contribué à la réputation progressiste et libérale du pays. Par exemple, une grande partie du monde a regardé la crise des migrants de 2015, alors que l’Allemagne accueillait plus d’un million de réfugiés, une décision

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controversée qui a sans doute suscité un sentiment nationaliste accru parmi sa population, en particulier à l’Est. Depuis lors, de nouveaux acteurs ont gagné en importance sur la scène politique, exploitant la ferveur anti-immigrants. En 2017, le parti populiste radical de droite Alternative für Deutschland (AfD), fondé en 2013, a remporté un nombre sans précédent de 94 sièges au Bundestag, devenant ainsi le troisième parti le plus puissant. L’AfD est ouvertement eurosceptique et anti-immigration et offre une plateforme pour une rhétorique antisémite et islamophobe. Au cours des cinq dernières années, une multitude d’organisations néonazies, telles que la Wolfsbrigade 44, fondée en 2016, et Combat 18, qui a vu le jour au Royaume-Uni dans les années 1990, ont également contribué à la diffusion d’une idéologie radicale. Le gouvernement a interdit ces deux groupes en 2020, en partie en réponse à la fusillade de l’homme politique Walter Lübcke en juin 2019 par un membre de Combat 18 pour son travail en faveur des réfugiés, et à la tentative d’une autre personnalité d’extrême droite de procéder à une fusillade massive dans une synagogue de Halle, tuant deux personnes, en octobre 2019. (suit page 6)


Photo jorgcolberg

(suit de la page 5) En février de l’année dernière, un extrémiste d’extrême droite a également assassiné neuf personnes dans deux bars de shisha à Hanau, ciblant les personnes issues de l’immigration. Ce ne sont là que quelques exemples de la montée de l’extrémisme d’extrême droite dans tout le pays. “J’avais de plus en plus le sentiment que quelque chose n’allait pas. Je savais ce qui se passait, mais on n’en parlait pas”. Dans Vaterland, le premier d’au moins deux livres que Colberg a prévu de consacrer à une réflexion sur l’Allemagne d’aujourd’hui, le photographe rumine cette atmosphère hostile qui, selon lui, n’est pas prise suffisamment au sérieux. Depuis dix ans, il retourne chaque année dans son Allemagne natale depuis son domicile de Northampton, dans le Massachusetts, et il est le témoin direct de ce changement. “J’avais de plus en plus le sentiment que quelque chose n’allait pas”, dit-il. “Je savais ce qui se passait, mais on n’en parlait pas”. Les rapports d’incidents violents continuent, le racisme et la xénophobie anti-immigrants s’insinuent dans le discours quotidien, des synagogues ont été attaquées, et pourtant aucune solution durable n’est proposée.

“C’est dangereux”, déclare M. Colberg. “Ce discours se normalise, ce qui le relie au passé nazi”. Colberg a pris les images qui composent le Vaterland à Berlin, Hambourg et Varsovie. Il avait initialement prévu d’explorer les relations complexes entre l’Allemagne et la Pologne en raison de la violence et des souffrances monumentales que le pays voisin a connues aux mains des nazis pendant la guerre. Au fil du projet, Colberg a décidé de se concentrer sur l’expérience allemande, mais afin de la représenter fidèlement, Varsovie avait encore un rôle important à jouer. “Il y avait tellement d’histoire partout où vous alliez”, dit-il. “Une histoire partagée, qui est celle de l’Allemagne qui détruit tout et tue tant de gens. Mais c’est ce qui m’a attiré”. Vaterland crée une atmosphère de malaise. L’air est immobile, et la lumière invariable, comme un jour d’hiver froid où le ciel reste le même, d’un blanc terne de l’aube à la nuit tombée. Il y a peu de contraste entre le noir et le blanc. Au lieu de cela, les images s’enfoncent dans un mélange de tons gris. Chaque image encadre une incertitude persistante, quelque chose qui n’est pas à sa place. Elle peut être subtile, comme une irrégularité de différentes briques dans un mur, ou un regard anxieux et latéral ; ou plus obscure, comme une parcelle d’herbe PALAZZI 6 VENEZIA


Photo jorgcolberg

inexpliquée mais soigneusement entretenue qui pousse sous une clôture d’acier. Les images se combinent pour créer une atmosphère d’angoisse. “Je voulais faire prendre conscience aux gens que quelque chose ne va pas”, dit Colberg. “Je ne voulais pas que ce soit didactique. Je ne suis pas un politicien, je suis un artiste. Je ne suis pas un politicien, je suis un artiste. Je ne pense pas que ce soit le rôle d’un artiste d’apporter des solutions ou de prétendre avoir des réponses”. Il existe également une poignée de portraits, qui sont des portraits de jeunes adultes vivant en Allemagne. “J’ai pensé que les personnes figurant dans le livre devraient être celles qui devront vivre avec cela pendant beaucoup plus longtemps que moi”, déclare M. Colberg. “Ce sont eux qui trouveront les solutions parce que les générations plus âgées en sont incapables”. Colberg termine la monographie par une série de statistiques traduites en allemand, en anglais et en polonais. Sur la page de gauche, il énumère le nombre de morts de la Seconde Guerre mondiale par pays européen, le plus élevé en Pologne avec 5,62 à 5,82 millions de morts ; les morts de l’Holocauste ; et la destruction de Varsovie en temps de guerre. Sur la droite, le nombre d’attaques contre des centres d’asile en Allemagne entre 2011 et 2017 et l’augmenPALAZZI 7 VENEZIA

tation de la part de vote gagnée par l’AfD aux élections fédérales et régionales. “Je voulais terminer en comparant le passé au présent”, déclare M. Colberg. “Le présent ne peut être compris sans le passé, mais il faut y faire face en même temps. “Détruire” est un mot fort, mais je voulais démolir l’idée de ces rituels qui consistent à ne penser au passé que certains jours et c’est tout. Je veux vraiment que les gens pensent à ce qui se passe chaque jour. Ce sont les petites choses qui s’accumulent pour devenir de plus grandes choses”. Si nous voulons tirer les leçons de l’histoire et mettre réellement en pratique le sens de la Vergangenheitsbewältigung, ces événements qui s’effilochent devraient servir d’avertissement. La formalité des monuments et des dépôts de couronnes nous a plongés dans un état de complaisance. “Je considère le livre comme un rappel de la responsabilité personnelle”, déclare M. Colberg. “Je ne dis pas aux gens ce qu’ils doivent faire et comment le faire, mais plutôt de prendre conscience de leur responsabilité de ce que cela signifie d’être allemand vivant en Allemagne. Aujourd’hui, c’est très important”. IZABELA RADWANSKA ZHANG jmcolberg.com


Photo khaleddesouki

es autorités égyptiennes ont dévoilé au public de nouveaux “trésors” archéologiques découverts dans la nécropole de Saqqarah dont une cinquantaine de sarcophages du Nouvel Empire vieux de plus de 3000 ans. Ces nouvelles mises au jour ont été effectuées près de la pyramide du roi Téti, premier pharaon de la VIe dynastie de l’Ancien Empire, par une équipe menée par le célèbre égyptologue Zahi Hawass. “Cette découverte réécrit l’Histoire de Saqqarah et plus particulièrement l’Histoire du Nouvel empire, né il y a 3000 ans”, a assuré dimanche Zahi Hawass, avant d’ajouter que “70% (de cette nouvelle découverte) restent à explorer”. Les sarcophages en bois, datant du Nouvel Empire (XVIe-XIe siècle av. J.C), ont été retrouvés dans un puits funéraire, selon Zahi Hawass, qui précise

Les autorités égyptiennes ont présenté de nouvelles pièces découvertes sur le site de Saqqarah. Parmi elles, une cinquantaine de sarcophages vieux de trois millénaires. Parmi les découvertes dans ces puits figure celle d’un “soldat à côté duquel reposait sa hache de guerre”, a précisé Zahi Hawass. En outre, Zahi Hawass a ajouté que son équipe avait retrouvé “un papyrus d’environ 5m de long contenant le chapitre 17 du livre des morts (...) des masques, des embarcations en bois, des jeux auxquels jouaient les anciens Egyptiens”. https://www.bfmtv.com/ international/

qu’un sarcophage en pierre a également été retrouvé dans un autre puits. “Nous avons découvert un total de 22 puits funéraires”, a-t-il dit. Parmi les découvertes dans ces puits figure celle d’un “soldat à côté duquel reposait sa hache de guerre”, a précisé Zahi Hawass. En outre, Zahi Hawass a ajouté que son équipe avait retrouvé “un papyrus d’environ 5m de long contenant le chapitre 17 du livre des morts (...) des masques, des embarcations en bois, des jeux auxquels jouaient les anciens Egyptiens”. L’archéologue estime qu’il s’agit d’une “découverte rare car la plupart des pièces retrouvées date du Nouvel Empire. A Saqqarah, c’est plutôt 500 avant J.-C. habituellement”. Plusieurs de ces objets ont été présentés dimanche à la presse, alors que les fouilles se poursuivaient sur le site. Le ministère des Antiquités et du Tourisme avait révélé dès samedi soir dans un communiqué la teneur de ces découvertes, qu’il avait qualifié de “majeures”. Le site de Saqqarah, qui se trouve à un peu plus de quinze kilomètres au sud des pyramides du plateau de Guizeh, abrite la nécropole de Memphis, la capitale de l’Egypte ancienne. Il est classé au patrimoine mondial de l’Unesco et est connu pour la célèbre pyramide à degrés du pharaon Djéser, la première de l’ère pharaonique. Ce monument, construit vers 2.700 avant J.-C par l’architecte Imhotep, est considéré comme l’un des plus anciens à la surface du globe. Les autorités espèrent inaugurer en 2021 le “Grand musée égyptien” près du plateau de Gizeh, où se trouvent les célèbres grandes pyramides et le Sphinx. L’Egypte espère que toutes ces découvertes et son nouveau musée vont redynamiser le tourisme mis à mal par l’instabilité politique et les attentats après la révolution de 2011 qui a chassé Hosni Moubarak du pouvoir, et par la pandémie de Covid-19. R.V. /AFP

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Photo costanzoangelini

GIUSEPPE PIAZZI andis que la cheminée réchauffait la maison qui était couverte de neige, comme la neige couvrait la ville de Ponte en Valtellina que, pour vous faire comprendre, comme un paysage n’était pas trop différent de celui de Heidi, le petit Joseph était le nez contre la fenêtre pour regarder les étoiles. Il n’avait pas de cartes astronomiques, tout comme il n’aurait pas pu avoir les applications de la tablette qui nous donnent le nom de toutes les constellations, mais Giuseppino s’est contenté de la condensation dans le verre et de l’index de sa main gauche qu’il a utilisé pour relier une étoile à une autre jusqu’à ce qu’un dessin soit formé. Au début, ces dessins n’avaient peut-être pas beaucoup de sens, mais, à force d’exercice et en demandant un peu ici et un peu là, lentement les constellations ont pris forme ; du moins les plus élémentaires. Papa Bernardo fumait sa pipe assis sur sa chaise pendant que sa mère, Francesca, préparait la polenta et que tous les autres enfants (car Giuseppe était l’avant-dernier de dix enfants) se tenaient autour du feu pour la regarder. Et ainsi, entre une souche et l’autre qu’il a jetée dans la cheminée pour alimenter le feu, papa Bernardo l’a regardée avec curiosité car il semblait n’avoir rien d’autre pour la tête que le ciel sans limites ; qui sait ce qu’il y a vu... Probablement parce que Ponte in Valtellina n’offrait pas grand chose, ou simplement parce que c’était la

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seule façon d’étudier, à l’âge de dix-huit ans, en 1764, Giuseppe Piazzi s’installe à Milan où il entre au couvent de Sant’Antonio de l’ordre des Teatini. Non, vous ne vous trompez pas, l’ordre des Théatins est le même que celui de l’église de San Giuseppe dei Teatini à Palerme : Teatini, en latin “Theate”, signifie de Chieti car l’évêque qui était le premier prévôt de cet ordre était de Chieti. Milan, Gênes, Turin, Rome, Joseph tourne plus d’un représentant, mais, tournant tournant tournant tournant, il a la chance d’avoir de grands professeurs et d’étudier les mathématiques, la philosophie et son plus grand amour qui est l’astronomie. À la fin de ses études, il est passé de l’autre côté de la chaise et a donc commencé à enseigner la philosophie à Gênes, les mathématiques à Malte et aussi la théologie à Rome où il a été pris en sympathie par un collègue un peu plus âgé que lui, Barnaba Chiaramonti, comme son nom l’indique, qui avait d’étranges idées en tête et n’a rien fait d’autre que de dire : “Plus d’église démocratique, plus d’église démocratique”. Dans les années à venir, Barnaba, qui avait peutêtre trop cru à ces fantasmes, deviendra le pape Pie VII, sera fait prisonnier par Napoléon (suit page 10)


Photo karamellenews.it

(suit de la page 9) et réussira à demander et à abolir la traite des esclaves en Europe ; mais revenons à Giuseppe que nous avons un peu mis de côté. Deux ans passent et l’Académie royale des études de Palerme l’appelle pour lui donner la chaire de calcul sublime (qui n’est pas un bon calcul mais un calcul infinitésimal, c’est-à-dire des choses que nous, les humains, ne pouvons même pas imaginer). Après six autres années de ces sublimes calculs (il a dû se mettre tout recroquevillé), il a finalement couronné son rêve : le 19 janvier 1787, il est devenu professeur d’astronomie. Et comme toute cette technologie n’existait pas à Palerme, et même pas les grands experts en astronomie, Giuseppe a été envoyé - tout cela gratuitement - visiter les observatoires de Paris et de Londres où il affinera ses connaissances. Deux ans plus tard, il retourne à Palerme. Après tous les picciuli qu’il avait dépensés pour le faire voyager et étudier, le roi Ferdinand III de Sicile l’attrape et lui dit : “Giusè, voilà de l’argent, c’est la Tour de Santa Ninfa du Palais Royal, quand tu dis qu’on fait une belle specola...”. Oh non, Ferdinand n’avait pas l’intention d’organiser une salle de jeux clandestine dans la tour Pisan du Palais Royal, la

“specola” est un petit observatoire astronomique que Giuseppe va construire en un an seulement. Directeur de l’ouvrage, où il fait venir occasionnellement son ami Carlo Cottone, en 1791, c’est-à-dire dès qu’il est terminé, il est également nommé directeur de l’observatoire. Dix, neuf, huit, sept, six, zazueira, zazueira, où, à votre avis, Giuseppe Piazzi aurait-il pu se trouver la veille du Nouvel An 1800 et le lendemain, ainsi que le premier de 1801 ? A l’observatoire, bien sûr, il était à l’observatoire. Et c’est à la veille du Nouvel An que Giuseppe remarque un corps caché dans le fond étoilé, et cela n’a pas de sens pour lui. “C’était quoi, le vin d’hier soir ? “Sais-tu ce que ce Carlo Cottone a mis dedans? ” Regardez aujourd’hui, regardez demain, le corps n’est plus au même endroit, mais il bouge. “Alors un fu u vino ?”, se demande Giuseppe à quel moment. Il prend son journal et son stylo (ce sont vraiment ses mots) : “Sa lumière était un peu faible, et de la couleur de Jupiter, mais semblable à beaucoup d’autres, qui sont généralement placés en huitième classe par rapport à leur taille. Il n’y avait donc aucun doute dans mon esprit quant à sa nature. De temps en temps, le corps disparaissait et il revenait à la pensée “ Et si c’était du vin ? Au départ, Giuseppe Piazzi pensait que c’était une comète, mais comme elle n’emPALAZZI 10 VENEZIA


portait pas de nébuleuse avec elle, comme le font les comètes, il a commencé à étudier son mouvement. Malheureusement pour lui, il n’a pas réussi à suivre toute l’orbite de ce qu’il croyait être une planète car, sans entrer dans les détails techniques, cet égocentrique du soleil (héliocentrique, c’est mieux) s’est mis en travers de son chemin et lui a fait perdre ses traces. Heureusement, dans ces années-là, Carl Friedrich Gauss, le prince des mathématiciens, le plus intelligent, le plus sympathique et le plus cabaretier de tous, découvrit une nouvelle formule qui fut utile aux astronomes pour calculer les orbites. Piazzi devient fou en découvrant la nouvelle, commande un exemplaire de son livre sur Amazon et remet sa tête dans ses livres. Et lorsqu’il arrive enfin au bout de son calcul mathématique masochiste, tout en sueur et abasourdi, il se rend compte que le corps qu’il a découvert est exactement là où il veut. “Grand Jupiter !” s’exclamet-il. Piazzi avait découvert une nouvelle petite planète qu’il avait d’abord baptisée Cérès Ferdinandea (et ici, les plus malicieux comme moi pensaient que Piazzi fumait de la bière), en l’honneur de la déesse romaine Cérès, protectrice du grain sicilien. Par la suite, seul Ceres est resté car les étrangers ne savaient pas comment prononcer “Ferdinandea” et l’ont mal prononcé comme quand ils disent “caubonawa” pour signifier carbonara. Le 22 juillet, bien des années plus tard, à Naples, Piazzi meurt et l’histoire se termine. PALAZZI 11VENEZIA

iuseppe Piazzi1 (né le 16 juillet 1746 à Ponte in Valtellina, dans la province de Sondrio en Lombardie, et mort le 22 juillet 1826 à Naples) est un astronome, mathématicien et prêtre théatin italien. Il a créé l’observatoire astronomique de Palerme, découvert l’astéroïde Cérès et démontré le mouvement relatif des étoiles par rapport au Soleil. Giuseppe Piazzi est l’élève de Giovanni Battista Beccaria, Girolamo Tiraboschi, Thomas Leseur et François Jacquier3 Il rencontre entre le 13 mars 1787 et la fin 1789 les plus grands astronomes anglais et français de son temps. Jesse Ramsden, l’un des plus célèbres opticiens et constructeurs d’instruments de précision du xviiie siècle, fabrique pour lui un cercle azimutal, resté unique au monde et qui devient le plus important instrument de l’observatoire de Palerme, officiellement fondé le 1er juillet 1790 et installé dans le palais Castrone-Santa Ninfa. C’est aussi Piazzi qui a fait construire la méridienne de la cathédrale Notre-Dame de l’Assomption de Palerme. Le gouvernement de Naples le charge d’établir un système métrique uniforme pour la Sicile. Les restes de Piazzi sont, selon sa volonté, à la basilique Saint-Paul le Majeur de Naples.


Photo fondation-maeght

a Fondation Marguerite et Aimé Maeght compte aujourd’hui parmi les grandes collections internationales. Inaugurée le 28 juillet 1964 par André Malraux, la Fondation est née de l’amitié d’Aimé Maeght et de son épouse Marguerite, principaux éditeurs et marchands d’art de l’Europe d’après-guerre, avec certains artistes parmi les plus importants du XXᵉ siècle comme Joan Miró, Alexander Calder, Fernand Léger, Georges Braque, Alberto Giacometti, Marc Chagall … Couple visionnaire, Aimé et Marguerite ont organisé dans leur galerie parisienne des expositions légendaires telles que la Première exposition internationale du surréalisme en 1947 réalisée par André Breton et Marcel Duchamp. Lors d’un voyage aux États-Unis dans les années 1950, ils découvrent les collections Barnes, Philips et Solomon R. Guggenheim qui les incitent à créer la première fondation privée dédiée à l’art en France. À la mort de leur jeune fils Bernard d’une leucémie en 1953, Georges Braque encourage le couple Maeght à imaginer un nouveau lieu consacré à l’art moderne dans leur propriété de Saint-Paul de Vence. Joan Miró leur présente Josep Lluís Sert, l’ami architecte catalan qui a créé l’atelier de l’artiste à Palma de Majorque.

Les Giacometti une famille de créateurs

du 3 Juillet 2021 14 Novembre 2021 Commissaire d’exposition :

Peter Knapp

Fondation Maeght

623, Chemin des Gardettes 06570 Saint-Paul de Vence www.fondation-maeght.com/

FONDATION

Pensée comme un lieu d’expérimentation et d’échanges, la Fondation est conçue pour et avec les artistes. Peintres et sculpteurs collaborent avec l’architecte en créant des œuvres intégrées au bâtiment et à la nature: la cour Giacometti, le labyrinthe Miró, les mosaïques murales de Chagall et de Tal Coat, le bassin et le vitrail de Braque, la fontaine de Bury. Espaces intérieurs et extérieurs se répondent avec le jardin de sculptures, les cours, terrasses et patios, les salles d’exposition, la chapelle, la bibliothèque et la librairie. À deux pas du célèbre village de Saint-Paul de Vence, la Fondation Maeght accueille les visiteurs dans un lieu unique et intemporel où l’art, l’architecture et la nature dialoguent dans une parfaite harmonie. La Fondation Marguerite et Aimé Maeght est une fondation dédiée à l’art moderne et contemporain qui a été reconnue d’utilité publique par décret ministériel du 15 mai 1964. Monsieur Adrien Maeght est le Président du Conseil d’administration composé de 11 membres dont des représentants du Ministère de la Culture, de la Direction des Musées de France et du Ministère de l’Intérieur ainsi que de membres de la famille Maeght. « Faites quelque chose ici, quelque chose qui n’aurait pas de but spéculatif, qui nous permettrait à nous les artistes d’exposer de la sculpture et de la peinture dans les meilleures conditions possibles de lumière et d’espace. Faites-le, je vous aiderai.» Georges Braque

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N MAEGHT

«Faites un lieu pour nous les artistes… Si vous faites cela, je viendrai avec ma barbouille y peindre les rochers » Fernand Léger Dans les années 1950, Josep Lluís Sert (1902-1983) réalise à Palma de Majorque un vaste atelier pour son ami Joan Miró. Aimé Maeght, galeriste et éditeur de Miró depuis 1947, décide de lui confier son grand projet : la réalisation de la première fondation privée en Europe dédiée à l’art. La Fondation Maeght naît du désir d’un lieu pour présenter l’art moderne et contemporain sous toutes leurs formes tandis que les artistes viendraient travailler et échanger autant qu’exposer. C’est main dans la main avec la famille Maeght que Sert réalise les plans de la Fondation en associant des artistes tels que Braque, Giacometti, Miró, Tal Coat, Ubac et tant d’autres. C’est en humaniste que Sert conçoit une architecture de village dédiée aux artistes, ouverte et accueillante pour les amateurs d’art. C’est en moderniste que Sert réinterprète les codes du village méditerranéen. La simplicité des matériaux utilisés : brique, terre cuite, béton, murs, s’intègrent dans la nature. Sans brutalisme, son architecture associe la géométrie à la rationalité fonctionnelle et à la netteté des formes et des espaces. La Fondation Maeght possède l’une des plus importantes collections en Europe de peintures, sculptures,

Pour l’été 2021, du 3 juillet au 14 novembre, la Fondation Maeght proposera un événement unique avec l’exposition «Les Giacometti : une famille de créateurs » qui mettra en lumière la famille d’artistes originaire du village suisse de Stampa. Autour d’Alberto Giacometti, le plus connu pour ses sculptures emblématiques filiformes, le public pourra découvrir le travail de son père Giovanni et de son cousin Augusto, tous deux peintres, mais aussi de ses deux frères, Diego son cadet, sculpteur et designer et Bruno, le plus jeune, architecte. Cette exposition offrira un panorama original de cette dynastie artistique.

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dessins et œuvres graphiques d’art moderne (Bonnard, Braque, Calder, Chagall, Giacometti, Kandinsky, Hepworth, Léger, Miró, Tal Coat, Richier, Ubac …) et d’artistes contemporains (Bergman, Chillida, Christo, Del Re, Garouste, Immendorff, Kelly, Lam, Mitchell, Takis, Tàpies …). Dès 1964, Marguerite et Aimé Maeght ont fait don à leur fondation d’un ensemble initial riche de 1000 oeuvres d’art outre les oeuvres in situ intégrées à l’architecture du bâtiment. La Fondation préfigure la conception moderne d’un lieu culturel en multipliant la diversité des événements artistiques : musique, danse, théâtre, arts visuels. Durant l’hiver, la Fondation expose des morceaux choisis de la collection permanente dans les salles et le jardin. Chaque été, elle organise une exposition monographique ou thématique qui constitue un panorama de l’art moderne ou contemporain. Aimé Maeght a assemblé une riche collection d’ouvrages de bibliophilie illustrés de lithographies ou de gravures originales par les plus grands artistes du XXᵉ siècle tels Derain, Matisse, Picasso, outre les artistes dont les œuvres figurent dans la collection, accompagnant des textes ou poèmes de Beckett, Jarry, Malraux, (suit page 14)


h t t p s : / / w w w. f o n d a tion-maeght.com/la-fondation/?lang=fr

Photo wikipedia

MARTA MAGDALENA ABAKANOWICZ

(suit de la page 13) Prévert, Queneau. Maeght Éditeur est à ce jour le plus important éditeur du XXᵉ siècle, notamment pour des livres d’art exceptionnels en collaboration avec les artistes et les poètes. Au fil des ans, la bibliothèque de la Fondation Maeght est devenue, pour les étudiants, chercheurs, historiens et conservateurs, un véritable centre de consultation de livres rares et revues consacrés à l’art moderne et contemporain. Avec un fonds de plus de 35 000 ouvrages, la bibliothèque est constituée des dons de Marguerite et Aimé Maeght – notamment de leur bibliothèque personnelle -, de la famille Maeght, de catalogues et revues issus d’échanges avec les galeries et musées nationaux et internationaux. Le Fonds Pierre Reverdy a été créé en 1974 alors que Madame Pierre Reverdy offre à la Fondation la pleine propriété de l’œuvre littéraire du poète. Un don rare dans l’histoire littéraire. Le Comité Reverdy, présidé par François Chapon, continue d’enrichir le Fonds Reverdy par des acquisitions. De nombreux manuscrits et premières éditions de son œuvre sont conservés à la bibliothèque.

arta Magdalena Abakanowicz-Kosmowska, née le 20 juin 1930 à Falenty près de Varsovie en Pologne et morte le 20 avril 2017 à Varsovie, est une sculptrice et artiste textile polonaise appartenant au mouvement de l’avant-garde. Magdalena Abakanowicz est issue d’une grande famille d’origine tatare de l’aristocratie russe exilée en Pologne depuis la Révolution de 1917. Elle fait ses études à l’Académie des beaux-arts de Varsovie entre 1950 et 1954. Elle débute en tant qu’artiste en 1960 avec une exposition qui comporte de grandes gouaches sur papier et quelques tissages qui seront interdits pour cause de formalisme. Elle réalise ses premières créations mixtes qu’elle appelle « abacanes », en 1960. En 1962, elle est acceptée à la Ire biennale internationale de la tapisserie de Lausanne. Le créateur de la biennale, Jean Lurçat espère ainsi provoquer le milieu de la tapisserie dominé par la tradition française du « beau tissu ». Elle reçoit la Médaille d’or de la Biennale Internationale du Tissus4 et en 1965 le grand prix de la VIIIe biennale de São Paulo4. Entre 1965-1990, Magdalena Abakanowicz enseigne à l’École nationale supérieure des arts plastiques de Poznań. Entre 1970-1979, elle crée les Altérations, ensemble de sculptures et se met à l’écriture en écrivant des textes métaphoriques sur le cerveau, la mythologie et la religion.

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Photo wikipedia Nierozpoznani dans le Fort Winiary

Elle commence à travailler sur des matériaux basiques, tel que le bois, la pierre, la céramique et débute les dessins au fusain. En 1980, elle réalise “Embryologie” pour la Biennale de Venise. Deux ans plus tard, elle expose à la Galerie Jeanne Bucher à Paris. En 1987, elle écrit avec Pierre Restany le livre “Katarsis” et en 1988 réalise pour les Jeux Olympiques de Séoul 10 têtes d’animaux en bronze. Le Walker Art Center de Minneapolis lui commande en 1991 l’installation “La Foule”. L’approche de Magdalena Abakanowicz, utilisant des matériaux et des procédés innovateurs suscite une certaine polémique. En 1966, les Abakans constituent son réel début en sculpture et, dès la fin des années 1980, elle se consacre particulièrement aux sculptures de taille conséquente en abordant l’importance du monde organique et en se basant sur la vie animale et végétale. Magdalena Abakanowicz emploie des matériaux simples, comme le bois, la céramique, le verre, la toile de jute ou la pierre. Elle n’a pas simplement sculpté ; elle s’est également intéressée à la peinture et à l’architecture. Elle transforme la signification usuelle de la sculpture ; le simple objet devient opportunité d’expérience. Ainsi, elle construit des espaces à contempler ; désirant que le spectateur « entre » dans le travail artistique, à l’intérieur de l’imagination de l’artiste et qu’il soit confronté avec PALAZZI 15 VENEZIA

la sagesse de la nature ; étant convaincue que chacun possède la sensibilité et l’intuition nécessaires mais qu’elles sont souvent érodées par l’influence de la civilisation. « Mon intention est d’étendre les possibilités de contact de l’homme avec l’œuvre d’art par le toucher et l’enveloppement (…), je voulais imposer un rythme plus lent sur l’environnement comme un contraste à l’immédiateté et à la rapidité de notre environnement urbain ».

Œuvres principales

Abacanes, 1965, formes tridimensionnelles mariant voile, toile et grillage métallique Altérations de 1975, sont douze silhouettes humaines assises. Elles sont creuses et ont été réalisées avec des toiles de jute et de la résine synthétique. Dos (années 1980), moulages de corps humains en sisal, jute et résine, symbolisant des enveloppes vides sans individualités Têtes (années 1980), corps sans visage Catharis (1986) est constitué de trente trois troncs humain coulés en bronze pour la Fondation Guliano Gori de Florence. Foules (années 1980-90), ensemble de formes hiératiques en bronze pour des installations en plein air Jasnal, Gruby (2005), Winged Figure(2006) et Gawaine (2006-2007) abordent une approche plus onirique de son travail de sculptrice.


PhotoKaterinabelkina

es yeux de Jo Hopper se ferment sur le monde dans l’indifférence générale. Sans descendance, la vieille femme, devenue presque aveugle, avait décidé dans son testament, quelque temps avant sa mort, de léguer sa fortune au Whitney Museum of American Art. Et quelle fortune ! Un ensemble de plus de 3 000 œuvres signées de son mari, le peintre Edward Hopper, ainsi que ses propres tableaux, dont certains étaient encore montés dans leurs précieux cadres dorés… Tout le monde connaît Edward Hopper, légende absolue de la peinture américaine du XXe siècle. Mais qui se souvient de son épouse, Jo ? Dans l’ombre de son mari, elle a pourtant, elle aussi, tenté de mener tant bien que mal une carrière de peintre ! Née en 1883 à Manhat-

Où sont passées les œuvres de Jo Hopper ? Qui se souvient de Josephine Verstille Nivison ? Avant de devenir Mme Edward Hopper, modèle, complice et imprésario d’un des peintres les plus célèbres du XXe siècle, Jo Hopper fut elle-même une artiste prometteuse. Parmi l’ensemble considérable d’œuvres qu’elle légua au Whitney Museum de New York figurent celles d’Edward, mais aussi les siennes qui ont aujourd’hui pour la plupart disparu…

Par Inès Boittiaux

tan, Josephine Verstille Nivison a suivi les cours du peintre réaliste Robert Henri à la New York School of Art. Grâce à son talent prometteur, la jeune fille a exposé aux côtés des plus grands : Modigliani, Man Ray ou encore Picasso. Mais sa vie comme sa carrière basculent en 1924. Alors qu’elle participe à une résidence d’artistes dans le Maine, elle fait la rencontre d’un homme un brin réservé et à la silhouette élancée, au visage doux et aux yeux clairs : Edward Hopper ! Si la route des deux artistes s’était déjà croisée vingt ans plus tôt à New York, cette fois-ci ils ne se quittent plus et se marient. Jo emménage alors dans l’appartement d’Edward, un logement exigu qui sert également d’atelier. Mais bien vite, elle déchante et comprend qu’elle n’y a pas sa place. Hopper attend de sa femme qu’elle joue la parfaite épouse, au grand dam de cette dernière. Bientôt, le couple s’enferme dans un huis clos explosif… Dans ses journaux intimes, Jo confie sa frustration et sa solitude tandis que la carrière d’Hopper décolle. Entre les lignes noircies de sa petite écriture nerveuse se dessine en creux le portrait d’un mari sévère et taciturne, qui dénigre le talent de sa femme. Que ses rêves d’artiste semblent loin ! Jo, désormais, irradie sur les toiles d’Edward dont elle devient le seul et unique modèle. En coulisse, elle joue un rôle prépondérant dans la carrière de son mari : coach, agent, imprésario… Les œuvres de ce dernier sont pour elle comme les enfants que le couple n’a jamais eus. Mais Jo n’abandonne pas pour autant ses pinceaux. Dans l’ombre toujours, elle peint et dessine.

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Photo facebook

Sa maison dans la baie de Cape Cod l’inspire, tout comme les lumineux paysages alentours. Souvent, elle plante son chevalet non loin de celui d’Edward, à tel point que parfois, la ressemblance entre la toile de l’un et l’autre est troublante… Que sont alors devenues toutes ses œuvres ? Revenons en 1968. Peu de temps avant la mort d’Edward Hopper, Jo convient avec son mari de léguer toutes les œuvres tardives de ce dernier au Whitney Museum of American Art, qui lui a consacré ses deux dernières grandes rétrospectives, en 1950 et en 1964. Lorsque le couple décède (Edward en mai 1967 et Jo seulement dix mois plus tard), sans doute le musée ne s’attendait-il pas à recevoir une telle donation, comprenant également les œuvres de Jo Hopper ! Pendant près de trois ans, l’ensemble est stocké dans une réserve à l’abri des regards, avant que le musée ne se décide finalement à vendre certaines toiles – celles d’Edward. Et Jo ? Selon l’historienne, cela ne fait aucun doute : l’institution n’a jamais cru à la valeur de l’œuvre de Jo. Quelques années plus tard, en 1976, l’historienne de l’art Gail Levin, aujourd’hui professeure éminente à la City University de New York, rejoint l’équipe curatoriale du Whitney Museum afin de rédiger le catalogue raisonné d’Edward Hopper et découvre l’ampleur du désastre : les œuvres de Jo se sont évaporées. Elle apprend alors que le musée a donné, de façon expéditive, une partie de celles-ci à des hôpitaux de la ville (probablement emportées par des employés, elPALAZZI 17 VENEZIA

les ont aujourd’hui disparu) ainsi qu’à l’université de New York… Et qu’il se serait purement et simplement débarrassé du reste ! Selon l’historienne, cela ne fait aucun doute : l’institution n’a jamais cru à la valeur de l’œuvre de Jo. Et pourtant, si certaines œuvres (tardives et non signées) ont pu être sauvées, c’est parce qu’elles ont été pendant longtemps attribuées, à tort, à Edward ! D’autres encore ont pu être conservées car vendues ou données par Jo de son vivant. Certaines ont d’ailleurs rejoint les collections du Provincetown Art Museum, qui a acquis en 2018 69 dessins et aquarelles de Jo Hopper ainsi que 22 journaux de la période 1933–1956. Les seules preuves attestant de l’existence des autres toiles de l’artiste, probablement disparues à jamais, sont des photographies en noir et blanc réalisées par le photographe professionnel initialement engagé par Edward pour lui-même. Quant au Whitney Museum, qui n’a pas donné suite à notre demande d’entretien, il conserve aujourd’hui trois œuvres de Jo, dont une intitulée Obituary, retrouvée par hasard sur un marché aux puces de Brimfield, dans le Massachusetts… Jamais elles n’ont été montrées au public. https://www.beauxarts. com/grand-format/


Photo jean-pierredalbera

ondamnées ou appréciées, les sculptures érotiques de Khajuraho n’ont pas toujours été bien comprises. Leur caractère sacré, autant que leur dimension artistique, révèle pourtant une culture particulièrement riche. Lorsqu’en 1838, l’ingénieur britannique T. S. Burt découvre les temples de Khajuraho, enfouis sous une végétation luxuriante, il ne peut cacher sa surprise et sa réprobation. Dans son journal, il signale « quelques sculptures extrêmement indécentes et choquantes que j’ai été horrifié de trouver dans les temples ». L’exhibition impudique d’amours débridées sur les parois d’un édifice sacré avait en effet de quoi déconcerter un homme du XIXe siècle, anglais qui plus est. Aujourd’hui, si le regard porté sur ces reliefs par des touristes venus du monde entier a versé dans la complaisance, le malentendu n’a pas forcément été levé sur la signification réelle de ces acrobaties sexuelles. L’histoire de ce site spectaculaire est en revanche bien attestée. Située dans l’État du Madhya Pradesh, la région du Bundelkhand est dominée à partir de la moitié du Xe siècle par une dynastie locale, les Chandela, dont le pouvoir ne cèdera qu’au début du XIIe siècle sous la pression musulmane. Les temples que ces souverains ont bâtis à Khajuraho, Lalanjara et Mahoba restent parmi les plus beaux de l’Inde médiévale.

À Khajuraho, pas moins de 85 temples ont été érigés, dont 22 seulement subsistent. Qu’ils soient hindous ou jaïns, la plupart étaient conçus selon un schéma identique : sur un puissant soubassement s’élève le corps de bâtiment, le jangha, richement sculpté et surmonté de dômes, les sikharas. Le décor sculpté est organisé en bandes superposées, rythmées par des redans. Exubérants, ces bas-reliefs envahissent littéralement les surfaces, une surcharge ornementale que l’on qualifierait volontiers de baroque. Les figures s’y ébattent dans des poses chantournées, dont l’artificialité même exhale la trouble sensualité. Caractéristique aussi du style de Khajuraho, le visage à l’ovale arrondi avec ses yeux allongés à demi-fermés et ses sourcils en relief. Le corps à demi-nu, mais couvert de bijoux, les personnages exhibent des formes épanouies et lascives. Et le fort relief rend hommage à l’opulence des poitrines et à la générosité des hanches. Il n’est pas difficile de percevoir ici les échos lointains, mais exacerbés, du style gupta (IVe -VIe siècles). Cependant, comme l’atteste le nombre de sculptures, il s’agit d’une production de masse mise en œuvre par des armées d’artisans. Compositions répétitives et figures stéréotypées n’altèrent pas néanmoins la sensualité de l’œuvre, exaltée par la blondeur du grès soigneusement poli. À l’instar des bandes dessinées, ces frises sculptées racontent-elles une histoire ? PALAZZI 18 VENEZIA


Pas vraiment, si l’on en juge par l’extrême diversité des scènes représentées. S’y télescopent des défilés royaux et des scènes mythologiques évoquant la geste des Chandela, des frises animales et des parades de Çiva dansant ou jouant de la musique, des nymphes célestes et courtisanes sacrées… Mais ce qui focalise l’attention, ce sont les mithuna, ces couples d’amants saisis dans les diverses positions de l’amour. Si l’on peine à dégager une cohérence narrative de ce maelström, l’existence d’un discours articulant les dimensions plurielles de ces décors n’en est pas moins indéniable et permet d’éclairer la présence de scènes érotiques sur un lieu cultuel. « En Occident Dieu est amour, en Inde, Dieu fait l’amour», résume en une formule saisissante l’indianiste Michel Angot. Et ce n’est pas un hasard si les fameux livres du Kama Sutra ont été rédigés dans la langue sacrée, le sanskrit. Datant du IVe siècle, ce manuel de l’amour livre une description extrêmement minutieuse de la vie amoureuse conjugale et extra-conjugale, y compris dans sa dimension sociale, le mariage. Cet ouvrage séminal « illustre cette tendance profonde en Inde de transformer l’acte d’amour en un rite où les protagonistes ne sont pas seulement livrés à la passion mais principalement au savoir, souligne Michel Angot ; faire en sorte que l’amour soit en lui-même une œuvre d’art en somme. Dès lors la pertinence de l’opposition sacré/profane s’efface. »

voir la vidéo https://youtu.be/ q474V62zQ80

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La plupart des scènes érotiques sculptées sur les temples de Khajuraho trouvent leur source dans le Kama Sutra. Image de l’harmonie de l’univers, la sexualité constitue le moteur de sa reproduction. Dans le Kandariya, sans doute le plus beau temple du site, elles prennent place dans une cosmogonie ordonnée autour de Çiva. Considéré comme le Créateur par ses sectateurs, il est l’un des trois principaux dieux de la religion hindouiste avec Vishnu et Brahma. « Moteur du monde sensible, il est l’Amour dans ce que ce concept a de créateur et de destructeur à la fois, écrit l’indianiste Louis Frédéric. C’est pourquoi il est symbolisé par le lingamou organe sexuel masculin représenté en érection et sortant (ou entrant) dans une yoni ou organe sexuel féminin. » Autant qu’une célébration de la vie sensuelle, les images érotiques de Khajuraho cherchent peut-être à provoquer le désir divin en vue de féconder l’univers et d’assurer sa reproduction. On retrouve dans l’iconographie de Vishnu une même imbrication des dimensions humaines et cosmiques de la création. Au Lakshmana, dédié à son principe féminin Lakshmi,les couples s’adonnent aux choses de l’amour avec une ferveur qu’on ne trouve guère que dans la prière. Jean-François Lasnier www.connaissancedesarts. com/monuments-patrimoine/


Photo latribunedelart

PLACE DE LA CONCORDE

ous écrivions lors d’un article récent que la prochaine étape serait la « végétalisation » de l’axe Madeleine-Assemblée Nationale. Il n’a pas fallu attendre longtemps, puisque Anne Hidalgo, candidate à sa succession à la Mairie de Paris, vient de proposer la piétonnisation et la «végétalisation » de la place de la Concorde. Nous avons alors tweeté sur cette déclaration, et un certain nombre d’aficionados de sa politique nous ont répondu. Ces réponses sont souvent d’une bêtise affligeante, mais il faut bien répliquer car laisser les arguments de la maire de Paris prospérer sans rien dire revient à lui laisser le champ libre. Et certains de ces « twittos », dont la plupart se cachent derrière un anonymat bien pratique pour dire tout et n’importe quoi, nous reprochent (mais il est vrai qu’ils ne savent lire que 280 ca-

ractères et ne connaissent manifestement pas nos articles) de ne rien proposer. Nous allons donc, comme nous le faisons souvent, proposer quelque chose pour la place de la Concorde, après avoir expliqué la tactique de la mairie pour détruire une des plus belles places de Paris. Il faut, néanmoins, reprendre quelques-uns des « arguments » employés sur Twitter pour comprendre contre quoi nous luttons, qui peut sembler à première vue ahurissant. C’est ainsi que l’un de nos interlocuteurs a décrit la place de la Concorde : « Il n’y a rien a part l’obélisque et les fontaines. Et l’obélisque si on chipote n’a même pas à être là mais au temple de Louxor… ». Comme quelqu’un lui répond qu’elle est belle, la même personne (anonyme) répond : « elle est vide, énorme, interminable, sans aucun espace sympa pour s’assoir. Elle est juste un lieu de passage, visitée spécifiquement par les égyptologues et égyptophiles ». Il est vrai qu’à tant d’inculture et d’absence de goût, nous n’avons guère envie de répondre. À quoi cela servirait-il d’ailleurs ? En revanche, certains sont plus argumentés : « Il faut tout de même admettre que cette place a besoin d’être réaménagée, ne serait-ce que pour la sécurité des piétons et vélos. Et elle a d’ailleurs aussi besoin d’être rénovée, comme les lampadaires l’attestent. » « La place est une mini autoroute urbaine, stressante et bruyante. » Il nous faut donc d’abord différencier deux choses : la piétonnisation, et la « végétalisation ». Une remarque tout de même : pas davantage l’auteur de ces lignes que les salariés de La Tribune de l’Art ne sont susceptibles d’être des défenseurs acharnés de la voiture : pas un seul de nous n’en possède une ! Diminuer la place de la voiture à Paris n’est pas une

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Photo twitter

mauvaise idée, bien au contraire. Ce que nous contestons, c’est la manière de le faire, et ce souhait de plus en plus affirmé de supprimer toutes les voitures à Paris, comme s’il ne s’agissait pas d’une capitale économique qui a aussi besoin des voitures et comme s’il n’y avait pas des catégories de la population : les personnes âgées, les handicapés, ceux qui font des trajets Paris-Banlieue ou Banlieue-Paris sans transports en commun efficaces, les artisans ou les livreurs qui viennent travailler dans la capitale, etc. qui ont besoin d’une voiture et ne peuvent se contenter d’un vélo. Une politique de réduction de la voiture est possible, mais celle qui est menée, consistant à congestionner la ville sans développer parallèlement les transports en commun est mauvaise et augmente la pollution plutôt qu’elle ne la diminue. Mais tout cela sort du champ de La Tribune de l’Art. Nous ne sommes donc pas opposés à la limitation des voitures, et certainement pas de la place de la Concorde qui est devenue, au fil des ans, et cela est vrai, une véritable autoroute urbaine (les restrictions de circulation entraînent d’ailleurs un report qui se fait sur les axes encore libres, dont la place de la Concorde). Qu’il faille aménager des circulations plus faciles pour les vélos et les piétons sur cette place est donc certain, et nous n’avons jamais prétendu le contraire. Mais qui, depuis des années, a transformé cette place ainsi ? Qui a laissé le mobilier urbain et les sculptures se dégPALAZZI 21 VENEZIA

rader ? Qui a laissé la saleté s’y incruster comme elle s’est incrustée partout dans la ville ? Qui, même, a longtemps soutenu l’installation de la grande roue ? Qui laisse en place les baraquements de Marcel Campion ? Qui autorise l’occupation « temporaire » de cet espace par d’innombrables manifestations qui la dénaturent presque en permanence ? Qui, sinon la mairie de Paris ? Seules les publicités géantes, qui viennent encore davantage abîmer cet endroit, ne sont pas du ressort de la ville mais du ministère de la Culture. Un ministère de la Culture qui pourrait agir aussi sur les baraques de Marcel Campion mais qui préfère régulariser leur présence! Donc oui, cette place devrait être améliorée. Oui, il faudrait réduire la place de la voiture. Mais sûrement pas en la « végétalisant », comme si la diminution la circulation allait forcément de pair avec la plantation d’arbres ou la pose de pelouses. On est ici dans un processus qui se rapproche de celui qui a frappé la place de la République. Celle-ci, aménagée au XIXe siècle, après Haussmann, était riche d’un mobilier urbain de qualité, qui a progressivement été enlevé. Puis les deux jolis squares qui se trouvaient à l’est et à l’ouest, avec des pelouses, (suit page 22)


Photo lefigaro

(suit de la page 21) des fontaines et des arbres, ont été sciemment abandonnés, occupés par des squatteurs et des sans abris, rendant leur fréquentation impossible par les familles et les enfants à qui ils étaient d’abord destinés. Sales, dangereux, les fontaines privées d’eau, ces endroits étaient devenus des no man’s lands comme il en prospère désormais un peu partout dans Paris. Il était donc facile à la mairie, sous le regard indifférent de la DRAC Île-de-France qui a presque complètement abandonné la défense du patrimoine dans cette ville, de la casser entièrement, pour y installer à grand frais (et fort mal quand on constate les nombreuses malfaçons) une grande dalle minérale (l’inverse de la « végétalisation » : on a détruit des espaces verts) et un mobilier qui ferait honte à n’importe quelle grande capitale digne de ce nom. Si la voiture n’a pas été complètement éliminée, on l’a rejetée en grande partie sur sa portion sud, mais sans totalement la supprimer de la voie nord où demeurent les bus. Ceci pouvait être très simplement mis en place en conservant la place d’origine, en fermant l’axe nord sud, et en limitant la circulation de la partie nord aux bus comme cela est aujourd’hui le cas. Il n’était nul besoin de dépenser 24 millions

d’euros pour arriver à ce résultat, en détruisant la place. Comme nous le disions, et comme on peut le voir dans les réactions de certains, la même tactique est à l’œuvre pour la place de la Concorde, ce qui est encore beaucoup plus grave car on est ici sur une des plus belles places de Paris, entièrement classée monument historique. On la laisse se dégrader, puis on annonce qu’on va la réaménager, et tous ceux qui ne regardent pas plus loin que le bout de leur nez applaudissent et nous interpellent: «Mais regardez, cette place est épouvantable, et vous défendez cette situation?». Rappelons que cela fait des années que nous dénonçons l’abandon de la Concorde et son profond état de dégradation. Certains osent même nous accuser de ne rien proposer. Et bien si, nous proposons quelque chose, et ce quelque chose n’est pas compliqué à mettre en œuvre, et guère coûteux. Nous le résumons ici : - interdire toute publicité sur la place de la Concorde, - restaurer les divers éléments de mobilier, - restaurer les sculptures des villes, - enlever tous les baraquements, et interdire les installations temporaires qui défigurent régulièrement la place, - aménager de manière respectueuse du lieu des pistes cyclables, - limiter la circulation automobile et rendre de l’espace aux piétons (ce qui suppose que les voitures puissent PALAZZI 22 VENEZIA


prendre d’autres itinéraires, à moins que l’on veuille, comme nous l’écrivions, éradiquer totalement l’automobile du cœur de Paris, ce qui nous semble une politique totalement folle, mais qui sort de notre champ). Et surtout, surtout, ne pas « végétaliser » cette place qui est une création urbaine des XVIIIe et XIXe siècles, qui n’a jamais eu de plantes ni d’arbres, à la seule exception de ses fossés - que l’on voit en partie sur le tableau de Geslin, qui l’entouraient, et qui bien que conservés par Hittorf ont été comblés en 1854 pour les besoins de la circulation. Nous ne sommes d’ailleurs pas opposés (après étude, et si cela est faisable et justifié) à la restitution de ces fossés et de la balustrade qui les séparaient de la place. Rappelons que, de part et d’autre de la Concorde, on trouve le jardin des Tuileries, et le début des ChampsÉlysées qui sont tous deux très largement plantés, dans des compositions urbanistiques réfléchies datant des XVIIe et XIXe siècles. Il est vrai qu’un autre « twittos » nous a écrit, vengeur : « On pensera bien à vous remercier lors de la prochaine canicule amplifiée par la minéralité de la ville. » Cette opinion, largement répandue, que la végétalisation de la place de la Concorde (ou de toute autre place à Paris qui n’est pas plantée), freinera le réchauffement climatique (une réalité que nous ne contestons aucunement et qui est certainement un défi crucial) ou fera diminuer significativement la température des habitations, est tellement absurde que nous ne savons que dire. PALAZZI 23 VENEZIA

Et pendant ce temps, les mêmes iront prendre en plein hiver un café sur une terrasse chauffée, et applaudiront une mairie qui est l’une des moins écologiques que l’on puisse imaginer, qui prévoit de développer le déploiement des publicités numériques, qui laisse les promoteurs couper des arbres partout dans Paris pour densifier la ville (voir par exemple cet article), qui vide les réservoirs de Grenelle qui constituaient un îlot de fraîcheur pendant les grosses chaleurs qui profitait notamment aux oiseaux (voir cet article) ou qui promeut la construction de tours (voir cette interview d’Yves Contassot)… Comme le dit Gaspard Proust dans une interview au Point le 17 novembre dernier : « Les écolos-urbains, c’est un oxymore. Ils ne comprennent rien à la nature. Ils pensent que faire de l’écologie, c’est arroser trois carottes qui poussent sous un arbre greffé sur un trottoir de la place Monge dans un atelier «écolo-participatif jardinatoire de vivre-ensemble urbain à composter ». Ils ne savent pas ce que c’est d’aller chercher du bois en forêt, de le couper, d’allumer un feu de cheminée. Ils vivent en apesanteur. » Didier Rykner https://www.latribunedelart.com/la-vegetalisation-de-la-concorde-est-en-marche


out le monde aura été interpellé par le battage publicitaire et médiatique exceptionnel en cours, en France et en Europe, et le généreux accueil qu’a réservé la Mairie de Paris en exposant le projet de l’architecte Philippe Chiambaretta sur l’avenue des Champs-Elysées et la place de la Concorde au Pavillon de l’Arsenal depuis le 13 février 2020. Photo villedeparis

Remarquons que ce projet est venu à point, au tout début de la campagne électorale municipale, pour montrer que la municipalité, qui semble promouvoir et soutenir ce projet, n’est pas en manque de projets et n’est pas indifférente à l’avenir des espaces publics parisiens. Il faut évidemment se féliciter des intentions premières que sont la réduction nécessaire de la circulation automobile, l’augmentation substantielle des espaces piétonniers qui s’ensuit, ainsi que l’augmentation optimale des « espaces verts ». L’illustration abondante nous montre en effet, pour ce qui concerne les seules propositions, de nombreuses images séduisantes d’espaces piétonniers, arborés, agrémentés de plantations diverses (bacs à fleurs, massifs arborés) ponctués d’objets urbains (kiosques, bancs, etc.. ) pour l’usage de piétons déambulant ou assis en

Remarques à propos du projet d’aménagement des Champs Elysées et de la place de la Concorde.

Serge Santelli architecte

terrasses de café, dans une ambiance conviviale et détendue. Les trottoirs sont effectivement agrandis, au détriment de l’espace de circulation des automobiles réduit à deux chaussées à deux voies chacune. Ce parti pris piétonnier est très clairement exprimé dans les dessins 3D exposés dans lesquels les voitures circulent dans ce qui est devenu un corridor central/ axial étroit réservé aux seuls véhicules. Si on peut se féliciter de cette réduction importante, significative, de l’espace réservé à la circulation automobile au profit des espaces piétonniers on peut néanmoins se demander comment le flux automobile pourra être efficacement réduit. Par ailleurs la configuration formelle de l’avenue n’étant pas fondamentale modifiée, on peut aussi se demander si cette disposition serait assez convaincante pour favoriser le retour de nombreux visiteurs sur l’avenue. Les voitures occupant toujours l’axe central de l’avenue on peut en douter. Pourquoi donc les parisiens reviendraient-ils sur l’avenue dont l’axe central est toujours tenu par la voiture ? D’un point de vue visuel et symbolique, le projet n’apporte donc pas de modification majeure à l’aspect actuel de l’avenue, sauf pour ce qui est du rétrécissement de la chaussée. Par ailleurs on remarque que ces trottoirs élargis seront physiquement délimités et séparés de la chaussée

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proprement dite par des sortes de gros bacs à fleurs alignés et disséminés de manière aléatoire et ponctuelle : un parti pris végétal sans dessin ni forme réels, que les professionnels, dans leur ensemble, ajoutent partout, pour répondre, à ce qu’ils croient être la commande voulue par les élus. On remarque aussi que des massifs végétaux plus importants sont plantés entre les deux alignements d’arbres existants : également répartis de manière irrégulière ces masses arborées ont pour effet d’occulter la perspective visuelle existante sous leur frondaison. En y introduisant volontairement le désordre, toutes ces strates végétales ajoutées les unes aux autres ne peuvent avoir qu’un impact visuel négatif et perturber la régularité et la continuité visuelle (axiale) actuelle de l’avenue. Et l’on reste sceptique sur la qualité que pourrait apporter le caractère irrégulier de telles implantations végétales, opposé au caractère classique « à la française » de la plus belle avenue du monde. On voit bien que ce projet tend donc à effacer l’ordonnancement et la régularité des figures paysagères emblématiques (alignement d’arbres, promenade-mail plantée, perspectives et composition symétrique) héritées du savoir-faire architectural et urbain français des siècles précédents. Remarquons également une autre « pollution » visuelle, celle créée par la disposition d’édicules divers, des « food kiosks », guinguettes ou autres boutiques, disposés également de manière aléatoire qui, par leur PALAZZI 25 VENEZIA

masse relativement importante, ont pour malencontreux effet d’obstruer, eux aussi, la transparence visuelle des alignements d’arbres existants. La commercialisation et la marchandisation des espaces piétonniers de l’avenue sont donc largement favorisées, au profit d’une occupation dense de boutiques et de stands qui sont supposés apporter vie et animation à l’avenue. Dans cette perspective c’est le commerce « vivant » et désordonné qui se développe, au détriment de l’espace public noble et ordonné. D’ailleurs ces implantations commerciales ne feraient que renforcer la tendance actuelle, celle de l’occupation illicite des terrasses des cafés et restaurants dans une zone initialement prévue pour la déambulation. Comment peut-on raisonnablement imaginer que la réduction de surface de la voierie automobile et l’augmentation des espaces piétonniers pourraient à elles seules suffire à faire venir des milliers de visiteurs supplémentaires ? De nouvelles terrasses de café suffiraient-elles à inciter les promeneurs à revenir et à améliorer la qualité urbaine de l’avenue ? De fait, ce qui frappe le plus dans ce projet est surtout l’absence d’idées, architecturales et urbaines, (suit page 26)


Photo18thcenturyportraitsculpture.blogspot.

(suit de la page 25) dont les caractéristiques formelles exceptionnelles seraient susceptibles de séduire de nouveau les parisiens et les inciter à se promener sous les frondaisons de l’avenue. Pour favoriser le retour des promeneurs ne pourrait-on proposer un projet plus noble et ambitieux et s’inspirer par exemple, des grands opérations paysagères réalisées en France durant la période classique et baroque : grands plans d’eau majestueux, fontaines ou cascades, pelouses-tapis verts, tonnelles et kiosques, valorisation des perspectives monumentales, configurations régulières respectant la symétrie des lieux, etc.. Autant d’éléments d’une composition paysagère absents dans le présent projet. Mais qui auraient l’avantage de donner à celui-ci une dimension qualitative à la hauteur de la majesté disparue de l’avenue. Majesté aujourd’hui oubliée des jardins et espaces publics parisiens. La place de l’Etoile n’échappe pas à cette végétalisation surabondante, voire obsessionnelle : l’Arc de Triomphe est entouré d’un premier anneau de pelouse chichement arborée et d’un deuxième, en périphérie, fait d’arbres et de massifs végétaux plantés, eux aussi, de manière irrégulière. Mais le pire est le traitement réservé à la place de

la Concorde, certainement la plus belle réalisation du siècle des Lumières. Si Paris y retrouve le fleuve et la Seine son identité la plus ancienne, elle permet surtout de faire apparaître, à travers un regard panoramique qui ouvre sur le ciel, la poétique vision de la couleur violette de Paris, utile à nos rêves et à nos projections d’avenir. Une composition d’oeuvres construites qui illustrent le génie français : architectures liées aux bâtiments de la Marine et aux deux perspectives ponctuées par les deux frontons de l’Assemblée Nationale et de l’église de la Madeleine, au pont de la Concorde, aux arches tendues, premier pont moderne du XVIIIe siècle, oeuvre du premier ingénieur du Royaume J.R. Perronet. Composition à laquelle est associé un ensemble de sculptures, deux fontaines monumentales, les guérites de Gabriel, les lampadaires et colonnes rostrales d’Hittorff, sans oublier les statues des chevaux de Marly. Ici, comme nulle part ailleurs, ont été réunis des artistes pour célébrer les spécificités géographiques du commerce et de l’économie de la France, que notre époque a le devoir impératif de faire redécouvrir et de transmettre. Pour toutes ces raisons, la place est un joyau patrimonial, un espace symbolique fort qu’il convient de préserver avec le plus grand respect. Sous l’Ancien régime des fossés, dessinés par Gabriel, délimitaient la place sur les quatre cotés. Visibles sur le plan Le Rouge de 1765 ils ont été comPALAZZI 26 VENEZIA


blés pour des raisons de sécurité en 1854. L’aspect actuel minéral de la place résulte donc du projet d’Hittorff fondé sur une longue réflexion menée pendant près de trente années. De ce fait la place actuelle a l’avantage majeur d’offrir un vaste espace vide minéral, dont la périphérie est délimitée par une élégante balustrade ponctuée par les pavillons de Gabriel et les colonnes rostrales d’Hittorff. C’est évidemment ce vaste espace qui doit être protégé dans son intégralité minérale comme dans sa dimension unique. Ces qualités, effectivement dues « à la disposition simple sans être mesquine, grande sans être somptueuse » * voulue par Hittorff et son équipe d’artistes, doivent être impérativement préservées. En aucun cas il ne faudrait donc rétrécir la place ni modifier son aspect minéral historique. C’est pourtant ce que propose le projet présenté à l’Arsenal : une végétalisation employée sans culture et sans discernement, quatre jardins à l’anglaise pauvrement arborés et dénués de toutes qualités, aux quatre coins de la place, à l’emplacement présumé et approximatif des anciens fossés. La place se trouve ainsi rétrécie, rabougrie, et perd définitivement les qualités qu’avaient pu lui donner l’ampleur et la noblesse d’un vide majestueux. Un triste projet de banalisation qui témoigne clairement de la manière brutale avec laquelle l’héritage monumental de la place est malheureusement « rePALAZZI 27 VENEZIA

visité ». Un véritable déni de la qualité historique du lieu. Quant au revêtement du sol il peut en revanche faire l’objet d’un traitement contemporain. Il faut se souvenir qu’il était « appelé par une coloration à jouer un rôle non négligeable utilisant alors des matériaux dont les différents tons de granit et de lave devaient former grâce à un compartimentage orné de cercles et de losanges comme un vaste tapis, », matériaux qui, pour des raisons économiques, furent tristement réduits à de l’asphalte. Il y a donc là, des propositions à engager adaptées aux impératifs de notre temps. Un détournement de la circulation automobile pourrait alors libérer la place et permettre aux promeneurs de pouvoir, enfin, y déambuler. A ce moment-là la liaison piétonne entre le Louvre, les Tuileries et la place aura été heureusement rétablie. Serge Santelli. architecte h t t p : / / w w w. p i e r r e mansat.com/2020/07/ champs-elysees-concorde-remarques-a-propos-du-projet-d-amenagement-par-serge-santelli-architecte-paris-champselysees-concorde-placed?fbclid=IwAR3Ymtc1tSBLRky1brs9MADLyRAIZiil0A2-le3SzKFiMUxHWZDe7-KY3Tc


Photo barbaragutglas

ous n’avions, jusqu’à présent, fait qu’évoquer l’affaire de la Butte-Rouge, une cité-jardin construite dans les années 1930, à Chatenay-Malabry, et dont une grande partie est menacée de destruction par la ville à l’occasion d’une modification de son PLU. Nous renvoyons pour en savoir davantage aux articles parus dans la presse (par exemple Le Parisien ou Libération]) et sur le site de l’association Sites & Monuments qui dresse un bilan des effets du futur PLU et souligne les ambiguïtés de l’État (nous renvoyons à ce dernier article, plus technique, qui décrit bien les menaces). L’enquête publique, qui vient de se terminer, a enregistré 87 % d’avis défavorables (voir cet article de Batiactu note 1). La ministre de la Culture, Roselyne Bachelot, dans l’interview qu’elle nous avait accordée début décembre, avait abordé spontanément le sujet en affirmant que c’était une affaire sur laquelle elle souhaitait « se battre ». L’objectif de la mairie est en effet, sous couvert d’une protection partielle, de détruire ou de dénaturer profondément 80 % de l’ensemble pour le reconstruire (voir Le Parisien). Apparemment donc, le ministère est sur le coup. Il affirme tout haut qu’il souhaite « le sauvegarder » (voir cet article du Monde note 2), menaçant même d’un classement

La fausse protection de la Cité-jardin de la Butte Rouge

Didier Rykner

d’autorité par le Conseil d’État en Site Patrimonial Remarquable (SPR). Ce qui laisse donc penser que, pour une fois, le ministère de la Culture va faire son travail en s’opposant aux projets de démolitions d’un élu local. Mais l’affaire, en réalité, est beaucoup plus complexe, et l’attitude de ce ministère est au mieux ambiguë. Pour comprendre cela, il faut reprendre la loi du 7 juillet 2016 relative à la liberté de la création, à l’architecture et au patrimoine, qui a créé les Secteurs Patrimoniaux Remarquables. Celle-ci distingue trois notions différente : le Secteur Patrimonial Remarquable, qui n’est en réalité que la définition d’une zone, et le règlement qui sera appliqué sur cette zone. Il peut s’agir soit d’un Plan de Sauvegarde et de Mise en Valeur, ce qui équivaut alors à l’ancien « Secteur sauvegardé » (créé du temps d’André Malraux), qui est la protection maximale, permettant de protéger largement tous les bâtiments remarquables, mais également leurs intérieurs, soit d’un Plan de Valorisation de l’Architecture et du Patrimoine (PVAP), remplaçant les anciennes AVAP qui elles-mêmes se substituaient aux ZPPAUP mises en place par Jack Lang. Le Site Patrimonial Remarquable, que le ministère se félicite de vouloir imposer, ne sera protecteur que si le règlement qui l’accompagne l’est également. Or il semble que ce soit l’inverse qui se prépare. Car le préfet des Hauts-de-Seine, qui représente l’État, mais aussi le ministère de la Culture, a donné le 28 décembre 2020

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un avis favorable sans aucune réserve à la modification du Plan Local d’Urbanisme régissant la Butte Rouge : « au regard de ces éléments, qui permettent d’encadrer strictement les opérations de démolition, de réhabilitation et de construction du projet de renouvellement urbain de la Butte Rouge, j’émets un avis favorable sur ce projet de modification ». Le préfet montrait, dans le même temps, qu’il agissait bien pour ministère de la Culture : « Je vous rappelle que le maire de Châtenay-Malabry a pris l’engagement de créer un site patrimonial remarquable (SPR) sur le quartier de la Butte Rouge. Je me permets d’insister sur l’importance de cet engagement, dont je fais un préalable pour la poursuite de l’opération de réhabilitation des immeubles du quartier. » Afin de résoudre cette apparente contradiction, il est probable que le PVAP qui s’appliquera à ce Secteur Patrimonial Remarquable corresponde exactement au PLU prévu par la ville qui prévoit de détruire et de remplace 80 % du bâti. Pourquoi en irait-il autrement puisque l’État, représenté par le préfet, qui menace d’imposer un Secteur Patrimonial Remarquable, approuve sans réserve ces destructions et se contente de la protection de quelques éléments patrimoniaux ? Lorsque nous avons fait remarquer cela au ministère de la Culture, son conseiller patrimoine, pour une fois plus prompt que d’habitude à nous répondre, nous a écrit le jour même : « Nous considérons, contrairement à vous, que le classement SPR est bien l’outil approprié

1 h t t p s : / / w w w. b a t i a c t u . com/edito/a-chatenay-malabry-habitants-opposes-au-projet-transformation-61020.php 2 https://www.lemonde.fr/economie/article/2021/01/08/ la-cite-jardin-de-la-butte-rouge-menacee-de-demolition_6065543_3234.html

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de protection d’un site qui de mémoire couvre plus de 70 ha. L’enjeu n’est pas la protection de chaque bâtiment inclus dans le périmètre, mais celui d’un ensemble architectural et urbanistique. Reste que le classement SPR [...] permet de s’opposer à tous les éventuels projets de destructions qui n’apparaitraient pas strictement justifiées. » Il ajoute dans un autre mail que «dès que le site est classé SPR, avant même qu’un PVAP ou PSMV soit adopté, toute autorisation (de démolir en particulier) est soumise à l’avis conforme de l’ABF. Je ne sais pas si c’est cela que vous appelez « ne rien protéger. » » Résumons donc : le maire de Châtenay-Malabry prévoit dans son nouveau PLU de démolir ou dénaturer 80 % des bâtiments de la Butte-Rouge pour les reconstruire et d’en protéger seulement 20 %. Le préfet des Hauts-de-Seine, représentant de l’État et du ministère de la Culture, approuve sans réserves ce PLU bien plus destructeur que protecteur. Il souhaite néanmoins créer un Secteur Patrimonial Remarquable. En attendant que son règlement soit élaboré, l’architecte des bâtiments de France disposera, comme le prévoit la loi, d’un pouvoir d’autorisation des travaux. La question est la suivante : comment l’ABF, fonctionnaire d’État rattaché hiérarchiquement à la DRAC, (suit page 30)


Photo huangrongmuge

(suit de la page 25) pourrait-il s’opposer à l’État et à son ministère de tutelle, qui a déjà donné son accord à la mairie pour ces destructions ? En outre, l’ABF doit évidemment appliquer les dispositions du règlement du Site patrimonial remarquable une fois celui-ci élaboré. Or, comme nous l’avons montré, il ne pourra être bien différent du PLU conçu avec l’aide de l’État et approuvé par lui ! À moins que le ministère nous dise qu’il s’oppose au préfet (censé le représenter)... Mais comment ceci serait-il possible alors que la DRAC a accompagné la mairie pour l’élaboration du PLU si destructeur comme le prouve notamment ce courrier ? Tout cela démontre le caractère parfaitement hypocrite du ministère de la Culture, qui veut rassurer les défenseurs du patrimoine en « imposant » la création d’un secteur patrimonial remarquable, mais en acceptant de facto d’y appliquer un règlement qui n’aura en réalité rien de protecteur. Une nouvelle fois, on nous mène en bateau. Reste à savoir, là encore, si la ministre est sincère dans sa volonté de se battre pour la Butte-Rouge et de la protéger des destructions. Si tel est le cas, nous lui suggérons d’y regarder de plus près... Didier Rykner https://www.latribunedelart.com/la-fausse-protection-de-la-cite-jardinde-la-butte-rouge

près son émigration aux États-Unis pour fuir le nazisme, Ludwig Mies van der Rohe (1886-1969) n’a construit qu’un seul bâtiment en Allemagne, son pays natal : la Neue Nationalgalerie. Ce musée dédié à l’art moderne est historique à plus d’un titre, puisqu’il fut aussi l’un des derniers grands projets du maître du modernisme. N’ayant pas subi de modifications majeures depuis son achèvement en 1968, le bâtiment vient d’être rénové et modernisé tout en conservant scrupuleusement son aspect d’origine. « C’est un spectacle magnifique à la fin de cette année difficile ; une étape décisive a été franchie », a déclaré Hermann Parzinger, président de la Fondation du patrimoine culturel prussien. Afin de préserver au mieux la singularité du bâtiment, l’agence de David Chipperfield a commencé par dépouiller les intérieurs de la structure et déposer la coque. Le studio a fait retirer un total de 35 000 éléments de construction et les a restaurés avant de les réinstaller dans leur position d’origine. « La rénovation ne représente pas une nouvelle interprétation, mais plutôt une réparation respectueuse https://ideat.thegoodhub. de ce repère du style international », a expliqué un com/2021/01/07/archi- porte-parole du studio. tecture-quand-david-chip- Entre le vitrage remplacé, la structure recouverte et perfield-rehabilite-un-bati- re-soudée, et la peinture du toit en acier, le bâtiment de 13 900 m2 a fait l’objet d’une rénovation majeure.

Après cinq années de travaux, la

Neue Nationalgalerie conçue par

Mies Van der Rohe dévoile enfin les premières images de la sublime rénovation de

David Chipperfield

ment-de-mies-van-der-rohe

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Quant à l’agence de David Chipperfield, elle a su donner un coup de jeune au bâtiment tout en respectant son architecture originelle. Les nouvelles interventions restent discrètement lisibles en tant qu’éléments contemporains. L’accueil du public s’effectue désormais dans un cadre plus confortable. A l’intérieur, le bâtiment a été modernisé par la pose d’un nouveau revêtement qui a été appliqué sur les 15 000 m2. Les ampoules des 800 plafonniers existants ont été remplacées par des LED, 196 grilles de plafond et 2 500 m2 de dalles de pierre naturelle en granit Striegau ont été réinstallés après leur restauration. Un système de climatisation, de sécurité ainsi qu’un nouvel ascenseur ont également permis de répondre aux besoins et normes actuelles. Le vestiaire, le café et la boutique du musée ont également été améliorés. Et dans le jardin, les plantes d’origine ont vu débarquer des féviers d’Amérique (Gleditsia) et des érables argentés. Dans les prochains mois, un grand musée devrait émerger tout près de la Neue Nationalgalerie. Conçu par le studio d’architecture suisse Herzog & de Meuron, ce nouveau bâtiment sera relié à la Neue Nationalgalerie par un tunnel… Eline Latchoumy https://ideat.thegoodhub.com/2021/01/07/architecture-quanddavid-chipperfield-rehabilite-un-batment-de-mies-van-der-rohe

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énial concepteur de la Maison sur la cascade, Frank Lloyd Wright est l’un des architectes les plus marquants du XXe siècle. Retour sur l’œuvre et la vie tumultueuse du défenseur de l’architecture organique, à qui l’on doit le fantastique Guggenheim Museum de New York. « Très tôt dans la vie j’ai dû choisir entre une arrogance sincère et une humilité feinte. J’ai préféré l’arrogance et ne l’ai jamais regretté » Frank Lloyd Wright Dandy aux éternels chapeau et cape, l’architecte américain Frank Lloyd Wright a transgressé toutes les règles, dans son art comme dans sa vie privée. Sa personnalité a inspiré un film de King Vidor en 1950, “The Fountainhead”, dans lequel Gary Cooper incarne un architecte de talent, idéaliste et insoumis. Petit-fils du prédicateur Richard Lloyd-Jones, pionnier gallois venu en Amérique, Frank Lloyd Wright est issu d’une famille d’unitariens convaincus, surnommés les «Jones Dieu tout-puissant » en raison de leur extrême piété et de la haute opinion qu’ils avaient d’eux-mêmes. Leur devise : « la vérité contre le monde ». Avant même sa naissance, sa mère avait voulu qu’il soit architecte. Enceinte, elle accroche sur les murs de la chambre du futur bébé des gravures sur bois de vieilles cathédrales anglaises. (suite page 32)


Photo connaissancedesarts.com

(suite de la page 31) Né le 8 juin 1867 à Richland Center, dans le Wisconsin, Frank est élevé «avec du pain Graham, du porridge et de la religion» avant d’être envoyé à l’âge de 11 ans dans la ferme de son oncle pour « apprendre à ajouter la fatigue à la fatigue ». Le gamin aux boucles blondes est l’adoration de sa mère, au détriment du père William Russel Wright, maître de musique qui quitte la famille à la veille des 16 ans de son fils. L’adolescent n’a pas assez d’argent pour fréquenter une école d’architecture, il suit donc des cours de génie civil à l’université de Madison. Mais il s’ennuie ferme, prend le train pour Chicago avec sept dollars en poche, et se fait engager chez l’architecte américain le plus connu à l’époque, Louis Sullivan. Dès lors, « l’apprenti aux yeux ouverts, radical et prêt à critiquer » devient « un bon crayon dans la main de son maître ». Très vite, Frank Lloyd Wright tombe amoureux de Kathryn Tobin, une jeune fille issue d’une famille fortunée de Chicago, qui lui donnera six enfants. Ils s’installent à Oak Park, la première maison qu’il construit dans la banlieue de Chicago. « L’architecture était ma profession, la maternité devint la sienne », raconte l’architecte, qui s’endette pour satisfaire son goût des « luxes nécessaires ». « Pourvu que nous eus-

sions le superflu, le nécessaire pouvait bien se passer de nos soins », écrit-il dans son Autobiographie. Mais Sullivan apprend qu’il dessine des plans pour des clients extérieurs à l’agence et le renvoie. En 1893, Wright se met à son compte. Suivra la série des Prairie Houses à partir de 1901, des maisons basses à l’espace intérieur fluide, qui rompent définitivement avec les maisons victoriennes. Mais en 1909, à presque 40 ans, l’homme reste insatisfait. « Toutes choses, personnelles ou non, m’accablaient pesamment, surtout les questions du ménage. » Wright ferme son agence, abandonne femme et enfants pour partir en Europe avec Mamah Borthwick Cheney, écrivain féministe qui lui avait commandé une maison. Durant son voyage à Berlin et en Italie, il devient la cible de la presse à scandale. La terre de sa famille, le Wisconsin, deviendra pour lui un refuge. En 1911 débutent les travaux de Taliesin, sa maison au nom gallois qui signifie « front resplendissant », résumé de ses convictions et de son savoir-faire. Mais en 1914, alors qu’il travaille à la construction des Midways Gardens à Chicago, survient une terrible tragédie : un domestique, Julian Carlston, met le feu à Taliesin et massacre Mamah Borthwick et ses deux enfants à coups de hache. Fou de douleur, il refuse que l’on touche au corps, remplit le cercueil de fleurs et comble lui-même la tombe de la femme qu’il aime. PALAZZI 32 VENEZIA


« Nul monument ne marque encore l’endroit où elle est enterrée. Pourquoi marquer l’endroit où a commencé et fini la désolation ? » Wright parviendra pourtant à conjurer son angoisse dans l’action. « Résolument, pierre par pierre, planche à planche, Taliesin II commença à sortir des cendres de Taliesin I. Point de retours en arrière, ni de repos pour pleurer. Dans l’année 1915, Taliesin II s’élevait à la place du premier Taliesin, debout et en armes ». Les leçons de l’art asiatique L’empereur du Japon lui confie son premier projet d’envergure internationale. En 1915, il s’empresse de partir à Tokyo, où il restera six ans pour s’occuper de la conception et de la construction de l’Imperial Hotel. « L’évangile de l’élimination de l’insignifiant, prêché par l’estampe, s’imposa à moi en architecture », raconte ce passionné d’art asiatique. La structure flexible de l’hôtel, augmenté d’un bassin ornemental, survivra au séisme qui rasera Tokyo en 1923 et au gigantesque incendie qui s’ensuivra : «Hôtel debout sans dégâts comme monument de votre génie, Félicitations», lui câblera son commanditaire, Okura Impeho. L’hôtel, inspiré de l’architecture maya, sera finalement démoli en 1968. Wright le débauché Entre-temps est apparue Miriam Noel, une artiste cultivée, fortunée et théâtrale, qui se révélera violente et morphinomane. Il vivra avec elle huit années agitées, avant de l’épouser PALAZZI 33 VENEZIA

en 1923 dans l’espoir de « la calmer ». Mais déjà une jeune femme de 26 ans est entrée dans la vie de l’architecte : Olgivanna Lazovich Hinzenburg, fille d’un dignitaire monténégrin et disciple de Gurdjeef, un mystique charismatique russe. Elle s’installe à Taliesin et attend bientôt un enfant de Wright. Nouveau scandale. Miriam les poursuivra pendant quatre ans, menaçant de tuer les amants. Frappée par la foudre en 1925, Taliesin est à nouveau la proie des flammes. «Quelques jours plus tard, déblayant la ruine encore fumante en vue d’une reconstruction, je ramassais parmi les décombres de somptueuses poteries Ming qui avaient pris la couleur du bronze sous l’intensité du feu. À titre de sacrifices offerts aux dieux, quels qu’ils soient, je rangeai ces fragments pour les incorporer à la maçonnerie de Taliesin III. Et je me mis à l’œuvre pour construire mieux que précédemment, parce que j’avais tiré un enseignement de la construction des deux autres ». Dans les années 1920, l’activité dans le bâtiment est florissante, mais personne n’est disposé à faire travailler un « débauché » tel que Wright. L’occasion de construire un complexe hôtelier dans le désert d’Arizona est balayée par le krach boursier de 1929. (suit page 34)


Photo newyorkbytherail

(suit de la page 33) Face au modernisme : La maison sur la cascade À la veille de ses 60 ans,Wright semble dépassé et les projecteurs se tournent vers les architectes du Style international  : Gropius, Le Corbusier, Van der Rohe. Le défenseur de l’« architecture organique » affiche un souverain mépris pour le modernisme, mais continue à souffrir de n’être pas reconnu. Olgivanna lui suggère d’écrire et de donner des conférences pour populariser ses idées, et aussi d’ouvrir une école à Taliesin, bâtie sur le modèle de celle de Gurdjeef. En 1932, il publie son autobiographie, où il s’emploie à forger sa propre légende. Et prend sa revanche. Le père d’un de ses premiers élèves, Edgar J. Kaufmann, propriétaire d’un grand magasin à Pittsburgh, lui demande de construire une maison de vacances en Pennsylvanie. Placée au-dessus d’une cascade, construite sur un rocher, Fallingwater (19341937) deviendra l’une des maisons modernes les plus célèbres. En 1936, c’est Herbert Johnson, président de la Johnson & Son Company à Racine, Wisconsin, qui lui commande un projet à grande échelle, un bâtiment administratif. Il y répond par un « temple dédié au travail », où des colonnes jaillissent du sol pour s’ouvrir en corolle sous un plafond de verre. Le Guggenheim Museum

de New York : l’ultime chef-d’œuvre À la fin de la guerre, la prospérité suscite une explosion de la demande dans le bâtiment. Frank Lloyd Wright a presque 80 ans, mais il entre dans la phase la plus productive de son existence. Au cours des quinze ans qui suivront, l’architecte et ses disciples dessineront les plans de plus de trois cent cinquante édifices, parmi lesquels le Guggenheim Museum de New York en 1943. Wright doit se battre pendant treize ans avant que prenne forme ce bâtiment-sculpture en forme de spirale. Même après le début des travaux, la critique fait rage contre celui que l’on appelle « Frank Lloyd Wrong ». Six mois avant sa mort, une photo montre le maître sur le toit du Guggenheim. «Il est au sommet du monde, il a presque 92 ans », résume Meryle Secrest, sa biographe. Le 9 avril 1959, le petit-fils de pionnier gallois s’éteint à Taliesin. Le jour de son enterrement, un prêtre unitarien lut un de ses textes favoris d’Emerson : « Celui qui veut être un homme doit être un non-conformiste. Rien n’est plus sacré en dernier ressort que l’intégrité de son propre esprit ». Myriam Boutoulle https://www.connaissancedesarts.com/arts-expositions/art-moderne/recit-dune-vie-frank-lloyd-wright-larchi-revolutionnaire

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Photo isisdanielle

NILI PINCAS ili Pincas, née à Tel-Aviv, vient à Paris en 1960. Depuis les années 1980, elle expose très régulièrement des personnages singuliers et universels, portés par ses aspirations d’un monde apaisé. À la fois proches et lointains, ses personnages sont préservés de toute violence, même si s’insinuent quelques monstruosités tenues à distance. Hommes et femmes, jeunes filles, mères et enfants entourés de leurs animaux fétiches, chats et oiseaux, ont le pouvoir poétique de réconciliation. Rien n’entame la détermination de Nili à poursuivre son observation du corps dans des attitudes d’abandon au repos, à la toilette ou à la rêverie. Dans son atelier, calme et lumineux, Nili modèle la terre selon ses envies et un rythme de travail régulier. Elle façonne avec minutie les traits de chaque visage, grave et peint les saynètes avec plaisir et patience. Nili puise en elle la capacité d’introspection qu’elle prodigue à ses créatures. Entre réels et imaginaires, leur fraîcheur touche notre âme d’enfant. “La force, l’extraordinaire présence, le mystérieux pouvoir de fascination des terres cuites de Nili Pincas viennent de la clarté ou de la pureté du propos. Pas

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de calcul sophistiqué, pas de naïveté non plus; mais une façon de rester au plus près de la vie, de serrer les plus humbles petits bonheurs familiaux pour atteindre, grâce à cette exacte adéquation avec soi, une sorte de plénitude communicative.” Pierre Souchaud “Son style figuratif est particulier. Le modelage est réaliste, les détails sont nombreux, la couleur apporte gaieté et douceur. Le sentiment de naturel est premier dans les sentiments exprimés comme dans le choix des situations. Nili présente la condition humaine avec douceur et tendresse. Mais le calme, la retenue des personnages sont souvent en décalage avec les situations créées. Une violence contenue, imprévue apparaît dans des scènes telles la marchande de pieds, dans les têtes cannibales ou dans les chutes. Les collages, les associations d’idées, les différences d’échelles créent une distance avec le réel. L’interprétation surréaliste d’un sujet nous invite alors dans le domaine du rêve. Un canard, un chat, une jeune fille trouvent refuge au sommet d’un arbre trop petit. Les têtes, les visages, se multiplient et s’accumulent. Certaines pyramidales dévorent des corps ou tout au moins les emprisonnent. (suit page 36)


Photo galerieclairecorcia

(suit de la page 35) Les yeux et la bouche envahissent les têtes lunes, rondes et plates, sans cheveux ni oreilles. Leur regard triste .se perd dans le vague; elles trônent au fait d’un tour ou supportent un autre personnage. Différentes scènes nous plongent dans un jeu subtil entre pudeur et perversion. L’innocence semble régner et Nili affirme travailler en toute spontanéité et pourtant rien ne semble laissé au hasard. Les choix de formes et de couleurs s’enchaînent pourdevenir signifiants, plus importantes. Animaux et individus appartiennent pourtant tous au même monde, un monde où tout semble simple et évident, mais où, peutêtre, les choses se passent ailleurs. Les regards sont systématiquement largement ouverts, les yeux bleus sont écarquillés regardent au loin, béats, souriants, sereins … Certaines séries sont plus symboliques. Les femmes intitulées maternités sont représentées debout, habillées mais une tête ou un masque sort de leurs jupes, comme d’une fenêtre, au niveau du pubis. Pour créer, Nili doit se mettre en condition, c’est-à-dire en état psychologique de concevoir une sculpture. Pour nourrir ses rêves et ses fantasmes, pour toujours trouver une

idée à développer, Nili voyage, visite les musées et les expositions, mais fait aussi du modelage avec des modèles vivants. Au-delà des bonheurs familiaux qui inévitablement nous attirent, parlant de notre quotidien, les sculptures de Nili Pincas sont à la fois l’expression de la tendresse, de l’humour parfois, fréquemment de la sérénité tout en gardant un espace de mystère et d’étrangeté. Nicole Crestou “Les créatures contemplatives de Nili Pincas, d’un extrême raffinement, invitent au silence. Cet isolement de l’être sculpté saisit et apaise, en même temps qu’il interroge. Sommes-nous face au visage de l’angoisse ou de l’introspection ? Les chairs blanches ou pourpres, d’un aspect mat légèrement granuleux révèlent l’infinie sensualité du toucher de l’artiste. Nili Pincas nous invite au voyage au cœur des océans, peuplés d’énormes poissons protecteurs qui accompagnent les hommes dans leurs rêves. Car il s’agit là de métaphores, de quêtes spirituelles, de rêves d’évasion… ces « filles du feu » nous emportent ! En apparence fragiles, elles sont pourtant solidement ancrées dans la réalité et s’imposent avec force. Puissantes, presque viriles dans la rigueur de leur maintien, ces femmes trônent telles des déesses modernes, des totems inébranlables. Rassurantes, paisibles, elles imposent une distance devant le tourbillon de l’existence et offrent un rare instant de sérénité. www.galeriecorcia.com PALAZZI 36 VENEZIA


Photocireca domainedeboisbuchet

ALEXANDER VON VEGESAK

lexander von Vegesack, 73 ans, a réalisé sur les 150 hectares de sa propriété charentaise un rêve utopiste autour de la transmission du savoir. Son domaine est aussi reconnu comme Pôle d’excellence rurale. Explications. Pourquoi avoir inventé ce campus d’été de design et d’architecture ? Je pense qu’on ne peut pas éduquer les jeunes uniquement avec des ordinateurs, sans expérience pratique. En Allemagne, un ébéniste ou un charpentier, au bout de trois ans d’expérience, peut prétendre entrer à l’université. Ici, nos stages sont ouverts aux adultes de tous profils, diplômés ou pas. Ils peuvent expérimenter les matériaux et constater, par exemple, que le bambou fendu est plus solide que la fibre de verre. Ils peuvent créer des objets en verre, en céramique et en porcelaine cuits dans des fours à bois spéciaux, mis à disposition au domaine de Boisbuchet par le Corning Museum of Glass de l’Etat de New York. Je suis particulièrement fier de notre programme d’enseignement, qui permet de rencontrer des pointures dans leur domaine. Ainsi Lina Ghotmeh, auteure d’un grand musée en Estonie et d’une tour de logements à Beyrouth, sa ville natale, a bâti ici, en 2017, avec ses étudiants, une serre à la géométrie complexe. Pour ce projet, elle a été nominée pour le prix Dezeen 2018 de l’« architecte émergent de l’année ».

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Cette saison, Achim Menges, figure de l’ingénierie biomimétique, a travaillé avec ses apprentis sur un bâtiment ventilé, non pas à l’aide d’une mécanique ou d’une énergie, mais en sélectionnant des fibres de bois qui réagissent naturellement à l’humidité de l’air. Au fin fond de la campagne, Boisbuchet se mérite… Oui, la campagne agit comme un filtre. En venant au domaine, les participants doivent accepter de sortir de leur zone de confort, de l’urbanité. Concevoir un objet industriel en pleine nature peut être déroutant, mais aussi inspirant. Deuxième défi : ils viennent créer quelque chose, très souvent à partir de matériaux naturels, bois, céramique, métal… Or réaliser un objet en 3D en seulement cinq jours, cela ne peut pas être parfait. Il faut accepter cela aussi. Ce qui est important, c’est d’illustrer ses idées. Troisième défi : partager sa chambre avec d’autres. Les gens de ma génération étaient habitués à cela, or ce n’est plus le cas, aujourd’hui… Toutefois, le travail en équipe, la découverte d’autres cultures font partie de l’intérêt de séjourner ici. Vous n’abordez pas que le design… Ce mot n’existait pas à la fin des années 1960, quand j’ai commencé ma collection de chaises Thonet. (suit page 38)


(sui de la page 37)

Photo lemonde.fr

La mode actuelle du «design thinking » m’exaspère, car pour moi, le design est déjà le fruit de la pensée. Ici, nous abordons un champ large qui inclut architecture, paysage, design d’objets et écologie… Nous nous intéressons même aux liens entre design et yoga, un thème développé cet été par Franziska Kessler. Et de plus en plus à la scénographie, car si vous avez des idées de génie en architecture ou en design et que vous n’êtes pas capable de les présenter à travers une exposition ou un film, vous avez peu de chances d’être entendu. On voit cela dans la mode… Un bon défilé, outre les vêtements, c’est une mise en scène réussie. Une expérience qu’Andrew Ondrejcak nous a fait vivre, en juillet, en orchestrant avec ses étudiants un mini-opéra en plein champ. C’est la cinquième fois que ce metteur en scène établi à Brooklyn dirige un atelier à Boisbuchet. Véronique Lorelle

https://www.lemonde. fr/m-design-deco/article/2018/08/29/alexander-von-vegesack-concevoir-un-objet-industriel-en-pleine-nature-est-inspirant_5347672_4497702. html

e Centre d’architecture et de design de Lessac se bat contre l’installation d’une porcherie à deux pas de ses prestigieux locaux, dans un conflit à la Clochemerle. C’est une histoire comme on en lit dans les romans. Un paysan madré, 51 ans, solide, à la voix calme, 90 hectares et presque autant de cochons. Face à lui, un amateur d’art contemporain, 75 ans, grand, cultivé, Allemand, qui depuis trente ans développe au milieu des prés verdoyants et paisibles de Charente un centre d’exposition et d’enseignement d’envergure internationale. Lorsque, en juin 2020, le premier obtient un permis pour bâtir une porcherie à quelques mètres des constructions design du second, c’est trente ans d’un équilibre précaire qui, d’un seul coup, s’effondre. Et que les vieilles rancœurs ressurgissent. Paysannerie contre cosmopolitisme, art contre cochons. Un précipité d’histoire contemporaine. La vie d’Alexander von Vegesack est aussi tumultueuse que la Vienne qui, en ce mois de janvier, bouillonne au bas des 150 hectares du domaine de Boisbuchet. De la Fucktory – une ancienne usine de Hambourg où, au début des années 1970, il crée des spectacles très flower power –, à l’internationalement célèbre Musée du design Vitra qu’il a créé à Bâle en 1989, l’homme a roulé sa bosse sur les cinq continents, faisant et défaisant au gré de ses aventures une collection de meubles de design industriel inégalée. Sa spécialité : les bois courbés et notamment les chaises Thonet. Laurent Carpentier PALAZZI 38 VENEZIA


BARBARA CECILIATO

Photo barbara ceciliato

arbara Ceciliato, d’origine polonaise, est née à Padoue et c’est dans cette même ville qu’elle a pu fréquenter l’université, étudiant à la faculté des sciences biologiques. Elle s’est ensuite installée à Bologne, où elle s’est inscrite à l Académie des Beaux-Arts et diplômé en peinture. Au début des années 90, elle quitte définitivement sa première activité dans le domaine médico-clinique et commence à enseigner, en tant que chaire d’anatomie artistique, d’abord à l’Académie des Beaux-Arts de Brera à Milan, puis à l’Académie des Beaux-Arts de Venise et enfinà l’Académie des Beaux-Arts de Bologne. Sa recherche artistique a commencé à la fin des années 70, lorsqu’elle a mené des enquêtes approfondies sur l’étude de la “matière-couleur-structure” en créant des travaux avec l’expérimentation de colorants chimiques. Le début de son activité coïncide également avec l’intense collaboration artistique avec Claudio Rosi, qui se poursuit encore, entre intérêts et expositions partagés. Après les expériences informelles, elle oriente son chromatisme matériel de base, vers une recherche stylistique frontières avec le design et la sculpture, en créant des structures polymériques tridimensionnelles avec des installations et les installations environnementales. A partir de la seconde moitié des années 90, elle introduit, dans l’élaboration de ses œuvres

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des éléments de l’habitat quotidien qui l’entourent, transformés en formes géométriques imparfaites. Puis, le corps humain devient le sujet privilégié de ses œuvres, avec l’utilisation prépondérante de grands supports papier. de supports papier à grande dimension intéressés par le thème “mort-crime-guillotine”. Elle a été suivie d’un cycle d’œuvres picturales qui, depuis 2001, privilégient le “paysage” : les multiples sédiments matériels sont véhiculés par le “ruban adhésif” qui devient l’élément constructif de l’environnement décrit, en intégrant également le corps comme sujet, en impliquant et en combinant les souvenirs et les géométries naturelles. Les espaces, les formes, les figures, les surfaces, sont un prétexte pour assembler leurs textures, entre les rayures, dessin pictural, dans une idée personnelle de conte scénographique. Une autre enquête qui se poursuit est l’intervention picturale et graphique sur toile de transpositions de “feuilles illustratives” : des images qui jouent ironiquement entre les limites et les ambiguïtés d’une communication fixée par les mots, par le corps, par les structures qui le maintiennent. Dans la deuxième décennie des années 2000, la grande collection de “polaroids” que Linda Tosini (suit page 40)


LE ARTEFICI DEL MONDO

(suit de la page 39) lui a laissée l’a amenée à utiliser le langage de la photographie de manière sentimentale et intime. Elle choisit et transpose photographiquement les images prises par sa mère, en les reproduisant en grandes dimensions, en les reproposant dans des montages vidéo avec son. Dans ses recherches, les langages de la sculpture et de l’installation entrent également, avec une expérimentation qui concerne l’utilisation de l’argile, dans une nouvelle production de petits corps de terre cuite très nombreux et recouverts de rose avec des plâtres roses, ou de “peaux de visage” en céramique, retournées ou non, mélangées à du tissu. Les tissus se retrouvent également dans des œuvres récentes qui mêlent la photographie au dessin et au graphisme. En plus de l’activité artistique personnelle, documentée par de nombreuses participations à des expositions et les textes de présentation critiques qui s’y rapportent, elle effectue des contributions de soutien organisationnel à des événements culturels, en collaborant avec des maisons d’édition et des musées d’art contemporain. Depuis janvier 2007, elle coordonne, en tant que directrice artistique, avec l’artiste Claudio Rosi, l’activité de l’espace d’exposition pour jeunes artistes, CASAGALLERY à Bologne.

’exposition Le ARTEfici del Mondo (Les œuvres du monde) s’ouvre sur une lecture exploratoire émotionnelle et stylistique afin de connaître-reconnaître, mettre en évidence et étudier les valeurs linguistiques distinguées des artistes représentant le panorama actuel. Leur recherche et leur production s’imposent sur la scène artistique et influencent sa pratique, en filtrant les idées du monde pour le lire et le comprendre dans une clé phénoménologique, en saisissant ses lois intérieures. Le terme artefice signifie précisément “créateur”, “bâtisseur”, auteur d’œuvres de génie. La compétence de l’art manuel qui exige de l’expérience car elle est combinée avec la clarté de l’intellect. Dans l’Antiquité, le terme d’artefact désignait bien l’artiste. Le titre Le ARTEfici del Mondo suggère l’ingéniosité et l’habileté de l’art qui se rapporte à l’incommensurable “artifice du monde”. Parmi les œuvres exposées, il est possible d’observer des éléments de contact avec les langages des plus récents mouvements artistiques d’avant-garde des années 70 à nos jours, pour des références à l’art conceptuel, à l’art environnemental, au fiber art, aux thèmes et sujets de figuration ou d’abstraction existentielle, au symbolisme ; il est possible d’observer les références croisées que les différentes techniques et les différents langages proposés suggèrent entre l’un et l’autre style, ou pour les sujets traités, surtout pour le thème sous-jacent, le monde, qui sélectionne des concepts et des contenus transversaux communs. De la pulsion humaine visant les conceptions des origines de l’existence, à la recherche des racines mêmes de la vie, aux souvenirs personnels et familiaux, à l’exploration du ciel, aux sources de la vie, au dépassement des connaissances, à l’action de l’histoire, du mythe et de la philosophie dans la narration du monde, à la concrétisation de l’art avec la nature, à la lumière et à sa substance, au retour dans l’espace, à l’atteinte du but et à la marche au-delà de la vie. Mais ce qui unit profondément tous les artistes présents, c’est l’originalité, l’unicité, tant dans les techniques que dans le style, l’invention stylistique, la pensée scientifique et philosophique et l’intensité poétique présente dans l’art. Leur action artistique en fait les protagonistes de la recherche / du dépassement des langages de l’art eux-mêmes historicisés, et des “créateurs” de techniques résolues dans des inventions en photographie, peinture, sculpture et installation, dont les résultats visuels et formels se mêlent l’originalité, la beauté et la pleine intention de capturer le noyau dénotatif de leur conception du monde. (suit page 42)

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FEDERICA POLETTI

Photo federicapoletti

touffé, caché, isolé. L’humanité peinte à l’huile par Federica Poletti est presque toujours féminine, presque toujours représentée dans ce passage délicat et puissant qui s’établit entre l’inconscient intime et la réalité. Elle reste soustraite à la vie aussi bien qu’à la vue. Des fantômes, comme l’artiste elle-même définit les sujets de ses tableaux, dans lesquels on peut intuiter sans trop de difficultés toute l’inadéquation affligeante de l’être humain qui se cache derrière des couches manipulées de douleur, d’anxiété et de fragilité. Les lectures possibles ne semblent pas épuiser leur potentiel évocateur. Il ne s’agit pas simplement du désir de ne pas être vu par le reste du monde, mais de la volonté de suspendre notre acte naturel de nous montrer. Cette action subversive de disparition symbolise une distanciation, non seulement émotionnelle, de la vie quotidienne. La voie de sortie a toujours été nécessaire, inévitable et bien tracée : elle se situe juste au-delà de la frontière de notre inconscient. L’artiste dessine un chemin double et contradictoire qui oscille entre les pôles opposés d’un éloignement volontaire et forcé, la volonté d’exister mais de se dissoudre en tant qu’esprit. Une nécessité d’isolement pour pouvoir sentir et observer ce qui se passe dans les lieux de son propre moi. Un drap suffit à nous mettre à l’abri de tout, mais ce même voile nous oblige à un dialogue forcé avec nous-mêmes

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: un combat sans solutions possibles. La solitude, comme un masque archétypal, reste peut-être la seule réponse. Federica Poletti trace une anatomie qui travaille sur l’idée d’accumulation, d’ajout de parties étrangères à l’habitude d’un corps. Oscillant entre frustration, colère et soumission, l’artiste transforme l’anxiété agressive de ses sujets en une forme poétique et immobile”. “Federica Poletti est née à Modène en novembre 1980. Elle est diplômée en arts visuels de l’Académie des Beaux-Arts de Bologne. Entre 2016 et 2018, elle est co-fondatrice de StudioMina, une expérience qui lui permet de se confronter à de nombreux artistes et de promouvoir elle-même des projets de commissariat. Ces dernières années, elle est la protagoniste de plusieurs expositions personnelles, de Berlin à Modène même, la ville où elle vit et travaille. Elle est présente dans plusieurs expositions collectives en Italie et en Espagne, de Barcelone à Malaga. Ses œuvres ont été sélectionnées pour l’édition 2019 du Festival de la philosophie de Modène, et cette année, elle a également été finaliste du prix Nocivelli et du prix Combat, participe à la résidence artistique Amaneï et à Selvatico [14]. Dernièrement, elle a été sélectionnée parmi les finalistes du prix Arteam Cup et parmi les artistes choisis par “Frattura Scomposta”. www.federicapoletti.com/


Photo arttribune.it

(suit de la page 40) “Le monde”, physique et métaphysique, naturel et surnaturel. Le thème traité dans l’exposition amplifie la communion des enchevêtrements naturalistes, symboliques et psychologiques entre les œuvres, soumises à l’action intellectuelle et cognitive de ceux qui aiment s’éduquer dans l’art, en saisissant le processus créatif culturel et formel persistant mis en œuvre. Un “vocabulaire” de l’art au même titre qu’un “atlas” de suggestions et de connexions sur le monde. Sur le plan technique, il existe une valence matérielle fortement présente de remaniement et de transmutation artistique, façonnée, capable de conduire à travers l’expérience visuelle, à saisir immédiatement les explications et les raisons intimes du phénomène recherché et exprimé, traduisant le “savoir-faire” artistique et humain à la vision du “Tout”, l’inspiration, le recueillement, la prière et la connexion de la destinée humaine dans le cosmos. Marinella Galletti

L’ACADEMIE EUROPEENNE LANCE LE PRIX DES MUSEES D’ART

UN PRIX DESTINE’ AUX MUSEES ET GALERIES D’ART EUROPEENS Le nouveau prix reflète le role joué par les Le Artefici del Mondo Musées et les Galeries CENTRO CULTURALE d’Art, en particulier en MERCATO, ARGENTA (FE) temps de crise, l’incluPALAZZO CREMA, FER- sion, la participation et la durabilitè sont quelRARA ques uns des critères https://artiste.yolasite.com/ que le Prix adoptera le-artefici-al-centro-culturale-mercato. dans l’évaluation des voir la vidéo candidatures https://youtu.be/-kjJfKPH_80

n prix destiné aux musées et aux galeries d’art de toute l’Europe, dans le but de mettre en lumière les projets qui “travaillent avec l’art de manière innovante, pionnière et créative afin d’aborder ou de répondre aux questions sociales actuelles qui représentent l’un des principaux défis pour notre société contemporaine” : tels sont les fondements du Art Museum Award, le nouveau prix créé par l’Académie européenne des musées, une fondation créée en 2009 à l’occasion du dixième anniversaire de la mort du muséologue Kenneth Hudson par un groupe de professionnels travaillant dans le domaine des musées, basé à La Haye. Ce nouveau prix, qui vient s’ajouter à d’autres déjà promus par l’Académie européenne du musée, tels que le Prix de l’Académie européenne du musée, le Prix Luigi Micheletti, le Prix DASA, le Prix du patrimoine en mouvement et le Prix de l’étude de maître de l’année, arrive à un moment où, en raison de la pandémie, les musées (mais aussi toutes les autres institutions culturelles) réfléchissent à la manière dont leur rôle et leur mission peuvent être réinventés dans un monde en mutation. En fait, le Prix du musée d’art veut étudier le rôle que les musées et les galeries d’art peuvent jouer en tant que lieux de rencontre socialement pertinents, surtout en temps de crise. Justice sociale, participation, inclusion, égalité des sexes, justice raciale, renforcement de la communauté, durabilité, résilience et innovation sont les critères sur lesquels un jury international

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d’experts en muséologie se fondera pour juger le travail et les projets des musées candidats au prix, identifiant ainsi des modèles d’excellence qui peuvent inspirer d’autres institutions. En bref, le prix du musée d’art vise à “promouvoir la conception et le développement de musées nouveaux et traditionnels en tant qu’instruments de changement social”. LES OBJECTIFS DU PRIX DES MUSÉES D’ART “Nous pensons que les musées et les galeries d’art peuvent soutenir le changement social”, explique Karl Borromäus Murr, président de l’Académie européenne des musées. “Avec des valeurs fondamentales telles que le dialogue, la sensibilisation, l’inclusion et l’accessibilité, ce sont des lieux idéaux pour ceux qui œuvrent pour le changement (social et politique). Avec le prix du musée d’art, nous voulons sensibiliser au rôle social et à l’importance des musées et des galeries d’art, et stimuler le débat sur leur impact sur la société”. pour participer au prix, les musées et galeries d’art intéressés doivent soumettre leur candidature sur www. artmuseumaward.eu avant le 31 mars. La cérémonie de remise des prix aura lieu en septembre. Le musée ou la galerie lauréat recevra un trophée et pourra utiliser le réseau de communication de l’Académie européenne des musées pour sa promotion. Désirée Maida www.europeanmuseumacademy.eu PALAZZI 43 VENEZIA

l y a de nombreuses années, j’ai vu une toute petite image de Viganella dans la rubrique “Etrange, mais vrai” de Settimana Enigmistica. C’était un instantané d’un groupe d’hommes et de femmes, presque tous âgés, les habitants du village, portant des vestes d’hiver et des lunettes de soleil à l’ancienne, se sont rassemblés au centre de la petite place : ils regardaient tous dans la même direction. C’était le 17 décembre 2006 et le maire de l’époque, Franco Midali, avec la collaboration de son ami l’architecte Giacomo Bonzani, inaugurait le résultat d’une idée grandiose : un miroir de quarante mètres carrés qui, placé sur la montagne derrière le village, ramenait la lumière sur la place. Oui, parce que du 11 novembre au 2 février de chaque année, Viganella est dans l’obscurité, le soleil est confiné derrière la montagne devant elle et pendant 83 jours, elle vit dans un état d’obscurité perpétuelle. Franco Midali, cheminot de métier, est un rêveur, un visionnaire, et il est convaincu qu’il y a un moyen (suit page 44)


Photo Silvia Camporesi

(suit de la page 43) pour la ville de profiter d’un peu de lumière même pendant ces journées froides. Ainsi, après des années d’études et de discussions avec l’architecte Giacomo Bonzani, il a réussi à réaliser son majestueux projet : pour 99 900 euros, il a fait transporter le miroir de onze tonnes par hélicoptère. Une fois installé dans la position décidée, le miroir tourne régulièrement, afin que la lumière réfléchie se trouve toujours dans les mêmes zones du village, et le soir, il se couche horizontalement, comme s’il allait dormir, afin que la pluie et le vent nettoient sa surface. C’est une machine parfaite, et elle fonctionne à merveille. L’année dernière, avec quelques amis, je suis parti pour la vallée d’Antrona (le nom n’est pas du tout fortuit), c’était fin janvier, la semaine avant que le soleil ne revienne dans le village. Quand nous sommes arrivés, le soleil réfléchi était là, il faisait briller les pierres de la place de Viganella et les yeux d’un chat gris. Un monsieur nous a demandé d’où nous venions et est allé appeler Midali.

VIGANELLA

LE VILLAGE OU LE SOLEIL SE REFLETE DANS UN MIROIR IL EST SITUÉ À VERBANO-CUSIO-OSSOLA LE VILLAGE QUI, DE NOVEMBRE À FÉVRIER, VIT AU CRÉPUSCULE. MAIS DEPUIS QUELQUE TEMPS DÉJÀ, UN ÉNORME MIROIR ROTATIF APPORTE LES RAYONS DU SOLEIL DANS LES RUES DE VIGANELLA, AUTRE CHOSE QUE L’ÉLIXIR D’OLAFUR... LE RÉCIT À LA PREMIÈRE PERSONNE DE L’ARTISTE SILVIA CAMPORESI.

L’ancien maire nous a accueillis avec un rare enthousiasme, nous racontant chaque détail de l’entreprise, nous montrant des articles de journaux, des esquisses du projet, répondant à nos questions. Il y a un faisceau de lumière qui éclaire le portail de l’église, je remarque un étrange miroir rond pris sur un vieux scooter, fixé au sommet du bâtiment, je lui demande sa signification. Midali va prendre les clés de l’église et nous montre le miracle du miracle, un ensemble de réflexions qui mène au centre de l’autel: le soleil se reflète dans le miroir, le soleil réfléchi se reflète sur le miroir placé au-dessus de l’église, le reflet de la réflexion arrive sur l’autel où se trouve le crucifix et repose sur le côté sanglant du Christ. Midali a presque les larmes aux yeux quand il nous montre ces boîtes chinoises de rebondissements lumineux et je pense que même Olafur Eliasson n’aurait pas pu créer quelque chose d’aussi poétique. Le lendemain matin, nous sommes partis en promenade, en escaladant la montagne, pour nous approcher du miroir et le voir de près. Midali nous a expliqué en détail comment y arriver, en tournant à gauche après un arbre coupé, à droite après une hutte, en traversant un bois épais.

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Mais nous nous perdons trois fois et nous l’appelons au téléphone depuis le centre de la montagne, il nous ramène sur le chemin et nous raconte qu’une touriste japonaise s’est retrouvée coincée au milieu de la montagne pendant toute une journée et que tout le village est parti à sa recherche. Après deux heures de marche, nous le voyons enfin, il est là, dos à nous, silencieux, faisant son travail. De temps en temps, à intervalles réguliers, un petit bourdonnement témoigne de ses micro-mouvements. Du haut du village est vraiment minuscule, le faisceau de lumière semble parfaitement dessiné sur les contours de la place. Nous lançons le drone qui nous montre la face du miroir parce qu’il est impossible de passer devant, le sol est très raide et quiconque essaierait se retrouverait à rouler en descente. Bientôt, ce sera le 2 février, le retour du soleil sera célébré dans le village par une somptueuse fête et ce jour-là, le miroir sera éteint, jusqu’en novembre prochain. Silvia Camporesi h t t p s : / / w w w. a r t r i b u n e . c o m / a r t i - v i s i ve/2021/01/viganella-sole-specchio/ PALAZZI 45 VENEZIA

ien qu’il vive à Zurich depuis sept ans maintenant, l’esprit pauliste n’abandonne pas Ciro Miguel. Écouteurs dans les oreilles et T-shirt noir encadré dans la fenêtre de sa webcam, il gesticule largement en parlant et étire des voyelles en fin de phrases, à la brésilienne. L’origine de cet architecte au début de la quarantaine peut ici paraître anecdotique. Mais il est fondamental pour comprendre son travail de photographe et de conservateur, ainsi que ses thèmes de recherche. Dans laquelle São Paulo réapparaît inexorablement, laissant des traces directes ou indirectes, mais toujours perceptibles. Dans la mégalopole brésilienne, Ciro Miguel a non seulement grandi, mais il a aussi appris le métier d’architecte et de photographe. Ici, les termes commencent déjà à se confondre car les deux activités sont difficiles à séparer, ce que lui-même s’empresse de souligner : “Je n’aime pas me définir comme un photographe, je préfère dire que je suis un architecte qui prend des photos”. Ce commentaire n’est pas totalement déplacé, car sa formation est essentiellement architecturale. Il est diplômé de la FAU USP de sa ville (suit page 46)


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(suit de la page 45) “dans le merveilleux bâtiment de Villanova Artigas”, souligne-t-il sans dissimuler une certaine fierté - puis d’un master de Columbia à New York et d’un apprentissage dans le bureau américain de Bernard Tschumi. Mais l’expérience qui l’a le plus marqué, ce sont les années passées dans l’atelier d’Angelo Bucci, qui l’a amené à l’EPF de Zurich en tant qu’assistant. Il semblerait qu’il ait une certaine admiration pour son maître : il le cite immédiatement lorsque la discussion porte sur l’influence de sa ville sur son travail. “Angelo disait que sous les pieds des Paulistas, il y a une couche de 20 mètres d’infrastructures : métros, passages souterrains, égouts, tuyaux et réseaux d’utilité publique. C’est un environnement totalement artificiel, où, au nom du progrès, les gens n’ont pas hésité à inverser le cours d’une rivière ou à creuser tout un versant”. Nous lui disons que cette description de sa ville nous rappelle celle que Stefan Zweig en a faite dans le livre qu’il a consacré au Brésil des années quarante : une Babel en perpétuel changement dominée par le dieu de l’argent. Il sourit et fait un signe de tête. “C’est une ville sans pitié”, dit-il, non sans une

ARCHITECTE ET PHOTOGRAPHE BRÉSILIEN BASÉ À ZURICH, LE CIRO MIGUEL INTERROGE, À TRAVERS SES CLICHÉS ET SON TRAVAIL DE CONSERVATEUR, LES RÉCITS TRADITIONNELS POUR GÉNÉRER DE NOUVELLES LECTURES DE L’ARCHITECTURE ET DE LA VILLE. NOUS PRÉSENTONS SES RECHERCHES.

certaine autosatisfaction. Comme tous les architectes, pour lui, à São Paulo, une fascination irrémédiable coexiste avec un sentiment d’horreur effrayant. “L’architecture et l’ingénierie ont pu façonner le paysage ici et créer l’une des topographies les plus artificielles et les plus denses du monde, mais en même temps, tout cela a conduit à une véritable catastrophe écologique”. Il faut dire que Ciro Miguel a construit toute son œuvre sur cette dichotomie entre artificialité et nature, entre progrès et destruction. D’abord et avant tout celui de la photographie. Dans une recherche permanente de discontinuités spatiales et de contrastes matériels, son regard s’interroge, sans aucune trace de jugement, sur l’impact des activités humaines sur la planète Terre. Un court de tennis surplombant la mer, un horizon bloqué par des fenêtres et des balcons, un flux de bitume interrompu par l’émergence d’un rocher : dans ses plans, le cadrage est vide, parfois fantomatique, mais la présence humaine plane sans qu’il soit nécessaire de la révéler. “Pour moi, la photographie n’est pas un simple outil de documentation, mais plutôt une méthode d’investigation des idées et des thèmes liés à l’architecture et à l’urbanisme”. Cette phrase nous rappelle la définition de Luigi Ghirri de la photographie comme un “désir de connaissance, de déchiffrage”. En fait, il suffit de quelques minutes à Miguel pour ci-

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CIRO MIGUEL

ter l’artiste émilien, dont le nom est accompagné d’un soupir d’admiration. “Je me souviens encore des premières images que j’ai vues de Ghirri, celles du cimetière San Cataldo d’Aldo Rossi à Modène, enveloppées dans un manteau de neige. Ils m’ont profondément troublé et depuis ce jour, je pense avoir changé ma façon de voir la réalité qui m’entoure”. Les points communs entre l’architecte brésilien et le photographe italien (ainsi que le géomètre) sont en effet flagrants. Quant à Ghirri, la photographie est pour lui avant tout une construction, une sélection critique d’éléments qui n’assument qu’ensemble leur autonomie. Il y a aussi une leçon qu’il semble avoir tirée en particulier du photographe émilien : activer le regard pour découvrir des choses dans la réalité qui étaient auparavant imperceptibles. Cependant, Ciro Miguel met en pratique cet engagement contre l’anesthésie de la perception à sa manière, avec une approche taxonomique. Il est capable de discuter pendant des heures de la signification spatiale d’une volée de marches devant une porte, d’un banc recouvert de velours dans le couloir d’un bâtiment ou d’un hangar préfabriqué sur un sommet de montagne. Dans une sorte d’entreprise à la Georges Perec pour classer et étudier les espaces qui nous entourent, il n’hésite pas à interroger le quotidien, à questionner

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ce qui peut paraître trivial ou dérisoire au premier abord (un buisson taillé en forme de sphère, une rangée de parapluies, un panneau publicitaire) mais qui constitue, selon lui, l’essence de notre vie. Il a notamment consacré une biennale au thème du quotidien, la biennale d’architecture 2019 de São Paulo, dont il a été le commissaire avec Vanessa Grossman et Charlotte Malterre-Barthes. Sous le titre programmatique “Todo Dia/Everyday”, l’événement était consacré à la présence du quotidien et du domestique dans l’architecture et aux infinies micro-récits cachés derrière les façades de chaque bâtiment. Le thème qu’il dit avoir repris de Carlo Ginzburg. “Un autre Italien”, dit-il en souriant, en glissant de dessous la table un petit volume de l’historien turinois. “Pour lui, les micro-histoires lui ont permis d’échapper à l’historiographie traditionnelle pour s’intéresser aux individaus ; je les applique à la photographie, afin de faire ressortir des questions qui restent généralement cachées”. Dans ce conteneur générique, Miguel place essentiellement des questions politiques : le droit à la ville, les relations entre les classes, la division du travail, les différences de genre, d’ethnie, de religion, (suit page 48)


Photo ciromiguel

(suit de la page 47) d’orientation sexuelle des thèmes en ligne, en somme, avec les mouvements de défense des droits civils et de l’égalité de ces dernières années. Mais il ne s’agit pas d’une bataille pour la photographie politiquement correcte (ou l’architecture). Il s’agit plutôt d’une remise en cause d’une certaine narration conventionnelle de l’architecture, promue par la photographie industrielle sur papier glacé, “trop souvent influencée par ses clients”. Pour mieux comprendre ce à quoi il fait référence, il est préférable de commencer par une anecdote: “Il y a un cliché que j’ai trouvé dans les archives de l’ETH qui montre un couple de messieurs en train de nettoyer une infiltration d’eau dans la cathédrale d’Oscar Niemeyer à Brasilia. Pour moi, c’était une image révélatrice, car elle représente, dans un contexte comme celui de la capitale brésilienne, la plus haute expression de l’architecture moderne comme assemblage abstrait d’objets dans l’espace, la présence incontournable de l’ordinaire et du domestique dans toute architecture. Et une image qui ouvre un nombre infini de questions. Qui sont ces personnes ? A qui s’adresse l’espace? Que représente pour eux le bâtiment sur lequel ils

travaillent”. Ce plan a été, en particulier, le point de départ de la proposition de conservation pour sa biennale (dont un chapitre entier s’appelait Entretien quotidien). Et cela l’a aidé à démarrer une recherche sur l’architecture et le photojournalisme qu’il mène actuellement à l’EPF de Zurich. Ce n’est pas le seul cas où un de ses projets a été construit sur une image après coup. Pour l’exposition Accès pour tous, conçue par l’Architekturmuseum de Munich, le commissaire Daniel Taleskin lui a commandé une campagne photographique basée sur des images du centre culturel Sesc 24 à Maio. L’objectif de l’exposition était de documenter comment, à São Paulo, une série d’architectures, dont le bâtiment en question, ont été transformées en catalyseurs de la vie sociale et en points de rencontre, dans une ville tristement célèbre pour son manque chronique d’espaces publics. “Comme la sélection comprenait des architectures emblématiques telles que MASP ou Sesc Pompeia de Lina Bo Bardi, l’idée était d’éviter volontairement les vues conventionnelles afin de se concentrer sur la façon dont les Paulistes se sont lentement appropriés les espaces ouverts de ces bâtiments. Pour obtenir ces plans, j’ai travaillé avec un appareil photo très compact qui m’a permis de capturer rapidement les scènes dont j’étais témoin de temps en temps”. PALAZZI 48 VENEZIA


Sa passion pour les étendues urbaines désolées ne l’empêche pas de prendre parfois des clichés d’habitants occupés ou désœuvrés. Au contraire, cette effronterie à photographier la vie quotidienne de ses concitoyens a fait de Ciro Miguel un talent superlatif pour fixer en instantanés des fragments de la société à laquelle ils appartiennent. Pendant la fermeture du printemps, qu’il a passé dans un appartement à moitié vide sur l’Avenida Paulista dans sa ville natale, il a littéralement glissé dans le voyeurisme. Pour faire court : l’architecte a fixé une paire de jumelles dans sa chambre et a commencé à photographier subrepticement ses voisins. Pour se justifier, Ciro Miguel blâme l’isolement : “Contrairement à l’Italie, où les gens sortaient sur les balcons pendant la fermeture pour chanter à l’unisson, à São Paulo, l’échelle nettement plus grande des bâtiments empêchait cette relation directe entre les locataires. Les jumelles sont donc rapidement devenues le seul outil dont je disposais pour me réconcilier avec les gens qui m’entouraient”. Dans ce cas, un grand groupe de personnages - une bonne noire nettoyant les vitres d’un loft, un cavalier livrant des repas, une bourgeoise prenant un bain de soleil sur une chaise longue, un étudiant faisant du sport sur la terrasse - qui, ensemble, constituent un échantillon impressionnant de la société urbaine brésilienne du 21e siècle. PALAZZI 49 VENEZIA

Appropriation des espaces publics, domestication de l’environnement, implications sociales et politiques de l’architecture: les thèmes de Ciro Miguel sont récurrents, mais jamais identiques. “En général, je ne choisis pas un thème a priori, mais en regardant les archives désormais importantes d’images prises depuis le début de ma carrière d’architecte, je reconnais peu à peu des connexions, des thèmes qui regroupent différents plans”. Pour mémoire, Miguel est capable de construire toute une série sur des paniers de basket ou des poubelles. Comme dans une sorte d’exercice de style à la Queneau, il semble vouloir nous dire qu’il y a un potentiel et une réflexion infinis dans l’architecture. Ce que ses photographies tentent de faire ressortir, “en poussant l’architecture jusqu’au fond, pour permettre à ses histoires de se libérer”. L’exposition Accès pour tous, réalisée en 2019 par l’Architekturmuseum de Munich, sera présentée en 2021 au SAM de Bâle. Leonardo Lella www.ciromiguel.com h t t p s : / / w w w. a r t r i b u ne.com/professioni-e-professionisti/ who-is-who/2021/01/intervista-ciro-miguel-architettura-fotografia/


ordre. Cette structure monumentale recouverte de bronze, haute de quarante-cinq mètres et placée au centre du nouveau développement urbain de Hudson Yards à Manhattan, New York (juste au nord de Chelsea), a en effet fait preuve d’un sérieux manque de gestion de la sécurité, comptant le troisième suicide en moins d’un an. Avec ses 15 étages, ses 154 escaliers reliés entre eux et ses 80 places d’observation au-dessus de la rivière Hudson, l’œuvre de l’architecte britannique Thomas Heatherwick s’est révélée populaire auprès du public. Un peu moins par les experts en sécurité. C’est pourquoi, peu après la première affaire en février 2020, un conseil municipal de la ville avait envoyé une lettre aux directeurs de Yards and the Vessel, la société immobilière américaine Related Companies, leur demandant ce qu’ils faisaient pour prévenir le risque : “Bien que rien ne puisse arrêter une personne déterminée à se faire du mal, il a été démontré que les barrières physiques réduisent considérablement le nombre de sucides, surtout ceux qui ne sont pas prémédités. Le risque de perdre une nouvelle vie ne peut être ignoré”, avait écrit Lowell Kern, président

Photo forbesmassie

e navire est fermé au public, indéfiniment et jusqu’à nouvel

VESSEL L’INSTALLATION PANORAMIQUE DE THOMAS HEATHERWICK, HAUTE DE 50 MÈTRES, DOIT ÊTRE RECONSIDÉRÉE POUR ÉVITER DE NOUVEAUX DÉCÈS, ET SELON CERTAINS, ILS ONT TROP ATTENDU : DÉJÀ APRÈS LE PREMIER SUICIDE, IL Y A MOINS D’UN AN, UN CONSEIL LOCAL AVAIT APPELÉ À L’ACTION

du conseil. Mais l’attraction, à toutes fins utiles une sculpture interactive avec sa forme iconique en nid d’abeille conçue pour être “marchable” dans une ville agitée et déterminée où la marche a historiquement été quelque chose de non inhérent, était restée ouverte comme si rien ne s’était passé. En 2017, deux ans avant l’ouverture du navire, la critique d’architecture Audrey Wachs a exprimé des doutes sur le projet, soulignant le risque possible : “En montant sur la structure, tous les balcons s’arrêtent juste à hauteur de la taille, même au sommet. Quand vous construisez en hauteur, les gens sautent”. Après l’affaire de février, il y en a eu une autre en décembre dernier, et une troisième il y a quelques jours. “Je n’ai pas pu dormir la nuit dernière”, a déclaré un employé de Hudson Yards qui a été témoin des deux suicides pendant son travail. Les développeurs de Now Related consultent des experts en prévention et des psychiatres, et ajoutent du personnel de sécurité qualifié pour trouver des moyens d’empêcher les gens de se jeter dans le vide. Après tout, le projet est un investissement majeur pour l’entreprise : c’est la principale attraction des Hudson Yards, le plus grand projet de régénération urbaine de l’histoire des États-Unis. Aujourd’hui, après la fermeture du navire et les coups durs de la pandémie, l’avenir de la zone commerciale est incertain. Kern, le chef du conseil, a rapporté qu’il avait été in-

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formé par Related qu’avant la réouverture de l’installation, les prochaines étapes pour la sécurité seront présentées, principalement une balustrade plus haute. “J’ai compris qu’ils hésitaient à modifier une œuvre d’art mais ce n’est plus la priorité : après trois suicides, que faut-il de plus pour que la vision artistique prenne du recul pour la sécurité ? Giulia Giaume Vessel se trouve précisément sur la place au centre d’Hudson Yards, l’un des plus grands projets immobiliers de l’histoire des États-Unis, qui transforme actuellement l’ancien terminal ferroviaire en un tout nouveau quartier comprenant, entre autres, cinq acres de parcs et d’espaces publics. Il s’agit concrètement d’un bâtiment de 16 étages circulaires comptant près de 2 500 marches et environ 80 terrasses et points de vue offrant des perspectives sur le fleuve Hudson et sur Manhattan. En un mot : Vessel. Oxford Properties a en effet demandé à Thomas Heatherwick de créer la pièce maîtresse d’Hudson Yards, un édifice qui accueillerait les visiteurs au cœur du nouveau quartier et deviendrait un lieu de rendez-vous incontournable dans ce centre névralgique de New York. L’aspect le plus délicat de la conception de Vessel a résidé dans la volonté de créer un ouvrage mémorable qui ne serait écrasé ni par la quantité de très hauts gratte-ciel tout autour ni par l’escalier de l’énorme espace public situé en face de la place. Durant la première phase, de nombreuses configuraPALAZZI 51 VENEZIA

tions ont ainsi été examinées et progressivement exclues avant d’arriver à la décision de créer une seule et unique entité et non une série d’objets éparpillés dans l’espace. Au lieu d’une sculpture inerte, Vessel devait devenir un amusant lieu d’échange et de rencontre. Compte tenu de ces prémices, la recherche s’est poursuivie en analysant quels étaient les points d’agrégation spontanés dans les villes. Des infrastructures souvent simples, évidentes, faisant partie intégrante du quotidien mais à même d’inciter naturellement à la convivialité. C’est l’archétype de l’escalier (l’assise la plus égalitaire au monde)qui a remporté cette difficile sélection. Pour concevoir un escalier à la hauteur de Manhattan, une autre référence s’est également imposée : les puits à degrés indiens, désignés sous les termes Kalyani, Pushkarani, Barav ou Bâoli selon les régions. C’est cette structure qui a constitué la véritable source d’inspiration de l’équipe de Heatherwick Studio et qui l’a incité à créer Vessel sous sa forme particulière que l’on peut désormais parcourir à pied... Francesco Cibati Project Name: Vessel Hudson Yards, New York City Heatherwick Studio www.heatherwick.com


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