Palazzi A Venezia Mars 2020

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Phot venessia.com

Filip Mirazovic Femmes année ‘50 Filo Wonderkammen Les origines de Venise Isabelle Cabanillas La civilisation, un progrés ? Libre-Echange Hamed Hamadi à Venise Les soltisces de la chair Helmut Newton Leonardo da Vinci Edward Hopper Paolo Condurso Lancia Strato’s Zero Orologio Astronomico Messina Bertolt Brecht Christian de Portzamparc Mika Rottemberg Pètra Werlé Andrew Wyeth Helga Testorf Wendingen 1918 - 1931 Mix Up Abbi Patrix

PALAZZI A VENEZIA Publication périodique d’Arts et de culture urbaine de l’association homonyme régie par la Loi de1901 ISSN/Commission Paritaire : en cours Distribution postale/digitale Président Directeur de la Publication Vittorio E. Pisu Correspondance palazziavenezia@gmail.com https://www.facebook.com/ Palazzi-A-Venezia https://www.vimeo.com/ channels/palazziavenezia

Trenteunième Année / numéro 03 Mars 2020 Prix au numéro 5 euros Abonnement annuel 50 euros Abonnement de soutien 500 euros


FILIP MIRAZOVIC

« Grandir » du 28 février 2020 au 28 mars 2020 La galerie Mariska Hammoudi a le plaisir d’annoncer “Grandir”, une exposition de Filip Mirazovic présentée à la Galerie Municipale Julio Gonzalez (Arcueil) Dans cette exposition, Filip Mirazovic étend sa peinture au sujet de l’intime, avec une grande place accordée à la figure humaine, sa famille en premier lieu puis des proches. Tout est placé dans un espace allégorique, constituant un rébus mystérieux sur la voie du « grandir ». Reconduisant certains éléments, motifs présents depuis le début (intérieur, lustre, sources de lumière …), un nouvel élément marquant prend toute sa place : celui de la couleur pure saturée, impressionniste.

Mariska Hammoudi

Galerie Municipale Julio Gonzalez 21 avenue Paul DOUMER, 94110 Arcueil

+33 1 46 15 09 75

https://www.arcueil.fr/category/ culture-loisirs/ galerie-julio-gonzalez/1

vec ce numéro du printemps nous continuons avec notre prolixité très personnelle,de vous proposer des thèmes de réflexion, des destinations et des expositions à visiter, comme des textes à (re)trouver. Le mois de février a été dominé par la psychose créée par une épidémie née en Chine au moment du Nouvel An de leur calendrier sujet à d’importantes migrations puisqu’il leur est indispensable de passer ces festivités en famille. Mais la réaction des Européens a été on ne peut plus complètement désordonnés et absolument injustifiée. Il est notoire que nous sommes beaucoup plus impressionnées par les requins que par les guêpes! Pourtant ces dernières battent largement le squale en nombre de victimes et de loin! Nous aimons nous faire peur, surtout par ce que nous ne connaissons pas, ce que nous ne comprenons pas et par ce qui est, à tout le moins en apparence, différent de nous même et de nos habitudes encore qu’ il n’est rien de normal dans notre comportement, au contraire. Ce sont surement toutes ces comportent qui me confortent dans mon désir de rechercher et de trouver dans l’Art, qu’il soit plastique ou musical, cinématographique ou statuaire, littéraire ou mimique si non une réponse, un soulagement au spectacle que les divers canaux d’information nous présentent de l’aspect du monde. Il est certain que notre époque, malgré les apparences, est la moins violente de tous les temps et, que malgré les inégalités criantes et les désastres naturels, provoqués inconsciemment ou sciemment, nous vivons certainement une époque bien meilleure de toutes celles qui nous ont précédé. Je pense souvent à la peste noire qui, au XIVème siècle, tua au moins le tiers de la population européenne et bien plus ailleurs; elle fut pourtant la condition d’un essor qui tenta de pallier à cette perte par la création de nombreux machines et outils destinés à faciliter le travail des hommes (et des femmes). Je ne sais pas si le coronavirus ou comment il s’appelle, aura des conséquences à la fois si néfastes et par la suite si industrieuses et créatrices. Je pense qu’au minimum notre rapport avec les animaux tel qu’il est actuellement, devra nécessairement changer. Rien que cela serait un incroyable progrès et une marche supplémentaire dans l’amélioration du monde dans lequel nous vivons et que nous maltraitons si systématiquement. Que faudrait-il qu’il advienne pour nous faire comprendre que nous devons absolument changer ? J’espère que les propositions de ce mois-ci vous aideront à égayer votre printemps: Vittorio E: Pisu


Photo Musée Soulages

e musée Soulages consacre une exposition à la création abstraite des femmes dans les années 50 à Paris : Déjà aux Etats-Unis se tenait en 1951 l’exposition fondatrice « Ninth Street Show » dans laquelle figurait 4 femmes: Joan Mitchell, Grace Hartigan, Elaine de Kooning et Helen Frankenthaler. Dans “L’autre moitié de l’avant-garde 1910/1940” de Lea Vergine, éditions des femmes, publication doublée d’une exposition en 1980 en Italie. : Lea Vergine parle de découvrir la « moitié suicidée du génie créateur de ce siècle ». En 2009, le Centre Pompidou offrait une importante exposition d’artistes femmes, «Elles » qui réunissait plus de 3 mil-

lions de visiteurs. L’exposition présente un ensemble de plus de 70 œuvres de provenance riche et variée : prêts d’artistes, de particuliers, d’institutions, de galeries, de fondations, de musées nationaux et régionaux (Centre Georges Pompidou – musée national d’art moderne, Fonds national d’art contemporain, musée Matisse Le Cateau-Cambrésis, musée des Beaux-arts de Nantes, abbaye de Beaulieu en Rouergue, musée de Grenoble, Musées Royaux de Belgique, les Abattoirs-Toulouse, musée de Gravelines), des fondations (Hartung / Bergman, Marta Pan / Wogensky…), des galeries françaises et étrangères (Denise René, Antoine Laurentin, Convergences, Jeanne Bucher Jaeger , Callu PALAZZI 3 VENEZIA

Mérite…). Cette exposition historique se propose de mettre en valeur l’oeuvre des femmes dans la sculpture, la peinture, la gravure dans un milieu artistique parisien largement féminisé, galerie et critique, bien entendu. Au sortir de la Seconde Guerre mondiale, les nations européennes sont mutilées et entament leur mue. Tout est à reconstruire : villes, pouvoir, mode de vie, de penser, arts plastiques... Et donc de poursuivre et d’amplifier la peinture et d’inventer d’autre médiums. Les historiens de l’art considèrent qu’un basculement s’opère à partir de 1945. Dominée jusque-là par la figuration, la pratique abstraite se consolide dans les années 50. Cette époque laisse place à un violent conflit entre une peinture figurative encore bien pré-sente (de Buffet à Carzou, en passant par beaucoup de peintres de la galerie Charpentier) et les nouvelles modalités insufflées par les peintres dits abstraits. Après la surprise de l’avant-guerre, ils suscitent intérêt et admiration, aspirent à se séparer de la forme ou à renouveler leur relation avec la matière, la lumière et l’espace de la toile. Outre sa confrontation ave l’académisme, (suit à la page 4)


(suit de la page 3) cet “art-autre” (selon l’expression de Michel Tapié) se compose d’une multitude de tendances divergentes et parcours singuliers. Tantôt géométrique (l’art concret), lyrique, nuagiste, tachiste, non-figuratif ... ces “écoles de Paris” peu cohérentes. Jusqu’ici dominé par les figures imposantes de Pablo Picasso, Pierre Bonnard et Henri Matisse, le monde de l’art s’ouvre à des nouveaux artistes rencontrant le succès en exposant aussi bien en France qu’à l’étranger : Pierre Soulages, Hans Hartung, Georges Mathieu, Nicolas de Staël, Serge Poliakoff ... L’avant-garde abstraite se développe donc avec intensité du coté des femmes. Les années 50 peuvent être considérées comme une époque charnière accompagnant les luttes pour leurs droits. Présentes en pointillé, moins exposées, rarement reconnues, les femmes peintres commencent à se revendiquer comme telles dans une pure indépendance : avant elles au siècle précédent, Berthe Morisot, Mary Cassatt, Suzanne Valadon ... L’après-guerre reste marqué par de grandes figures féminines de l’histoire de l’art telles que Sonia Delaunay ou Sophie Taeuber-Arp. Sonia Delaunay connaît une regain d’activité, elle montre la voie de l’avant-garde à Paris.

Cet air de libération que connaît la peinture fait écho aux revendications de Simone de Beauvoir (Le Deuxième Sexe, 1949) selon lesquelles depuis des siècles, théologie, philosophie et sciences humaines entretiennent une image implicite de la femme fragile, changeante, émotive et irrationnelle, inadaptée aux activités sérieuses de la société. Qu’en est-il de l’art ? Dans les années 50, Paris reste un foyer actif des arts d’avant-garde, avec des femmes agissantes. Catherine Gonnard et Élisabeth Lebovici dans leur opus “Femmes artistes/artistes femmes” ont rédigé un chapitre sur ces femmes dans “ l’art de la reconstruction “, notant le renforcement de l’investissement artistique des femmes après la guerre, les galeries militantes et une manière personnelle d’envisager l’abstraction dans et en dehors des Salons. C’est de ce contexte d’effervescence créative à Paris que cette exposition propose de rendre compte, en faisant découvrir l’activité artistique des femmes, l’autre moitié de l’avant-garde ; certaines reconnues et abondamment présentées, d’autres méconnues voire laissées pour compte. Elle propose une vision exhaustive de l’univers cosmopolite de la capitale des arts dans les années 50 en réunissant les portraits de 45 femmes représentatives de cette époque. Shirley Jaffe, Judit Reigl, Joan Mitchell pour celles qui ont choisi Paris comme port d’attache pour quelques années ou pour toujours. Mais essentiellement pour les artistes françaises ou naturalisées, qui ont fait le paysage artistique de cette


Photo L.Tazelmati

époque à l’égal des hommes... Qu’elles soient peintre, dessinatrices, sculptrices, plasticiennes ... Quelques noms s’imposent : Pierrette Bloch, Marta Pan, Colette Brunswick, Christine Boumeester, Viera da Silva, Geneviève Asse, Marcelle Loubchansky, Aurélie Nemours, Vera Pagava, Marcelle Cahn, Anna-Eva Bergman, Dumitresco, Karskaya, Staritsky, Alicia Penalba, Isabelle Waldberg ... Elles ont incarné le renouveau artistique d’après-guerre, souvent au coté de femmes galeristes déterminées à mettre en valeur leur travail : Denise René, Colette Allendy, Nina Dausset, Lydia Conti, Florence Bank, Nina Dausset ... sont autant de références. Il suffit de plonger dans les catalogues du Salon des Réalités Nouvelles et dans les numéros de Cimaise pour voir cet univers se déployer largement, avoir la reconnaissance des galeries, de quelques musées et de la critique. Nous n’oublions par les figures de Herta Wescher et Claude-Hélène Sibert pour Cimaise, de Geneviève Bonnefoi pour les Lettres Françaises, d’Odile Degand... Il ne s’agit pas de revendiquer, mais de rétablir une vérité factuelle et riche à défaut de rechercher à toute force l’équilibre hommes/femme; il s’agit de mener une recherche déjà commencée par d’autres. “ Pourquoi séparer l’histoire des artistes femmes de l’histoire des artistes en général ? “ affirment Lebovici et Gonnard. PALAZZI 5 VENEZIA

Ajoutant par ailleurs que la non-mixité ressort de la tactique politique. Le critique Michel Seuphor admettait maladroitement les qualités de ces femmes au cœur d’un univers d’hommes qui remportait tous les suffrages, plus connus et donc plus facilement exposées: à main droite les hommes, à main gauche les femmes qui comptent dans la décennie 50/60. Seuphor écrivit un livre sur Penalba, Michel Ragon sur Marta Pan... Cette exposition met en valeur une vie artistique contemporaines des premières expositions de Pierre Soulages qui débuta chez Colette Allendy. L’exposition est dédiée à Geneviève Bonnefoi éminente auteure et critique d’art, fondatrice du Centre d’art de l’abbaye de Beaulieu-en-Rouergue, décédée, en 2018.


Photo Accademia del Lusso MAG

La Wunderkammer de notre présent Lorsque le fil est à la pointe de la tendance non seulement dans la création de nouvelles fibres textiles mais dans l’utilisation iconoclaste et sophistiquée des fibres existantes qui se mélangent sans priorité entre les fibres naturelles et la création redécouvrant aussi des traditions anciennes et des fibres naturelles oubliées ou tombées en désuétude, comme la laine du mouton noir de Arbus.

n 2008, Gillo Dorfles (1919-2018) - l’une des personnalités les plus éminentes de la culture européenne, un analyste attentif des phénonymes esthétiques, des mœurs et des manières de notre temps - a publié le livre avec Castelvecchi : “HORROR PLENI” La (in)civilisation du bruit, dédiée aux bruits chaotiques et dérangeants qui affectent l’enchevêtrement des signaux, des communications visuelles et esthétiques dans lesquelles nous sommes plongés. Déjà l’ironie du titre qui renverse le dicton commun horror vacui (l’horreur du vide), c’est-à-dire la tendance visuelle à remplir chaque espace, indique la multiplication imparable des objets, des informations, des stimuli sensoriels, une marée imparable de sons et de bruits, avec une course vertigineuse à la répétitivité des images. Il me semble que ces prévisions de Dorfles sont bien concrétisées dans les avant-premières des prochaines tendances du secteur textile-mode de Gianni Bologna pour le FILO - visibles au MICo Milano Convention Centre qui a eu lieu les 27 et 28 février, où il a été possible de découvrir les nouvelles tendances qui ont été présentées du 4 au 6 février dans la zone Trends S/S 2021 de Milano Unica, à Rho-Fiera Milano - sous le titre : Wunderkammer, ces espaces dédiés aux collections les plus étranges et les plus exotiques, où s’entassent des collections d’objets extraordinaires. Gianni Bologna relie ce “Cabinet de curiosités” ou “Chambre des merveilles” aux caractéristiques fonctionnelles (et fusionnelles) de l’Internet, et le prend comme une métaphore significative du monde contemporain, immergé dans l’anarchie des formes et des attitudes et exprimé par un maniérisme nouveau et inhabituel qui est détaché des codes formels partagés. La Wunderkammer est divisée en quatre sections : Naturalia, Exotica, Artificialia, Scientific.


Photo Accademia del Lusso MAG

NATURALIA. Conscience et connaissance de la consommation Comme le dit le titre lui-même, il s’agit de satisfaire la nouvelle sensibilité écologique du consommateur, en lui présentant des produits durables du point de vue de la composition des tissus, de la production et de l’économie circulaire. Formes et matériaux inspirés du règne végétal et animal. Les fibres sont naturelles, pures ou biocompatibles. Les fils ont des titres fins ou moyens, pas trop corsés. Les aspects sont opaques ou semi-brillants, avec des finitions “naturelles” et des mains et des mouvements suggérés par des flammes ou des torsions plus ou moins évidentes. EXOTICA. Holisme, confort, identité Cette tendance s’intéresse à la richesse et à la diversité du monde et de son histoire, en puisant à la fois dans le passé et le présent, toujours dans une optique d’éco-compatibilité et de réutilisation de la matière. Les fibres sont principalement naturelles. Les fils sont plutôt corsés, avec des effets de représailles visibles, tels que des cordons multiplis, des ondulations et autres mouvements de surface, même irréguliers. Les aspects sont principalement opaques, les mains ayant également tendance à être rustiques. ARTIFICIALIA. Charme, hédonisme, stimulation C’est un nouvel hédonisme, qui apprécie et recherche le plaisir des produits comme antidote à l’uniformité croissante de la mode mondiale. Un luxe qui s’exprime dans la confection, le sur-mesure, les séries minimales et les élaborations sophistiquées du matériau. PALAZZI 7 VENEZIA

Les fibres sont à la fois naturelles et artificielles. Les fils ont des titres fins et très fins, en version soie ou artificielle avec un aspect soyeux brillant et semi-brillant, mais aussi légèrement rustique comme le tussah (fil de soie à gonflement irrégulier et bioccoli, obtenu à partir de baies sauvages) ou la bourette (fil de soie obtenu à partir de déchets et de résidus, à fibre courte et irrégulière) sans irrégularités excessives et en conservant une bonne dose de lumière naturelle. SCIENTIFIQUE. Multi-fonctionnalité, confort, avenir Cette tendance est dédiée à la haute performance technique qui répond aux exigences de haute polyvalence et de qualité du produit d’habillement actif et décontracté, en combinant des fibres synthétiques et naturelles pour obtenir des mains plus sophistiquées, souvent tridimensionnelles, et un look toujours très confortable. Les fils purement artificiels mélangés à des fibres naturelles et leur finition sont performants pour la partie considérable consacrée à l’occasionnel qui est inspirée par le technicien, important sont aussi les décorations et les mouvements, avec des inspirations aux motifs jacquard très décoratifs et multicolores et à l’illustration de graphismes géométriques même à grand rapport et des reliefs de surface. Renata Pompas Maître de conférences à l’Académie du Luxe


Photo Barbara Kruger

es origines de Venise constituent encore un chapitre sombre de l’histoire du Moyen Âge, dont les sources dont nous disposons nous disent peu de choses, mélangeant souvent inextricablement la réalité et la légende. La seule chose vraiment certaine est que Venise est née byzantine et l’est restée pendant plusieurs siècles. Les Vénitiens (ou “Vénetics” comme les appelaient les Byzantins) ont déjà élaboré une légende au Xe siècle, dont nous avons des nouvelles dans l’œuvre de Constantin VII Porphyrogenitus (l’empereur érudit sur le trône de Byzance de 913 à 959), selon laquelle leur ville a été fondée dans “un endroit désert, inhabité et marécageux” au moment de l’invasion d’Attila, lorsque le roi Hunnic a dévasté le continent vénitien en détruisant Aquileia et d’autres centres mineurs.

Venise des origines à la quatrième croisade

Biblioteca Nazionale Marciana Piazzetta San Marco n.7 30124 Venezia Tel: +39.0412407211 Fax: +39.0415238803 C.F. 80013400272

L’histoire était destinée à ennoblir l’origine de la cité lagunaire, la faisant dériver d’un événement dramatique qui a fortement frappé l’imaginaire collectif. Mais la réalité est plus modeste : les Vénitiens ne se sont pas installés dans des territoires déserts et les migrations se sont déroulées sur une longue période. Les îles sur lesquelles Venise devait se former étaient en fait déjà habitées à l’époque romaine, bien que nous ne puissions pas dire s’il s’agissait d’établissements d’une certaine importance ou plus simplement de quelques maisons isolées ou tout au plus de petits villages. Une lettre de Flavio Aurelio Cassiodoro, le sénateur romain qui était ministre des rois ostrogoths, à qui l’on doit une description de la lagune dans une lettre de 537-538 dans laquelle il ordonnait le transport de vivres d’Istrie à Ravenne par bateau, nous en parle. Celles-ci devaient passer par la route intérieure (le “Septem Maria” de Ravenne à Altino et, d’ici, à Aquileia) sous le contrôle des “tribunes maritimes” des Vénitiens et les circonstances donnent à Cassiodore le signal pour décrire l’environnement lagunaire dans lequel on pouvait naviguer même lorsque les conditions météorologiques ne permettaient pas de s’aventurer en mer. Les habitants, ajoute-t-il, y avaient leurs propres maisons “à la manière des oiseaux aquatiques”, avec les bateaux attachés à l’extérieur comme s’il s’agissait d’animaux, et leur seule richesse consistait en la pêche et la production de sel. Un environnement, semble-t-il, avec une structure sociale encore primitive, mais on peut aussi se demander dans quelle mesure la rhétorique de l’auteur a pu déformer la réalité des faits. La naissance de Venise, au-delà de ce que nous disent les légendes, a été un processus lent, et somme


Photo Sortir a Paris

toute obscur, qui a commencé dans la seconde moitié du sixième siècle et a duré environ soixante-dix ans, voire plus, jusqu’au neuvième siècle au moins, si l’on considère la formation de l’ensemble urbain qu’est aujourd’hui la ville de Venise. Même si elles étaient habitées, les lagunes restaient un élément secondaire par rapport aux villes voisines du continent qui avaient atteint un essor particulier à l’époque romaine. Parmi ceux-ci, le principal était Aquileia ; puis vinrent Oderzo, Concordia, Altino, Padoue et Trévise, dont l’importance s’était accrue pendant la domination ostrogothique. Tous ces centres, qui à des degrés divers ont contribué à la naissance de Venise, avaient comme caractéristique commune la présence de liaisons fluviales avec la mer par lesquelles s’exerçait depuis l’Antiquité le commerce. Les villes liées à la naissance de Venise faisaient partie de la grande province de Vénétie et Histrie, constituée comme la dixième région de l’Italie romaine à l’époque de l’empereur Auguste et devenue province lorsque Dioclétien avait réformé l’ordre administratif au troisième siècle. La région, ainsi appelée par les deux populations prééminentes, les Vénitiens et les Histri, s’étendait sur un vaste territoire qui, de l’Istrie, comprenait la plupart des trois Vénitiens jusqu’au fleuve Adda, dans l’actuelle Lombardie. Venise - écrit le lombard Paolo Diacono au VIIIe siècle - n’est pas seulement conPALAZZI 9 VENEZIA

stituée de ces quelques îles que nous appelons aujourd’hui Venise, mais son territoire s’étend des frontières de la Pannonie jusqu’au fleuve Adda, comme le prouvent les Annales dans lesquelles Bergame est appelée la ville de la Vénétie” et fournit plus tard une explication de l’origine du nom Veneti : “le nom Veneti - même s’il comporte une lettre supplémentaire en latin - signifie en grec “digne d’éloge””. L’histoire de la Venise byzantine commence au moment de la guerre gothique, le long conflit avec lequel Justinien Ier reconquiert l’Italie. Venetia et Histria - où les Byzantins sont apparus en 539 - était un front secondaire, mais il a subi les conséquences dévastatrices de la guerre, qui a apporté avec elle la destruction, la violence, la famine et des épidémies récurrentes. Vers 540, elle fut soumise par les empereurs, puis, lors de la contre-offensive ostrogothique des années 550, elle fut divisée entre eux, les Goths et les Francs, pour finalement revenir dans l’empire vers 556, lorsque le généralissime Narsete réussit à ramener la frontière dans les Alpes. Un chroniqueur de l’époque a écrit qu’après la fin de la guerre, l’Italie était “revenue à son ancien bonheur” mais, s’il y en a eu un, il a duré très peu. (suite à la page 10)


(suite de la page 9) En 568, sous la conduite de leur roi Alboin, les Lombards de Pannonie envahissent l’Italie par les Alpes juliennes et se répandent dans la plaine. En quatre ans, presque toute l’Italie au nord du Pô a été conquise et l’invasion a mis fin à l’unité territoriale de la Vénétie où, dans la partie orientale, il ne restait aux Byzantins que Padoue avec le château voisin de Monselice, Oderzo, Altino et Concordia. C’est aussi la cause du début d’un déplacement progressif des populations continentales : devant les nouveaux arrivants, dont la férocité est proverbiale, les lagunes offrent un refuge en raison de leur incapacité à mener des opérations nécessitant l’utilisation de flottes. Les autorités ecclésiastiques craignaient également ces personnes, qui étaient encore largement païennes ou tout au plus de confession aryenne. Le premier à donner l’exemple fut le patriarche d’Aquilée, Paolino, qui, avec le trésor de l’église, s’installa dans la lagune du château de Grado, situé à proximité. Les fugitifs pensaient certainement à un refuge temporaire, comme cela a dû se produire dans d’autres circonstances, mais cette fois les événements ont pris une tournure différente qui a dépassé les attentes des protagonistes.

Les Lombards s’installent définitivement en Italie et leur expansion territoriale progressive finit par accentuer le mouvement vers la côte des populations qui ne veulent pas rester sous leur domination. C’est finalement un événement d’époque, destiné à changer le cours de l’histoire : d’une part, il a provoqué la fragmentation politique du territoire italien, qui a duré des siècles, et d’autre part, il a été la cause déterminante de l’origine de Venise, qui n’aurait peutêtre jamais existé dans des conditions différentes. Les Byzantins tentèrent en vain de chasser les Lombards, mais leur avancée se poursuivit inexorablement au fil des ans, avec toutefois des phases de rémission et des contre-offensives impériales occasionnelles, jusqu’à la chute finale de Ravenne en 751, où déjà au VIe siècle l’exarchat s’était installé au nom de Constantinople et gouvernait le territoire italien, mettant ainsi fin à la domination de Byzance dans le centre et le nord de la péninsule. Le destin du continent vénitien s’est accompli dans la première moitié du 7e siècle. En 601, le roi lombard Agilulfo, en guerre contre Byzance, prend possession de Padoue, la détruit et, un peu plus tard, de Monselice. La présence impériale est ainsi réduite aux places fortes de Concordia, Altino et Oderzo, également vouées à la chute. En 616, Concordia était lombarde et vers 639, lorsque le roi Rotari a mené une attaque approfondie contre l’exarchat, ce fut le tour d’Altino et d’Oderzo.


Une grande partie de la population a pris le chemin des lagunes et, suivant les routes fluviales qui, dans l’Antiquité, avaient marqué leur relation avec la mer, s’est installée dans une large bande côtière qui allait des rives de Grado à celles de Chioggia. Nous ne sommes pas en mesure d’avoir des idées claires sur ces mouvements, sur lesquels les sources vénitiennes sont plutôt confuses, mais nous pouvons affirmer que le plus important concernait le transfert des cadres administratifs d’Oderzo vers la nouvelle ville d’Eraclea ou Eracliana, fondée dans ces années-là à la limite du continent par l’empereur Eraclio afin de donner un nouveau centre à ce qui restait de la province vénitienne. Ainsi, le processus historique a commencé avec l’invasion des Lombards et s’est terminé par la naissance d’une nouvelle lagune, constituée par une administration byzantine gouvernant une sorte de fédération d’îles destinée à donner vie à la future ville de Venise. La nouvelle réalité politique qui s’est formée dans les lagunes vénitiennes a continué à faire partie intégrante de l’histoire de l’Empire byzantin pendant quelques siècles. Vers 715 (ou selon une autre chronologie en 697), les îles lagunaires ont eu leur propre duc qui a lancé la longue série des “doges” vénitiens. Selon la tradition locale, le premier à être promu au pouvoir fut un citoyen d’Héraclée, nommé Paulicio, suivi d’un deuxième duc nommé Marcello et d’un troisième nommé Orso, mais les critiques modernes se méfient plutôt de cette interprétation et ont PALAZZI 11VENEZIA

tendance à considérer Orso comme le premier véritable duc vénitien, plaçant son élection vers 726, lorsqu’une partie de la population italienne (et parmi eux les Vénitiens) se rebella contre les décrets iconoclastes de l’empereur Léon III. En d’autres termes, il était un gouverneur local élu en opposition à Byzance lorsque - comme on le lit dans la vie du pape Grégoire II - les sujets en rébellion “sans tenir compte de l’ordination de l’exil, dans chaque partie de l’Italie ils ont élu leurs propres ducs” mais, même si cette rébellion était là, elle a été de courte durée et déjà en 727 dans un document officiel Léon III et Constantin V qualifiait Venise de “notre province préservée par Dieu”. (suite à la page 12)


(suite de la page 11) Un peu plus tard, d’ailleurs, l’exode de Ravenne, temporairement occupée par les Lombards, trouve refuge dans les lagunes et parvient à reconquérir sa ville avec l’aide de la flotte vénitienne. Les îles vénitiennes restèrent sous la domination impériale même après que les Lombards eurent mis fin à l’exarchat en 751, mais les relations avec Constantinople commencèrent à se relâcher au point qu’en 804, un doge représentant le parti favorable au nouveau pouvoir des Francs et donc contre Byzance arriva au pouvoir à Malamocco (où la capitale avait été déplacée). La situation territoriale sur le continent avait en effet profondément changé : en 774, Charlemagne avait mis fin au règne des Lombards et, après quelque temps, avait également conquis l’Istrie byzantine. Au XIXe siècle, il s’était lui-même proclamé empereur, opposant ainsi Constantinople à une nouvelle puissance ayant une forte volonté de suprématie en Occident. Ainsi, Venise est effectivement passée dans l’orbite carolingienne sans réaction apparente de Byzance, mais lorsqu’en 806 Charlemagne assigna Venise, l’Istrie et la Dalmatie à son fils Pépin, en sa qualité de roi d’Italie, l’empereur Nicéphore Ier, pour réaffirmer les droits de Byzance, en-

voya une flotte qui alla jeter l’ancre dans la lagune vénitienne. Suivit une guerre byzantine-franco-vénitienne, avec l’arrivée d’une autre flotte byzantine à Venise, une tentative avortée de Pépin pour conquérir les îles et, enfin, une paix conclue à Aix-la-Chapelle en 812 avec laquelle Constantinople reconnaît le titre d’empereur de Charlemagne mais obtient en retour la domination de Venise. L’envoyé impérial qui avait traité avec Charlemagne, le locataire Arsafio, en 811, déclara le doge profranco Obelerius et ses deux frères associés au trône déposés au nom de son seigneur, les remplaçant par le duc loyaliste Agnello Partecipazio, amenant ainsi de façon décisive le gouvernement de la ville sous l’influence de Constantinople. Ces événements ont marqué la dernière intervention directe de Byzance dans la vie vénitienne. Le duché, bien que formellement soumis à Byzance, se dirigeait en fait vers une indépendance progressive, tout en maintenant pendant des siècles un lien fort avec l’empire. Il est difficile de dire quand Venise est devenue indépendante, en gardant à l’esprit que ce fait s’est produit sans chocs violents, mais seulement comme un processus naturel d’évolution. La doctrine historique a émis de nombreuses hypothèses à ce sujet, plaçant à différentes époques l’indépendance effective entre le IXe et le XIe siècle et on ne peut que dire que déjà pendant la première moitié du IXe siècle des pas considérables ont été faits dans cet-


te direction : Agnello Partecipazio a déplacé la capitale à Rialto, donnant ainsi une nouvelle physionomie au duché, et en 828 sous son successeur Justinien le corps de Saint Marc a été transporté d’Alexandrie à Venise où il a été le symbole de la nouvelle ville, remplaçant le culte byzantin de Saint Théodore. Et encore, quelques années plus tard, les Vénitiens ont conclu un traité avec les Francs (le pacte Lotharii de 840) avec lequel ils se sont comportés ni plus ni moins comme un État autonome. Cela ne signifiait pas l’indépendance de Byzance, du moins telle que nous la comprenons habituellement dans nos schémas historiques : du côté byzantin, ils ont continué à considérer Venise comme une province lointaine et du côté vénitien, nous ne savons pas si, plus par commodité que par conviction, ils ont continué pendant longtemps à accepter une suprématie idéale de Byzance. Venise a maintenu une alliance substantielle avec l’Orient jusqu’au XIIe siècle, lorsque les relations ont commencé à se rompre sous les souverains Comneni, et l’aspect le plus important de cette alliance a été les privilèges commerciaux accordés par Basile II en 992 et consolidés à partir de 1082 avec la chrysobolle avec laquelle Alexis Ier Comnène a permis aux Vénitiens de faire du commerce dans presque tout son empire sans payer d’impôts. Outre les contraintes politiques, il y avait cependant une relation culturelle au sens large, dans laquelle Constantinople continuait d’être un modèle indépendPALAZZI 13VENEZIA

ant de la subordination politique, à tel point que l’on peut parler d’une Venise byzantine même lorsqu’il n’y avait pas de réelle dépendance. Cette relation s’est largement manifestée dans le domaine artistique (il suffit de se souvenir de l’église de Saint-Marc ou de la Pala d’Oro ordonnée à Constantinople où l’on peut encore voir l’émail d’Irène Dukas “eu\sebestaéth au\gouésth”), mais surtout dans l’influence exercée par la cour byzantine sur la cour ducale, que l’on retrouve dans le système de corégence, avec laquelle les plus anciens doges à la manière byzantine cherchaient à transmettre le pouvoir au sein de leurs familles, dans les cérémonies d’investiture ducale, dans les liens matrimoniaux (suite à la page 14)


(suite de la gae 13) (entre le IXe et le XIe siècle, il y avait trois dogaresses byzantines) et, enfin, dans l’octroi de titres de noblesse byzantine aux ducs de Venise, une coutume qui a commencé aux origines mêmes du duché et conservé de manière discontinue jusqu’au XIe siècle. Le siècle suivant a conduit, d’une part, à la pleine affirmation de Venise en tant que puissance méditerranéenne et, d’autre part, au relâchement progressif et enfin à la rupture des liens traditionnels avec Byzance. Le pic de la crise est atteint en 1171, lorsque Manuel I Comneno fait arrêter par surprise les Vénitiens présents dans l’empire et leur confisque tous leurs biens. Ce fut, selon les sources de la ville, un acte proditieux, réalisé dans le but de s’emparer de leurs richesses, selon les byzantins une juste rétribution de leur arrogance ; mais au-delà de la vengeance réciproque, il n’en reste pas moins que les relations entre les deux puissances ont été irrémédiablement compromises, malgré les tentatives ultérieures de les ramener à la normale faites avec une série de traités en 1187, 1189 et à nouveau en 1198. Face à l’instabilité de la politique byzantine, et au danger que Constantinople, désormais en déclin, se retrouve entre les mains d’une puissance hostile, peut-être l’intention a-t-elle mûri à Venise de définir ces relations de façon plus durable et surtout de garantir la sécurité de la présence commerciale dans l’empire.(suite page 15)

ne vue de Venise remontant au XIVe siècle, dessin considéré comme la plus ancienne représentation de la Cité des Doges connue à ce jour, a été découverte par une chercheuse de l’université écossaise de St An-

drews. Le dessin, découvert par l’historienne Sandra Toffolo, fait partie d’un manuscrit racontant le voyage de Niccolò da Poggibonsi, un pèlerin italien qui s’est rendu à Jérusalem au cours de la période 1346-1350. “La découverte de cette vue de la ville a de grandes conséquences pour notre connaissance des représentations de Venise, car elle montre que la ville exerçait déjà très tôt une grande fascination sur ses contemporains”, a expliqué Sandra Toffolo. Le dessin considéré comme la plus ancienne vue de la ville de Venise. Un dessin réalisé vers 1350 Outre Venise, le pèlerinage de Niccolò da Poggibonsi l’a conduit en Terre Sainte, à Damas ainsi qu’au Caire et Alexandrie en Egypte. Sa description écrite de Venise est accompagnée d’un dessin à la plume de la cité lacustre où l’on reconnaît des églises, des gondoles et des canaux dessinés. Le manuscrit, aujourd’hui conservé à la Bibliothèque nationale de Florence, a probablement été réalisé peu après son retour en Italie en 1350. Spécialisée dans l’histoire de Venise à la Renaissance, Sandra Toffolo a découvert l’image en mai 2019 au cours de recherches à la bibliothèque florentine dans le but de réaliser une monographie sur la cité lacustre à cette époque. Un projet qui paraîtra en 2020, a précisé l’université écossaise de St Andrews. En découvrant l’image, l’historienne a réalisé que cette vue de Venise était antérieure à toutes celles de la ville connues aupara-


Photo Ministry of Cultural Activity of Heritage and Tourisme

vant, même si des cartes et portulans (cartes de navigation utilisée du XIIIe au XVIIIe siècle) de la ville avaient pu être réalisées antérieurement. La plus ancienne carte de Venise a été réalisée par Fra Paolino, un frère franciscain de Venise, et date d’environ 1330, selon St Andrews. Un dessin copié et diffusé Depuis sa découverte, Sandra Toffolo a passé les derniers mois à étudier le dessin en consultant des livres, des manuscrits et des articles. L’universitaire a notamment découvert sur le dessin original une série de petites piqûres qui suggère également que la vue de Venise a été plus largement diffusée. Cette technique était utilisée à la Renaissance pour copier les images grâce à de la poudre qui était tamisée à travers les piqûres d’épingle sur une autre surface, transférant ainsi les contours de l’image. “La présence de ces piqûres d’épingle est une forte indication que cette vue de la ville a été copiée”, explique Sandra Toffolo. “En effet, il y a plusieurs images dans les manuscrits et les premiers livres imprimés qui sont clairement basées sur l’image du manuscrit à Florence”, précise l’historienne. Selon l’historienne de l’art, Kathryn Blair Moore, qui l’explique dans un article publié en 2018 sur le site de l’université de Cambridge, le manuscrit de Niccolò da Poggibonsi correspond à l’émergence d’un nouveau genre, celui du “guide de pèlerinage”. “Contrairement aux guides latins des siècles précédents, la volonté d’inclure ensemble des illustrations qui recréent l’expérience du pèlerinage et la description inédite de la prose suggèrent que l’ouvrage peut être considéré comme le texte fondamental pour le genre du guide illustré du pèlerinage”, écrit l’experte. PALAZZI 15 VENEZIA

L’occasion s’est présentée avec la quatrième croisade, qui a quitté Venise en 1202 et à laquelle les Vénitiens ont également participé, menés par leur doge Enrico Dandolo. La croisade n’est jamais arrivée en Terre Sainte et, en raison d’une série de circonstances plus ou moins fortuites, elle s’est détournée vers la capitale de l’Orient, que les croisés et les Vénitiens ont conquise en avril 1204, puis s’est installée sur la plus grande partie de son territoire, établissant ainsi un empire latin destiné à durer jusqu’en 1261. Venise devint ainsi une puissance impériale, renversant à son avantage les liens séculaires avec Byzance et étendant l’empire roumain avec les autres vainqueurs. Pour les contemporains, c’était un acte juste et nécessaire, que Martin da Canal et d’autres justifient comme une expression parfaite de leur foi et comme une exécution tout aussi parfaite de la volonté du pape. Il s’agit bien sûr de propagande, bien qu’exprimée avec conviction, mais aussi d’une expression significative de la fierté civique d’une ville devenue un État. Venise “la plus belle du monde” - comme l’écrit da Canal - a été embellie encore plus avec les proies de guerre apportées de Constantinople et, pourrait-on ajouter, elle a ainsi assuré la conservation de nombreuses œuvres d’art des ravages du temps et des hommes jusqu’à nos jours. Giorgio Ravegnani


Photo archide

’artiste et activiste féministe Isabel Cabanillas est assassinée à Ciudad Juárez, “Voilà le féminicide sur la planète, parce qu’il y a des femmes qui se battent pour leurs droits comme pour ceux de l’humanité et dont nos médias ignorent jusqu’à l’existence, occupés comme ils le sont à surveiller si les gouvernements de gauche respectent bien leurs droits de l’homme à eux, ceux qui aident l’impérialisme à s’implanter. Il n’y a pratiquement aucun médias en France qui ne soit pas en proie à cette tare et qui daigne voir la réalité de l’horreur qu’est le monde tel qu’ils le rêvent. ..Des centaines de femmes torturées, violées qui ont servi de jouet à la classe dirigeante ont été retrouvées mortes dans cette terrible cité,celles qui luttent pour leur vie et pour celle des peuples indigènes ou la défense de l’environnement sont retrouvées

mortes avec l’assentiment des Etats-Unis et de leurs valets.qui s’appuient sur des criminels pour tenir les peuples”. (note et traduction de Danielle Bleitrach) Ciudad Juárez, Chih.la , Militante et plasticienne Isabel Cabanillas de la Torre, qui s’est battue pour que les autorités assurent la sécurité des femmes, a été abattue et son corps retrouvé tôt samedi matin dans le centre de cette ville frontalière. La membre du groupe des filles de la mère Maquilera, dédiée à l’art, au militantisme et à la défense des droits des femmes, était portée disparue depuis vendredi, lorsque ses proches ont porté plainte. Dimanche matin, des proches, des amis, des militants et des voisins de Cabanillas de la Torre ont manifesté sur l’esplanade du monument à Benito Juarez pour exiger que les autorités arrêtent les responsables du crime et arrêtent le féminicide. Isabel Cabanillas, 26 ans, qui était également créatrice de vêtements, est la quatrième femme tuée à Ciudad Juarez ce mois-ci et la sixième de l’État. Vendredi, ses proches ont signalé sa disparition devant l’unité des personnes absentes du bureau du procureur général dans la zone nord. Samedi vers 2 h 45, le personnel de l’unité des homicides pour femmes pour des raisons de genre a reçu un appel d’un opérateur radio au sujet de la découverte du corps d’une femme dans le centre-ville. Le corps de la peintre et activiste a été retrouvé à côté de son vélo sur un trottoir au croisement des rues Inocente Ochoa et Francisco I. Madero; Il portait plusieurs coups de feu. La femme avait une veste bleue avec des décors noir, un chemisier et des collants noirs et des baskets blanches. Le bureau du procureur spécial pour les femmes de Chihuahua a déclaré que la mort de la jeune femme était due à la lacération du bulbe vertébral par un


Photo il messagero.it

ISABELCABANILLAS LA FABRIQUES DES IDOLES projectile d’arme à feu dans le crâne . Des dizaines de membres de groupes féministes, des proches de femmes disparues et des proches de la victime se sont rassemblés sur l’esplanade du monument à Benito Juárez pour demander justice et rendre hommage à Cabanillas de la Torre. Tous portaient des bannières avec des messages comme Isabel Cabanillas, votre mort sera vengée , nous ne sommes pas de la chair à canon , s’ils touchent une de nous répondons à tous! et pas une de plus! , ainsi que des photographies de l’activiste, peintre et designer, qui laisse dans le deuil un fils. Où sont-elles? Nous voulons qu’elles reviennent. Il n’y a aucune raison de se taire ou d’oublier. Ce n’est pas un chiffre de plus; C’est ma sœur Isabel qui n’est plus avec moi , proclamait une autre pancarte.. Ils ont accusé le maire Armando Cabada d’avoir rompu sa promesse d’améliorer l’éclairage public à Ciudad Juarez, ce qui a contribué à l’augmentation des fémicides au cours des quatre dernières années. Un homme avec un haut-parleur s’est exclamé: «Sa vie lui a été enlevée. Isabel Cabanillas était avec tous les groupes, avec tous les citoyens réunis; Elle l’ a exprimé dans son art. Par conséquent, les militants, les pères et les mères qui ont une fille disparue ou assassinée sont totalement indignés. Nous ne savons pas quoi faire pour arrêter cela, pour que les enquêteurs trouvent les criminels” . Cinquante éléments du SSP ont été envoyés pour protéger l’intégrité des personnes rassemblées et, surPALAZZI 17 VENEZIA

tout, pour que la manifestation ne devienne pas incontrôlable, ont rapporté des policiers. Les militants ont critiqué qu’au lieu de protéger les citoyens, principalement les femmes, les agents soient utilisés pour intimider les manifestants. Dans le profil Facebook de l’organisation Filles de sa mère Maquilera, il est écrit: “Notre combat est pour vous, soeur, pour vous et pour les milliers de personnes que ce système féminicide assassine quotidiennement” . Lydia Graco, membre du groupe et administrateur du groupe, a déclaré “Je te pleure, Isa. Je te dois tellement, je te dois tout. Vous avez combattu le fémicide, le trafic, les disparitions. Vous avez toujours soutenu les causes. Vous nous avez demandé de vous informer sur la façon de soutenir, que faire. Vous nous avez étreints et nous avez embrassés. Tu étais si pure, tu étais si pleine de vie. Je ne t’ai pas protégée, nous ne t’avons pas protégée. Je ne cesserai jamais d’exiger la justice et de crier votre nom. J’ai perdu une fille. Je n’ai laissé que colère et souffrance. Dans la ville de Chihuahua, une femme non identifiée a été tuée alors qu’elle conduisait dans un véhicule à l’entrée du lotissement Senda Real. L’autorité a localisé plusieurs balles de neuf millimètres.

https://jornada.com. mx/2020/01/20/estados/024n1est


Photo Wikimedia Common Cloudordinary

’agriculture et la civilisation ont peut-être été inventées non pas parce qu’elles constituaient une amélioration de notre mode de vie ancestral, mais parce que nous n’avions plus le choix. Pourquoi avons-nous mis autant de temps à inventer la civilisation ? L’Homo sapiens moderne a commencé à évoluer entre 250 000 et 350 000 ans. Mais les premiers pas vers la civilisation - la récolte, puis la domestication des plantes cultivées - n’ont commencé qu’il y a environ 10 000 ans, alors que les premières civilisations sont apparues il y a 6 400 ans. Pendant 95 % de l’histoire de notre espèce, nous n’avons ni cultivé ni créé de grandes colonies ou de hiérarchies politiques complexes. Nous avons vécu dans des groupes nomades de chasseurs-cueilleurs. Puis quelque chose a changé.

La civilisation n’est pas née par impulsion vers le progrés, mais pour nous sauver d’une catastrophe ambiante que nous avions nous meme provoquée

Nick Longrich The Conversation https://it.businessinsider.com/ la-civilizzazione-non-e-nata-per-impulso-verso-il-progresso-ma-per-salvarci-da-una-catastrofe-ambientale-provocata-da-noi/

Nous sommes passés d’une vie de chasseurs-cueilleurs à la récolte, puis à la culture de plantes, et enfin aux villes. Étonnamment, cette transition n’a commencé qu’après la disparition de la mégafaune de l’ère glaciaire: mammouths, mégathéras (paresseux géant), mégaloques (cerfs géants) et chevaux sauvages du Yukon. On ne sait pas encore pourquoi nous, les humains, sommes devenus agriculteurs, mais la disparition des animaux dont nous dépendions pour nous nourrir a peut-être forcé notre culture à évoluer. En France, l’homme chassait le bétail, les chevaux et les cerfs sauvages il y a 17 000 ans. Les hommes primitifs étaient assez intelligents pour cultiver et élever. Tous les groupes d’humains modernes ont des niveaux d’intelligence similaires, ce qui indique comment nos capacités cognitives ont évolué avant que ces populations ne se séparent il y a environ 300 000 ans, et ont peu changé depuis lors. Si nos ancêtres ne cultivaient pas de plantes, ce n’est pas parce qu’ils n’étaient pas assez intelligents. Quelque chose dans l’environnement les empêchait, ou n’en avait tout simplement pas besoin. Le réchauffement de la planète à la fin de la dernière glaciation, il y a 11 700 ans, a probablement facilité la culture. Des températures plus élevées, des saisons de croissance plus longues, des précipitations accrues et une stabilité climatique à long terme ont permis de cultiver de plus grandes surfaces. Mais il était peu probable que la culture soit impossible partout. La Terre a également connu de nombreuses périodes de réchauffement similaires - il y a 11 700, 125 000, 200 000 et 325 000 ans - mais le réchauffement précoce n’a pas stimulé les expériences de culture.


Photo Itbusinnessinsideritalia

Le changement climatique n’a peut-être pas été le seul élément déclencheur. Les migrations humaines y ont probablement contribué également. Lorsque notre espèce s’est répandue de l’Afrique australe vers l’Asie, l’Europe puis les Amériques en passant par le continent africain, nous avons découvert de nouveaux environnements et de nouvelles plantes comestibles. Mais les gens occupaient ces régions du monde bien avant que l’agriculture ne commence. La domestication des plantes a eu lieu des dizaines de millénaires après la migration humaine. Si les possibilités de créer une agriculture existaient déjà, le retard de son invention suggère que nos ancêtres ne cultivaient pas ou ne voulaient pas cultiver. L’agriculture présente des inconvénients importants par rapport à la chasse. Elle demande plus d’efforts et offre moins de temps libre et une alimentation de moins bonne qualité. Si les chasseurs ont faim le matin, ils peuvent avoir de la nourriture sur le feu le soir. L’agriculture exige aujourd’hui un travail acharné pour produire des denrées alimentaires après des mois - ou pas du tout. Elle exige le stockage et la gestion d’excédents alimentaires temporaires pour nourrir les animaux tout au long de l’année. Un chasseur qui a eu une mauvaise journée peut revenir chasser le lendemain ou chercher d’autres terrains de chasse plus riches ; mais les paysans sont à la merci de l’imprévisibilité de la nature. PALAZZI 19 VENEZIA

La pluie qui arrive trop tôt ou trop tard, la sécheresse, le gel, les catastrophes ou les criquets peuvent provoquer de mauvaises récoltes et la famine. L’agriculture présente plus de désavantages que l’élevage. L’agriculture présente également des inconvénients militaires. Les chasseurs-cueilleurs se déplacent et peuvent parcourir de grandes distances pour attaquer ou battre en retraite. Leur pratique continue avec des lances et des arcs a fait d’eux des combattants mortels. Les agriculteurs sont enracinés dans leurs champs et dans les délais dictés par les saisons. Ce sont des cibles prévisibles et fixes dont les réserves de nourriture tentent les étrangers affamés. Et s’ils avaient évolué vers ce mode de vie, les hommes auraient simplement préféré être des chasseurs nomades. Les Indiens Comanches se sont battus jusqu’à la mort pour préserver leur mode de vie de chasseur. Les Bushmen du Kalahari en Afrique australe continuent de résister à la transformation en agriculteurs et bergers. Étonnamment, lorsque les agriculteurs polynésiens ont rencontré les nombreux oiseaux de Nouvelle-Zélande incapables de voler, ils ont abandonné l’agriculture en masse, créant ainsi la culture maorie des chasseurs de moa. (suit à la page 20)


(suti de la page 19) Mais quelque chose a changé. Depuis 10 000 ans, les hommes n’ont cessé d’abandonner le mode de vie des chasseurs-cueilleurs au profit de l’agriculture. Il se peut qu’en raison de l’extinction des mammouths et autres grands animaux depuis le Pléistocène, et de la chasse excessive des proies restantes, le mode de vie des chasseurs-cueilleurs soit devenu moins viable, poussant les gens à récolter puis à cultiver des plantes. La civilisation n’est peutêtre pas née d’une impulsion vers le progrès, mais une catastrophe, une catastrophe écologique a forcé les gens à abandonner leur mode de vie traditionnel. Lorsque les hommes ont quitté l’Afrique pour coloniser de nouveaux territoires, les grands mammifères ont disparu partout où nous avons mis les pieds. En Europe et en Asie, de grands animaux tels que les rhinocéros laineux, les mammouths et les cerfs géants ont disparu il y a entre 40 000 et 10 000 ans. En Australie, les kangourous et les wombats géants ont disparu il y a 46 000 ans. En Amérique du Nord, les chevaux, les chameaux, les tatous géants, les mammouths et les paresseux terrestres géants ont diminué et disparu entre 15 000 et 11 500 ans, sui-

vis par des extinctions en Amérique du Sud entre 14 000 et 8 000 ans. Suite à la propagation de l’homme dans les îles des Caraïbes, à Madagascar, en Nouvelle-Zélande et en Océanie, la mégafaune correspondante s’est également éteinte. Les extinctions de grands animaux ont suivi les humains de manière fatale. L’élevage de grands animaux comme les chevaux, les chameaux et les éléphants est plus avantageux que la chasse au petit gibier comme les lapins. Mais les grands animaux comme les éléphants se reproduisent lentement, et ont peu de descendants par rapport aux petits animaux comme les lapins, ce qui les rend vulnérables à une chasse excessive. Ainsi, où que nous allions, notre ingéniosité humaine chasser en lançant des flèches, rassembler des animaux par le feu, les faire tomber des falaises - nous a permis de capturer de grands animaux plus vite qu’ils ne pouvaient se reproduire. C’était sans aucun doute la première urgence environnementale. Avec la disparition de nos proies, nous avons été obligés d’inventer la civilisation. Comme ils ne pouvaient plus vivre comme avant, les gens ont été obligés d’innover, de se concentrer davantage sur la récolte puis sur la culture des plantes pour survivre. Cela a conduit à la croissance des populations humaines. Manger des plantes plutôt que de la viande est une utilisation plus efficace des terres, car l’agriculture peut faire vivre plus de personnes dans la même région que la chasse. Il a été possible de s’établir de façon permanente. En construisant des colonies puis des civilisations. Les découvertes archéologiques et fossiles nous apprennent que nos ancêtres auraient pu pratiquer l’agriculture, mais ils ne l’ont fait que lorsqu’ils avaient peu d’alternatives. Nous aurions chassé les chevaux et les mammouths pour toujours, mais nous l’avons trop bien fait, éliminant probablement l’approvisionnement en nourriture. L’agriculture et la civilisation ont peut-être été inventées non pas parce qu’elles constituaient une amélioration de notre mode de vie ancestral, mais parce que nous n’avions plus le choix. L’agriculture était une tentative désespérée de réparer les choses une fois que nous avions pris plus que ce que l’écosystème pouvait supporter. Dans ce cas, nous avons abandonné la vie des chasseurs de l’ère glaciaire pour créer le monde moderne, non pas avec prévoyance et intention, mais par accident, à cause d’une catastrophe environnementale que nous avons provoquée il y a des milliers d’années. * Paléontologie et biologie de l’évolution, Université de Bath


Photo Diane Benoit du Rey

Les exposants - Diane Benoit du Rey - Olivia Etienne - Gabriel Folli - Bruno Gadenne - Felix Jünemann - Swed Oner - Marianne Pradier - Dove Perspicacius - Maëlyn Pesquer - Charlie Wellecam

LIBRE-ECHANGE ART Exposition Collective du 6 au 27 mars 2020 vernissage vendredi 6 mars 19h00 finissage jeudi 26 mars 18h30 Espace Camille Claudel Placette Lafleur AMIENS PALAZZI 21 VENEZIA

ibre-échange est une exposition collective qui aura lieu dans la ville d’Amiens. Il s’agit de réunir des jeunes artistes provenant de plusieurs grandes écoles ou autodidactes, issus de différentes régions et aux champs créatifs transversaux, afin de créer les conditions d’une rencontre fructueuse autour de plusieurs thématiques artistiques contemporaines, présentées dans les corpus suivants : Voir, Expographie et Le sacré aujourd’hui. Pourquoi Libre-échange? Dans une société qui tend à transformer la culture en un vaste marché, l’artiste en producteur de marchandise, et le spectateur, en simple consommateur, il nous paraît évident de préserver un réél libre- échange entre artistes, et plus généralement entre les différents acteurs culturels liés au monde de l’art, afin notamment d’entamer collectivement un questionnement sur ses possibilités en tant qu’outil de “résistance au présent”. Ce titre fait aussi réference à l’entretien entre le sociologue Pierre Bourdieu et l’artiste-Plasticien Hans Haacke publié en 1994 aux éditions Seuil/ les presses du réél. Le contenu ici présenté est en cours de création, et donc sujet à modification et développement. Les textes que contiendront chaque exposition sont en cours de rédaction avec la collaboration de Nacime Zemmel, philosophe, ceux ici présentés sont donc temporaires et n’ont que pour objet la présentation globale et succinte de l’intention curatoriale. Charlie Wellecam


Photo Le straniere

orsqu’il est arrivé en Italie, Hamed Ahmadi avait des projets légèrement différents, et la restauration n’en faisait pas partie. Il faisait partie d’une équipe de trois personnes venues à Venise pour présenter un film au Festival de Venise, “Maama, Buddha, the girl and the water”, réalisé par le réalisateur afghan Mohammad Haidari. À 25 ans, il avait le cinéma en tête, faisant partie d’une petite société de production, Kabul Film (avec l’acteur et réalisateur Razi Mohebi, qui vit dans le Trentin depuis un certain temps). Les nouvelles en provenance d’Afghanistan, cependant, changent tout. “Nous avons reçu des menaces contre notre travail. Dès que cela s’est produit, j’ai demandé l’asile en Italie”, explique Hamed. “En 2006, la situation était un peu plus simple. Il n’y avait pas tant d’ar-

HAMED AHMADI AU CAMP DE SANTA MARGHERITA

Comment un réfugié afghan est devenu le restaurateur le plus intéressant de Venise

rivées à l’époque. Après tout, j’avais des raisons bien documentées. Et dans les trois mois qui ont suivi, j’ai obtenu le statut de réfugié. Dès le début, ils m’ont mis dans un centre d’accueil. Là-bas, j’ai eu la chance d’avoir un lit pendant huit mois. Cette période a coïncidé avec l’arrivée de nombreux mineurs non accompagnés ici à Venise, en particulier en provenance d’Afghanistan. La municipalité cherchait un médiateur linguistique et culturel et m’a confié ce rôle. J’ai commencé à travailler avec les garçons dans le même centre, à Tessera”. L’histoire de Zaher Rezai, le garçon de 13 ans qui est mort en 2008 alors qu’il se cachait sous un camion à quelques kilomètres de l’arrivée à Venise, à qui la municipalité a dédié un bois à Mestre, remonte également à ces années-là. “En plus d’être médiateur, j’étais aussi animateur”, poursuit Hamed. “Nous étions dans un espace vert, grand, très beau, mais très isolé de la ville. Ils nous ont donc demandé d’organiser des fêtes pour essayer de faire venir des gens. Pour comprendre comment organiser les fêtes, nous nous sommes réunis avec les gars, ils étaient une quarantaine, venant d’Afghanistan, d’Iran, de Turquie. Nous avions besoin de 20 000 euros pour démarrer. Nous ne l’avions pas, alors je suis allé frapper à la porte des garçons. Tout le monde m’a aidé autant qu’il a pu. Nous avons commencé à réfléchir à ce qu’il fallait faire. Pour faire la fête, l’un des éléments fondamentaux est la nourriture. Et nous voulions le cuisiner nous-mêmes. Tout le monde a sorti une ou deux assiettes et nous sommes arrivés à une liste de 50 ou 60 assiettes différentes.


Photo Le straniere

Nous avons pensé à le réduire, évidemment, un menu aussi important n’était pas réalisable. En parlant entre nous, nous avons trouvé le sujet du voyage, comme un thème qui relie tout. Beaucoup d’entre eux avaient fait un très long voyage, dépensant entre 8 et 10 mille euros. Et le franchissement illégal de cinq ou six frontières. Très souvent, en raison de la difficulté à traverser la frontière ou du manque d’argent, ces garçons de 15 à 16 ans restaient un an dans un pays à mi-chemin”, continue Hamed. Un de mes compatriotes peut quitter l’Afghanistan et se retrouver sans argent en Iran, ou en Turquie, ou en Grèce, et est obligé de travailler pendant un an et d’économiser de l’argent pour l’étape suivante. Nous nous sommes donc concentrés sur leurs longs voyages, sur ce qu’ils mangeaient dans ces lieux de transit, sur ce qu’ils cuisinaient pour économiser de l’argent, sur les plats réinventés. Par exemple, revisiter une recette afghane typique, en utilisant du poulet au lieu de l’agneau parce que c’était moins cher. Et donner à chaque plat une nouvelle identité. Pendant nos festivités, la nourriture, son goût, la contamination, ils l’ont beaucoup aimée et ils ont commencé à nous appeler d’autres villes pour nous présenter notre menu”. PALAZZI 23 VENEZIA

L’idée d’un menu inspiré par le voyage fonctionne donc. Le succès de ce petit projet, initialement proposé à l’intérieur de la Cara di Tessera, fait prendre conscience à Hamed du potentiel de ce qui pourrait se transformer en une véritable entreprise, capable de lui donner du travail, à lui et aux jeunes invités du Centre. Dans un lieu comme Venise donc, depuis des siècles une ville ouverte aux influences et aux cultures, ainsi qu’une destination par excellence du tourisme international. “Au début de 2012, nous avons trouvé un espace près de la Fondamenta della Misericordia”, explique Hamed. “C’était un kebab sans trop de succès. Pour commencer, j’avais besoin de 20 000 euros. Nous ne l’avions pas, alors je suis allé frapper à la porte des gars: des gens m’ont prêté 2 000 et j’ai pu les obtenir. un autre gars 500, un autre mille. C’est comme ça que j’ai récupéré l’argent et que l’entreprise a démarré. Puis, lentement, en travaillant, nous avons tout rendu”. C’est ainsi qu’est née Orient Experience, dans la région de Cannaregio. Au départ, il s’agit d’une petite gastronomie, proposant des aliments originaires d’Afghanistan, de Syrie, d’Iran, contaminés par des éléments grecs et turcs. (suit à page 24)


Photo Celine Robbe PhotoDenis Proteor Photo Nicolas Quinette PhotoWanda Spangler

(suit de la page 23) Depuis la première année, nous avons organisé de nombreuses activités culturelles, des concerts, des événements, des présentations de livres. Et tout le monde, Vénitiens et touristes, a aimé tout cela”, dit Hamed. “Nous voulions vraiment faire connaître notre histoire. Même aujourd’hui, ce n’est pas un travail simple pour nous, mais nous estimons qu’il est de notre devoir de faire connaître notre expérience. Le premier restaurant s’est bien passé. Après quelques mois, nous avons fait la même chose avec une ancienne rôtisserie à Campo Santa Margherita. C’est ainsi qu’a commencé Orient Experience II”. Le restaurant est situé dans le quartier de Dorsoduro, dans le grand champ central fréquenté principalement par les étudiants. Ces derniers temps, l’espace s’est agrandi et, outre la gastronomie, il existe un véritable restaurant, où chaque aspect, de la carte au mobilier, est très soigné. Africa Experience est né il y a un an. Le format est le même que celui des autres lieux, mais le menu se concentre sur les plats des différentes régions africaines et les invités des centres de réception autour de Venise y travaillent. Marco De Vidi Photos Le Straniere


Photo Denis Proteor

enis Protéor présente un nouveau festival. .Le Mystère, l’Extase, Le Charnel sont les axes dévoilés dans cette thématique qu’est « Le Solstice de la Chair ». Pour Denis Protéor, curateur de l’exposition : « Le Charnel est entrée dans le Mystère très tôt et les religions mythologiques le rapportent par les efforts acharnés à se situer parmi les mouvements et les forces surhumaines ». En fait la Chair est entrée dans le Sacré très tôt et les religions mythologiques le rapportent par les efforts charnels acharnés à se situer parmi les mouvements et les forces surhumaines. Puis les religions idéologiques -bonnes dernières privilégiant un comportement ambigu jusqu’à la suspicion plutôt que le paradoxe révélateur- suivront le pas en civilisant les efforts charnels et en politisant le travail et sa dévotion pour le profit. Heureusement, l’Art a consigné les efforts primordiaux de la Chair et sa sidération devant le Tout-autre. Car voici la vraie place de la Chair : faire face au Tout-autre. Les artistes nous plongent dans une narration du sensuel où la chair, le mouvement des corps, l’étrangeté qui s’en dégage touche notre « humanité ». L’Art a donc mis au moins une méthode toujours explorée : l’Extase. De même qu’une implication persistante : l’Erotique. « Le Solstice de la Chair » veut donner à voir et donc à expérimenter le face-à-face charnel, extatique et érotique avec le Tout-autre. 100 Etablissement Culturel Solidaire PALAZZI 25 VENEZIA

Dliss Maria Ducasse Haon Richard Laillier Angélique Lefèvre Denis Protéor Nicolas Quinette Céline Robbe Vanda Spengler Sylvie Testamarck

Du 5 Mars au 28 Mars 2020 Au 100 ecs

Établissement Culturel Solidaire

100, rue de Charenton

PARIS 12e Tél. +33(0)1 46 28 80 94 Fax. +33(0)1 58 51 23 29

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Photo Helmut Newton

a Galleria Civica d’Arte Moderna e Contemporanea de Turin ouvre la nouvelle saison d’expositions avec une grande rétrospective consacrée à Helmut Newton. Un voyage dans l’univers provocateur de l’artiste. Helmut Newton est sans aucun doute l’un des photographes les plus célèbres de notre époque. Une réputation, celle sous la direction de de l’artiste allemand, Matthias Harder conquise au fil des ans grâce à un lan- jusqu’au 3 Mai 2020 gage visuel particulier savamment joué Galleria Civica d’Arte entre voyeurisme et Moderna e Contemporanea transgression, entre érotisme poussé et sensualité. 10128 Torino Une formule gagnante en termes de popu- Tel +39 011 442 9518 larité, et non moins www.gamtorino.it/it

HELMUT NEWTON

WORKS

Via Magenta, 31

singulière d’un point de vue artistique, au point de valoir à l’auteur une place respectable dans l’Olympe de la photographie du XXe siècle. Pour retracer sa carrière, la Galleria Civica d’Arte Moderna e Contemporanea de Turin présente une nouvelle exposition. Un projet monographique - réalisé en collaboration avec la Fondation Newton à Berlin - pour revivre les évolutions stylistiques du photographe, de ses premières collaborations avec des magazines de mode à la définition d’un style de plus en plus personnel et unique sur la scène internationale. Les œuvres rassembleront soixante-huit clichés sélectionnés parmi la longue activité de l’artiste. Divisée en quatre sections chronologiques, l’exposition s’étendra des années 1970 - avec de nombreuses couvertures pour Vogue - aux grands portraits des années 1980 et 1990 dont ceux d’Anita Ekberg, Claudia Schiffer et Gianfranco Ferré - en passant par les plus récentes campagnes de photographie de mode. Chacune des photos présentées sera dominée par des femmes, le leitmotiv de toute la recherche de l’artiste. Nus et statuesques, les protagonistes des plans de Newton racontent des histoires énigmatiques, laissant l’observateur en suspens, dans un univers transgressif et provocateur. https://arte.sky.it


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Photo Jeff Koons

LEONARDO e projet de Léonard de Vinci de couler un monument équestre de Francesco Sforza (1401-1466) a été l’un des défis artistiques et technologiques les plus audacieux de la Renaissance italienne. Cette énorme statue n’a jamais été réalisée mais, grâce aux notes et dessins originaux de Léonard conservés à la Bibliothèque nationale d’Espagne, une reconstruction virtuelle de son processus de moulage est possible. Dans cette exposition spéciale, des experts du Museo Galileo de Florence utilisent les manuscrits originaux de l’artiste, ainsi que de nouvelles reconstructions numériques, pour donner vie à l’incroyable projet de Léonard. Le projet de célébrer le fondateur de la dynastie des Sforza par un monument équestre a été conçu par le duc de Milan, Galeazzo Maria Sforza (1444-1476), et résolument poursuivi par son successeur Ludovico il Moro (1452-1508). Léonard reçoit cette commande en 1492 et la transforme en une entreprise épique, sans précédent dans l’histoire de l’art et des méthodes de fonte. Pour la première fois, un artiste cherche à réaliser en une seule coulée - en utilisant plus de soixante tonnes de bronze - un monument équestre dont le cheval seul dépasserait les sept mètres de hauteur. L’histoire du monument Sforza peut être divisée en deux périodes, qui se distinguent par deux projets qui diffèrent en termes de forme et de taille, mais qui parPALAZZI 27 VENEZIA

tagent une technique de moulage sensiblement identique. Le premier projet, probablement achevé avant que Léonard ne soit chargé de créer le monument, devait comporter un cheval cabré grandeur nature. Plusieurs études sur l’élevage des chevaux datant du milieu des années 1480,aujourd’hui rassemblées à la bibliothèque royale de Windsor et dans d’autres musées, suggèrent l’intérêt de Léonard pour ce sujet, mais il n’existe aucune documentation sur son implication avant 1489. Bien qu’il existe un beau dessin de Léonard dans la collection royale de Windsor (12349r-v) qui reproduit une coupe transversale de fonderie et quelques dispositifs techniques du cheval cabrè, nous ne savons pas si le travail a jamais dépassé le stade de la conception. On peut cependant présumer que la solution proposée par Léonard n’a pas réussi à convaincre complètement Ludovico il Moro. À cet égard, ce dernier a écrit une lettre symptomatique à Lorenzo de’ Medici, dans laquelle il demandait que deux bronziers qualifiés soient envoyés de Florence à Milan, car il estimait que Léonard n’était pas suffisamment compétent pour mener à bien un tel projet. Le projet de Leonardo a changé de cap de façon spectaculaire entre 1489 et 1490. (suit page 28)


(suit de la page 27) Les dimensions de la statue ont presque triplé et l’idée d’un cheval se cabrant a été abandonnée au profit d’un cheval en position de marche. Léonard a fait des recherches approfondies sur les proportions idéales du cheval. Il a étudié de vrais chevaux dans les écuries Sforza ainsi que des monuments équestres anciens et contemporains dans plusieurs villes italiennes, comme Marco Aurelio à Rome, Regisole à Pavie, Bartolomeo Colleoni à Venise et le Gattamelata à Padoue. En mai 1491, Leonardo commence à rassembler ses notes et ses réflexions sur le processus de moulage du monument dans le cahier annexé au Codex II de Madrid. On peut supposer qu’à cette époque, Léonard avait déjà en tête le type de moulage qu’il voulait utiliser. L’idée de Léonard de couler un monument gigantesque, plus de soixante tonnes de bronze, en une seule coulée l’a conduit à développer une méthode de moulage qui produirait une pièce d’épaisseur uniforme et plus légère. Afin de réaliser la coulée en une seule fois, il devint nécessaire de développer une méthode alternative, indirecte, qui consistait à créer le moule en plusieurs sections à assembler à l’intérieur de la fosse de coulée.

Léonard pensait fixer le noyau de coulée au contre-moule à l’aide de deux cercles métalliques concentriques qui se rejoindraient étroitement à l’aide de broches. Nous trouvons plusieurs dessins très détaillés représentant la section verticale du moule de coulée. Les entretoises en bronze auraient maintenu le contre-moule en place sur le noyau de coulée, la cavité est délimitée et la cheminée aurait relié la chambre de


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il lato di sotto della cappa acciò non si sfondi” (je dois donc renforcer le côté sous le moule pour qu’il ne s’effondre pas) qui soulignait sa préoccupation concernant la pression du métal fondu. Il s’agit de notes sur la construction du moule pour la queue de cheval. Leonardo a conclu que la complexité du modèle dans ce cas rendait approprié de couler la queue séparément du cheval, auquel elle serait ensuite attachée. Cette machine à levier est composée de deux parties avec une base et une paroi de support pour la valve articulée. Ce point de jonction serait le point d’appui d’un levier pour aider la valve à se détacher du moule à cheval. Une fois la valve détachée, la machine tournait jusqu’à ce qu’elle se pose horizontalement sur la base. Les poids et les masses à déplacer à l’intérieur de la fonderie étaient si importants que, compte tenu des renforts en fer et de la terre nécessaire pour le moule de coulée à cheval, ils auraient atteint une cinquantaine de tonnes. C’est pourquoi Léonard de Vinci a développé des machines spéciales pour déplacer les sections du moule. La machine montrée ici aurait soulevé tout le moule de coulée. Ce détail nous fait penser que Léonard avait initialement (suitepage 30)

collecte des gaz à l’intérieur du noyau avec l’extérieur. Dans ce dernier dessin, Leonardo met en évidence les charnières de fermeture qui auraient maintenu les deux sections du contre-moule fermées et en place sur le noyau de coulée grâce à d’énormes boulons. Il est important de souligner que Leonardo est intervenu sur le dessin une seconde fois en augmentant l’épaisseur de la partie inférieure du moule comme rappel visuel avec la note : “onde io debo afforsificare PALAZZI 29 VENEZIA


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(suite de la page 29)l’intention d’assembler le moule hors de la fosse de coulée ; cette idée a ensuite été abandonnée en raison du poids excessif du moule. Inquiet du poids exceptionnel à soulever, Léonard a dessiné un système sur la partie supérieure de la poutre qui nous laisse penser qu’il avait l’intention de renforcer la structure à l’aide d’une ferme de toit. Au départ, Léonard avait pensé à couler le cheval avec le moule placé à l’envers dans le puits de coulée. Avec cette méthode, il aurait été plus facile de remplir le moule en plaçant une série de patins en ligne au milieu, aux endroits les plus élevés du profil du corps du cheval, et en utilisant les pattes comme cheminées pour les gaz produits pendant la coulée. Le folio 149v du Codex II de Madrid décrit un système de fonderie avec quatre fours réverbérants avec une chambre de coulée en forme de tonneau rond, des brûleurs et des cheminées. En haut à droite, il y a un plan schématique du cheval où il y a une ouverture sur son dos pour accéder à l’intérieur. Dans une note, Leonardo fait référence au pivot de la porte qui, comme il l’avait prévu, aurait dû être réalisé directement par coulage. En bas, il y a une section verticale de la fosse de coulée où l’on voit le che-

val à l’envers ainsi que des lignes qui indiquent les canaux de coulée. Dans les conclusions de Léonard datées de “A dì 20 di dicienbre 1493” [20 décembre 1493], il soutient que la seule façon de lancer le cheval est de le faire horizontalement. Léonard réalisa que le niveau de la nappe phréatique de Milan, à environ cinq mètres, aurait empêché l’enfouissement complet du moule placé verticalement, sans qu’il n’entre en contact avec l’eau et ne mette en danger le succès de la coulée. Il y a aussi un dessin d’un cheval étalé sur le côté, autour duquel est présentée une première hypothèse ainsi que le nombre de fours à utili-


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ser et leur emplacement le long du bord de la fosse. Les événements politiques et militaires - qui ont culminé avec l’occupation française de Milan en 1499 et la chute des Sforza qui a suivi - ont malheureusement empêché l’achèvement du projet. Leonardo n’a jamais pu tester son procédé de moulage. Les 9 et 10 septembre 1499, les troupes françaises dirigées par le maréchal Gian Giacomo Trivulzio firent irruption dans Milan et détruisirent le colosse d’argile. Il a peut-être été déplacé de l’atelier de Corte Vecchia vers un terrain appartenant à Léonard près du monastère de S. Vittore al Corpo, où la fonderie était vraiPALAZZI 31 VENEZIA

semblablement installée. Ayant travaillé pendant plus de seize ans à la mise au point de la méthode de moulage et à la construction des moules, Léonard fut contraint d’abandonner le projet. C’est la dernière référence au colosse de Léonard. Quelques années plus tard, en 1508, Léonard s’est engagé dans le projet d’un autre monument équestre pour le Maresciallo Trivulzio. Nous savons, grâce au seul manuscrit technique existant, qu’il avait prévu le même procédé de moulage que celui conçu pour le cheval Sforza. Cependant, dans ce cas également, la sculpture en bronze n’a jamais été coulée. Comme beaucoup d’autres projets et rêves techniques de Leonardo, le monument Sforza suscite un intérêt passionné chez les chercheurs et les mécènes. Deux projets récents ont entrepris la réalisation du monument inachevé de Léonard. Le premier a été réalisé sous la direction de Hidemichi Tanaka et dévoilé en 1989 dans la ville de Nagoya, au Japon. Le second projet a été réalisé aux États-Unis par l’artiste Nina Akamu, grâce au parrainage de l’ancien pilote de ligne Charles Dent. Il a été inauguré à Milan en 1999 et se trouve toujours devant l’hippodrome de San Siro. https://www.europeana.eu/ portal/en/exhibitions/the-colossus-of-leonardo-da-vinci/ modern-evocations


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e sont d’abord les paysages à l’aquarelle des années 1920 qui séduisent le public américain. Avec ses huiles sur toile, le peintre reste attaché à la représentation d’un territoire circonscrit à la côte est des États-Unis, entre le Maine et le Massachusetts, où les Hopper prennent leurs quartiers d’été. Avec des aquarelles et des huiles des années 1910 aux années 1960, la rétrospective de la Fondation Beyeler dédiée à Edward Hopper offre un vaste panorama des multiples facettes de la peinture d’un des principaux artistes américains du XXe siècle. L’exposition y présente notamment ses étendues infinies des paysages naturels et urbains de l’Amérique, des éléments clés pour comprendre son oeuvre. Plongeons dans les panoramas de l’Amérique côte est, tant appréciés par l’artiste, qui l’ont révélés au public.

Edward Hopper et les paysages de l’Amérique Du dimanche

26 janvier 2020 au dimanche

17 mai 2020 Fondation Beyeler Baselstrasse 101 4125 Riehen Bâle Tél 616 459 777

Transfigurer le quotidien et l’architecture à travers une vision singulière Automne 1923 : le Brooklyn Museum inaugure sa deuxième Biennale. Parmi les centaines d’œuvres exposées, les six aquarelles qu’Edward Hopper a exécutées durant l’été à Gloucester, dans le Massachusetts, sur la côte nord-est des États-Unis, retiennent l’attention des visiteurs. La critique loue sa hardiesse technique autant que sa propension à transfigurer le quotidien et l’architecture de ce village de pêcheurs, le plus ancien des États-Unis. Resté en retrait de la communauté d’artistes qui séjournait à Gloucester, Hopper livre une vision singulière de la Nouvelle-Angleterre. Plutôt que les marines et vues panoramiques habituelles, il jette son dévolu sur les maisons victoriennes de la région, témoins privilégiés de l’Amérique pionnière et des bouleversements industriels de la fin du XIXe siècle. Pour cent dollars, le Brooklyn Museum fait l’acquisition de The Mansard Roof (1923), la première œuvre de Hopper à faire son entrée dans les collections publiques. C’est le début d’un succès qui ne se démentira plus. L’année suivante, le galeriste new-yorkais Frank Rehn expose une nouvelle série d’aquarelles réalisées par Hopper à Gloucester, des paysages à la fois étranges et familiers dont le traitement réaliste devient sa marque de fabrique. Pour dépeindre ces demeures et ces paysages, Hopper choisit l’aquarelle qu’il avait déjà expérimentée à Paris. Carol Troyen, conservatrice au Museum of Fine Arts de Boston, souligne la « tension entre le caractère spontané, indépendant du médium et la manière réfléchie de l’artiste ». L’aquarelle lui permet d’élaborer des compositions complexes et maîtrisées dans un style épuré, selon une


Photo:. Digital image Whitney Museum of American Art / méthode qu’il applique ensuite à ses huiles sur toile. Cape Ann, les quartiers de Rocky Neck ou Eastern Point Lighthouse offrent au peintre un terrain de jeu idéal pour ses essais autour de l’architecture, la perspective et, surtout, la lumière. Par son trait précis et puissant, la juxtaposition de couleurs franches, il parvient à transcrire un moment particulier de la journée, la brise qui agite les herbes au pied d’une construction paisible, un silence de fin d’après-midi. Il isole les maisons de leur environnement pour en révéler la beauté ; il les réinvente sans les trahir. La lumière se trouve, à nouveau, au cœur des paysages qu’il exécute sur la côte du Maine, à l’extrême nord-est, à Rockland où Hopper passe l’été en 1926, ou à Cape Elizabeth, en 1927. Les phares de Two Lights et leurs bâtiments secondaires deviennent un de ses sujets de prédilection. Dans Lighthouse Hill l’édifice saisi en contre-plongée apparaît dans toute sa majesté. Les reflets dans les herbes, les ombres très marquées en proposent une vue audacieuse et étrange. Lighthouse Hill et Freight Cars, Gloucester font partie de la douzaine de tableaux exposés à la Rehn Galleries en 1929, événement qui consacre Hopper comme le peintre américain par excellence. Négligeant le caractère onirique de ces paysages parfois inquiétants, nombre de critiques et amateurs considèrent ces œuvres comme l’incarnation de l’Amérique pionnière et puritaine. Hopper avait pourtant nettement rompu avec la tradition du paysage portée par la Hudson PALAZZI 33 VENEZIA

River School et son exaltation de la nation américaine. Ses paysages solitaires et singuliers tranchent avec les grands panoramas spectaculaires de ses aînés, où la nature sauvage et infinie est sublimée par une lumière quasi divine. À quelques rares exceptions près, telles que The Camel’s Hump, la nature chez Hopper porte toujours l’empreinte de la présence humaine. Après 1929, les époux Hopper séjournent à Truro dans le Massachusetts, où ils se feront construire une maison en 1934. Face aux grandes étendues du Cape Cod, Hopper renouvelle son approche du paysage. Il simplifie les formes pour souligner les relations entre les différentes composantes. L’artiste modifie ses méthodes de travail, délaissant peu à peu l’aquarelle et la peinture de plein air au profit de compositions de synthèse exécutées dans son atelier. « L’aquarelle lui avait permis de fixer ses observations directes et n’était plus adaptée à ses productions de plus en plus fondées sur l’imaginaire», analyse ainsi Ellen E. Roberts, conservatrice à l’Art Institute de Chicago. En témoigne Cape Cod Evening. Les personnages dépeints – un couple ? – ne laissent rien deviner des raisons de leur attitude ; chacun est libre d’y déceler ce qu’il veut. (suite page 34)


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(suite de la page 33) La clef de l’énigme se situe probablement quelque part hors cadre. Le tableau est l’heureux résultat d’un mélange de croquis pris sur le vif et «d’impressions mentales», comme l’expliquera Hopper à l’historien de l’art Lloyd Goodrich. «Ce n’est pas la transcription d’un endroit précis, mais un puzzle d’annotations et d’impressions inspiré par le voisinage. Le bosquet d’acacias provient d’études des arbres d’à côté. Le porche vient, lui, de la ville d’Orleans, à quelque trente kilomètres d’ici. Les figures ont été conçues pratiquement sans modèles, et les herbes hautes sont celles que je vois de mon atelier à la fin de l’été ou en automne. » Exécuté dix ans plus tard, son “Portrait of Orleans” est une scène de rue dépouillée, que l’enseigne d’une station service permet de situer dans le temps. Une fois encore, Hopper se saisit de la banalité quotidienne du monde moderne pour en faire émerger un moment singulier et étrange. Difficile, en effet, d’appréhender ce lieu que le spectateur du tableau découvre à la manière d’un étranger pénétrant dans une ville inconnue. Et le regard se perd dans ce décor à l’image de l’artiste, silencieux et insaisissable. Clarisse Schwartz https://www.connaissancedesarts.com/peinture-et-sculpture/edward-hopper

’est l’art des repreneurs qui est devenu l’art de la poterie. Puis il est venu et a élevé la céramique au niveau artistique de la sculpture. Picasso admirait son génie et ses formes. Quelques années après sa mort, son fils Gennarino et sa femme Rosa se souviennent de Paolo Condurso. A Seminara, vous êtes au milieu, vous voyez la mer qui vient avec la côte pourpre et la montagne qui, de derrière, promet un poème appelé Aspromonte. Ici, entre 1495 et 1503, les Espagnols se sont battus contre les Français pour reprendre le Sud lors des célèbres batailles de Seminara pendant les guerres d’Italie. Dans la même campagne, riche en fer, en cuivre et en manganèse, on extrayait de l’argile et les artisans locaux travaillaient déjà à cette époque dans des formes et des couleurs anciennes. Des familles d’artisans qui, depuis des générations, dans le “borgo dei pignatari” - célèbre pour ses fours à bois - connaissaient les techniques de vitrage médiévales et fabriquaient des outils d’usage quotidien avec une créativité nouvelle et originale. Ils étaient appelés les pignatari de Seminara et se distinguaient par l’utilisation de couleurs naturelles telles que le jaune, le vert, le bleu et le rouge terre, pigments naturels du sol environnant. Des jarres, des cruches, des bouteilles, des amphores et des flacons ont été achetés par les nombreux pèlerins qui affluaient dans la petite ville pendant les célébrations de Notre-Dame des Pauvres et qui ont été emportés


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PAOLO CONDURSO dans toute la Calabre grâce aux nombreuses foires qui accompagnent les fêtes religieuses. On est frappé avant tout par les noms et les formes de ces objets, qui sont, je crois, d’authentiques poèmes en dialecte : le “cannate”, c’est-à-dire les tasses ; les poireaux aux cheveux bouclés, c’est-à-dire les bocaux qui sont gonflés et ornés ;les babbaluti, ou flacons et masques ; des lancettes, ou des amphores ; les vozze, ou bouteilles à ventre creux ; gabbacumpari, des cruches secrètement percées. Les sources d’inspiration sont les mythes grecs, les traditions religieuses et païennes, les moqueries et les satires contre les seigneurs féodaux et les Bourbons qui vivaient dans ces riches terres. Guidé par Google Maps, retour à Seminara par un banal matin de mi-hiver. Le village, en cette saison, est plus seul qu’en été. Peu de voitures circulent sur la route nationale qui traverse le village. Venant de la mer, à droite du Viale Barlaam, le mur de céramique aux couleurs vives qui encadre le dernier atelier de Paolo Condurso, dont les céramiques étaient https://www.lameziaterme. appréciées par Pablo Picasso, émerge des murs écaillés it/calabrese-tu-hai-le-mad’une maison. ni-doro-disse-picasL’atelier, aujourd’hui suivi par Gennarino Condurso et conservé par la maman Rosa, expose des pièces imso-paolo-condurso/?fbcliportantes de la production de Paolo Condurso, dont la d=IwAR24w6Ckr9u9uwcélèbre “picassine”. Je suis souvent venue à Seminara, j’ai apprécié le style 8VH0LT97__zB5aSEuTlmAoriginal des formes et l’esprit d’entreprise de certains zURUzV32zt6Ls0Fcpl399biI PALAZZI 35 VENEZIA

“Calabrese, tu as les mains en or”

dixit Picasso

Paolo Condurso Atelier Ceramiche MAURY SEMIRANA

ateliers qui proposent des céramiques au format gadget, accessibles à tous et adaptées aux goûts modernes. Quand on voyage, les gadgets indigènes sont toujours bien appréciés - si lisses, aux couleurs vives, aux formes homogènes et bien placés dans les vitrines - ils font partie d’une mode consumériste qui remplit nos maisons de suffragati et appauvrit, je pense, nos esprits. Les premiers responsables de cet appauvrissement se trouvent dans le domaine de la communication, mais les administrateurs et les critiques de service ont également leur rôle à jouer : ils utilisent de grands mots et, sans trop de recherches historiques - ils confondent l’art avec des gadgets, trompant l’identité d’un lieu. À Seminara - comme à Caltagirone, Grottaglie, Vietri, Santo Stefano di Camastra - vous trouverez des gadgets en céramique, mais aussi le travail authentique et extraordinaire de l’art ancien de la céramique. Quand on entre, par exemple, dans le dernier atelier de Paolo Condurso à Seminara, la jubilation esthétique que l’on voit dans les ateliers voisins disparaît et laisse place à un sentiment d’étonnement intime et authentique qui consterne. Et il n’est pas nécessaire d’être un expert en art, un collectionneur ou un professeur pour “sentir” la résonance de cet unicum universel.(suite page 36)


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(suite de la page 35) Cela me rappelle un triplet de Dante - le plus aimé par un vieux professeur d’art il y a de nombreuses années et qui est resté parmi les plus chers pour moi parce qu’il est si évident. Dante a qualifié l’œuvre d’art de happening universel où l’âme de l’artiste dépasse sa propre biographie personnelle en créant des formes et des motifs ancestraux, mis à la disposition de l’humanité. “Dans sa profondeur la plus profonde, j’ai vu qu’il est interne, relié avec amour en un volume, de ce dont l’univers est escadronné.” (Paradis XXXIII, 85-87) Ici, dans ce musée-atelier, on peut bien parler de l’art en termes d’intention ardue des quelques élus qui font bien un objet “lié avec amour dans un volume”. Ici, dans ce musée-atelier, les objets “liés d’amour en volume” portent ces noms... babbaluti, masques apotropaïques, hérissons, vozze, têtes de picassine. Je propose à chacun l’expérience d’entrer dans l’atelier de Paolo Condurso - vider son esprit, fermer les yeux un instant et écouter les voix des œuvres tout autour, qui racontent des vérités archaïques. C’est une réconciliation qui a un sens profond. L’expérience d’une beauté qui va au-delà du pur plaisir esthétique : ce sont des œuvres d’art parce

qu’elles viennent de l’âme et en gardent des fragments. Il existe des ouvrages faisant autorité dans lesquels l’histoire du chevalier Paolo Condurso est largement raconté en termes de prix remportés, de style et de formes artistiques, de prix élevés et de rencontres, comme celle fortuite avec Picasso, qui a défini son histoire personnelle et professionnelle. J’ai rencontré son fils Gennarino et Rosa, la femme qui l’accompagnait dans tous ses voyages et ses batailles. J’aimerais maintenant partager l’image sans précédent de lui qui a émergé dans le bavardage autour d’un café par un matin de mi-hiver. C’est maintenant Gennarino qui poursuit cet atelier et l’art viscéral du travail de l’argile que cette famille a sublimé. Garder le souvenir aux côtés de Gennarino, c’est, comme je le disais, l’inarrêtable Rosa, l’épouse inspirée de Paolo et la mère dévouée de quatre enfants qui a grandi entre difficultés et grandes pertes, mais sans jamais perdre la force de continuer. Derrière un grand homme, il y a toujours une grande femme. C’est ainsi que Rosa émerge des histoires de la saga familiale qui nous est racontée : elle a réussi à maintenir la famille unie “malgré la maladie, le chagrin, la perte, la tromperie, l’envie et les tyrannies patriarcales”. Paolo Condurso était non seulement un maître aux mains d’or - comme l’appelait Pablo Picasso à Vintimille en 1963 - mais aussi un mari attentionné et fiable, un père désespéré qui a détruit toutes ses œuvres après la mort de son fils Maurizio et prêt à tout pour sauver


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un autre, Gennarino, d’une maladie féroce, un fils respectueux qui est retourné en Calabre pour aider son père et ses frères dans les activités des ateliers. Artiste éclectique, Gennarino et di Rosa montrent une humanité commune rendue extraordinaire par des rencontres et des choix audacieux, un enfant prodige qui a grandi sur du pain et de l’argile. Son talent a été immédiatement remarqué dans l’atelier et malheureusement, avec sa fortune sont venues des disputes et des querelles sur les techniques et les secrets de travail. “A l’âge de six ans, il a pris un bunnolo sur lequel son père travaillait, a cassé une poignée et avec cette poignée, il a moulé le premier visage grec. Quand il n’avait que six ans, il a inventé un bunnolo qui n’avait jamais été vu auparavant”, dit Gennarino. “...il était très proche de sa famille d’origine à laquelle il essayait d’enseigner ses compétences manuelles et ses techniques mais malheureusement, au fil des ans, cette famille n’a pas toujours été proche de lui. Ils ont profité de sa chance, de son talent et de sa générosité, le laissant seul dans le besoin”, ajoute la plus douce des roses, enveloppée dans le noir de tant de pleureuses. “Il n’a pas seulement aidé sa famille d’origine, mon père a aidé tous les artisans de Seminara pour lesquels il a fabriqué des produits semi-finis et finis qui ont ensuite été vendus avec ceux de l’atelier spécifique”. “Cela n’a jamais été facile” ajoute Rosa “parce qu’ils ont souvent essayé de copier et de voler ses techniPALAZZI 37 VENEZIA

ques. Mais il n’a jamais reculé et a toujours aidé le pays tout entier”. “Souvent”, se souvient encore Gennarino, “ils allaient fouiller dans les tessons des masques que nous avions jetés... ils récupéraient nos rebuts ou des morceaux cassés pour faire un moule et copier les expressions par exemple”. En 1963, il est parti de Seminara, destination Vintimille, à la recherche de la fortune “de la faim, il faut le dire”, dit Gennarino. Il a apporté avec lui sa fougue de jeunesse, son talent naturel et 4 de ses premières œuvres réalisées dans l’atelier familial. Et c’est sur la côte ligurienne, lors d’une exposition de rue, que Pablo Picasso a remarqué le talent de Paolo qui a travaillé avec une extrême facilité et ingéniosité un morceau d’argile qu’il avait apporté avec lui. Ce fut une rencontre fabuleuse qui a en quelque sorte marqué le tournant et l’accréditation de l’artisan par l’artiste. “Calabrese, tu as des mains d’or”, disait Pablo. Sans le reconnaître, il lui rendit hommage avec un oiseau façonné sur le moment. Picasso lui a laissé quatre des croquis qu’il avait sur lui en échange (Paolo les a donnés à des filles qui assistaient à la scène) et a acheté “un babbaluto, une tête grecque, un masque et une calabrisella”, œuvres qui se trouvent aujourd’hui au musée (suite page 38)


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(suite de la page 37) Picasso d’Antibes en France et au musée national de Toronto. En 1964, le style à la fois obscur et moderne de ses œuvres a triomphé lors d’un concours du ministère des Beaux-Arts où il a remporté la première place et où son nom s’est imposé en entrant dans des livres, des galeries et des musées. Quelques années plus tard, Pertini lui confère le titre de prince de la céramique, Cossiga et Andreotti lui confèrent le titre de chevalier du mérite, Scalfaro et Prodi le nomment grand officier. “En 2013, ils lui ont proposé la candidature au poste de sénateur à vie pour ses mérites artistiques, mais il a refusé parce que sa vocation ne passait pas par les titres mais était dans la création pure, dans la boutique” dit Rosa “il voulait être libre ... quand nous étions jeunes, je l’ai suivi dans la boutique que nous avions en bas, parce que j’étais un peu jalouse des autres femmes. Il y était heureux et a créé des choses que personne n’avait jamais vues auparavant”. “Depuis que papa est décédé, les choses ne vont pas bien. Il y a des gens qui essaient de s’approprier le nom et l’histoire de mon père. Dans un article sur le site web d’Issuu, des journalistes ont déclaré un grand faux historien, ce qui offense sa mémoire en attribuant

PAOLO CONDURSO

la reconnaissance de Picasso à ses frères. Ce ne sont pas les céramiques des frères Condurso qui ont été appréciées par Picasso, mais celles de mon père, Paolo Condurso”. Gennarino répète : “ ...je voudrais donc préciser que Picasso appréciait uniquement les œuvres de mon père Paolo Condurso et non celles des autres membres de sa famille. Les œuvres exposées dans les musées sont signées Paolo Condurso, il n’y a donc aucun doute. Avant d’écrire, les journalistes doivent se renseigner. Un mensonge est répandu uniquement pour des raisons économiques et moi, même si je suis malade, je consacre toute mon énergie à sauver le travail et l’honneur de mon père, et je fais face à tous les mensonges publiquement parce que le mérite lié à son nom ne peut être dispersé”. “L’art de la famille Paolo Condurso finira très probablement avec moi”, conclut Gennarino, “mais je voudrais que Seminara soit reconnue par tous comme un centre de la céramique en Calabre. J’appelle les administrations à défendre la valeur des céramiques fabriquées dans ce pays. Paolo Condurso pourrait continuer à vivre dans un contexte d’authenticité et de clarté si seulement nous le voulions tous”. Je voudrais que ce rêve des descendants du maître Paolo Condurso se réalise surtout pour ceux qui cherchent une prise de conscience et des racines, surtout pour les générations qui partent et qui ont besoin d’un contact sincère, d’une fierté d’appartenance. Grazia de Sensi https://www.lameziaterme.it/calabrese-tu-hai-le-mani-doro-disse-picasso


Photo domus

LANCIA STRATO’S ZERO

ans les années 70, il était facile de se sentir comme si l’on vivait dans le futur. Il suffisait de regarder une photo de la Lancia Stratos Zero - ou Strato’s Zero, comme son nom était initialement orthographié -, et vous pouviez immédiatement avoir l’impression de vivre dans les glorieuses et très attendues années 2000. Le chef-d’œuvre conçu par Marcello Gandini pour la société Bertone était un concept car pour le salon de l’automobile de Turin en 1970, mais il a été présenté à nouveau à la Villa d’Este en 2011. Il est difficile de comprendre cette voiture quand elle est fermée à clé. Pour en profiter pleinement, il faut d’abord s’approcher et chercher les portes. C’est vrai : il n’y a pas de portes. Une poignée pousse tout le hayon du pare-brise vers le haut, l’ouvrant comme une fenêtre à trémie (même de l’intérieur), et fait avancer la colonne de direction, permettant au conducteur et au passager de monter à bord. Devant eux, un tableau de bord plat qui ressemble à une grande tablette. Dans ce missile, la ligne entre le futur et l’avenir est floue. La visibilité de l’intérieur est très limitée : comme sur une fusée, on peut voir la route devant soi, mais si on regarde derrière ou de côté, on ne voit rien. Cette voiture iconique en forme de coin, qui ne mesure que 84 cm, est rapidement devenue légendaire. La rumeur dit que Nuccio Bertone a fait passer la voiture sous les barrières d’entrée fermées du siège de sa société. L’objectif de Gandini était de “créer un objet qui attirerait PALAZZI 39 VENEZIA

l’attention des visiteurs et, surtout, des initiés”. L’important était de faire parler les gens”. Et c’est ce qui s’est passé. Le Stratos Zero est tellement original et futuriste que, même des décennies plus tard, il semble toujours projeté vers l’avenir. Deux autres caractéristiques se distinguent également. En regardant la Stratos d’en haut, vous trouverez le capot moteur triangulaire, peint dans une couleur argentée qui contraste avec la livrée bronze. Il était censé simplement diriger l’air vers le radiateur, mais cette caractéristique stylistique est encore très appréciée aujourd’hui. Ensuite, sur le côté, vous pouvez voir les deux très petites fenêtres près des garde-boue. Ces derniers intègrent également les rétroviseurs, donnant un dynamisme supplémentaire à une voiture qui semble projetée vers l’avant, non seulement dans le temps mais aussi dans l’espace. Comme nous le disions, la Stratos Zero est une icône, un missile qui a ouvert la voie à la Stratos finale, mais dans lequel on peut aussi reconnaître les signes d’une autre œuvre de Gandini beaucoup plus célèbre : la Lamborghini Countach de 1974. Elle a été présentée dans d’innombrables livres de design, mais sa plus grande réalisation a eu lieu en 1988, lorsque la Stratos Zero a été utilisée dans le film de Michael Jackson, “Moonwalker”. Là, elle ressemblait à une Batmobile. Et même quelque chose de plus que cela .Alessio Lana


Photo Agostino Osio

armi les nombreuses merveilles de la Sicile, il faut certainement inclure l’horloge astronomique de Messine, située sur le clocher de la cathédrale de la ville. Un chef-d’œuvre de classe mondiale, étant la plus grande et la plus complexe horloge astronomique de la planète. C’est l’archevêque de Messine, Angelo Paino, qui a voulu la construire après le désastreux tremblement de terre et le razde-marée qui ont frappé la ville sur le détroit en 1908. En fait, dans ce contexte, le haut prélat a assumé la responsabilité de la coordination des opérations de reconstruction. Le pontife de l’époque, Pie XI, conseille à Paino de prendre comme modèle la célèbre horloge de Strasbourg, fabriquée en 1354. Ce n’est pas un hasard si l’horloge de Messine a

UNA MERAVIGLIA

DELLA TECNOLOGIA L’orologio astronomico di Messina, il più grande e complesso al mondo

été réalisée en trois ans par la société strasbourgeoise de Theodore Ungerer, alors que la partie technique a été confiée à l’ingénieur allemand Frederic Klinghammer. C’est plutôt Francesco Valenti, surintendant des monuments de Sicile, qui a réalisé le projet du clocher, en essayant de reproduire le style du clocher précédent, datant de l’époque médiévale, même si ce dernier, avec ses 90 mètres de haut, dépassait de 30 mètres la tour construite par Valenti, haute de 60 mètres. Bien sûr, la particularité du clocher est due à l’horloge astronomique qui marque le flux des heures, des jours et du temps liturgique. Ce joyau de l’horlogerie a été inauguré, en présence d’environ 70 000 personnes, le 13 août 1933. L’horloge est composée de différents élements répartis sur les différents étages du clocher. A midi, des dispositifs mécaniques raffinés et compliqués mettent les scènes en mouvement. La première est caractérisée par le mouvement d’un lion couronné, symbole de la ville, qui bouge la tête et la queue, agite le drapeau de Messine et rugit trois fois. Le lion représente le peuple de Messine victorieux dans la guerre des Vêpres. Puis il y a le coq qui bat des ailes et chante, symbole de l’éveil et de la renaissance de la ville. Ensuite, c’est le moment de l’église de Montalto, dont la construction, qui remonte à 1294, est reproduite. Selon la légende, une colombe, en volant, a montré aux Messins l’endroit où construire l’église, en fait les dispositifs d’horloge font planer la statue d’une colombe dans les airs. Entre-temps, une maquette de l’église émerge du sol, le tout sous l’atmosphère enivrante et envoûtante de l’Ave Maria de Schubert.


Photo Maison des Arts de Grand Quevilly

Après les scènes représentant certaines phases importantes de l’histoire de la ville, les scènes religieuses commencent. Celles-ci changent selon la période de l’année, donc en fonction du calendrier liturgique : ainsi, de Noël à l’Épiphanie, il y a l’adoration des bergers dans la contemplation du Christ nouveau-né, de l’Épiphanie à Pâques, il y a l’adoration des Mages, de Pâques à la Pentecôte, la résurrection avec deux gardes romains devant le tombeau qui scrutent incréduleusement Jésus ressuscité, enfin, de la Pentecôte à Noël, la descente de l’Esprit Saint qui visite Marie qu’il a apôtres. Notre-Dame de la Lettre, patronne de Messine, est la dernière scène de midi. Un ange remet la Sainte Lettre à la Vierge, par laquelle Notre Dame garantit sa protection à la ville en lui donnant sa bénédiction. Certains ambassadeurs se présentent devant Marie et se prosternent, après quoi l’un d’eux ramène la lettre et la garde en custode. La scène se termine par la salutation de la Vierge à la ville. De plus, chaque quart d’heure est marqué par les statues de Dina et Clarenza, figures féminines mythologiques qui, pendant la guerre des Vêpres, grâce à leurs exploits, ont réussi à sauver Messine de la tentative d’invasion angevine. L’horloge est également équipée de deux défilés ou manèges : celui des jours et celui des âges, l’un sur l’autre. PALAZZI 41 VENEZIA

Voici le carrousel des jours, dont chacun, du lundi au dimanche, est représenté par des personnages de la mythologie grecque ayant une signification allégorique. Au-dessus, le carrousel des âges est composé de statues représentant les quatre phases de la vie : enfance, jeunesse, maturité et vieillesse, avec au centre la figure de la mort, équipée d’une faux, prête à frapper. La partie la plus complexe de l’horloge est certainement la partie astronomique dont fait partie le calendrier perpétuel qui, avec ses trois mètres et demi de diamètre, indique les jours, les mois, les années et les fêtes mobiles et est capable de marquer l’heure aussi bien pour les années normales que pour les années bissextiles. Le jour courant est indiqué par la statue d’un ange. Le planétarium, au contraire, reproduit le système solaire, où les planètes sont placées en proportion correcte autour du Soleil, toutes tournant en synchronisation avec les temps de révolution réels. Pour fermer l’image, il y a la lune qui marque les phases de la lune. Vincenzo Roberto Cassaro www.ilsicilia.it/lorologio-astronomico-di-messina/


Photo interno poesia

our le célèbre dramaturge, “une œuvre d’art ne vous apprend pas seulement à regarder l’objet particulier qu’elle représente de la bonne manière, c’est-à-dire de manière approfondie, complète et avec plaisir, mais aussi d’autres objets. Il enseigne absolument l’art de l’observation”. Que, par essence, une œuvre d’art devrait agir sur tous les hommes, quels que soient leur âge, leur statut social, leur éducation, est une opinion très ancienne et absolument fondamentale. L’art, dit-on, s’adresse à l’homme, et tout homme, vieux ou jeune, travailleur du bras ou de l’esprit, instruit ou ignorant, est encore un homme. Et tous les hommes sont donc capables de comprendre et d’apprécier une œuvre d’art parce que tous les hommes ont un certain sens artistique en eux-mêmes.

Comment observer une œuvre d’art selon Bertolt Brecht

Ce texte est tiré de “Writings on literature and art” de Bertolt Brecht. Nous remercions Meltemi pour son aimable autorisation.

C’est de cet avis que naît souvent une aversion marquée pour les soi-disant commentaires sur les œuvres d’art ; on se retourne contre un art qui a besoin de toutes sortes d’explications et qui est incapable d’agir “en soi”. “Comment - dit-on - l’art ne devrait-il commencer à agir sur nous qu’après que les savants nous aient donné de belles conférences ? Le Moïse de Michel-Ange ne devrait-il nous émouvoir qu’après qu’un professeur nous l’ait expliqué ?”. C’est ce qu’ils disent, mais en même temps, il est bien connu qu’il y a des gens qui savent mieux utiliser l’art et qui sont capables de dépeindre à partir de l’art un plus grand plaisir que d’autres. Ce sont eux qui forment le fameux “petit cercle des connaisseurs”. Il y a beaucoup d’artistes - et ce ne sont pas les pires - qui sont bien décidés à ne pas faire de l’art en tout cas seulement pour ce petit cercle d’”initiés” et qui visent à créer pour tous les gens. Cela a un joli son démocratique, mais à mon avis, ce n’est pas entièrement démocratique. La démocratie consiste à transformer le “petit cercle de connaisseurs” en un grand cercle de connaisseurs. L’art exige en effet des connaissances. En effet, l’observation de l’art ne conduit à un réel plaisir que s’il existe un art de l’observation. S’il est vrai que dans chaque homme se cache un artiste et que l’homme parmi tous les animaux est celui qui est le plus doué de sens artistique, il est tout aussi certain que cette disposition peut se développer, mais peut aussi s’atrophier. L’art est basé sur une capacité, la capacité à travailler.


Photo l’indiscreto

Ceux qui admirent l’art admirent une œuvre, une œuvre très habile et réussie. Et il est nécessaire de savoir quelque chose sur cette œuvre pour l’admirer et pouvoir goûter son résultat, l’œuvre d’art. Même celui qui se contente de manger fait un travail: il coupe la viande en morceaux, porte les morceaux à la bouche, mâche. Le plaisir artistique ne peut être obtenu à un prix inférieur. Il est donc nécessaire de participer à l’effort de l’artiste, sous une forme courte mais complète. Il se débat avec son matériau, avec le bois qui n’est pas très malléable, l’argile qui est souvent trop souple, et il se débat avec l’objet, dans notre cas, par exemple, une tête humaine. Comment se fait-il qu’il reproduise une tête ? Il est instructif - et aussi agréable - de voir figées, au moins en images, les différentes phases que traverse une œuvre d’art, résultat du travail de mains agiles et pleines de vie, et de pouvoir intuiter au moins une partie des labeurs et des triomphes que le sculpteur a traversés au cours de son travail. C’est d’abord le moment des traits fondamentaux, encore grossiers, presque un peu sauvages, audacieusement découpés, le moment où le sculpteur se livre à l’exagération, à l’héroïsme, arrive, si l’on veut, à la caricature. Il y a encore quelque chose d’animaliste, d’informe, de brutal en eux. Puis viennent les éléments expressifs plus détaillés et plus fins. PALAZZI 43 VENEZIA

Un détail, par exemple le front, commence à prendre le pas sur tous les autres. Puis viennent les corrections. L’artiste fait des découvertes, rencontre des difficultés, manque la vision globale, en construit une nouvelle, écarte un point de vue, en formule un nouveau. Si vous regardez l’artiste, vous commencez à comprendre sa capacité d’observation. C’est un artiste de l’observation. Il observe son objet vivant, une tête qui vit et a vécu, il a beaucoup de pratique dans l’art de l’observation, il est maître dans l’art de regarder les choses. Il est possible de tirer des enseignements de cette capacité d’observation. Il peut nous enseigner l’art d’observer les choses.C’est un art très important pour tout le monde. L’œuvre d’art nous apprend non seulement à regarder l’objet particulier qu’elle représente de la bonne manière, c’est-à-dire de manière approfondie, complète et avec plaisir, mais aussi d’autres objets. Il enseigne absolument l’art de l’observation. S’il est vrai que l’art d’observer est déjà nécessaire pour apprendre quelque chose sur l’art en tant qu’art, pour savoir ce qu’est l’art, pour pouvoir juger du beau ...(suite page 44)


(suite de la page 43) ce qui est beau, pour prendre plaisir à se délecter des proportions de l’œuvre d’art, pour admirer l’esprit de l’artiste, il est encore plus nécessaire de comprendre les objets que l’artiste représente dans son œuvre d’art. En fait, le travail de l’artiste ne se limite pas à nous parler sous une belle forme d’un objet réel (une tête, un paysage, un événement humain, etc.) et il ne se limite pas à nous parler sous une belle forme de la beauté d’un objet, il nous parle d’abord de l’objet lui-même, il nous l’explique. L’œuvre d’art explique la réalité qu’elle dépeint, fait connaître et transmet les expériences que l’artiste a faites dans la vie, nous apprend à regarder les choses de ce monde de la bonne manière. Les artistes de différentes époques voient naturellement les choses de manière très différente. Leur façon de voir les choses ne dépend pas seulement de leur nature individuelle, mais aussi de la connaissance qu’ils ont des choses et de leur époque. C’est un besoin de notre époque d’observer les choses dans leur développement, en les considérant comme des choses changeantes, exposées à l’influence d’autres choses et de processus de toutes sor-

tes, modifiables. Nous trouvons cette façon d’observer les choses à la fois dans notre science et dans notre art. Les reproductions artistiques des choses expriment plus ou moins consciemment nos nouvelles expériences des choses, notre conscience croissante de la complexité, de la mutabilité et de la contradiction des choses qui nous entourent et de nous-mêmes. Il faut savoir que pendant longtemps, les sculpteurs ont cru que leur tâche était de représenter le côté “essentiel”, “éternel”, “définitif”, en un mot “l’âme” de leurs modèles. Leur idée était la suivante : chaque homme a un caractère bien défini avec lequel il vient au monde et qui peut être observé déjà chez l’enfant. Ce caractère peut se développer, c’est-à-dire qu’il se définit de plus en plus avec le temps, pour ainsi dire ; plus un homme vieillit, plus il sort, on pourrait presque dire que plus il vit, plus il devient clair. Bien sûr, il se peut aussi qu’il devienne moins clair, que son caractère atteigne sa clarté et sa force maximales à un moment donné de sa vie, tant dans sa jeunesse que dans son âge mûr, pour ensuite se confondre, s’estomper, s’évaporer à nouveau. Cependant, ce quelque chose qui se développe, se renforce ou s’évapore est toujours quelque chose de bien défini, c’est-à-dire que c’est précisément l’âme absolument particulière, éternelle, unique de cet individu particulier.


Photo l’indiscreto

La tâche de l’artiste est, à présent, de faire ressortir ce trait fondamental, cette marque décisive de l’individu, de subordonner tous les autres à ce seul trait et d’effacer les contradictions existant entre les différents traits d’un même individu de telle sorte qu’il en résulte Dans le cas de la sculpture, ces connaissances, qui ne sont pas seulement des connaissances mais aussi de la sensibilité, sont particulièrement nécessaires. Il faut avoir une certaine sensibilité pour la pierre ou le bois ou le bronze, il faut avoir une certaine idée de l’utilisation de ces matériaux. On doit pouvoir retracer le cheminement du couteau dans la souche de bois, le processus par lequel une figure émerge lentement de la masse informe, une tête d’une sphère, une surface convexe d’un visage. De nos jours, il est peut-être même indispensable d’avoir une certaine notion de subsidiarité, ce qui n’était pas le cas dans les époques précédentes. D’une certaine manière, l’introduction de nouvelles méthodes de production, basées sur des machines, a entraîné la décadence de l’artisanat. Les propriétés des matériaux sont tombées dans l’oubli et même le processus de fabrication n’est plus ce qu’il était. Chaque objet est aujourd’hui le fruit de la collaboration de plusieurs, et celui qui travaille individuellement ne fait plus tout seul comme autrefois, il ne domine plus qu’une seule phase du développement PALAZZI 45VENEZIA

de l’objet. De cette façon, la sensibilité pour le travail individuel et les notions nécessaires de celui-ci ont également été perdues. Dans la société capitaliste, face au travail, l’individu est sur le sentier de la guerre. Le travail représente une menace pour l’individu. Le processus de travail et le produit du travail sont tels que chaque trait individuel est effacé. La chaussure ne nous dit plus rien sur le caractère de la personne qui l’a fabriquée. La sculpture reste une forme d’artisanat. Cependant, aujourd’hui, nous observons une sculpture comme si elle était, comme tout autre objet, le résultat d’un travail fait à la machine. On ne fait qu’observer (et éventuellement goûter) le résultat du travail, et non le travail lui-même. Et cela, pour l’art de la sculpture, est une chose de la plus haute importance. Si vous voulez goûter à l’art, il ne suffit jamais de proposer de consommer confortablement et à bon marché le résultat d’une production artistique ; il faut participer à cette production, être soi-même, dans certaines limites, capable de produire, faire un certain gaspillage d’imagination, ajouter ou contraster sa propre (suite page 46)


Photo Thomas Dosdrovic

(suite de la page 45) expérience avec celle de l’artiste, etc. une harmonie claire, une harmonie que la tête n’est pas en mesure d’offrir en réalité mais que l’œuvre d’art, sa reproduction artistique nous offre. Il semble maintenant que certains artistes aient abandonné cette façon de concevoir la tâche de l’artiste et qu’une nouvelle conception s’installe à sa place. Bien sûr, ces sculpteurs savent aussi très bien que chaque individu possède quelque chose de semblable à un caractère bien défini et se distingue ainsi des autres individus. Cependant, ils ne voient pas ce personnage comme quelque chose d’harmonieux, mais comme quelque chose de contradictoire, et ils pensent que leur tâche n’est pas d’effacer les contradictions d’un visage, mais de les représenter. Pour eux, un visage humain est plus ou moins comme un champ de bataille sur lequel les forces adverses mènent une lutte perpétuelle, une lutte dont le sort ne sera jamais décidé. Ils ne dépeignent pas l’”idée” de la tête, une sorte d’”archétype que le créateur a peut-être eu en tête”, mais une tête que la vie a façonnée et que la vie continue de transformer continuellement, de sorte que la nouvelle lutte avec l’ancienne, par exemple,

CHRISTIAN DE

la fierté avec l’humilité, la connaissance avec l’ignorance, le courage avec la lâcheté, la joie avec la tristesse, etc. Un tel portrait reproduit précisément la vie du visage, cette vie faite de luttes, qui est un processus plein de contradictions. C’est-à-dire que le portrait ne représente pas un compte rendu final, un bilan, ce qui reste après tous les gains et toutes les pertes ; au contraire, il saisit le visage humain comme quelque chose de vivant, qui continue à vivre et qui est en plein développement. Cela ne veut pas dire que même ainsi, il n’y a pas d’harmonie ! Les forces qui se combattent s’équilibrent en fin de compte ; de la même manière qu’un paysage peut être engagé dans la lutte (il y a un arbre qui en réalité lutte contre la prairie, contre le vent, contre l’eau, etc. ou un bateau qui en réalité ne flotte sur l’eau que grâce à une lutte continue de nombreuses forces contraires) et pourtant susciter une impression d’harmonie, de calme, c’est aussi le cas du visage. C’est une harmonie, mais c’est une nouvelle forme d’harmonie. Il ne fait aucun doute que cette nouvelle façon d’observer les choses par les sculpteurs représente un progrès dans l’art de l’observation et, pendant un certain temps, le public rencontrera quelques difficultés pour observer ses œuvres d’art - jusqu’à ce que le public fasse lui aussi ce pas en avant. Bertold Brecht 08/1939


Photo Nicolas Borel

PORTZAMPARC

ous le titre «Illuminations», la galerie Kamel Mennour (Paris VIe), expose jusqu’au 18 janvier 2020 des peintures de l’architecte Christian de Portzamparc. Le titre même de l’exposition dit l’importance accordée à la lumière dans le processus de création de l’architecte Christian de Portzamparc, qu’elle soit naturelle, artificielle, réverbérée par des surfaces colorées ou qu’elle suive les courbes d’un volume… Cependant, qu’un architecte peigne, et se pose immanquablement la question de sa légitimité, tout particulièrement en France où les différents champs de la création artistique restent très sectorisés. «En découvrant un croquis de Le Corbusier du Palais des Assemblées à Chandigarh, dans lequel figurait une silhouette d’homme en train de marcher, j’ai vu tout à coup que la peinture pouvait être habitée. Et, de là, j’ai choisi l’architecture» explique Portzamparc. Dans les années 1960-1970, l’architecte ira à contre-courant de la doxa alors dominante de remplacer le dessin par le discours. «Parce que le dessin permet d’explorer, de laisser place à la surprise» . Cette pratique continue de la peinture - sur toile et parfois sur des murs, comme la fresque réalisée au Café Beaubourg - qui laisse un coin réservé à la libre exploration, permet aux projets de résister au poids des innombrables contraintes, techniques, financières, temporelles de l’architecture. PALAZZI 47 VENEZIA

«Cinq ans, dix ans et même parfois quinze ans séparent le projet de sa réalisation. Avec, pendant tout ce temps, des milliers de documents graphiques à produire, des centaines de réunions à tenir. Dessiner, peindre et obtenir ce que l’on cherche en quelques heures ou quelques jours, c’est un grand bonheur et une liberté immense» confie-t-il. De fait, Christian de Portzamparc, qui construit beaucoup, reste avant tout un rêveur. Ce que vient souligner cette série de tableaux en noir et blanc nommée «Illuminations», où le rêve est tel qu’il est pour le dormeur dans l’obscurité de la nuit : une lumière. Mieux encore : c’est la science qui fait rêver Portzamparc, comme l’analyse son galeriste Kamel Mennour, voyant dans les réseaux lumineux qui parcourent ces tableaux «les heures anciennes qu’il passa à regarder les phénomènes de projections et réflexions nocturnes en pensant aux turbulences des photons que la physique quantique nous présente à la fois comme ondes et comme particules». Ce que l’intéressé qualifie plus simplement de «fascination». Dans le parcours de l’exposition, deux sculptures blanches flottent dans l’espace de la galerie, tels deux nuages de lumière sortis des tableaux. Margot Guislain https://www.lemoniteur.fr/


Photo bfa.com

ika Rottenberg, né en 1976 à Buenos Aires, élevé en Israël et maintenant basé à New York, est un artiste très célèbre et curieusement presque inédit en Italie, à l’exception d’une visite avec NoNoseKnows à la Biennale de Venise de 2015. Du 31 janvier au 19 mai 2019, le MAMbo présente la première exposition individuelle de Mika Rottenberg dans une institution muséale italienne, sous le commissariat de Lorenzo Balbi. L’artiste, l’un des principaux protagonistes de la scène mondiale contemporaine, prend possession des imposants volumes de la Salle des Cheminées située au rez-de-chaussée du musée pour animer, à travers un parcours labyrinthique sans interruption, onze de ses plus récentes productions - objets sculpturaux et installations vidéo spécialement construites - célèbres pour leur registre narratif sarcasti-

Mika Rottenberg

Le Macchine Nubili curateur Lorenzo Balbi

jusqu’au19 mai 2020 Museo d’arte moderna di Bologna-MamBo via Don Minzoni 14 tel. 051 6496611 Bologna

que et bizarre. Rottenberg utilise les différents langages du film, de l’installation architecturale et de la sculpture pour explorer les idées de classe, de travail, de genre et de valeur à travers des dispositifs visuels imaginatifs qui éclairent les connexions et les processus cachés derrière des économies mondiales apparemment sans rapport. En entrelaçant des éléments fictifs avec des données documentaires dans des histoires où la géographie et la narration s’effondrent dans un non-sens surréaliste, l’artiste crée des allégories complexes sur le système capitaliste qui régit les conditions humaines et les processus de production de masse de marchandises. Trois nouvelles œuvres spécialement commandées par le MAMbo en collaboration avec deux grandes institutions muséales européennes, le Goldsmiths Centre for Contemporary Art London et le Kunsthaus Bregenz, sont exposées dans ce cadre. L’exposition au Mambo se compose d’une douzaine de grandes installations vidéo ou architecturales - Germano Celant les qualifie de machines célibataires - dans lesquelles des corps féminins exagérés de culturistes ou de personnes en surpoids, équipés de prothèses ou d’extroflexions entre le comique et l’inquiétant font des efforts épuisants pour produire des objets insensés. Ce sont des allégories complexes sur le système hyper-capitaliste qui régule les conditions humaines, mais, prévient Rottenberg, “je les ai plutôt pensées sur un plan abstrait ou visuel, sans leur donner une idéologie. Mais il est également vrai que “si l’art a un quelconque pouvoir, c’est celui de rendre les choses visibles”. Mika Rottenberg, Musée d’art moderne de Bologne-Mambo, sous la direction de Lorenzo Balbi, via Don Minzoni 14, L’exposition est soutenue par la Fondazione Cassa di Risparmio à Bologne.


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Photo galerie béatrice soulié


Photo Barbara Kruger

Un artiste américain, Andrew Wyeth (mort à l’âge de 91 ans), qui a produit 240 œuvres (aquerelli, quelques études et un nombre plus restreint de toiles) entre 1971 et 1985 avec un seul sujet, la femme que vous voyez dans le tableau, Helga Testorf, sans que ni la femme du peintre ni le mari de Helga ne le sachent. Andrew avait rencontré Helga lorsqu’elle il avait 32 ans. D’origine prussienne, elle avait émigré aux États-Unis et était arrivée en 1961 dans la ville où vivait le peintre, Chadds Ford en Pennsylvanie. Étant une personne totalement différente de lui, Andrew était fasciné par elle. Certains spéculent que c’est la couleur de ses cheveux blonds aux reflets rouges et l’expression énigmatique de son visage qui ont inspiré Wyeth, à tel point qu’il a passé tant de temps et d’efforts à tenter de saisir son mystère. www.facebook.com/ alfredo.accatino

ndrew Newell Wyeth, né le 12 juillet 1917 à Chadd’s Ford, en Pennsylvanie, et mort le 16 janvier 2009, également à Chadd’s Ford, dans la banlieue de Philadelphie, est un peintre américain. Il est classé parmi les peintres « régionalistes » et réalistes américains. Après des problèmes de santé, ses parents décident de ne plus l’envoyer à l’école et de l’instruire eux-mêmes. Son père, Newell Convers Wyeth (1882-1945), illustrateur connu qui fréquente des célébrités artistiques, tels Francis Scott Fitzgerald et Mary Pickford, l’initie à l’art, et tout particulièrement à l’art du paysage rural américain. À cette époque, il admire et est sensible à l’œuvre du peintre Winslow Homer. Plus tard, il apprend à maîtriser les techniques associées à l’aquarelle à base d’œuf, la tempera. En 1937, il expose pour la première fois ses aquarelles. En 1948, il peint Christina’s World, son tableau le plus célèbre. En 1951, il expose seul au musée d’art de Farnsworth. En 1963, il reçoit la médaille présidentielle de la Liberté. Il reçoit le prix Einstein en 19671. En 1970, il est le premier artiste à accrocher un de ses tableaux à la Maison-Blanche. Le 12 mai 1976, il est élu membre de l’Académie des Beaux-arts de Paris2,1. Deux ans plus tard, il devient membre de l’Académie des Beaux-arts d’URSS. En 1980, il est le premier artiste à être élu à l’Académie royale de Grande-Bretagne. En 1988, il reçoit la médaille d’or du Congrès en présence du président George H. W. Bush et la National Medal of Arts par George W Bush1. Il meurt chez lui le 16 janvier 2009, à 91 ans3,1, dans sa ville natale de Chadd’s Ford, près de Philadelphie. Sa mort a été annoncée par le porte-parole du Brandywine River Museum.


Photo swoyersast.com

WYETH /TESTORF elga Testorf était une voisine de Wyeth à Chadds Ford, en Pennsylvanie, et pendant quinze ans, elle a posé pour Wyeth à l’intérieur et à l’extérieur, nue et vêtue, dans des attitudes qui rappelaient aux écrivains les figures peintes par Botticelli et Édouard Manet. Pour John Updike, son corps “est ce à quoi auraient ressemblé les servantes de Winslow Homer sous leur calicot”. Née en Allemagne, Helga entre en 1955 dans un couvent protestant prussien choisi par son père. Après avoir été gravement malade, elle quitte le couvent et vit à Mannheim, où elle fait des études d’infirmière et de masseuse. En 1957, elle rencontre John Testorf, un citoyen américain naturalisé, né en Allemagne, qu’elle épouse en 1958.En 1961, ils vivent à Philadelphie, où elle travaille dans une tannerie, mais ils déménagent bientôt chez Chadds Ford, où elle élève une famille qui s’agrandit pour inclure quatre enfants et prend soin du fermier Karl Kuerner, un voisin âgé qui est un ami et un modèle pour Wyeth. Wyeth a demandé à Testorf de poser pour lui en 1971, et de là jusqu’en 1985, il a fait 45 peintures et 200 dessins d’elle, dont beaucoup la représentaient nue. Les séances étaient un secret, même pour leurs conjoints. Les peintures étaient entreposées chez son étudiant, voisin et bon ami, Frolic Weymouth. En expliquant la série, Wyeth a déclaré : “La différence entre moi et beaucoup de peintres est que je dois avoir un contact personnel avec mes modèles. ... Il faut que je m’entiche. Je dois être séduit. C’est ce qui s’est passé quand j’ai vu Helga”. Il a décrit son attirance pour “toutes ses qualités allemandes, sa foulée forte et déterminée, ce manteau de Loden, les cheveux blonds tressés”[10]. L’historien de l’art John Wilmerding a écrit : “Une attention aussi étroite d’un peintre pour un modèle sur une période de temps aussi longue est une circonstance remarquable, sinon singulière, dans l’histoire de l’art américain”. Pour le critique d’art James Gardner, Testorf “a la curieuse distinction d’être la dernière personne à avoir été rendue célèbre par un tableau”. Lorsque l’existence de ces tableaux a été rendue publique, des images de Testorf ont fait la couverture des magazines Time et Newsweek. Bien

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que flatté par ces tableaux, Testorf a été bouleversé par la publicité et la controverse qu’ils ont provoquées. Bien que Wyeth ait nié qu’il y ait eu une relation physique avec Testorf, le secret entourant les séances et la spéculation publique sur une liaison ont créé une tension dans le mariage des Wyeth. Bien après l’achèvement des peintures, Testorf est resté proche de Wyeth et l’a aidé à prendre soin de lui dans ses vieux jours. Dans une interview de 2007, lorsqu’on a demandé à Wyeth si Helga allait être présente à la fête de son 90e anniversaire, il a répondu : “Oui, certainement. Oh, absolument”, et il a poursuivi en disant : “Elle fait partie de la famille maintenant. Je sais que cela choque tout le monde. C’est ce que j’aime. Ça les choque vraiment” . Expositions et propriété En 1986, l’éditeur et millionnaire de Philadelphie Leonard E.B. Andrews (1925-2009) a acheté la quasi-totalité de la collection, la conservant ainsi intacte. Wyeth avait déjà donné quelques tableaux de Helga à des amis, dont les célèbres Lovers, qui avaient été offerts à l’épouse de Wyeth[14] [15]. Les œuvres ont été exposées à la National Gallery of Art en 1987 et dans le cadre d’une tournée nationale[16]. L’exposition de 1987 et la tournée qui a suivi ont fait l’objet de nombreuses critiques. Le commissaire, Neil Harris, a qualifié l’exposition d’”erreur absurde” de John Russell et d’”effort essentiellement insipide” de Jack Flam, qui en est venu à être considéré par certains comme “un événement traumatisant pour le musée”[15], et a qualifié l’exposition de “l’exposition la plus polarisante de la National Gallery à la fin des années 1980”, admettant lui-même s’inquiéter de “l’aura voyeuriste de l’exposition Helga”[17]. La tournée a été critiquée après coup car, à la fin, le propriétaire des images a vendu l’intégralité de sa cache à une société japonaise, une transaction qualifiée de “grossière” par Christopher Benfey.


Photo Franco Maria Ricci Franco Maria Ricci est né à Parme le 2 décembre 1937 dans une famille aristocratique d’origine génoise. Après avoir étudié la géologie et travaillé pour la recherche pétrolière, il inaugure en 1963 son premier atelier graphique, où il produit des affiches, des calendriers et des catalogues. Spécialiste de l’œuvre du typographe Giambattista Bodoni, qui fut le directeur de la Stamperia ducale di Parma, il en rééditera le Manuale tipografico, publié pour la première fois en 1818. En 1963, il fonde les éditions Franco Maria Ricci, avec Milan pour siège social, puis, en 1982, la revue FMR. Depuis 1981, il est chevalier de l’ordre des Arts et des Lettres de la République française. En 2002, la maison d’édition fusionne avec le groupe ARTÉ, fondé à Florence dix ans plus tôt, avant de transférer son siège à Bologne en 2004. Depuis 2005, Franco Maria Ricci se consacre à un projet différé depuis plusieurs années : la construction d’un vaste labyrinthe dans les environs de Parme.

Wendingen 1918-1931 Révolutions suspendues entre Jugendstil et abstraction

du 08/02/2020 au15/03/2020 LABIRINTO DELLA MASONE Strada Masone, 125 Fontanellato Emilia-Romagna

’intention d’Hendricus Theodorus Wijdeveld, lorsqu’il a décidé de créer une revue d’architecture, était de rétablir “une réconciliation totale des arts [...] et une grande communion spirituelle d’où doit à nouveau jaillir le principe stylistique universel”, comme il l’a déclaré dans le premier éditorial. Un objectif ambitieux, qui s’inspire de l’idée de “l’art total”, poursuivi aussi et surtout par des choix éditoriaux inédits à l’époque, comme le format carré de 33×33 cm, la reliure japonaise cousue à la main, la police sans serifs conçue par Wijdeveld lui-même et les couvertures imprimées en lithographie ou en gravure sur bois, dessinées chaque fois par un artiste différent. Autour de Wendingen, un groupe d’architectes de l’association Architectura et Amicitia s’est réuni et a contribué à sa réalisation, diffusant ainsi les connaissances de la recherche la plus moderne ; il suffit de penser à l’attention portée à Frank Lloyd Wright, à qui un article a été consacré dans le premier numéro puis sept dossiers, réunis par la suite en un seul volume. Le dernier numéro de la revue (sur les 116 publiés) est paru en 1932 et, grâce à la solide structure éditoriale et à l’extraordinaire série de couvertures, les dossiers ont toujours été considérés comme précieux, dignes des meilleurs collectionneurs intéressés par le graphisme et l’art de cette époque : parmi les noms les plus célèbres des illustrations figurent en effet des noms du calibre d’El Lissitzky ou de Jan Toorop. Parmi les collectionneurs qui se sont laissés conquérir par la richesse formelle et de contenu de Wendingen ne pouvait pas manquer le grand graphiste et éditeur Franco Maria Ricci, qui a su rassembler tous les numéros du magazine et qui les expose aujourd’hui au public dans les expositions temporaires du Labyrinthe de la Masone. Mais l’intérêt de Ricci pour Wendingen a des racines lointaines : en effet, en 1986, il a publié un volume tout aussi raffiné avec une introduction écrite par Paolo Portoghesi, que le catalogue actuel propose à nouveau au début.


Photo Franco Maria Ricci

“En tant que partisan d’une culture qui se développe sur les racines de la tradition et considère le renouveau comme une révolte, dans laquelle des fragments de la mémoire collective peuvent ressurgir comme dans un magma incandescent, Wendingen nous apparaît aujourd’hui [...] actuel et plein d’indications stimulantes”, écrit l’architecte italien. Preuve en est ces images si différentes les unes des autres, de celles qui prennent encore les modèles de Jugend pour exemples qui renvoient à une essentialité géométrique et abstraite, sans oublier les compositions de grande suggestion symbolique en références ésotériques et probablement maçonniques. Le défilé de plus de cent couvertures révèle ainsi “les idéaux de beauté basés sur un nouvel équilibre entre pensée et sens, et pour un tel programme la qualité esthétique du magazine apparaît comme une nécessité, un cas d’école” ce sont toujours les mots de Portoghesi. Ainsi, Wendingen s’avère encore être une source d’inspiration non négligeable pour ceux qui aspirent à créer de nouveaux produits éditoriaux, ne serait-ce que pour sa charge révolutionnaire. En outre, l’exposition voulait également approcher les magazines (avec l’intention de répondre à la question “y a-til des recherches à Parme qui ressemblent d’une certaine manière aux idées de Wendingen?”) des œuvres d’artistes nés dans la ville voisine (Amedeo Bocchi) ou gravitant sur le territoire (Galileo Chini), qui ont contribué à la diffusion de ce souffle de renouveau issu du Jugendstil. Marta Santacatterina https://www.artribune.com/editoria/2020/02/wendingen-rivista-architettura-olanda-grafica/? PALAZZI 53 VENEZIA

arta Santacatterina Journaliste publicitaire et docteur en histoire de l’art - diplôme obtenu à l’Université de Parme avec une thèse en histoire de l’art médiéval -, elle travaille depuis de nombreuses années comme rédactrice indépendante pour le compte de différentes maisons d’édition, couvrant également, de 2015 à début 2018, le rôle de directrice éditoriale de la marque Fermoeditore et du magazine connexe “fermomag”, sur lequel elle se consacre aux rubriques art, photographie et expositions. Elle écrit pour “Artribune” depuis la naissance du magazine en 2011. Plus récemment, elle a collaboré avec le site “Art&Dossier” - sur lequel elle passe en revue des projets mis en place dans des galeries privées -, avec “La casa in ordine”, où elle s’occupe des designers émergents et autoproduits, et avec le magazine “Dolcesalato”, sur lequel elle propose aux confiseurs des suggestions tirées de l’art contemporain. Elle écrit également des livres historiques-artistiques et des bandes dessinées pour des maisons d’édition italiennes (Giunti editore, Grafiche Step editrice etc.) et américaines (Fantagraphics Books). Elle a participé en tant que juré à des concours d’art ou de photographie et organise rarement des expositions pour des artistes qui parviennent à la convaincre grâce à la qualité de leur travail et à la solidité de leur poétique. Pour la branche de Parme du Boston College, elle participe également à des activités de tutorat sur l’art contemporain pour les étudiants américains. https://www.artribune.com


photo FAKE ©ChristopheRaynaudDeLage

nspiré du World Storytelling Day, Mix Up est le festival de conte en France qui expérimente de nouvelles formes multilingues. La Compagnie du Cercle et son directeur Abbi Patrix ont lancé et inauguré en 2018 le festival “Mix Up #conteurs en scène” dédié au conte dans tous ses états, suivi d’une deuxième édition internationale en 2019 avec 20 artistes invités, dans 15 langues. La troisième édition de Mix Up du 12 au 29 mars 2020, rassemble des conteurs et musiciens dans plusieurs lieux originaux pour fêter l’imaginaire dans toutes sa diversité. Un magnifique voyage d’univers et de styles révélés par un art en plein essor en Europe, l’art du conteur en scène. Pour cette troisième édition Mix Up présente le fruit de belles rencontres, des partenariats créatifs et le résultat d’un magnifique compagnonnage avec trois artistes de la parole musicale dirigé par Abbi Patrix.

12 Mars 2020 29 Mars 2020

MIX UP

#Conteurs en scène direction

Abbi Patrix Multiforme Performance Immersif Compagnonage Polyglotte IIIème édition Paris - Arcueil www.compagnieducercle.fr

Nous avons questionné le Merveilleux dans les contes, dans le monde, dans le renouveau des imaginaires et nous accueillons à la Maison des auteurs (SACD), une table de paroles inspirées avec des auteurs-conteurs de renom engagés auprès des publics comme dans la transmission auprès de jeunes artistes. Les Trois Baudets nous convient avec “Contes en cavale” pour une veillée scandinave autour d’un film et d’une invitée norvégienne-francophone grâce au soutien du réseau européen FEST. La MPAA de la ville de Paris (Maison des pratiques artistiques amateurs) avec le projet de territoire Frontières offre une plongée dans l’Amazonie. La Grèce a trouvé sa place, le Collectif Histoires & Cie donne rendez-vous pour une soirée dans le noir et cerise sur le gâteau, grâce au département du 94 et à Anis Gras, nous pourrons partager un « Fake » au centre commercial de la vache noire à Arcueil. Le conte rentre à l’hôpital avec la participation de 3 merveilleuses conteuses qui se rendent au chevet des enfants malades de Necker. Un programme dans l’esprit d’ouverture de fond et de forme qui nous anime. “Depuis trente ans, je traverse l’Europe avec cette même curiosité. Je rencontre d’autres conteurs et histoires, d’autres langues, d’autres publics et conditions de vie. Et pourtant je me sens chez moi, comme puisant dans des racines si profondes qu’elles appartiennent à tous. Tous différents, tous semblables. Je crois au nouveau récit d’un monde en pleine transformation qui nous appelle à une très grande conscience de nos actes. Les récits nous aident à partager la grandeur et la fragilité de nos vies. Mix Up est un rendez-vous pour ceux qui veulent entendre ce qui se raconte depuis toujours et se questionnent sur ce qui se racontera demain.” Abbi Patrix www.compagnieducercle.fr


photo FAKE ©ChristopheRaynaudDeLage

AKE est une expérience électro-contée. Les auditeurs - spectateurs sont équipés de casques audio. Ils déambulent librement au son d’une fresque musicale composée en live. Au creux de l’oreille, de la musique, une voix comme une invitation à un voyage où la frontière entre le mensonge et la vérité se trouble. La pièce d’Henrik Ibsen, Peer Gynt, librement (ra)contée, constitue la trame principale de ce spectacle. Chacun choisit son trajet, son rythme, son attention. Au cœur de ce dispositif, en permanence entre le faux et le vrai, les sons électroniques font basculer dans une expérience sonore inouïe et déroutante. avec Wilfried Wendling : Compositeur aventureux en musique électronique, complice d’Abbi Patrix depuis 2017 avec Loki, il travaille à la mise en espace du son avec des procédés informatiques innovants. Directeur de la Muse en Circuit, il met la musique au cœur du spectacle vivant. Linda Edsjö : Percussionniste, chanteuse, compositrice, curieuse des croisements artistiques, elle partage la scène avec comédiens, conteurs, danseurs, circassiens, cinéastes. En France, elle tourne avec Abbi Patrix et son duo Söta Salta créé avec la chanteuse Elsa Birge. Abbi Patrix * et Anne Alvaro pour les voix irréelles PALAZZI 55 VENEZIA

’art du conte est un art jeune en pleine recherche d’identité en France comme en Europe. Le théâtre Les Trois Baudets toujours à l’écoute de la nouvelle création, accueille ces artistes de la parole qui titillent notre imaginaire et savent faire résonner les images mythiques qui révèlent nos humanités. Une soirée en 2 temps : autour du film documentaire “Les légendes de Norvège” produit par Connaissance du Monde et réalisé par Abbi Patrix en 2019, puis trois artistes se partagent la scène pour nous raconter « Les femmes du Nord ». La scandinavie est aujourd’hui un exemple de parité. Les personnalités notoires des femmes nordiques ne datent pas d’hier ! La mythologie, les contes et les nouvelles d’auteurs racontent merveilleusement cette place qu’occupe la femme dans les réalités et l’imaginaire nordiques. Écoutons Karen Blixen, Selma Lagerlof et la tradition orale et cheminons sur les pas de ces grandes figures, avec la jeune conteuse norvégienne Karla ØFjord et le duo Abbi Patrix - Linda Edsjö qui reste très attaché à sa culture Nordique, chants, langues et histoires. Leur travail permanent de recherche mêlée sur le conte et la musique les mènent à pratiquer l’improvisation comme langage de rencontre avec d’autres artistes. https://www.compagnieducercle.fr/fr/mix-up/


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