ien que la ville de Oristano ne soit pas tout près de celle de Paris, nous avons décidé d’organiser néanmoins une exposition collective de photographies qui se dèroulera du 20 novem bre 2022 au 8 janvier 2023 et qui vous presen terà au moins une tren taine d’oeuvres en noir et blanc (classicisme oblige) d’une quinzaine de pho tographes que nous con naissons bien ou que nous avons découvert récemm ent pour notre et ésperons le votre aussi, plus grand plaisir.
J’ai nommé ici Roby Anedda, Benjamin Audour Giulio Barrocu, Antonella Cannas, Chiara Cossu, Dolores Mancosu, Antonella Marini, Roberto Orlandini, Ignazio Pani, Sandro Peddis, Yannick Perrin, Ambra Iride Sechi, Fabrizio Schirru, Marco Soddini, Jean Turco, et peut etre d’autres qui se joindrons à nous.
Le vernissage est prevu pour le 27 novembre pour etre raccord avec une au tre exposition collective qui se déroulera juste en face de l’Arrubiu Art Gal lery Café qui continue dans sa promotion d’ar tistes peintres et photo graphes à la quelle Sardo nia participe avec grand plaisir.
Nous vous attendons donc pendant deux bons mois.
u moment ou je viens de boucler ces soixante huit pages où j’essaie de vous raconter des histoires des femmes et d’hommes qui agis sent dans l’Art, envers (surtout les femmes) et contre tout et tous, mais qui généralement se termi nent bien, avec succès et reconnaissance, parfois des années après mais il n’est jamais trop tard pour bien fai re, j’apprends le succès de monsieur Lula aux élections présidentielle brésiliennes.
Certes d’une courte tète (50,9 contre 49,1 pour Bol somaro) mais on va pas bouder notre plaisir dans un moment particulièrement calamiteux, entre la pandémie qui n’en fini plus de finir, tout comme les opérations spéciales de l’autre Putin, qui durent depuis 9 mois lor squ’il était persuadé qu’en une semaine l’affaire serait pliée, l’inflation prévue qui n’arrête pas de se confirmer, la pénurie de gas et de pétrole, savamment orchestrée et entretenue par une bourse spéculative basée à Am sterdam, sans parler du succès de la droite aux élections italienne et des déboires macroniennes en France sans oublier l’Angleterre, j’en passe et des meilleures.
Mais que le président Lula soit à nouveau en charge de cet énorme pays qu’est le Brésil devrait nous faire ima giner qu’à la fin tout s’arrange.
Je l’espère en tout cas et je nous le souhaite en ce mois de novembre, dédié à la photographie et dont la tem pérature inhabituelle (du mois pas de la photo) devrais nous permettre d’économiser au moins sur le chauffage si ce n’est sur l’essence.
Sur le front de l’Art il est toujours plaisant de constater à quel point les artistes n’arrêtent pas de produire dans tous les styles et sous toutes les formes d’expression qu’elles soient plastiques, photo ou cinématographiq ues, musicales, littéraires, lyriques et canores et même gastronomiques puisque on ne saurait négliger une des manifestations les plus plaisantes du genre humain.
Par contre le même genre devrait comprendre qu’il va falloir changer de braquet et qu’il n’est pas possible de continuer dans cette voie non seulement de délocalis ation des activités vers des contrées où le paiement au lance-pierre est de rigueur mais aussi de destruction sy stématique des ressources minérales et végétales provo quant non seulement l’extinction, aujourd’hui malheu reusement arrivé a supprimer près de 70 % des espèces vivantes, mais bientôt de la notre, ne comprenant pas que nous faisons parties justement du monde animale et que les prochains à disparaitre ce sera nos pommes. J’espère néanmoins que nous arriverons à compren dre et rapidement qu’il va falloir décidément changer de méthode. Entre temps puisse l’Art nous consoler et agrémenter nos journées.
En vous souhaitant une bonne lecture je vous donne ren dez vous au mois de décembre. Vittorio E. Pisu
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Photos vittorio.e.pisu
ARRUBIU ART GALLERY CAFE’ Via Giuseppe Mazzini 88 Oristano 09170 +33 347 1342 452 +33 350 044 2249 chiara@arrubiuartcafe.com arrubiuartcafe.com vittorio.e.pisu@email.it vimeo.com/unisvers Foto jeanturco Projet Graphique Maquette et Mise en page L’Expérience du Futur SARDONIA a cura di Chiara Cossu & Vittorio E. Pisu dal 20 Novembre 2022 all’8 Gennaio 2023 Vernissage domenica 27 Novembre 2022 COLLETTIVA DI FOTOGRAFIA
Photo wikimedia
gtved Girl est le nom donné aux restes bien conservés d’une jeune femme nordique de l’âge du bronze, qui a vécu vers 1390-1370 avant J.-C., dont la sépulture a été découv erte au Danemark en 1921, près d’Egtved.
Elle était âgée d’environ 16-18 ans au moment de son décès, était de corpulence mince, mesurait 160 centimètres, avait des cheveux blonds courts et des ongles bien soignés.
Sa tombe a été datée d’environ 1370 avant Jés us-Christ. Elle a été découvert avec les restes in cinérés d’un enfant dans un monticule d’environ 30 mètres de large et 4 mètres de haut.
Tout ce qui a été conservé de la jeune fille, ce sont ses cheveux, son cerveau, ses dents, ses ongles et une partie de sa peau.
Dans le monticule, fouillé en 1921, un cercueil avec un alignement est-ouest a été trouvé.
Il a été transporté scellé au Musée national danois de Copenhague, où les restes ont été découverts.
La fille avait été enterrée entièrement vêtue sur une peau de vache.
Elle portait un corsage ample avec des manches qui arrivaient au coude.
Elle avait la taille nue et portait une jupe courte faite de ficelles.
Elle avait des bracelets en bronze et une ceinture en laine avec un grand disque décoré de spirales et un clou.
À ses pieds, on a trouvé les restes incinérés d’un en
EGTVED GIRL
fant âgé de 5 à 6 ans.
À côté de sa tête se trouvait une petite boîte en écorce de bouleau con tenant un poinçon, des épingles en bronze et un filet à cheveux.
On a également trouvé dans le cercueil des fleu rs d’achillée millefeuille et un récipient qui avait contenu de la bière faite à partir de blé, de miel, de myrte des marais et de canneberge.
Sa robe caractéristique, qui a fait sensation lor squ’elle a été mise au jour en 1921, est l’exemple le mieux préservé d’un sty le populaire en Europe du Nord à l’âge du bronze.
La bonne conservation des restes de la jeune fille Egtved est due aux con ditions acides du sol.
Les analyses de stron tium dans ses cheveux, ses ongles et ses den ts indiquent qu’elle est probablement née et a grandi dans le sud-ouest de l’Allemagne, près de la Forêt-Noire, et qu’el le a beaucoup voyagé au cours des dernières an nées de sa vie
Bien que son décès date d’il y a 3500 ans environ, la fille d’Egtved nous ra conte une histoire étonn amment moderne.
Une nouvelle analyse de la célèbre femme de l’Âge de Bronze, dont les restes ont été retrouvés enterrés près d’Egtved au Danemark en 1921, lais se penser qu’elle est née dans une autre région et qu’elle a beaucoup voya gé durant sa vie.
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(suit de la page 3)
Loin d’être femme au foyer, la fille d’Egtved incarne un style de vie cosmopolite et mobile.
« Nous nous voyons au jourd’hui comme des êtres très développés et considérons la mon dialisation comme une tendance nouvelle », explique Karin Frei, ar chéologue au Musée Na tional du Danemark et auteur principal de cette nouvelle étude, publiée en mai 2015 dans Scien tific Reports.
« Mais plus nous regar dons en arrière, plus la préhistoire semble déjà mondialisée. »
Frei est une spécialiste de l’analyse des varia tions dans la composition moléculaire du stron tium, un élément très présent dans le substrat rocheux de la Terre et qui s’accumule dans les tissus des plantes et des êtres vivants.
Les variations diffèrent d’une zone à l’autre, créant ainsi des indica teurs témoins locaux qui font office, selon Frei, de « GPS géologique ».
En comparant les traces de strontium présentes sur la fille d’Egtved à des signatures isotopiques de strontium, chacune pro pre à une localisation en Europe du nord-ouest, il a été possible de déterm iner où elle a vécu à di vers moments de sa vie.
Les signatures de stron tium trouvées au niveau de ses dents, qui remontent à l’enfance, indiquent qu’elle est pro
bablement née dans l’actuel sud-ouest de l’Allema gne, soit à près de 800 kilomètres d’Egtved. Difficile d’indiquer l’endroit précis mais les fibres de laine des vêtements de la fille, une blouse et une jupe qui ne paraîtraient pas démodées aujourd’hui, sem blent provenir de la région allemande de la Forêt Noi re. « Elle est tellement connue au Danemark.
Les enfants apprennent son histoire à l’école », ra conte Frei. « Et elle est certes une découverte danoi se, mais c’était une femme du monde à double titre. » Ses cheveux et un ongle, qui contiennent le strontium accumulé pendant les deux dernières années de sa vie, racontent deux voyages effectués entre le Danemark et son lieu de naissance.
LA VIE À L’ÂGE DE BRONZE
Il est impossible de connaître les raisons qui poussa ient la fille d’Egtved à voyager, mais l’Âge de Bronze était une époque où les alliances entre chefferies se développaient.
Frei pense que la fille d’Egtved, qui avait entre 16 et 18 ans au moment de sa mort, a été contrainte d’épouser un homme dans le but de forger une telle alliance et de favoriser ainsi les échanges commer ciaux entre régions.
L’étude « soulève des questions au sujet des rangs sociaux de l’époque, de la nature des rapports lon gue-distance et de l’importance du voyage à l’Âge de Bronze », déclare Jonathan Last, un chercheur d’Hi storic England spécialisé dans l’Âge de Bronze.
Last met en garde sur le fait que, faute de preuves, il
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est compliqué de dire si la fille d’Egtved a déménagé pour un mariage arrangé ou pas.
Au contraire, « je me demande si ces allers-retours évidents n’impliquaient pas plutôt une grande auto nomie chez la jeune femme », s’interroge-t-il.
Les femmes scandinaves de cette époque avaient par fois un certain pouvoir politique, notamment en l’ab sence de successeurs mâles dans la famille, d’après Flemming Kaul, un spécialiste de l’Âge de Bronze au Musée National du Danemark.
« Il est possible que les femmes du Nord aient été en position, à l’Âge de Bronze, de mener de négociations et d’établir des alliances elles-mêmes, et pas nécess airement à travers les liens du mariage», explique Kaul.
De ce point de vue, la fille d’Egtved aurait bénéfi cié des nouvelles coutumes sociales encourageant la générosité envers les voyageurs et les invités. Ceci aurait contribué à rendre les déplacements lon gue-distance possibles et à jeter les bases d’une écon omie basée sur les échanges commerciaux.
C’est grâce à la fille d’Egtved que de telles perspecti ves sont envisageables ; des recherches plus appro fondies pourraient même ouvrir d’autres possibilités. « D’une certaine manière, elle devient de plus en plus mystérieuse », souligne Frei. « Elle a été retrouvée il y a longtemps déjà, et elle a pourtant encore beaucoup de choses à nous raconter. » Brandon Keim https://www.nationalgeographic.fr/histoire/la-vie-eton namment-moderne-dune-femme-de-lage-de-bronze?
eintre français (né à Rodez, Aveyron, 1919 - Rodez 2022).
Il se forme en autodi dacte dans sa ville nata le, étudiant les vestiges de l’art préhistorique et romain : en 1946, il s’in stalle à Paris.
Après une série de pay sages austères et drama tiques, vers cette même année, les premiers si gnes d’un langage ab strait, basé sur des lignes de force, apparaissent dans les œuvres de S.. Dans sa recherche sévère et constante d’un langa ge essentiel, sa peintu re reçoit une empreinte dramatique vigoureuse de la disposition structu rellement organisée de marques sombres violen tes sur des fonds gris ou clairs, parfois animés par une touche stridente de rouge, de bleu ou de vert. Associé depuis la fin des années 1940 à l’art abstrait, il est particu lièrement connu pour son usage des reflets de la couleur noire, qu’il ap pelle « noir-lumière » ou « outrenoir ».
Il est l’un des principaux représentants de la pein ture informelle.
Pierre Jean Louis Ger main Soulages est né à Rodez, rue Combarela,2, en 1919. Il est le fils d’A mans Soulages, carros sier (fabricant de voitures à cheval), et d’Aglaé Zoé Julie Corp.
Amans Soulages avait été marié une première fois avec Lucie Pélagie Galtier, (suit page 6)
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Photo edward coley-burnes jones
(suit de la page 5) décédée en 1902 quel ques semaines après avo ir donné naissance à leur premier enfant, Gaston Pierre Amans Soulages.
En 1926, Pierre est élève à l’institution Saint-Joseph, un pensionnat fondé et dirigé par les Frères des écoles chrétiennesb et perd son père malade d’un cancer du pancréas. Il est désormais élevé par sa mère et sa sœur Antoi nette, de quatorze ans son aînée.
« J’ai été élevé par deux mères qui portaient le deuil ».
Sa mère prend alors la charge d’un magasin d’articles de chasse et de pêche.
Dès son plus jeune âge, à Rodez, Soulages est fa sciné par les vieilles pier res, les matériaux patinés et érodés par le temps, l’artisanat de son pays du Rouergue, passant beau coup de temps dans les boutiques des artisans du cuir, du fer et du bois, et ses âpres paysages, parti culièrement les Causses.
Il a tout juste huit ans lorsqu’il répond à une amie de sa sœur aînée qui lui demande ce qu’il est en train de dessiner à l’encre sur une feuille blanche : un paysage de neige.
« Ce que je voulais faire avec mon encre, dit-il, c’était rendre le blanc du papier encore plus blanc, plus lumineux, comme la neige. C’est du moins l’explication que j’en donne maintenant. »
À douze ans, alors qu’il est élève au lycée Foch,
PIERRE SOULAGES 19192022
son professeur l’emmène, avec sa classe, visiter l’ab batiale Sainte-Foy de Conquesc, où se révèlent sa passion de l’art roman et le désir confus de devenir un artiste.
En 1936, il obtient le 1er prix dans la catégorie “hi stoire de l’art”.
Il reçoit aussi, par l’intermédiaire de publications, le choc émotionnel des peintures rupestres des grottes du Pech-Merle dans le Lot, de Font-de-Gaume en Dordogne, d’Altamira en Cantabrie (Espagne), puis de Lascaux en Dordogne (découverte en 1940).
Plus tard, il accompagnera dans ses recherches l’archéologue Louis Balsan et découvrira lui-même, au pied d’un dolmen, des pointes de flèches et des tes sons de poteries préhistoriques qui entrent au musée Fenaille de Rodez, d où il a été auparavant bouleversé par la collection des statues-menhirs datant du Néol ithique (tout particulièrement la statue-menhir de la Verrière).
À partir de 1934, Pierre Soulages commence à pein dre quotidiennement, des paysages d’hiver, des arbres sans feuilles, noirs, se détachant sur des fonds clairs : « Ce qui m’intéressait était le tracé des branches, leur mouvement dans l’espace… ».
Après l’obtention de son baccalauréat, en juin 1938, il part s’installer à Paris en septembre et s’inscrit à l’atelier privé du peintre et lithographe René Jaudon (rue de la Tombe-Issoire), qui le remarque : « Il faut viser le prix de Rome ! Toutes les audaces vous seront permises ! ».
Photo beauxarts
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Il peint notamment la toile “Le Pont Neuf” qui sera vendue une première fois dès 1940 puis adjugée aux enchères à Nîmes 80 ans plus tard.
À la demande de son professeur, il se présente au con cours d’entrée à l’École des beaux-arts.
Il y est admis en avril 1939 mais est vite découragé par la médiocrité et le conformisme de l’enseigne ment qu’on y reçoit.
Pendant ce bref séjour dans la capitale, il visite le mu sée du Louvre, le musée de l’Orangerie où il admire “Les Nymphéas” de Monet et voit, à la galerie Paul Rosenberg, des expositions de Cézanne et Picasso qui sont pour lui des révélations, l’incitant à regagner Ro dez pour se consacrer pleinement à la peinture. Il est mobilisé en 1940 et envoyé à Bordeaux (il est élève officier).
Après l’Armistice en juin, il rejoint les chantiers de jeunesse à Nyons dans la Drôme.
Le 13 février 1941, démobilisé, il s’installe en zone libre, à Montpellier (il est témoin de la rencontre en tre Pétain et Franco qui s’y déroule le même jour), et fréquente assidûment le musée Fabre où il admire “Les Baigneuses” de Courbet, “Descente de croix” de Pedro de Campaña ou bien encore “Sainte Agathe” de Francisco de Zurbaráne.
D’avril 1941 à juin 1942, il prépare le professorat de dessin à l’École des beaux-arts de Montpellier où il rencontre Colette Laurens (née le 14 mars 1921), qu’il épousera le 24 octobre de la même année à l’ég lise Saint-Louis de Sète.
Réfractaire au STO, il obtient de faux papiers et devient régisseur dans le vignoble du mas de la Valsière à Grabels.
Il fait alors la connais sance de l’écrivain Jose ph Delteil, qui croit en lui dès les premiers instants.
Ce dernier lui dira : «Vous peignez avec du noir et du blanc, vous prenez la peinture par les cornes, c’est-à-dire par la ma gie.»
Au début de 1943, il ren contre également Sonia Delaunay qui l’initie à l’art abstrait.
En juin 1944, mobilisé à nouveau au moment de la Libération, il se rend à Toulouse où il se lie avec Vladimir Jankélévitch et son beau-frère Jean Cas sou, qui deviendra l’un des premiers défenseurs de son œuvre.
Démobilisé à la fin de cette même année, il re tourne à la Valsière. Entre 1942 et 1945, il n’aura quasiment pas peint.
Le 14 mars 1946, Pierre Soulages s’installe dans la banlieue parisienne (à Courbevoie, au no 3 de la rue Saint-Saëns) et se consacre désormais en tièrement à la peinture.
Rompant définitivem ent avec la figuration, il commence à produire des œuvres sur papier, utili sant le fusain ou le brou de noix, et de grandes toiles sombres, refusées au Salon d’automne de 1946.
Sur les conseils de son ami peintre Francis Bott, (suit page 8)
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(suit de la page 7)
il en expose trois au quatorzième Salon des Su rindépendants (un salon sans jury) d’octobre à novembre 1947, où cel les-ci, d’une « impres sionnante symphonie de sombres coloris », con trastent avec les autres toiles présentées, com positions colorées des peintres Roger Bissière, Jean Le Moal ou Alfred Manessier qui domi nent à l’époque : « Avec l’âge que vous avez et avec ce que vous faites, vous n’allez pas tarder à avoir beaucoup d’en nemis», le prévient alors Picabia (rencontré un peu plus tard à la Galerie René Drouin), qui quali fie néanmoins une de ses œuvres de « meilleure toile du Salon »
En décembre 1947, il trouve un atelier à Paris, au no 11 bis de la rue Victor-Schœlcher, près de Montparnasse (il oc cupera plusieurs ateliers dans la capitale ainsi qu’à Sète, sur les pentes du Mont Saint-Clair, à partir de 1961).
À partir de 1948, il expérimente la technique du goudron sur verre. Il participe à des exposi tions à Paris (« Prises de terre, peintres et sculp teurs de l’objectivité » à la galerie René Breteau en févrieri, troisième Sa lon des réalités nouvelles en juilletj) et en Europe, notamment à « Grosse Ausstellung Französis che abstrakte Malerei» (un de ses brous de noix, traité en négatif, sert
d’ailleurs d’affiche à l’exposition) organisée en no vembre par le collectionneur Ottomar Domnick (de), dans plusieurs musées allemands, aux côtés des pre miers maîtres de l’art abstrait comme Del Marle, Do mela, Herbin, Kupka, Piaubert, etc.
En mai 1949, il obtient sa première exposition per sonnelle à la galerie Lydia Conti à Paris et participe pour la première fois au Salon de mai (il y participera jusqu’en 1957) ; il expose également à la galerie Otto Stangl de Munich, à l’occasion de la fondation du groupe Zen 49, ainsi qu’à la galerie Betty Parsons de New York, en compagnie de Hans Hartung et Gérard Schneider, pour l’exposition intitulée Painted in 1949, European and American Painters.
La même année, le musée de Grenoble acquiert une de ses œuvres, Peinture 145 × 97 cm, 1949, la pre mière à entrer dans une collection publique23.
De 1949 à 1952, Soulages réalise plusieurs décors de théâtre (notamment pour la pièce “Héloïse et Abélard” de Roger Vailland, créée au Théâtre des Mathurins et “La Puissance et la Gloire” d’après le roman de Graham Greene, au Théâtre de l’Athénéek) ou de bal let (“Abraham” de Marcel Delannoy au Théâtre du Capitole de Toulouse et “Quatre gestes pour un génie” de Maurice Cazeneuve au Château d’Amboise, tous deux chorégraphiés par Janine Charrat) et exécute ses premières gravures à l’eau-forte à l’atelier Lacourière (rue Foyatier à Montmartre).
En 1950, il figure dans des expositions collectives à New York (galerie Sidney Janis pour l’exposition
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Photo hackthematrix
France-Amérique), Londres, São Paulo, Copenhague. D’autres expositions de groupe présentées à New York voyagent ensuite dans plusieurs musées américains, comme « Advancing French Art » (1951), « Younger European Painters » (musée Guggenheim, 1953).
Dès le début des années 1950, ses toiles commencent à entrer dans les plus grands musées du monde comme la Phillips Memorial Gallery à Washington (Peinture 162 × 130 cm, 10 avril 1950 en 1951), le musée Gug genheim (Peinture 195 × 130 cm, mai 1953 en 1953) et le Museum of Modern Art de New York (Peintu re 193,4 × 129,1 cm, 1948-1949 en 1952)26, la Tate Gallery de Londres (Peinture 195 × 130 cm, 23 mai 1953 en 1953), le musée national d’Art moderne de Paris (Peinture 146 × 114 cm, 1950 en 1952), le mu sée d’Art moderne de Rio de Janeiro (Peinture 195 × 130 cm, 25 juillet 1953 en 1955l), etc.
En janvier 1954, Samuel M. Kootz (en), le marchand d’art de Picasso aux États-Unis, contacte Soulages et organise dans sa galerie new-yorkaise sa première exposition personnelle Outre-Atlantique.
L’année suivante, le peintre participe à la première documenta à Cassel en Allemagne.
En décembre 1957, il transfère son atelier au no 48 de la rue Galande, dans le quartier de la Sorbonne, où il reçoit de nombreux artistes et collectionneurs. Il se remet à la gravure (exposition personnelle de gouaches et gravures organisées par Heinz Berggruen à Paris) et part pour la première fois à New York, où il rencontre de nombreux peintres américains (Wil
liam Baziotes, Adolph Gottlieb, Willem de Kooning, Franz Kline, Robert Motherwell ou encore Mark Rothko, avec qui il se lie d’amitié).
En 1960 ont lieu ses premières expositions rétrospectives dans la galerie de Hanovre (la Kestnergesellschaft), le musée de Essen (musée Folkwang), en 1961 au Kunsthaus de Zurich et au musée municipal de La Haye, en 1966 au mu sée des Beaux-Arts de Houston.
En 1963, il participe à la septième Biennale de São Paulo, l’un des trois principaux événements du circuit international de l’art.
De nombreuses autres expositions suivent, no tamment en 1968 au musée d’art contempo rain de Montréal ou celle qu’organise de manière itinérante en France André Parinaud, Trente créateurs, en 1975-1976 aux côtés de Pierre Alechinsky, Oli vier Debré, Hans Har tung, François Heaulmé, Roberto Matta, Zoran Mušič et Édouard Pi gnon.
En 1965, à la demande du musée Suermondt-Lu dwig d’Aix-la-Chapelle, Soulages réalise son pre mier vitrail27, mosaïque de verres éclatés offrant un dégradé de bleu qui « crée des différences de lumière et de couleur ».
En 1968, il crée une œuvre murale en céramique commandée par les pro priétaires(suit page 10)
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Photo
wikipedia
(suit de la page 9) du One Oliver Plaza, un immeuble à Pittsburgh. Composée de 294 carre aux de céramique formés à la main (28 × 28 cm), la pièce monumentale (3,92 × 6,16 m) est réalis ée avec l’Atelier Mégard (à Puyricard). Intitulée 14 mai 1968, elle prend place dans le hall du bu ilding (en 2010, la pièce est restaurée et réinstall ée dans la Soulages Gal lery du Butler Institute of American Art de Young stown dans l’Ohio). Lors des Jeux olympi ques de Munich en 1972, Soulages est retenu parmi les « meilleurs artistes de l’époque » pour réaliser une affiche.
Entre le printemps 1972 et le début de 1974, Sou lages ne peint pas, pre mière longue pause dans son œuvre sur toile.
Il se remet à l’eau-forte, à la lithographie et aborde pour la première fois la sérigraphie.
Au printemps 1974, il aménage son nouvel ate lier au no 14 de la rue Saint-Victor (quartier Saint-Victor), au deu xième étage d’un immeu ble du xviiie siècle.
En février 1978, il fait partie des membres fon dateurs du Comité des in tellectuels pour l’Europe des libertés.
En janvier 1979, lors d’un travail sur une toi le, Soulages ajoute et retire du noir : « Depuis des heures, je peinais, je déposais une sorte de pâte noire, je la retirais, j’en ajoutais encore et je
la retirais. J’étais perdu dans un marécage, j’y pa taugeais. Cela s’organisait par moments et aussitôt m’échappait ».
Ne sachant plus quoi faire, il quitte l’atelier, désemp aré. Lorsqu’il y revient deux heures plus tard : « Le noir avait tout envahi, à tel point que c’était comme s’il n’existait plus ».
Cette expérience marque un tournant dans son travail. La première toile recouverte intégralement de noir est Peinture 162 × 127 cm, 14 avril 1979, conservée au musée Fabre de MontpellierG 4.
À l’automne de la même année, le Centre national d’art et de culture Georges-Pompidou organise Sou lages, peintures récentes, qui expose ses premières peintures monopigmentaires, fondées sur la réflexion de la lumière sur les états de surface du noir, qu’il appellera en 1990 outrenoir : « au-delà du noir une lumière reflétée, transmutée par le noir. Outrenoir : noir qui cessant de l’être devient émetteur de clarté, de lumière secrète. Outrenoir : un autre champ men tal que celui du simple noir ».
En 1984, Soulages reçoit une commande publique pour la réalisation de deux tapisseries destinées à or ner une salle du nouveau bâtiment du ministère des Finances.
Attelé au projet dès 1985 au sein de la manufacture de la Savonnerie, il livre deux cartons peints au brou de noix puis, l’année suivante, met au point avec les teinturiers les différents tons qu’il désire voir rendus.
Les tapisseries Savonnerie I, 4,30 × 10,75 m, 1985 et
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Photo hackthematrix
Savonnerie II, 4,30 × 10,75 m, 1985 sont terminées et livrées en 1991.
En 1986, il se voit confier par le ministère de la Cultu re, mené alors par Jack Lang, une commande excep tionnelle.
Sept années de travail, en collaboration avec l’atelier du maître-verrier Jean-Dominique Fleury à Toulouse, lui sont nécessaires pour réaliser les 104 vitraux pour les 95 fenêtres et neuf meurtrières de l’abbatiale Sain te-Foy de Conques (en remplacement de ceux posés en 1952).
De nombreuses recherches sur la matière ont lieu et aboutissent à la création d’un verre unique, blanc et translucide, composé de grains de verre aggloméré et de verre cristallisé, diffusant ainsi la lumière à l’intérieur de l’édifice, tout en occultant ce qui se passe à l’extérieur31.
Les nouveaux vitraux sont inaugurés le 26 juillet 1994 en présence du ministre de la Culture, Jacques Toubon.
En 2004, il abandonne l’usage de la peinture à l’huile pour celui exclusif de l’acrylique qui, riche de nou velles possibilités quant à la réflexion de la lumière (effets de matière beaucoup plus importants et possi bilité de contrastes mat/brillant), permet de modeler l’épaisseur, sèche assez rapidement sans craqueler même lorsque la couche est profonde.
À partir de cette année-là, Soulages inaugure ce que Pierre Encrevé nomme la « seconde période de l’ou trenoir ».
Pierre Soulages meurt au centre hospitalier universitaire de Nîmes35 le 26 octobre 2022, à l’âge de 102 ans, comme l’annon ce son entourage à l’AFP.
Sa mort advient quelques jours après la célébrati on de ses noces de chêne (80 ans de mariage) avec son épouse Colette, alors âgée de 101 ans.
Le jour de son décès, les hommages du monde ar tistique et politique se multiplient.
Le président Emmanuel Macron rend hommage à ses œuvres, « métaphores vives où chacun de nous puise l’espoir » tandis que la ministre de la Cul ture Rima Abdul-Malak déclare que la mort du peintre « qui a toujours repoussé les frontières de la peinture […] est une grande perte pour le monde de l’art et la Fran ce ». François Hollande, Carole Delga, Xavier Bertrand, Élisabeth Bor ne et Michaël Delafosse, maire de Montpellier où une partie du musée Fa bre lui est consacré, lui rendent également hom mage.
Soulages a choisi l’ab straction, car il dit ne pas voir l’intérêt de passer « par le détour de la re présentation […]. Je ne représente pas, dit-il, je présente. Je ne dépeins pas, je peins ».
Son approche picturale n’est pas celle de choix prédéfinis mais s’élabore dans la peinture en train d’être « faite » et dans les interactions entre le pein tre (suit page 12)
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(suit de la page 11) et sa réalisation lors du processus de création, dans les rapports aux for mes, proportions, dimen sions, couleurs, etc.
À ses débuts, sa pein ture est proche du style abstrait d’Hans Har tung, avec une palette restreinte dont les effets de clair-obscur sont per ceptibles, y compris en transparence.
« Des anciens brous de noix et goudrons sur verre à ces outrenoirs récents, le parcours artistique de Pierre Soulages décrit un imprévisible chemin d’a venture et de renouvelle ment, et, en même temps, affirme une fidélité rigou reuse à une même quête celle d’un art, dit-il, « qui ne transmet pas de sens, mais fait sens […], qui est avant tout une chose qu’on aime voir, qu’on aime fréquenter, origine et objet d’une dynamique de la sensibilité ». Bruno Duborgel, in Sou lages, dix-neuf peintu res au Louvre, Bernard Chauveau Éditeur, 2020 Périodes et techniques Le critique d’art Pierre Wat distingue cinq cycles, avant 1979, en fonction des techniques ou des matières employées ainsi que des variations de for me et de fond modifiant les caractéristiques des œuvres (formats, effets visuels).
“Ces cycles, dans une logique de l’exploration et de l’épuisement des moyens, étant chaque fois une nouvelle tentative de réponse à l’interrogation
originelle du peintre sur le rapport entre matière, couleur et forme.
Sur papier blancn, Soulages vient appliquer sa préparation au brou de noix (à l’origine destiné à teinter le bois) avec de larges brosses et trace des formes sombres, graphiques, parfois qualifiées de « signes », qui se détachent nettement du fond clair.
La forme faisant écho à la lumière du fond.
Un graphisme simple, viril, presque rude, des harmo nies sombres et chaudes, un sens naturel de la pâte et des possibilités spécifiques de la peinture à l’huile, et surtout, peut-être un son à la fois humain et concret, voilà l’apport de Soulages à la peinture abstraite. » Charles Estienne, in Combat, 25 mai 1949 1949-1956
Les formes-signes, pourtant dépourvues de significa tion, rappellent un semblant d’écriture cunéiforme. Elles dialoguent avec des fonds colorés non unifor mes, créant ainsi des effets de clair-obscur.
La forme sombre se transforme, les bandes de cou leur s’élargissent, le contraste se fait sur des accords moins binaires.
Le signe tend à disparaître au profit du rythme (agen cement d’horizontales et de verticales).
« Venant d’un fond qui laisse apercevoir ses trouées de clarté entre les membres plus sombres d’une forme nouée, la lumière non seulement crée l’espace, mais, sans modeler à proprement parler la forme, la définit, l’écrit, l’installe, et souligne ses noirceurs d’une sor te de frange colorée. »
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À partir de 1959, la couleur (le blanc, le rouge ou le bleu), est posée sur la toile en premier, avant d’être recouverte d’un noir épais. Ce n’est que dans un troi sième temps, celui de l’arrachage de matière, nommé parfois « raclages » et obtenu par des outils plus lar ges, que le peintre fait réapparaître (il creuse au cou teau la peinture fraîche) une partie de la couleur, sous le noir.
« À l’intérieur d’une gamme colorée certes réduite, privilégiant les terres, les ocres, les noirs, Soulages use maintenant volontiers d’effets de clair-obscur. Il fait apparaître une couleur plus claire par arrache ment, raclant plusieurs couches de peinture pour rév éler des couches inférieures. Par le jeu des opacités et des transparences, il fait sourdre la couleur-fond, et, venue de si loin, la lumière n’en paraît que plus intense. »
Alfred Pacquement, in Soulages, catalogue d’exposi tion, Tokyo, The Seibu Museum of Art, 1984
Le raclage disparaît presque complètement, la ma tière colorée devient plus fluide, les formes traitées en aplats s’étalent en largeur.
Le tableau “Peinture 256 × 202 cm, 24 novembre 1963” (sur un fond brossé ocre clair transparent, la toile est partiellement envahie par une nappe noire très fluide qui efface tout geste de dépose), “Peintu re 97 × 130 cm, 29 mai 1965” ou encore “Peinture
162 × 130 cm, 21 octobre 1966” sont emblématiques de cette période.
« Voyez à l’exposition tous ces rouges, ces bleus, ces ocres qui, même dans les dernières toiles presque entièrem ent recouvertes d’une én orme tache noire, éclat ent, fusent, transpercent l’obscurité et semblent ramper sous la sombre écorce. »
André Fermigier, Le noir n’est pas si noir, in Le Nouvel Observateur, 29 mars 1967
À partir de 1968, le pein tre délaisse la couleur et ne travaille plus qu’avec le noir et le blanc, le noir ayant tendance à occuper une place de plus en plus importante dans la toile dont le format s’agrandit. « J’ai commencé à faire une série de peintures en noir sur blanc, retour nant à un ascétisme ci stercien. J’ai senti per sonnellement le besoin profond, l’exigence de ce retour. » Pierre Soulages Autre changement no table : les formes ordon nées et répétées, comme une écriture horizontale, à lire de gauche à droite. Par ce rythme, cette scan sion musicale, l’artiste introduit dans son œuvre la dimension du temps. Retour du travail sur pa pier : eau-forte, litho graphie et sérigraphieF 1. Soulages fait revivre trois plaques de cuivre préalablement utilisées pour leur empreinte sur le papier : elles sont agran dies, moulées, fondues et pliées. (suit page 14)
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Bernard Dorival, in Pierre Soulages, catalogue d’exposition, Paris, musée national d’art moderne, 1967
(suit de la page 13)
Il en résulte trois bronzes, polis ou creusés di rectement par l’artiste : Bronze I (1975), Bronze II (1976) et Bronze III (1977), pièces uniques tirées à trois ou cinq exemplaires.
« La planéité ayant di sparu, il y avait des sor tes d’ondulations que je pouvais ou renforcer en les polissant, ou creuser même en les attaquant directement. J’ai joué avec la lumière qui bril lait sur les surfaces lisses et l’ombre qui était là, fixe, à l’endroit qui corre spondait à ce que j’avais gravé autrefois sur le cu ivre.
»
Pierre Soulages Après 1979, ses tableaux font beaucoup appel à des reliefs, des entailles, des sillons dans la ma tière noire qui créent à la fois des jeux de lumière et de couleurs.
Car ce n’est pas la valeur noire elle-même qui est le sujet de son travail, mais bien la lumière qu’elle révèle et organise: il s’a git donc d’atteindre un au-delà du noir, d’où le terme d’outre-noir uti lisé pour qualifier ses tableaux depuis la fin des années 1970; d’où aussi l’utilisation du qualifica tif « monopigmentaire » de préférence à celui de « monochrome » pour qua lifier sa peinture.
Soulages évoquera « un basculement » pour si gnifier que ce n’est pas une rupture radicale avec le passé mais davanta ge une « rupture avec la
conception classique de la peinture » qui s’efforce d’éliminer le reflet, contrairement à ses outrenoirs.
«
Ses toiles géantes, souvent déclinées en polypty ques, ne montrent rien qui leur soit extérieur ni ne renvoient à rien d’autre qu’elles-mêmes. Devant el les, le spectateur est assigné frontalement, englobé dans l’espace qu’elles sécrètent, saisi par l’intensité de leur présence. Une présence physique, tactile, sen suelle et dégageant une formidable énergie contenue. Mais métaphysique aussi, qui force à l’intériorité et à la méditation. Une peinture de matérialité sourde et violente, et, tout à la fois, d’« immatière » changeante et vibrante qui ne cesse de se transformer selon l’an gle par lequel on l’aborde. » Françoise JauninA 1
L’outrenoir présente une variété d’effets : utilisation de couleurs comme le brun ou le bleu, mêlées au noir ; utilisation du blanc en contraste violent avec le noir et du blanc sur l’entière surface de la toile.
« Dans la proximité de l’outrenoir, le bleu vient ren forcer cette transmutation du noir en lumière. Il ne s’agit plus alors d’un accord entre noir et bleu, mais au contraire, pour Soulages, d’un rapport tonal, d’u ne véritable continuité chromatique entre le bleu, l’outrenoir et la lumière qu’il réfléchit : la lumière na turelle est bleue et c’est pourquoi la couleur bleue va créer une continuité entre le noir et la lumière qu’il reflète. »
Pierre Encrevé
Le travail de la lumière par reflet se fait au départ, et
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Photo www.turista.info
pendant un certain nombre d’années, sur l’opposition parties lisses/parties striées mais, assez rapidement, il n’y a plus que des stries.
Entre 1999 et 2001, le contraste noir et blanc fait son retour mais sous une forme radicalement neuveE 4. Apparaissent aussi des panneaux entièrement lisses avec, dans le courant des années 2000, la coexistence d’un noir mat et d’un noir brillant.
Il y a en outre une grande diversité sur le plan de l’ap proche de la surface, des formats (recours aux polyp tyques, surtout verticaux) et dans la structure formel le.
« Depuis 2004, Soulages ne travaille plus avec de l’huile mais avec des résines autorisant des épaiss eurs qu’il n’avait jamais atteintes ; sur une surface noire unie, brillante, émettrice d’une clarté apaisée, il grave un à un des sillons de plus en plus profonds rythmant l’espace de la toile, de larges entailles sen suelles provoquant une émotion troublante dans la grandeur majestueuse d’un silence proprement pictu ral.
»
Pierre Encrevé, in “90 Peintures sur toile”, Gallimard, 2007 Œuvre gravé et imprimé
L’œuvre imprimé de Soulages est rare, limité à 43 gravures, 49 lithographies, 26 sérigraphies, soit 118 œuvres, avec des tirages allant de 65 à 300 exemplai res.
Si les premières œuvres sont directement liées à des peintures sur toile ou sur papier, les suivantes sont
sans lien avec ses pein tures antérieures ou à venir. Soulages utilise alors la gravure comme un moyen d’expression à part entière, créant des œuvres qui tirent parti des spécificités de chaque technique de gravure.
Œuvres sur papier Réalisées à l’aide de dif férents médiums (l’encre de Chine, la gouache, le brou de noix ou enco re le fusain), ces œuvres constituent un ensemble unique au sein de sa pro duction, qui s’étend des années 1940 aux années 2000.
Elles ont fait l’objet d’u ne exposition en 20182019 au musée Soulages de Rodez, intitulée “Pier re Soulages, œuvres sur papier Une présentation“ et réunissant cent dixsept d’entre elles.
Soulages a réalisé plus de 1 700 toiles dont les titres sont pour la plupart composés du mot « peinture» suivi de la mention du formato.
Il est l’une des person nalités à l’origine de la création de la chaîne de télévision Arte.
Un timbre-poste Pier re Soulages est émis en France en 1986.
Le compositeur Gil les Racot compose une pièce en 1987, Noctuel, ou Hommage à l’œuvre de Pierre Soulages, pour basson et bande.
Il est le premier artiste vivant invité à exposer au musée de l’Ermitage de Saint-Pétersbourg (mai 2001), puis à la galerie Tretiakov (suit page 16)
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Photo caissededepot
(suit de la page 15) de Moscou (septembre de la même année). À partir de 2002, il est même le seul peintre vivant à avoir une toi le conservée en Russie : Peinture 220 × 324 cm, 19 janvier 1995, acquise par le musée de l’Ermi tage et exposée au qua trième étage du bâtiment de l’État-Major, salle 44.
En 2007, le musée Fa bre de Montpellier lui consacre une salle pour présenter la donation fai te par le peintre à la ville. Cette donation comprend vingt tableaux de 1951 à 2006, parmi lesquels des œuvres majeures des an nées 1960, deux grands outre-noir des années 1970 et plusieurs grands polyptyques.
Lors de l’exposition tem poraire en 2012-2013 intitulée Soulages xxie siècle, le musée des Be aux-Arts de Lyon acquiert trois toiles qui figurent dans l’espace permanent des peintures contemporaines.
En 2020, la municipa lité de Nauviale dans le département de l’A veyron a donné le nom du peintre à l’avenue princi pale de la commune qui emprunte la RD 90146. La compositrice Édith Canat de Chizy crée en 2021 (à l’Opéra de SaintÉtienne dans la salle du Théâtre Copeau), la pièce Outrenoir, pour alto et or chestre.
En 2022, la maison horlogère suisse Baume & Mercier réalise une mon tre hommage à Pierre
Soulages de la collection « Hampton », inspirée li brement d’un “Outrenoir, Peinture 390 × 130 cm, 17 mars 2019”, produite à la demande, dans la limite de 102 pièces (en écho à l’âge de l’artiste) et individuel lement numérotée.
À l’occasion de son 90e anniversaire, le Centre na tional d’art et de culture Georges-Pompidou présente du 14 octobre 2009 au 8 mars 2010 la plus grande rétrospective jamais consacrée à un artiste vivant par le Centre depuis le début des années 1980, avec plus de 2 000 m2 d’exposition49.
Malgré trois semaines de fermeture en raison d’une grève du personnel, l’exposition reçoit 502 000 visi teurs, se classant en quatrième position des exposi tions les plus fréquentées de toute l’histoire du Centre Pompidou.
Parallèlement, le musée du Louvre expose la même année une toile de l’artiste, “Peinture 300 × 236 cm, 9 juillet 2000”, dans le Salon Carré de l’aile Denon. À l’occasion de son 100e anniversaire, le musée du Louvre présente du 11 décembre 2019 au 9 mars 2020 une rétrospective dans le Salon Carré de l’aile Denon avec des toiles empruntées notamment au MoMA de New York, la Tate Modern de Londres ou la National Gallery of Art de Washington ainsi que des œuvres récentes de l’artiste.
Pour cet événement, il a créé en août et octobre 2019 trois nouvelles toiles (Peinture 390 × 130 cm, 13 août 2019, Peinture 390 × 130 cm, 26 août 2019 et Peinture 390 × 130 cm, 18 octobre 2019), peintures verticales
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Photo muséeroberttatin
de grand format pensées uniquement pour cette expo sition et en fonction de l’espace qui leur était réservé.
Le peintre devient ainsi, après Chagall et Picasso, le troisième artiste à connaître de son vivant l’hommage d’une rétrospective au Louvre.
Commentaires
Selon le critique d’art Jacques Bouzerand, « il figure parmi les 10 ou 15 noms de nos deux siècles (xxe et xxie siècles) qui compteront à jamais dans l’histoire mondiale de l’art. »
En 2014, François Hollande le décrit comme « le plus grand artiste vivant dans le monde ». Dans les années 1950 et 1960, les œuvres de Soulages se vendent à la Koozt gallery de New York, plus cher que celles de Mark Rothko. Elles sont achetées par les plus grands collectionneu rs, notamment par les metteurs en scène d’Hollywo od, comme Otto Preminger ou Charles Laughton. Dès le début des années 1980, la cote de Soulages af fiche des enchères supérieures à 100 000 francs et, en 1986, on enregistre un score à plus de 500 000 francs. C’est ensuite l’enchère historique de 264 000 livres (soit 2,65 millions de francs de l’époque), prononcée en novembre 1989 à Londres sur un grand format de 1961.
En février 2022, il figure à la neuvième place des peintres vivants les plus cotés, avec notamment Da vid Hockney, Jasper Johns et Banksy.
Le 26 juin 2013, après que sa toile, “Peinture, 21 no vembre 1959”, s’est vendue à 4,3 millions de livres
(5,1 millions d’euros) à Londres, il devient l’artiste français vivant le plus cher aux enchères.
Le 6 juin 2017, sa toile “Peinture 162 × 130 cm, 14 avril 1962” s’est ven due à 6,1 millions d’eu ros à Paris, devenant ain si son œuvre la plus chère aux enchères.
Le 15 novembre 2018, après que sa toile, “Pein ture 186 × 143 cm, 23 décembre 1959” s’est vendue à 11 millions de dollars, soit 9,2 millions d’euros, (battant le record de l’année précédente) à New York, il devient le premier artiste français vivant à dépasser les dix millions de dollars, in tégrant ainsi un club très fermé.
Le 4 octobre 2019, sa toi le, “Peinture 146 × 114 cm, 6 mars 1960” s’est vendue à 5,5 millions de livres (6,48 millions d’euros) à Londres.
Le 27 novembre 2019, sa toile, “Peinture 200 × 162 cm, 14 mars 1960” s’est vendue à 9,6 millions d’euros à Paris, surpas sant le précédent record.
Le 16 novembre 2021, sa toile, Peinture 195 × 130 cm, 4 août 1961 s’est vendue à 20,2 millions de dollars (17,8 millions d’euros) à New York, dépassant largement le record établi en 2019.
MUSEE SOULAGES
Ce musée abrite à Rodez la plus grande collection au monde de l’artiste. Pierre Soulages accepte en 2005 de léguer plus de 500 œuvres regroupant (suit page 18)
PALAZZI 17 VENEZIA
(suit de la page 17) toutes les techniques employées au cours de sa carrière : peintures, eaux-fortes, sérigraphies, lithographies ainsi que les ébauches des travaux des vitraux de l’abbaye de Conques.
Cette donation est com plétée par les cessions de 2012 et 2020. Le musée consacre 500 m2 de son espace d’expositions temporai res à d’autres artistes. L’artiste pose lui-même la première pierre du mu sée le 20 octobre 2010. Son inauguration a eu lieu le 30 mai 2014.
Une structure comme em preinte d’une histoire : le projet culturel et scienti fique du musée Soulages a été pensé de manière à croiser l’histoire de Pier re Soulages avec les dif férentes manifestations de sa création …
En 2008, RCR Arquitectes associés au cabinet d’architectes Passelac & Roques prennent part au concours de la commu nauté d’agglomération pour la réalisation du fu tur musée Soulages…. A deux pas du centre an cien de Rodez, le musée Soulages est idéalement situé pour poursuivre vo tre visite dans les autres musées de l’agglomérat ion (musée Fenaille et musée Denys-Puech). Jardin du Foirail, avenue Victor Hugo, 12 000 RODEZ Tél : 05 65 73 82 60 museesoulages@museesoula gesrodez.fr musee-soulages.rodezagglo.fr/
uturisme. La naissance de l’avant-garde 1910-1915”, installée dans les salles du Palazzo Zabarella de Padoue, sous la di rection de Fabio Benzi, Francesco Leone et Fernando Mazzocca, se présente comme une exposi tion exceptionnelle qui explore les origines du mou vement de manière totalement inédite, en offrant une vision nouvelle et originale et en invitant à la découv erte d’une réalité artistique jusqu’ici peu, voire pas du tout, dévoilée.
Bien que de nombreuses expositions aient été consa crées au Futurisme au cours des quarante dernières années, aucune ne s’est jamais concentrée de ma nière critique et exhaustive sur les présupposés cul turels et figuratifs, les racines, les différentes âmes et les nombreux thèmes qui ont contribué d’abord à la naissance, puis à la déflagration et à la configuration complète de ce mouvement qui a tant perturbé la re cherche artistique occidentale dans la première moitié du XXe siècle.
Le terme “futurisme” signifie avant tout “art du futur” et, de fait, parmi les avant-gardes du XXe siècle, c’est celle qui est la plus animée par un sentiment révolut ionnaire de renouveau, de rébellion contre la tradition et de confiance dans les possibilités offertes par l’a venir et ses innovations techniques. Les artistes de la première génération de futuristes - Umberto Boccio ni, en premier lieu, puis Carlo Carrà, Luigi Russolo, Antonio Sant’Elia, Giacomo Balla et Gino Severini - se sont fixé pour objectif de réveiller l’art figuratif
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Photo zabarella.it
FUTURISMO La nascita dell’avanguardia la naissance de l’avantgarde 1910-1915 jusqu’au 26 fèvrier 2023 Fondazione Bano via degli Zabarella, 14 35121 Padova, Italy tel. +39 049 8753100 fax. +39 049 8752959 https://www.zabarella.it/
tel qu’il ne pouvait plus être imaginé pour continuer à donner voix à des thèmes éloignés de la réalité, sou vent liés à des sujets religieux et mythologiques.
Le futurisme est la clé de la rupture avec les schémas du passé, devenant également le précurseur des idées et des expériences du dadaïsme, des avant-gardes rus ses et des néo-avant-gardes de la seconde moitié du XXe siècle.
Il devient ainsi l’interprète d’une véritable “révolution” artistique, dont l’idéal est de créer une œuvre d’art “totale” qui transcende les limites trop étroites de la peinture et de la sculpture pour impliquer tous les sens, en faisant du contraste chromatique maxi mal, de la simultanéité (pour déterminer l’effet dyna mique) et de l’interpénétration (pour libérer l’objet de ses limites) ses caractéristiques principales.
Les plus de 100 œuvres exposées dans les salles du Palazzo Zabarella racontent tout cela et bien d’autres choses encore, en suivant un crescendo, toutes appar tenant à une période chronologique assez étroite, de 1910, année de la fondation du mouvement dans le domaine de la peinture, à 1915, année où la publica tion du Manifeste de la reconstruction futuriste de l’u nivers et l’entrée en guerre de l’Italie marquent un net tournant dans la recherche artistique du mouvement. Des œuvres exceptionnelles, dont certaines inédites ou rarement exposées, provenant de galeries, de mu sées et de collections internationales, totalisant plus de 45 prêteurs différents, un corpus vraiment unique qui définit déjà le prestige de l’exposition.
ncontournable dans le monde de la pho tographie du vingt-et-unième siècle, Rémi REBILLARD joue désormais dans la cour des grands.
Né en France, l’artiste a fait le choix de s’installer aux Etats Unis.
C’est lors de son expo sition de Bruxelles, que j’ai vraiment pris con science de la valeur de ce travail qui a déclenché chez moi, l’envie.
La féminitude et ses pa roxysmes, ont suscité, comme dans un miroir intime, le désir d’écrire sur notre belle complexi té, nos fractures, à nous les femmes, observées à travers l’oeil du photo graphe.
Femmes d’un monde en dérive, obsession, fasci nation, la Femme est au coeur de ses préoccupat ions.
De son passage dans l’u nivers très intime de la photographie de mode, il a conservé cette quête de l’attitude qui le différenc ie de ses contemporains et lui confère cette parti cularité.
Ses égéries affichent un regard résolument fixe, qui se voudrait neutre de toute émotion?
Mais l’émotion est ailleu rs et persiste en un lieu différent, autrement, sur un tout autre plan. Captu rer de la femme ce qu’el le affiche d’ambiguïté, ce n’était pas si simple, parole de femme! nous avons tant de difficultés (suit page 20)
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Photo zabarella.it
(suit
à nous appréhender nous-mêmes, car le mi roir ne nous révèle rien, sinon notre infinie com plexité.
Il nous fallait un vrai re gard objectif, celui du photographe est le plus approchant, mais atten tion, il tend à révéler avec élégance, nos fêlures. Ce que par pudeur nous aurions tendance à occul ter la cartographie de l’i mage intérieure de notre véritable beauté.
Sans aucune réserve, Rémi Rebillard imprime sa trace sans limite, avec une bienveillance et un professionnalisme que rejoint sa contemporani té.
Aujourd’hui, une presque décennie plus tard, je l’ai retrouvé sur les cimaises de NUE Galerie avec un plaisir intense. C’est comme un retour aux sources cette exposition.
En effet, Rémi Rebillard commence à travailler et à se faire connaître com me photographe de mode à Paris.
Il suo amore per la foto grafia è stato plasmato dall’esperienza trasfor mativa di assistere il regi sta francese Jean Becker e dalla sua ammirazione infantile per Giacobetti. Altre influenze seminali per Remi includono Sa rah Moon, Deborah Tur beville e Javier Vallhon rat
Rapidement, ce fan de Ferdinando Scianna, Ja vier Vallhonrat ou encore Sarah Moon, obtient des
COMME UN BATTEMENT DE CILS
Rebillard
publications dans les plus grands magazines, réalise des shootings de catalogues.
A 25 ans, il se marie avec un mannequin américain, Cara Leigh e quitte Paris début 90 pour New-York.
Rémi parle l’anglais avec le french accent, cela plait!
Il Shoote en été à New- York, se retrouve à Miami lorsque l’hiver arrive sur la East cost.
Une vie de rêve, au soleil, entouré des plus grands mannequins, mais les années passent et le french pho tographer commence à se lasser de ce milieu.
Il Arrête tout pendant près de cinq ans, histoire de se ressourcer, de faire le point.
Ce n’est qu’en 2009 qu’il décide de se consacrer en tièrement à son travail personnel, à developer sa patte pour se différencier.
Il trouve en haut d’un building, dans le west village de New York, un appartement qui deviendra son studio. Entouré d’artistes et de comédiens, il peaufine son style dans ce quartier ultra créatif et branché.
Un style aisément reconnaissable, qui entremêle l’u tilisation d’une lumière naturelle, toujours au nord, appuyée par quelques sources directionnelles et d’un temps de pose relativement long..
La colorimétrie des images se fait directement à la prise de vue.
Le rendu est unique, le détail sur les chairs est in croyable; de ces corps froidement éclairés se dégag ent une ambiance unique, une émotion pure, les fem mes aux regards quasi neutre sont sublimées.
Une différente présentation de son travail tiré de ma
PALAZZI 20 VENEZIA
Rémi
à partir du 13 Octobre 2022 NUE GALERIE 13 rue de Saintonge 75003 Paris Tel.:+33 09 81 43 59 99 Tous les jours entre 11h et 20h30
de la page 19)
Photo rèmirebillard
Photo rèmirebillard
nière classique sur papier, laisse apparaître une carna tion plus intime du modèle.
La lumière est toujours un élément essentiel de la scène, et le choix si minutieux des étoffes qui accom pagnent la pose est un atout supplémentaire.
La symbiose des modèles face à l’objectif est palpable et se révèle d’un tableau l’autre, que nous soyons devant une contorsion où une couronne d’épines déplacée de son contexte douloureux.
Ces chairs s’animent, tellement emplies de vie, que la vibration ressentie nous comble, bien au-delà du seuil de la galerie. Tel un chanteur à la recherche de la note bleue, ce «dandy des matins blême» comme dirait Alain Bashung réussit à distiller un savoureux désespoir, un désespoir fortement tinté d‘élégance. Une élégance digne des plus grands photographes de nue.
Au fil du temps, son travail photographique s’est éloigné des références photographiques de sa jeunes se et il a commencé à définir un langage photographi que unique qui lui est propre.
Rebillard est reconnaissable à la lumière spéciale qu’il utilise, au reflet dans l’eau, au verre mouillé.
La distance qu’il crée entre ses nus et nous est un récit solennel et élégant, et aussi non conventionnel. Elle est racontée avec une densité visuelle qu’il affection ne, renonçant à une lumière intense pour une satura tion riche.
L’utilisation de la lumière et des tons par Remi expri me la profondeur de la beauté qui peut être révélée
dans les états de tristesse et de déchéance émotionnelle. Son travail ose s’attarder dans des en droits brisés, dénudés et sales pour en tirer l’hi stoire d’une âme nue qui semble trébucher..
Si la créativité naît d’un sens aigu de la recher che de la beauté dans des endroits négligés, Remi est l’exemple même de l’audace d’un véritable artiste qui explore l’hu manité dans des étendues de nature et des friches infortunées.
Ses rencontres photo graphiques audacieu ses avec les femmes qui habitent ces espaces lui confèrent une profonde palette d’histoires à ra conter.
Son analyse et son expression personnelles du monde qui l’entoure enrichissent son regard photographique, nous demandant de regarder la coexistence déconcert ante de la sensualité fém inine et de l’éloignement qui pourrait être l’avenir de notre tissu social.
Lors de l’exposition Pa risienne intitulée : ‘Com me un battement de cils‘, l’artiste a présenté près d’une vingtaine d’oeu vres, et propose un cof fret en édition limité con tenant 10 photographies imprimées sur du tirage papier fine art.
Mylène Vignon et autres https://youtu.be/f00b 1Me0DEA marc@nue.galerie www.saisonsdecultu re.com/arts/remi-rebil lard-2/
PALAZZI 21 VENEZIA
i la discrétion est aujourd’hui une vertu par ticulièrement menacée, l’œuvre pi cturale de Bertrand Be aussillon lui semble au contraire résolument at tachée.
Il est d’ailleurs troublant de mesurer à quel point le cheminement de ce pein tre présente à soi-même une fidélité, qui n’exclut nullement un travail de maturation et d’évolution subtile.
C’est dire que, sur le fond d’une esthétique soute nue dans sa cohérence, se pourront néanmoins ap précier des glissements, des ouvertures, des har monies nouvelles.
Ces dernières néanmoins jamais n’abolissent le sentiment d’une nécess ité intérieure qui récuse la violence et les complaisances chaotiques.
Au cours de son évol ution, le travail semble s’organiser autour d’un accord chromatique fon damental : le jaune, le noir et l’orangé-brun.
Celui-ci n’exclut pas d’autres gammes et d’autres har monies, mais il est suffisamment fondateur, et récurr ent, pour faire surgir un ensemble de résonances fon damentalement liées à cet accord.
Ce qui se donne d’abord à voir est une sorte de nuit apaisée d’où surgissent des lumières et des lueurs souvent circonscrites par un géométrisme discret, conférant à ces travaux une dimension hautement structurante.
Il y a peu de figurations effectives dans la peinture de Bertrand Beaussillon, mais l’œil qui les contemple ne peut s’empêcher d’y percevoir comme des fenêtres, des soupirails, des entrebâillements.
Peu importe que l’intention du peintre ne soit peutêtre pas exactement celle-ci : une atmosphère noctur ne habite son univers, d’où surgit par découpes une lumière atténuée qui n’est pas celle du jour.
Quelques rehauts de jaune orangé, voire de rouge, in vitent plutôt à saisir une lumière spécifique, très soi gneusement tamisée à l’état de veilleuse.
Une sorte de référence architecturale, qui ne surgit év idemment pas du hasard habite les œuvres du peintre. Parfois elle semble interne à l’organisation du table au, et l’espace ainsi conçu renvoie à une conception intimiste du mode d’habiter.
Les lumières semblent vues d’une pièce à une autre, d’une chambre à un couloir, d’une mezzanine à un rez-de-chaussée.
Dans une autre approche, les formes architecturales sont vues de l’extérieur ou aperçues à quelque distan ce.
Se découpent alors des soupirails, des baies juxta posées, des fenêtres sans visage.
Et surtout des formes architecturales plus massives, au point qu’on se surprend à penser à quelque per spective légèrement ruiniforme, ou
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à une forteresse
Photo bertrandbeausillon
BERTRAND BEAUSILLON du 27 ottobre 2022 au 3 décembre 2022 3, rue Visconti 75006 Paris Tél.:00 33 (0)1 43 26 64 71 galeriegng@wanadoo.fr http://www.galeriegng.com
des temps anciens dont la littérature parfois se l’écho. Il est troublant de constater à quel point la peinture de Bertrand Beaussillon, qui semble au premier abord foncièrement non-figurative, a le pouvoir de susciter tout un imaginaire de l’espace vécu.
De telle sorte que des associations mentales, d’ordre littéraire et musical, surgissent sous le regard de celui qui contemple.
Du moins c’est ainsi que je ressens les choses, et j’e spère que le peintre m’autorisera cette liberté. Me reviennent, en un clair-obscur de l’esprit, la fête étrange où se dramatise le destin du Grand Meaulnes, ou la maison du rendez-vous dans une nouvelle ex traordinaire que Julien Gracq a insérée dans La pre squ’île.
Lorsque l’imagination se dilate et qu’elle est confron tée à une étrange construction d’un jaune incertain, c’est tout “Le désert des Tartares” qui vient surgir à la manière d’une allégorie universelle.
Ces évocations ont leur limite et il faut revenir à la peinture elle-même, à son exécution si minutieuse qu’elle semble tissée à même la toile, nourrie de sub stances transparentes.
Cet art est le refus de la matière brute, du trait buriné, de l’accroc, de la déchirure.
Il existe certes d’autres conceptions picturales, mais l’esthétique de Beaussillon déploie son monde avec une pudeur qui la met en retrait de tout exhibitionni sme.
Par là elle possède peut-être quelque secret intime qui
me la rend particulièrem ent fascinante.
Dans ses travaux récents, on pourrait presque dire que se fait jour un cer tain minimalisme, où des noirs et des bleus fon cés laissent apparaître un liséré miraculeux de lumière ocre. Toutefois cette tendance ne s’opère jamais au détriment de la plasticité.
En règle très générale, l’artiste ne bouscule pas ses formes, il leur donne plutôt l’apparence én igmatique du velours ou de la toile de lin. Parfois il laisse reposer dans l’e space deux objets insoli tes d’un bleu clair délicat, ou même, mais c’est plus rare, d’un rouge dome stiqué à la manière d’un fauteuil ancien.
L’harmonie colorée reste la clé de ces ordonnances sans que jamais la cou leur elle-même ne s’avise à tonitruer ni à se prendre comme fin.
Une signification singu lière émane de ces com positions qui, de toile en toile, redessinent un mon de qui est le nôtre, mais se situe toujours à ses li sières, à ses crépuscules, à ses nuits transfigurées.
En d’autres termes la peinture de Bertrand Be aussillon n’appartient pas au fantastique ni au lyri sme débridé.
Plus on la regarde plus on a le sentiment d’habiter dans le monde, mais dans un monde entièrement décanté de ses scories et de ses appendices super flus.
(suit page 24)
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Photo bertrandbeausillon
(su9it de la page 23)
Si le mot déjanté est à la mode, et cela d’une ma nière qui devient insup portable, la peinture de Beaussillon est oppor tunément de celles qui le répudient.
Lorsque le peintre ac cepte de s’exprimer lors d’une conversation, ses propos renforcent les im pressions que je rencon tre dans son art.
L’artiste n’a pas à propre ment parler de prétention philosophique, mais il est soucieux de travailler dans l’univers de la signi fication.
Il est habité par le souci (terme heideggerien) de laisser être une chose qui mérite d’être là.
C’est très précisément ce qu’il dit.
En d’autres termes, ses travaux excluent la gratu ité, le divertissement, la provocation.
Son travail relève, dit-il, et il hésite à détacher le mot : d’une éthique.
Univers silencieux par excellence, qui ne se complaît ni dans l’agres sivité, ni dans l’érotisme exacerbé, ni dans la gesti culation.
Ce n’est pas parce que le monde est pétri de vio lence, et peut-être davan tage qu’on ne le pense communément, que l’art d’un peintre doit entrer nécessairement en osmo se avec elle.
Une fuite en Egypte de Zurbarán, une Marie-Ma deleine de Georges de la Tour, une nature morte de Giorgio Morandi tiennent la violence à distance,
avec du reste des moyens picturaux bien différents. Ce faisant, la brutalité du monde n’en est pas abolie pour autant et chacun sait bien que l’art constitue un vaste bal masqué où sous les apparences se tissent de multiples tensions, des fractures, parfois des abîmes.
De ce point de vue la peinture de Beaussillon n’est pas nécessairement angélique, mais elle est confron tée aux forces de l’ombre, tout en restant sans com plaisance avec les excès.
Dans une précédente préface éditée par la gale rie GNG, j’avais déjà écrit qu’elle m’évoquait my stérieusement la suite pour piano de Federico Mompou intitulée Musica callada.
Cet ensemble de 28 petites pièces, unique dans l’hi stoire de la musique, cite en exergue une phrase de Saint Jean de la Croix.
Un tel rapprochement ne vaut que ce qu’il vaut et je ne prétends pas lui donner une valeur péremptoire. Reste qu’en regardant les réalisations du peintre, je suis accaparé par le sentiment d’une énigme à la fois poétique et silencieuse, qui désigne quelque chose du monde sans raconter d’histoire, ni pousser de hauts cris.
Elle confère à la peinture ce qui constitue sans dou te son destin fondamental : restituer à la couleur son pouvoir émotionnel, mais dans le sens d’une tem pérance, d’une allusion, d’un crépuscule.
Certes, il existe résolument d’autres conceptions de ce qu’est ou de ce que doit être un espace pictural. Et le traitement d’une couleur est étroitement lié à la
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Photo bertrandbeausillon
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technique d’un artiste, qui lui appartient si intime ment qu’il serait indécent de vouloir en décrypter les procédés.
L’artiste avoue qu’il a besoin, pour œuvrer, d’une certaine routine dans l’espace et dans le temps. Voilà qui suffit, en ces années troublées, à lui donner l’assi se d’un être libre, que n’affectent ni les fureurs de la mode, ni les querelles des théoriciens.
Jean LIBIS
Le mystère du visible Un rien de lumière, et tout autour l’obscurité, une ma nière de noir sidéral. Une forme se découpe, on en devine une infime partie, et force est d’imaginer ce que la nuit ne montre pas. Entre présence et absence, la beauté du monde, sans effusion ni tapages, spectacle murmurant, tamisé.
Les couleurs chuchotent, la peinture ici comme une poésie de l’intime.
Ce qu’il faut de patience pour révéler à notre regard les surfaces à peine suggérées d’objets ou d’édifices dont il est vain de s’interroger sur la nature. Ce qu’il faut de ténacité pour figer ainsi le silence lancinant de ces structures imprégnées de mystère.
Les ombres palpitent, la peinture ici comme vibration de l’insondable.
Il serait tellement plus simple de capter de notre quotidien les péripéties outrancières, les burlesques embardées, les incohérentes saillies, au lieu de quoi Bertrand Beaussillon préfère s’en tenir à une écriture toute en retenue, en finesse.
Sa peinture est une im mersion dans un monde inanimé auquel des lueu rs envoûtantes viennent apporter un frémissem ent de vie. Il faut juste se laisser absorber, accepter de cheminer dans l’om bre, et s’abreuver à ces teintes subtiles qui rés onnent en nous comme le feraient les vibrations légères d’une mélodie envoûtante.
Les plans s’imbriquent, se jaugent, la peinture ici comme poésie du rythme. Libre à qui en ressent la nécessité de réconforter son œil en reconnaissant dans telle ou telle forme une petite part tangible du monde réel. Aux fron tières de l’abstraction, il nous offre un moment d’osmose avec un uni vers où la lumière et la couleur ont épousé la même cause, et nous per met un regard autre sur les choses visibles de ce monde-ci.
De la substance noctur ne émerge une harmonie d’une infinie poésie, un univers pictural à part dans le paysage contem porain, totalement intem porel.
Baignée de silence, cet te peinture est en vérité l’incarnation du mystère du visible et interroge ha bilement notre regard sur le monde.
Ludovic DUHAMEL
http://bertrand-beaussillon.com/ https://galeriegng.com/artistes/ bertrand-beaussillon/ https://www.mutualart.com/Artist/Bertrand-Beaussillon/B88A 48188EEAF36B/Biography
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u 19e siècle la vi tesse s’impose et s’inscrit dans le cadre de l’indu strialisation naissante et de la mise en place du temps de travail chronométré contre le simple plaisir de passer le temps. Benjamin Franklin, à la fin du 18e siècle, n’a vait-il pas déjà écrit la phra se célèbre : « Le temps c’est de l’argent » ?
Dès le milieu de la première moitié du 19e siècle, donc, apparaissent les premiers transports à vapeur souvent difficiles et périlleux pour les voyageurs, tandis que les réseaux de voies se mettent progressivement en place en Angleterre comme sur le continent en provoquant d’âpres conflits boursiers et financiers.
Le monde de la vitesse à vapeur est relayé, amplifié, dans les dernières années du 19e siècle par le moteur à explosion.
En 1888 apparaît le premier moteur à essence de pétrole et en 1895 la première auto mobile Peugeot. La vitesse devient un enjeu et le sens de l’existence
outsiders LE FUTURISME A PARIS
semble se bâtir dans la course ; course contre les autres comme entre Paris et Rouen dès 1894, mais aussi course contre soi dans un ailleurs insaisissable, s’envoler. n 1890 Clément Ader effectue le premier vol mécanique, en 1897 a lieu le premier vol avec un passager.
La machine s’emballe. 1898, premier salon de l’automobi le. La construction du transsibérien a commencé en 1891 ; elle se poursuit jusqu’en 1901.
L’écrivain Blaise Cendrars nous donnera à la fin de la pre mière décennie du 20e siècle ses impressions de voyage dans le long poème illustré par Sonia Delaunay, la Prose du Transsibérien et la petite Jehanne de France.
La société des chemins de fer du PLM inaugure le 15 juin 1905 le rapide Paris-Nice (18h45 mn) et en 1906 l’Auto mobile Club de France organise le premier grand prix auto mobile du Mans.
Déjà le téléphone se développe ; on estime à plus de 300 000 les abonnés en 1914.
L’électricité est omniprésente, fascinante. Villiers de L’I sle-Adam publie en 1886 l’Ève future dont le héros est Edison et Paul Morand, dans un texte consacré à 1900, consta te que « l’électricité [est] devenue soudain la ‘religion’ de 1900 ».
La vitesse s’impose. L’invention et le développement de la machine à vapeur, du moteur à explosion et de l’électricité ont profondément transformé le monde.
De nouvelles sensations sont éprouvées tant par les voya geurs penchés aux fenêtres des récents bolides et qui voient tourbillonner et valser les paysages que par les piétons en tourés maintenant d’automobiles pétaradantes, de locomo tives fumantes et d’avions encore hésitants.
Une nouvelle esthétique s’impose que favorisent également les analyses photographiques de décomposition du mouve ment d’Etienne-Jules Marey et d’Eadweard Muybridge.
Le monde se multiplie et se décompose, les formes s’en chevêtrent, la vitesse permet de conjuguer des regards si
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Photo felixdelmarle
multanés et violents. Un nouvel espace visuel se crée. C’est dans ce contexte que F.T. Marinetti publie dans le nu méro du 20 février 1909 du Figaro son Manifeste du futu risme.
On peut considérer ce texte comme marquant l’avènement de la beauté absolue et omniprésente de la vitesse et, par cela, l’inscrire dans le cadre des nouvelles esthétiques de la vitesse tout en y associant également un contenu propre ment philosophique et politique célébrant la naissance d’un homme nouveau.
On peut lire, en particulier, dans le texte de Marinetti : « […] nous déclarons que la splendeur du monde s’est enrichie d’une beauté nouvelle : la beauté de la vitesse. Une automobile de course avec son coffre orné de gros tuyaux tels des serpents à l’haleine explosive… une automobile ru gissante, qui a l’air de courir sur la mitraille, est plus belle que la victoire de Samothrace.
5. Nous voulons chanter l’homme qui tient le volant, dont la tige idéale traverse la Terre, lancée elle-même sur le circuit de son orbite […]
11. Nous chanterons les foules agitées par le travail, le pla sir ou la révolte ; les ressacs multicolores et polyphoniques des révolutions dans les capitales modernes ; la vibration nocturne des arsenaux et des chantiers sous leurs violentes lunes électriques ; les gares gloutonnes avaleuses de ser pents qui fument ; les usines suspendues aux nuages par les ficelles de leurs fumées […] ».
Dans ces brefs extraits, représentatifs de la pensée de Ma rinetti, la technique, le monde de l’usine et de l’industrie, sans qu’il y soit fait référence à tel ou tel contenu précis, de
vient une vision, un rêve par lequel s’annonce un monde nouveau. Un monde traver sé de lampes à arc, de che minées d’usine, d’immenses gratte-ciel, d’avions, d’au tomobiles, de mouvements de foule ; un monde d’in génieurs triomphants. La modernité ?
Michel Blay
Directeur de recherches au CNRS
Michel Blay, Les clôtures de la modernité, Paris, Armand Colin, 2007.
BERGSON, LE PHILO
SOPHE DES AVANT-GAR DES PAR FRANÇOIS AZOUVI
Henri Bergson (1859-1941) a connu de son vivant une gloire mondiale.
Cette gloire a vu son apogée entre 1900 et 1914, c’est-àdire entre la publication de son petit livre le Rire et le déclenchement de la Grande Guerre.
Auparavant, il avait publié déjà deux ouvrages mais plus techniques, “Essai sur les données immédiates de la conscience” (1889) et “Matière et mémoire” (1896) ; ces livres lui ava ient valu une grande noto riété mais pas encore la vra ie célébrité.
Celle-ci va lui advenir avec la publication du Rire et, la même année, le début de ses cours au Collège de France. Son explication du rire est devenue classique : le rire survient quand un vivant se comporte comme un non-vi vant, c’est-à-dire comme une machine : le rire, c’est du mécanique plaqué sur du vivant.(suit page 28)
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http://mediation.centrepompidou.fr/education/ ressources/ ENS-futurisme2008/
(suit de la page 27)
Très vite, cet enseignement devient célèbre, les étud iants s’y pressent mais aussi les curieux et les « femmes du monde ».
Le cours de Bergson est l’endroit où il « faut » aller si l’on veut être à la mode. Pourquoi cet engouement ?
Parce que Bergson révolut ionne la philosophie et va dans une direction qui est celle que, confusément, le public attendait. Bergson s’attaque au privilège de l’intelligence et vante les mérites de l’intuition.
D’autre part, et pour la pre mière fois dans l’histoire de la philosophie, il considère que le temps est l’étoffe du monde, la vérité profonde des choses, qu’un courant de vie traverse toutes cho ses et les fait devenir, se transformer sans cesse, que l’immobilité et l’éternité ont moins de valeur que le mou vement et le temps.
Il appellera élan vital ce courant de vie qui traverse la matière et la mène à l’or ganisation.
Le temps : en fait, si l’on veut être plus précis, il faut dire : la durée.
Le temps, c’est ce que nous mesurons avec nos horloges ; nous pouvons le diviser à l’infini en portions égales. La durée, c’est ce que nous sentons en nous-mêmes, c’est la conscience que nous avons de devenir, de chan ger, c’est notre mémoire et notre projection dans l’ave nir.
Cette durée n’est pas, en vérité, divisible, elle l’est aussi peu qu’une mélodie, au cours de laquelle les sons se fondent les uns dans les
autres jusqu’au point d’orgue final.
Notre durée est faite de notre mémoire : Bergson pense en effet que nous n’oublions rien, que tout ce que nous avons vécu est intégré dans notre durée.
Bien entendu, nous ne nous souvenons pas de tout à tout moment, mais c’est parce que nous n’avons pas besoin, dans le moment présent, de la totalité de nos souvenirs. (Proust sera considéré par tous comme un romancier berg sonien.)
Chacune de nos perceptions actuelles est ainsi mêlée, im prégnée, de notre passé dans une symbiose que seuls les peintres et les romanciers savent montrer.
Quand nous percevons une table et des fruits, nous proje tons sur ces objets d’autres tables que nous avons jadis perçues, d’autres fruits que nous avons mangés.
Les uns et les autres se mêlent, mais aussi les objets et les êtres entre eux : tel canapé se mêle dans notre perception à la femme assise dessus, comme l’autobus se mêle à la rue qu’il parcourt.
Les objets ne sont pas séparés les uns des autres comme nous croyons qu’ils le sont, et une peinture fidèle devrait rendre ce fondu enchaîné qui est, en fait, la vérité cachée sous les mots.
La perception rend simultané ce que nous croyons séparé dans des espaces et des temps différents. La perception fa brique des simultanéités.
C’est avec cet arsenal de notions, que les futuristes (ainsi que plusieurs cubistes et certains théoriciens de l’esthétis me anarchiste) se tournent vers Bergson. Bergson est con nu d’eux avant même qu’ils ne se baptisent futuristes, dès
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avant le Manifeste de 1910. Il est le philosophe qui va per mettre à la peinture du 20e siècle de penser la révolution dont elle est grosse : la substitution de la durée à l’espace, du dynamisme au statisme pour rendre aux tableaux la vie dont elle a manqué jusqu’ici. Seul Bergson, pensent ces jeunes peintres, a les moyens de faire comprendre que le tableau doit restituer ce que nous voyons vraiment, c’est-à-dire des objets pénétrés de mém oire, des objets fondus les uns dans les autres, des objets autour desquels nous tournons et que nous voyons sous tou tes leurs faces. Bergson est le philosophe des avant gardes.
François Azouvi
Directeur de recherche au CNRS et directeur d’études à l’EHESS François Azouvi, La Gloire de Bergson. Essai sur le magi stère philosophique, Paris, Gallimard, 2007.
QU’EST-CE QU’UN MANIFESTE ?
LE MANIFESTE DU FUTURISME, TEXTE FONDA TEUR DES AVANT-GARDES
Un manifeste est une déclaration écrite par laquelle une per sonnalité ou un mouvement politique, artistique ou autre, fait connaître son programme. C’est une proclamation ou une profession de foi. Le mot est d’origine italienne : mani festo, qui vient du latin : manifestum, c’est-à-dire évident, clair, indiscutable.
Le plus connu des manifestes est sans doute, bien qu’il soit un véritable ouvrage, le Manifeste du parti communiste de Karl Marx (1848), qui implique la notion du passage de la théorie à l’action.
Le Manifeste, comme coup de point verbal en vue d’une action sur la société, est l’un des moyens privilégiés d’expression des futuristes, puisqu’ils en publieront une quarantaine entre 1909 et 1918, suivis par les autres avant-gardes de l’époque : cubofuturistes russes, vorti cistes, synchromistes.
LE MANIFESTE DU FU TURISME OU LA TABLE RASE DU PASSÉ
Le Manifeste du futurisme est le premier texte à décid er catégoriquement de nier tout l’héritage du passé.
Les premiers mouvements modernes ont eu pour théor icien Baudelaire. La mo dernité, telle que la définit le poète dans le Peintre de la vie moderne, met en éq uilibre deux composantes : ce que l’art doit aux leçons de la tradition, l’éternel immuable, et ce qui relève de la contemporanéité, de l’éphémère et qu’il appelle la mode, la morale, la pas sion.
Apollinaire reprend cette conception en définissant l’art comme un équilibre entre l’ordre et l’aventure, ou par ses trois vertus : la pureté, l’unité et la vérité (voir chapitre le Salon de la Section d’Or, Guillaume Apollinaire).
Pour le futurisme il s’agit de faire table rase du passé, en brûlant bibliothèques et mu sées, et à ce titre, il définit l’esprit des avant-gardes du 20e siècle. Trouver du nou veau, défricher des terres inconnues, tel est le projet de l’aventure avant-gardiste. (suit page 30)
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LE CONTEXTE PICTU RAL ITALIEN. FIN DU 19E / DÉBUT DU 20E SIÈCLE
Le mouvement des mac chiaioli (mot qui signifie les « tachistes ») se développe entre 1860 et 1870, de vançant de quelques années la peinture des impression nistes ; modernité cependant relative dans le contexte italien du Risorgimento où passé et présent cohabitent : leurs œuvres respectent les « divines » proportions de la Renaissance.
Ils n’en conçoivent pas moins un art dont le rôle est de faire triompher leurs idées par l’action conjuguée du groupe.
Plus radicaux dans leur re fus du passé, les Scapiglia ti et leurs héritiers (Scapi gliati, mot à la connotation avant-gardiste signifiant « jeunes reconnaissables à leur ‘‘folle’’ chevelure ») introduisent dans les années 1860-1880 des notions tel les que la complémentarité des arts, l’analyse des sen sations, la fusion du sujet et du milieu environnant, l’in terdépendance entre corps et espace, autant de principes qui seront au cœur des œuv res futuristes.
La première Biennale de Ve nise est organisée en 1895, s’ouvrant à l’art internatio nal en cours.
Un art social apparaît lié à l’urbanisation des villes du Nord industriel, porteurs de sujets liés à la classe ouvrière (le travail, la grève…) mais aussi au spectacle de la ville, auxquels seront sensi
bles Marinetti et tous les peintres futuristes.
En même temps qu’en France avec Seurat, apparaît en Italie tout un pan de l’histoire du divisionnisme.
L’un des représentants du divisionnisme italien, Gaetano Previati, dont Umberto Boccioni a pu dire qu’il est le plus grand artiste après Tiepolo, rédige les Principes scientifi ques du divisionnisme.
“La technique de la peinture” (1906), un ouvrage qui an nonce le goût des futuristes pour les manifestes techniques.
HENRI POINCARÉ. LA SCIENCE ET L’HYPOTHÈSE, 1902
Outre la philosophie de Bergson, les mathématiques nouvelles étaient un des thèmes des débats passionnés des cubistes.
Dans Du Cubisme, Gleizes et Metzinger voient dans les géométries non-euclidiennes une des références possibles aux recherches cubistes. (Voir chapitre Hy bridations / Albert Gleizes et Jean Metzinger.) Picas so et Braque, eux aussi, s’y seraient intéressés.
Dans la Science et l’hypothèse, ouvrage de vulgarisa tion scientifique qui connut – comme les ouvrages de Bergson – une grande audience au début du 20e siècle, Henri Poincaré différencie l’espace géométrique qui est une convention, et l’espace représentatif qui est visuel, tactile, moteur.
Nos représentations ne sont que la reproduction de nos sensations. Nous ne nous représentons donc pas les corps extérieurs dans l’espace géométrique (con tinu, infini, à trois dimensions), mais nous raisonnons
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(suit de la page 29)
sur ces corps, comme s’ils étaient situés dans l’espace géométrique.
Henri Poincaré définit les géométries non euclidien nes par l’absence d’un des axiomes d’Euclide.
Il ouvre à de nouveaux modèles de géométrie, tels que l’espace elliptique (évoqué par Gleizes et Met zinger dans “Du Cubisme”), où deux droites parallèl es peuvent passer par un même point (contrairement à l’axiome bien connu : deux droites ne peuvent pas être parallèles et passer par un point A).
Pour les peintres cubistes, la représentation d’un objet sous ses différentes faces rejoint ces nouvelles vérités scientifiques.
Contrairement aux positivistes pour lesquels la scien ce dit la vérité sur le monde (credo de la fin du 19e siècle), Henri Poincaré pense que les vérités scientifi ques ne sont pas immuables, mais une représentation intellectuelle à un moment de l’histoire et des con naissances.
« Nous ne pouvons penser que la pensée.
Dire qu’il y a autre chose que la pensée est une affir mation qui n’a pas de sens.
La pensée n’est qu’un éclair au milieu d’une longue nuit mais c’est un éclair qui est tout. »
Voir une vidéo : « Tout est relatif, monsieur Poincaré ! », sur le site de France 5 (durée : 25’39’’) https://www.canal-u.tv/canalu/producteurs/les_am phis_de_france_5/dossier_programmes/physique/ tout_est_relatif_monsieur_poincare/tout_est_relatif_ monsieur_poincare
a situation a dû être plutôt embarrassante pour Susan ne Meyer-Büser, com missaire de l’exposition Mondrian.
“Evolution”, une expo sition qui retrace le par cours de Piet Mondrian, du paysagiste au maître de l’abstraction, à l’oc casion de son 150e an niversaire, d’ouvrir la conférence de presse de l’exposition en admettant une erreur.
En effet, comme le rap porte ArtNews, c’est à Meyer-Büser qu’il est revenu de révéler que l’une des œuvres les plus célèbres de Mon drian, “New York City 1” (1941), avait été suspen due et exposée à l’envers pendant 75 ans. (Studio Magazine)
Les nouvelles rapportées dans d’autres journaux “New York City I”, c’est le titre de l’œuvre abstrai te du fondateur du groupe De Stijl, a fait pendant des années le tour du monde avec un [...]
Un chef-d’œuvre de Piet Mondrian suspendu à l’envers pendant 77 ans. (Il Fatto Quotidiano)
Un tableau de Mondrian est accroché à l’envers dans différents musées depuis 75 ans et personne ne l’a jamais remarqué. L’œuvre date de 1941 et présente un réseau com plexe de rubans adhésifs rouges, jaunes, noirs et bleus.
Intitulée New York City I, elle a été exposée pour la première (suit page 32)
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(suit de la page 31)
fois au MoMA de New York en 1945, mais de puis 1980, elle fait partie de la collection d’art de la Rhénanie-du-Nord-Wes tphalie à Düsseldorf. (Southern Gazette)
Il s’agit de “New York City 1”, une œuvre de 1941 composée de ban des adhésives horizonta les et verticales rouges, jaunes et bleues, qui est arrivée au musée en 1980. (Yahoo Eurosport FR)
Un historien de l’art découvre que le tableau de Mondrian est exposé à l’envers depuis 77 ans. La nouvelle est rappor tée par Reuters, qui a interviewé en vidéo le conservateur de l’expo sition “Evolution” au K20 de Düsseldorf, en Allemagne, qui a révélé “l’erreur”. Un tableau de Piet Mondrian a passé 77 ans suspendu “à l’envers”. (Le fait du jour) Evolution, une exposi tion qui retrace le par cours de Piet Mondrian, du paysagiste au maître de l’abstraction, à l’oc casion de son 150e an niversaire, a ouvert la conférence de presse de présentation de l’expo sition en admettant une erreur. (ilmessaggero.it)
Il est probable que le tableau, peut-être déjà en 1945, ait été exposé par inadvertan ce de la mauvaise ma nière et que l’erreur soit restée. (Sky Tg24 )
AGI - Un important tableau abstrait de Piet Mondrian a été exposé
pendant 42 ans à l’envers par rapport à l’endroit où il a été peint : l’aveu de l’erreur est parvenu de la Collection d’art de Rhénanie-du-Nord-Westphalie à Düsseldorf, qui accueille l’œuvre, à l’occasion de l’exposition pour le 150e anniversaire de la naissance du peintre néerlandais fondateur du “néoplasticisme”, “Mondrian.Evolution”.
Il s’agit de “New York City 1”, une œuvre de 1941 composée de bandes adhésives horizontales et verti cales rouges, jaunes et bleues, qui est arrivée au mu sée en 1980.
Contrairement à une peinture à l’huile presque “jumel le” de Mondrian exposée au Centre Pompidou à Paris, l’image avec les bandes adhésives a été tournée de 180 degrés peu après la mort de Mondrian en 1944”, a expliqué la conservatrice Susanne Meyer-Buser.
L’historienne de l’art a présenté plusieurs éléments de preuve à l’appui de sa thèse, notamment une photo prise dans l’atelier de l’artiste, dans laquelle l’œuvre est sur le chevalet et a une orientation différente.
En particulier sur la photo, les rayures les plus den ses se trouvent sur le bord supérieur et coulent donc exactement comme la peinture à l’huile de Paris.
Le parcours des bandes adhésives avec les bords a également confirmé le soupçon que “New York City 1” a été mis à l’envers.
Le musée a toutefois exprimé son intention de conser ver l’œuvre dans sa position actuelle dans le catalo gue raisonné de la galerie. Les erreurs de ce genre ne sont pas nouvelles dans le monde de l’art : en 1961, le
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MOMA de New York a exposé “Le Bateau” d’Henri Matisse à l’envers et ce n’est qu’après 47 jours que l’incohérence a échappé au fils de l’artiste français. Il s’agissait d’une “gouache” abstraite réalisée à partir de coupures de papier.
C’est une agent de change de Wall Street, Geneviève Habert, qui a découvert la bévue des conservateurs et l’a racontée au New York Times.
La pièce n’a été retournée que deux mois plus tard, à la fin de l’exposition.
Un dérapage similaire a eu lieu au Whitney Museum of American Art en 2015 pour une œuvre de Jackson Pollock que l’artiste avait voulu horizontale mais qui a été exposée verticalement pour l’exposition “ Ame rica is Hard to See “.
Dans ce cas, cependant, les conservateurs s’en sont te nus au couplet dans lequel l’œuvre était déjà exposée à la Betty Parsons Gallery de New York .Malgré cette découverte, l’œuvre continuera d’être exposée de manière incorrecte pour éviter de l’en dommager.
De plus, vous savez quel choc cela représente pour les experts en art avertis.....
Il s’agit du New York City I et il est composé de ru bans adhésifs rouges, jaunes, noirs et bleus disposés perpendiculairement, représentant le treillis même de la métropole.
Mais elle est à l’envers, et ce depuis 75 ans. L’au teur de ce tableau est le génie Piet Mondrian, qui l’a exécuté en 1941 et l’a exposé au MoMA de New York
en 1945. (greenMe.co.uk)
Les nouvelles rapportées dans d’autres journaux Pieter Cornelis Mondria an, alias Piet Mondrian, est né le 7 mars 1872 à Amersfoort, aux PaysBas.
Il a commencé par s’in téresser aux paysages et aux moulins, mais sa voie était différente.
L’art de Mondrian, des grilles pour raconter le monde.
Les études spirituelles et philosophiques aux quelles il s’est consacré dans les dernières années ont eu un fort impact sur son art, qui entre-temps a également commencé à se transformer dans le sillage des suggestions des tableaux de Munch et Van Gogh. (ilmessag gero.it)
C’est en fait l’artiste ita lien Francesco Visalli qui s’est rendu compte que le célèbre tableau était exposé à l’envers, et dès septembre 2021, il a rapidement infor mé la directrice du mu sée, Annette Kruszyn ski, de son intuition par courrier électronique.
(Il Fatto Quotidiano)
Susanne Meyer-Büser, commissaire de l’expo sition “Mondrian. Evo lution’, actuellement en cours au musée K20 de la Kunstsammlung Nor drhein-Westfalen à Düss eldorf.
(Le fait du jour)
Après plus de 75 ans, on a découvert qu’un tableau de Mondrian était ac croché à l’envers.
(suit page 34)
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(suit de la page 33)
Après plus de 75 ans, on a découvert qu’un table au de Mondrian était ac croché à l’envers.
Un tableau de Mondrian était suspendu à l’envers dans différents musées depuis plus de 70 ans et personne ne l’avait ja mais remarqué.
Jusqu’à ce qu’un artiste italien fasse remarquer que, selon ses études et ses recherches, le table au, tel qu’il était exposé, n’était pas correct et de vait plutôt être retourné.
(La Stampa)
Un important tableau ab strait de Piet Mondrian est exposé depuis 42 ans à l’envers par rapport au revers de sa toile : l’aveu de l’erreur est venu de la collection d’art de Rhén anie-du-Nord-Westphalie à Düsseldorf, qui abrite l’œuvre, à l’occasion de l’exposition organisée pour le 150e anniversaire de la naissance du peintre néerlandais fondateur du “néoplasticisme”, “Mon drian”.
(Yahoo Eurosport FR)
Cela a dû être plutôt em barrassant pour Susan ne Meyer-Büser, com missaire de l’exposition Mondrian.
En effet, comme le rap porte ArtNews, c’est à Meyer-Büser qu’il est revenu de révéler que l’une des œuvres les plus célèbres de Mondrian, “New York City 1”, da tant de 1941, avait été suspendue et exposée à l’envers pendant 75 ans.
(Studio Magazine)
et Palazzi A Venezia
a naissance du MoMA de New York, con sidéré comme l’un des plus importants mu sées d’art moderne au monde et situé sur la 53e rue à Manhattan, est due à la vision extraordinaire et à la grande perspicacité de trois fem mes de la haute société locale : Abigail “Abby” Aldri ch Rockefeller (Providence, 1874 - New York, 1948), Lillie Plummer Bliss (Boston, 1864 - New York, 1931) et Mary Quinn Sullivan (Indianapolis, 1877 - New York, 1939).
L’idée est venue principalement d’Abby Rockefeller, épouse de l’homme d’affaires américain John Davison Rockefeller Jr, héritier du riche pétrolier du même nom : “J’ai commencé à penser aux femmes que je connais sais à New York, qui avaient un profond intérêt pour la beauté et qui achetaient des tableaux; des femmes qui seraient disposées et qui auraient assez de foi pour contribuer à la création d’un musée d’art moderne.
Mme Lillie Bliss et Mme Mary Quinn Sullivan étaient parfaites à cet égard : “Je leur ai demandé de déjeuner avec moi et je leur ai expliqué la question”, racontait Abby en 1936, se rappelant comment cet ambitieux projet avait commencé.
Elle les a invités à déjeuner un jour de 1928 et leur a fait part de son idée.
En effet, la mort du collectionneur et mécène John Quinn en 1924, qui faisait partie du groupe qui avait organisé l’Armory Show, la première grande exposi tion d’art moderne européen et américain aux État s-Unis en 1913, et d’Arthur Bowen Davies en 1928,
M.O.M.A. NEW YORK LILLI P. BLISS ABBY A. ROCKEFELLER
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Photo fenetressurl’art.it
ROCKEFELLER MARY Q. SULLIVAN
un peintre qui était également l’un des organisateurs de l’Armory Show et un conseiller de Lillie P. Bliss, et la dispersion consécutive de leurs grandes et importantes collections d’art moderne, avaient rendu nécessaire la création d’un musée d’art moderne à New York.
En effet, dans la première brochure du MoMA datant de 1929, il était précisé que seule New York, parmi les grandes capitales du monde, ne disposait pas d’un musée public où les œuvres d’art des fondateurs et des maîtres des écoles modernes pouvaient être conservées et rendues visibles au public.
Le fait que la métropole américaine ne dispose pas d’un musée à cet effet a été qualifié d’”anomalie étrange”.
Les musées des villes d’Oslo, de Francfort, d’Utrecht, de Lyon, de Prague, de Cleveland, de Chicago, de Buf falo, de Détroit, de Providence, de Worcester et de bien d’autres encore “offraient aux étudiants, aux amateurs et au public intéressé de nombreuses expositions per manentes d’art moderne”.
Et dans ces musées, il était “possible de se faire une idée des phases progressives de la peinture et de la sculpture européennes au cours des cinquante der nières années” et, plus important encore, ces exposi tions étaient les collections publiques modernes des plus grandes villes du monde, comme Londres, Paris, Berlin, Munich, Moscou, Tokyo et Amsterdam.
“C’est pourquoi”, dit la brochure, “New York devrait s’en inspirer, car ils ont résolu le problème auquel New York est confronté. Un problème délicat et complexe”.
Après ce déjeuner de 1928, Abby Rockefeller, Lillie P.
Bliss et Mary Quinn Sulli van ont alors commencé à réfléchir à une institution dans laquelle ils pourra ient rassembler et expo ser leurs collections d’art moderne et ont demandé à Anson Conger Goodyear, collectionneur et ancien directeur général de l’Al bright Gallery de Buffalo, d’être le premier président de ce musée, tandis que pour le premier conseil d’administration, ils ont fait appel à la mécène Jo sephine Boardman Crane, le journaliste américain et critique d’art et de théâtre Frank Crowninshield et l’homme d’affaires Paul Joseph Sachs, ce dernier étant devenu célèbre pour avoir initié dès 1922 l’un des premiers cours nova teurs aux États-Unis sur la gestion des musées, tant sur le plan curatorial que financier.
C’est Sachs, directeur et conservateur de la section des estampes et des des sins du Fogg Art Mu seum de l’université de Harvard, qui est chargé de la recherche de conser vateurs et c’est lui qui a également suggéré le nom d’Alfred Hamilton Barr Jr. comme directeur du musée, un de ses jeunes étudiants qui enseignait le seul cours d’art moderne du pays.
Nelson Rockefeller, le fils d’Abby, a déclaré plus tard : “La combinaison était parfaite.
Les trois femmes, à sa voir ma mère, Lillie Bliss et Mary Sullivan, dispo saient des ressources, du tact (suit page 36)
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(suit de la page 35) et des connaissances ar tistiques nécessaires”. Elles étaient surnommées “les dames”, “les dames audacieuses” et “les da mes adamantines”. Abby Aldrich Rockefeller avait une prédilection par ticulière pour l’art sur pa pier d’Américains vivants et a rassemblé plusieu rs œuvres entre 1925 et 1935 ; elle était également mécène et a donc soutenu directement les artistes par le biais de comman des, d’acquisitions et d’aides financières. Elle est à l’origine de nombreuses donations au Museum of Modern Art, notamment des peintures, des gravures, des sculptu res et des fonds pour l’a chat d’œuvres de 1935 à 1948, année de sa mort, date à laquelle le directeur Barr écrit au fils du fonda teur, Nelson Rockefeller : “Elle était le cœur du mu sée et son centre de gra vité”.
Lillie P. Bliss avait sou tenu financièrement l’Ar mory Show de 1913 et avait également acheté des œuvres de l’exposi tion ; elle avait acheté des œuvres de la collection de John Quinn aux enchères et acquis des œuvres de la collection de Davies à sa mort.
La collection de Bliss comprenait donc, à sa mort, des œuvres d’arti stes célèbres tels que Paul Cézanne, Edgar Degas, Pierre-Auguste Renoir, Henri Matisse, Amedeo Modigliani, Pablo Picas so, Odilon Redon, Geor
ges Seurat, Henri Rousseau et Henri de Toulouse-Lau trec, et la plupart de ces œuvres se sont retrouvées dans la collection du MoMA, un vaste ensemble qui s’est avéré être un grand cadeau pour le musée. Mary Quinn Sullivan, quant à elle, était professeur d’art et l’épouse d’un avocat réputé et collectionneur d’art et de livres rares, Cornelius Sullivan.
Elle possédait dans sa collection d’importants tableaux de Paul Cézanne, Amedeo Modigliani, Pablo Picasso et Henri de Toulouse Lautrec.
Des trois fondateurs, ce dernier était celui qui connais sait le mieux l’éducation artistique, et donc l’enseignement des arts visuels, un élément qui a caractérisé l’institution muséale dès le début. Cependant, en 1933, Sullivan a renoncé à son poste d’administrateur car il a ouvert sa propre galerie.
Moins d’un an s’est écoulé après ce déjeuner et le 7 novembre 1929, un peu plus d’une semaine après le krach de Wall Street, le musée d’art moderne a inau guré une exposition consacrée aux maîtres modernes au douzième étage d’un immeuble de bureaux, le Heckscher Building, au 730 de la Cinquième Avenue à New York : il a exposé des œuvres de Cézanne, Van Gogh, Gauguin, Seurat, piliers de la peinture du début du XXe siècle.
Le musée a ensuite changé plusieurs fois de lieu, ju squ’à ce qu’il s’installe sur la 53e rue, son emplace ment actuel, en 1939.
Selon l’idée de Barr, la collection du musée devait être comme “un poisson qui se déplace dans le temps, son
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museau est le présent en constante évolution, sa queue est le passé toujours insaisissable d’il y a cinquante à cent ans”.
L’institution n’ayant pas d’argent (le riche mari d’Ab by a refusé de donner des fonds car il s’opposait au projet de sa femme et n’aimait pas non plus l’art mo derne), la première collection a été constituée grâce à des dons : elle comprenait huit gravures, principa lement de l’expressionnisme allemand, et un dessin, donné en 1929 par Sachs.
Le manque et la difficulté à trouver des financements ont également amené le musée à déménager à plusieurs endroits (au cours des dix premières années, trois sites différents), mais finalement le site actuel a été construit sur un terrain offert par Rockefeller lui-même, qui est devenu par la suite l’un des principaux donateurs. La donation la plus importante après la première a été le legs en 1934 de la cofondatrice Lillie P. Bliss, décédée en 1931, tandis que grâce à un don anonyme en 1930, la première peinture d’un artiste américain est entrée dans la collection du musée : “House by the Railroad” d’Edward Hopper. Lors de la fondation du musée en 1929, les sept ad ministrateurs ont signé un document exprimant leurs intentions, tout d’abord d’organiser une série d’expo sitions au cours des deux années suivantes, qui sera ient une représentation aussi complète que possible des grands maîtres modernes, américains et européens, de Cézanne à nos jours, mais surtout des artistes vivants, avec des hommages occasionnels aux maîtres du XIXe
siècle.
Deuxièmement, obtenir, grâce à la collaboration d’artistes, de propriétaires et de marchands, un cer tain nombre de peintures, de sculptures, de dessins et de lithographies de pre mier ordre pour des expo sitions.
Enfin, créer un musée public permanent dans la ville qui pourrait acquérir les meilleures œuvres d’art moderne au fil du temps (par des dons ou des achats).
Abby Aldrich Rockefel
ler, Lillie P. Bliss et Mary Quinn Sullivan croya ient en l’art moderne qui avait été sous-apprécié et incompris, et l’Armory Show de 1913 a certai nement été un grand sti mulant pour réaliser la nécessité d’avoir un mu sée public à New York ég alement, qui rassemblerait les innovations artistiques récentes, y compris la production américaine d’artistes vivants.
Ils étaient passionnés par un art que peu de gens ai maient, mais grâce à leur intelligence habile, leur soutien aux jeunes artistes et leur expérience person nelle, ils ont mené à bien leur projet et ont réussi à créer ce qui est au jourd’hui l’un des plus importants musées du monde, en sélectionnant les œuvres des artistes avec goût, courage et une touche de prévoyance.
Ilaria Baratta
https://www.finestresullarte.info/opere-e-artisti/ le-tre-donne-che-fondaro no-il-moma-di-new-york
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enriette Ro sine Bernard, dite Sarah Bernhardt, nait, à Paris, le 22 octobre 1844.
Elle suit les cours du con servatoire, à sa sortie, elle entre à la Comédie Française en 1862, elle la quitte en 1866 pour entrer à l’Odéon.
De sa liaison avec Char les-Joseph Eugène Henri Georges Lamoral de Li gne (1837-1914), fils de Eugène, VIII Prince de Ligne, naît Maurice en 1864, le seul enfant qu’el le aura.
Elle a alors vingt ans. Le père refuse de recon naître l’enfant.
Le prince tentera par la suite de se rapprocher de son fils qui le repoussera sans cesse.
Maurice Bernhardt est un jouisseur, un bon vivant ayant deux passions: les femmes et le jeu.
Il réclamera sans cesse de l’argent à sa mère, qui ne lui refusera jamais rien. Elle lui confiera même la direction et la gestion des
SARAH BERNHARDT
théâtres qu’elle achètera. Il mènera au bord de la failli te les affaires de sa mère et ira jusqu’à prélever chaque soir la recette pour assouvir ses passions.
Il aura, malgré tous ses travers, une relation fusionnel le avec Sarah.
Protégée par le duc de Morny, demi-frère de Napoléon III, amant de sa tante puis de sa mère, Sarah termi ne ses études au Conservatoire en 1862, et entre à la Comédie-Française, qu’elle quitte en 1866 pour l’O déon.
Elle est découverte sur la scène du “Passant” de François Coppée en 1869 et triomphe dans le rôle de Maria de Neuburg dans le Ruy Blas de Victor Hugo en 1872 ; ces représentations lui valent d’être rappelée par la Comédie Française où elle joue Phèdre en 1874 et Hernani trois ans plus tard, en 1877.
Elle démissionne avec éclat en 1880, après avoir gi flé une actrice et crée sa propre compagnie. Sarah part jouer et faire fortune au-delà de nos frontières.
Elle fait la rencontre de Thomas Edison à New York où elle enregistre une lecture de «Phèdre» sur cylindre. À son retour à Paris, Sarah Bernhardt est millionnaire. Elle achète un théâtre, s’y ruine malgré le succès de Théodora (Victorien Sardou), où elle donne libre cours à son goût de la mise en scène luxueuse.
Elle fait de nouveau fortune en Amérique et, après une tournée qui la conduit cette fois jusqu’en Australie, elle s’installe en 1893 à Paris, où après avoir dirigé le théâtre de la Porte-Saint-Martin, elle dirige le Théâtre de la Renaissance, puis le Théâtre des Nations.
En 1898, elle fonde le théâtre qui portera son nom et qui est devenu le Théâtre de la Ville.
Elle y incarne «la Dame aux camélias» d’Alexandre Dumas fils la Princesse lointaine, Hamlet, et crée deux pièces d’Edmond Rostand: la Samaritaine, et surtout l’Aiglon, qui connaît deux cent cinquante représentat
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ions consécutives.
Enfin, elle crée Lorenzaccio d’Alfred de Musset, dra me en prose qu’on pensait injouable à l’époque..
En décembre 1894, elle confie la création de ses affi ches à Alfons Mucha et ce, pendant plus de six années, ce qui donne un second souffle à sa carrière.
Suite à un accident de scène, à l’âge de soixante-dix ans, elle est amputée d’une jambe.
Mais sa volonté, et l’amour de son art, lui font surmon ter les disgrâces de l’âge et de la maladie, et elle paraît au théâtre aux armées, jouant assise.
En 1920, âgée de 76 ans, elle crée encore “Athalie”. Avec sa sensibilité frémissante mais extérieure, sa di ction chantante ou saccadée, son jeu tout en souplesse, Sarah Bernhardt représente l’idéal de l’actrice pour la période 1870-1900.
Elle s’essaie comme auteur dramatique (l’Aveu, Adrienne Lecouvreur, 1907) et laisse des Mémoires. C’est aussi une des rares actrices du XIXe siècle à tourner pour le cinéma muet.
Son premier film est le «Duel d’Hamlet» en 1900.
En tout, elle en tourne huit, dont deux œuvres autobio graphiques, le dernier ayant pour titre «Sarah Bernhar dt à Belle-Ile» en 1912.
C’est une description de sa vie quotidienne. Sa vie est très riche en récits et anecdotes.
On lui prête des bontés pour Gustave Doré, Georges Clarin, Mounet-Sully, Lou Tellegen.
Elle se marie, en 1882, à Londres avec un acteur d’ori gine grecque Aristides Damala.
Mais comme ce dernier est toxicomane dépendant, elle le délaisse mais elle en reste malgré tout l’épouse légitime jusqu’à la mort du jeune acteur en 1889, à 34 ans.
Elle apporte son soutien à Emile Zola lors de l’affai re Dreyfus.
Elle est l’auteur de nom breuses pièces de théâtre et de quelques livres. Courtisée par Ida Ru binštejn et Anna de Noail les, elle vit avec le pein tre Louise Abbéma, qui l’accompagne en tournée, professant publiquement sa bisexualité.
L’actrice a eu une rela tion intense avec Gabriele D’Annunzio.
Dans le livre “Sarah Ber nhardt et Gabriele D’An nunzio. Correspondan ce inédite 1896-1919” (2005) est rassemblée une partie de leur épistolaire. Avant même le début de l’association avec Eleonora Duse, l’entente avec Bernhardt représentait pour le poète abruzzais l’épreuve inaugurale de sa longue aventure sur la scène : une aventure qui favorisait le renouvelle ment radical de la perfor mance en prose.
Sur la fin de sa vie, on raconte qu’elle dormait dans le cercueil de bois de rose dans lequel elle est inhumée.
Sarah Bernhardt meurt à Paris le 22 octobre 1923. Elle repose avec son fils, l’auteur dramatique et di recteur de théâtre, Maurice Bernhardt (18641928).
wikipedia.org
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aola Lom broso est la femme qui a conçu et bap tisé le Corriere dei Pic coli, qui lui a été enlevé alors qu’il était en train de naître”.
C’est ainsi que le critique Giulio C. Cuccolini, dans un texte qui lui est dédié dans le recueil d’essais “Qua la penna ! Autrici e art directors nel fumet to italiano” (1908-2018).
Née à Pavie il y a 150 ans, le 14 mars 1871, Paola Lombroso va involontai rement influencer la ban de dessinée italienne par ses idées et sa volonté de rapprocher les enfants de la lecture, grâce à la con ception du Corriere dei Piccoli (également sur nommé Corrierino). Son nom n’est jamais apparu dans la publication, car elle a été évincée par la direction du journal et, dans l’espace qui lui a été accordé, elle a dû signer un pseudonyme.
Fille aînée de l’anthropo logue Cesare, Paola Lom broso (in Carrara, nom de
PAOLA LOMBROSO
famille qu’elle prend après avoir épousé le médecin Mario Carrara, élève de son père) grandit à Turin.
Elle abandonne ses études après avoir obtenu son di plôme et commence à écrire pour l’”Archivio di psi chiatria”, la revue scientifique fondée par son père en 1880, la “Fanfulla della domenica”, la “Gazzetta lette raria” et la “Vita moderna”.
Sa connaissance d’Anna Kuliscioff, l’une des fondatri ces du parti socialiste italien et la femme qui a rendu Lombroso malade (il l’appelait “ma dame” et en faisait un modèle à suivre car elle était professionnellement autonome), l’a rapprochée des idées du socialisme.
Elle commence à écrire pour “L’Avanti !” et devient un défenseur des droits des classes sociales subalternes. Il est rapidement apparu que ses intérêts tournaient de plus en plus autour des droits de l’enfant, de la péd agogie et de la littérature pour enfants, au point qu’el le a publié plusieurs essais sur ces sujets : “Essais sur la psychologie des enfants” (1894), “Le problème du bonheur” (1900), “La vie des enfants” (1904).
En 1896, elle fonde avec sa sœur Gina l’institution turinoise Scuola e Famiglia pour lutter contre l’anal phabétisme des plus jeunes.
“
Cette femme ferme et engagée”, écrit Fabio Gadducci, “représente un exemple typique de la bourgeoisie po sitiviste et pro-socialiste de la ville savoyarde dans les décennies entre le XIXe et le XXe siècle”.
Comme l’affirme Matteo Maculotti, Paola Lombroso ressentait “la nécessité de diffuser la culture dans les couches de la population qui en avaient été exclues : un public d’enfants, selon son intuition clairvoyan te, aurait été le protagoniste de ce changement, à condition toutefois de repenser la littérature enfan tine en partant des goûts des jeunes lecteurs et en s’adaptant au principe “enseigner en s’amusant””. Jusqu’alors, l’édition italienne avait consacré des pro-
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Photo fumettologica.it
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duits surdimensionnés aux enfants (Il Novellino, Il Giovedì, Il Follettino, La Domenica dei fanciulli, Il Giornale dei Fanciulli).
Même le “Giornalino della Domenica”, pourtant précieux, auquel Lombroso a collaboré, était trop snob et destiné à des lecteurs qui n’étaient pas des adole scents.
Paola Lombroso a donc pensé à créer un projet qui se rait l’émanation directe d’un quotidien national, afin d’assurer une bonne distribution et un faible coût. Elle propose l’idée au quotidien le plus vendu de l’époque, et le plus proche de ses idées sociales-progressistes, “Il Secolo”, qui refuse, puis au quotidien libéral-conservateur (moins adhérent aux valeurs de Lombroso) “Corriere della Sera”, dont le directeur Luigi Albertini répond positivement, intéressé par les objectifs pédagogiques du projet.
Après avoir obtenu le feu vert, Lombroso étudie les périodiques européens, notamment anglo-saxons et français, et se rend compte du rôle central que doivent jouer les images et les bandes dessinées.
Il imagine un espace pour les concours (répandus à l’extérieur mais une nouveauté absolue pour l’Italie), des jeux pour éduquer les lecteurs aux habiletés ma nuelles, des rubriques rédigées par des écrivains - et non des spécialistes - qui savent raconter le monde dans un style captivant.
Elle a identifié une liste de collaborateurs potentiels et a structuré le magazine sous une forme qui resterait pratiquement inchangée lorsqu’il serait présenté au pu
blic en 1908.
Même face aux hésitations d’Albertini, qui ne croyait pas qu’il y avait suffisamment d’illustra teurs pour répondre aux demandes de la revue, Lombroso ne s’est pas contenté de le rassurer, mais a contacté certains illustrateurs turinois et les a chargés de produire des images qui dissiperaient les doutes du directeur.
Craignant des fuites, Al bertini charge Lombroso “d’organiser les premiers numéros”, sans toutefois préciser le rôle officiel des femmes au sein du périodique.
Toutefois, lorsqu’il fut décidé de commencer les travaux proprement dits de la publication, Alber tini, avec qui Lombroso s’était disputé parce qu’il aurait voulu développer le volet divertissement, pen sa à nommer un homme, qui se révéla par la suite être Silvio Spaventa Filip pi, assisté dans la gestion administrative par Alber to Albertini, le frère de Luigi - comme directeur du Corriere dei Piccoli. Les Albertini ont déclaré qu’ils auraient préféré nommer un collaborateur interne qui vivait à Milan, mais surtout qui était un homme :
“Avec une femme, nous ne pouvions pas avoir cette liberté de relation nécess aire avec tous les collabo rateurs de l’entreprise”.
En outre, Luigi n’avait pas envie de déléguer l’entreprise à une directri ce, car “jamais aupara vant on (suit page 42)
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n’avait confié à une fem me la responsabilité d’un journal, même pour les enfants” et “les familles ne comprendraient pas et n’apprécieraient pas”. En fait, des femmes jour nalistes telles que Matil de Serao, Ida Baccini et Emma Perodi dirigeaient déjà des journaux et des périodiques depuis la fin du XIXe siècle.
La motivation d’Albertini était peut-être plus poli tique, puisque les idées socialistes de l’écrivain ne s’alignaient pas sur celles du Corriere, mais il a néanmoins exploité le sexe de Lombroso pour discréditer sa candidature.
Albertini lui propose soit de la payer pour le travail effectué jusque-là, soit de lui rendre tout le matériel en s’engageant à ne pas l’utiliser dans la publi cation, soit de l’engager comme collaboratrice, anonymement, pour une période d’essai. Lombroso refuse toute négociation.
Un arbitrage est ouvert qui voit Filippo Turati, leader des socialistes, s’engager du côté de Lombroso. Les Albertini sont péremptoi res : “On vous a confié “à vos risques et périls” les études préliminaires”, lui écrivent-ils.
“Il est vrai qu’on vous a confié l’organisation des premiers numéros, mais dans le sens où on vous a confié la ligne de propo sitions”, avant d’ajouter que “nous n’avons pas d’engagements formels concernant votre avenir”.
L’intransigeance des Albertini fait capituler même Turati, qui conseille à son amie d’accepter la mode ste proposition de collaboration afin de garder un pied dans le journal qu’elle a créé.
Sous le pseudonyme de Tante Mariù, Paola Lombroso a édité la rubrique “Correspondance et écrit quelques nouvelles”.
Dans le petit espace qu’elle s’est taillé, elle a quand même réussi à faire sa place.
Elle a lancé l’idée de “bibliothèques rurales” pour pro mouvoir la lecture et collecter des fonds pour les famil les et les écoles défavorisées.
L’initiative avait vu le jour suite à la demande d’un ensei gnant qui avait demandé si des lecteurs pouvaient envoyer à leur école de campagne des livres pour leurs élèves. L’équipe de rédaction n’appréciait pas l’esprit d’entre prise de Lombroso et avait fait de la rubrique un coin presque indépendant du journal.
L’écrivain était à son tour agacé par la censure prévent ive que les rédacteurs opéraient sur le courrier.
À un lecteur qui n’avait pas reçu de réponse, elle écrit: “Je ne saute jamais la correspondance, mais il y a les Minos, les censeurs russes du Corriere dei Piccoli qui mettent la tante Mariù à la poubelle. [...] Au revoir si M. Minosse le permet la semaine prochaine”.
Les rédacteurs empêchent la publication de ces li gnes et menacent de mettre fin à leur collabo ration avec Lombroso, qui, piqué, démissionne le premier : “Ma Correspondance a été stricte ment en accord avec la vérité et les lettres qu’ils
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m’ont envoyées” écrit-il à Albertini, concluant le message par un séraphique “j’enlève le trouble”.
Au cours des années suivantes, Lombroso crée un jar din d’enfants pour les enfants de soldats sans famille, le bâtiment sera transformé en Casa del Sole, un insti tut qui accueille les enfants de tuberculeux, et mène des activités culturelles, comme la poursuite des “Bi bliotechine rurali”, et littéraires (elle publie plusieurs livres de contes pour enfants sous le pseudonyme qui l’a rendue célèbre, Tante Mariù) qui sont interrompues par l’arrivée du fascisme et la Seconde Guerre mon diale.
En tant que juive, Lombroso s’est enfui en Suisse. Elle revient après la Libération et poursuit ses études sur l’enfance jusqu’à sa mort en 1954. Sa contribution, connue des initiés, est restée inconnue du public jusqu’aux années 1970, lorsque Giorgio Li cata l’a mentionnée dans son livre “Storia del Corriere della Sera” (1976).
Ce n’est qu’en 1990 que Delfina Dolza a traité la que stion en profondeur dans sa biographie des sœurs Lom broso, “Essere figlie di Lombroso”.
Due donne intellettuali tra ‘800 e ‘900, exploitant les archives de la famille Carrara et la correspondance entre les frères Albertini et Paola entre 1906 et 1912. Dans les années 2000, plusieurs chercheurs ont écrit sur Lombro so, dont le plus récent est Giulio C. Cuccolini, dans un texte publié dans “Qua la penna !”qui présente plusieurs extraits des lettres de Lombroso et d’Albertini, ainsi que le texte exposant l’idée du Corrierino.
Le premier numéro de l’hebdomadaire, daté du 27 décembre 1908, prés ente en couverture un panneau de la série de strips américains Buster Brown - rebaptisé Mim mo en italien - créé par Richard Felton Outcault, ancien créateur du Yellow Kid. Jusqu’à aujourd’hui, cependant, on ne savait pas de quel panneau il s’agissait.
Buster Brown est sorti aux Etats-Unis au ryth me d’un panneau tous les dimanches, dans les suppléments de divers journaux, mais l’absence d’informations sur son édition originale n’a per mis ni d’établir quelle était la première source de publication (quel jour nal américain ?), ni de fai re une comparaison entre l’original et son adapta tion italienne.
Une “traduction” très lâche et “invasive”, à vrai dire, effectuée par la réd action de CdP.
Après des mois de re cherche, cette petite mais importante énigme a été résolue.
Le tableau est celui publié le 27 janvier 1907 dans les journaux du grou pe American-Examiner, c’est-à-dire le futur King Features Syndicate, pro priété du magnat William Randolph Hearst.
La page a été trouvée dans les numéros de mi crofilms des deux jour naux les plus importants du groupe, le New York American (la collection consultée est celle de la (suit page 44)
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Bibliothèque du Congrès à Washington DC) et le San Francisco Examiner (collection du Center for Research Libraries à Chi cago).
L’occasion de cette découverte a été l’expo sition sur le Corriere dei Piccoli dont j’ai eu le plaisir d’être le commis saire pour le WOW Spa zio Fumetto à Milan.
Carlotta Vacchelli, docto rante en études italiennes à l’université d’Indiana à Bloomington (Indiana), a effectué les recherches avec moi.
Luca Bertuzzi, mon col lègue conservateur au WOW Spazio Fumetto, Matteo Maculotti et Fabio Gadducci, spécialistes de la bande dessinée ancien ne, m’ont également ap porté leurs conseils et leur soutien.
La principale difficul té de la recherche a été d’identifier le journal de la publication originale. Outcault, en fait, a créé Buster Brown pour le New York Herald en 1902 et a continué à l’écrire et à le dessiner jusqu’en 1905, date à laquelle il a déménagé aux États-Un is pour continuer la série pour Hearst.
Les deux éditeurs sont en suite entrés en conflit sur la propriété du personna ge. Le jugement a établi la légitimité du droit de l’auteur mais aussi celle du premier éditeur, et la série s’est donc retrouvée dès lors dans une situation paradoxale : deux vies éd itoriales parallèles, avec
des auteurs et des éditeurs différents.
La première production continue pour le Herald, inti tulée Buster Brown et poursuivie par un nouveau des sinateur, le pas très célèbre William Lawler.
Il sera également publié dans le “Corrierino” dans les années 1910. Pour les plus curieux, une grande partie de la production pour ce journal, tant par Outcault que par la suite, désormais hors droits, peut être consultée ici. https://www.barnaclepress.com/comic/Buster%20 Brown/
La deuxième vie de la production, dessinée par son créateur mais, paradoxe dans le paradoxe, sans le titre “Buster Brown”, a été publiée dans les journaux du groupe Hearst jusqu’en 1921.
La première page historique du Corriere dei Piccoli provient, comme prévu, de ce cycle.
La première et plus visible différence entre la page du San Francisco Examiner et celle du Corriere dei Pic coli est certainement la suppression des ballons dans cette dernière.
Cela est dû à des raisons typographiques plutôt qu’à une hostilité de conception à l’égard des “petits nua ges”, comme le voudrait une certaine vulgate.
Les suppléments américains en couleur étant d’un for mat beaucoup plus grand que celui du Corriere della Sera, il a fallu réduire la taille des planches.
De cette façon, les petits nuages seraient devenus trop petits et les lettres illisibles : il a donc été décidé de les remplacer par des légendes rimées, qui sont devenues la marque de fabrique du “Corrierino”.
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Photo fumettologica.it
Deuxième différence : la rédaction du “Corriere dei Piccoli” a éliminé trois caricatures (6, 10 et 12), toujours dans le but de réduire la taille de la planche sans trop pénaliser la lisibilité.
Contrairement à d’autres séries, cependant, les dessins sources sont restés inchangés ; dans de nombreux cas - dont le plus célèbre est celui de Little Nemo - les des sins animés américains ont été modifiés précisément pour répondre aux exigences spatiales et graphiques de l’adaptation, Le panneau, publié en Italie sans indication de copyri ght, provient probablement du New York American, puisque d’autres bandes dessinées publiées ultérieur ement en portent la mention explicite. Il a été reproduit à l’aide d’un procédé photomécaniq ue, c’est-à-dire en photographiant les pages du journal, comme le rapporte Giovanna Ginex dans son essai Il ‘Corriere dei Piccoli’. Carte e disegni (1906-1970) pu blié dans le catalogue de la grande exposition rétros pective consacrée à l’hebdomadaire en 2008 à Milan (à la Rotonda della Besana).
Ginex a cité le journal World comme source pour Bu ster Brown, d’après la correspondance entre les deux rédacteurs qu’elle a pu consulter.
L’universitaire a notamment cité une lettre datée du 11 janvier 1909 qui mentionne le prêt de trois millésimes reliés du journal américain pour trois mois à la som me de 100 dollars, afin de pouvoir en faire des bandes dessinées.
De toute évidence, les documents dont disposait Ginex
étaient incomplets et l’ont conduite à une conclusion erronée, car Buster Brown n’apparaissait pas dans ce journal.
Le New York World était un journal appartenant à Joseph Pulitzer, principal concurrent de Hearst, et ne publiait pas les bandes dessinées American-Exa miner telles que Buster Brown, Sam et son rire (“Tom”, dans la version italienne du CdP), Et son nom était Maude (“Chec ca”) et Happy Hooligan (“Fortunello”), qui appa raissaient dans les pre miers numéros de l’heb domadaire milanais.
D’autres séries enco re, comme Little Nemo (“Bubi”) ou Buster Brown, réalisées par d’autres illustrateurs qu’Outcault, proviennent du New York Herald.
Nous pouvons donc affir mer avec certitude que la rédaction du Corriere dei Piccoli a également reçu des numéros entiers (de ces journaux en pro venance des États-Unis. On peut donc supposer une relation similaire à celle avec Pulitzer pour les groupes Hearst et He rald. C’est précisément des journaux de ces deux éditeurs, en effet, que pro viennent la plupart des personnages, alors que les bandes dessinées du Monde se trouvent en fait très rarement dans les pa ges du “Corrierino”.
Andrea Fiamma
https://fumettologica. it/2021/03/paola-lombro so-corriere-dei-piccoli/
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Photo fumettologica.it
éraphine Louis, dite Séraphine de Senlis (1864-1942), est une peintre française de style naïf.
Autodidacte, elle s’est in spirée de sa foi religieuse et des vitraux d’églises et autres arts religieux.
L’intensité de ses images, tant au niveau des couleu rs que de la reproduction, est parfois interprétée comme un reflet de sa propre psyché, oscillant entre extase et maladie mentale.
Séraphine Louis est née à Arsy (Oise) le 3 septem bre 1864.
Son père est ouvrier et sa mère est issue d’un milieu agricole.
La mère de Séraphine meurt le jour de son pre mier anniversaire et son père, qui s’est remarié, meurt également avant qu’elle n’ait sept ans ; elle est alors à la charge de sa sœur aînée. Elle travaille d’abord comme bergère mais, dès 1881, elle est engagée comme domestique au
SERAPHINE LOUIS
couvent des Sœurs de la Providence à Clermont, dans l’Oise. A partir de 1901, elle est employée comme gou vernante dans des familles bourgeoises de la ville de Senlis.
En plus de ses tâches quotidiennes ardues, Séraphine Louis peint à la lumière des bougies, en grande par tie dans un isolement secret, jusqu’à ce que son œuvre considérable soit découverte en 1912 par le collection neur d’art allemand Wilhelm Uhde.
Lors d’un séjour à Senlis, Uhde a vu une nature morte de pommes chez son voisin et a été étonné d’apprendre que Séraphine Louis, sa femme de ménage, en était l’artiste.
Son soutien avait à peine commencé à élargir ses ho rizons qu’il fut contraint de quitter la France en août 1914 ; la guerre entre la France et l’Allemagne avait fait de lui un étranger indésirable à Senlis, tout com me Séraphine Louis l’était, étant donné sa personnalité excentrique.
Ils ne reprennent contact qu’en 1927, lorsque Uhde , de retour en France et vivant à Chantilly, visite une exposition d’artistes locaux à Senlis et, en voyant les œuvres de Séraphine Louis, se rend compte qu’elle a survécu et que son art s’est épanoui.
Sous le patronage de Wilhelm Uhde, Séraphine Louis commença à peindre de grandes toiles, certaines de deux mètres de haut, et elle devint le peintre naïf le plus en vue de son époque.
En 1929, Wilhelm Uhde organise une exposition, “Peintres du Sacré-Cœur”, qui présente l’art de Séraphine Louis, la lançant dans une période de succès financier qu’elle n’avait jamais connue, et qu’elle était mal préparée à gérer.
Puis, en 1930, les effets de la Grande Dépression détruisant les finances de ses mécènes, W. Uhde n’a d’autre choix que de cesser d’acheter ses tableaux.
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Photo lenayoung
En 1932, Louis est admis pour psychose chronique à l’asile d’aliénés de Clermont, où son art ne trouve au cun débouché.
Bien que Wilhelm Uhde ait déclaré qu’elle était mor te en 1934, certains disent que Louis a en fait vécu jusqu’en 1942 dans une annexe de l’hôpital de Vil lers-sous-Erquery, où elle est morte sans amis et seule. Elle est enterrée dans une fosse commune.
Wilhelm Uhde continue d’exposer ses œuvres : en 1932, à l’exposition “ Les Primitifs modernes “ à Paris ; en 1937-38, à une exposition intitulée “ Les Maîtres populaires de la réalité “ qui se tient à Paris, Zurich et New York (au Musée d’art moderne) ; en 1942, à l’exposition “ Primitifs du XXe siècle “ à Paris, et en fin, en 1945, à une exposition personnelle de ses œuv res à Paris.
À l’instar de la sculptrice et peintre Camille Claudel, sa contemporaine exacte, Séraphine Louis meurt de faim dans un hôpital psychiatrique.
Atteinte d’un cancer du sein et dans la misère la plus totale, elle meurt le 11 décembre 1942 dans l’annexe de l’hôpital à Villers-sous-Erquery, dans les dures con ditions des asiles sous l’Occupation allemande et dans l’indifférence générale.
Son dossier médical conservé à l’hôpital de Senlis por te la mention « cueille de l’herbe pour manger la nuit ; mange des détritus ».
Séraphine de Senlis est enterrée dans une fosse anony me du carré des indigents au cimetière de Clermont. Elle avait pourtant exprimé, dans ses dernières vo
lontés, le souhait de voir graver sur sa tombe cette mention : « Ici repose Séraphine Louis, sans rivale, et attendant la rés urrection bienheureuse ». Séraphine de Senlis préparait elle-même ses couleurs de façon rudi mentaire, mais soignée.
Elle n’en a jamais vérit ablement dévoilé la com position mais une exper tise des toiles a établi qu’elle avait recours à de la peinture Ripolin qu’el le mélangeait à d’autres produits (fait repris dans le film de Martin Pro vost). Plus tard, un peu plus riche, grâce à l’aide de Wilhelm Uhde, elle a utilisé du vernis.
Fait remarquable, ses pig ments posent assez peu de problèmes de conserva tion25. Ses peintures ont un aspect mat, presque ciré.
Parfois, la signature est gravée au couteau, révélant une sous-couche de couleur contrastée. Il semble qu’elle ait signé ses peintures avant de les peindre.
Ses tableaux compor tent presque tous, dans le quart inférieur, une zone qui semble représenter un autre ordre que le re ste de l’image : les fruits et les fleurs continuent à s’épanouir dans cet te région mais d’autres éléments, des herbes ou des feuilles plus sombres, invitent à interpréter cet espace comme une sorte de souterrain inconscient où tout s’enracine.
Ce principe de composi tion (suit page 46)
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Photo lenayoung
(suit de la page 45) se retrouve dans de nombreuses œuvres.
Le besoin irrépressible de création fait de Séraphine de Senlis, pour reprendre les termes du conserva teur du musée Maillol, Bertrand Lorquin, une artiste dévorée par « cet te fameuse nécessité in térieure dont parlait Kan dinsky ».
Toutefois, il semble que la fonction subjective de sa peinture ait été incom patible avec la notoriété en raison de sa culpabili té mélancolique, de sorte qu’elle fut déstabilisée par sa réussite, s’empressant de dilapider ses gains.
Les œuvres de Séraphine Louis sont principale ment de riches fantaisies de compositions florales intensément répétées et embellies.
Elle utilisait des couleurs et des pigments qu’elle fabriquait elle-même à partir d’ingrédients inha bituels et exotiques qu’el le ne révélait jamais et qui ont résisté à l’épreuve du temps pour leur vivacité durable.
Les surfaces de ses table aux ont un aspect mat, presque cireux. Parfois, sa signatu re (généralement “S. Louis”) était gravée au couteau, révélant un fond de couleur contrastée. Dans certains cas, il sem ble qu’elle ait signé ses tableaux avant de les peindre.
Lena Young https://fr.wikipedia.org/ wiki/Séraphine_de_ Senlis Incroyable !
ROBERT RAUSCHENBERG A VENEZIA
Le transport assez folklo de l’œuvre ico nique de Robert Rauschenberg “Express” 1963, lors de la biennale de Venise en 1964. L’immense peinture est maintenant dans les collections du Museo Thyssen Bornemisza à Madrid. Photo Ugo Mulas.
Cest cette année là, quand Rauschenberg remporte le grand prix de peinture à la Biennale de Venise, que se déclenche une “guerre” dans le monde de l’art, entre Paris et New York.
Le 20 juin 1964, Robert Rauschenberg bouscule la vieille Europe en remportant le Grand Prix International de la Peinture à la Biennale de Venise, quelques jours plus tard, le 27 juillet, avec ma sœur Flo, sous les regards de Joan Miró, Alberto Giacometti ou Marc Chagall, entre autres, nous tendons une clef en or à André Malraux, alors ministre d’État du Général de Gaulle, clef en or qui ouvre les portes de la Fondation Marguerite et Aimé Maeght qu’il vient inaugurer par amitié pour Aimé.
James Baldwin et là et il lui est réservée une place d’honneur lors du dîner de gala en le plaçant aux côtés d’Alberto Giacometti. Dans la douceur des nuits de la Riviera, tous applaudissent Ella Fitzgerald venue agrémenter cette soirée qui fera date dans l’aventure des Arts.
Aimé Maeght, homme d’actualité et d’engagement rappelle, par la présence de ces personnalités et l’at tention qu’il leur est portée, que quelques jours plus tôt, le 2 juillet, le Congrès des États-Unis a adopté le
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Photo ugomulas
Civil Rights Act mettant fin à toute forme de ségréga tion ou discrimination reposant sur la race, la couleur, la religion, le sexe ou l’origine nationale.
Le geste peut sembler politique, mais dans cette année 1964, l’expression artistique en Europe est clairement empreinte d’un propos politique fièrement affiché dans l’exposition “Mythologies Quotidiennes” inau gurée le 7 juillet, au Musée d’Art Moderne de Paris. Cette exposition tend à démontrer qu’il existe une au tre forme de figuration que celle développée par les artistes du Pop-Art, cette nouvelle figuration sera ap pelée “Figuration Narrative”.
Dans le journal “Combat “, le poète et écrivain Alain Bosquet fustige ce prix attribué à l’artiste Pop améric ain : “Le choix de Rauschenberg est une “insulte”, une “atteinte à la dignité de la création artistique”, un “acte abject et intéressé”, “un événement dégrad ant dont on peut se demander si l’art de l’Occident pourra se relever”.
Car on accuse le galeriste et marchand d’art améric ain Léo Castelli d’avoir manœuvré pour faire triom pher le pop-art.
Derrière ces attaques teintées d’anti-américanisme, s’exprime tout la crainte, l’angoisse même, le constat du déclin de Paris, en tant que capitale artistique.
Yoyo Maeght
#popart #biennaledevenise #venicebiennale #rau schenberg #robertrauschenberg #castelli #leocastelli #figurationnarrative #figuration #fondationmaeght
e tombeau de Toutânkham -
on, découvert en novembre 1922 le 4 exactement, est aujourd’hui encore un des tombeaux de pha raon les mieux préservés à avoir jamais été mis au jour.
À l’époque, la chambre funéraire de Toutânk hamon et les artefacts de toute beauté qui s’y trouvaient captivèrent le monde entier et offrirent un aperçu inédit de ce qu’avait pu être l’Égypte ancienne.
Un siècle plus tard, cette découverte n’en finit pas d’émerveiller et a eu une influence durable sur le domaine de l’archéolog ie ainsi que sur l’identité égyptienne.
Pourquoi la découverte du tombeau de ce jeu ne pharaon qui a régné pendant moins d’une décennie il y a 3 000 ans a-t-elle une influence aus si durable ? La réponse a moins à voir avec le per sonnage qu’il était qu’a vec ce qu’il s’est passé après sa mort.
Ce sont surtout les cir constances de la découv erte de son tombeau qui importent ici.
Voici dix choses à savoir à son sujet, pourquoi cet te découverte a tant fait parler à l’époque et pour quoi elle continue d’avo ir de l’importance encore aujourd’hui.
1. Le tombeau de Toutânkhamon était incroyablement bien caché.
Les banlieues illuminées (suit page 50)
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Photo ugomulas
(suit de la page 49) de Louxor s’étendent vers la vallée des Rois. Le tombeau de Toutânk hamon se trouvait non loin du centre de la val lée des Rois, cimetière peuplé de pharaons situé à l’ouest de la ville de Thèbes.
À l’inverse des pyra mides, qui trahissaient la présence de trésors inouïs, ces tombeaux étaient souvent recouver ts pour empêcher les pil lards de les trouver.
Le tombeau de Toutânk hamon fut en fin de compte découvert sous plus de 150 000 ton nes de roche et sous les débris d’un tombeau qui avait été creusé à flanc de colline juste au-dessus du sien.
(Quelle que soit leur ca ste, les Égyptiens n’aspi raient qu’à une chose : la vie éternelle.)
2. On pensait qu’il était impossible de découvrir son tombeau.
La quête du tombeau Toutânkhamon fut une véritable épreuve de foi. Les égyptologues de l’époque étaient catégor iques : chaque tombeau de la vallée avait été soit pillé à l’Antiquité, soit découvert plus récemm ent par des archéologues. Parmi ces sites mis au jour se trouvait un caveau anodin qu’on attribuait à tort à Toutânkhamon.
Il semblait également que Toutânkhamon n’a vait été qu’un pharaon mineur ; les archives ne recensaient que quel ques artefacts portant son
TOUTANKHAMON 4 NOVEMBRE 1922
nom.
3. Mais Howard Carter refusait d’abandonner. Howard Carter (à droite) découvrit le tombeau de Toutânkhamon en novembre 1922, au nez et à la bar be de ceux qui pensaient que c’était impossible.
On le voit ici discuter avec son mécène, Lord Carnar von, en déambulant dans la vallée des Rois.
L’archéologue Howard Carter, contre l’opinion majo ritaire, poursuivit les fouilles durant des années, y compris lors de la Première Guerre mondiale, man quant de perdre la foi ainsi que les fonds de son mécène anglais, le comte de Carnarvon.
Mais en novembre 1922, quelques jours seulement après le début de ce qui devait être la dernière an née de fouilles, les archéologues découvrirent la mar che supérieure d’un escalier qui descendait dans la chambre funéraire. (Ténacité et chance menèrent à la découverte du tombeau de Toutânkhamon.)
4. Le tombeau de Toutânkhamon avait déjà été visité. La porte que les archéologues découvrirent au bas des escaliers était scellée.
Cela n’avait pas empêché des pillards de s’introduire deux fois dans le tombeau par effraction.
Ces larcins eurent lieu peu de temps après l’enterre ment, 3 000 ans environ avant que Howard Carter ne redécouvre la sépulture.
Les pillards y ont principalement volé de petits objets tels que des perles fabriquées à partir de pierres précieuses.
Les autorités d’autrefois firent colmater les fractures
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Photo gettyimages
de la porte externe avec du plâtre et y apposèrent de nouveaux sceaux après la dernière effraction. Une porte interne située au bas d’un couloir en pente a ég alement été fracturée et scellée de nouveau.
5. Le tombeau était en désordre lorsqu’on l’a découv ert. Dans la première salle ouverte par Howard Car ter, l’antichambre, plusieurs objets précieux étaient disposés en équilibre instable, comme s’ils avaient été rempilés à la hâte par les personnes en charge de la restauration du tombeau après le dernier pillage. La grandeur de ce qu’elle renfermait dépassait néanm oins toutes les attentes de Howard Carter. En découvrant l’antichambre pour la première fois, il la trouva « merveilleuse ». Une fois la brume dissipée, il aperçut, illuminés par sa lampe, les « animaux étranges, les statues et l’or ; partout le reflet de l’or ». (Découvrez les 5 000 trésors de Toutânkhamon.)
6. La découverte a instauré de nouveaux standards ar chéologiques.
Des ouvriers extraient un plateau sur lequel se trou vent des fragments de char découverts dans le tombe au de Toutânkhamon en 1922.
Le photographe Harry Burton est célèbre pour avo ir documenté les fouilles du tombeau qui ont fixé de nouveaux standards archéologiques et permis au monde d’entrevoir les nombreux trésors de Toutânk hamon.
Ces fouilles furent l’occasion pour Howard Carter de développer des techniques qu’il avait apprises lors de travaux précédents et de fixer de nouveaux standards
en matière de méticul osité et d’exhaustivité.
L’éclairage électrique, qui était à l’époque un outil nouveau, fut instal lé dans le tombeau avant que Harry Burton, photo graphe archéologique le plus accompli au monde, n’immortalise chaque scène.
Avant de déplacer quel que objet que ce soit, on plaçait des cartes nu mérotées à côté des arte facts et on les prenait en photo.
Howard Carter prenait en outre des notes détaillées sur les trésors inventoriés et en réalisait des esquis ses avant que ces derniers ne soient emmenés.
7. Cette découverte a façonné notre vision de l’histoire égyptienne. Presque intact, le tom beau a offert un aperçu inégalé de cet instant de l’histoire égyptien. Chars, armes, vêtements et œuvres d’art y reflètent la façon dont on faisait la guerre et révèlent l’iden tité de ceux que l’Égypte considérait comme ses ennemis.
Des fresques murales il lustrent des croyances religieuses, et notam ment le rétablissement du culte d’Amon, que le prédécesseur de Toutânk hamon avait révoqué.
Les sarcophages intacts permirent également aux archéologues de mieux comprendre les rituels funéraires complexes qui avaient cours. (La momie de Toutânkhamon renfer mait de nombreux trés ors.) (suit page 52)
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8. La «Toutânkhamon-mania » s’empare du monde.
Grâce aux photos détaill ées qu’a prises Harry Burton des artefacts et grâce à une presse plus généraliste que jamais, la nouvelle de cette découv erte sans équivalent tou cha un public mondial. Même le roi et la reine d’Angleterre attendaient des nouvelles des fouilles avec impatience.
Des motifs relatifs à l’Ég ypte et à Toutânkhamon apparurent dans la musi que populaire et dans la mode, dans l’architecture et dans la décoration, et même sur des marques de fruits.
9. L’Égypte a conservé les artefacts du tombeau de Toutânkhamon. Contrairement à de nom breux autres artefacts découverts en Égypte, les trésors du tombeau de Toutânkhamon n’ont pas quitté le pays.
Lord Carnarvon pensait qu’une part importante de ces objets anciens lui reviendrait, comme cela était de coutume pour la plupart des fouilles ar chéologiques.
Mais à cause du caractère irascible de Howard Car ter, et surtout parce que l’Égypte était en train de s’affirmer dans son in dépendance par rapport à l’Angleterre, le gouver nement décréta qu’aucun des objets ne sortirait du pays.
10. Toutânkhamon inspi re de nouvelles générati ons d’archéologues.
Dès l’époque de sa découverte, Toutânkhamon devint un symbole de l’identité égyptienne.
Aujourd’hui, les 5 000 trésors découverts dans son tombeau s’apprêtent à constituer la pièce maîtresse d’un Grand Musée égyptien qui doit voir le jour et de plus en plus d’Égyptiens dirigent des fouilles archéol ogiques dans le pays.
Toutânkhamon fut un pharaon influent. Il rétablit l’importance de dieux que son prédécesseur avait rejetés.
Son règne fut bref et les archives historiques ne le re tinrent pas vraiment.
S’il est si connu dans le monde entier 3 000 ans après sa mort, c’est surtout parce que son tombeau regorge ait de merveilles intactes.
Brad Scriber
https://www.nationalgeographic.fr/histoire/2022/10/ egypte-ancienne-dix-faits-meconnus-sur-le-tombe au-de-toutankhamon (Découvrez en avant-première le Grand Musée égypt ien, projet pharaonique à plusieurs milliards d’euros.)
https://www.nationalgeographic.com/magazine/ar ticle/egypts-new-billion-dollar-museum-is-fit-for-apharaoh-feature
https://www.nationalgeographic.com/magazine/ graphics/see-the-enduring-power-of-king-tut-as-ne ver-before-feature
https://www.nationalgeographic.com/magazine/ graphics/discover-king-tuts-5000-treasures-by-thenumbers
©Photo gettyimages
(suit de la page 51)
Photo robertdoisneau
arente éloignée de Nicéphore Niépce, l’in venteur de la photographie, Janine Niépce est née en 1921 à Meudon, fille d’un indu striel.
Elle effectue des études universitaires durant l’occu pation de la France par l’Allemagne pendant la Se conde Guerre mondiale.
En parallèle, elle apprend aussi les techniques pho tos, via des cours par correspondance, passant pour les appareils d’un petit Kodak à un Rolleiflex, puis à un Leica.
En 1944, elle obtient une licence d’histoire de l’art et d’archéologie à la Sorbonne.
À la même époque, elle développe des films pour la Résistance et participe à la Libération de Paris com me agent de liaison.
Mais elle n’a pas le temps et n’est pas autorisée à faire des photos.
Par contre, en mission en Bretagne lors de la résorpt ion de la poche de Saint-Nazaire, elle photographie la jonction des FFI et des forces alliés.
C’est dans ce contexte qu’elle rencontre Claude Ja eger, un des responsables de la résistance, alias le «colonel Michelin», chef FFI de la Région Bretagne. Elle l’épouse en 19462 (passionné par le cinéma, il réussit à devenir un des directeurs du Centre national du cinéma, puis un producteur de cinéma important dans les années 1950).
Elle divorce de Claude Jaeger après quelques années puis se remarie avec Serge Roullet.
JANINE NIEPCE
Elle est l’une des pre mières Françaises à exercer le métier de journali ste reporter-photographe.
En 1946, elle parcourt la France et ainsi pen dant plusieurs années, elle témoigne de ce qui disparaît et de ce qui év olue dans la société (les moyens de transports, la première télévision en 1963, …) avec leurs dif férences à la campagne, en province, à Paris.
Elle intègre en 1955 l’a gence Rapho.
En 1957, la Société française de photographie lui consacre une première exposition personnelle, à Paris.
En 1960, des extraits de son travail sont intégrés à une exposition collective au Louvre, intitulée Six photographes et Paris, avec Robert Doisneau, Willy Ronis, Roger Pic, Jean Lattès et Daniel Fra snay, la génération des photographes humani stes.
Puis, à partir de 1963, elle part en reportage en Europe et dans le monde : Japon, Cambodge, Inde, États-Unis, Canada.
Vêtue en touriste étrang ère, elle couvre les év énements de mai 683. Entre 1970 et 1980, ce sont les luttes des fem mes pour la liberté de la contraception, l’IVG et l’égalité des salaires qui l’interpellent.
Elle photographie aus si les femmes au travail. Elle indique dans un entretien : « je photo graphie les femmes dans leur trajectoire (suit p54)
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(suit de la page 53) complète, de l’enfance à la vieillesse et dans tous les milieux.
Lorsque les hommes photographient les fem mes, ce qui les fascine ce sont leur corps, leur beauté, et, depuis quel que temps, même leur laideur, c’est la mode; en somme, toujours des fem mes-objets. ». De 1984 à 1986, elle fait des reportages sur les chercheurs et les techni ciens pour le Ministère de la Recherche.
Membre de l’association Gens d’images, Janine Niépce a longtemps prés idé le jury du prix Niépce. Après l’agence Rapho, ses photographies sont diffusées par l’agence Roger-Viollet. Margueri te Duras a dit à propos de ses photographies : « Ce sont des photographies particulières.
Elles portent sur le sens profond de la civilisation. Moi, je les vois venir du monde entier, elles re stent universelles, d’une beauté et d’une vérité inépuisables. » Elle est la mère de l’alpi niste et médecin français Nicolas Jaeger, disparu dans l’Himalaya en avril 1980.
Janine Niépce meurt en 2007 à Paris à l’âge de 86 ans.
Janine Niepce a publié vingt ouvrages de pho tographies, dont notam ment : Le Livre de Paris, textes de Georges Charensol, Paris, Éditions Arts et
Photo janineniepce
Métiers Graphiques, 1957. Réalité de l’instant, préface de Claude Roy, Lausan ne, La Guilde du Livre, 1967.
Ce monde qui change, préface de François Nourissier, Lausanne, La Guilde du Livre, 1970. France, avec Marguerite Duras, Arles, Actes Sud, 1992.
Les années femmes, Paris, La Martinière, 1993.
Mes années campagne, Paris, La Martinière, 1994. Images d’une vie, Paris, La Martinière, 1995. Les Vendanges, Paris, Hoëbeke, 2000.
Françaises, Français, le goût de vivre, Arles, Actes Sud, 2005
Expositions
1970 : Exposition à Osaka (Japon)8
1979 : « Janine Niepce », Musée Nicéphore-Niépce, Chalon-sur-Saône9
2003 : Exposition vente de tirages signés, Paris, Ga lerie Debelleyme.
2004 : Exposition vente pendant le Mois de la Photo, Paris, galerie Artcurial.
2006 : « Douce France », Auxerre, musée Saint-Ger main.
2006 : Exposition vente, Paris, galerie Artcurial.
2006 : « Les Humanistes, 1944-1968 », Paris, Bi bliothèque nationale de France.
2009 : « Objectifs femmes », Antony, Maison des arts.
2018 : « La beauté est dans la rue », galerie Polka (Paris)10.
wikipedia.org
l’occasion d’une interview exclusive en deux parties, j’ai eu l’occasion d’échanger avec l’artiste Aurore Le Duc sur le plagiat qu’elle a subi de la part de l’artiste Maurizio Cattelan.
Camille - Parle moi du plagiat que tu as subi. Peuxtu m’expliquer le contexte et la manière dont tu l’as découvert?
Aurore - En 2015, j’ai commencé un travail qui s’ap pelle “Les Supporters de galeries”. Dans ce projet, je fais une analogie entre le monde du football et le marché de l’Art. Pour moi, le monde du football professionnel et le marché de l’Art contemporain tel qu’on le connaît à travers les médias, sont assez simi laires. On y trouve les mêmes enjeux économiques et médiatiques et ce sont aussi des milieux où il y a de la violence.
Évidemment, dans le monde de l’Art la violence est moins visible que dans le foot. Sport qui repose es sentiellement sur une compétition sportive opposant des joueurs et qui connait des problématiques d’ho oliganisme. Au contraire, dans le monde de l’art, la violence est plus symbolique. “Pour moi, le monde du football professionnel et le marché de l’Art contemporain tel qu’on le connaît à travers les médias, est assez similaire. On y trouve les mêmes enjeux économiques et médiatiques et c’est aussi des milieux où il y a de la violence.”
Donc, j’ai commencé en me disant qu’une galerie d’art et une équipe de foot se ressemblaient dans la
AURORE LE DUC
manière de fonctionner.
Le coach c’est le galeri ste.
Les artistes, ce sont les joueurs. Nous les artistes comme les joueurs de foot, on a des cotes.
La FIAC c’est un peu la coupe de l’UEFA de l’Art.
Et donc, en partant de ça, j’ai commencé à créer des hooligans de galerie, en commençant par Per rotin, Kamel Mennour, Thaddeus Ropac et Yvon Lambert. Pour moi, cha cune de ces équipes pou vait avoir un storytelling qui pouvait les rappro cher d’équipes de foot déjà existantes.
J’ai ensuite commencé par des dessins puis des blasons pour chacune de ces équipes. Des écharp es de supporters avec le nom de ces galeries et aussi des slogans.
Des slogans un peu déb iles et dans lesquels, je reprenais la politique de la galerie, mais en la détournant un petit peu. Par exemple pour Per rotin c’était “À cœur Veilhan, rien d’impossi ble”.
Veilhan comme Xavier Veilhan, un artiste de la galerie. Kamel Mennour, c’était “Kamel, trop puis sant”, parce-que pour moi, Kamel Mennour c’est un peu Marseille. Perrotin c’est un peu le PSG.
Et voilà, j’ai aussi fait des bombers, vraiment tout l’attirail du parfait supporter.
J’ai commencé ensuite à faire (suit page 56)
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Photo marionmoulin
(suit de la page 55) des performances dans des institutions qui expo saient les artistes de ces galeries.
Je m’y rendais en tant qu’hooligan. Par exem ple, si c’est un artiste de chez Kamel Mennour qui expose, j’y vais en tant qu’hooligan de Kamel Mennour.
Si c’est un artiste de chez Perrotin, j’y vais en hoo ligan de Perrotin. Évidemment, je ne de mande pas la permission au musée.
Lorsque je suis sur place, soit je prends juste des photos avec des postu res de supporters virils à côté des œuvres avec mes écharpes, soit je crie et chante le slogan de la galerie.
La première performance de ce genre que j’ai faite, c’était en 2016, pendant l’exposition « Not Afraid Of Love » de Maurizio Cattelan, à la Monnaie de Paris.
Étant donné qu’il est chez Perrotin, j’avais une écharpe et un bom ber Perrotin.
Je suis entrée et je me suis faite prendre en pho to devant ses œuvres.
Le lendemain, j’ai fait la même chose à la FIAC. J’ai été soutenir d’abord Kamel Mennour.
Donc j’avais des bandes dorées sur le visage, une main en mousse de sup porter.
Et après j’ai été me chan ger dans les toilettes, un peu en mode incognito, il y avait la sécurité qui me suivait.
J’ai donc mis ma panoplie de supporter de chez Per rotin. J’ai été devant sa galerie. J’ai sauté avec mon écharpe et je suis repartie. J’ai tagué tout le monde en diffusant mes photos sur les réseaux sociaux: la galerie Perrotin, Maurizio Cattelan & co. En octo bre 2017, à peu près un an après, j’ai découvert que Maurizio Cattelan m’avait plagié.
“En octobre 2017, à peu près un an après, j’ai découv ert que Maurizio Cattelan m’avait plagié.”
Je me suis faite plagier à un moment où j’étais dans une situation très précaire. En fait, j’avais traversé plusieurs mois de chômage, je n’avais plus de loge ment, je vivais entre chez ma mère et chez mon ex. Enfin bref, c’était horrible et je venais juste de re trouver une semaine avant de découvrir mon plagiat, un logement dans un foyer de jeunes travailleurs à Saint-Denis.
Donc, le jour où j’ai découvert mon plagiat, j’étais en train de faire ma lessive et d’aller au travail. Je venais de retrouver un travail à la librairie du Centre Pompidou en tant que caissière, et là on m’envoie un message en me disant : « Regarde ce qu’ils vendent au MOMA », le Musée d’Art Moderne de New York. Et là, je clique et je vois que c’était des écharpes de sup porters de galeries au nom du MOMA. Des écharpes de football faites par l’artiste Maurizio Cattelan. “C’était improbable pour tout le monde que ce soit la caissière, vivant dans un foyer de jeunes travailleurs dans le 93, qui se fasse plagier par une super star de l’Art contemporain.”
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Autant te dire que j’étais extrêmement énervée en al lant au travail, je disais à tous mes collègues “Regar dez, je me suis faite plagier !”. Évidemment, personne ne me croyait. On me disait “Oui, mais si ça se trou ve, c’est toi qui l’as plagié”. C’était improbable pour tout le monde que ce soit la caissière, vivant dans un foyer de jeunes travailleurs dans le 93, qui se fasse plagier par une super star de l’Art contemporain.
Camille - Et du coup j’en arrive à la deuxième que stion. Quel sentiment as-tu ressenti en te sentant dépossédée de ta création ?
Aurore - Alors, comme j’expliquais, à ce moment-là j’étais caissière, donc le mépris de classe, je le vivais déjà de plein fouet au quotidien. Quand on est hôtesse de caisse, on ne nous dit pas bonjour. Alors, vivre ce genre d’évènement en plus, m’a fait me sentir extrêmement insignifiante aux yeux du monde.
Ça m’arrivait parfois en caisse de dire à des gens qui achetaient des livres de Maurizio Cattelan : “Oui, je me suis faite plagier”.
Les gens me regardaient en se disant “Rends moi mon ticket de caisse et tais-toi ».
Du coup, même moi n’y croyais plus.
J’ai commencé à douter. Le truc le plus violent dans le fait de se sentir dépossédée de son travail, c’est qu’en terme de légitimité, je me sentais encore moins légitime du fait du milieu social dont je suis issue et de ma condition précaire. Je me mettais à douter du plagiat et de mon propre travail.
J’en étais à me dire “Ce n’est pas possible, c’est forcément moi qui l’ai plagié, sans m’en rendre compte.
Cette dépossession de mon travail, ça m’a fait me sentir plus précaire et ça m’a fait ressentir la violence de mes condi tions de travail. Ça m’a fait douter de moi-même en tant qu’artiste et de la légitimité de mon travail artistique.
Camille - As-tu pensé à entreprendre des poursu ites judiciaires ?
Aurore - Non, pas du tout. Quand je me suis rendue compte du plagiat, je me suis dit que de toute façon, la poursuite en ju stice ça n’allait pas être mon arme de défense.
Déjà, parce que je ne me sentais pas légitime d’al ler voir un avocat mais aussi parce-que je n’a vais pas les moyens de le payer.
Aussi, je ne me voyais pas amorcer des démarches administratives lourdes. Je préfère me servir de ce plagiat comme un mo teur artistique, parce qu’ à part les supporters de galeries, je travaille aus si sur la copie.
Donc, se faire plagier quand on travaille sur la copie, c’est quand même une belle opportunité et je trouvais que l’intégrer dans ma démarche arti stique c’était plus enri chissant que d’aller voir un avocat.
Par la suite, j’ai contacté le Barreau des arts, une association qui donne (suit page 58)
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(suit de
57) des conseils juridiques gratuits aux artistes sur le droit d’auteur. Je me suis entretenue avec une avocate qui m’a accom pagnée et soutenue dans ma démarche.
Je savais très bien qu’at taquer des personnes comme Maurizio Catte lan pouvait présenter un risque.
“Donc, se faire plagier quand on travaille sur la copie, c’est quand même une belle opportunité et je trouvais que l’intégrer dans ma démarche arti stique c’était plus enri chissant que d’aller voir un avocat.”
Camille - On en vient donc aux actes de résis tance possibles face à ce genre d’évènement ?
Aurore - La première idée que j’ai eu fut à l’occasion de la vente d’écharpes de Maurizio Cattelan, chez Colette, marque de prêt-à-porter. C’était le dernier mois du magasin avant sa liqui dation. J’ai donc pensé remettre mon nom sur ce qui m’appartenait. Donc je voulais faire de faus ses étiquettes pour les coller sur mes écharpes chez Colette. Mais j’ai commencé à douter de moi-même, de mon pro pre plagiat. Et en fait, un jour j’ai eu une illumina tion. Je me suis rendue compte que mon deu xième prénom, donc je m’appelle Aurore Le duc, mon deuxième prénom c’est catel, normalement il s’écrit K, A, T, E, L, L. C’est un prénom breton
que ma grand-mère voulait me donner. Ma mère l’a placé en deuxième prénom.
Mais mes parents l’ont orthographié, C, A, T, E, L, ce qui n’est pas l’orthographe usuelle.
Et donc, C, A, T, E, L, si je rajoute « lane » ou «land», ça fait Cattelane ou Catteland, et Catteland, il se trouve que c’était le nom de ses écharpes. « Made in Catteland ».
De plus, quelques mois après que Maurizio Cattelan a sorti sa marque d’écharpes, il a sorti un compte in stagram qui s’appelait “Made in Catteland”, sur le quel il faisait la promotion de ses écharpes, avec des photos de lui au sein des institutions où il les vendait. Il avait demandé aux gens qui achetaient ces écharp es de se faire photographier avec.
Du coup, j’ai décidé de faire ma propre version de son compte instagram “Made in Catteland”, avec mon prénom catel, avec un légère différence, lui c’est cattel avec deux T un L, moi c’est catell avec un T deux L. Je voulais presque faire le fake de sa marque, plagier son plagiat.
Ce qui est assez drôle, c’est que lui, par exemple en lançant cette marque d’écharpe, il a créé en parallèle ce qu’il appelle la “museums league” afin de dém ocratiser l’art et le statut de « collectionneur », en disant “tout le monde pourra devenir collectionneur d’art en collectionnant mes écharpes”.
D’un point de vue sociologique, c’est plus compliqué que ça.
Tout le monde ne peut pas rentrer dans un musée déjà
la page
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et tout le monde ne peut pas dépenser 50 dollars pour une écharpe de “collectionneur d’art”.
“Je voulais presque faire le fake de sa marque, pla gier son plagiat.”
Moi, à l’origine, je voulais me moquer du snobisme du milieu du monde de l’art et de son marché.
Je voulais mettre une écharpe Perrotin pour montrer aux autres une forme de capital culturel.
Maurizio Cattelan a de son côté réalisé ces écharpes pour se faire de l’argent et ça a très bien marché.
Par exemple, une des premières choses qu’il a faite avec ça, c’était l’organisation d’une vente pour une collecte de fonds pour le Brooklyn Museum en 2018, chez Philips.
Ça m’a fait beaucoup rire. Donc voilà, j’ai fait ce compte “Made in Catelland”. Ça m’a pris à peu près 6 mois, je l’ai fait sur mon temps de travail, notamment parce que je travaillais à cette époque en 35 heures.
Je passais donc mon temps à prendre en photo mes collègues de travail pendant mes pauses par exemple. Je travaillais dans une institution culturelle en tant que caissière et je vendais des livres de Maurizio Cat telan.
“Je voulais mettre une écharpe Perrotin pour mon trer aux autres une forme de capital culturel. Maurizio Cattelan a de son côté réalisé ces écharpes pour se faire de l’argent et ça a très bien marché.”
À ce sujet, la directrice de la librairie du Centre Pom pidou m’a dit “Vous savez Aurore, je suis passée à la
Galerie Perrotin la der nière fois.
Les écharpes de Cattelan sont très belles.
Mais par égard pour vous, je ne vais pas en prendre.”.
Je lui ai répondu “Oui, si vous ne voulez pas que je brûle votre librairie, il ne vaut mieux pas les prendre effectivement.” . Bref, j’ai lancé ce compte instagram, j’ai eu de très bonnes critiques, même Perrotin a liké ma publi cation sur mes suppor ters de galeries.
Il est bien au courant que j’accuse l’un de ses arti stes de plagiat.
Mais ça va, il a l’air de bien le prendre.
Finalement, j’ai eu une idée de vengeance.
Le premier axe, c’était le compte instagram, et le deuxième, c’était lié à un autre travail artistique plus personnel.
De base, je travaille be aucoup sur la copie, je fais des sosies de stars aux destins tragiques.
J’ai fait un Elvis pas très réussi, mais assez pour qu’on le reconnaisse.
J’ai fait Dalida aussi, Freddy Mercury.
Et donc un jour, en tra vaillant à la librairie du Centre Pompidou, mon collègue me dit “Tu sais Aurore, un jour on a failli inviter Maurizio Cattelan en signature.
C’était à l’occasion de la sortie de sa monographie à la suite de son expo sition au musée Gug genheim.
Mais au dernier moment, (suit page 60)
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(suit
on nous a dit de ne pas l’inviter parce qu’il allait inviter quelqu’un d’autre à venir afin de se faire passer pour lui lors des séances de dédicaces. ».
Cattelan n’aime pas les interviews, donc il envo ie souvent des personnes faire ses interviews à sa place et les journalistes pensent qu’ils parlent à Cattelan.
Et donc moi je me suis dit : “Attends, le hasard de la vie fait que mon deu xième prénom Catel res semble à Cattelan.
Ma mère est femme de ménage, comme la mère de Cattelan, donc on vient du même milieu so cial, et lui c’est quelque chose qu’il revendique beaucoup.
Son statut “d’ancien enfant des rues de Pa dou” qui n’est pas allé à l’école.
Ce côté “Je suis un pau vre qui a réussi”.
Dans mon cas, je suis pauvre parce que je viens d’un milieu social ou vrier et que je n’ai pas réussi.
Mais malgré cela, on partage un même par cours.
J’ai une partie de ma fa mille qui vient d’Italie, à peu près de la même rég ion que lui.
Lui, il vient de Padoue, ma famille vient de Udi ne.
“Le travail d’Aurore Le duc, c’est un prolonge ment de mon travail donc je peux me l’approprier” Donc, je me suis dit qu’on avait beaucoup de choses
en commun et même dans le travail, je pense que s’il a plagié mon travail ce n’est pas anodin.
Au tout début de sa carrière, il a travaillé sur le foot, mais pas de la même manière que moi.
Il a aussi travaillé sur l’univers des galeries, donc il a dû se dire “Le travail d’Aurore Le duc, c’est un prolongement de mon travail donc je peux me l’ap proprier”.
Donc à la fois, il m’a plagiée mais en même temps, je ne peux pas nier non plus le fait que malgré moi, je sois ancrée dans son héritage.
Par rapport à cela, un jour, un artiste avait dit à mes amis “C’est normal que Cattelan plagie Aurore, par ce que c’est sa fille spirituelle”.
Voilà, il y aurait un truc entre nous de filiation un peu bizarre.
Donc quand mon collègue m’a dit que Cattelan en voyait des gens signer à sa place, je me suis dit “Moi, si il veut, je peux signer à sa place, pour signer Catel lan (Et non Cattelan avec deux T)”.
Camille Sauer
Camille Sauer est une artiste et compositrice engagée, diplômée en 2018 de l’École Nationale Supérieure des Beaux-arts de Paris. Son travail se découvre, se pense, se comprend en rouge et noir. C’est un travail engagé qui re noue avec cette acception de l’artiste qui prend position dans la société : pour la comprendre, donner à la penser et surtout la changer.
https://blogs.mediapart.fr/camille-sauer/ blog/091022/comment-maurizio-cattelan-ma-depos sedee-de-mon-oeuvre
de la page 59)
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on nom ne vous dira sans doute rien.
Léon Bonvin (1834-1866) n’a pas la reconnaissance qu’il mérite.
Peu connues du grand public, ses œuvres sont pourtant très recherchées par les grands musées et les collectionneurs.
Espérons que la très belle exposition que lui consa cre la fondation Custodia contribuera à mettre son talent en lumière.
L’expo s’intitule “Léon Bonvin, une poésie du réel”. Poète, Léon Bon vin l’était, assurément.
Il dessinait ce qu’il con naissait le mieux, ce qui l’entourait, un quotidien simple et une nature à demi sauvage.
Le petit cabaret de son père, rue du Moulin à Vaugirard, un village aux abords de Paris qui correspond aujourd’hui au 15e arrondissement.
La cuisine, les clients... L’établissement accueil lait ouvriers et artistes, qui s’attablaient devant
des omelettes XXL et des gibelottes qui donnaient soif.
Le “père Bonvin”, figure marquante de Vaugirard, avait servi dans l’armée de Napoléon et arrondissait ses fins de mois en faisant le garde champêtre.
À sa mort, Léon lui succède, se consacrant au dessin dans ses rares moments de loisir.
Il travaille à la pierre noire et sublime ses œuvres par de puissants effets lumineux.
Plus d’un critique se demandera s’il était conscient de la modernité de ses tableaux (les “dessins noirs” de Georges Seurat lui sont bien postérieurs).
Sans doute que non.
Et Léon Bonvin ne cherche à vendre ses œuvres que lorsque nécessité fait loi.
Après 1858, il se consacre à l’aquarelle et réalise des natures mortes dans la tradition de Chardin.
Sa boîte d’aquarelle témoigne de cette “conquête de la couleur”.
Et les différentes dates accompagnant les godets de pigments indiquent que cet enrichissement progressif de la palette était d’abord un enjeu financier.
Ses bouquets sont de pures merveilles, des chefs-d’œuvre de simplicité : quelques fleurs de sai sons (pâquerettes, pervenches, violettes et lilas) cueil lies dans les jardins ou les prés de Vaugirard.
Léon Bonvin entretenait avec la nature une intimité pleine de sensibilité, et la minutie des détails montre un grand sens de l’observation.
Il parcourait la plaine de Vaugirard, sa boite d’aqua relles à la main, peignant les paysages parfois à ras de terre, cherchant à rendre l’atmosphère et les nuances du temps.
Dans ses paysages, on distingue parfois de minuscu les personnages solitaires, toujours secondaires par rapport à la nature.
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Photo daguerreotype
«Léon Bonvin une poésie du réel» du 8 octobre 2022 au 8 janvier 2023 Fondation Custodia Collection Frits Lugt 121, rue de Lille 75007 Paris Tél : +33 (0)1 47 05 75 19 coll.lugt@fondationcustodia.fr www.fondationcustodia.fr
En 1866, à 31 ans, Léon Bonvin se suicida dans la forêt de Meudon. L’exposition se clôt sur son auto portrait, réalisé la veille de sa mort, dédié à sa femme et à ses trois enfants.
Les tableaux de Léon Bonvin débordent de poésie et font résonner une petite mélodie tranquille, un peu triste.
L’exposition dévoile de nombreuses œuvres encore inédites, dispersées dans des collections publiques ou privées, essentiellement américaines et françaises.
À cette occasion le catalogue raisonné de l’ensemble de son œuvre sera publié.
L’exposition et l’ouvrage apportent un éclairage nou veau sur la vie et l’art de Léon Bonvin.
Ils permettent de dévoiler de nombreuses œuvres encore inédites, dispersées dans des collections pu bliques ou privées, essentiellement américaines et françaises.
Léon Bonvin ne connut pas la même notoriété que son demi-frère, François (1817–1887), qui était un peintre réaliste estimé au XIXe siècle.
Sur sa vie, de rares sources et témoignages nous sont parvenus.
La plupart furent écrits juste après sa mort précoce, et souvent en réaction à celle-ci, avant que la mémoire de sa carrière et de son œuvre ne s’efface.
Paul Lefort dira sobrement qu’il était “accablé par toutes sortes de chagrins”, et Jules Vallès, que sa vie avait été “tragique”.
La sincérité avec laquelle il représenta la réalité de
Stéphanie Mesnier-Angeli
son quotidien conduisit à un art d’une poésie singulière.
Ces œuvres intimes et touchantes de vérité con stituent sans nul doute une grande découverte pour le public de la Fon dation Custodia.
Si le catalogue recherche l’exhaustivité, un choix de près de soixante-dix œuvres de Léon Bonvin a été fait pour l’exposition. Près de la moitié de cet te sélection est issue de l’important fonds du Walters Art Museum de Baltimore, constitué du vivant de l’artiste par le collectionneur américain William Walters (1820–1894).
Nombre d’autres œuvres ont fait aussi le voyage depuis les États-Unis où Léon Bonvin reste très apprécié. Plus proches de nous et des six feuilles de Bonvin conservées à la Fondation Custodia, le musée d’Orsay possède également un important ensemble de treize des sins de l’artiste.
Les collectionneurs pri vés ont eux aussi prouvé leur générosité en accor dant de nombreux prêts à cette occasion.
Une manière de souli gner la singularité de l’art de Léon Bonvin que l’on pourrait qualifier de réalisme intuitif, dans sa forme la plus honnête et immédiate.
Cette singularité et cette sincérité firent de lui un poète du réel.
Léon Bonvin mérite plei nement un détour par le 121 rue de Lille.
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https://www.facebook.com/ st.mesnier
vant d’être une galerie, ce lieu fut le showro om parisien du céramiste Alain Vagh, lequel a progressivement évolué de la céramique d’art décoratif à des pro positions purement arti stiques.
Ce bel espace chargé d’histoires (les habitants du quartier se souvien nent encore de la jument bleue carrelée d’Alain Vagh baptisée Rachida Blue qui trônait en vitri ne) est idéalement situé à quelques mètres de l’In stitut du Monde Arabe et en face de l’université Jussieu.
En 2018, tout en conti nuant de recevoir les ar chitectes habitués à tra vailler avec ses produits (Alain Vagh Céramique a été certifiée Entrepri se du patrimoine vivant en 2019) Alain Vagh a le projet d’y établir une galerie d’art qu’il confie à Moufida Atig. Moufida, galeriste depuis 2018, a la capacité de ré-enchanter les espaces
par sa sensibilité à l’art. C’est ainsi qu’elle a organi sé de nombreuses expositions originales avec le désir de promouvoir les œuvres d’artistes contemporains issus des cinq continents, toujours dans l’optique d’u ne ambiance propice à la découverte et au tissage de liens culturels.
Lors de ces expositions où se mêlent performances, conférences et concerts, la galerie est devenue, entre les mains de Moufida, un espace de partage et de ren contres humaines et artistiques qui promet à celle ou celui qui s’aventure à pousser la porte, une bouffée d’art pur… «Disparates» dans sa traduction française « Folies », est le titre espagnol d’une série de gravures de Franci sco Goya, exécutées à l’aquatinte et à la pointe sèche entre 1815 et 1823.
Elle présente des visions oniriques, de la violence, du sexe, des scènes étranges.
Ces œuvres sont une critique des institutions politi ques et sont issues d’une mémoire blessée et marquée par les désastres de l’occupation de l’Espagne par les troupes napoléoniennes en 1808.
Jeux & Empreintes est le dialogue entre les œuvres gravées et les céramiques de deux artistes, Emmanuel le Renardet Sophie Sainrapt, passionnées par Goya et ayant toutes deux conscience que l’art est une affaire d’alchimie entrel’inconscient, le corps et la matière. Dessiner, graver, encrer, imprimer, gratter, peindre… De leurs gestes naissent des personnages et des créat ures insolites, dans des mises en scène poétiques et atypiques.
Elles se rencontrent au début des années 2000 dans l’atelier de gravure Pasnic, fréquenté par de très nom breux artistes de renom venant graver, faire imprimer, échanger et s’initier à la technique du carborundum,
de Pascal
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auprès
Gauvard et Nicolas du Mesnil du
Photo gabyviaud
«Disparates» Jeux & Empreintes Emmanuelle Renard et Sophie Sainrapt du 5 octobre 2022 au 9 novembre 2022 Vernissages mercredi 5 octobre 2022 de 18h à 21h samedi 8 octobre 2022 de 15h à 20h Galerie Terrain Vagh 24 rue des Fossés Saint Bernard, 75005 Paris du mardi au samedi de 14h à 19h Tél.:+33 06 10 27 50 38 galerie.terrain.vagh@gmail.com https://galerieterrainvagh.com
Buisson, les deux fondateurs aujourd’hui décédés. Cette technique (élaborée par Goetz dans les années 1950, qui leur avait été enseignée par l’artiste James Coignard et son épouse) ainsi que l’amitié qui y rég nait ont contribué au rayonnement de l’atelier dans le monde artistique et à la naissance d’un véritable Esprit Pasnic, dont sont littéralement habitées nos deux artistes Sophie et Emmanuelle, cette dernière n’étant autre que lafille de James Coignard. L’exposition propose une quarantaine d’œuvres is sues de différentes séries et éditions d’art réalisées par chacuned’entre elles au cours des vingt dernières années, ainsi qu’une série inédite de gravures à quatre mains réalisées spécialement pour l’événement, sur la suggestion de Moufida Atig de la galerie Terrain Vagh.
Emmanuelle RENARD
La gravure, passerelle entre dessin et peinture, est une histoire de famille d’artistes et d’artisans, expérience riche de réflexion… Je grave le rêve. Je grave ce que la vie me révèle.
Sophie SAINRAPT
En dessin, j’ai besoin de la présence du modèle, et de son incarnation.
En gravure, malgré les nécessités techniques, l’imagination pri me.
Avec la gravure, on reste tout le temps dedans.
Disparates Par Joëlle Péhaut
Lorsque deux femmes et amies décident pour pro duire des gravures origi nales à quatre mains, de confronter leurs appro ches artistiques, aussi dissemblables soient-el les, cela nous apprend plusieurs choses :
La première est qu’elles n’ont pas peur de la liber té.
Effectivement ni l’une ni l’autre ne se protège der rière un dogme artistique, une pratique installée ou une « marque de fabrique » intangible.
La seconde, est qu’elles sont adeptes de l’audace. Chacune va devoir expérimenter de nouve aux territoires, installer un dialogue, se laisser entraîner ou entraîner l’autre, argumenter, nég ocier… Bref, prendre des risques.
La troisième c’est qu’el les ont en commun une source d’inspiration, qu’elles partagent une nourriture artistique et spirituelle et qu’elles ont une envie irrépressible de l’explorer ensemble. Peut alors commencer un somptueux banquet !
Et c’est sous les auspices de Goya que les deux ar tistes ont mis en place le fructueux dialogue qui donne lieu à cette exposi tion. Chacune et ensem ble, Emmanuelle Renard et Sophie Sainrapt, vont déployer leur rhétorique, dans l’espace de ces rares papiers, faits mains. (suit page 58)
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(suit de la page 57)
Après avoir travaillé sur les traces de Cervantes, d’Ovide ou de Rabelais pour Emmanuelle Re nard, ou dans le sillage de Bataille, Louÿs ou Ar rabal, pour Sophie Sain rapt, cette rencontre au tour d’un des artistes les plus libre, provocateur et humaniste de l’histoire de l’art, apparait comme une évidence.
Lui qui a fait une déclar ation de principe au ser vice de l’originalité, de la volonté de donner li bre cours à l’invention, lui qui a dénoncé « l’op pression des règles et la nécessité de la liberté », est ici largement honoré. Et c’est avec la gravure que les deux artistes vont œuvrer. Elles voient ju ste!
Goya en a lui-même réal isé de nombreuses, à par tir de 1771, en défendant la « recherche du potentiel de chaque technique pour expérimenter au mieux sa créativité ». Elles vont même suivre le fameux peintre espa gnol jusque dans le choix des sujets.
Mais n’allez pas croire que les deux complices vont se conduire en bon nes élèves !
Fortes des injonctions du maître, elles vont produ ire 3 gravures originales en 8 exemplaires.
D’abord dans l’atelier de l’une, puis dans ce lui de l’autre car toutes deux ont l’expérience de la gravure et disposent d’une presse, leurs quatre mains vont se mêler pour
interpréter et détourner, trahir peut-être (chacun ju gera…) le chemin indiqué. Ensemble, en confrontant les techniques et les approches, elles vont lâcher la maitrise et faire surgir de trois plaques, à coups de Dremel, 24 gravures originales.
C’est là que la liberté des deux amies se déploie ! L’image qui surgit de la plaque (Rhodoïd, plus ten dre et plus « féminin » ou plexiglass, plus dur) et de l’impression sur le papier, est retravaillée à la peinture, qui se mêle à l’encre d’imprimerie. Pour enlever, remettre, estomper la matière, mettre en lumière, ou charger en intensité. A coups de pinceaux, de doigts ou de coton-tige.
Et même si Emmanuelle Renard retravaille plus, alors que Sophie Sainrapt resterait volontiers sur des for mes plus « brut », même si l’on reconnait le vocabu laire de chacune, la joyeuse négociation:
Verbatim -T’as pas peur de ça ? -Non, mais tu peux éclaircir un peu, là ? -Ca va là… -Tu devrais ….– Non, parce que…. -Alors, pourquoi tu me demandes ? engendre des images puissantes, cohérentes et harmo nieuses.
Mais il ne s’agit pas seulement pour les deux artistes de s’affranchir du maître ou de soi-même, par la te chnique.
Le traitement des sujets, par des expressions moins effrayantes et moins mortifères, de même que le trai tement de la lumière et des couleurs, viennent actua liser le romantisme ou le symbolisme qu’on trouve,
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Photo terrainvagh
initialement, dans les représentations de Goya.
Que dire de ce bouc grivois et féminin (Symbole du Mal, Sabbat des Sorcières 1820-1823), abrité sous son ombrelle (El Quitasol 1777) qui abrite sous son autre patte une sorcière dodue et chignonnée qui n’o se même pas le regarder ?
Que le mal prend ici des atours bien séduisants en dépit de la présence de la tête de mort sur le guéridon et de l’inquiétante chouette.
Que dire de cette jeune hybride aux seins érectiles, à la queue de comète solaire et aux pieds palmés, frôlant ce pauvre hère accablé et interloqué par sa propre bêtise?
Que dire de cette timide sorcière prise entre le Mal et la Bêtise, ceinturée de fleurs, dans un improbable éq uilibre ? Ou de cette tête fleurie qu’elle porte comme une offrande insolite ?
Que dire de ce ciel bleu si éclatant ou de ce tapis d’or? Dire que, pour notre plus grand bonheur, il y a là une puissante création nourrie d’imaginaire, une tra duction libre et inspirée des symboles occidentaux exploités dans des formes plus traditionnelles par Goya, lui-même inspiré par Velazquez.
Mais notre plaisir ne s’arrête pas là car dans l’espace de cette exposition, nous allons pouvoir découvrir des gravures originales faites par l’une ou l’autre de nos deux artistes.
On découvre et retrouve avec Sophie Sainrapt, ma gnifique interprète des récits érotiques et la féministe sensuelle, un nu colossal (El Gigante, 1816).
DISPARATES TERRAIN VAGH
Mais elle a choisi, pour cette allégorie romantique, fidèle à sa passion pour les corps féminins, de représenter une fem me aux cheveux rouges, massive et voluptueuse avec des yeux grand-ou verts.
On découvre et retrouve avec Emmanuelle Re nard, le baroque expres sionniste dans le traite ment de couleurs (plutôt pop avec des blancs rehaussés) les apparitions d’animaux fantastiques (Chouette ou grue) et les déséquilibres magiques. Ce monde dans lequel tous les règnes se con fondent.
On réalise alors qu’avec l’espièglerie, la bonne hu meur et le professionnali sme qui les caractérisent, le travail d’Emmanuelle Renard et celui de Sophie Sainrapt ne pouvaient que se déployer magnifi quement, ensemble, pour cette exposition.
Du 5 octobre 2022 au 9 novembre
Galerie Terrain Vagh
24 rue des Fossés Saint Bernard Paris 75005
Du mardi au samedi de 14h à 19h
Moufida Atig
Tél.:+33(0)143254474
Galerie.terrain.vagh@gmail.Com
PALAZZI 67 VENEZIA
Photo terrainvagh
2022
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