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Le Louvre on line Ettore Majorana Au fil du temps Mylène Vignon La Farnesina Mona Kuhn Paola d’Agostino La fabuloserie La Samaritaine Casa Malaparte Constance Mankiewicz Olympe de Gouges Saisons de Culture Clara Klinghoffer Mauro Moledda Zaha Hadid Supplément au Palazzi A Venezia Avril 2021
PALAZZI A VENEZIA Publication périodique d’Arts et de culture urbaine de l’association homonyme régie par la Loi de1901 ISSN/Commission Paritaire : en cours Distribution postale/digitale Président Directeur de la Publication Vittorio E. Pisu Comité de Rédaction Marie-Amélie Anquetil Arcibaldo de la Cruz Vittorio E. Pisu Rédactrice S’Arti Nostra Demetra Puddu Rédactrice Mode & Vacances Virginie Bapea Supplément à l’édition de Palazzi A Venezia du mois de Avril 2021 Tous droits reservés Projet Graphique Maquette et Mise en Page L’Expérience du Futur Correspondance vittorio.e.pisu@free.fr palazziavenezia@gmail.com https://www.facebook.com/ Palazzi-A-Venezia https://www.vimeo.com/ channels/palazziavenezia
i vous ne savez pas comment passer Pâques, entre régions rouges et interdictions draconiennes, le Louvre a peut-être la solution pour vous. L’ensemble de la collection du musée parisien, soit plus de 482 000 pièces, est en effet pour la première fois en ligne sur un tout nouveau site web. Conçue pour les chercheurs et les amateurs d’art, la base de données collections.louvre.fr contient, outre les œuvres du Louvre, celles du musée national Eugène-Delacroix, les sculptures du jardin des Tuileries et du Carrousel, ainsi que les œuvres récupérées après la Seconde Guerre mondiale. Le site, qui sera régulièrement mis à jour par les experts du musée, propose plusieurs façons de se plonger dans les collections : recherche simple ou avancée, entrées classées par département de conservation et albums thématiques. Un plan interactif aide les visiteurs à préparer ou à poursuivre leur visite et leur permet de découvrir le musée salle par salle. Toutes les informations sont disponibles en français, anglais, espagnol et chinois. «Aujourd’hui, le Louvre dépoussière ses trésors, même les moins connus», a annoncé son président, Jean-Luc Martinez. Seuls quelque 30 000 de ces artefacts étaient accessibles au public sur l’ancien site, visité 21 millions de fois rien qu’en 2020. «Pour la première fois, chacun peut accéder gratuitement à l’ensemble des œuvres de la collection depuis un ordinateur ou un smartphone, qu’elles soient exposées au musée, prêtées, même à long terme, ou en dépôt», a-t-il déclaré. L’extraordinaire patrimoine culturel du Louvre est désormais à portée de clic! Je suis sûr que ce contenu numérique donnera encore plus envie aux gens de venir au Louvre pour découvrir les collections par eux-mêmes», a-t-il conclu. Giulia Giaume https://www.louvre.fr/visitesen-ligne https://www.youvisit.com/ tour/louvremuseum h t t p s : / / w w w. a r t r i b u n e . com/arti-visive/arte-moderna/2021/03/museo-louvre-parigi-online
e supplément au mensuel tel que je l’imaginais il y a quelques temps, continue malgré tout à vous proposer si ce n’est des découvertes à tout le moins des informations qui se voudraient des thèmes de réflexion et même parfois de divertissement. C’est vrai qu’en ces temps disgraciés il n’y a pas vraiment de quoi rire et le spectacle que les dirigeants (sic) des nations de cette planète nous proposent est vraiment affligeant. A croire qu’un véritable complot, ourdis par je ne sais pas quelle maléfique cervelle est entrain de s’appliquer à nos populations désemparées et terrorisées par une pandémie bien réelle mais aussi par les informations les plus contradictoires qui soient lorsqu’elle ne laissent paraitre le mensonge foncier sur le quel elles voudraient s’appuyer. Je ne peux que nous souhaiter que ce cauchemar s’arrête au plus vite. Pendant ce temps là il est parfois réconfortant de se tourner vers les nouvelles positives qui heureusement ne manquent pas, comme par exemple les dix ans de Saisons de Culture le magazine prestigieux animé par Mylène Vignon que j’ai voulu accompagner de quelques figures historiques pour ne pas dire légendaires qui nous montrent que même dans les moments les plus difficile il faut courage et audace garder et défendre ses convictions même contre vents et marées. Dans le centerfdold vous allez trouver l’image d’un tableau réalisé par Mauro Moledda, ingénieur et artistes sarde et aussi photographe, bariton, musicien et, bien entendu, fin gourmet comme tous les originaires du centre de la Sardaigne spécialement en ce moment Pasqual. En vous proposant la grandissime architecte Zaha Hadid je vous montre le projet premier prix dans un concours où il fut choisis, un Musée qui malheureusement n’a pas encore vu le jour si jamais le verra, dans ma ville de Cagliari, Le conflit entre administrations municipales, territoriales, régionale (la Sardaigne est une région autonome gouvernée (sic) par un parlement élu et dont le président actuellement en charge est sous pilotage automatique de la Lega lombarde tandis que le Maire de Cagliari, bien que faisant partie d’un groupement pareillement d’extrême droite, a le plus grand mal à s’entendre avec les autres instances administratives). Beaucoup d’espace aussi dédiée à Olympe de Gouges tout à la hauteur du personnage, dont Jacques Chirac, alors Président de la République, ne voulu qu’elle soit intronisée au Panthéon sous le conseil d’Alain Duhamel, historien reconnu mais inexplicablement très farouchement opposé à la reconnaissance des mérites de la belle Olympe. Accompagné aussi par une belle révolutionnaire irlandaise, Constance Mankievicz et une autre artiste, Clara Clinghoffer, dont les gravures particulièrement suggestives méritent d’être (ré)découvertes sans oublier Paola D’Agostino a Florence. Ici à coté vous trouverez aussi les liens qui vous permettrons de visiter le Louvre très commodément de votre fauteuil allant jusqu’à pouvoir visionner des œuvres qui, d’habitudes ne sont pas proposées au public. En effet la plus part des Musées disposent de réserves qui parfois représentent jusqu’a quatre fois les œuvres et objets exposés et ceci faute d’espace mais aussi de personnel, de surveillance, bref de crédits, et la situation ne risque pas de s’améliorer avec le temps puisque la première chose que tous les gouvernement se sont empressé de fermer ça a été les lieux de la culture, à partir des Musées, en continuant avec les Théâtres, les cinémas, les cabarets, les galeries d’Art et jusqu’au Parcs Publics. Avec toutes les contradictions d’usage puisqu’il est apparu que l’on ne pouvait pas se déplacer de région à région, en Italie notamment, mais que l’on pouvait très facilement s’envoler vers les Canaries et autres iles lointaines. Voilà je termine ces quelques pages à la veille de cette Pâque particulièrement particulière et je ne peut que renouveler le souhait que cette situation trouve rapidement une sortie heureuse et sans trop de casse. A tout le moins c’est ce que l’on nous sérine depuis quelques temps et que l’on a envie de croire. Malgré l’impossibilité de célébrer, comme chaque année le piquenique rituel du Lundi de Pâques, je vous souhaite néanmoins des jours heureux et paisible même avec une compagnie (très) réduite et à l’intérieur de vos maisons. Joyeux Pâques. Vittorio E. Pisu
Foto I colleghi di Majorana con Enrico Fermi (a destra) Da sinistra: D’Agostino, Segré, Amaldi e Rasetti.
dès que les applaudissements éclatent. [...] Aucun de ceux qui l’ont connu ne se souvient de lui comme d’une personne étrange. Et il l’était vraiment» a écrit le romancier sicilien Leonardo Sciascia dans «La scomparsa di Majorana» (1975). Au début de l’année 1933, l’ «étrange» Hector part pour un voyage d’études dans l’Allemagne nazie, à Leipzig, où il travaille avec enthousiasme avec le grand physicien théoricien Werner Heisenberg. Mais lorsque, début août, il est retourné à Rome, il a montré de nouveaux symptômes de bizarrerie. «Pendant quatre ans, il a rarement quitté la maison et s’est encore plus rarement présenté à l’institut», résume Sciascia. La sentence des médecins était explicite : «Épuisement nerveux». Dans ce contexte, en 1937, il se voit attribuer une chaire à l’université de Naples pour «notoriété évidente». «Arrivé dans la ville napolitaine, Ettore s’est immédiatement lié d’amitié avec son collègue Antonio Carrelli, mais en général, il a mené une vie retirée même ici» rapporte Di Trocchio. Puis, le 25 mars 1938, il s’embarque pour Palerme à la recherche d’un repos dans sa Sicile natale, et avant de partir, il écrit à Carrelli une lettre où l’on peut lire : « J’ai pris une décision [...] je me rends compte du trouble que ma disparition soudaine va causer [...] veuillez me pardonner». Il a ensuite envoyé un message similaire à sa famille : «Je n’ai qu’un seul souhait: que vous ne portiez pas de noir [...] veuillez me pardonner». Ses intentions suicidaires semblent toutefois s’être évanouies lorsque, en arrivant à Palerme, il envoie un télégramme à l’habituel Carrelli dans lequel il dit ne pas s’inquiéter de la lettre précédente. Le lendemain, il écrit sa dernière lettre : «Cher Carrelli, j’espère que le télégramme et la lettre vous sont parvenus ensemble. La mer m’a refusé et je reviendrai. J’ai toutefois l’intention d’abandonner l’enseignement.» Ces documents, qui ont été retrouvés et publiés en 1972 par Erasmo Recami, physicien et biographe de Majorana, sont les derniers «signaux» envoyés par le scientifique. Qui a soudainement disparu. (suit page 4)
ETTORE MAJORANA ui l’a vu ? C’était le titre d’une rubrique du journal Domenica del Corriere, dans laquelle apparaissait l’annonce suivante le 17 juillet 1938 : «Ettore Majorana, professeur de physique à l’université de Naples, a mystérieusement disparu. Il avait 31 ans, mesurait 1,70 mètre, était mince, avait les cheveux noirs, les yeux sombres et une longue cicatrice sur le dos d’une main. Toute personne ayant des informations sur lui est priée d’écrire». Les dernières nouvelles du jeune scientifique datent du 26 mars, lorsque, depuis un hôtel de Palerme, il annonce à un collègue son intention d’embarquer sur le premier ferry pour Naples. Puis on n’entend plus rien, et l’incertitude de l’adverbe «peut-être» pèse sur les diverses conjectures qui suivent: peut-être Majorana s’est-il suicidé en se jetant à la mer; peut-être a-t-il été assassiné; peut-être est-il descendu du navire (ou n’y a-t-il pas mis les pieds) et s’est-il retiré dans un couvent ; peut-être est-il resté en Sicile, sa terre natale; peut-être s’est-il réfugié en
Amérique du Sud... «Ou peut-être est-il allé en Allemagne, où il a mené des études top secrètes sur l’énergie nucléaire à la solde des nazis», ajoute Federico Di Trocchio, professeur d’histoire des sciences à l’université La Sapienza de Rome et auteur de plusieurs publications sur le cas Majorana. La dernière pièce de cette mystérieuse histoire vient de sortir. Majorana s’est secrètement échappé en Amérique du Sud. C’est ce qu’affirme le parquet de Rome, qui enquête sur l’affaire depuis 2008. La thèse des juges se fonde sur l’analyse d’une photo prise au Venezuela en 1955, sur laquelle apparaît un monsieur, connu sous le nom de Bini. L’homme représenté est compatible avec les caractéristiques physiques du physicien catanais. Où est la vérité ? Pour tenter de mieux comprendre, nous allons essayer de reconstituer le déroulement des événements en commençant par le premier élément de toute enquête : le profil de la victime. Ou plutôt, de la «personne disparue». La biographie de Majorana est résumée en quelques mots
écrits par lui en 1932 : «Je suis né à Catane le 5 août 1906 [...] et en 1929 j’ai obtenu mon diplôme de physique théorique sous la direction d’Enrico Fermi. J’ai fréquenté [...] l’Institut de Physique en participant à des recherches diverses». Pour mémoire, l’institut mentionné se trouvait Via Panisperna, à Rome, et s’occupait d’expérimentations nucléaires. Fils d’ingénieur et petit-fils du célèbre physicien Quirino Majorana, Ettore brille dès l’enfance par ses compétences mathématiques, qu’il met au service d’un ensemble de jeunes physiciens coordonnés par le professeur Enrico Fermi et qui sont entrés dans l’histoire sous le nom des «garçons de la Via Panisperna». Parmi eux, Ettore se distinguait par son caractère réservé et son génie. Sa capacité de calcul faisait l’admiration de tous, mais lorsque ses études se rapprochaient de la science, il refusait de les publier et allait parfois jusqu’à déchirer ses notes de travail. «Il avait l’air de quelqu’un qui, lors d’une soirée entre amis, s’improvise jongleur, prestidigitateur, mais se retire PALAZZI 3 VENEZIA
La fin du grand scientifique qui a travaillé avec Enrico Fermi et «les garçons de la Via Panisperna» sur les premières recherches sur l’atome est de nouveau d’actualité. Mystérieusement disparu en 1938, selon le ministère public de Rome, il était bien vivant au Venezuela de 1955 à 1959. Mais qui était Majorana ? Et que savons-nous de sa disparition ?
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(suit de la page 3 Les recherches, parrainées par Mussolini, ont dû faire face à la rareté des informations entre les mains des enquêteurs, parmi lesquelles se distinguait un billet de bateau au nom de Majorana, qui enregistrait étrangement non seulement son embarquement sur le ferry de retour, mais aussi son débarquement. Le témoignage d’un autre passager, Vittorio Strazzeri, qui aurait vu Majorana sur le pont du navire à l’aube du 27 mars, n’a pas apporté de lumière. «La théorie du suicide en mer s’est compliquée, mais le plus étrange est qu’avant de disparaître, Majorana avait retiré une grosse somme d’argent (cinq salaires en retard) et avait fait disparaître son passeport», observe Di Trocchio. Les reconnaissances en mer n’ont donné aucun résultat, et l’hypothèse d’un Majorana «en fuite» de la société a commencé à émerger. Vivant, mais se cachant qui sait où. Et qui sait pourquoi. En 1934, les gars de Via Panisperna avaient «bombardé» des noyaux d’uranium avec des neutrons, et à la fin de l’expérience, ils étaient convaincus d’avoir créé de nouveaux éléments chimiques. En réalité, ils avaient pratiqué pour la première fois la «fission nucléaire» (le premier pas vers la bombe atomique) et, selon certains, le jeune talent, pressentant les possibles retombées militaires, se sentit si perturbé qu’il voulut disparaître de la circulation. «De même qu’il n’est pas exclu qu’il ait quitté la scène en raison de son asocialité, certains ont même émis l’hypothèse qu’il ait été tué avec l’approbation des services secrets américains pour l’empêcher de mener des recherches en faveur du fascisme ou du nazisme», ajoute Di Trocchio. S’il avait plutôt fui pour changer de vie, où se serait-il caché ? Une première hypothèse était que le physicien se cachait dans un monastère, et la piste a été alimentée par la réponse d’un jésuite napolitain à la chronique de la Domenica del Corriere. Ce dernier a révélé que Majorana avait reçu une demande d’hospitalité entre la fin du mois de mars et le début du mois d’avril. Par la suite, des rapports font état de sa présence dans des couvents de Campanie, jusqu’à ce qu’une nouvelle hypothèse surgisse.
Cette hypothèse, en vogue dans les années 70, faisait référence à un Majorana errant en Sicile, près de Mazara del Vallo (Trapani). Il y vivait un sans-abri, un certain Tommaso Lipari, dont on disait qu’il était très doué pour les calculs mathématiques, qu’il avait une cicatrice à la main droite (comme le disparu) et une canne gravée de la date de naissance du savant etnéen. Cette hypothèse fantaisiste a toutefois été démantelée dans les années 1980 par Paolo Borsellino (alors procureur de Marsala) grâce à un rapport calligraphié qui a établi que Lipari était en fait un ancien détenu. Une troisième hypothèse était que le physicien était réparé en Argentine, ce qui était attesté par les rapports de son passage à Buenos Aires entre les années 60 et 70, dit Di Trocchio. Le 8 octobre 1978, le magazine Oggi publie un article dans lequel le professeur Carlos Rivera, un physicien chilien qui affirme avoir rencontré plusieurs amis de Majorana à Buenos Aires, est mis en cause. En 1974, à Taormina, Mme Blanca de Mora, épouse
d’un écrivain guatémaltèque, étonne ses connaissances italiennes en confiant avec assurance : «Ettore Majorana ? Beaucoup d’entre nous l’ont connu à Buenos Aires». Cette hypothèse est également soutenue par Recami, qui a écrit le livre «Il caso Majorana. Epistolario, documenti, testimonianze» (Di Renzo): «J’ai moi-même trouvé de nombreuses confirmations des déclarations de Rivera et de Blanca de Mora, et d’autres recherches ont conduit à l’hypothèse que, dans les années 50, Majorana aurait pu se trouver à Santa Fe ou à Rosario, en tout cas non loin de Buenos Aires». «La piste argentine gagne encore en crédibilité si on la met en relation avec une quatrième hypothèse» poursuit Di Trocchio «selon laquelle Majorana se serait rendu en Allemagne (de gré ou de force) pour servir le Troisième Reich, émigrant à Buenos Aires après la chute du nazisme». Cette reconstitution est née de l’étude d’une photo de 1950 montrant le criminel nazi Adolf Eichmann (qui a organisé le transport des Juifs vers les camps de concentration) sur le pont d’un bateau à des-
tination de l’Argentine. Ce qui est intéressant, c’est qu’à ses côtés, il y a un passager qui ressemble à Majorana. Pour résoudre le mystère, Giorgio Dragoni, professeur d’histoire de la physique à l’université de Bologne, a récemment commandé une analyse informatique de la photo. «Les élaborations, obtenues en comparant l’image avec un portrait du scientifique, révèlent une correspondance évidente entre les proportions du visage et du corps : de la forme de la bouche à la stature, des cheveux au front, bien que malheureusement il ne soit pas possible de comparer les yeux, puisque l’homme sur le bateau porte des lunettes noires», argumente Di Trocchio. «Il y a un autre élément à souligner : le bateau sur lequel la photo a été prise (l’Anna C.) a été notoirement utilisé pour transporter d’anciens nazis et d’autres personnages ambigus en Amérique du Sud. Des rumeurs ont également fait état d’un plan des services secrets italiens - qui ont enlevé en 1937 un autre scientifique, l’ingénieur Gaetano Fuardo, et l’ont emmené en Allemagne - visant à envoyer Majorana en Allemagne en
Photo focus Majorana en 1955 organisant un faux suicide. Cependant, des doutes subsistent, notamment parce qu’il n’existe aucune autre preuve qu’il est resté en Allemagne». Recami, en revanche, exclut que l’homme sur la photo soit Majorana : «Malgré les rumeurs, il ne semble pas que le jeune physicien ait eu des sympathies nazies». Il n’en reste pas moins qu’après l’interview de Francesco Fasani, un immigré italien en Amérique du Sud qui a affirmé avoir connu un quinquagénaire nommé Bini qui ressemblait à Majorana, le parquet de Rome a rouvert le dossier en 2008. Après 7 ans d’enquête, l’affaire a été classée : Majorana ne s’est pas suicidé, mais a fui au Venezuela où il a vécu au moins jusqu’en 1959. Au cours des audiences, selon la décision de classement, Fasani «a décrit Bini-Maiorana comme un homme d’âge moyen, avec lequel il n’est jamais devenu intime en raison de sa réserve exaspérée». Il y a deux points clés dans la thèse des juges. La première est une photo prise le 12 juin 1955 à Valence, au Venezuela, qui a été examinée par le Ris des Carabiniers pour comparer
les données physionomiques de Bini-Maiorana avec celles appartenant à sa famille et, en particulier, avec l’image du père du scientifique, Fabio Maiorana, lorsqu’il avait le même âge que son fils (c’està-dire 50 ans). Selon le juge, «les résultats obtenus par la comparaison ont conduit à la superposition parfaite des images de Fabio Majorana et de Bini-Majorana, même dans les moindres détails anatomiques tels que le front, le nez, les pommettes, le menton et les oreilles, ces dernières également dans leur inclinaison par rapport au crâne». Le deuxième détail décisif pour l’enquête est une carte postale, datant de 1920, trouvée dans la voiture de Bini/ Majorana. Il s’agit d’une lettre écrite par Quirino Majorana, l’oncle d’Ettore et autre physicien de renommée mondiale, au physicien américain W.G. Conklin au sujet des expériences de laboratoire visant à découvrir la nature de la force de gravité. Selon les juges, ce fait confirme sa «véritable identité d’Ettore Majorana, compte tenu de sa relation avec Quirino, de son activité de professeur de physique
et de la correspondance fréquente entre eux, souvent à contenu scientifique». Quant aux raisons de cette éventuelle fuite (culpabilité mise à part), beaucoup ont souligné la passion du physicien pour Pirandello, en particulier pour le roman «Il fu Mattia Pascal». Dans cette œuvre, le personnage principal se crée une nouvelle identité après avoir été cru mort, mais il finit par mettre en scène le suicide de son propre «double» pour redevenir lui-même. Selon certaines personnes, Majorana a décidé d’imiter son héros en modifiant la fin de l’histoire. À cet égard, on attribue à Fermi la remarque suivante : «S’il avait décidé de disparaître ou de faire disparaître son corps, Majorana aurait certainement réussi». Quoi qu’il en soit, qu’il ait été assassiné, qu’il se soit échappé ou qu’il se soit suicidé, ce jeune Sicilien brillant et taciturne est resté constant jusqu’à la fin, disparaissant dans un silence absolu. Tiré et mis à jour d’un article de Matteo Liberti paru dans Focus Storia Biografie. Matteo Liberti www.focus.it/cultura/storia/ PALAZZI 5 VENEZIA
ttore Majorana (Catane, Sicile, 5 août 1906 – présumé mort après 1959) est un physicien italien. Il est surtout connu pour ses travaux en physique des particules, avec des applications particulières de la théorie des neutrinos. Issu d’une riche et prestigieuse famille sicilienne, il est le quatrième enfant (d’une fratrie de cinq) de Fabio Massimo Majorana (1875-1934) et Dorina (Salvatrice) Corso (1876-1965). Le grand-père d’Ettore, Salvatore Majorana Calatabiano (18251897), fut député, ministre de l’Agriculture, de l’Industrie et du Commerce dans les premier et troisième gouvernements Depretis (1876-1879), et sénateur en 1879. Son oncle, Quirino, fut professeur de physique expérimentale à l’université de Bologne. Son père, le plus jeune de cinq frères, fut diplômé en ingénierie à dix-neuf ans, puis en physique et mathématiques, et responsable de la Compagnie des télégraphes et télécommunications de la ville. Les quatre autres frères sont Joseph , juriste, recteur d’université et député ; Angelo , homme d’État; Quirino, physicien ; Dante , juriste et recteur d’université. Sa mère, quant à elle, descend d’une ancienne dynastie sicilienne possédant d’importants terrains. Les frères et sœurs d’Ettore : Rosina ; Salvatore , docteur en droit et philosophe ; Luciano, ingénieur civil spécialisé dans la construction aéronautique (conception et construction d’instruments pour l’optique d’astronomie) ; Maria, la benjamine, musicienne enseignant le piano. À l’âge de 12 ans, conduisant la voiture familiale, il a un accident induisant des cicatrices à la cuisse et à la main qu’il conservera tout au long de sa vie. Sa disparition soudaine et mystérieuse, au printemps de 1938, a suscité de nombreuses spéculations sur un possible suicide en mer Tyrrhénienne, ou sur une disparition volontaire. Les travaux de Majorana ont apporté une contribution fondamentale au développement de la physique moderne, abordant de nombreuses questions d’une manière originale. « Dans le monde il y a plusieurs catégories de scientifiques : ceux qui font de leur mieux, et ceux, de premier plan, qui font de grandes découvertes, fondamentales pour le développement de la science. Et puis, il y a les génies, comme Galilée et Newton. Ettore était de ceux-là. » Enrico Fermi wikipedia.org
Ce livre de portraits s’est écrit au fil du temps, de 2011 à nos jours. Woytek et moi-même avons souhaité mettre en lumière nos plus belles rencontres. L’œil qui fixe l’image accompagne la main qui raconte l’histoire. Le parti pris pour cette édition, nous invite à publier chaque texte dans le respect du fil du temps, arrêté à la date de parution sur le site de Saisons de Culture. Marc Albert-Levin, Delphine André, Karim Arezki, Pascal Aubier, Alin Avila, Virginie Bassetti, Michał Batory, Dany Beneditto, Graem Bent, Patrick Bezier, Ewa Bobrowska, Jacqueline Boyer, Lionel Cecilio, Sergiusz Chądzyński, Joseph Chedid, Denis Cherer, Cyb, Pierre Cornette de Saint Cyr, Sabine de Courtilles,Elizabeth Czerczuk, Eva David, Miranda Dellialisi, Elisabeth Duda, FAZ, Christophe Février, Brig Finucci, Augusto Foldi, Richard Fontaine, Sandrine Gauthier, Anouk Gringberg, Jean Paul Guedj, Fumihiko Harada, Akira Inumaru, Hélène Jacqz, Magda Knychalski, Tadeusz Koralewski, Aliska Lahuzen, Yannick Laurent, Katarzyna Lavocat, Eric Le Goff, Henri-Hugues Lejeune, Claude Lemesle, Caroline Loeb, Agnès Malterre, Anna Marchlewska, William Mesguich, Francois Mocäer, Alexis Moncorgé, Gilles Naudin, Jerzy Neumark, Ludwika Ogorzelec, Ken Okada, Bernard Pinet , Jacques Marie Ponthiaux, Yann Pradal, Josette Rispal, Véronique Sablery, Sophie Sainrapt, Gérard Sallé, Esther Ségal, Anna Daniela Sestito, Jiang Shanqing, Katy Sroussy, Anna Stein, Enikö Szilagy, Rose Sznajder, Justyna Szypura Tuha, Nikos Talbi Likakis, Thierry Tessier, Guy Touvron, Ghislaine Verdier, Bruno Vigneron. Merci à notre éditeur-maison Sergiusz Chądzyński, au graphiste Jerzy Neumark pour la mise en pages, à Woytek Konarzewski pour les photos, ainsi qu’à tous les acteurs de cet ouvrage qui donne le coup d’envoi des dix ans de la grande aventure Saisons de Culture. Mylène Vignon
Photo saisonsdeculture
u fil du temps…»
Garder une trace
rôle de mémoire. Si peu sensible à nos désirs. Peuplée de courants d’air, fragile, courte, si courte. La moulinette du temps qui passe la transforme en un substrat volatile. Trois fois rien. Une misère. Oh, ce n’est pas notre faute si ce que nous enregistrons chaque jour file entre les neurones, comme l’eau tumultueuse d’un torrent se soustrait à nos paumes tendues, nous sommes ainsi faits. Du reste, soyons honnêtes, nous serions bien avancés si le cerveau emmagasinait et stockait ad vitam aeternam tout ce que nous lui donnons à voir, à entendre et à ressentir, s’il se retenait de tout nettoyer chaque nuit, s’il s’abstenait de désencombrer, évacuer, élaguer, dépoussiérer. Drôle de mémoire. S’ils se conservent par devers nous des bribes de passé que nous n’aurions peut-être pas retenues si nous avions été éveillés, disparaissent en revanche mille instants qui nous feront peut-être défaut plus tard, qui nous feront passer pour un indifférent ou un goujat, un insensible ou un distrait, s’effacent des heures et des heures de vidéo dont la perte irréversible est un crève-cœur. Nous ne choisissons pas ce qui demeure, écrit Alberto Manguel
dans le « Journal d’un lecteur ». Alors, le livre. Le livre, textes et images, pense-bête idéal, le livre qui préserve de l’oubli les trésors de nos existences. Peut-être ne l’a-t-on inventé que dans ce but. On y cherche au fil des pages (avec avidité ou nonchalance, selon le tempérament )quelque vestige de ce que nous fûmes. Y surgissent les milles vies que nous aurions pu vivre, dont il nous plait de connaître les aspérités sensibles. Le livre permet de reconstituer tant que faire se peut les morceaux épars du grand puzzle. Il enrichit notre propre destinée de celles d’autres que nous. Peu importe qu’il évoque des souvenirs différents des nôtres. A l’instant où nous l’ouvrons, ceux-ci nous appartiennent. Notre existence s’en trouve comme épaissie, étayée, renforcée. Et notre curiosité s’en trouve rassasiée, jusqu’au prochain texte, à la prochaine image. Au fil du temps se constitue ainsi en notre esprit un maelström de souvenirs, dont parfois nous peinons à démêler les authentiques des importés. Tout se mélange in fine en un patchwork de songes plus ou moins vraisemblables, qui nous constituent, aussi sûrement que
nous sommes faits de chair et d’os. Le livre, en somme, est un morceau de nous-mêmes. Le rencontrer, c’est recouvrer une partie de notre mémoire. Alors, celui-ci. Textes et images. Au fil du temps. Mémoire de rencontres. Double impact. D’un côté les mots de Mylène, sa faculté à nous plonger dans l’univers des personnages qu’elle invente (au sens de découvrir), au point de nous les rendre non seulement attachants mais incontournables. De l’autre, les photographies de Woytek, la poésie qui en émane, l’espèce de vérité qui affleure et vient cueillir le regardeur, à la façon d’un uppercut. Ce livre de portraits concentre les talents les plus divers, célèbres ou moins célèbres, en un enchantement renouvelé qui nous invite à considérer le monde avec un regard plus aimant. Et nous rend plus présent à notre temps. Une fois l’ouvrage refermé, on s’aperçoit qu’il s’est fondu en nous, que la mémoire que l’on en conserve – toutes ces rencontres de gens formidables – loin de se dissiper, nous habite de la même façon que si nous avions nousmêmes rencontrés chacun des protagonistes. Ludovic Duhamel
ée l’année du mouvement COBRA en France, Mylène Vignon grandit dans un univers littéraire et cotoie de son plus jeune âge de nombreux artistes. Elle se rend quotidiennement à l’atelier de son parrain le peintre Andréjac, grand admirateur de Bernard Buffet, dont le frère, galeriste à Pont-Aven, fait partie du cercle des amis de Jean Cocteau. Elle étudie l’Histoire de l’Art et débute sa carrière en rejoignant l’équipe de Rombald Lithographies en 1985. Très vite elle rencontre des artistes de renom de l’École de Paris, comme Yves Brayer, Bernard Buffet, Léonor Fini, qui soulignent se qualités d’agent artistique et l’encouragent à poursuivre dans cette voie. A la fin des années ’80 elle organise ses premières expositions et prend en charge des jeunes artistes en devenir. Crée en 2005 le collectif MVMA (Mylène Vignon Moving Art) et participe à plusieurs salons internationaux (Art Shanghai en 2008, The 3rd Moscow International Festival of Art en Russie en 2010). Elle fonde l’association « Un
Point Rouge pour la Vie » en collaboration avec la Croix Rouge Française. Avec cette association elle organise une vente aux enchères à l’Hôtel de ventes Drouot-Montaigne en aide aux sinistrés de Haïti. Mylène Vignon a rencontré Olivier Debré au début des années quatre-vingt-dix, en Touraine. Elle a fortuitement, lors d’une visite à Vernou-sur-Brenne, accepté de poser pour le peintre. L’orage, le jardin, l’atelier_ une situation propice à soulever un coin de voile sur les secrets de la peinture du maître de l’abstraction fervente. Dix ans après la disparition du peintre et à la demande de nombreux amis, elle se sent investie d’un devoir de mémoire et accepte la publication de ses notes, accompagnées de poèmes ligériens. En 1997, Mylène Vignon avait rédigé un article sur Olivier Debré dans le magazine Art in Korea. Après avoir écrit un livre témoignage sur ses rencontres avec le peintre Olivier Debré, suivi de trois recueils de poèmes, Mylène Vignon a décidé d’appliquer sa poésie au service du roman. Mêlant la littérature au fan-
tasme et à sa vie insensée, elle a créé Tara Baumane, héroïne composite de ses amies revisitées, sur le ton d’une série de nouvelles qui s’accordent parfaitement entre elles. Tara nous emmène de la même façon qu’elle a emporté Mylène, dans une série d’aventures sur fond de recherches historiques très nourries et bien réelles, du septième siècle gaélique à la révolution du Jasmin. En qualité de commissaire d’exposition, Mylène Vignon est l’initiatrice de nombreuses manifestations et événements culturels Hommage à Philippe Léotard Théâtre Lucernaire Premières Nuits Blanches (2002) Marie Madeleine télévisionnée Harry Walker Eglise de la Madeleine Retrospective Zevaco Orangerie du Sénat (2004) Exposition de sculptures monumentales « Les stèles de la création » dans ‘enceinte de l’église de la Madeleine à Paris (2010) Mylène Vignon est journaliste, commissaire d’événements culturels, expert en art contemporain, rédactrice en chef à Saisons de Culture, présentatrice et coproductrice de Secrets d’Ateliers à BDM TV. PALAZZI 7 VENEZIA
Photo woytekkonarzewski
MYLENE VIGNON
otre amie Mylène Vignon vient d’être gratifiée de la croix de Chevalier des Arts et Lettres. Bien sûr nous sommes ravis, d’autant que nous avons le sentiment, très exagéré mais tout de même, que c’est un peu nous, « Saisons de Culture », qui sommes récompensés… d’avoir vu le jour et de nous être bien démenés avec elle ! L’amitié est un des bienfaits de l’existence, d’autant plus précieuse que la vie mécanique, informatique, quantique et tout ce que l’on voudra que devient la nôtre, bouscule dans tous les sens cette simple fleur. Les fleurs, Mylène les adore sous toutes leurs formes, couleurs, compliments, grâce. De l’amitié, elle en a toujours, ses ressources semblent inépuisables, de l’activité aussi, multiforme, qu’elle met sans cesse à leur disposition. Ceci, bien sûr, chacun le voit, le sent et le dit. Mais, dans son jardin, pousse une fleur bien plus rare et plus précieuse, qui est le goût du bonheur, le sien bien sûr du moins peut-on l’espérer de tout cœur (elle est plus discrète en ce qui la concerne que l’on pourrait croire) mais aussi celui des autres, qui, en cette époque difficile et heurtée où nous vivons, est un Trésor de Golconde. Merci donc, chère Mylène, et Bravo ! Henri-Hugues Lejeune
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a collection Farnesina a été fondée en 1999 grâce à l’intuition du Secrétaire général du Ministère des affaires étrangères et de la coopération internationale, à l’époque Ambassadeur Umberto Vattani, et la contribution du critique d’art Maurizio Calvesi. Dès le départ, il était clair que la création de la collection «Farnesina Collection» n’a pas répondu à un besoin esthétique, mais plutôt plutôt d’un pari : Il s’agissait de faire de l’art contemporain un outil de diplomatie. instrument pour la culture italienneet la diplomatie culturelle. Même si le le terme «instrument» est peu généreux envers l’art lui-même ; il serait préférable de dire que l’art contemporain assume ici le rôle de symbole, de témoignage actif et dynamique de la production créative de la production d’un pays. La Farnesina devient non seulement le palais de l’ échanges fonctionnels des étrangers de la politique étrangère italienne, mais aussi l’espace habité par les signes de la culture. Si cette perspective était et c’est un motif d’extrême intérêt, la manière dont la Collection a été structurée et est constamment comme un corps vivant. En fait, il ne s’agit pas de gonfler les rangs d’une collection, pas seulement ; mais mais aussi de rendre la pareille, dans ce cas l’idée d’un organisme en constante croissance et donc la mise à jour, avec des œuvres qui entrent, d’autres qui sortent, et pendant ce temps tandis que beaucoup d’autres voyagent à l’extérieur du Palazzo della Farnesina à Rome, enrichissant les expositions des expositions dans les Instituts culturels italiens du monde entier, et des expositions dans des lieux importants de l’Union européenne. dans d’importantes institutions internationales. Ce dynamisme est rendu possible grâce à la formule de prêt gratuit à l’usage, qui permet à la collection d’être constamment développée grâce à l’acquisition d’œuvres de grands maîtres du moderne et du contemporain de l’art italien du XXe et du XXIe siècle: d’Arturo Martini à Mario Sironi, de Giò Pomodoro à Jannis Kounellis, jusqu’au plus jeune la jeune génération. À l’occasion du vingtième an-
LA COLLECTION D niversaire depuis la création de la Collection Farnesina et en collaboration avec la session d’ouverture de la XIIIe Conférence des Ambassadeurs d’Italie, en présence du président de la République, le 24 juillet 2019, ont été présentées les acquisitions considérés comme des classiques de l’art italien du vingtième siècle italien (y compris Franco Angeli, Alberto Burri, Massimo Campigli, Giuseppe Capogrossi, Marino Marini, Mimmo Paladino, Pino Pascali) et par des artistes des générations suivantes, engagés à étudier en particulier la relation entre l’esthétique et l’électronique. C’est le cas de la «sculpture de données». par Oriana Persico et Salvatore Iaconesi, des expériences entre art et science par Luca Pozzi, l’expérience vidéo immersive par Carola Bonfili. Un cycle encore plus récent de d’acquisitions a vu l’entrée dans la Collection de dix-huit œuvres des artistes connus tels que Gastone Novelli, Ettore Colla, Mattia Moreni, Paolo Scheggi, Bepi Romagnoni, Nanda Vigo et Vigo et Remo Brindisi. La jeune génération, avec les
œuvres de Sabrina Mezzaqui et Cuoghi Corsello, ainsi que des œuvres graphiques du talentueux illustrateur Olimpia Zagnoli, peintre et illustratrice illustrateur Gianluigi Toccafondo et le duo de la génération des les artistes urbains Sten et Lex. La taille de la La collection est remarquable : près de 500 œuvres créées par plus de 250 artistes, apportés à la Palazzo della Farnesina grâce à la générosité des artistes euxmêmes, leurs héritiers, mais aussi des musées institutions, galeries et fondations. Outre ce patrimoine, il existe également des œuvres appartenant à la Commission européenne, et au Ministère, y compris notamment des mosaïques de Luigi Montanarini, Toti Scialoja et Sandro Chia et les sculptures de Pietro Consagra, Osvaldo Calò, Arnaldo Pomodoro et Pietro Cascella. L’Italie se distingue dans le monde par sa tradition artistique, qui a exercé une influence inégalée sur le développement de la culture occidentale. S’il est vrai que ce prestige est le résultat du rôle prépondérant de notre pays dans l’histoire de l’art de la Renaissance
et du Baroque, il est tout aussi vrai que l’Italie est encore aujourd’hui la forge d’une créativité artistique exceptionnelle la créativité, capable de transcender les frontières nationales. La collection Farnesina a été fondée en 1999 avec l’intention de promouvoir l’art italien dans le monde d’aujourd’hui, ses protagonistes et leur talent. ses protagonistes et leur talent, devenant non seulement une collection prestigieuse de l’histoire de l’art contemporain mais aussi une vitrine de ses expressions les plus importantes, mais aussi une vitrine pour ses expressions les plus significatives, entre l’art, la science et l’expérimentation. L’objectif ultime de la collection Farnesina est de faire de l’art contemporain une réalité. l’art, un instrument essentiel de la diplomatie culturelle. Une diplomatie composée des projets qui rayonnent à partir du ministère des affaires étrangères et de la coopération internationale envers le réseau diplomatique-consulaire et les instituts culturels italiens, qui la promotion sur tous les continents. À l’étranger, le public inter-
national a la possibilité d’admirer les œuvres de la collection Farnesina, exposées dans les instituts culturels italiens, mais aussi dans les musées les plus accrédités du monde entier. La même opportunité d’interagir avec l’art contemporain a lieu au Palazzo della Farnesina, à travers les nombreuses occasions de visites de délégations étrangères et des ouvertures périodiques pour le public italien. Ceci dans la conviction que l’art contemporain est un instrument exceptionnel de faire connaître au public international l’Italie d’aujourd’hui : un pays vivant, pluriel, riche de voix différentes projetées vers l’avenir. La Collection vit le long d’un une double piste spatiale, reflétant fidèlement les activités du Ministère des affaires étrangères et de la coopération internationale : d’une part, la «maison mère» de l’Union européenne. D’une part, la «maison mère» du ministère lui-même, et donc de la Collection, est le Palazzo della Farnesina, conçu comme le lieu désigné pour promouvoir la sauvegarde de l’intérêt national, d’où rayonne l’activité diplomatique, mais aussi
comme un bâtiment physique de grande valeur architecturale, comme l’explique longuement Valentina Silvestrini. Ce n’est pas une coïncidence si Maurizio Calvesi, le premier conservateur scientifique de la collection, a édité le catalogue avec l’architecte Paolo Portoghesi. La mission du ministère est inhérente au libellé du ministère lui-même. Affaires étrangères et coopération internationale», ce qui signifie qu’il faut toujours mettre en avant ses propres intérêts, sa propre vision, son identité avec celles des autres, dans une perspective globale et coopérative qui exige également de la politique de savoir dialoguer entre interlocuteurs profondément différents. C’est là, donc, que se trouve le parcours dans les deux sens : tout d’abord vers le Palazzo et la Collection qu’il détient, de manière à ce qu’il soit visible pour les délégations étrangères visitant notre pays, e naturellement aux citoyens italiens à l’occasions des“portes ouvertes” et bien sûr pour le pays, témoignant ainsi de la « vitalité et de et la fraîcheur de la tradition artistique qui, en Italie, est loin d’être épuisée par les gloires du passé, mais
a su se renouveler de façon extraordinaire», comme l’a écrit Maurizio Calvesi. En même temps, cette deuxième, orientée vers le monde, grâce au vaste réseau de l’Italie, réseau étendu d’instituts culturels italiens et les nombreuses opportunités de certaines des œuvres de la collection Farnesina dans des expositions d’importance internationale. Et la réalisation «physique» des travaux seront bientôt flanqués par le virtuel : en effet, le de numérisation des œuvres exposées aux premier et deuxième étages du Palazzo de la Farnesina, à publier sur le site du Portail Google Arts&Culture. L’intense activité d’exposition temporairement ralenti a cause de la pandémie de COVID-19, s’est toujours accompagnée d’une activité éditoriale et récréative proactive. Sur le premier plan, il convient de mentionner la production du catalogue des œuvres exposées au deuxième étage du Palazzo della Farnesina, qui comprend, les années 80 et 90. Cela complète le catalogue des travaux au premier étage et de répondre à le désir exprimé à plusieurs reprises des visiteurs de la collection. PALAZZI 9 VENEZIA
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E LA FARNESINA
Sans oublier la série «Les carnets de la Collection Farnesina», une série de publications scientifiques sur l’art contemporain, lancée en 2019, dont le deuxième numéro porte sur sur le thème de l’art et des nouvelles technologies, avec un appendice répertoriant les artistes italiens opérant à l’étranger et travaillant dans ce disciplinaire spécifique. Dans le domaine des loisirs, avec Lucca Crea, les appels d’offres suivants ont été lancés : la réalisation d’un jeu de société sur le sur la collection Farnesina dans le cadre du concours Inédit; du concours de l’année à Lucca Comics and Games, la fameuse et Jeux, le célèbre salon international dédié à la culture pop, considéré comme le plus important de la culture pop, et des expositions du secteur et parmi les plus importantes du monde. Le thème se concentrera sur l’art contemporain dans la collection. En mai 2021, le gagnant sera annoncé pendant la Foire du livre de Turin et le jeu sera lancé en octobre 2021 lors de Lucca Comics. et des jeux. Comme si ça ne suffisait pas, le projet Album d’artista a été créé, un album numérique qui se compose d’une sélection d’œuvres de la Collection et leur version graphique en noir et blanc, dans le format classique du format livre de coloriage. L’album est disponible sur le site web de la Collection pour un téléchargement gratuit. Ici de suite les links qui permettent de télécharger les différents albums . Ils sont en italien, donc il vous faudra apprendre cette jolie langue si vous ne la parlez pas dejà. Bonne consultation. h t t p s : / / w w w. a r t r i b u n e . com/magazine/speciale-collezione-farnesina/?fbclid=IwAR3XFUyDQtePay_fZ38dhk88EQFrJnVq_M_lyuHheW0xMl2R_vIb6Tt1TQA https://collezionefarnesina. esteri.it/collezionefarnesina/ resource/doc/2021/02/collezione_farnesina_ii_piano.pdf https://collezionefarnesina.esteri.it/collezionefarnesina/it/ pubblicazioni/album-d-artista.html
voir la vidéo https://youtu.be/kOLhCs6I1-c
https://collezionefarnesina. esteri.it/collezionefarnesina/ resource/doc/2020/12/quaderni_farnesina_ii_lr.pdf
a dernière monographie de l’artiste d’origine brésilienne retrace plus de 20 ans de travail redéfinissant le nu canonique. Quand on m’a demandé de faire une rétrospective, j’ai pensé : «Je ne suis pas encore morte, je ne suis pas au bout de mes peines», dit Mona Kuhn en riant. Il a fallu convaincre la photographe basée à Los Angeles de se tourner vers son huitième livre, Mona Kuhn : Works, un aperçu de sa carrière à ce jour. «Quand on m’a dit que le livre mettrait en lumière les meilleurs moments et la façon dont j’ai évolué, qu’il n’était pas définitif, j’ai été rassurée», explique-t-elle. Le dernier volume de Kuhn, publié par Thames & Hudson, rassemble une collection remarquable sur 239 pages, y compris des photographies inédites. Il comprend des informations précieuses sur son processus créatif, sur la manière dont elle travaille avec ses sujets et ses décors pour obtenir le langage visuel caractéristique qui a fait sa réputation. Centrée sur le nu, la curiosité de Kuhn à produire de nouvelles façons de voir a fait d’elle l’une des figures de proue de la photographie d’art aujourd’hui. «Je me sens très à l’aise avec les nus», déclare Kuhn. «Pour moi, c’est comme une seconde nature. Je pense que cela a à voir avec mes grands-parents, qui, pendant les week-ends de leur enfance, se mettaient nus dans le jardin.» De son éducation à Sao Paulo aux amitiés qu’elle a cultivées depuis, Kuhn a façonné un monde ultérieur à travers son objectif, intuitif et inconscient des pièges sociaux associés à la forme humaine nue. «Mon initiation à l’art a été très calme, très tranquille», explique-t-elle, décrivant les voyages qu’elle faisait, adolescente, dans les musées et les galeries, où on la laissait explorer pendant que sa mère assistait à des réunions sociales. «J’avais tout le temps de me promener seule, de contempler de grandes œuvres d’art et d’apprendre en les contemplant. J’ai commencé à sentir que quelque chose résonnait vraiment, et je me suis demandé comment quelque chose du passé pouvait se connecter si profondément avec moi. J’ai eu l’impression de lévi-
“Like a flower in late bloom”
Mona Kuhn on time, figure and presence
ter.» Ce sentiment de connexion spirituelle est au cœur de la pratique de Kuhn, associé à un sens aigu de la collaboration: la photographe est réputée pour développer des relations étroites avec ses sujets, ce qui donne lieu à des images d’une intense intimité. «J’aime dire que mon meilleur travail commence lorsque ceux que je photographie oublient qu’ils sont nus, la puissance de mon travail réside dans leur confiance», explique Kuhn. «Il s’agit davantage du moment que nous passons ensemble, et la photographie est un souvenir de ce temps. C’est l’interaction et le processus qui sont vraiment importants pour moi», ajoute-t-elle. «La photographie va et vient ; l’amitié est éternelle.» Dans l’œuvre de Kuhn, le temps est essentiel. Chaque corps est imprégné d’une intemporalité sans effort, la question de savoir comment faire passer un message à travers le temps étant une préoccupation constante. «Je me suis toujours demandé ce que je pouvais faire en photographie pour apporter un vocabulaire plus artistique, je n’ai pas l’impression que mon
travail soit de cette époque, il n’est pas censé l’être. Je veux transcender les éléments du temps», explique-telle. «Je vois les arts visuels comme un long discours, et je veux juste ajouter un mot qui peut être le mien - comment j’ai laissé une trace.» En utilisant des techniques telles que la mise au point sélective, l’abstraction et la solarisation, Kuhn honore la forme humaine selon ses propres termes. «Il était difficile, lorsque j’ai décidé de me pencher sur les nus, de réfléchir à la façon de les interpréter différemment d’une manière qui me convienne», dit-elle. «Je veux toujours que l’œil aille vers la composition, l’équilibre et l’échelle, le cadre, si le corps est trop exposé, ce n’est pas la conversation que je veux avoir», affirme-t-elle. Le corpus d’œuvres que Kuhn continue de créer montre le nu non pas comme une manifestation physique unidimensionnelle, mais comme une preuve de notre être, de notre présence dans le temps. «J’associe la nudité à la liberté, il s’agit de s’abandonner à être soi-même, de flotter un instant, à la manière dont
je me sentais dans les musées quand j’étais plus jeune», ditelle. «C’est ce que je veux capturer. Mes photographies sont comme une fleur en fin de floraison, qui s’ouvre lentement au fil du temps.» Charlotte Harding monakuhn.com Mona Kuhn : Works by Mona Kuhn publié par Thames & Hudson (mars 2021) h t t p s : / / w w w. 1 8 5 4 . p h o tography/2021/03/ like-a-flower-in-latebloom-mona-kuhn-on-timefigure-and-presence/?utm_ campaign=pvo188%7Erebecca_warger%7Ebjp_online_editorial%7E16_ mar_2021%7Ehubspot_ email_newsletter_editorial_standard%7Econtent_ promo%7E%7E&utm_ medium=email&_ hsmi=116384456&_ hsenc=p2ANqtz--GuO5YBd a l g B q 0 g U e 4J1K-nEwUVLKgIseAtDF_0CeM87-ccuXaPI98Sxv0Wfx-fbsuji_musqwS_JDeuagtOyKx46p_A&utm_ content=116383159&utm_ source=hs_email
aola D’Agostino est directrice des Musei del Bargello, à Florence, en Italie, un nouveau groupe de musées comprenant le Museo Nazionale del Bargello, la chapelle des Médicis, l’église et le musée d’Orsanmichele, le Palazzo Davanzati et la Casa Martelli. Ce consortium de cinq musées a été mis en place après la réforme des musées italiens en 2014 par Dario Franceschini, le ministre italien du Patrimoine culturel. Paola D’Agostino, en quoi consistait la réforme des musées italiens de 2014 ? La réforme avait pour but de rendre 20 musées italiens plus indépendants en termes de gestion budgétaire, de produit culturel et de planification stratégique. Un conseil d’administration a été introduit, ainsi que la grande nouveauté d’un conseil consultatif. Avec la réforme, le Museo Nazionale del Bargello, le plus important musée de sculpture italienne au monde, est devenu le siège d’un groupe de quatre autres musées. Que comprend le reste de ce groupe ? La chapelle Médicis, une at-
traction touristique majeure où se trouve le chef-d’œuvre de Michel-Ange, la nouvelle sacristie, ainsi que des musées moins connus mais tout aussi importants comme l’église et le musée d’Orsanmichele - qui abrite des sculptures du début du XVe siècle avec des chefs-d’œuvre de Donatello, Ghiberti, Verroccio et Giambologna - et deux plus petits musées moins connus qui étaient autrefois des résidences privées. Le Palazzo Davanzati est l’une des rares demeures médiévales qui subsistent à Florence, et la Casa Martelli était la résidence familiale d’une très importante famille proche des Médicis. Quel est votre principal défi ? En tant qu’érudit de la sculpture italienne, le principal défi pour moi est d’amener cet étonnant groupe de chefsd’œuvre, logés dans certains des bâtiments architecturaux les plus importants de Florence, au premier plan des musées et de la vie de la ville. On les considère à tort comme des musées mineurs parce qu’on les compare aux Uffizi ou à l’Accademia. Ils sont non seulement d’égale importance, mais aussi profondément liés à l’histoire de
Florence et à l’histoire de la muséographie à la fin du XIXe siècle. «J’ai des papillons dans l’estomac chaque fois que je traverse les salles du Bargello». Paola D’Agostino, comment en êtes-vous venue à vous spécialiser dans la sculpture ? En 1993, j’étudiais à l’université de Naples et je devais choisir le sujet de ma thèse de licence. Mon professeur Fiorella Sricchia Santoro, une fidèle élève de Roberto Longhi, m’a encouragée à explorer la sculpture. Elle m’a dit qu’à Naples, tout le monde étudiait les peintures et m’a donné un livre et deux mois pour décider si je voulais ou non faire ma thèse de licence sur Pietro Bernini, le père de Gian Lorenzo. Après deux mois, j’étais complètement accroché et j’ai choisi de devenir non seulement un expert en sculpture, mais de me spécialiser dans la sculpture italienne de la fin du XVIe et du XVIIe siècle. Qu’avez-vous fait ensuite ? J’étais intrigué par les chercheurs de Grande-Bretagne et d’Amérique, pays où la sculpture était beaucoup plus étudiée à l’époque, et j’ai postulé pour une maîtrise à l’Institut
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PAOLA D’AGOSTINO
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d’art Courtauld de Londres. J’ai fait ma thèse de maîtrise sur les élèves de Gian Lorenzo Bernini travaillant à Naples. Comment votre carrière a-telle évolué ? J’ai d’abord travaillé au V&A de Londres pendant deux ans pour aider à organiser une exposition sur la sculpture italienne en terre cuite. L’exposition a également été présentée à Houston, au Texas, et ce fut ma toute première visite aux États-Unis. En 2006, bien des années plus tard, j’ai obtenu une bourse de recherche au Metropolitan Museum of Art de New York pour terminer le livre issu de mon doctorat sur Cosimo Fanzago, le principal sculpteur de la Naples baroque. Après quelques mois de recherche, James Draper - qui est décédé très récemment, il était le conservateur du département de la sculpture européenne et des arts décoratifs au Metropolitan Museum of Art - m’a demandé si j’étais intéressé par le poste de conservateur. J’ai répondu oui, et cela a été un tournant. J’ai terminé ma bourse et je suis retournée à Naples, en Italie, pendant un an et demi, puis en 2009, Jim Draper m’a réengagée, en tant qu’associée de recherche principale cette fois, pour travailler sur le catalogue de la sculpture italienne en bronze au Metropolitan Museum of Art. J’ai travaillé dans son département pendant quatre ans, effectuant des recherches pour le catalogue des bronzes ou organisant des expositions comme «Bernini : Sculpting in Clay» (une grande exposition sur les terres cuites du Bernin) et «Antonio Canova The Seven Last Works.» En 2013, je suis allé à la Yale University Art Gallery et j’y ai travaillé pendant deux ans dans le département d’art européen en tant que conservateur. Puis j’ai été nommé directeur du Bargello à Florence et je suis retourné en Italie. C’était le 18 août 2015. Je suis incroyablement heureux d’avoir récemment été reconduit dans mes fonctions pour quatre autres années. En quoi consiste votre travail ? Je supervise les cinq musées, et à mon arrivée et encore aujourd’hui, j’ai des papillons dans l’estomac chaque fois que je me promène dans les salles du Bargello (suit page 12)
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(suit de la page 11) et que je vois les œuvres maîtresses de Donatello, Michel-Ange, Cellini et Bernini, pour n’en citer que quelquesunes. Pendant les trois premières années, j’ai travaillé à créer la structure de ce groupe de musées, en termes d’administration et de gestion des ressources. Contrairement aux musées anglo-américains, et ce qui reste pour nous le défi majeur, nous ne pouvons pas gérer le personnel. En d’autres termes, nous ne pouvons pas embaucher ou choisir qui travaille pour nous, ni ouvrir des postes. Le personnel est toujours géré par le ministère, il a donc fallu beaucoup de temps pour obtenir certaines des ressources indispensables à la gestion d’un musée indépendant. Avec les conservateurs qui travaillaient déjà dans les musées, j’ai élaboré un plan directeur des travaux de conservation des bâtiments à effectuer, ainsi qu’une nouvelle présentation des musées au public. «Nous améliorons les programmes culturels et éducatifs afin que les musées jouent un nouveau rôle dans la société.» Paola D’Agostino, la sculpture est-elle suivie par un large public ? Pas autant qu’elle devrait l’être. Il y a les grands chefs-d’œuvre de la sculpture antique, les chefs-d’œuvre grecs et certains chefs-d’œuvre romains, mais quand il s’agit des débuts de la modernité, il y a moins d’artistes qui sont appréciés. Même la sculpture la plus célèbre, le David de Michel-Ange (qui ne se trouve pas dans mes musées), est visitée principalement parce qu’il s’agit d’une attraction incontournable à Florence et non parce que les gens apprécient pleinement la sculpture. Ironiquement, si vous demandez aux Italiens et aux étrangers ce qu’est le David de Donatello, la majorité répondra qu’il s’agit du prix du cinéma David di Donatello et non d’un chef-d’œuvre de Donatello en bronze. Combien de visiteurs accueillez-vous ? Nous avons environ 250.000 visiteurs au Bargello par an. L’ensemble du groupe muséal compte près de 700 000 visiteurs par an. Nous pourrions en gérer davantage et nous travaillons avec le ministère
pour améliorer les heures d’ouverture. Combien de personnes travaillent avec vous ? Nous devrions avoir 123 personnes dans l’ensemble du personnel, des gardiens aux conservateurs et aux administrateurs, mais nous n’en avons que 66, soit la moitié. Est-ce un gros problème ? Oui, c’est un problème qui touche toute l’administration publique italienne. Pourquoi ? Parce que nous arrivons à un tournant. De nombreuses personnes prennent leur retraite parce qu’elles atteignent une limite d’âge et il faut trouver les fonds pour les remplacer. Il faudra encore au moins 4 à 6 ans pour que le cycle soit achevé. Jusqu’à il y a environ 10 ans, le ministère du patrimoine culturel était toujours considéré comme peu important lorsqu’il s’agissait de plans et de stratégies d’embauche. Le vif intérêt que nos nominations et la réforme ont suscité a également créé l’urgence de trouver une solution et de changer les politiques pour ce ministère. Cela va prendre du temps, mais au moins, ils ont mainte-
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nant un plan en place. Paola D’Agostino, Florence est l’une des villes les plus importantes et les plus romantiques du monde. Y a-t-il beaucoup de concurrence entre les institutions et l’afflux de visiteurs est-il bien organisé ? Il y a beaucoup de concurrence entre les institutions, mais ce qui change de manière positive, c’est que nous essayons tous d’encourager les résidents et les Florentins à revenir et à revisiter leurs propres musées. Nous ne planifions pas seulement nos événements en termes d’attractions touristiques, mais nous améliorons également les programmes culturels et éducatifs afin que les musées jouent un nouveau rôle dans la société. La municipalité de Florence fait un très bon travail pour surveiller les flux de touristes. Ils avaient un plan UNESCO, qui a été établi en 2016, pour diversifier les itinéraires des touristes et encourager un réseau d’institutions culturelles dans la ville. Pourquoi faut-il visiter les musées du Bargello et comment l’encouragez-vous ? Le Bargello peut faire comprendre facilement et très ef-
ficacement à tout le monde l’importance de Florence du point de vue politique et culturel. Le bâtiment lui-même hypnotise quiconque entre dans sa cour, et il possède également le plus ancien portrait de Dante Alighieri, qui a été condamné à mort au Bargello. Heureusement, il s’en est échappé. Et puis, à travers les chefsd’œuvre de la sculpture de la Renaissance, vous pouvez apprécier l’importance non seulement de l’ingéniosité des artistes mais aussi de l’intelligence de la dynastie des Médicis dans la promotion de la sculpture comme moyen politique. Les chapelles Médicis et Orsanmichele ne vous parlent pas seulement du lien étroit entre les Médicis et la ville, avec le chef-d’œuvre de Michel-Ange, la Nouvelle Sacristie, qui fut sa dernière œuvre à Florence, mais aussi Orsanmichele qui résume probablement le mieux la puissance et le raffinement des guildes de Florence. Avec Xavier Salomon, le conservateur de la Frick Collection avec lequel vous avez récemment travaillé sur une exposition Bertoldo di Gio-
Photo lafabuloserie.com vanni, vous venez de recevoir le FIAC Foundation Award à New York. Accordez-vous une grande importance aux échanges avec les musées américains ? Oui, et vu la richesse des collections des cinq musées, nous sommes souvent inclus dans des partenariats internationaux. Avant Bertoldo, qui fut le dernier élève de Donatello et le premier maître de Michel-Ange en sculpture, nous avons été des prêteurs majeurs de la spectaculaire exposition Michel-Ange au Met en 2018. En 2019, nous avons organisé une exposition d’art avec la National Gallery de Washington consacrée à Verrocchio, mais dans ce cas, nous avons également organisé une grande exposition à Florence avec le Palazzo Strozzi. Il s’agissait d’une collaboration entre trois institutions, et c’était la première fois qu’un musée public de Florence était inclus dans l’exposition. Nous n’étions pas seulement prêteurs, comme cela arrive généralement, mais une partie de l’exposition s’est tenue au Bargello. Quels sont vos projets pour les quatre prochaines années ?
Nous sommes en train de réaliser d’importants travaux de rénovation et de conservation qui devraient être achevés d’ici trois ans. La majeure partie du Bargello sera réinstallée et nous aurons une nouvelle sortie pour les chapelles Médicis et un meilleur accès pour Orsanmichele. Nous développons également des collaborations internationales pour d’autres grandes expositions. L’année prochaine, nous serons occupés à participer aux célébrations en l’honneur du 700e anniversaire de la mort de Dante Alighieri.
LA FABULOSERIE
Alain Elkann Images reproduites avec l’aimable autorisation des Musei del Bargello. VOUS AVEZ AIMÉ CETTE INTERVIEW ? PARTAGEZ-LA AVEC UN AMI. https://www.alainelkanninterviews.com/paola-dagostino/ Cet entretien peut être écouté en podcast ici. https://www.stitcher.com/ show/alain-elkann-interviews/episode/paola-dagostino-44-alain-elkann-interviews-67531710
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CTION ! Message d’Agnès et Sophie Bourbonnais, de La Fabuloserie : «Bonjour, Vous, dont l’une des raisons de vivre est de faire partager vos découvertes en matière d’art, vous n’êtes pas sans savoir que La Fabuloserie a la chance de présenter dans son « jardin habité » un des environnements majeurs de l’art brut : le Manège de Petit Pierre ! Ce joyau emblématique nous a été confié par Léon Avezard, le frère de Petit Pierre, sur l’instigation de Laurent Danchin, il y a 34 années ; Depuis, conscients de l’immense responsabilité qui nous échoit, nous le chouchoutons. Or, malgré nos soins il n’échappe pas aux outrages du temps et des intempéries. Las, La Tour Eiffel (23 m de haut), bien qu’haubanée, se prend pour une danseuse, certes élégante, mais qui risque de faire son dernier tour de piste si nous n’agissons pas. Or, non seulement les subventions de la Région et du Département diminuent d’année en année, mais elles ne sont pas destinées à entretenir le patrimoine. Aussi, le Manège de Petit Pierre n’est-il pas admis dans la section des « projets de spectacle vivant » même si son spectacle est si vivant ! Alors que les confinements successifs ont privé et vont encore priver le musée d’une grande partie de ses visiteurs, notre première démarche a été de nous tourner vers la Région et la DRAC mais, malgré l’urgence de la situation, les réponses négatives se sont succédé. Aussi nous n’avons d’autre recours que de lancer une campagne de financement participatif pour réaliser, ce printemps même, la sauvegarde de la Tour Eiffel et de la Cabine depuis laquelle Petit Pierre actionnait son Manège. Vous êtes nos meilleurs ambassadeurs c’est pourquoi nous vous prévenons, en avant-première, pour attirer votre attention et solliciter de votre part un relais de cette campagne parmi vos connaissances. Le lien : http://www.kisskissbankbank.com/.../sauvetage-de-la-tour... Un grand merci d’avance, Agnès et Sophie Bourbonnais» fabuloserie89@gmail.com www.fabuloserie.com
Photo pierreolivierdeschamps
n 1900, Paris accueille le monde entier dans une atmosphère de fête. À l’occasion de l’Exposition universelle fleurissent, à côté des grosses « pâtisseries » dans le style Beaux-Arts, des édifices à l’architecture aussi inédite que fantastique, de la porte monumentale de René Binet au pavillon de Loïe Fuller, sans oublier les stations de métro signées Hector Guimard. La Samaritaine, chefd’œuvre de l’Art Nouveau parisien, est l’enfant de ce moment d’effusion architecturale. Toutefois sa genèse, fruit d’un long cheminement, commence deux décennies plus tôt. En 1882, Émile Zola travaille à l’écriture d’ «Au Bonheur des dames», onzième volume de la saga des Rougon-Macquart dans lequel il évoque le monde des grands magasins sous le Second Empire. Pour donner de la crédibilité à sa description, l’auteur demande à Frantz Jourdain d’imaginer le projet d’une de ces « cathédrales du commerce moderne ». L’architecte soumet à Zola une proposition extrêmement détaillée. Quoiqu’un peu visionnaire pour un roman se déroulant dans les années 1860, celleci n’en inspire pas moins l’écrivain, qui reprend l’idée phare de Jourdain : une construction de métal et de verre, ornée d’une décoration colorée soulignant la structure du bâtiment. Aussi fictif soit-il, le grand magasin rêvé par Jourdain constitue bien la base de son projet pour la Samaritaine, développé après 1900. Entre-temps, la découverte de l’Exposition universelle de 1889, celle de la tour Eiffel et de la galerie des Machines, a achevé de le convaincre des vertus de l’architecture métallique. Raconter l’histoire de la Samaritaine, ce n’est pas seulement tenir la chronique d’un succès commercial fulgurant, c’est aussi narrer une véritable épopée architecturale. Créée en 1871 face au grand magasin La Belle Jardinière, l’enseigne ne va cesser de s’étendre en direction de la rue de Rivoli et de l’église Saint-Germain-l’Auxerrois. Son fondateur, Ernest Co-
BIENTOT LA S
gnacq, et son épouse, Marie-Louise Jaÿ, achètent alors à tour de bras les parcelles dans ce périmètre, puis relient entre eux les rez-dechaussée pour en faire de vastes surfaces de vente. Dès 1885, Jourdain collabore à cette entreprise. Mais ce bricolage touche bientôt ses limites : l’agglomération de bâtiments hétéroclites, souvent anciens, aux hauteurs sous plafond médiocres, entrave le développement de la Samaritaine. Après plusieurs opérations ponctuelles de reconstruction, l’architecte convainc les Cognacq-Jaÿ d’unifier l’îlot, situé entre les rues de la Monnaie et de l’ArbreSec, et d’édifier un magasin entièrement neuf. Promoteur du modernisme sous toutes ses formes, Frantz Jourdain milite pour une architecture de son temps, qui en exprime le caractère, position résumée dans sa maxime : « À des besoins nouveaux, des formes nouvelles ». Projet ambitieux, la Samaritaine constitue « le manifeste de Jourdain autant qu’un manifeste bâti de la théorie de l’Art Nouveau »,
considère l’historienne Meredith Clausen. Elle se présente d’abord comme un manifeste pour l’architecture métallique. Grâce à la préfabrication, celle-ci est gage d’efficacité lors de la construction ; elle est aussi, à l’usage, une promesse de lumière et d’espace, grâce à la suppression des maçonneries, la réduction des éléments porteurs et la couverture par une grande verrière. La Samaritaine se veut également un manifeste pour ce que Jourdain appelle, dans un de ses articles, « l’art dans la rue ». Grâce à la couleur et à l’ornement, son édifice participe d’une esthétique urbaine offerte à tous, dans un esprit social et démocratique. C’était du moins le projet à l’origine, car les vicissitudes dont a été victime le bâtiment ont occulté cette généreuse ambition. En effet, lorsque le nouveau magasin est inauguré en 1910, l’Art Nouveau est quasiment passé de mode. Mais c’est la construction de l’extension côté Seine, sous la houlette d’Henri Sauvage, qui dénature l’aspect du magasin 2.
Dès les années 1930, il est soumis à une cure d’austérité. Ainsi, sont badigeonnés les décors peints à l’intérieur et une partie des panneaux en lave émaillée en façade pour mieux s’accorder au style Art Déco, plus dépouillé, du nouveau bâtiment. Diverses interventions, dans les années 1980, en avaient ressorti une partie au jour, mais la restauration qui s’achève permet vraiment de rendre justice aux intuitions de Jourdain et aux qualités visuelles et spatiales de son œuvre. Menée sous la direction de Jean-François Lagneau, architecte en chef des Monuments historiques, cette opération prend pour repère l’année 1932, époque à laquelle l’ouvrage originel avait déjà subi certaines transformations, du fait notamment de la construction de l’extension. Un geste architectural radical En 2001, le groupe LVMH (ndlr : propriétaire de « Connaissance des Arts ») acquiert la Samaritaine, quatre ans avant que le magasin soit fermé pour des raisons de sécurité.
SAMARITAINE Progressivement, prend forme une ambitieuse opération de restructuration du magasin 2, entre la Seine et la rue de Rivoli. Celle-ci conduit à redistribuer les espaces entre différentes fonctions : commerces, bureaux, logements, hôtel. Chargé de la conception générale du projet, l’agence japonaise Sanaa Architecture renoue avec l’audace de ses prédécesseurs, en construisant un bâtiment sur la rue de Rivoli, enveloppé dans une façade de verre ondulé. Un geste architectural qui n’a pas fini de faire parler. Un chantier colossal Si, au terme de la restructuration, une partie du bâtiment Jourdain a été convertie en logements, l’essentiel, c’est-à-dire l’espace coiffé de la grande verrière, reste dévolu au commerce. Les mots lumière et couleur viennent spontanément à l’esprit lorsque l’on découvre la Samaritaine nouvelle. En façade comme dans le magasin, toute la structure métallique a retrouvé ce coloris gris bleu d’origine, mis en évidence par les études stratigraphiques menées avec le Centre de recherche
et de restauration des musées de France. Comme en écho, les plumes des paons arborent la même teinte sur la monumentale peinture ceinturant le dernier étage sous la verrière. À ce genre de détail, se révèle la conception puissamment unitaire du magasin, où Jourdain a œuvré en osmose avec dessinateurs, décorateurs, peintres et sculpteurs, pour créer une véritable œuvre d’art totale. Les restaurateurs se sont mis au diapason de ces artistes dans une entreprise véritablement colossale : 600 mètres linéaires de balustrades en ferronnerie, une peinture de 400 mètres carrés, des panneaux en lave émaillée sur 680 mètres linéaires, etc. Ces derniers apparaissent comme l’élément essentiel de l’identité visuelle du magasin. Œuvre de Francis Jourdain, fils de l’architecte, et de l’affichiste Eugène Grasset, ils avaient particulièrement souffert. Aussi, une vingtaine de panneaux, trop endommagés ou disparus, ont été refaits par Maria da Costa, une des dernières émailleuses sur lave.
Non moins essentielle dans l’économie esthétique du projet, la peinture aux paons a été découpée en trois cent trente-six panneaux, dont le support en briques de liège a été aminci, puis renforcé par un mélange de plâtre et de métal. Ensuite, les restaurateurs se sont attachés à débarrasser la surface des repeints à l’acrylique des années 1980 et des restes du badigeon antérieur, retrouvant enfin le délicat chromatisme de la peinture originelle. Pour chaque élément du décor ou de l’architecture, un même travail aussi patient et minutieux que technique a permis de ressusciter l’œuvre de Jourdain et de tous les artisans qui l’ont accompagné dans son entreprise. Pour ceux qui se souviennent de la Samaritaine un peu lugubre des années 1990, le choc promet d’être saisissant. Jean-François Lasnier h t t p s : / / w w w. c o n n a i s sancedesarts.com/musees/ restauration/la-samarit aine-renaiss ance-dunchef-doeuvre-de-lart-nouveau PALAZZI 15 VENEZIA
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eu après la construction du Pont-Neuf, sous l’impulsion d’Henri IV, la première machine élévatrice d’eau de Paris est érigée sur le côté droit du pont, en aval de la Seine. Cette dernière sert à pomper l’eau du fleuve pour alimenter le palais du Louvre et le jardin des Tuileries qui se situent à proximité. Ce petit bâtiment sur pilotis était décoré d’une sculpture représentant une scène de la Bible : la rencontre entre Jésus et la Samaritaine au Puits de Jacob. Petit retour en arrière, dans l’Evangile selon Saint-Jean, cette histoire raconte le moment où Jésus demande à boire à une femme de Samarie qui se repose près d’un puits. En ce temps, les Juifs n’adressent pas la parole aux Samaritains. La femme reconnait alors en lui le Messie. Cette pompe a malheureusement été détruite en 1813. Un demi-siècle plus tard, à son emplacement, un certain Ernest Cognacq installe sa première échoppe où il vend, sous un grand parapluie rouge, toutes sortes d’objets destinés aux femmes. Surnommé le « Napoléon du déballage », son commerce est florissant. En 1870 il décide donc de louer une petite salle rue de la Monnaie où il ouvre sa première boutique « À la Samaritaine », donc, en référence à cette scène biblique. Au bout d’un mois, il doit déjà l’agrandir ! Deux ans plus tard il se marie avec Marie-Louise Jaÿ, vendeuse au Bon Marché, qui l’aidera à faire prospérer ses affaires jusqu’en 1900 où naîtront les fameux Grands Magasins de La Samaritaine de style art nouveau. Comme au Monopoly, le couple Cognacq-Jaÿ rachète les immeubles voisins pour étendre leur propriété. Amateurs d’art, leur succès leur permet de réunir une belle collection d’œuvres du 18ème siècle, aujourd’hui exposées (gratuitement !) au musée qui porte leur nom dans le Marais. Quant à leur magasin, la Samaritaine a dû fermer ses portes en 2005 et les parisiens attendent toujours sa réouverture…prévue en 2020 et reportée à une date ultérieure depuis. www.pariszigzag.fr/secret/histoire-insolite-paris/dou-vientle-nom-de-la-samaritaine
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Élément insolite dans la nature intacte de Punta Massullo, sur le côté oriental de l’île de Capri, la villa de Curzio Malaparte ressemble, de loin, à l’épave d’un navire abandonné par la fureur de la mer déchaînée sur la falaise. Longue de 54 mètres mais large de seulement 10 mètres, la Casa Malaparte est un parallélépipède brisé par un admirable escalier qui grimpe sur son dos et mène au toit-terrasse ouvert sur la mer. Le seul élément décoratif est la «boucle» blanche qui dissimule et, en même temps, soutient la cheminée, protégeant ainsi les invités des regards indiscrets. Teintée d’un rouge vif et en plein style rationaliste, la villa contraste délibérément avec les autres demeures de Capri: «Pas de colonnes romanes, pas d’arcs, pas d’escalier extérieur, pas de fenêtres ogivales, aucune de ces combinaisons hybrides de styles mauresque, roman, gothique et sécessionniste» écrit l’écrivain de Prato en 1940, dans un texte intitulé «Ritratto di pietra» (Portrait de pierre). La maison fut construite au milieu des années trente sur un terrain acheté après son exil antifasciste à Lipari, grâce également aux permis de construire que Malaparte obtint grâce à son amitié avec Galeazzo Ciano (à l’époque ministre des affaires étrangères et grand visiteur de Capri avec sa femme Edda Mussolini). Contrairement à ce qui est rapporté de manière erronée dans diverses sources, qui attribuent le projet à Adalberto Libera (un architecte rationaliste qui a construit beaucoup de choses à Rome et dans les environs, comme le Palais des Congrès de l’EUR), de récentes acquisitions de documents et de lettres montrent que la réalisation de la villa est en fait entièrement attribuable à Malaparte lui-même, qui a agi en tant que directeur effectif des travaux. Le «Portrait de pierre» mentionné plus haut confirme le divorce entre l’architecte et le client : «Ici, aucune maison n’est apparue. J’ai donc été le premier à construire une maison dans cette nature. Et c’est avec une crainte respectueuse que je me suis attelé à la tâche, aidé non pas par des architectes, ou des ingénieurs (sauf pour les ques-
tions juridiques, pour la forme juridique), mais par un simple maître d’œuvre, le meilleur, le plus honnête, le plus intelligent, le plus généreux, parmi ceux que j’ai jamais rencontrés. Petit de taille, très silencieux, très pauvre en gestes et en paroles, son œil noir recouvert d’une paupière lente, prudente et sage, Mastro Adolfo Amitrano commença par tâter la roche de la main...» Libera s’occupe cependant des problèmes bureaucratiques et des contacts avec les bureaux techniques et avec la surintendance de l’environnement, obtenant les permis de construire en très peu de temps - entre janvier et mars 19344, mais le «damné Toscan» refuse aussi, de manière provocante, à l’architecte la paternité putative de sa splendide résidence de Capri dans son roman le plus célèbre, «La Peau», où il présente au général Rommel (qui lui rend visite à Capri) sa maison de Punta Massullo : «...puis, avant de partir, il m’a demandé si j’avais acheté la maison déjà construite, ou si je l’avais conçue et construite moi-même. Je lui ai répondu - et ce n’était pas vrai - que j’avais acheté
CASA MA
la maison déjà construite. Et d’un geste ample de la main, en montrant la falaise abrupte de Matromania, les trois rochers gigantesques des Faraglioni, la péninsule de Sorrente, les îles des Sirènes, les distances bleues de la côte amalfitaine et l’éclat doré lointain du rivage de Pesto, je lui ai dit : «J’ai dessiné le paysage». Malaparte a baptisé la villa «Maison comme moi» : à l’exception de l’aide du maître d’œuvre local, tout - y compris les intérieurs et le mobilier - a été conçu par l’écrivain polyvalent. Certaines des solutions adoptées sont de véritables inventions architecturales, comme, par exemple, l’intuition ésotérique de laisser une fenêtre ouverte sur l’horizon dans le mur de la grande cheminée du salon : c’est ici que convergent les quatre éléments de la tradition cosmogonique, car à la terre du sol pierreux et inégal, aussi dure que les fissures de Burri, s’ajoutent le feu, l’eau et l’air évoqués par la flamme de la cheminée à travers laquelle, au-delà de la fente découpée dans le fond, s’ouvrent la mer et le ciel infini. Michele Masneri a décrit la villa dans un reportage très
détaillé pour «Il Foglio», Citofonare Malaparte, s’attardant également sur les éléments de design - huit en particulier - qui ont été conçus par Malaparte lui-même. À l’intérieur, les formes minimalistes et essentielles sont les protagonistes, et les seuls éléments décoratifs présents sont les carreaux de majolique peints par Alberto Savinio, le peintre et écrivain dont Malaparte était un admirateur et un collectionneur : certaines toiles de l’artiste des années 1920 semblent être une anticipation immédiate de ces intérieurs, en termes d’espace, de positionnement des grandes fenêtres, ou dans le profil marqué des moulures des fenêtres, presque comme des cadres pour un tableau représentant le splendide panorama de Capri. En 1963, la Villa Malaparte est la toile de fond métaphysique du Mépris, une adaptation (méta)cinématographique par Jean Luc Godard, le chantre de la Nouvelle Vague française, du roman éponyme d’Alberto Moravia, publié presque dix ans plus tôt (1954). Paul Javal est un écrivain qui accepte, pour gagner un peu plus d’argent, de réécrire
ALAPARTE quelques scènes d’une adaptation de l’Odyssée réalisée par Fritz Lang (qui joue son propre rôle), mais finit par blesser sa charmante épouse qui s’aliène peu à peu, se rapprochant du producteur du film. Le drame de la séparation conjugale de Paul (interprété par le grand Michel Piccoli, décédé le 12 mai 2020 et dont c’était le tout premier film dans Le Mépris) et Camille (Brigitte Bardot) commence entre les murs de la demeure romaine, puis explose dans les vastes espaces du plateau de tournage où est tournée L’Odyssée, pour atteindre son apogée dans la douce brise méditerranéenne qui caresse les dures marches et les rudes murs de la Villa Malaparte. La fin de la confiance mutuelle, du sentiment et donc du mariage est décrétée par la descente finale symbolique qui fusionne l’escalier du toit-terrasse avec la promenade rocheuse le long de la falaise, jusqu’à la mer, où Paul et Camille se séparent pour toujours. Parmi les nombreuses apparitions de la villa dans la culture visuelle, on ne peut manquer de mentionner le film «La pelle» (La peau) de Liliana Cavani (1981), basé sur le
livre semi-autobiographique de Malaparte lui-même, avec Marcello Mastroianni dans le rôle principal. Cet escalier aux caractéristiques surréalistes est si cinématographique qu’en 2016, il a ensuite constitué le générique d’ouverture des films en compétition au Festival de Cannes. Dans l’affiche officielle, cependant, le choix symbolique d’une image du Mépris, un film sur la réalisation d’un film, ressort. Elle a été expliquée sur le site web du festival, en citant la même phrase de Bazin récitée au début du film : «Tout est là. Les marches, la mer, l’horizon : l’ascension d’un homme vers son rêve, dans une chaude lumière méditerranéenne qui vire à l’or. Le «cinéma remplace notre regard fixe par un monde en harmonie avec nos désirs». Ce bâtiment mystérieux et provocateur, qui se veut un testament idéal et matériel de son architecte, a également été photographié par Karl Lagerfeld dans son livre Casa Malaparte pour Steidl. C’est précisément la combinaison d’un design atypique et moderne avec une position isolée, immergée dans la na-
ture la plus reculée, qui fait de notre villa de Capri le lieu idéal pour diverses campagnes publicitaires. L’harmonie inhabituelle et extraordinaire entre la nature et l’architecture est le paradigme visuel parfait pour le spot publicitaire présentant le parfum UOMO d’Ermenegildo Zegna, réalisé par Jonas Åkerlund en 2014. Tout comme dans la campagne printemps 2018 de Saint Lauren, réalisée par Nathalie Canguilhem, le mannequin Kate Moss est filmée sur l’escalier monumental de la villa, immergée dans le paysage époustouflant de Capri. Par contre, la publicité Cœur Battant de Louis Vuitton, avec Emma Stone et réalisée par Nicolas Loir, date de 2019. La décoration intérieure et les lignes vertigineuses de l’escalier créent un cadre somptueux suspendu dans le temps, transcendant la simple fonction de toile de fond et devenant plutôt un pivot narratif et imaginatif. La Casa Malaparte, architecture «parlante» qui attire magnétiquement l’œil et la caméra, est cependant aussi parmi les plus inaccessibles : la maison était et reste privée, fermée au public à l’exception PALAZZI 17 VENEZIA
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des initiatives culturelles. L’écrivain souhaitait créer une «fondation appelée «Curzio Malaparte» afin de créer une maison d’accueil, d’étude et de travail pour les artistes chinois à Capri», mais ses héritiers ont contesté le testament et ont utilisé la villa comme un centre de production culturelle et un lieu de rencontres sur l’architecture et le design. Cependant, en regardant au-delà de l’horizon de l’île de Capri, il est possible d’apercevoir la destination de la parabole architecturale de Malaparte, qui de Punta Massullo se termine symboliquement sur le sommet de Colle Spazzavento, où se dresse le monument funéraire érigé par les habitants de Prato en 1961 : la pierre, solitaire et anguleuse, se détache sévèrement dans le vent des Apennins toscans, un contrepoint à la poésie de la mer qui était sa maison au milieu de la mer Tyrrhénienne la plus bleue. Silvia Mazzei Notes 1 Curzio Malaparte, Ritratto di pietra, cité dans M. Talamona, Casa Malaparte, Clup, Milan 1990, p. 82. 2En raison de certaines allusions piquantes et ambiguës au régime présentes dans son pamphlet en français Technique du coup d’État. 3 Curzio Malaparte, Ritratto di pietra, cité dans M. Talamona, Casa Malaparte, op.cit, p.82. 4 Le projet est présenté à la municipalité de Capri en mars 1938 : il obtient rapidement l’approbation de la commission municipale des bâtiments, puis la nulla osta de la surintendance de Naples et, enfin, en mai de la même année, l’approbation du ministère de l’Éducation nationale. La licence est signée directement par Bottai (le compagnon franc-maçon de Malaparte). La reconstruction détaillée des scènes mentionnées ici a été réalisée par Marida Talamona (M. Talamona, Lo scrittore e l’architetto, in Adalberto Libera Opera completa, ediz. Electa, Milano 1989, p. 236). 5 Curzio Malaparte, La pelle, Mondadori, Milan 1978 (réimprimé dans : Oscar classici moderni, 1991), p. 196. La première publication date de 1949 (par Aria d’Italia à Milan), mais l’épisode raconté se déroule en 1942, lorsque la villa était déjà terminée et habitée par l’écrivain toscan. 6 On parle d’un tableau de Savinio que Malaparte avait dans sa maison à Capri (cf. M. Talamona, op. cit. note 108, p. 63). Malaparte a également fait dessiner par le peintre une lyre grecque destinée à être utilisée comme décoration pour les carreaux de sol en majolique de son atelier (Ibidem, p. 48).
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l y a cent ans, une femme était élue pour la première fois au parlement britannique. Mais Deuxième femme Première ministre du RoyaumeUni, Theresa May pouvait difficilement éviter un hommage à Constance Markievicz. En janvier, un émissaire de la Chambre des communes confirmait à The Journal que quelque chose de «spécifique» serait organisé son honneur. En Irlande, les admirateurs de la comtesse s’amusent de ce drôle de retournement de l’histoire: ce n’est pas tous les jours qu’un pays se sent obligé de célébrer la vie d’une personnalité qu’il condamna un jour à mort pour sédition. C’est à Londres, le 4 février 1868, que naît Constance Gore-Booth. Son père, Sir Henry Gore-Booth, est un explorateur arctique et riche propriétaire terrien du comté de Sligo, au nord-ouest de l’Irlande. Fille aînée d’une famille de la haute société, Constance est même présentée à la reine Victoria, le jour de la Saint-Patrick en 1887. «C’était normal pour les jeunes femmes d’une certaine classe d’être présentée au monarque une fois en âge d’être mariées», commente Lindie Naughton, auteur de Markievicz: A Most Outrageous Rebel, paru en 2016. Décrite comme «la nouvelle beauté irlandaise», Constance est promise au destin habituel des jeunes de sa classe. «Les quatre mois suivant furent suivis de frivolité, écrit Naughton dans son livre. Bals et fêtes le soir, shopping et équitation le jour.» Une vie dont Constance n’a que faire, elle qui préfère les grands espaces aux salles de bals. Son statut social lui permet en revanche de faire des rencontres plus intéressantes. Dès l’adolescence, Constance et sa sœur Eva reçoivent durant les vacances un jeune William Butler Yeats, connu plus tard comme l’un des plus grands poètes de langue anglaise du XXe siècle. En 1927, il rédige des vers en hommage aux sœurs Gore-Booth, dont il se souvient comme deux belles filles «en kimonos de soie». Constance, dont on pense qu’il a été au moins secrètement amoureux, est décrite comme «une gazelle». Comme son ami poète, Constance a l’âme d’une artiste. Elle décide d’étudier la peinture, mais la seule école
d’art de Dublin n’accepte à l’époque que les hommes. Une injustice qui la pousse à déménager à Londres en 1892 pour rejoindre la Slade School of Fine Art. C’est dans la capitale anglaise que Constance épouse la cause du droit de votes des femmes, en rejoignant le mouvement des suffragettes. À Noël 1896, elle organise avec ses sœurs Mabel et Eva (qui deviendra elle-même une figure du mouvement) un meeting encourageant les Irlandaises à suivre l’exemple de la Ladies’ Land League, une organisation de femmes défendant les droits des fermiers quelques années plus tôt. Désireuse de s’éloigner de l’emprise de sa famille pour un temps, Constance traverse la Manche pour étudier à l’Académie Julian, une école privée plus ouverte aux femmes que les Beaux-Arts, fondée par le peintre Rodolphe Julian en 1866. «Ils avaient un studio où les femmes pouvaient étudier de manière indépendante, explique Lauren Arrington, une autre spécialiste de la révolutionnaire irlandaise. Beaucoup d’artistes irlandais étaient allés là, et elle aimait l’idée de partir à l’étranger.»
C’est lors d’un bal étudiant en 1899 que Constance rencontre l’homme qu’elle épousera en 1901: Casimir Markievicz. Originaire de la province polonaise de Malopolska, aujourd’hui ukrainienne, Casimir aime se faire appeler Comte Markievicz dans le Paris de l’époque. Rapidement, la famille de Constance découvre via l’ambassadeur britannique en Russie qu’il ne possède «aucun droit» sur ce titre, qui n’a d’ailleurs jamais existé. Qu’importe: lorsque le couple déménage à Dublin en 1903, Constance Gore-Booth est désormais devenue la Comtesse Markievicz. Dans le Dublin du début du siècle, les Markievicz gravitent dans les cercles littéraires et bohèmes de l’époque. Ils y côtoient entre autres John Butler Yeats, père du poète susnommé et portraitiste, l’artiste George Russell et Maud Gonne, actrice et suffragette. «Les Markievicz se sont immergés dans la vie culturelle de Dublin, explique Naughton. Ils ont contribué à la création d’un club d’art et ont essayé d’établir une galerie d’art moderne. Casimir a monté une troupe de théâtre, qui a vite été perçue
CONSTANCE M comme ce que l’on trouvait de mieux comme théâtre européen à Dublin. Constance elle même se retrouvait sur les planches.» Avec d’autres artistes, elle fonde en 1907 le United Arts Club. Dans le contexte politique de l’école, le club attire nombre de patriotes, comme le futur président Douglas Hyde. Par ses connections, Markievicz devient de plus en plus nationaliste; elle rejoint le Sinn Féin en 1908 –trois ans seulement après sa création– ainsi que Inghinidhe na hÉireann [«filles d’Irlande»], un groupe d’Irlandaises radicales fondé par son amie Maud Gonne. «À ce moment là, elle n’avait plus vraiment de temps pour les bals au château de Dublin, s’amuse Lindie Naughton. Son mari dépendait de ce monde, les activités de sa femme ont fait qu’il ne pouvait plus gagner sa vie à Dublin.» Avant de participer aux violentes manifestations anti-monarchie de 1911, Constance fonde en 1909 les Na Fianna Éireann, un camp de scouts préparant les têtes rousses à la révolution. Toujours en activité, les Fianna sont encore considérés comme une organisation terroriste par
le Royaume Uni. En 1913, Casimir quitte Dublin à jamais. «On ne peut pas dire qu’il ait quitté Constance, précise Arrington, auteur de Revolutionary Lives: Constance and Casimir Markievicz. Il voulait s’établir comme correspondant de guerre dans les Balkans, mais est arrivé à la fin du conflit. Il s’est ensuite retrouvé bloqué par la Première Guerre mondiale. On raconte qu’il est à l’origine de l’expression “Bloody Sunday” [«dimanche sanglant»], utilisée la première fois pour décrire l’attaque de la foule par la police métropolitaine de Dublin en 1913.» La même année, Constance, dont le titre et les origines bourgeoises engendraient parfois une forme de mépris méfiant, gagne le cœur du peuple. Lors de la grande grève de 1913, elle ouvre une soupe populaire, où elle œuvre pendant six mois pour nourrir les pauvres de Dublin. C’est de ce conflit social géant qu’est née l’Irish Citizen Army (ICA), une milice fondée par James Connolly, grande figure de la lutte irlandaise. Aux côtés de l’ICA, Constance Markievicz prend part à un
MARKIEVICZ événement clef de la libération de son pays: l’insurrection de Pâques. Le 24 avril 1916, l’ICA, l’Irish Republican Brotherhood et 200 femmes du Cumann na mBan prennent le contrôle de postes dublinois importants et déclarent l’indépendance. En tout, 1.200 républicains affrontent les troupes britanniques, qui comptent elles 16.000 hommes. Pendant six jours, des affrontements ont lieu dans la future capitale irlandaise. Constance Markievicz est stationnée à St. Stephen’s Green, un parc dublinois, sous les ordres du commandant Michael Malin. À l’époque, une infirmière travaillant dans le coin sud-ouest du parc témoigne avoir vu la comtesse tirer sur un membre de la police métropolitaine de Dublin, qui serait plus tard mort de ses blessures. «Elle faisait probablement allusion au Constable Michael Lahiff, explique Naughton. On lui a tiré dessus à midi. Or à ce moment là, un rapport officiel place Constance en train de progresser vers le City Hall. En cour martiale, on ne l’a pas accusée d’avoir abattu un homme. Elle a plus tard raconté à sa
sœur Eva ne pas avoir réussi à tirer, parce qu’elle avait reconnu le policier.» La comtesse reconnaît en revanche avoir tiré sur un autre homme, blessé au bras. Lauren Arrington commente: «Cette question n’agite pas autant de débat avec les autres leaders de l’insurrection comme Patrick Pearse ou James Connolly, qui lui, on le sait, a tué un policier désarmé» comme s’il était plus grave qu’une femme ait donné la mort plutôt qu’un homme. Une autre légende raconte qu’avant de se rendre, la comtesse aurait embrassé le canon de son revolver. Ici, la mythologie s’appuie sur un dessin de son amie Grace Gifford Plunkett. «Le dessin met en avant la sensualité de Markievicz, précise Arrington. Sa taille est fine, ses lèvres et ses hanches ont des dimensions exagérées». Selon Lindie Naughton, l’anecdote est réelle. «L’homme à qui elle a rendu son revolver était d’ailleurs marié à une de ses cousines, assure-t-elle. Il existe une théorie selon laquelle ce geste exagéré d’embrasser le revolver visait à détourner l’attention.» De qui? De Michael Malin, commandant de Markievicz
durant l’insurrection, un ancien de la British Army ayant combattu en Inde. Son épouse attend alors un cinquième enfant. Si Malin vient à être exécuté, sa famille risque de se retrouver sans le sou. Lors de son procès, Malin déclare que la comtesse était le véritable leader des troupes et non lui. «C’est passé pour de la couardise, continue Naughton. Sauf qu’on raconte que c’était fait en accord avec Constance, parce qu’ils pensaient que les Britanniques n’oseraient pas exécuter une femme.» Malin fut tout de même exécuté. Markievicz est également condamnée à mort, avant que sa sentence soit commuée en peine de prison, parce qu’elle était une femme. Le cinquième enfant du commandant, une fille, sera baptisé Constance. Emprisonnée à Aylesbury, dans le Sud-Est de l’Angleterre, Constance est considérée comme une criminelle, non comme prisonnière politique, un statut qu’elle réclame. «Elle était avec vingt-six femmes, principalement des meurtrières et des prostituées», précise Naughton. L’une d’entre elles essaie de se trancher la gorge, d’autres avalent des aiguilles, mettent PALAZZI 19 VENEZIA
étranger». Une élection historique qui rappelle celle de Bobby Sands, autre figure de la lutte irlandaise, élu en Irlande du Nord vingt-six jours avant de mourir des suites de sa grève de la fin. Comme Sands et ses camarades, Constance Markievicz ne siègera jamais à la Chambre des communes, une politique de la chaise vide que le Sinn Féin continue à suivre de nos jours. Le 21 janvier 1919, le Dáil Éireann adopte la déclaration d’indépendance de l’Irlande. En avril, Markievicz est nommée à la tête du ministère du Travail, devenant la seconde femme au monde à occuper une position ministérielle – après la soviétique Alexandra Kollontai, une année plus tôt. En janvier 1922, elle démissionne en signe de protestation au traité anglo-irlandais signé quelques jours plus tôt. «Le traité comprenait la nécessité de prêter un serment de loyauté à la Couronne d’Angleterre, explique Naughton. Pour elle et pour d’autres, ça ne représentait pas une Irlande libre, mais un état esclave. Ça a débouché sur une guerre civile horrible et brutale. L’État libre irlandais a exécuté bien plus de ses rivaux que les Britanniques ne l’ont jamais fait. C’est un épisode honteux de l’histoire irlandaise.» Comprenant que l’opposition permanente ne mène à rien, la comtesse soutient la proposition d’un nouveau parti, le Fianna Fáil. Sous cette nouvelle étiquette, et après d’autres séjours en prison, la comtesse est à nouveau élue et promet de retourner au parlement. Elle meurt le 15 juillet 1927, à l’âge de 59 ans. Naughton raconte: «On dit que 300.000 personnes étaient présentes. Les Irlandais ne plaisantent pas avec les funérailles… » La comtesse Markievicz repose toujours au cimetière dublinois de Glasnevin, comme son amie et camarade Maud Gonne. Au parc de St. Stephen’s, un buste la présente comme «une femme courageuse ayant combattu pour l’Irlande en 1916». Pas sûr que Theresa May ait un jour droit à un tel hommage. Thomas Andrei Constance Markievicz, fausse comtesse, vraie rebelle irlandaise
le feu à leur cellule, essaient de se pendre. En mars 1917, Constance, comme nombre de ses camarades, fait l’objet d’une amnistie. À peine plus d’un an plus tard, elle est envoyée à Londres, dans la prison d’Holloway, pour s’être opposée à la mobilisation des Irlandais sur la fin de la Grande Guerre. Qu’importe, le Sinn Féin la nomme tout de même candidate, dans la circonscription de Dublin Sud. «Elle était très excitée, raconte Lauren Arrington. Elle avait conscience qu’être en prison augmentait son capital politique. Elle a même dit au Père Albert Bibby, qui faisait la messe aux Républicains de la prison: “Je me demande si j’aurais plus de chances de gagner depuis la prison ou depuis l’extérieur!» Le 28 décembre 1918, Constance Markievicz remporte l’élection, en recueillant plus de 66% des suffrages. À l’isolement, elle n’apprend la nouvelle qu’une semaine plus tard. Lors de la réunion inaugurale du Dáil Éireann, la chambre basse du pouvoir législatif irlandais, son nom est cité en compagnie des mots www.slate.fr/story/histoire-com«emprisonnée par l’ennemi tesse-constance-markievicz-irlande
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haque mois, la Bibliothèque nationale de France met en lumière une œuvre d’écrivaine, à télécharger gratuitement dans Gallica. Aujourd’hui, «la Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne», rédigée par Olympe de Gouges en 1791. «La femme a le droit de monter sur l’échafaud ; elle doit avoir également celui de monter à la tribune.» Olympe de Gouges, la fille non reconnue du poète et marquis Jean-Jacques Lefranc de Pompignan, assène ici, en une sentence bien frappée, une tragique prophétie auto-réalisatrice. Mais quand elle est guillotinée le 3 novembre 1793 – elle est la deuxième femme guillotinée après la reine, cinq jours avant Madame Roland – à 45 ans, alors qu’elle est elle-même une abolitionniste convaincue de la peine de mort, notamment victime de sa proximité avec les Girondins, elle laisse un fondement historique indubitable. Longtemps oublié, il resurgit en 1840, et est finalement réaffirmé en 1986 par la journaliste, romancière et militante féministe Benoîte Groult : tout le mouvement féministe, et audelà toutes les femmes, lui en sont infiniment redevables. Sa Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne, un texte court en dix-sept articles, vient compléter, voire contrer, la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, qui, de fait, sous son jour universaliste, gommait quelque peu la moitié de l’humanité. L’article I rédigé par Olympe de Gouges ne saurait être plus clair : «La Femme naît libre et demeure égale à l’Homme en droits. Les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l’utilité commune.» Le II l’est tout autant : «Le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de la Femme et de l’Homme: ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté et surtout la résistance à l’oppression.» Ces deux derniers résonnent de manière si particulière au regard des aléas de l’histoire que l’autrice de la Déclaration traverse et qui vont l’emporter. Un autre article est très intéressant, car il renvoie, comme bien souvent chez elle, à la problématique des enfants hors mariage et par-delà à celle des filles-mères. La naissance illégitime d’Olympe de Gouges a sans doute contribué à forger en
OLYMPE DE GOUGES
elle ce «pas de côté» qui a fait naître ses vues toujours originales et son audace, voire son insolence. Dans l’article XI, l’affirmation de la libre communication des pensées et des opinions débouche en effet sur un cas si précis qu’il en est assez inattendu : celui des mères et citoyennes pouvant revendiquer la paternité de leur enfant au lieu d’en cacher l’origine. Elle n’est pas la seule à avoir prôné l’égalité des sexes, mais elle est la première à l’avoir gravé d’un burin aussi ferme et surtout à avoir eu l’éclair de génie de s’adosser totalement à la Déclaration de 1789, si partielle et partiale. L’antiesclavagisme au théâtre Même si elle est largement passée à la postérité grâce à sa Déclaration des Droits de la femme et de la citoyenne, son combat en faveur des esclaves et des Noirs est sans doute tout aussi important et lui vaudra même des menaces de mort. On touche ici à l’intérêt et à la fortune, et l’on sait bien que cette raison est toujours première… Elle n’est pas la seule femme de lettres de son siècle à s’intéresser ardemment à cette question cruciale. Germaine de Staël a dénoncé
elle aussi ce scandale. C’est d’ailleurs une tradition familiale bien ancrée chez les Necker d’être antiesclavagiste (le père de Madame de Staël, Jacques Necker, ministre de Louis XVI, attaque avec virulence le commerce négrier pendant les Etats généraux de 1789) et tout le Groupe de Coppet s’occupera de cette question. Mais Olympe de Gouges est la première dramaturge – pionnière là encore – à porter frontalement ce sujet sur les planches, ou plus exactement désirant l’y voir, avec Zamore et Mirza ou l’Heureux Naufrage, inscrite au répertoire de la Comédie française en 1785. On se souvient bien sûr de l’Ile des esclaves de Marivaux, en 1725, une courte comédie écrite pour les Comédiens italiens, qui cerne bien le rapport maître-esclave. Sous la plume d’Olympe de Gouges, le ton n’est plus à l’arlequinade et à la morale sociale esquissée en un échange classique de rôles entre maîtres et serviteurs. Pour subvenir à ses besoins, Olympe de Gouges avait bien entrepris de monter sa propre troupe itinérante de comédiens, possédant décors et costumes. En parallèle, bien en vue dans
le monde littéraire, elle pouvait tout à fait prétendre à être jouée au Français, quitte à provoquer l’inquiétude les comédiens. Ainsi justement de Zamore, qui mécontente par trop les propriétaires d’esclaves, bien souvent membres de familles présentes à la Cour, et qui vont peser de tout leur poids. Olympe de Gouges a d’ailleurs risqué de très près la Bastille pour cette pièce, qui finira par être jouée plus tard au Français, la Révolution offrant une autonomie plus large à ce théâtre. “L’Esclavage des Noirs”, ou “l’Heureux Naufrage”, le titre que prend Zamore à sa publication en 1792, est si essentiel à ses yeux qu’elle l’invoque le jour même de sa condamnation comme gage de son combat contre toute tyrannie. Mais nous savons que rien n’y fit. Outre ces deux combats principaux, il existe peu de fronts où Olympe de Gouges n’ait pas exercé ses vues acérées et renversantes de l’ordre très établi, au prix fort du dérangement qu’elle suscitait et pour finir de sa vie. C’est à ce titre qu’elle est devenue une figure passée à la postérité et un cas récurrent possible de panthéonisation. Monique Calinonvoir
Photo bibliotèquenationaleparis ’extrême gauche, décidément, ne ’extrême gauche, décidément, ne l’aimait pas. Ainsi Chaumette, procureur au tribunal révolutionnaire, qui fustigeait «cette virago , la femme-homme, l’impudente Olympe de Gouges qui la première institua des sociétés de femmes, abandonna les soins de son ménage, voulut politiquer et commit des crimes… Tous ces êtres immoraux ont été anéantis sous le fer vengeur des lois. Et vous voudriez les imiter ? Non ! Vous sentirez que vous ne serez vraiment intéressantes et dignes d’estime que lorsque vous serez ce que la nature a voulu que vous fussiez». C’est un fait qu’Olympe de Gouges était une femme volontaire, opiniâtre, polygraphe inépuisable, insolente avec les puissants, acharnée à se rendre célèbre, qui inonda les théâtres, les journaux, les affiches parisiennes et les assemblées révolutionnaires de ses innombrables propositions rédigées dans un style pathétique. Les machos d’aujourd’hui diraient une emmerdeuse patentée. Ceux de l’époque n’étaient pas en reste, notamment ceux de l’extrême gauche robespierriste, même s’ils usaient d’un vocabulaire plus riche. On retrouve ces philippiques «masculinistes» chez
Marat ou Robespierre. Les Montagnards voulaient l’égalité et la vertu. Mais l’égalité était pour les hommes, la vertu pour les femmes, qui devaient rentrer dans leur foyer et s’occuper, comme il sied, de leur ménage et des enfants. Réponse d’Olympe de Gouges : «La femme a le droit de monter sur l’échafaud ; elle doit avoir également celui de monter à la tribune.» Ces deux droits lui furent accordés, le second du bout des lèvres - elle réussit plusieurs fois à parler aux révolutionnaires assemblés -, le premier avec une fureur vengeresse : elle fut guillotinée sur ordre de Robespierre le 3 novembre 1793 pour accointance avec les Girondins et trois jours après eux. Epilogue tragique pour cette femme qui montra un courage insigne à défendre ses idées d’émancipation, celle des esclaves dont elle fut l’avocate impénitente et celle des femmes pour lesquelles elle rédigea ce document précurseur, texte fondateur du féminisme moderne, la “Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne”, qui prônait l’égalité des droits politiques, la fin du mariage, le divorce par consentement mutuel, la reconnaissance des enfants adultérins et bien d’autres choses. Joua-t-elle un rôle, au fond? Comme protagoniste de la Révolution,
non. Elle ne fut ni députée, ni cheffe de section, ni émeutière comme Théroigne de Méricourt, ni tricoteuse sous la guillotine qu’elle abhorrait, encore moins ministre, ni même femme de ministre et égérie comme Manon Roland. Mais comme commentatrice acharnée, faiseuse de systèmes et publiciste infatigable, oui à coup sûr. Elle s’en expliquait volontiers, s’attirant moqueries et quolibets. Son style s’y prêtait, dont voici un échantillon, rapporté par son excellent biographe Olivier Blanc : « Enfin, nous touchons au terrible moment qui va décider du sort de tous les peuples. Le Soleil jacobiniste va se précipiter sur la Lune feuillantine : celle-ci marche d’un pas lent à travers les nuages par des chemins tortueux. Ces deux êtres factices veulent engloutir la Terre ; mais la Terre va se soulever et les précipiter dans les ténèbres…» On a vu phrasé plus sobre. Un autre jour de 1792, elle adresse à l’Assemblée nationale cette lettre qu’on commence à lire en début de séance : «Depuis cinq ans, j’écris sans relâche, j’ai inondé la France de mes projets utiles (rires et murmures) j’en ai fatigué les ennemis de la patrie…» Etc. PALAZZI 21 VENEZIA
Ce à quoi un député, Mathieu Dumas, coupa court : «Je demande qu’on ferme les écluses de cette inondation.» Et l’Assemblée passa à l’ordre du jour. Aveuglement d’époque. Olympe de Gouges, écrivaine sans peur et sans reproches, mérite une place éminente au panthéon des libératrices de la femme. Marie Gouze, nom qu’elle changea en Olympe de Gouges pour écrire, est née à Montauban le 7 mai 1748. Elle est fille de boucher, ce qui n’est guère aristocratique, mais sa mère était d’une famille d’avocats et lui procura une éducation solide, quoique percée de manques béants. On pense - elle le disait elle-même - qu’elle était surtout la fille naturelle du marquis Lefranc de Pompignan, poète local et académicien à la renommée nationale, qui fut le souffre-douleur de Voltaire. Elle en hérita, dit-elle encore, l’amour de l’écriture dans laquelle elle se jeta avec passion. A 17 ans, elle est mariée avec un traiteur parisien de trente ans son aîné, Louis-Yves Aubry, qui a le bon goût de mourir un an plus tard, emporté par une crue du Tarn. Cette bienfaisante rivière la laisse libre, quoique nantie d’un fils en bas âge, Pierre, qu’elle éleva avec soin et amour. Comme les auteures de l’époque ne pouvaient écrire sans l’accord de leur époux, elle décide de ne point se marier. Pour courir la gloire, elle monte à Paris, telle un Rubempré en jupons. Elle se lie avec un fournisseur de la marine, Jacques Biétrix de Rozières, assez libéral pour accepter le rôle d’amant de cœur et qui restera son ami jusqu’à la Révolution. Elle signe avec lui une sorte de pacs avant la lettre, qui la dote d’un capital et d’une rente lui permettant de se dégager des soucis matériels. Elle en profite pour écrire, surtout des pièces de théâtre qu’elle fait jouer dans les salons ou par la petite troupe qu’elle finance. C’est une belle femme au visage rond, au nez droit, la peau pâle et le port altier. En 1774, l’Almanach de Paris - une sorte de Paris Match de l’époque - la classe au cinquième rang des Parisiennes les plus en vue, telle une it-girl prérévolutionnaire. Elle mène une existence libre et volage, qui fera dire à ses ennemis qu’elle était courtisane, pure calomnie, même si elle ne dédaignait pas les hommages masculins. Elle loue des appartements cossus autour du Théâtre-Français (suit page 22)
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(suit de la page 21) (aujourd’hui Théâtre de l’Europe à Odéon, dans le VIe arrondissement), au pied du graal qu’elle guigne comme auteure dramatique. Seulement voilà : lectrice de Rousseau, d’Helvétius et de tous les philosophes, elle est déjà pleine de ses idées d’égalité et de bonheur social. Elle propose ainsi, en 1785, sa première grande pièce aux comédiens français, un drame mouillé de larmes et de bons sentiments sur l’esclavage, Zamore et Mirza, un peu dans le style qui fera la célébrité mondiale de la Case de l’oncle Tom, et tout aussi apitoyé sur la terrible condition des Noirs. Protégés par la cour, dépendant des subsides que leur procurent, entre autres, les maîtres du commerce triangulaire, regroupés dans un lobby colonial qui se réunit place des Victoires, les comédiens trouvent toutes sortes de prétextes pour ne pas monter la pièce. Elle s’emporte contre eux, rédige à jet continu suppliques et libelles pour dénoncer leur mauvaise volonté. Rien n’y fait. Elle devra attendre 1789 et l’avènement des temps nouveaux pour que son texte soit joué. Las ! Interrompue par les sifflets et les insultes d’une cabale stipendiée par les obligés de la cour et les agents des esclavagistes - et quoique l’auteure soit inscrite depuis des années à la Société des amis des Noirs de Brissot et Condorcet - la pièce tombe au bout de trois jours. Nullement découragée, forte du soutien de Mirabeau qu’elle vénère, vedette des salons, journaliste respectée qui publie dans plusieurs feuilles libérales, elle s’accroche à sa carrière de femme de lettres et de publiciste de la Révolution en cours. S’ensuit une profusion de pamphlets qu’elle fait éditer par des imprimeurs, d’affiches qu’elle fait placarder dans tout Paris, d’adresses aux assemblées, de lettres aux gouvernants truffées de conseils et d’admonestations. Elle acquiert sinon un rôle actif, du moins la place de prophétesse de la liberté et de Cassandre de la Révolution, dont elle défend les principes avec ardeur, mais dont elle réprouve toutes les violences. On lui doit mille projets de réformes : un nouveau système fiscal, un nouvel ordre juridique, des vues sur l’éducation ou l’agriculture, des suppliques pour tailler une place aux femmes dans les fêtes révolutionnaires. Ecrivant à une vitesse vertigineuse, elle commente les lois votées en séance, les discours qu’elle entend dans les clubs ou les assemblées, les événements qui se
précipitent dans le cours torrentiel de la Révolution, plaidant avec feu pour des positions modérées et légalistes dans un style farci de périodes vengeresses et d’invectives violentes. Elle défend d’abord la monarchie constitutionnelle à l’instar de Mirabeau, mais devient républicaine quand la trahison du roi et de la reine est attestée par les papiers trouvés dans «l’armoire de fer» après le 10 août et la chute de la monarchie. Ecartant toute idée de violence et de condamnation capitale, elle se propose - en vain - pour prendre la défense de Louis XVI, en qui elle distingue, dans un généreux humanisme, le souverain duplice et l’homme de bonne volonté. Elle est la première à protester hautement contre les massacres de septembre, à un moment où de telles critiques pouvaient lui valoir d’être écharpée sur la place publique. Ces positions très girondines (elle défend avec Vergniaud ou Manon Roland le règne de la loi et l’instauration d’un ordre égalitaire mais pacifique) lui valent la haine des Montagnards, Marat et Robespierre en tête, qui n’ont de cesse que de la renvoyer à ses fourneaux. Il est vrai qu’elle ne les ménage guère : «Marat ! Fameux agitateur, destructeur des lois, ennemi
mortel de l’ordre, de l’humanité, de sa patrie, atteint et convaincu de vouloir introduire en France une dictature. […] C’est le moment de déployer toute son énergie et son équité en vomissant un avorton de l’humanité, qui n’a ni le physique ni le moral de l’homme et le déshonore par ses excès.» Robespierre n’est guère mieux loti : «Tu te dis l’unique auteur de la Révolution, tu n’en fus, tu n’en es, tu n’en seras éternellement que l’opprobre et l’exécration. […] Ton souffle méphitise l’air pur que nous respirons ; ta paupière vacillante exprime malgré toi toute la turpitude de ton âme et chacun de tes cheveux porte un crime.» Ouf ! Tout cela à un moment où le dixième de cette rhétorique vous conduisait directement à l’échafaud. Olympe n’en a cure et continue inlassablement à dénoncer les excès de la Terreur. Jusqu’au moment où les Montagnards décident de leur vengeance. Comme elle veut proposer un vote national sur le régime souhaité par les Français, son affichiste la dénonce. Elle est arrêtée, emmenée en prison, traduite devant le Tribunal révolutionnaire. Quoique malade, elle se défend pied à pied face à une cour aux
ordres. Elle se déclare enceinte. Fouquier-Tinville rétorque que rien ne le prouve (alors qu’un médecin abonde dans son sens) : elle est condamnée à mort. Enfermée à la Conciergerie, l’antichambre de la guillotine, elle écrit à son fils : «Je meurs victime de mon idolâtrie pour la patrie et pour le peuple. […] Vingt fois j’ai fait pâlir mes bourreaux et, ne sachant que répondre à chacune des phrases qui caractérisaient mon innocence, ils ont prononcé ma mort. […] Je meurs, mon fils, mon cher fils ; je meurs innocente.» Le 3 novembre 1793, droite et pâle, elle monte sur l’échafaud de la place de la Révolution, aujourd’hui place de la Concorde, sous les regards d’une foule hostile et silencieuse. «On venait voir, dit le général Roussillon, comment la fameuse Olympe allait faire le saut de carpe les mains derrière le dos.» Avant d’être plaquée sur la planche par le bourreau, elle dit seulement : «Enfants de la patrie, vous vengerez ma mort.» Neuf mois plus tard, Robespierre, à son tour, faisait, au même endroit, le même «saut de carpe» Laurent Joffrin https://www.liberation.fr/culture/livres/olympe-de-gouges-le-courage-tous-azimuts
Photo bibliotèquenationaleparis arie Gouze, veuve Aubry, dite Olympe de Gouges Écouter, née le 7 mai 1748 à Montauban et morte guillotinée le 3 novembre 1793 à Paris, est une femme de lettres française, devenue femme politique. Elle est considérée comme une des pionnières du féminisme français. Auteure de la Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne, elle a laissé de nombreux écrits en faveur des droits civils et politiques des femmes et de l’abolition de l’esclavage des Noirs. Elle est souvent prise pour emblème par les mouvements pour la libération des femmes. Née le 7 mai 1748 à Montauban et baptisée le lendemain en l’église Saint-Jacques de Montauban, Marie Gouze a été déclarée fille de Pierre Gouze, bourgeois de Montauban maître boucher (il n’a pas signé au baptême car absent) et d’Anne Olympe Mouisset, fille d’un avocat issu d’une famille de marchands drapiers, mariés en 1737. Son parrain, âgé de trente-neuf ans, est le marquis Jean-Jacques Lefranc de Pompignan, lequel, trente-quatre ans auparavant le 11 février 1714,
à l’âge de cinq ans, avait été le parrain d’Anne Olympe Mouisset, la propre mère de Marie. Jacques Mouisset, le père d’Anne Olympe, avait été le précepteur du marquis et Anne Marty, son épouse, fut la nourrice de son frère Jean-Georges, né un an plus tard, le 22 février 1715, futur évêque du Puy-enVelay, archevêque de Vienne et député du clergé aux États généraux de 1789. Anne-Olympe et Jean-Jacques, de cinq ans son ainé, grandirent ensemble et nouèrent des liens affectifs forts, au point que leurs parents furent contraints de mettre de la distance entre eux : ils ne pouvaient y avoir d’alliance entre une famille bourgeoise et une famille de l’aristocratie. Envoyé à Paris, Lefranc de Pompignan revint toutefois à Montauban en 1747 assumer la fonction de président de la Cour des Aides : il fut peut-être alors l’amant d’Anne-Olympe, qui donna naissance à Marie l’année suivante. Selon le député Jean-Baptiste Poncet-Delpech et d’autres, «tout Montauban » savait que Lefranc de Pompignan était le père adultérin de la future Marie-Olympe de Gouges. Le 24 octobre 1765, à l’âge de
dix-sept ans et demi, en l’église Saint-Jean-Baptiste de Villenouvelle (Montauban), Marie Gouze fut mariée à un traiteur parisien de trente ans son aîné, Louis-Yves Aubry, officier de bouche de l’Intendant de la généralité de Montauban et probablement un important client de la boucherie des Gouze. Quelques mois plus tard, la jeune femme donna naissance à un fils, Pierre. Homme grossier et inculte, son mari mourut en 1766, emporté par une crue du Tarn. La loi française interdisant à une femme autrice de publier un ouvrage sans le consentement de son époux, elle ne se remaria jamais, conservant ainsi sa liberté de publication. Elle qualifiait le mariage religieux de « tombeau de la confiance et de l’amour ». Madame Aubry portait couramment les prénoms de «Marie-Olympe » (signant plusieurs textes ainsi) ou plus simplement d’« Olympe », ajoutant une particule à son patronyme officiel « Gouze » que l’on trouve parfois écrit « Gouges », graphie adoptée par certains membres de sa famille dont sa sœur aînée Mme Reynard, née « Jeanne Gouges», épouse d’un médecin. PALAZZI 23 VENEZIA
voir gallica.bnf.fr/ark:/12148/ bpt6k317906t
Rien ne la rattachant à Montauban, sinon sa mère qu’elle aida financièrement par la suite, elle rejoignit sa sœur aînée à Paris. Au début des années 1770, elle vécut à Paris avec son fils à qui elle fit donner une éducation soignée. Pendant ce séjour à la Cour, elle changea de nom : ce ne fut plus Marie Gouze, mais Olympe de Gouges. Elle avait rencontré un haut fonctionnaire de la marine. Jacques Biétrix de Rozières, alors directeur d’une puissante compagnie de transports militaires en contrat avec l’État. Lorsqu’il lui proposa de l’épouser, elle refusa mais leur liaison dura jusqu’à la Révolution. Grâce au soutien financier de son compagnon, elle put mener un train de vie bourgeois, figurant dès 1774 dans l’Almanach de Paris ou annuaire des personnes de condition. Elle demeura rue des Fossoyeurs, aujourd’hui rue Servandoni, au no 18-22. Issue par sa mère de la bourgeoisie aisée de Montauban, Olympe de Gouges avait reçu une éducation qui lui permit de s’adapter aux usages de l’élite parisienne. Dans les salons qu’elle fréquentait, elle fit la rencontre de plusieurs hommes de lettres et elle s’essaya également à l’écriture. Sa filiation supposée avec Jean-Jacques Lefranc de Pompignan, dramaturge dont la pièce “Didon” avait été un grand succès, est également une motivation probable à son entrée dans la carrière littéraire. Elle revendiquait l’héritage de son talent dramatique. Menant une vie luxueuse et galante de manière assez ostentatoire, elle acquit une réputation de courtisane entretenue par les hommes dans un contexte où la femme libre était assimilée à une prostituée. Support privilégié des idées nouvelles, le théâtre demeurait à cette époque sous le contrôle étroit du pouvoir. Olympe de Gouges monta sa propre troupe, avec décors et costumes. C’était un théâtre itinérant qui se produisait à Paris et sa région. Le marquis de la Maisonfort raconte dans ses Mémoires comment, en 1787, il racheta le « petit théâtre » d’Olympe de Gouges, conservant d’ailleurs une partie de la troupe dont faisait partie le jeune Pierre Aubry, son fils. (suit page 24)
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(suit de la page 23) Indépendamment de son théâtre politique qui fut joué à Paris et en province pendant la Révolution, la pièce qui rendit célèbre Olympe de Gouges est “L’esclavage des noirs”, ou “L’heureux naufrage”, publié sous ce titre en 1792 mais inscrite au répertoire de la Comédie-Française le 30 juin 1785 sous le titre de “Zamore et Mirza”, ou “L’heureux naufrage”. Cette pièce audacieuse dans le contexte de l’Ancien Régime, avait été acceptée avec une certaine réticence par les comédiens du Théâtre français qui étaient dépendants financièrement des protections que leur accordaient les gentilshommes de la chambre du roi. L’utopie humaniste d’Olympe de Gouges qui imprègne ce texte lui aura valu de multiples menaces de mort, notamment de la part des propriétaires d’esclaves. La pièce d’Olympe de Gouges, dont le but avoué était d’attirer l’attention publique sur le sort des Noirs esclaves des colonies, mêlait modération et subversion dans le contexte de la monarchie absolue. Le « Code noir » édicté sous Louis XIV était alors en vigueur et de nombreuses familles présentes à la cour tiraient une grande partie de leurs revenus des denrées coloniales, qui représentaient la moitié du commerce extérieur français à la veille de la Révolution. En septembre 1785, Olympe de Gouges qui s’était plainte de passe-droits et craignait de voir sa pièce reléguée aux oubliettes, se plaignit des comédiens. L’un d’eux, Florence, se sentit insulté et s’en plaignit à son entourage. Le baron de Breteuil et le maréchal de Duras, gentilshommes de la Chambre et ministres, se saisirent de l’occasion pour s’accorder à envoyer Olympe de Gouges à la Bastille et retirer la pièce anti-esclavagiste du répertoire du Français. Grâce à diverses protections, notamment celle du chevalier Michel de Cubières dont le marquis son frère était un favori de Louis XVI, la lettre de cachet fut révoquée. Avec la Révolution française, la Comédie-Française devint plus autonome grâce notamment à Talma et Thérèse Vestris, et la pièce sur l’esclavage, inscrite quatre ans plus tôt au répertoire, fut enfin représentée. Malgré les changements politiques, l’idéologie coloniale restait très présente, et Olympe de Gouges, soutenue par ses
amis de la Société des amis des Noirs, continua à faire face au harcèlement, aux pressions et même aux menaces. En mars 1792 grâce à l’élection à la mairie de Paris, en novembre 1791 d’un Jacobin, membre actif de la Société des Amis des Noirs, Jérôme Pétion, elle réussit à faire éditer le texte de la pièce. En avril 1790 dans ses adieux aux Français elle annonça qu’elle venait d’écrire une seconde pièce abolitionniste, intitulée “le Marché des Noirs”. Mais elle la proposa sans succès en décembre de la même année. Le 22 juillet 1793, surlendemain de son arrestation, puis le jour même de sa condamnation à mort le 2 novembre, elle invoqua sa pièce “De l’esclavage des Nègres”, pour preuve de son patriotisme et de son combat de toujours contre la tyrannie. En plus de ces deux pièces de théâtre antiesclavagistes, Olympe de Gouges publia en février 1788 des Réflexions sur les hommes nègres, « L’espèce d’hommes nègres, écrivait-elle avant la Révolution, m’a toujours intéressée à son déplorable sort. Ceux que je pus interroger ne satisfirent jamais ma curiosité et mon rai-
sonnement. Ils traitaient ces gens-là de brutes, d’êtres que le Ciel avait maudits ; mais en avançant en âge, je vis clairement que c’était la force et le préjugé qui les avaient condamnés à cet horrible esclavage, que la Nature n’y avait aucune part et que l’injuste et puissant intérêt des Blancs avait tout fait. » Ce texte la mit en contact avec la Société des Amis des Noirs dont elle ne put cependant être membre en raison de ses cotisations élevées et de son règlement intérieur exclusif. En janvier 1790, soit près de deux ans après la naissance de cette société, elle nia — en réponse aux imputations d’un colon — avoir jamais voulu en faire partie : « Ce n’est pas la cause des philosophes, des Amis des Noirs que j’entreprends de défendre mais la mienne propre, et vous voudrez bien me permettre de me servir des seules armes qui sont en mon pouvoir... Je puis donc vous attester, Monsieur, que les Amis des Noirs n’existaient pas quand j’ai conçu ce sujet, et vous deviez plutôt présumer, si la prévention ne voue eût pas aveuglé, que c’est peut-être d’après mon drame que cette société s’est formée, ou que j’ai eu l’heu-
reux mérite de me rencontrer noblement avec elle ». Dans la brochure elle nia connaître, « M. de La Fayette », «ce héros magnanime », autrement que de « réputation ». En février 1788, Lafayette fut pourtant un des membres fondateurs de cette société, et elle n’aurait évidemment pas manqué de le croiser. Si au début de l’année 1790 elle n’était pas membre de la Société des Amis des Noirs il se peut qu’elle y soit entrée au deuxième semestre 1790 : Brissot affirma, en 1793, dans ses mémoires, sans en dater le fait, qu’elle y fut admise. Dans les archives de la Société, pour la tranche chronologique 19 février 1788-11 juin 1790, son nom est seulement mentionné deux fois, en janvier et avril 1790 ; et ce comme une abolitionniste extérieure à la Société. Cette adhésion relativement tardive coïnciderait avec l’écriture de sa seconde pièce de théâtre antiesclavagiste (le Marché des Noirs). Comme antiesclavagiste elle est citée en 1808 par un ancien adhérent actif, l’abbé Grégoire, dans la « Liste des Hommes courageux qui ont plaidé la cause des malheureux Noirs » en préambule de “De La lit
térature des Nègres”. Les 69 personnes qui y figuraient n’avaient pas toutes appartenu à cette Association. De décembre 1789 à mars 1790 elle écrit deux lettres et un mémoire à propos du montage de sa pièce, “Zamor et Mirza” : “lettre de Mme de Gouges, auteur de l’esclavage des nègres au public” (Chronique de Paris, 19 décembre 1789) ; « lettre aux littérateurs français » (Le Courrier de Paris, le Fouet national 2 mars 1790), Mémoire pour Mme de Gouges contre les Comédiens-Français(mars 1790). Le 24 avril 1790 en proie provisoirement au découragement sur la révolution en général et la question de l’esclavage en particulier, elle annonça une mise en congé et écrivit : « Par ailleurs qu’ai-je dit aux colons ? Je les ai exhortés à traiter leurs esclaves avec plus de douceur et de générosité. Mais ils ne veulent pas perdre la plus légère partie de leurs revenus. Voilà le sujet de leurs craintes, de leur rage, de leur barbarie. » On ne contestera pas la modération de ce texte. Mais il faut le remettre dans le contexte de son quasi-isolement et de l’échec du montage de Zamor et Mirza dont elle
dut tenter, sans résultat, d’en adoucir le ton face au maire de Paris, Bailly, très lié au club Massiac. Pour la première fois à la mi-septembre 1791 dans le postambule de sa fameuse déclaration des droits de la femme et de la citoyenne en même temps qu’elle plaidait le remplacement du mariage patriarcal et marital, par un « Contrat social de l’homme et de la femme », acceptant le principe du divorce, elle donna un avis sur l’infériorisation des mulâtres, propriétaires d’esclaves, par les Blancs : « Il était bien nécessaire que je dise quelques mots sur les troubles que cause, dit-on, le décret en faveur des hommes de couleur, dans nos iles... Les Colons prétendent régner en despotes sur des hommes dont ils sont les pères et les frères ; et méconnoissant les droits de la nature, ils en poursuivent la source jusque dans la plus petite teinte de leur sang. Ces colons inhumains disent : notre sang circule dans leurs veines, mais nous le répandrons tout (sic), s’il le faut, pour assouvir notre cupidité, ou notre aveugle ambition. » Elle défendait chaleureusement les droits des mulâtres, enfants naturels issus d’une re-
lation sexuelle illégitime entre une esclave et un blanc. Elle invoquait implicitement par solidarité avec eux sa propre naissance illégitime, et explicitement sa foi dans le droit naturel. A ce titre elle approuvait avec ses imperfections le décret amendé du 15 mai 1791, voté par tout le côté gauche antiségrégationniste (Robespierre excepté) de l’assemblée constituante ; soit un accord mitoyen qu’elle estimait « dicté par la prudence et par la justice». Elle stigmatisait également sans les nommer, Barnave, les Lameth, leurs complices à l’assemblée nationale qui tentaient de faire abroger le décret du 15 mai comme ils y réussiront finalement le 24 septembre 1791 : « Il n’est pas difficile de deviner les instigateurs de ces fermentations incendiaires : il y a dans le sein même de l’Assemblée nationale : ils allument en Europe le feu qui doit embraser l’Amérique ». En 1788, le Journal général de France publia deux brochures politiques d’Olympe de Gouges, dont son projet d’impôt patriotique développé dans sa célèbre Lettre au Peuple. Dans sa seconde brochure, les Remarques patriotiques, par l’auteur de la Lettre au Peuple, PALAZZI 25 VENEZIA
elle développait un vaste programme de réformes sociales et sociétales. Ces écrits furent suivis de nouvelles brochures qu’elle adressait épisodiquement aux représentants des trois premières législatures de la Révolution, aux Clubs patriotiques et à diverses personnalités dont Mirabeau, La Fayette et Necker qu’elle admirait particulièrement. Ses propositions étaient proches de celles des hôtes d’Anne-Catherine Helvétius, qui tenait un salon littéraire à Auteuil, et où l’on défendait le principe d’une monarchie constitutionnelle. En 1790, elle s’installa elle-même à Auteuil, dans la rue du Buis, et y demeura jusqu’en 1793. Commentant la limitation du droit de vote et d’éligibilité aux citoyens riches et propriétaires imposée par les Feuillants en septembre 1791, elle écrivit « Fuyez cette horde confuse, ce mélange effroyable de feuillants, d’aristocrates, d’émissaires de Coblentz, des brigands de tout genre, de tout état, de toute espèce & qui ne fondent leur fortune que sur celle de citoyens propriétaires ». A ses débuts dans le conflit Girondins/Montagnards elle s’engagea pour les seconds contre les premiers : comme Robespierre et Marat elle s’oppose à la guerre d’attaque plaidée par Brissot, Vergniaud (pourtant son ami)-, Guadet et Condorcet. Ainsi écrit-elle quelques jours avant la déclaration de guerre du 20 avril 1792 : ... il faut convaincre, et rendre à chacun la liberté de délibérer sur le sort de son pays […] voilà ma motion, et je m’oppose, comme M. Robespierre, au projet de la guerre... En mars 1792 elle critiqua ironiquement Brissot : « Je ne suis pas tout - à - fait l’ennemie des principes de M. Brissot, mais je les crois impraticables […] Il est aisé même au plus ignorant, de faire des révolutions sur quelques cartons de papier ; hélas l’expérience de tous les peuples & celles que font les Français, m’apprennent que les plus savants & les plus sages n’établissent pas leurs doctrines sans produire des maux de toutes espèces. » Cependant, en octobre 1792 de par ses relations avec le marquis de Condorcet et son épouse née Sophie de Grouchy, elle rejoignit, pour quelques mois, les Girondins. (suit page 26)
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(suit de la page 6) Elle fréquentait les Talma, le marquis de Villette et son épouse, également Louis-Sébastien Mercier et Michel de Cubières, secrétaire général de la Commune après le 10 août, qui vivait avec la comtesse de Beauharnais, autrice dramatique et femme d’esprit qui tenait un salon rue de Tournon. Avec eux, elle devint républicaine comme beaucoup de membres de la société d’Auteuil qui pratiquement tous s’opposèrent à la mort de Louis XVI. Sous le choc de la découverte de l’armoire de fer, fin novembre 1792 elle écrivit une pièce de théâtre républicaine, la France sauvée ou le tyran détrônée, qui se déroulait la veille du 10 août 1792 : « Madame Elisabeth : (…) Je ne peux être unie qu’à un roi, simple citoyen. Vous pouvez prétendre à mon cœur dans le silence mais vous ne serez jamais mon époux. « Barnave : Songez madame qu’un représentant du peuple, un Barnave, vaut les Rois que vous citez. Je ne diffère d’avec eux que par cet esprit de politique, de trahison (…) Que me manquerait-il encore pour vous mériter ? « Madame Elisabeth : Le sang royal ! « Barnave : Songez que j’ai racheté ce sang, par celui que j’ai fait couler, l’Amérique fume encore de ce sang que vous me reprochez. Cruelle, quand j’ai conservé peut-être seul le trône à votre frère, vous me reprochez ma naissance. Avez-vous pu oublier qu’il n’a dépendu peut-être que de moi, d’abolir la royauté en France ? (...) « (…) Et la révision de la Constitution, n’est-elle pas mon ouvrage ? Et les agitations perpétuelles de la France et de l’Amérique ne me donnent-elles pas le droit de vous obtenir? » Cet extrait constituait à nouveau une condamnation de la constitution de septembre 1791 et de son fondateur Barnave : celui-ci avait trahi les principes en imposant le suffrage censitaire, le marc d’argent et la révocation le 24 septembre des droits des mulâtres; ce par amour pour la sœur de Louis XVI, Madame Elisabeth. Celle-ci ne l’en écondusait pas moins du fait de ses origines roturières. Le 16 décembre 1792, Olympe de Gouges se proposa d’assister Malesherbes dans la défense du roi devant la Con-
vention, mais sa demande fut rejetée avec mépris. Le 18 janvier 1793 elle renonça à toute sa philosophie abolitionniste : en cas de victoire du sursis à l’exécution de Louis XVI auquel elle appelait de ses voeux, tous les membres de la famille royale devaient face à l’ennemi aux frontières, servir d’otages, y compris les deux enfants innocents. « Le fils de Louis est innocent, mais il peut prétendre à la couronne, et je veux lui ôter toute prétention. Je voudrais donc que Louis, que sa femme, ses enfants et toute sa famille fussent enchaînés dans une voiture et conduits au milieu de nos armées, entre le feu de l’ennemi et notre artillerie. Si les brigands couronnés persistent dans leurs crimes, et refusent de reconnaître l’indépendance de la république française, je briguerai l’honneur d’allumer la mèche du canon qui nous délivrera de cette famille homicide et tyrannique. ». Lors de la rupture Robespierre - Pétion en novembre 1792 à la Convention, elle prit parti pour Pétion. Chez les Montagnards en fait ce fut à l’automne 1792 surtout Maximilien Robespierre, Marat et Bourdon de l’Oise qu’el-
le attaqua. En mars 1793 elle prit ses distances avec les Girondins et appela, au nom de la République, tous les courants politiques de la Convention Nationale à s’unir : « Montagne, Plaine, Rolandistes, Brissotins, Buzotins, Girondistes, Robespierrots, Maratistes, disparaissez épithètes infâmes ! Disparaissez à jamais et que les noms de législateurs vous remplacent pour le bonheur du peuple, pour la tranquillité sociale et pour le triomphe de la patrie. » Elle considérait que les femmes étaient capables d’assumer des tâches traditionnellement confiées aux hommes et, dans pratiquement tous ses écrits, elle demandait qu’elles fussent associées aux débats politiques et aux débats de société. S’étant adressée à Marie-Antoinette pour protéger « son sexe » qu’elle dit malheureux, elle rédigea une “Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne”, calquée sur la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, dans laquelle elle affirmait l’égalité des droits civils et politiques des deux sexes, insistant pour qu’on rendît à la femme des droits naturels que la force du préjugé lui avait re-
tirés. Ainsi, elle écrivait : « La femme a le droit de monter sur l’échafaud ; elle doit avoir également celui de monter à la Tribune. » La première, elle obtint que les femmes fussent admises dans une cérémonie à caractère national, « la fête de la loi » du 3 juin 1792, puis à la commémoration de la prise de la Bastille le 14 juillet 1792. Son combat pour les femmes se poursuivit dans ses productions théâtrales, notamment dans Le Couvent ou les vœux forcés (1790). Alors qu’à l’Assemblée constituante les députés débattent de l’utilité des couvents et de la liberté des femmes, elle les écoute attentivement, n’hésitant pas à prendre des notes afin d’emprunter leurs idées et de les transmettre à ses personnages. L’un d’entre eux, l’abbé Gouttes, deviendra d’ailleurs le héros de sa pièce à travers le personnage du curé. Parmi les premiers, elle demanda l’instauration du divorce en février 1790, dans une pièce de théâtre, “Nécessité du divorce”, puis en février 1792 dans un essai, “Le Bon sens du Français”. Ce principe fut finalement
adopté par l’assemblée législative le 20 septembre 1792. Elle demanda également la suppression du mariage religieux, et son remplacement par une sorte de contrat civil signé entre concubins et qui prendrait en compte les enfants issus de liaisons nées d’une « inclination particulière ». En 1790 elle inséra dans une motion au duc d’Orléans un plaidoyer pour le droit au divorce et un statut équitable pour les enfants naturels en fait surtout consacré au second point. C’était, à l’époque, véritablement révolutionnaire, de même son engagement en faveur de la libre recherche de la paternité et la reconnaissance d’enfants nés hors mariage. Elle fut aussi une des premières à théoriser, dans ses grandes lignes, le système de protection maternelle et infantile que nous connaissons aujourd’hui et, s’indignant de voir les femmes accoucher dans des hôpitaux ordinaires, elle demandait la création de maternités. Sensible à la pauvreté endémique, elle recommandait enfin la création d’ateliers nationaux pour les chômeurs et de foyers pour mendiants. Toutes ces mesures préconisées « à l’entrée du grand hiver
» 1788-1789 étaient considérées par Olympe de Gouges comme essentielles, ainsi qu’elle le développe dans Une patriote persécutée, son dernier écrit avant sa mort. En 1793, elle s’en prend vivement à ceux qu’elle tient pour responsables des massacres des 2 et 3 septembre 1792 : « Le sang, même des coupables, versé avec cruauté et profusion, souille éternellement les Révolutions ». Elle désigne particulièrement Marat, qu’elle traite d’« avorton de l’humanité », l’un des signataires de la circulaire du 3 septembre 1792 proposant d’étendre les massacres de prisonniers dans toute la France. Soupçonnant Robespierre, selon elle « l’opprobre et l’exécration de la Révolution», d’aspirer à la dictature, elle l’interpelle dans plusieurs écrits, ce qui lui vaut une dénonciation de Bourdon de l’Oise au club des jacobins. Dans ses écrits du printemps 1793, elle dénonce la montée en puissance de la dictature montagnarde, partageant l’analyse de Vergniaud sur les dangers de dictature qui se profile, avec la mise en place d’un Comité de salut public, le 6 avril 1793, qui s’arroge le pouvoir d’envoyer les députés
en prison. Après la mise en accusation du parti girondin tout entier à la Convention, le 2 juin 1793, elle adresse au président de la Convention une lettre où elle s’indigne de cette mesure attentatoire aux principes démocratiques (9 juin 1793), mais ce courrier est censuré en cours de lecture. Ici aussi elle garde ses distances avec la Gironde en dédicaçant, au nom de l’unité de la Convention, voire de ses convictions idéologiques, son affiche à Danton, qu’elle a ménagé – au contraire des Brissotins – à l’automne 1792 :« C’est toi Danton que je choisis pour le défenseur des principes que j’ai développés à la hâte et avec abondance de cœur dans cet écrit. Quoique nous différions dans la manière de manifester notre opinion, je ne te rends pas moins la justice qui t’est due, et je suis persuadée que tu me la rends aussi ; j’en appelle à ton profond discernement, à ton grand caractère ; juge-moi. Je ne placarderai pas mon testament ; je n’incendierai pas le peuple de Paris ni les départements ; je l’adresse directement, et avec fermeté, aux jacobins, au département, à la commune, aux sections de PALAZZI 27 VENEZIA
Paris, où se trouve la majorité saine des bons citoyens, qui, quels que soient les efforts des méchants, sauvera la chose publique. » Elle s’accorde bien avec « le défenseur de principes » sur trois mesures qu’il a demandées, parfois avec succès, depuis le mois de mars 1793. Ainsi en est-il du vote demandé par Danton de la libération des prisonniers pour dettes le 9 mars 1793, qui constituait sept ans plus tôt le thème de deux pièces de théâtre d’Olympe de Gouges, “Le mariage inattendu de Chérubin” et “L’homme généreux”. Suit au printemps 1793 sa requête, le 5 avril, pour l’obtention d’un abaissement du prix du pain pour les pauvres à corriger par une taxe sur les riches, puis, les 27 avril et 8 mai, celle pour un impôt sur les riches. Or, quatre ans plus tôt, dans les remarques patriotiques de décembre 1788, Olympe de Gouges préconisait une panoplie d’impôts sur les signes extérieurs de richesse et un impôt volontaire à proportion du salaire. Deux mois après la chute de la Gironde, c’est sous la présidence de Danton (25 juillet - 8 août 1793) que, le 27 juillet, la Convention montagnarde (sur demande de l’abbé Grégoire) supprime le versement de primes aux négriers. La lettre du 1er août 1793, adressée par Olympe de Gouges du fond de sa prison à ce Président de la Convention, avait peut-être trait à l’esclavage et à la traite. Les 15 et 16 Pluviôse an II-3 et 4 février 1794 « le défenseur des principes », en clamant fermement la nécessité d’émanciper sans délai tous les Noirs des colonies, rend implicitement hommage au combat abolitionniste d’Olympe de Gouges et à son appel unitaire du 9 juin 1793. Par ailleurs elle admet implicitement le bien-fondé de la création, le 10 mars 1793, du tribunal révolutionnaire. Danton, son fondateur, souligne, de par son exclamation célèbre, « soyons terribles pour dispenser le peuple de l’être », que cette nouvelle institution préviendrait de nouveaux « massacres de septembre » ; des massacres qu’elle a abhorrés. Sophie Mousset relève qu’Olympe de Gouges, toute occupée en juin 1793 à défendre la démocratie politique, ne s’aperçoit pas de la création par les Montagnards du vote le 28 juin 1793 (suit page 28)
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(suit de la page 27) d’ “une loi de soutien aux mères célibataires, et accès plein et entier à la citoyenneté des enfants abandonnés” qu’elle a toujours appelée de ses vœux. D’après Annette Rosa, après la chute de la Gironde les Montagnards cherchent à oublier Olympe de Gouges. Mais le 20 juillet 1793 elle se met en contravention avec la loi de mars 1793 relative à l’interdiction des écrits remettant en cause le principe républicain. Ainsi sous le titre de “Les Trois urnes ou le Salut de la patrie”, par un voyageur aérien compose-t-elle une affiche qui demande une élection à trois choix : république une et indivisible, république fédéraliste, retour à la monarchie constitutionnelle. Pour avoir proposé ce troisième choix, elle est arrêtée par les Montagnards le 20 juillet 1793, jour de l’affichage du texte, et déférée le 6 août 1793 devant le tribunal révolutionnaire qui l’inculpe. Malade des suites d’une blessure infectée reçue à la prison de l’Abbaye et réclamant des soins, elle est envoyée à l’infirmerie de la Petite-Force, rue Pavée dans le Marais, et partage la cellule d’une condamnée à mort en sursis, Mme de Kolly, qui se prétend enceinte. En octobre suivant, elle met ses bijoux en gage au Mont-de-Piété et obtient son transfert dans la maison de santé Mahay, sorte de prison pour riches où le régime était plus libéral et où elle a, semble-t-il, une liaison avec un des prisonniers. Désirant se justifier des accusations pesant contre elle, elle réclame sa mise en jugement dans deux affiches qu’elle réussit à faire sortir clandestinement de prison et à faire imprimer. Ces affiches (« Olympe de Gouges au Tribunal révolutionnaire » et « Une patriote persécutée », son dernier texte) sont largement diffusées et remarquées par les inspecteurs de police en civil qui les signalent dans leurs rapports. Traduite au Tribunal au matin du 2 novembre, soit quarante-huit heures après l’exécution de ses amis Girondins, elle est interrogée sommairement. Privée d’avocat, elle se défend avec adresse et intelligence. Condamnée à la peine de mort pour avoir tenté de rétablir un gouvernement autre que « un et indivisible », elle se déclare enceinte. Les médecins consultés se
montrent dans l’incapacité de se prononcer, mais Fouquier-Tinville décide qu’il n’y a pas de grossesse. Le jugement est exécutoire, et la condamnée profite des quelques instants qui lui restent pour écrire une ultime lettre à son fils, laquelle fut interceptée. Selon un inspecteur de police en civil, le citoyen Prévost, présent à l’exécution, et d’après le Journal de Perlet ainsi que d’autres témoignages, elle monte sur l’échafaud avec courage et dignité, contrairement à ce qu’en diront au xixe siècle l’auteur des mémoires apocryphes de Sanson et quelques historiens dont Jules Michelet. Elle s’écrie devant la guillotine : « Enfants de la Patrie vous vengerez ma mort. » Elle a alors 45 ans. Elle est la deuxième femme (après Marie-Antoinette) à être guillotinée pendant la révolution. Son fils, l’adjudant général Aubry de Gouges, par crainte d’être inquiété, la renie publiquement dans une « profession de foi civique ». Le procureur de la Commune de Paris, Pierre-Gaspard Chaumette évoque : « [cette] virago, la fem-
me-homme, l’impudente Olympe de Gouges qui la première institua des sociétés de femmes, abandonna les soins de son ménage, voulut politiquer et commit des crimes… Tous ces êtres immoraux ont été anéantis sous le fer vengeur des lois. Et vous voudriez les imiter ? Non ! Vous sentirez que vous ne serez vraiment intéressantes et dignes d’estime que lorsque vous serez ce que la nature a voulu que vous fussiez. Nous voulons que les femmes soient respectées, c’est pourquoi nous les forcerons à se respecter elles-mêmes. » Olympe de Gouges a laissé un fils, Pierre Aubry de Gouges, qui, au début de la Révolution vivait en concubinage avec Marie-Hyacinthe Mabille qu’il épousa après la Terreur et dont il eut au moins deux filles et trois fils. Au début du Consulat, il fut confirmé dans le grade de chef de brigade et chargé par Bonaparte d’un commandement en Guyane française. La famille débarqua à Cayenne en juin 1802, au moment où le gouverneur Victor Hugues rétablissait l’esclavage qu’Olympe de Gouges avait vainement combattu. Pierre Aubry de Gouges expi-
ra quelques mois plus tard, le 17 pluviôse an XI à Macouria, sans doute de la malaria. Son épouse se remaria avec le citoyen Audibert, originaire de Marseille, et quelques années plus tard, elle dut fuir la Guyane conquise en 1809 par les Portugais, dans un climat de violence. Elle embarqua pour la France sur un navire, l’Éridan, qui fut capturé et détourné par un corsaire anglais. Pendant ces événements, Mme Aubry mourut à bord, et son corps fut jeté à la mer. Ses fils retournèrent plus tard en France. Une des petites-filles d’Olympe, Anne-Hyacinthe-Geneviève, épousa un capitaine anglais, William Wood, et sa sœur Charlotte épousa un riche Américain, Robert Selden Garnett (1789-1840), membre du Congrès de 1820 à 1827, et propriétaire de plantations en Virginie. Les descendants connus d’Olympe de Gouges, aux États-Unis, en Tasmanie et en Australie conservent des portraits de famille et le procès-verbal d’exécution de leur ancêtre. Aucun article de fond, aucune recherche sérieuse n’a été ainsi consacrée à Olympe de Gou
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C’est après la parution (1981) de la biographie d’Olivier Blanc qui a exhumé les sources manuscrites, entre autres notariales, et lors de la préparation du bicentenaire de la Révolution de 1789, que les textes d’Olympe de Gouges ont été joués et édités. De nombreux articles universitaires et notamment ceux de Gabrielle Verdier (États-Unis) et de Gisela Thiele-Knobloch (Allemagne) ont dégagé l’intérêt de l’œuvre dramatique d’Olympe de Gouges qui aborde des thèmes nouveaux comme l’esclavage (Zamore et Mirza), le divorce (Nécessité du divorce), la prise de voile forcée (Le Couvent) et autres sujets sensibles à son époque. Depuis octobre 1989, à l’initiative de l’historienne Catherine Marand-Fouquet, plusieurs pétitions ont été adressées à la présidence de la République demandant la panthéonisation d’Olympe de Gouges. Jacques Chirac, conseillé par Alain Decaux, n’a pas donné suite. En novembre 1993, elle engage une manifestation devant le Panthéon de Paris pour commémorer le bicentenaire de l’exécution d’Olympe de Gouges. Cette manifestation s’inscrit aussi dans la revendication de la parité. En 1992 dans “Triomphe et mort du droit naturel en Révolution” (1789-1795-1802), Florence Gauthier évoque le personnage en tant qu’auteur d’une déclaration des droits de la femme et de la citoyenne. Cas unique, semble-t-il, dans un doctorat d’histoire, soutenu en 1998 et publié en 2002 sur le mouvement anti-esclavagiste français de cette période, Jean-Daniel Piquet a abordé le cas d’Olympe de Gouges dans son apport et ses limites : son caractère pionnier dans cet engagement, confirmé en septembre 1791 dans un préambule à sa déclaration des droits de la femme et de la citoyenne (même si dans ce dernier texte cela concernait uniquement la question des mulâtres), allait de pair avec une répugnance à admettre en 1792 le droit au recours à la violence de la part des mulâtres et des esclaves de Saint-Domingue pour défendre leurs droits ; droit pourtant admis par un nombre ascendant de patriotes. « C’est à vous, actuellement, esclaves, hommes de couleur, à qui je vais parler ; (suit page 30)
ges par la revue de référence de la Société des études robespierristes (AHRF) dont le premier numéro consacré aux femmes est publié en 2006. Cette absence prolongée de repères historiographiques solides a contribué au dédain dont Olympe de Gouges fut et est encore l’objet. Cependant, la méconnaissance de la psychologie du personnage a contribué à susciter des interrogations sur sa santé mentale. Il a par exemple été soutenu qu’elle ne savait pas véritablement lire ni écrire, alors qu’on dispose de quelques-unes de ses lettres écrites à la prison de l’Abbaye, mais certes avec des fautes de style ou d’orthographe. Elle était abonnée à divers journaux et un portrait la représente un livre à la main. L’hostilité à l’égard de femmes engagées comme le fut Olympe de Gouges a souvent été le fait d’autres femmes, ainsi qu’elle le déplorait déjà en son temps. Elle déclare, dans une de ses pièces de théâtre : « Les femmes n’ont jamais eu de plus grands ennemis qu’elles-mêmes. Rarement on voit les femmes applaudir à une belle action, à l’ouvrage d’u-
ne femme. » Dans le postambule de sa Déclaration des droits de la femme (septembre 1791), elle émet l’idée que l’infériorité contrainte de la femme l’a amenée à user de ruse et de dissimulation : « Les femmes ont fait plus de mal que de bien. La contrainte et la dissimulation ont été leur partage. Ce que la force leur avait ravi, la ruse le leur a rendu ; elles ont eu recours à toutes les ressources de leurs charmes, et le plus irréprochable ne leur résistait pas. Le poison, le fer, tout leur était soumis ; elles commandaient au crime comme à la vertu. Le gouvernement français, surtout, a dépendu, pendant des siècles, de l’administration nocturne des femmes ; le cabinet n’avait point de secret pour leur indiscrétion ; ambassade, commandement, ministère, présidence, pontificat, cardinalat ; enfin tout ce qui caractérise la sottise des hommes, profane et sacré, tout a été soumis à la cupidité et à l’ambition de ce sexe autrefois méprisable et respecté, et depuis la révolution, respectable et méprisé ». Elle exhortait donc les femmes de son temps à réagir
: «Femmes, ne serait-il pas grand temps qu’il se fît aussi parmi nous une révolution? Les femmes seront-elles toujours isolées les unes des autres, et ne feront-elles jamais corps avec la société, que pour médire de leur sexe et faire pitié à l’autre ? ». Marie-Olympe de Gouges sort de l’anecdote de la petite histoire après la fin de la Seconde Guerre mondiale. Étudiée particulièrement aux États-Unis, au Japon et en Allemagne, son indépendance d’esprit et ses écrits en font une des figures de la fin du xviiie siècle. Elle est considérée comme la première féministe française. En France, quelques érudits régionalistes, entre autres, se sont intéressés au personnage (se basant notamment sur la publication en 1912 du tome X du Répertoire général des sources manuscrites de l’histoire de Paris pendant la Révolution française d’Alexandre Tuetey qui recense les actes du procès d’Olympe de Gouges, ses lettres), ce qui n’empêche pas des historiens comme Alain Decaux de continuer dans son Histoire des Françaises en 1972 à manifester une certaine hostilité à son égard. PALAZZI 29 VENEZIA
Photo woytekkonarwelski
(suit de la page 10) j’ai peut-être des droits incontestables pour blâmer votre férocité : cruels, en imitant les tyrans, vous les justifiez (...) Quelle cruauté, quelle inhumanité ! La plupart de vos maîtres étaient humains et bienfaisants et dans votre aveugle rage vous ne distinguez pas les victimes innocentes de vos persécuteurs. Les hommes n’étaient pas nés pour les fers et vous prouvez qu’ils sont nécessair Je ne me rétracte point j’abhorre vos tyrans, vos cruautés me font horreur ». Ce texte lui valut par lettre le persiflage en avril 1792 de l’adjoint du maire Pétion, Manuel : « ... Mme de Gouges a voulu aussi concourir à la rédemption des Noirs ; elle pourra trouver des esclaves qui ne veulent pas de leur liberté ». En fait, elle s’exprime aussi peut-être par haine absolue de la violence : contrairement à ce que tout le monde croyait elle n’a pas toujours soutenu les Girondins contre les Montagnards. En avril 1792, elle donne ainsi ostensiblement raison à Robespierre dans son combat contre le bellicisme européen des Brissotins. Jean-Daniel Piquet a également signalé que son nom figure en 1808 dans une liste introductive à l’œuvre anti-esclavagiste de l’abbé Grégoire De la littérature des Nègres. Cette liste constituait une dédicace à tous ceux qui avaient mené le combat pour la cause des Noirs et des sang-mêlés. Par ailleurs, ajoute-t-il, en 1853, dans son roman “Ingénue”, Alexandre Dumas la décrit aussi sous cet aspect. Un chapitre entier, “Le Club Social”, traite de la dénonciation de l’esclavage et fournit un panorama étendu du mouvement abolitionniste à la veille de la Révolution française (1788). Olympe de Gouges, auteur de Zamor et Mirza, y a droit à un paragraphe. https://fr.wikipedia.org/wiki/ Olympe_de_Gouges
https://www.liberation.fr/ livres/2019/07/26/olympede-gouges-l-insoumise-amort_1742297/ et aussi les autre femmes h t t p s : / / w w w. l i b e r a t i o n . fr/livres/2019/07/19/emilie-du-chatelet-la-science-intruse_1740962/
hers amis de Saisons de Culture, Nous avons savouré le plaisir d’être à nouveau réunis les 26, 27 et 28 mars 2021, grâce à la bienveillance d’Alin Avila et Fumihiko Harada, qui nous ont accueillis à la librairie Area. Les portraits réalisés par Woytek ont été dévoilés à cette occasion et nous avons remis aux souscripteurs, les ouvrages dédicacés à leur attention. Les amis, les membres de l’association et la presse étaient présents lors de ces trois journées qui donnaient le coup d’envoi à l’anniversaire de nos dix ans. D’autres séances de signature se profilent dans la mesure des possibilités sanitaires. Toute l’équipe de rédaction se joint à moi pour vous souhaiter de joyeuses fêtes sous le soleil. Bonne lecture à tous les chanceux qui ont déjà le livre en main ! Pour information, la librairie Area 39 rue Volta dans le 3e arrondissement, reste dépositaire de nos publications. Elle est ouverte du jeudi au samedi, l’après-midi. Sinon il vous suffit de contacter woytek@neuf.fr pour passer commande. Nous nous efforcerons de vous les acheminer lors d’un rendez-vous dans Paris intra-muros. Pour les envois postaux, il vous faudra compter 15 euros supplémentaires. Prix de l’ouvrage : 67 euros Prix d’un tirage sur papier photo signé et numéroté : 30 euros. Bonne journée à tous Mylène Vignon https://www.saisonsdeculture.com/edition/dedicace-au-fil-du-temps-librairie-area-paris/#more-17243
http://www.claraklinghoffer.com/
CLARA KLINGHOFFER
lara Klinghoffer est née à Szerzezec (aujourd’hui Lemberg), un village situé près de Lwów (aujourd’hui Lviv), dans cette région contestée qui était autrefois la Pologne et qui, à l’époque de sa naissance, faisait partie de l’Empire austro-hongrois et se trouve aujourd’hui en Ukraine. Ses parents juifs ont immigré en Angleterre en 1903, s’installant d’abord à Manchester, puis dans l’East End de Londres. Klinghoffer fait preuve d’une aptitude précoce pour l’art. Elle étudie l’art au John Cass Institute d’Aldgate et à la Central School of Arts and Crafts avant de s’inscrire à la Slade School of Fine Art (1918-20). Remarquée par la critique dès son plus jeune âge lors de sa première exposition personnelle à la Hampstead Gallery en 1919, elle expose largement au Royaume-Uni, en Europe et en Amérique du Nord dans les années qui suivent, notamment à la Biennale de Venise en 1924, à la Redfern Gallery (1925) et à la RA (1933) à Londres. Elle a également beaucoup voyagé tout au long de sa vie, s’installant à Amsterdam en 1929 et à New York en 1939. Alors qu’elle vivait en Hollande en 1939, découvrant que des espions allemands avaient été placés dans le personnel de maison et sachant que l’invasion de la Hollande était imminente, la famille est retournée brièvement à Londres avant de partir pour les États-Unis. Avant de quitter la Hollande, leur mobilier et certaines de ses œuvres d’art ont été entreposés dans un entrepôt de Haarlem, puis volés par les Nxxx. Saluée partout comme la fille qui pouvait dessiner comme Raphaël, sa superbe technique a toujours été comparée aux maîtres anciens, mais au moment de sa première exposition, elle n’avait jamais vu aucun des grands tableaux des maîtres dela Renaissance. En effet, en 1937, Mary Chamont écrit dans Modern Painting in England que les dessins de Klinghoffer «sont comparables aux grands maîtres italiens». Ses premières peintures, cependant, étaient une affaire assez différente. Ce portrait d’une de ses six sœurs, avec son utilisation audacieuse de la couleur et son exécution naïve, révèle
clairement l’influence moderniste d’autres artistes juifs tels que Bernard Meninsky, Jacob Kramer et Mark Gertler. Si Klinghoffer a bénéficié d’une reconnaissance précoce, un critique de premier plan, PG Konody de The Observer, n’était pas le seul à exprimer sa déception quant à son évolution ultérieure : «L’accomplissement indéniable et la sensibilité de dessinateur de Miss Clara Klinghoffer semblent l’avoir conduite dans une impasse», se plaignait-il en 1925, «dont elle ne tente même pas de s’échapper. Chaque nouveau dessin de ses types familiers est comme une affirmation inutile de son intelligence. Son principal mérite réside dans son appréciation de la vie plastique contenue dans les contours de la figure humaine.» Commentaire de David Boyd Haycock, écrivain et conservateur indépendant, spécialiste de l’art britannique du début du XXe siècle. Une grande partie de l’œuvre de Klinghoffer est caractérisée par l’accent mis sur la figure humaine, et elle a réalisé des portraits de nombreux personnages éminents - tels que Sir Winston Churchill, Vivien
Leigh et Isaac Bashevis Singer. En 1945, après la guerre, Clara partage son temps entre ses studios de Londres et de New York. Bien qu’elle ait exposé aux États-Unis dans les années 40, 50 et 60, elle refuse de se joindre à l’expressionnisme abstrait qui est devenu si populaire en Amérique. Graveur original, Clara Klinghoffer a d’abord pratiqué la gravure dans les années 1920 et 1930. Ses premières lithographies datent d’environ 1950. Représentant principalement des études de figures et des nus, un certain nombre de ces lithographies ont été commandées par l’Associated American Artists de New York dans des éditions limitées et signées de 250 exemplaires. Selon toute vraisemblance, Mother and Child a été publié par l’A.A.A. Depuis sa création au milieu des années 1930, l’Associated American Artists a commandé des œuvres graphiques originales à de grands maîtres tels que Grant Wood, Thomas Hart Benton, Reginald Marsh et d’autres. Dans les années 1950 et 1960, les artistes participants comprenaient Jack Levine, Chaim Koppelman, Joseph Margu-
lies, Lawrence Beall Smith, James Kearns et, bien sûr, Clara Klinghoffer. Mère et enfant montre clairement les qualités de l’art de Clara Klinghoffer. La capacité de transmettre une telle chaleur et une telle force avec une telle simplicité est tout simplement une marque de génie. En 1981, Terrence Mullaly, dans le Daily Telegraph, écrivait : «S’il est un artiste qui, depuis quelque temps, a été injustement oublié, c’est bien Clara Klinghoffer... Si l’éclipse temporaire de sa réputation n’est pas, compte tenu des tendances dans les arts visuels, surprenante, elle est certainement lamentable. Elle était un portraitiste au talent sensible et, surtout, un excellent dessinateur ... Dans son travail, sa sensibilité évidente envers ses modèles se manifeste et est renforcée par sa capacité non seulement à suggérer le poids et la substance d’un corps, mais aussi à transmettre l’humeur ... Lorsque des artistes beaucoup plus célèbres seront oubliés, on se souviendra d’elle». http://www.artoftheprint.com/ artistpages/klinghoffer_clara_motherandchild.htm
Photo mauromoledda
MAURO MOLEDDA
auro Francesco Antonio Moledda est né à Nuoro en 1954. Dès son plus jeune âge, il manifeste son amour pour les arts en général, également contaminé par le milieu familial qui le met en contact avec des peintres de Nuoro qui sont des amis de la famille (Giovanni Maria Sulas, Tonino Ruiu, Graziano Cadelanu, Giovanni Nonnis) et par des parents qui se sont établis loin de Nuoro et dont il entend parler depuis son enfance (Giovanni Pintori qui s’installe à Milan avec Costantino (Antine) Nivola et Giovanni Fancello). Il a fait ses études universitaires à Cagliari et a développé des expériences dans le domaine de l’Euro design (San Servolo VE) et de l’architecture du paysage (Fondazione Benetton TV). Dans l’impossibilité de se rendre très jeune à Sassari à l’Académie des Beaux-Arts, il poursuit ses études à Nuoro puis à l’Université de Cagliari, obtenant un diplôme d’ingénieur, développant une production artistique, dessinant lui-même en utilisant diverses techniques mais privilégiant l’aquarelle et il a ensuite combiné le dessin avec sa passion pour la photographie. Depuis des années, il est responsable des parcs régionaux pour Legambiente. Outre la peinture et la photographie, il pratique l’activité théâtrale (Collettivo Compagni di Scena) et la musique (baryton dans le chœur de musique ancienne Musica Viva de Cagliari). La technique la plus utilisée est l’aquarelle, utilisée à sec, humide et mixte (stylo ou encre), mais il utilise aussi l’huile et l’acrylique ; dans le passé, il a également réalisé des travaux de graphisme et d’illustration notamment en rappoert avec ses activités musicales. Les thèmes abordés sont liés au paysage, au reportage du territoire et aux actions et activités de l’homme. Récemment, il a abordé le thème de la sémantique musicale en dehors du figuratif. Du 29 novembre 1986 au 4 janvier 1987, il participe avec d’autres amis comme Franco Manconi, Mario Adolfi, Pietro Costa, Paolo Curreli, Antonello Delogu, Maria Conte, Bastiano Murgia, Lucio Piras et beaucoup d’autres, à l’exposition «Giovani artisti nuoresi tra inertizia e rinnovamento» sur la Piazza Satta à Nuoro et du 19 au 26 avril à la 6ème édition de S’Incontru 1987 à Oliena. En 2008 et 2009, il a participé aux expositions collectives «Incontri d’Arte», «Di Arte in Arte» et «Fare in Mostra» chez le chanoine Putzu à Selargius. De fin 2009 à 2015 il étudie la musique ancienne avec le groupe «Musica Viva» de Cagliari en s’occupant aussi des brochures et des affiches des concerts ; en octobre 2015 il participe à l’exposition collective «Proverbi e Aforismi» à Sinnai et entre 20’15-2016 il expose au Caffè dell’Arte de Cagliari avec une exposition personnelle. Par la suite, il a exposé à Carbonia et Villacidro (2016), Alghero et Cagliari 2018 et la même année, en décembre, un face-à-face «Alti e Bassi» avec Mariano Chelo au MAP de Via Garibaldi à Cagliari sur le thème de la musique. Une exposition personnelle à la Galleria Siotto à Cagliari en Octobre 2020 et participe au collectif 2020 de Castia Art dans viale La Plaia toujours à Cagliari, encore en cours en ce moment. https://www.gigarte.com/mauromoledda1954/
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voir les vidéos https://youtu.be/gOyuCez5rJs https://youtu.be/wIxU-4_uSCw https://vimeo.com/307768449 https://vimeo.com/327905833 https://vimeo.com/469104938 https://vimeo.com/523326750
cette occasion, dans les espaces de la Fondation de recherche «Giuseppe Siotto», nous voulons donner plus d’importance à sa production artistique, figurative et non, principalement en aquarelles, à travers un bref excursus anthologique pour arriver à la dernière production, qui représente aussi le corpus le plus voyant de l’exposition. Pendant de nombreuses années, à partir de l’époque de ses études universitaires, Mauro a peint des paysages originaux à l’aquarelle, parfois avec des interventions à l’encre, des visions poétiques de la nature, montrant ses œuvres dans des expositions personnelles et participant à plusieurs expositions collectives à Nuoro, Carbonia, Alghero et Cagliari. Par la suite, son attention picturale s’est tournée vers le monde de la musique et plus particulièrement vers le domaine du chant choral, dont il est un amateur et un interprète apprécié. Il y a environ quatre ans, l’attention s’est déplacée vers le monde de la sémantique musicale, trouvant une nouvelle inspiration créative. L’observation des gestes des maîtres de chœur, le rythme et la couleur des voix se transforment en images et en couleurs sur le papier : voici des indications de tempo, des mouvements de mesure et des schémas directionnels qui deviennent des signes graphiques et se répètent dans des chorals chromatiques, comme cela arrive dans des œuvres telles que «Lascia ch’io pianga» ou dans «Voci miste». La succession de mouvements en rythme, en rebondissement et en dépression crée des compositions de signes répétés et des rythmes dans des œuvres qui sont impliquantes même pour ceux qui ne comprennent pas la musique. Les rangées, les notes, les clés se décomposent et se recomposent parmi les couleurs, en suivant le tempo de la musique. Même les parties anatomiques liées au chant, la bouche, les cordes vocales et le larynx, deviennent des signes graphiques et des couleurs, capables de décrire les ouvertures et les fermetures dans la modulation des sons, le tout rendu sur les supports avec une extrême habileté technique dénotée par une propreté rigoureuse du signe et de la couleur. Le rapport entre la peinture et la musique est presque un topos critique, en effet, il est bien connu que dans le domaine de la production figurative d’abord et ensuite abstraite la musique a été un élément d’inspiration. Alors que les grands artistes tels que Kandinsky, Klee ou Mondrian ont essayé de donner une forme à la musique ou d’en donner des expressions synesthésiques, Mauro, de manière personnelle, s’inspire de la musique, non seulement il suit son rythme comme l’a suggéré Maria Lai, mais il essaie d’entrer dans la musique, dans sa partie gestuelle et il s’y confie.» Simone Mereu https://www.fondazionegiuseppesiotto. org/eventi/mauro-moledda
Photo et oeuvre Mauro F. A. Moledda
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omment est née votre passion pour l’art ? Je suis né en 1954 et je peux dire que j’aime l’art depuis mon enfance ; je passais des heures à dessiner, il suffisait d’avoir une feuille de papier et un stylo pour se perdre dans des histoires ou des batailles improbables. À l’école, ils avaient l’habitude de publier des dessins pour accompagner les blagues dans le magazine de l’école. Je pense cependant que la raison de cet amour était due à l’environnement familial qui m’entourait ; une tante qui aimait la lecture et la poésie et un cousin paternel, devenu célèbre par la suite (Giovanni Pintori qui quitta Nuoro avec Antine Nivola pour Milan) dont j’entendais mon père parler continuellement. L’oncle Giovanni avait aussi une sœur qui était religieuse (tante Bonaria) et qui aimait peindre et faire des fresques sur les murs. Dans la maison de Tante Nina (la mère de Giovanni et Bonaria) dans le quartier de Seuna, dans le hall d’entrée, au milieu du vert et d’une fontaine d’eau, il y avait une fresque peinte par Bonaria, maintenant je pense en ruine comme la vieille maison. L’art a toujours été présent aussi grâce aux amis de mon père, pour la plupart des peintres de Nuoro (Tonino Ruju, Graziano Cadelanu, Giovanni Maria Sulas, Giovanni Nonnis etc...). Tonino, dans les années ‘60, m’a invité à fréquenter son atelier, et avait suggéré à mes parents de m’inscrire à Sassari à l’Institut d’Etat d’Art, célèbre alors pour la présence de l’école de gravure des différents Filippo Figari, Stanis Dessy, Mauro Manca, Libero Meledina, Mario Delitala, Remo Branca etc... Malheureusement cela n’a pas été possible et est resté un rêve pour moi. En même temps, pendant la période du lycée, je me suis approché de la photographie, que je pratique toujours. - Que voulez-vous transmettre avec vos œuvres ? Je pense qu’une œuvre d’art doit parler d’elle-même, et être reçue en fonction du niveau culturel et de l’expérience de vie de chacun d’entre nous. Il est difficile de dire ce que l’on veut transmettre, également parce que la réalisation de l’œuvre elle-même tend à satisfaire les besoins person-
nels de l’artiste... elle doit certainement faire réfléchir et émouvoir. Les formes et les couleurs affectent profondément notre moi intérieur et la perception de ce que nous voyons et que nous associons inconsciemment à des informations connues. - Vos œuvres s’adressent-elles à un public spécifique ? Si oui, lequel ? Non, je pense qu’une œuvre doit être portée à la connaissance de tous ou du moins de ceux qui sont curieux de la connaître. Pour moi, il n’y a pas de public cible précis. - Y a-t-il une relation entre vos œuvres et votre vie ? La création d’une œuvre d’art est également thérapeutique pour moi, elle me permet de m’éloigner du travail et des tensions et d’engager le corps et l’esprit dans la recherche de quelque chose qui satisfasse notre ego. Souvent les œuvres sont le miroir d’une situation émotionnelle, d’autres fois elles représentent l’exact opposé, comme si les problèmes pouvaient générer une image de recherche positive, et non négative. - Y a-t-il des matières que
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vous préférez dans le domaine de l’art ? Au fil des ans, j’ai dessiné un peu de tout, des paysages, des vues urbaines, de la verdure, de l’eau, des ruines et quelques portraits, en me référant toujours à la figuration. J’ai également été attiré par l’informel et l’abstrait. Le dernier projet récent, par exemple, visait les aspects immatériels et informels, le geste, le temps, les pauses, les intervalles, le mouvement, le signe - Si vous pouviez revenir en arrière, quel artiste aimeriez-vous rencontrer ? Si je pouvais, j’aimerais rencontrer d’autres artistes, je pense qu’il serait réducteur de n’en citer qu’un. Je vais essayer d’en citer cinq pour la peinture et cinq pour la photographie : Vincent Van Gogh - Vasilij Kandinskij - Joan Mirò - Paul Klee - Egon Schile Robert Capa - Helmut Newton - Pablo Volta - Henry Cartier Bresson - Franco Fontana - Travaillez-vous dans un studio ? J’ai une pièce dans ma maison que j’utilise comme studio, à la fois pour la peinture et la photographie, où j’ai également ma WorkStation.
- Avez-vous été découvert par quelqu’un ou vous êtes-vous mis en avant ? La première véritable exposition a été une exposition collective à Nuoro qui a duré des mois intitulée «Jeunes artistes de Nuoro entre l’inertie et le renouvellement», réalisée dans une place locale Sebastiano Satta et en hommage à Costantino Nivola (Antine), pour le reste a été un processus graduel accompagné par des expériences de vie dans différents domaines : sports, théâtre, graphisme, musique. Des champs dans lesquels j’ai eu l’occasion de rencontrer de nombreuses personnes et de très bons artistes auxquels je suis toujours lié. Je remercie Mauro pour cette agréable conversation et pour nous avoir raconté des moments de son expérience de vie. Avec les meilleurs vœux que cet amour de l’art soit toujours le fil conducteur de la vie. Entretien avec l’artiste Mauro Moledda /in Focus /par Federica Meloni http://artecracy.eu/intervista-allartista-mauro-moledda/
aha Hadid, vous êtes l’une des architectes les plus célèbres au monde et avez conçu le centre aquatique des Jeux olympiques de 2012 à Londres. En êtes-vous satisfaite ? «Oui, j’y ai vu les courses plus d’une fois : toute l’atmosphère m’a beaucoup attirée, je pense aussi que c’est un très bon travail. Et nous le comprendrons encore mieux d’ici la fin des Jeux olympiques.» À quoi consacrez-vous votre temps actuellement ? «J’ai de nombreux projets. Je viens de terminer un gratteciel à Marseille : maintenant je travaille sur un musée dans le Michigan, un grand centre commercial et des bureaux à Pékin, un terminal maritime à Salerne. Et deux opéras en Chine, un théâtre au Maroc et une proposition de design pour un musée en Corée. Bref, beaucoup de fers au feu». Comment faites-vous pour rester à la hauteur d’autant de projets aux quatre coins du monde ? «Je travaille très dur, et j’ai beaucoup de collaborateurs qui partent de Londres pour rester au top de tous les différents travaux. Je fais aussi la même chose moi-
même, car tout doit être suivi de près.» Quel est, selon vous, le meilleur endroit pour travailler ? «Il n’y a pas tant de différences que ça. En Chine, par exemple, on va plus vite : cela rend les choses plus difficiles. Ensuite, il y a des clients plus ou moins expérimentés : certains veulent que tout soit trop précipité, mais la vérité est qu’on ne peut pas se précipiter.» Quels sont vos meilleurs clients? «Je ne peux pas dire qui est meilleur ou pire. Tous ceux avec qui j’ai travaillé savent comment ça se passe, mais certains peuvent être intrusifs. D’un autre côté, je travaille aussi avec ceux qui ont besoin d’apprendre tout sur tout et cela a ses propres complications.» Préférez-vous travailler rapidement ou lentement ? «J’aime disposer d’un temps raisonnable pour concevoir et construire. La conception a ses propres rythmes, en particulier dans le cas des théâtres et des musées : elle nécessite un soin extrême et une attention à chaque détail. Ces projets ont une logique différente de celle des immeubles de bureaux ou des centres commerciaux.» Qu’est-ce que vous aimez le plus
construire ? «Cela ne fait pas une grande différence pour moi. Bien sûr, j’ai surtout travaillé sur des musées et des bâtiments publics. Je trouve également intéressant de travailler dans des espaces commerciaux. C’est une manière différente de se rapprocher des gens.» Comment se fait-il que les grands architectes d’aujourd’hui travaillent beaucoup sur des musées ? «Les gens veulent des espaces publics, comme autrefois ils voulaient des places de ville : ce sont des espaces communautaires. Ce qui est nouveau, c’est que les gens sont mieux informés, tant sur l’art que sur l’architecture. On ne peut pas se contenter de créer une ville résidentielle : il y a un réel besoin de lieux de rencontre, ce que sont les musées. Tout le monde n’a pas le privilège de pouvoir voyager : il est important que nous puissions créer des activités culturelles locales de haut niveau.» Que pensez-vous du MAXXI? Et de la controverse qui l’a accueilli ? «J’ai une affection particulière pour ce musée : Je le trouve très beau. Je ne sais pas assez comment s’est déroulé le discours sur sa
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controverse, mais je sais qu’il est toujours plein. Cela signifie que vous avez maintenant un bâtiment vraiment contemporain dans une ville très ancienne : il est important de le considérer comme un espace vivant, qui apporte une nouvelle énergie.» Avez-vous été intimidé à l’idée de construire un musée à Rome ? «Pour les personnes qui utilisent de nouvelles techniques, il est excitant de construire dans un environnement à plusieurs niveaux, au milieu de tant de beauté qui combine le passé avec le présent.» Pour les grands projets, êtesvous préoccupé par les situations politiques des différents pays ? «Oui, car je n’ai pas un contrôle total de la situation. Et de nos jours, il est difficile de choisir le bon endroit pour travailler.» Qu’aimeriez-vous vraiment créer ? Et où ? «En Europe, en raison du dialogue entre l’ancien et le nouveau. Aussi, j’aimerais réaliser un gratte-ciel à New York et avoir plus de travail à Londres. Et cristalliser mes projets italiens : J’ai travaillé un peu en dehors des sentiers battus à Reggio Calabria et en Sardaigne. Et j’aimerais m’occuper (suit page 26)
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(suit de la page 25) des pièces négligées d’une ville : escaliers, sièges. Du mobilier urbain, en somme.» Et votre propre maison ? «Je n’ai pas le temps de le faire. Mais si je le faisais, je la ferais à Londres, quelque chose de très simple.» Votre architecture a-t-elle des adeptes ? «Beaucoup de gens. Avec certains je suis ami, beaucoup d’autres dont je ne suis pas proche. Mais il est difficile de faire du très bon travail : c’est la même chose que pour les artistes, il n’y a que quelques grands.» Vous considérez-vous comme un artiste ? «Dès mon plus jeune âge, j’ai appris que ceux qui s’engagent à fond peuvent tout faire. Je voulais devenir architecte, je devais donc me concentrer uniquement sur l’architecture. Pour réussir, il faut être très concentré.» Aimez-vous votre travail ? «C’est un travail très difficile et exceptionnellement chronophage. Ce n’est pas pour ceux qui veulent une vie facile : vous n’avez pas le contrôle sur tout, et vous devez continuellement traiter de nombreux aspects différents. Il faut être constamment à l’affût.» Comment vous sentez-vous à la fin d’un projet ? «Il y a toujours quelque chose qui surgit et auquel on n’avait pas pensé auparavant. Je vois aussi toutes les erreurs. Ou plutôt, je vois d’abord les erreurs, puis au fur et à mesure que j’absorbe tout, je commence à aimer ce que j’ai fait. Mais je pense que si vous ne faites pas d’erreurs (je parle de détails, de petites imperfections), vous ne pouvez pas apprendre. Mon architecture ne dépend pas seulement de moi, mais d’une équipe d’au moins quarante personnes qui ont toutes sortes de compétences. C’est un peu comme être le directeur d’un orchestre symphonique. Il faut apprendre à déléguer. Si vous voulez le faire seul, vous ne pouvez mener qu’un petit projet à la fois.» Faut-il être diplomate ? «Malheureusement, je ne suis pas très doué pour cela. [rires] Souvent, il faut convaincre d’autres personnes de faire l’impossible. C’est mon métier.»5 août 2012 Alain Elkan Traduit de l’anglais
aha Hadid (arabe : اهز )ديدح, née le 31 octobre 1950 à Bagdad (Irak) et morte le 31 mars 2016 à Miami (États-Unis)1, est une architecte et urbaniste irako-britannique. Figure importante du courant déconstructiviste, elle a reçu le Pritzker Prize en 2004. Zaha Hadid est née le 31 octobre 1950 à Bagdad en Irak, d’une famille sunnite turcomane de la classe supérieure. Son père, Muhammad al-Hajj Husayn Hadid, était un riche industriel de Mossoul. Il est l’un des fondateurs du groupe politique de la gauche libérale al-Ahali, qui fut une importante organisation politique entre les années de 1930 et 1940. Il a été le co-fondateur du Parti national démocrate en Irak. Sa mère, Wajiha al-Sabunji, était une artiste originaire de Mossoul. Dans les années 1960, son père l’envoie avec ses deux frères en Europe, où elle est en pensionnat en Angleterre et en Suisse. Par la suite, Zaha Hadid s’installe au Liban, où elle étudie les mathématiques à l’université américaine de Beyrouth
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avant de déménager à Londres pour étudier l’architecture à l’Architectural Association School of Architecture. Sur place, elle rencontre Rem Koolhaas, Elia Zenghelis, et Bernard Tschumi. Elle travaille avec ses anciens professeurs, Koolhaas et Zenghelis à l’Office for Metropolitan Architecture (OMA) à Rotterdam, devenant associée en 1977, année de l’obtention de son diplôme. Par son association avec Koolhaas, elle rencontre Peter Rice, l’ingénieur qui l’a aidée et encouragée à une période où ses œuvres semblent difficiles à construire. En 1980, elle crée sa propre agence à Londres. Durant les années 1980, elle enseigne aussi à l’Architectural Association School of Architecture, puis dans les plus prestigieuses institutions internationales. Elle obtient la chaire Kenzō Tange de la Graduate School of Design, université Harvard, la chaire Sullivan à l’école d’architecture de l’université de l’Illinois à Chicago. Elle a été par ailleurs professeur associée à la Hochschule für Bildende Künste à Hambourg, à la Knowlton School of Architecture de l’université
de l’État de l’Ohio, aux Masters Studio de l’université Columbia à New York et professeur invité « Eero Saarinen de design architectural» à l’université Yale dans le Connecticut et, en 2000, professeur au département d’architecture de l’université des Arts Appliqués à Vienne (Universität für angewandte Kunst, en Autriche. Elle est membre honorifique de l’Académie américaine des arts et des lettres et de l’American Institute of Architects. Son style se caractérise par une prédilection pour les entrelacs de lignes tendues et de courbes, les angles aigus, les plans superposés, qui donnent à ses créations complexité et légèreté6. En 2004, Zaha Hadid reçoit le prix Pritzker. Elle est la première femme à obtenir ce prix. En 2006, une rétrospective de son œuvre a lieu au Guggenheim de New York. Elle est le deuxième architecte à bénéficier de cet honneur après Frank Gehry. La même année, elle reçoit un titre honorifique de l’université américaine de Beyrouth. En 2008, elle est classée par le magazine Forbes au 69e rang des femmes les plus puis-
santes du monde. En novembre 2012, elle est désignée pour la reconstruction du stade olympique national de Tokyo mais son projet est très critiqué. Plusieurs architectes japonais le désapprouvent, notamment Arata Isozaki qui le compare à une « tortue qui attend que le Japon coule pour s’en aller nager au loin », ces réactions pouvant éventuellement venir du dépit de voir une femme étrangère remporter ce concours. Le projet est aussi attaqué pour son esthétique par des intellectuels, mais c’est son coût, passé originellement de 130 milliards de yens (963 millions d’euros) à 252,5 milliards de yens (1 872 millions d’euros) qui entraîne finalement le lancement d’un nouvel appel d’offres en 2015. Zaha Hadid s’est défendue en invoquant la hausse des taxes sur les matériaux de construction et la difficulté à trouver de la main d’œuvre au Japon. Zaha Hadid Architects (en) compte en 2016 environ 430 employés. Son siège est situé à Londres, dans le quartier de Clerkenwell. Zaha Hadid est alors assistée de quatre associés : Patrik Schumacher, Gianluca
Racana, Jim Heverin, Charles Walker. Elle meurt le 31 mars 2016, à Miami, des suites d’une crise cardiaque Agée de 65 ans, elle était hospitalisée pour une bronchite. Couronnée de nombreux honneurs, elle avait reçu en 2015 la médaille d’or décernée par l’Institut royal des architectes britanniques (RIBA). « Zaha Hadid est une force formidable et influente à l’échelle mondiale en matière d’architecture », avait alors souligné Jane Duncan, la présidente du RIBA, qualifiant son travail d’« extrêmement expérimental, rigoureux et exigeant ». Après s’être imposée dans le monde entier, appelée à construire sur tous les continents, elle vivait une période plus difficile. Première femme, et première musulmane, à avoir reçu le prestigieux prix Pritzker en 2004, elle venait de voir son projet de stade olympique à Tokyo recalé. Véritable star, suivie de près par les médias, elle avait fait ainsi l’objet de vives attaques pour des propos qu’elle aurait tenus sur les ouvriers morts sur les chantiers lancés pour la Coupe du monde de football 2022 au Qatar.
Comment imaginer qu’une femme puisse devenir architecte ? L’idée n’est pas incongrue à la prestigieuse école de l’Architectural Association (AA), à Londres, « l’Académie des Frankenstein», pour le prince Charles, défenseur d’une très classique urbanité. En 1972, Zaha Hadid s’y choisit comme professeur et maître à penser Rem Koolhaas, qui, lorsqu’elle obtiendra son diplôme en 1977, parlera d’elle comme d’une «planète à l’inimitable orbite ». Il dira plus tard de son travail: « Ce qu’il y a d’unique dans son œuvre, c’est la combinaison d’une énergie énorme, et d’une infinie délicatesse. » Elle-même définit ainsi son mouvement spatial : « Je me suis sentie limitée par la pauvreté du traditionnel principe de dessin architectural et j’ai recherché de nouveaux moyens de représentation. » Parallèlement à sa carrière d’architecte, Zaha Hadid avait enseigné dans les plus prestigieuses institutions internationales, dispensant son savoir à l’AA, à l’Ecole supérieure de design de l’université Harvard, à l’Ecole d’architecture de Chicago, ou à l’université des Arts appliqués de Vienne… On retiendra d’elle
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des sentences comme : « L’architecture est d’avant-garde lorsqu’elle est tournée vers les usagers, qui sont trop souvent oubliés. » Ou : « Une architecture d’avant-garde transforme l’espace public en espace civique. » Du nouveau musée d’art contemporain de Rome (le MAXXI), ouvert en 2010, à l’opéra de Canton, inauguré le 25 février 2011 ; de Cardiff – encore un opéra – à l’usine BMW de Leipzig ; de Cincinnati (encore un centre d’art) à Manchester (une salle de concert), Zaha Hadid, dont les volumes suscitaient inquiétude ou horreur jusqu’à la fin du XXe siècle, a imposé sa vision de l’architecture à peu près partout, même en Angleterre, sa seconde patrie, qui avait commencé à l’accepter longtemps après Bâle, Strasbourg, Pékin, Séoul, Taïwan, Naples, Milan, Barcelone, Rabat, et, en France, Montpellier (centre administratif Pierresvives) et Marseille (tour CMA-CGM). Paris l’ignorait (à l’exception du pavillon Chanel, venu de Londres et remonté au pied de l’Institut du monde arabe), ce qui n’a pas empêché l’inévitable éclosion de quelques sous-produits, plus ou moins inspirés des galbes de Zaha Hadid, machines molles parfois réunies par la critique sous l’appellation d’« école Zorglub », d’après le personnage de BD joliment décrit par Wikipédia comme une «délirante modernisation du classique savant fou ». Zaha Hadid était un peu délirante, sûrement moderne, certainement pas folle. En vérité, ses dessins, éclatés, déchirés, rassemblés, colorés sur fond noir font d’elle une artiste conceptuelle, petite fille énervée des suprématistes russes, qu’on imagine mal passer des murs d’une galerie aux trois dimensions de l’architecture. Si l’on avait pu faire d’elle une des principales figures du déconstructivisme, un courant qui refuse l’ordre linéaire de l’architecture moderne, son style reposait très librement sur l’utilisation de lignes tendues et de courbes forcées, de formes pointues et de plans superposés qui donnaient à ses créations complexité et légèreté. Illustre provocateur luimême, maître à penser de la scène urbaine internationale, visionnaire adulé des uns (suit page 28)
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(suit de la page 27) et détestés des autres, grand découvreur de talents susceptibles de lui être confrontés, Koolhaas avait fait d’elle une des collaborateurs de l’OMA, l’Office for Metropolitan Architecture, l’agence qu’il a fondée avec Elia Zenghelis en 1975 à Rotterdam. Mais Zaha Hadid devait se séparer de son mentor dès 1979 pour créer sa propre agence. Et apprendre à manger de la vache enragée qu’elle faisait partager à un entourage principalement mâle, et soumis. La femme ressemblait à son œuvre : un physique improbable, tripartite, comme on dit des colonnes ou des gratteciel de l’entre-deux-guerres, et qu’elle assumait superbement. Deux jambes sous-dimensionnées par rapport à un buste taurin, posées sur des chaussures volontiers fantaisistes. Le tout était surmonté d’une tête empruntée à quelque déesse d’Asie mineure. Chevelure abondante, visage étonnamment expressif, encadrant des yeux aussi propres à jeter des éclairs qu’à prodiguer passion, humour et une forme de tendresse pour les lions des arènes. Surtout lorsqu’ils s’étaient éloignés d’elle, ses collaborateurs (ils sont désormais plus de quatre cents dans l’agence), lui prêtaient un caractère terrible qui ne supportait pas les ratés. Ses clients apprenaient vite à accepter son intransigeance, et à supporter ses caprices. La presse, elle, poireautait des heures durant en attendant un entretien pourtant soigneusement fixé. A bien y regarder cependant, ce comportement dilatoire par rapport aux mots semble relever d’une forme de timidité, qu’on retrouve aussi chez Koolhaas : comment éviter d’exprimer des pensées, qui seront gravées dans le marbre, quand vos idées sont par essence changeantes et profondément liées aux intuitions du dessin, de la main ? Depuis 1988, Zaha Hadid était parvenue à contourner le problème : elle avait pris comme principal partenaire de l’agence qui porte son nom, l’architecte, professeur et théoricien Patrik Schumacher.
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Son discours est l’un des plus austères, auprès duquel les pensées de Schopenhauer ou de Derrida semblent d’aimables bavardages. Grand inventeur de néologisme, il a récemment épaté la biennale de Venise avec le concept de « parametricime», nouveau style architectural, propre à définir celui de Zaha Hadid. « st-modernisme et de déconstructivisme », il « vise à créer des champs permettant d’exprimer la complexité, un urbanisme polycentrique et une architecture dont les couches soient à la fois denses et continuellement différenciées». Schumacher a également enseigné à l’Architectural Association. En fait de style, il s’agit d’abord de faire avaler aux ordinateurs des paramètres, formels, techniques, humains, qui leur sont peu familiers, pour recueillir à la sortie des modèles constructifs bien éloignés des canons de l’Antiquité. Peut-être est-cela, Zaha Hadid, mais au-delà des mots, son aventure architecturale semble plus proche d’une gestuelle sensible et sensuelle que d’un programme théorique, si subtil soit-il. Cette aventure avait commencé étrangement sur les marches
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orientales de la France. Après deux essais décoratifs à Londres et à Sapporo, elle construit en 1994 la caserne de pompiers des usines de meubles Vitra à Weil am Rhein, en Allemagne. Spectaculaire, l’édifice commandé par Rolf Fehlbaum, PDG de Vitra et grand collectionneur d’architecture, donnait cependant le mal de mer aux soldats du feu, et avait été converti depuis en présentoir à meubles et en bureaux. A Strasbourg, en 2001, elle dessine le terminus de tramway de Hoenheim, à la fois édifice et occupation urbaine, dont les pieds déjantés, comme ceux de Vitra, ont d’abord inquiété le public qui, ici comme ailleurs, s’y est finalement fait. Le vocabulaire plastique de Hadid était peu à peu entré dans les images tolérées, puis acceptées, aimées enfin comme le sont ceux de Frank Gehry, autre Pritzker Prize, et de tous les architectes «formalistes ». Avec le Pritzker en 2004, les commandes ont afflué selon une courbe exponentielle. A l’instar des grands noms de la mode et du cinéma, Zaha Hadid était désormais traitée en star. On l’appelait aussi la « diva », ce qui avait le don de l’exaspérer. Ses fans le savaient, qui l’ont accueillie un jour avec des
T-shirts portant l’inscription « Me traiterait-on de diva si j’étais un mec ? » Hadid aura appartenu à un moment particulier de l’architecture qui permet à la construction d’échapper, au moins en apparence, à la tyrannie de la pesanteur et aux impératifs de l’angle droit. L’informatique, autant que les nouveaux matériaux, ont rendu possibles des projets et des formes qui seraient naguère passés pour des insultes à la raison. Les formes que l’architecte anglo-irakienne imaginait ont ainsi pu passer du rêve à la réalité grâce aux travaux d’ingénieurs tels que Cédric Price (1934 – 2003), rencontré au début de sa carrière, ou à ceux de l’agence Arup. En 1955, après le Poème de l’angle droit, suite de lithographies publiée en 1955 par Le Corbusier, voici donc advenu, avec Zaha Hadid et quelques autres architectes, le temps des poètes de l’espace courbe, dans le droit fil, après tout, des théories d’Einstein. Frédéric Edelmann. h t t p s : / / w w w. l e m o n d e . fr/architecture/article/2016/03/31/l-architectezaha-hadid-meurt-a-l-age-de65-ans-victime-d-une-crise-cardiaque_4893467_1809550.html