L’IMAGE, LA PAROLE ET LE MULTIMÉDIA
Dès les origines, les images, le langage et le corps ont été liés. Dès l‟enfance, dans nos sociétés, ces trois modes de communication vont de pair. Notre époque découvre, fascinée, le multimédia tel que nos machines nous le présentent. L‟interactivité qui se résume trop souvent à appuyer sur un bouton, à déplacer une souris, un doigt sur un pavé tactile ou un stylet sur une tablette graphique, est mise en avant comme une panacée. Les images de plus en plus réalistes et recherchées et les sons les plus étranges ou les plus quotidiens, se liguent une fois de plus pour nous représenter le monde ou en créer une reproduction virtuelle réaliste ou fantastique avec accompagnement sonore et musical. Qu‟il s‟agisse de l‟image de soi ou de l‟image de l‟autre, que cette image soit sonore ou visuelle, c‟est d‟abord le corps qui est mis en jeu. Le geste a sans doute précédé la parole, et le cri la parole. Pour signifier, le premier réflexe est d‟imiter. Des mains qui désignent, des mains qui dessinent dans l‟air, des sons qui reproduisent les bruits de la nature et les signaux échangés par les représentants du règne animal, l‟homme est passé aux gestes vocaux. Simples imitations au commencement, indices d‟états d‟âme ou d‟humeurs, ces gestes sont peu à peu devenus des signes symboliques. Si au début les grognements, halètements, les cris, les rires n‟ont exprimé que le monde mental et les réactions des individus aux situations vécues selon la fonction première des langages (la fonction expressive), l‟évolution phylogénétique de l‟humanité a ajouté de nouvelles fonctions à ces images premières des mondes intérieurs et extérieurs. L‟idée de communiquer grâce à ces images, depuis la grimace faciale jusqu‟au geste et à la posture, est certainement liée à l‟agressivité, à la défense du territoire, à la recherche de la nourriture et à l‟activité sexuelle. Toutes pulsions primitives qui n„ont jamais disparu, mais que le langage naturel a peu à peu
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2 domestiquées. C‟est avec tout son corps et les sons de sa gorge que le chasseur primitif a créé les premières images en essayant de se donner l‟aspect et le cri des animaux qu‟il poursuivait. Plus tard, il gravera dans la pierre cette image de lui, mêlée à celle de l‟animal. Un linguiste allemand1 a même tenté de faire de l‟activité sexuelle le moteur premier de l'émergence du langage humain. Une fonction phatique et une fonction conative se sont donc superposées à la fonction expressive. Par contre ce que le langage a apporté à la communication entre hommes, c‟est la faculté de mentir et de tromper, ce en quoi l‟image n‟a rien à lui envier. Les langages gestuels visibles et les vocalisations de tout genre n‟ont pas disparu pour autant. On peut même voir dans les grammaires et dans les lexiques restreints qu‟utilisent certains individus, et qu‟utilisent les enfants en bas âge, une rémanence de ces états langagiers premiers. L‟évolution de l‟homme au cours des siècles et l‟évolution de l‟enfant sont fortement corrélées avec les fonctions du langage naturel. Ce qui est moins évident, c‟est que l‟image visuelle est elle aussi strictement corrélée avec les progrès de ce que nous appelons la civilisation ou la culture, comme nous le verrons plus loin. Ce qui relie image visuelle et image sonore2, c‟est tout d‟abord le geste. Qu‟est-ce que parler, sinon utiliser un certain nombre de muscles de l‟appareil phonatoire sous formes de geste conventionnels qui produisent des sons ? Ces bruits vocaux audibles et significatifs sont plus efficaces que les gestes visibles car ils peuvent être interprétés de jour comme de nuit. C‟est sans doute ce qui a permis le développement du langage humain. Par contre, le geste visible, celui qui laisse une trace a pris sa revanche avec l‟écriture. Même s‟il n‟est qu‟un surcodage du langage oral, l‟écrit l‟emporte sur bien des points dans sa lutte avec la parole. L‟image a très longtemps été la mémoire de l‟humanité, et l‟écriture, qui est une image, reste encore un des moyens privilégiés pour conserver une histoire et une pensée. Cette image de notre pensée continue à fasciner le lecteur... et le scripteur, lui-même. Dans Langage des signes, l’écriture et son double, Georges Jean écrit : “L’homme primitif s’est d’abord exprimé par gestes. Pour ses familiers, ces gestes sont devenus des signes. Cette simple genèse se répète tout au long de l’histoire humaine. Inhérents à l’homme et complémentaires de son langage oral, les signes gestuels précisent ou accentuent ce qui est dit. Et l’efficacité gestuelle est si vraie qu’en certains cas, le geste 3 ne se contente plus d’accompagner la parole : il la remplace.”
Elle a même souvent tendance à réclamer son autonomie avec le développement des langages informatiques, mathématiques et autres. Déjà les contes africains4 exploitaient cette lutte d‟influence entre la main et la bouche. Les péripéties de cet affrontement sont nombreuses et le développement des techniques donne tantôt l‟avantage à l‟un, tantôt à l‟autre. L‟écriture qui seule garda la trace d‟une pensée et l‟image peinte d‟un visage virent un temps la suprématie du geste. Le magnétophone et le téléphone mirent un bémol à cette influence. Le courriel (le courrier électronique) un court instant avait rétabli l‟équilibre. L‟Internet semble les renvoyer dos à dos. Après ce survol de l‟archéologie des langages, il nous faut nous arrêter sur celle de l‟image visible, celle dont on dit qu‟elle ressemble à la réalité et que nous nommerons simplement image. D‟un point de vue physiologique, les centres cérébraux qui coordonnent les gestes de la main sont en étroite relation avec ceux qui gouvernent la parole. L‟outil est à la main ce que la parole est à la bouche L‟élaboration des symboles graphiques et celles des symboles phonétiques, phonèmes et graphèmes, ont pour origine les mêmes zones d‟association. Le geste vocal et le geste manuel sont gérés par les mêmes centres nerveux, or l‟activité symbolique nécessaire pour manier un outil et celle pour manier des symboles signifiants sont les mêmes et apparaissent en même temps. L‟évolution des graphèmes chinois, à partir d‟une origine schématique mais encore analogique vers de purs symboles est à mettre en parallèle avec H. SPERBER," Über den Einfluß sexueller Momente auf Einstehung und Entwicklung der Sprache", Imago, t. I, fasc.5, 1912. 2 Pour plus de détails voir “De Babel à Batman” in Cahiers du Centre Interdisciplinaire des Sciences du Langage, n° 7, 1989. 3 Georges Jean, Langage des signes, l’écriture et son double, Gallimard, 1994. 4 Conte Nangtchere (Tchad), inédit. 1
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l‟évolution du lexique qui est devenu presque totalement arbitraire alors qu‟il a sans doute une origine physiologique et onomatopéique1. Il faut d‟entrée se demander ce qui fait image. Comme pour le langage c‟est la différence qui fait image et qui fait sens. Différence entre le sombre et le clair ou différence entre le creux et le plein, il est difficile de trancher tant l‟œil humain se laisse facilement abuser. Sur une surface plane, le jeu de l‟ombre et de la lumière donne l‟impression du creux et du plein, de l‟avant plan et de l‟arrière plan. Il existe même des figures impossibles, du blanc plus blanc que le blanc, des comptages impossibles, des taches d‟ombres que l‟on voit et qui n‟ont pas de support signifiant, une espèce d‟inter-dit visuel, des images ambiguës, des couleurs faites de noir et de blanc, toutes sortes d‟illusions visuelles. C‟est bien là ce qui peut nous faire douter que l‟image soit un simple analogon de la réalité. Si l‟image semble ressembler à quelque chose c‟est parce qu‟elle a un rapport certain avec la réalité, qu‟elle est le fruit d‟un processus algorithmique de transformation. Mais ce rapport est le fruit d‟un apprentissage culturel qui naturalise la représentation du monde. Ceci établi, voyons comment a pu naître l‟image dans des temps reculés et comment elle advient dans la vie d‟un individu moderne. Les premières images que nous possédons sont des gravures, des peintures, des sculptures. Les peintures pariétales les plus anciennes représentent des mains en négatif, certaines écourtées, qui bizarrement sont le produit d‟un jet de poudre colorée projeté par la bouche sur une main. André Leroi Gourhan 2 voit déjà dans ces mains aux phalanges tronquées une intention de signalisation, de geste signifiant. Mais bien avant le paléolithique supérieur, c‟est-à-dire avant l‟homo sapiens sapiens des ossements ou des pierres portent des incisions ou des tracés volontaires aux motifs qui résistent à toute interprétation. Peut-être des griffonnages, des traces de gestes rageurs, des marques d‟appartenance, l‟expression d‟une individualité. Ces griffonnages avaient sans doute un sens pour leur auteur mais ils ne ressemblaient à rien, comme les cris et grognements personnels que nous évoquions plus haut. Ces gribouillis (enfantins ?) remontent pour les plus anciens à 200.000 ou 300.000 ans avant notre ère. Survient ensuite une longue et féconde période de vingt millénaires où tout un bestiaire est représenté, accompagné de figures humaines, d‟images vulvaires et parfois phalliques. On trouve aussi des représentations géométriques sur des objets dits mobiliers. Il y a 50.000 ans, de petites cupules apparaissent sur une dalle. Plus tard on retrouve des galets comportant des tracés géométriques où certains voient les balbutiements de messages codés. L‟abbé Breuil écrit que ces représentations pariétales ou mobilières sont liées à des “préoccupations sociale dominantes leur donnant une expression 3 et comme un langage”. Quant à Leroi-Gourhan4 il s‟est attaché à mettre en évidence la dualité dialectique masculin-féminin. Hypothèses controversées certes, mais dont nous retenons l‟évolution et les racines semblables à celles du langage. Un autre indice nous semble aussi confirmer notre position. Il s‟agit de ces représentations complexes trouvées en Afrique et que l‟on peut appeler mythogrammes. Ces représentations évoquent des mythes bien connus et servaient peut-être d‟aide-mémoire aux conteurs de l‟époque. Il semble, tout bien pesé, que l‟image, à ses débuts, a eu les mêmes fonctions que le langage. D‟expressive, elle est devenue imitative, d‟imitative elle a évolué vers une représentation symbolicomagique. L‟écriture elle-même fut parfois un secret magico-religieux. J‟en veux pour exemple les voyelles "iéoua" qui, dit-on, formeraient le nom du dieu Jeovah tel que le psalmodiaient ses prêtres. Les représentations d‟animaux, de vulves stylisées, de mythogrammes, l‟apparition des idéogrammes, des hiéroglyphes, de l‟écriture syllabique ou phonétique sont en relation avec une réflexion sur le monde, sur l‟homme, qui de magico-religieuse se transformera en explication scientifique. L‟image comme le langage a toujours participé au développement moral et intellectuel de l‟homme. L‟image et le langage scientifiques tendent à devenir complémentaires et à mettre fin à l‟ancienne rivalité. Le multimédia ne serait-il pas un unimedia ? Les sons [sn] en anglais lexicalement très productifs renvoient soit à l‟image visuelle du nez ou à une sonorité nasale. 2 André Leroi-Gourhan, L’art pariétal, langage de la préhistoire, J. Millon, Grenoble, 1992. 3 C‟est nous qui soulignons. 4 André Leroi-Gourhan, Préhistoire de l’art occidental, Mazenod, Paris, 1971. 1
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4 Voyons maintenant comment l‟image vient aux enfants. Les études des cognitivistes sur l‟imagerie nous ont apporté quelques lumières sur le développement du symbolisme iconique, sans parler des études sur les primates qui semblent déjà avoir quelques capacités représentatives dans la mesure où leurs gribouillis se cantonnent dans l‟espace délimité au centre d‟une feuille par un rectangle ou bien établissent une symétrie, si le rectangle se trouve décalé vers la droite ou vers la gauche. C‟est avec leur corps que certains animaux créent des images : pour échapper aux griffes du prédateur, ils simulent leur mort et présentent donc au prédateur une image très proche de ce qu‟aurait pu être la réalité. Tout commence chez le très jeune enfant par la trace aléatoire d‟un mouvement qui retient son attention et celle de l‟entourage familial1. L‟instrument et le support de cette introduction au monde de la communication et de la sémiose varient selon les cultures et les circonstances personnelles. La répétition de ce signal est provoquée par le plaisir de la pure répétition et par celui de marquer de son empreinte indicielle le monde environnant. L‟indice ainsi créé amorce son insertion dans un système multimédia où gestes, babillages et affects s‟interconnectent dans le processus de communication. La prise de conscience que la trace est un substitut d‟autre chose, d‟actions, d‟objets, constitue le deuxième stade où s‟inscrit l‟inévitabilité de l‟analogie et le développement du système multimédia. La révélation que cette trace d‟une action ressemble à quelque chose que l‟on peut nommer, fait évoluer l‟indice vers l‟icône en passant par le symbolique. En effet, les formes que l‟enfant génère ne sont, dans le tout début, reconnues que par convention familiale ou sociale. Le langage qui se développe en même temps, système symbolique par excellence, subit les mêmes avatars. Plus tard, et sous l‟influence des grands, les figures géométriques seront de plus en plus maîtrisées dans leur régularité et seront nommées par analogie ou par convention iconologique enseignée, soleil, table, fenêtre, maison, père, mère, Moi. Comme l‟enfant passe du mot à la phrase, il passera de la figure unique à des combinaisons de figures de plus en plus complexes. La copie du réel sur le mode naïf et personnel débute alors. Viennent ensuite les codifications imposées par la culture pour aboutir à une représentation, identifiable selon des critères esthétiques et perceptifs, de la réalité telle qu‟elle est habituellement traduite dans une société donnée. On peut donc concevoir que ce développement de la fonctionnalité de l‟image soit orienté vers une représentation de plus en plus exacte, de plus en plus fine de la réalité, sans que jamais, elle ne puisse se libérer de contraintes culturelles ou techniques2. Les trois types d‟images repérées par Ch. Sanders Peirce3 peuvent nous servir à illustrer cette progression. Indices --- > Icones--- > Symboles --- > Numérique Il s‟agit d‟une progression des capacités de l‟image non seulement à représenter mais à explorer la réalité et même à la créer. Ce développement s‟accompagne d‟une activité intellectuelle de plus en plus abstraite, et d‟une conscience de la véritable nature de l‟homme. Cris -- > Onomatopées -- > Langages naturels -- > Langages artificiels De même, le langage, en tant que geste vocal audible, s‟est éloigné de ses origines physiologiques et onomatopéiques pour devenir un ensemble de signes conventionnels symboliques, outil semblable à la main, qui a créé un monde mental de plus en plus riche et raffiné pour aboutir à l‟élaboration de mondes virtuels. Du cri indiciel d‟un état, de l‟imitation du monde extérieur, à l‟établissement de conventions sonores et à l‟abstraction d‟un langage binaire pour communiquer avec les machines, geste vocal audible et geste visible ont suivi le même chemin. La référence aux mondes réels ou virtuels s‟est faite de plus en plus 1 2 3
Cf. Bernard Duras, "Emergence de l‟imagerie" in Mscope, n° 6, décembre 1996. Seul le clonage permettrait peut-être d'obtenir une image parfaite de la réalité. Ch. Sanders Peirce, Selected Writings, Dover, New York, 1958.
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lucide, de plus en plus attentive à la diversité et à la différence. Ouverture sur tout ce qui est autre et qui contraste avec l‟attitude protectrice et/ou agressive de nos ancêtres. Tout serait pour le mieux dans le meilleur des mondes s‟il n‟existait pas soit une permanence des modes anciens de représentation du monde, soit un retour régressif à ces modes d‟être et de penser auxquels l‟image et le langage naturel nous avaient arrachés. Les fonctions les plus évoluées de l‟image et de la parole semblent s‟atrophier. La référence au monde disparaît au profit d‟une auto-référence exacerbée qui mène à l‟obscurantisme. Le retour aux seules fonctions expressives et esthétiques donne l‟impression d‟un reflux qui privilégierait la forme aux dépens du sens, l‟expressivité incontrôlée aux dépens de la réflexion. Le “multimédia” est l‟un des domaines où ces tendances régressives primaires semblent à l‟œuvre. On définira le multimédia comme la réunion sur un même support informatique du son, de l‟écrit et des images. C‟est en fait un mélange plus complexe d‟images fixes et animées, de schémas, de bruit, de musique, de films vidéo, et de texte. Le tout étant relié par une circulation hypertextuelle et une présentation hypermédia gérées par des instructions informatiques déclenchées par l‟action du lecteurspectateur-auditeur à l‟aide du clavier et de la souris. On pourrait selon notre perspective le définir comme la rencontre du signe et de la représentation. Quant à l‟interactivité, elle est très floue et ressemble plus à un gadget tarte à la crème qu‟à une révolution dans le rapport créateur/utilisateur. L‟avantage certain du multimédia est la facilité d‟accès à l‟information et la complémentarité des supports d‟information. Ce qui fait aussi, son succès, c‟est la possibilité de transférer ces informations, sur d‟autres supports, tels que papier, bande magnétique ou film. La facilité avec laquelle on peut copier, dupliquer, transformer, extraire et réutiliser cette information est sans doute l‟atout principal, à nos yeux, du multimédia. Mais que fait-on du multimédia et comment fait-on du multimédia ? On en fait un spectacle qui parle plus au sens esthétique et ludique qu‟à l‟intelligence. On crée une œuvre multimédia en cherchant d‟abord à faire un produit attractif pour les yeux et les oreilles. Tout produit multimédia se doit de présenter une interface originale et plaisante pour la vue et l‟ouïe, comme s‟il s‟agissait d‟un produit publicitaire ou d‟un clip. Le produit devient l‟indice des capacités graphiques et sonores du réalisateur ou de la société de production. Par contre le contenu est souvent décevant. Le multimédia est encombré d‟un décor visible et sonore sans intérêt réel. Les boutons, les fenêtres, le fond de l‟écran en trois dimensions, en trompe l‟œil, n'ont rien à voir ni avec l‟ergonomie du produit ni avec une navigation intuitive ou assistée. Les icones laissées au libre choix du programmeur-info-graphiste sont souvent incompréhensibles et leur multiplication constitue pour chaque réalisation multimédia un fouillis inextricable et non un langage iconique. Quant au bruitage qui accompagne certaines actions sur l‟écran, il est plus gênant pour l‟entourage qu‟utile à l‟utilisateur. Le ludique l‟emporte sur le didactique dans bien des cas. Le formidable potentiel du multimédia est galvaudé par une idéologie du jeu, du loisir, de l‟original, du saisissant. Comment se fait-il que les livres ne soient pas encore accompagnés d‟une disquette, contenant une version électronique de ces ouvrages ? Rien ne serait plus utile que de pouvoir rapidement retrouver une information, un passage important. Le surcoût serait minime. Bien sûr, ce multimédia n‟intéresse pas les éditeurs victimes d‟une idéologie sécuritaire (“copiratage”) et de l‟idéologie ambiante qui méprise le texte dépourvu d‟images. Le multimédia, tel qu‟il est pratiqué, favorise l‟image indicielle et iconique et dédaigne l‟écrit (image symbolique). L‟ordinateur et son écran, pourtant basés sur l‟image la plus évoluée, c‟est-à-dire l‟image numérique (0/1), nous renvoient aux commencements en faisant appel à la sensation plus qu‟au sens, au visionnement plus qu‟à la contemplation exploratoire. Platon n‟avait de respect que pour les images naturelles, ombres et reflets, et méprisait tous les autres types d‟image, Aristote au contraire voyait dans l‟image un moyen de connaissance. Comme Aristote nous souhaiterions que l‟image du multimédia soit informative et comme Platon que les images divertissantes ne viennent pas troubler les images naturelles que nos technologies ne limitent pas aux ombres et reflets. 5
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6 Le langage des images et le langage naturel doivent cohabiter. Chacun de ses langages possède sa sphère d‟excellence, ils peuvent même se renforcer ou se relativiser comme dans le cas du message cidessous :
Comme il y a des genres en littérature, il faudra que le multimédia définisse ses genres, et que les modes esthétiques ne prennent pas le dessus sur les contenus informatifs. On peut tenter de proposer une classification des genres inspirée d‟informations glanées sur l‟Internet :
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2
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4
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6
Support
Présentation
Documentation
Tutoriel
Micromond
Micro-
e
monde
Simulations
Enviro-
informatique
guidé Video
Borne
hypermédias :
Didacticiel "classique" ?
conférence,
interactive,
dictionnaires,
"scratch
Marketing, etc.
encyclopédies,
d‟appren-
catalogues, etc.
tissage
board", etc.
nnement
Il faudra que l‟interactivité ne devienne pas un dogme vide, surtout si cette interactivité se réduit à cliquer ici ou là, comme dans le genre n° 4. Parler de "rhétorique du document interactif" est, sans doute, encore très prétentieux alors que les hyperdocuments interactifs se contentent de comporter des boutons à cliquer. Ce que nous appelons de nos vœux, c‟est le genre n° 6. Il présentera une simulation de situations de communication où l‟utilisateur devra réagir et interagir, comme dans une situation réelle, avec tout son corps et son esprit. C‟est avec ce type de multimédia que signe et représentation, original et copie ne seront plus dissociés. Quant à ce que sera l‟interactivité dans ce type de produit multimédia, la question ne se posera plus, puisque l‟utilisateur, plongé dans un monde virtuel devra agir comme il le fait dans le monde réel. La sophistication de la technologie permettra sans doute de prendre en compte gestes, postures, gestes faciaux, gestes vocaux audibles et inaudibles et réactions physiologiques. Le corps tout entier communiquera avec ce monde virtuel et c‟est un apprentissage naturel par des moyens artificiels qui mettra fin à un apprentissage artificiel par des moyens naturels.