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Fongicides : combiner les leviers pour optimiser l’eicacité des produits

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DOSSIER FONGICIDES

Par ANTOINE HUMEAU redaction@terre-net-media.fr

ette année, le nombre de pas-

Csages fongicides sur céréales – 1,9 en moyenne en France – était l’un des plus bas des quinze dernières années. Les chifres présentés début novembre par Ar valis-Institut du végétal, qui rassemblent les résultats des 23 partenaires du réseau

Performance, montrent aussi que « la progression de la résistance des souches de champignons aux fongicides invite plus que jamais à combiner tous les leviers » : agronomie, génétique, outils d’aide à la décision, alternance de produits et biocontrôle. En efet, dès lors que la pression fongicide est eicace, des mutations génétiques peuvent être sélectionnées. Et « lorsque cette pression afecte les molécules agissant sur un seul site d’action exprimé par un seul gène, des souches résistantes peuvent apparaître », explique Jérôme hibierge, ingénieur en protection intégrée des cultures chez Arvalis-Institut du végétal. En clair, utiliser de façon répétée et intensive la même substance conduit à sélectionner des maladies et organismes qui acceptent cette pression et donc à développer la résistance.

Dans une note commune, l’Inrae, Arvalis- Institut du végétal et l’Anses ont dressé un état des lieux des résistances actuelles. Deux éléments ressortent. D’une part, une baisse des phénotypes de type TriMR, c’est-à-dire des souches moyennement résistantes aux triazoles. D’autre part, une progression continue des TriHR, c’est-à-dire des souches devenues très résistantes à au moins un triazole.

Cette hausse est continue depuis plus de dix ans que ces souches sont recherchées. On observe également une progression des souches CarR , résistant spéciiquement aux SDHI, depuis qu’elles ont été détectées il y a quatre ans. Parmi elles, certaines sont hautement résistantes à ces substances fongicides, elles ont été discriminées par une dose de produit plus importante.

Mesures prophylactiques Éviter l’apparition de souches résistantes aux maladies, c’est là l’une des principales raisons de réduire l’IFT. « Les méthodes de lutte sont encore

La réduction des traitements doit s’envisager par la combinaison de multiples leviers : rotations, choix variétal, observations… ef ficaces, mais il convient d’alterner dif férents modes d’action et matières actives au il des protections pour ne pas exercer une sélection unique », suggère l’ingénieur d’Ar valis-Institut du végétal. Il faut aussi combiner, au sein d’une même date d’inter vention et au cours du cycle de la céréale, des molécules ayant des modes d’action diférents. Protéger sa culture doit s’appréhender en commençant par des mesures prophy lactiques, visant à limiter l’impact des maladies. Cela passe d’abord par un choix génétique. Il s’agit d’opter pour des variétés peu sensibles aux maladies fongiques en priorisant la tolérance aux maladies ayant le plus d’impact sur le rendement ou sur la qualité sanitaire. Des variétés résistantes à la septoriose existent, elles sont de plus en plus utilisées, atteignant 60 % des surfaces actuelles. Celles notées 6,5 ou plus par Arvalis-Institut du végétal permettent de se passer de protection au T1. Un bémol toutefois : trois grandes variétés résistantes représentent à elles seules un tiers du marché. « Le souci est donc de préserver la tolérance de ces variétés et de contrer l’émergence de maladies résistantes », signale Jérôme hibierge. Par ailleurs, les variétés résistant à plusieurs maladies à la fois sont beaucoup plus rares. « Il faut préser ver la résistance variétale, reprend-il. On connaît par exemple des cas de contournement de résistance par des races de rouille qui se sont à

ANTOINE HUMEAU BENOÎT FOUCAULT L'AVIS DE L'EXPERT Benoît Foucault, technicien à la chambre d’agriculture des Pays de la Loire et animateur d’un groupe Dephy « Savoir identiier les maladies, ne pas s’inquiéter à la moindre tache »

En neuf ans, les agriculteurs du groupe Dephy qu’encadre Benoît Foucault ont réduit leur IFT de 30 % environ et ne traitent qu’à 53 % de la dose indiquée. En fongicides, l’indice est passé de 1,43 à 0,69. Premier levier activé : la place de la céréale dans la rotation. « Changer les précédents avant les blés peut réduire la pression des maladies », constate Benoît Foucault. Les agriculteurs, ici, sont en polyculture-élevage, ce qui leur offre plus de possibilités de diversification. Autre levier activé : le choix des variétés. « Une fois qu’on a choisi une variété résistante – Absalon ou Fructidor le plus souvent –, il faut faire confiance et donc ne pas sortir le pulvé à la moindre alerte. Le blé se défend. S’il y a 15 % ou 20 % de taches, on ne traite en général qu’une seule fois, au stade de la dernière feuille étalée, indique l’ingénieur agronome. Il faut aller voir ses champs et savoir identifier les maladies, c’est essentiel. »

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adaptées. » Apprendre à protéger les gènes de résistance est donc essentiel pour maintenir le cap vers moins de fongicides.

Dates de semis Autres mesures prophylactiques : les dates de semis et les durées de rotation. L’agriculteur doit s’adapter à des dates de semis un peu étalées, selon le moment où ses terres sont libérées pour y implanter ses céréales. Ce qui peut décaler le cycle de la céréale et limiter l’impact, la nuisibilité voire l’installation de la maladie. « Sur des variétés sensibles, la maladie peut être moins importante en décalant la date de semis, mais ce qui est plus problématique, c’est que ce décalage, eicace dans certaines situations, peut diminuer le potentiel de rendement de la parcelle », nuance Jérôme hibierge. Arvalis-Institut du végétal l’a testé sur trois sites. Avec une date de semis décalée de trente jours, la perte de rendement à la récolte s’établissait à quatre quintaux (101 vs 105). Ce levier doit donc être utilisé avec précaution. Par ailleurs, diversifier autant que possible les variétés à l’échelle de l’exploitation, de la microrégion et d’une année sur l’autre est important. Ceci ain de « favoriser la durabilité des résistances génétiques et opposer des barrières à la dispersion des résistances aux fongicides ». Le choix doit se faire aussi en fonction des débouchés (panification, alimentation du bétail…). Les mesures prophylactiques passent également, lorsque c’est possible, par des pratiques de

Décaler les dates de semis sur l’exploitation peut limiter l’impact, la nuisibilité voire l’installation de la maladie. Attention, toutefois, aux éventuelles pertes de rendement. destruction de l’inoculum maladie, par de l’enfouissement de résidus. Une fois ces mesures prises, la protection passe par une méthode de diagnostic pour observer la pression résiduelle des bioagresseurs sur les cultures et proportionner du biocontrôle.

Du nouveau en biocontrôle Les s olutions de biocontrôle se comptaient jusque-là sur les doigts d’une seule main. Désormais, une nouvelle alternative à la chimie émerge, le phosphonate de potassium, pour lutter contre la septoriose. Il vient d’obtenir son AMM et sera tout prochainement commercialisé sous le nom de « Pygmalion » par la société De Sangosse. Il revendique une double activité d’efet direct sur la maladie et d’induction via la plante d’un mécanisme à

50 %

En 2020, l’Europe a décidé de frapper fort et de viser une réduction de 50 % de l’utilisation et du risque de pesticides d’ici à 2030. L’agriculture biologique devrait représenter 25 % des terres cultivées, contre 7,5 % en 2018. La diminution drastique du recours aux produits phytosanitaires est donc au programme. De quoi faire rêver le consommateur soucieux de sa santé. Côté industriels et agriculteurs, la filière s’organise pour trouver des alternatives sans diminuer la quantité de nourriture.

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« Lorsque la pression fongicide afecte les molécules agissant sur un seul site d’action exprimé par un seul gène, des souches résistantes peuvent apparaître »

JÉRÔME THIBIERGE, ingénieur en protection intégrée des cultures chez Arvalis-Institut du végétal

de défense à la maladie. Il pourra notamment se positionner en premier passage, sur des situations nécessitant d’intervenir tôt mais plutôt sur des variétés assez résistantes. Il devrait se combiner à du soufre, mais « rien n’empêchera de l’associer également à un composant chimique, s’il le fallait », précise l’expert d’Arvalis-Institut du végétal. Il s’utilisera à 2 L/ha et pourrait être commercialisé à un prix se situant autour de 20 à 25 €/ha. Le succès de ce produit reposera sur l’équilibre entre son coût et son eicacité. « Il a une place sur le marché à se trouver, il a un rôle à jouer, il faut l’encourager », estime Jérôme hibierge. En dehors du phosphonate de potassium, les solutions de biocontrôle (substances naturelles d’origine minérale ou animale, métabolites ou inoculum de microorganismes) semblent rencontrer

Choisir des variétés peu sensibles aux maladies doit se faire en priorisant la résistance aux maladies ayant le plus d’impact sur le rendement ou sur la qualité sanitaire, ou permettant de réduire l’usage de fongicides.

SYLVAIN TABART L'AVIS DE L'AGRICULTEUR Sylvain Tabart, agriculteur en polycultureélevage à Arzal (56) « C’est possible de faire du sans fongi »

La diminution des traitements fongicides a été progressive, au Gaec du Pont-Milain. « Au départ c’était deux traitements, maintenant, c’est un seul voire pas du tout s’il n’y a pas de pression », indique Sylvain Tabart, agriculteur en polyculture-élevage. Il se dit que « c’est possible de faire du sans fongi. » Quand il traite, c’est tôt le matin, sans aucun vent, sans rosée et sans se précipiter. « La dernière feuille étalée doit être sur l’ensemble des plants », précise-t-il. Ce qui l’a surtout fait progresser, c’est le choix variétal. Il opte pour des variétés résistantes à la septoriose « et si possible à la rouille jaune ». Les semis n’ont pas lieu avant le 20 octobre. « On essaye de différer autant que possible pour avoir une levée plus tardive et réduire les risques, dans l’idéal, si le tracteur peut passer, on sème entre le 5 et le 10 novembre. Quand on réduit les doses, il faut toujours être vigilant sur l’état sanitaire de la plante, cela demande d’être attentif », prévient l’agriculteur breton, qui veille aussi à ce que ses rendements ne déclinent pas. un succès mitigé. « Le bilan oblige à reconnaître que le passage au champ représente un cap diicile pour les solutions de biocontrôle », euphémise Arvalis-Institut du végétal, qui a testé 66 formulations au cours des cinq dernières années.

Des traitements chimiques seulement si nécessaire Lorsque la lutte avec des méthodes conventionnelles est nécessaire, utiliser les matières actives ayant le moins d’efets non intentionnels s’avère souhaitable. Le nombre d’applications avec des substances actives de la même famille au cours d’une même campagne doit être limité, et le cumule de deux traitements avec la même molécule, évité. L’utilisation des inhibiteurs de la succinate de déshydrogénase (SDHI) et des inhibiteurs de cytochrome b, notamment, doit être restreinte à une seule application par campagne, sur blé comme sur orge. Les modes d’action doivent également être diversiiés en alternant ou associant les substances actives dans les programmes de traitement. Lorsque c’est possible et utile, recourir, par exemple, aux fongicides multisites (soufre, folpel), moins susceptibles de sélectionner des populations résistantes, en particulier sur la septoriose. Arvalis-Institut du végétal a comparé diférentes stratégies de protection des cultures. « Nous sommes convaincus que l’on pourra d’autant mieux se dispenser des premières interventions que l’on disposera de solutions eicaces sur le T2 permettant de

ANTOINE HUMEAU maîtriser un faible niveau de maladies que l’on aurait éventuellement laissées s’installer », résume Jérôme hibierge. Les interventions doivent être positionnées en fonction du développement des maladies. Les agriculteurs adaptent en général leurs pratiques au contexte de l’année. C’est ce qui ressort des panels ou des enquêtes de cultures. « Ils proportionnent leur protection fongicide à la pression qu’ils pressentent par l’observation de leurs cultures ou le contexte météo », remarque l’ingénieur spécialiste des maladies des céréales à paille.

Moins traiter, c’est conforter sa marge Dans le Morbihan, Clarisse Boisselie, ingénieur à la chambre d’agriculture de Bretagne, anime un groupe Dephy ferme Écophyto d’une douzaine d’éleveurs. Ils ont des surfaces de 60 à 200 ha et, en douze ans, les progrès ont été signiicatifs. La réduction d’IFT hors herbicides atteint 70 % en moyenne et plusieurs membres font désormais parfois des impasses sur certaines cultures. « À chacun sa stratégie et ses objectifs, mais les impasses ne se décrètent pas, met en garde la technicienne. Il faut s’y préparer à

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VRAI ou FAUX

➜ Le mancozèbe est la matière active la plus utilisée en France. FAUX Le mancozèbe, fongicide utilisé principalement pour lutter contre le mildiou (sur le blé, les pommes de terre…), est la troisième substance active la plus utilisée dans l’UE, derrière le glyphosate et le prosulfocarbe.

➜ En 2019, l’Anses a identifié l’époxiconazole comme un perturbateur endocrinien. VRAI L’époxiconazole est une substance active fongicide qui était utilisée sur une part importante des surfaces cultivées en France, notamment en traitement des betteraves et des parties aériennes des céréales.

➜ Le phosphonate de potassium est considéré comme une solution de biocontrôle. VRAI La substance d’origine naturelle vient d’obtenir son AMM en France pour lutter contre la septoriose du blé et le mildiou de la pomme de terre. Sur blé, là où un T1 est nécessaire, et sur variétés résistantes à la rouille jaune, elle permet d’envisager sereinement, en association avec du soufre, un T1 100 % biocontrôle.

➜ Pour éviter le contournement d’une résistance, il convient d’actionner différents leviers. VRAI Les chiffres diffusés par Arvalis-Institut du végétal montrent que la progression de la résistance des souches de champignons aux fongicides invite à combiner tous les leviers : agronomie, génétique, outils d’aide à la décision, alternance de produits et biocontrôle.

sur le long terme, démarrer la réduction pas à pas et activer les diférents leviers pour assurer un système robuste. » Il faut également se ixer des objectifs et adapter sa stratégie en fonction. Ces objectifs peuvent être le rendement (ici, globalement, ils n’ont pas décroché), le volume ou encore les marges. Moins traiter, c’est souvent conforter sa marge. « Lorsque l’agriculteur n’a pas de maladie qui se déclare, c’est très vraisemblablement là qu’il va accéder à des rendements élevés avec des coûts de protection les plus faibles et donc, par voie de conséquence, dégager les meilleurs revenus, estime Jérôme Thibierge. La marge brute sous-tend à bien proportionner l’usage de fongicides. »

De moins en moins de molécules Diversiier les solutions vise à minimiser les risques de développement de résistance, mais c’est aussi l’occasion de se préparer à la disparition de certaines molécules. Face aux exigences de santé et

Blé traité au phosphonate de potassium. La solution de biocontrôle vient d’être homologuée pour lutter contre la septoriose et pourra se positionner en premier passage, en alternative à la chimie. d’environnement, les critères d’innocuité des produits sont pris en compte au moment de l’AMM. Or, celle-ci a une durée de validité limitée et n’est pas renouvelée pour certains fongicides. Deux substances actives sont par exemple interdites depuis cette année : le mancozèbe (troisième substance active la plus utilisée après le glyphosate et le prosulfocarbe) et le thiophanate-methyle. En 2022, deux autres arrivent au terme de leur autorisation, le cyproconazole (premier semestre) et le prochloraze ( in d’année). Cela pourrait limiter le choix d’alternance et de mixage les solutions. En 2023, le tébuconazole sera sur la sellette du renouvellement. Le rythme d’apparition de nouvelles substances actives est inférieur à celui des interdictions. « Lorsqu’on cherche à alterner les matières actives et à les diversiier pour échapper à la sélection de souches de variétés résistantes, le choix des possibles se réduit », observe Jérôme hibierge. ■

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