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grâce à une vache

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FINANCEMENT

FINANCEMENT

Outre la production alimentaire et parfois paysagère, l’élevage fournit des sous-produits méthanisables susceptibles de se transformer en carburant. Si son développement reste encore timide, la mobilité au biogaz conquiert des utilisateurs et nourrit des ambitions, notamment dans le transport lourd.

La décarbonation des transports fait partie des priorités, pour ne pas dire des urgences, afin de réduire nos émissions de gaz à effet de serre (GES) et donc notre impact sur le changement climatique. Si l’on parle beaucoup de mobilité électrique, voire d’hydrogène à échéance plus lointaine, on oublie souvent le bioGNV (gaz naturel véhicules) ou gaz renouvelable issu de la méthanisation de déchets ou de matières organiques (agricoles, alimentaires) locales. D’après l’Association des agriculteurs méthaniseurs de France (AAMF), les 15 t de biodéchets produites chaque année par une vache permettraient de rouler 13 000 km en voiture ; les 3 t de déchets annuelles de 100 écoliers à la cantine, 10 000 km.

Le bioGNV réduit de 80 % les émissions de GES par rapport au diesel (sur le cycle de vie d’un véhicule) ; en plus des réductions de 95 % des particules fines et de 50 % des oxydes d’azote (NOx) déjà générées par le GNV d’origine fossile. Selon certaines études1 citées dans le Panorama 2022 de l’Association française du GNV (AFGNV), cette performance de 80 % de réduction des GES serait même supérieure à celle des véhicules électriques (légers, utilitaires et poids lourds de 12 t dans le contexte de mix énergétique français avec une électricité faiblement carbonée), en raison du coût carbone lié à la fabrication des batteries de ces derniers. De plus, contrairement à celles des véhicules électriques, la rapidité de recharge et l’autonomie des véhicules roulant au bioGNV s’avèrent similaires à celles des engins roulant au diesel ou à l’essence.

Toutefois, dans l’élaboration de sa règlementation, la Commission européenne se focalise actuellement sur le « zéro émissions » au niveau du pot d’échappement, plutôt que sur le niveau d’émissions à l’échelle du cycle de vie du véhicule. Dans le cas des véhicules légers, les constructeurs automobiles ont donc tendance à orienter leurs efforts vers la solution électrique et à délaisser l’option GNV/bioGNV.

Solution immédiatement disponible

Toujours d’après le Panorama 2022 de l’AFGNV, le bioGNV représentait l’an passé 26 % du volume global de GNV consommé en France, contre 13 % en 2021. Et les objectifs de déploiement de la filière visent 50 % en 2025, et 100 % en 2033. L’Hexagone compterait aujourd’hui plus de 300 stations ouvertes au public, auxquelles s’ajoutent plus de 350 stations privées (pour les flottes captives de transporteurs, collectivités ou chez des agriculteurs), pour environ 35 000 véhicules roulant au bioGNV ou GNV (dont 60 % de véhicules lourds : camions, bus, bennes à ordures). Des expérimentations sont même en cours pour faire avancer des bateaux ou des trains avec ce type de carburant.

Selon le témoignage de Christophe Baboin, directeur transport de la branche Services-Courrier-Colis de La Poste, dans le Panorama bioGNV 2022, « le bioGNV est privilégié dans notre mix énergétique pour les poids lourds, tandis que nous avons décidé d’électrifier la flotte de véhicules utilitaires légers, avec un engagement “zéro émissions nettes” en 2040. Avec son maillage dense de stations, le bioGNV est la solution la plus pertinente, et immédiatement disponible pour les transporteurs souhaitant décarboner » « On peut agir dès maintenant sans attendre la solution hydrogène, qui d’ailleurs à ne sera pertinente que lorsque sa production sera décarbonée, renchérit Gilles Baustert, directeur marketing et communication du constructeur Scania. Le bioGNV représente pour nous la première énergie alternative. Et nous continuons à investir dans le développement de ces motorisations. »

1 Études d’IFP Énergies nouvelles en 2019 et de Carbone 4 en 2020.

À Mandres-sur-Vair, dans les Vosges, la SAS Méthavair détenue par le Gaec du Pichet et l’entreprise de compostage ABCDE a mis en service un méthaniseur en 2018, puis une station bioGNV en 2023. Elle s’apprête à en ouvrir une seconde pour répondre à la demande.

Pour Benjamin Simon, responsable du marché mobilité dans l’Ouest pour GRDF, « partout où un véhicule lourd de transport de marchandises ou de voyageurs se renouvelle, nous devons nous assurer que l’alternative bioGNV est intégrée dans la réflexion. Toute collectivité, tout transporteur, doit avoir cette solution dans le viseur ».

Un tracteur au gaz à l’autonomie doublée

Concernant les tracteurs, six exemplaires du New Holland T6 Methane Power fonctionnent dans des fermes françaises depuis deux ans. L’AAMF travaille en partenariat avec le constructeur (et avec le soutien de l’Ademe, GRDF et GRTgaz) et la FNCuma pour compiler les résultats obtenus. « Nous avons créé au sein de l’AAMF un groupe de travail autour du bioGNV, indique Mathieu Laurent, associé du Gaec du Pichet à Norroy, dans les Vosges, et de la SAS Méthavair, à Mandres-sur-Vair. Nous sommes en contact avec les constructeurs de matériels agricoles et de stations de distribution, et avons créé un catalogue des équipements existants. Nous agissons aussi auprès des régions et de l’État, notamment la Commission de régulation de l’énergie, pour la mise en place de soutiens financiers au bioGNV. Enfin, nous sensibilisons nos adhérents quant à l’intérêt de ce carburant. »

Huit stations à la ferme existent actuellement et l’AAMF a l’ambition d’en développer 500 d’ici 2025. L’Ademe a mis en place en juin une subvention pour les financer à 50 %, et FranceAgriMer apporte une aide de 20 % sur l’achat d’un tracteur roulant au biométhane dans le cadre de son programme France 2030. De son

L’AVIS DE L’AGRICULTEUR

Mathieu Laurent, éleveur au Gaec du Pichet et associé de la SAS Méthavair (Vosges)

« Nous allons ouvrir une seconde station, d’une capacité dix fois supérieure »

« Nous avons mis en service l’unité de méthanisation en cogénération Méthavair en association avec l’entreprise de compostage ABCDE en 2018. Nous avons ajouté une station bioGNV en 2023. Sa capacité totale de stockage est de 800 kg de gaz et nous sommes capables d’en produire 500 kg par jour. Il est possible de prélever jusqu’à 250 kg de bioGNV en une fois, avec une charge optimisée des véhicules en termes de pression. Le tarif est à 1,60 €/kg, sachant qu’un kilo correspond à 1,3 voire 1,4 L de diesel. Cette station est utilisée par quatre camions collectant pour le méthaniseur 10 000 t par an de biodéchets auprès de restaurants, cantines, industries agroalimentaires et supermarchés. Nous avons aussi un tracteur T6 Methane Power, et tous nos véhicules de société sont passés au bioGNV. Des artisans et particuliers du secteur font également le plein chez nous, ainsi que la laiterie locale, qui aura bientôt trois camions de collecte au gaz. La station est désormais saturée, mais nous venons d’obtenir le permis pour en ouvrir une seconde d’une capacité dix fois supérieure. L’investissement est réalisé par la SAS Méthavair, mais nous achèterons aussi du gaz issu d’un méthaniseur voisin. De futurs clients se sont engagés auprès de nous à acheter des véhicules fonctionnant au gaz. Il faut de la motivation pour créer une station, mais une fois qu’elle est là, ça porte ses fruits ! » côté, New Holland a dévoilé en décembre 2022 le T7 Methane Power fonctionnant au gaz naturel liquéfié, dont l’autonomie serait plus que doublée par rapport au T6 fonctionnant au gaz naturel comprimé.

« Outre ses atouts environnementaux, le bioGNV constitue un choix économique, estime Mathieu Laurent. C’est une production locale moins soumise à la volatilité des prix de l’énergie. Le GNR coûte aujourd’hui deux fois plus cher qu’il y a deux ans, et il pourrait encore grimper avec le projet d’arrêt de la détaxation. Le bioGNV est un moyen de décarboner l’agriculture et de la rendre plus autonome. »

« Le gaz fossile a vocation à disparaître »

La transition vers davantage de bioGNV dans la part de GNV s’appuie sur le développement de la méthanisation. Fin 2022, plus de 500 unités injectaient du biométhane dans le réseau, d’après le Panorama des gaz renouvelables 2022. La production injectée de 7 TWh (térawatt-heure), en hausse de 61 % en un an, représenterait 1,6 % de la consommation nationale de gaz (tous usages, dont GNV). Environ 1 200 projets seraient enregistrés dans le registre des capacités, pour une production annuelle prévisionnelle de 25 TWh à courte échéance. Et le potentiel à l’horizon 2050 est estimé à 130 TWh de gaz vert issu de la méthanisation. La récente revalorisation du tarif d’achat du biométhane devrait soutenir cette dynamique. « Le gaz vert n’a pas pour but de couvrir uniquement l’usage mobilité, souligne Benjamin Simon. Mais la question de la concurrence entre les différents usages ne se pose pas vraiment. Le gaz fossile a vocation à disparaître quel que soit son usage. L’objectif est donc de développer la capacité de production pour couvrir, à terme, tous les usages. »

À ce jour, le biogaz est la seule énergie renouvelable dépassant les objectifs fixés par la Programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE), outil de pilotage de la politique énergétique française dont l’objectif est d’atteindre la neutralité carbone en 2050. Le cap fixé pour le biogaz est en effet de 8 TWh de biométhane injecté en 2023. « Le rôle de GRDF est de faire évoluer son réseau pour passer de la distribution descendante d’un gaz importé à la distribution d’une production disséminée dans les territoires, explique Benjamin Simon. C’est donc une autre manière de concevoir le réseau, avec des systèmes de rebours pour rediriger le gaz en excès sur certains territoires. Nous n’avons pas pour objectif de construire les méthaniseurs et les stations bioGNV, mais de permettre aux porteurs de projets de se raccorder au réseau. Les stations ont besoin d’une structure de stockage pour fonctionner, et ces stockages doivent aussi être pris en compte en tant que tampons pour gérer intelligemment le réseau et optimiser son exploitation pour l’ensemble des usages. »

Déjà 10 % de biogaz en Vendée

GRDF travaille donc en proximité avec les acteurs du territoire, par exemple en Vendée, où le biogaz couvre déjà

L’AVIS DE L’AGRICULTEUR

Damien Roy, président de la SAS Agribiométhane, en Vendée

« Nous vendons la totalité de notre biométhane en carburant »

« Nous avons ouvert, en 2017, une station Agri’Carbur dotée de trois pompes à Mortagne-sur-Sèvre, où les entreprises agroalimentaires et les transporteurs sont nombreux. Aujourd’hui, nous vendons 100 000 kg par mois de bioGNV, environ 50 pleins par jour, soit la totalité de la production du méthaniseur. Cela est lié à la fois au développement des véhicules roulant au gaz autour de la station et, plus récemment, à la compétitivité de notre tarif dans le contexte de flambée des prix de l’énergie. Certaines stations GNV soumises au prix mondial du gaz sont montées jusqu’à 3 €/kg. Chez nous, le bioGNV est à 1,44 €/kg, contre 1 € quand nous avons démarré en 2017. Nous prenons en compte la hausse de nos coûts d’électricité et de maintenance. Nous sommes actuellement en travaux pour passer d’un à deux digesteurs, avec toujours un postdigesteur. On devrait ainsi monter à 130 m3 de biométhane injectés à l’heure. Nous avons également investi dans du stockage et une cuve d’hygiénisation pour pouvoir saisir des opportunités de gisements méthanogènes. Parmi nos projets, nous ajouterons en 2024 une pompe pour le gaz naturel liquéfié. Nous allons aussi traiter et liquéfier le CO2 pour le vendre, notamment, dans l’agroalimentaire. Enfin, nous sommes satisfaits de notre tracteur T6 Methane Power, bien qu’il soit un peu limité en termes de puissance selon les usages. Nous attendons donc le modèle supérieur, le T7.

FAITES L’EXPÉRIENCE

D Couvrez

LES FORMULES ABONNEMENT

10 % des consommations. Dans ce département, une stratégie commune a été mise en place avec le Sydev (Syndicat départemental d’énergie et d’équipement de Vendée) et Vendée énergie (société d’économie mixte créée par le Sydev pour la production et la distribution d’énergies renouvelables) afin d’atteindre 40 % de gaz renouvelable dès 2030 et l’autonomie en 2050. Le Sydev a mis en place une méthodologie pour l’émergence de projets : réunions en présence des agriculteurs, élus locaux, chambre d’agriculture, GRDF et AILE (Association d’initiatives locales pour l’énergie et l’environnement), visites de sites, ateliers de travail, étude de faisabilité, et accompagnement dans la création de la structure porteuse du projet en se positionnant comme tiers-investisseur. Cette méthodologie, réplicable sur d’autres territoires, a été primée par l’appel à projets « Territoires engagés gaz vert » de GRDF en 2022. Le Sydev travaille également sur un contrat d’achat de biométhane qui serait conclu entre un producteur et un consommateur sans passer par le marché de gros, et sans intervention de l’État.

Par ailleurs, GRDF expérimente depuis cet été sur la station bioGNV de La Chaize-le-Vicomte, en Vendée, une solution de stockage intelligent. Baptisé Flores (Flexibilité opérationnelle des réseaux), ce programme se veut complémentaire des rebours et maillages pour traiter des contraintes ponctuelles, et optimiser l’injection de gaz vert. Il permettra de stocker jusqu’à 15 000 Nm3 ■

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