Écouté / lu

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Écouté / lu chroniques de la revue PASTEL, COMDT-Conservatoire Occitan http://www.pastel-revue-musique.org

par Alem Alquier

I. d’avril 2001 à novembre 2012


Ceci est un recueil de chroniques de la revue Pastel, publication du COMDT ( Centre Occitan des Musiques et Danses Traditionnelles – Midi-Pyrénées – Conservatoire Occitan ) d’avril 2001 à novembre 2012. Cette revue est devenue entièrement numérique depuis mai 2012 : www.pastel-revue-musique.org.

Chroniques de dix-neuf disques du domaine des musiques traditionnelles et d’un livre de D. Loddo

Écouté, lu est le nom de la rubrique des critiques de disques, livres et DVD de la revue.

Je suis aussi graphiste et je travaille également sur du documentaire avec Les Zooms Verts, collectif de production cinématographique sur Toulouse. Musicalement je fais partie de Gadalzen Alem Alquier www.alemalquier.net

décembre 2012


Écouté / lu


La Fabrique Acide folklorique & produits dérivés Prenez un Aligot-élément au violon, un matériau de Transept au diatonique, liez le tout avec de la corde vocale chaleureuse et des peaux généreuses, et vous aurez fabriqué de l’acide folklorique et, pourquoi pas, aurez dérivé sur une musique occitane actuelle et originale. Une machine parfaite, qui tourne, à l’image des rouages représentés sur la pochette… Mais attention, il ne s’agit pas d’une musique «indusLe Syndrome de l’Ardèche

trielle», mais bien manufacturière, au sens « XIXe

Arco Alpino

Traditions nouvelles du Vivarais & des

siècle» de l’artisanat de qualité, avec tout son

Violons traditionnels des Alpes

Cévennes

cortège d’innovations et aussi de poésie (donc

Voilà un groupe de «trad-jazz» qui n’a pas son

toniste– outre son jeu tout personnel d’une bat-

disque, dont l’«archet alpin» déborde généreuse-

anche dans sa poche. Les cornemuses 16 et 20

terie «fabriquée», fait preuve d’un réel talent de

ment de part et d’autre de la chaîne monta-

pouces, Béchonnet, saxophone (Pierre-Vincent

compositeur et d’adaptateur; il est aussi l’auteur

gneuse : des chants lombards aux sérénades

Fortunier & Stéphane Méjean) qui composent la

de la plupart des textes en languedocien qu’il

provençales en passant par les correntas et les

partie mélodique, n’hésitent pas à enchaîner des

interprète avec passion et un souci rythmique

rigaudons… il n’y a qu’à écouter Bosolù, air de

chorus élégants sur une base rythmique fournie

certain. Cyril Roche livre avec ce trio une pleine

carnaval lombard, pour être tout de suite trans-

par un tuba (Joannès Kotchian), un accordéon

expression de l’accordéon diatonique coloré, aux

porté par ce génie populaire, fait à la fois de sim-

diatonique (Isabelle Bazin- Vericel) et des percus-

basses profondes comme on les aime, quant à la

plicité et d’énergie, rappelant parfois les chansons

sions maghrebines (Christophe Ladret). Les

virtuosité de François Breugnot au violon, elle

napolitaines de la Nuova Compagnia di Canto

rythmes de rigodon, de bourrée, ou autres

n’est plus à démontrer…

Popolare. Des monuments de ce disque reste-

musiques de ce coin des pays d’Oc constituent le

Beau produit!

ront, comme Lei Penitents, air de pénitents de la

de modernité). Laurent Cavalié –par ailleurs dia-

Chartreuse, repris jusqu’au début du

ferment d’une grande fresque de timbres différents, dirigée par Stéphane Méjean, avec pour

De nombreux genres sont abordés dans ce

Modal Plein Jeu (MPJ 111018)

XXe

siècle

par diverses confréries, et dont les paroles ont

invité Dominique Gente (bugle).

été détournées… et superbement servies par

On aimerait toutefois entendre plus souvent les

l’interprétation de Manu Théron (chant) ; ou

voix de Sylvie Berger et d’Isabelle Bazin-Vericel,

comme Lo Bacubert, danse d’épée rituelle de la

car elles donnent une modernité et une origina-

région de Briançon: l’étonnante mélodie de ce

lité supplémentaires à ce CD.

morceau a été magnifiée notamment grâce à l’apport oriental de Bijan Chemirani (percussions iraniennes), présent également le long de l’album.

Prod.: Le Syndrome SA0701 (CD 6 titres)

Des compositions très «vaillantiennes» (Carraira, Rigaudon testard) rappellent l’esthétique du Melonious Quartet, dont une des références demeure Darius Milhaud. Patrick Vaillant (mandoline & autres plectres) est d’ailleurs le maître d’œuvre de cet album. Mais le ciment perpétuel de l’édifice Arco Alpino est tout de même le violon, joué par les maîtres actuels du rigaudon, à savoir Isabelle Barthélémy, Michel Favre, Patrick Mazellier, Olivier Richaume, Sergio Caputo, Gabriele Ferrero & Giulio Venier. Un album émouvant et abouti.

Saint-Jouin-de-Milly: Modal, 2002 Modal Plein Jeu (MPJ 111023)

Pastel n°47 - avril 2001

Pastel n°48 - novembre 2001

Pastel n°50 - octobre 2002


Familha Artús Òmi Voilà une œuvre enthousiasmante! Ces jeunes musiciens des Landes pratiquent un cosmotrad (dixit le commentaire) assez inédit dans nos campagnes… On peut dire que le création musicale contemporaine en Occitanie avec (entre autres) ces oiseaux-là, a de bien beaux jours devant elle. Écoutez donc ce qu’on peut faire avec une flûte à trois trous, une vielle à roue, une boha, un accordéon diatonique, une basse… sans comp-

Malicorne

Kolektif

ter une (belle) voix et quelques effets sonores…

Légende, deuxième époque [1978-1981]

Balkanatolia

la légende du roi Arthur (Artús en occitan) qu’ils

Loin d’être une nouveauté, ce CD est un flori-

De la très belle musique, un festival de sons et

se sont réappropriée, et en fragmentant leurs

lège de morceaux de quatre albums de l’illus-

d’ambiances… Qui connaît Istanbul sait qu’on

quinze titres en neuf mois (gestation?), ils s’im-

tre groupe allant de 1978 à 1981. Sur le livret

ne dit pas « la musique turque » mais « LES

posent avec une relecture proprement ahuris-

on peut lire : « La musique de Malicorne res-

musiques turques ». En effet, rares sont les

sante de la musique traditionnelle occitane. On

tera intemporelle ». Ça n’en a pas toujours été

villes qui peuvent se prévaloir d’un tel patri-

sent bien d’une part l’influence de ce qu’écou-

le cas car la décennie quatre-vingt s’est

moine. Et encore, ce CD se limite à quelques

taient leurs parents… (ou leurs grands-

conduite comme toutes les décennies suivant

musiques profanes ! Richard Laniepce (saxophones, kaval, gayda, mey… en fait il se dit

Sous le prétexte d’une saga célébrissime comme

1

parents… non, j’exagère) et d’autre part, non

une révolution : en exacte opposée. Je parle de

contents d’utiliser un type de sonorité nouvelle,

la révolution du mouvement folk en France, en

« souffleur » pour résumer) a bien travaillé :

ils se permettent des audaces comme des gens

même temps qu’a eu lieu la révolution du rock

depuis cinq ans, il vit dans cette bourdonnante

décomplexés (qu’ils sont certainement).

progressif outre-Manche. Il faudra un défilé

cité et a réussi à rassembler un kolektif de

Leurs trouvailles musicales sont tout à fait perti-

d’instruments traditionnels au bicentenaire en

grande valeur. Chaque musicien local jouant

nentes, mais aussi les chants béarnais, parfois

1989 (orchestré par Jean-Paul Goude, et

dans cet album est un virtuose dans sa partie

traités comme des chants de troubadours (Be i a

Patrick Cadeillan étant alors chargé de super-

(Selim Sezler à la clarinette apparaît aussi dans

longtemps: il faut dire que la métrique s’y prête,

viser la partie « accordéon diatonique » pour

le film Crossing The Bridge de Fatih Akin).

ou Los segadors…).

l’Occitanie) pour commencer à reconnaître

Richard Laniepce explique qu’il existait peu ou

Mis à part la légende arthurienne (artúsienne?)

cette « révolution folk » des années soixante-

pas du tout jusqu’à présent en Turquie de

qui reste juste un prétexte, et quelques conces-

dix, ainsi que la déclaration de françois Hadji-

groupe « collectif » montrant toute cette

sions à la mode actuelle qui consiste à user et à

Lazzaro, chanteur des Garçons-Bouchers, qui

variété des styles.

abuser de ficelles électroacoustiques, ce disque

consistait à avouer sans honte sa passion pour

Quant à David Thélier, photographe collabora-

est très beau et je suis prêt à parier ma chemise

le dulcimer, la vielle à roue et… Malicorne !

teur de Pastel et résidant lui aussi à Istanbul, il

qu’on va entendre parler de ce groupe!

Une génération alors de néo-punks adhéra à

a signé une belle couverture d’album, très gra-

ces « vieilleries » et progressivement une

phique.

deuxième vague – non pas folk mais trad cette

Sur un plan strictement musical, on peut

Modal, PPJ 111028

fois – vit le jour. Quant à ce disque, il concré-

regretter toutefois (sans en dénigrer la qualité)

1. Il y a du Robert Fripp ou du Tony Banks dans l’air…

tise les aspirations et les influences de ces

la part belle faite aux musiques des Balkans, au

venant de ma part c’est un compliment!

années mythiques à tous points de vue :

détriment des musiques d’Anatolie, sur le CD

romantisme exacerbé, traditions artisanales,

– qui se veut toutde même un genre de « cata-

retour à la terre, expérimentations de toutes

logue » – et aussi le léger sous-mixage de la

sortes… Saluons au passage deux Toulousains

voix d’Asli Dogan, chanteuse à la voix pro-

d’adoption, Dominique Regef (Le Bestiaire :

fonde et au discours intelligent (écoutez-la

vielle à roue, violoncele, rebec) et Patrick Le

parler de la création artistique en Turquie sur

Mercier (Le Bestiaire & Balançoire En Feu : vio-

www.istanbulradio.org).

lon, guitare électrique, cromorne) qui ont participé à l’aventure Malicorne, lui fournissant leur part de ce son si renommé.

Baykus Müzik, EMI, 2006. BY0001

ROS 104 Harmonia Mundi / Le roseau

Pastel n°51 - avril 2003

Pastel n°57 - avril 2006

Pastel n°58 - octobre 2006


Lo Còr de la Plana Tant deman Le nouvel album du Còr de la Plana (sorti en mai 2007) est un bonheur supplémentaire à rajouter à l’actif de Manu Théron. Cette voix produit depuis quelques années (en solo ou en groupe) un certain nombre d’œuvres assez extraordinaires pour être mentionnées. Tant deman est un album de diversité dans le chantier vocal qu’est ce chœur de la Plaine (quartier de Marseille), dans la continuité du précédent Ténarèze Aral

(Es lo titre, excellent album aussi). Moussu T e lei Jovents Forever Polida

La polyphonie y est transcendée, le répertoire traditionnel est un matériau pour lacréation. C’est ce qu’on attend des « nouvelles »

Cet album est remarquable à plus d’un titre. Musicalement, d’abord: on apprécie une belle maturité

Ah, ils se sont bien calmés depuis Interdit aux

musiques traditionnelles, après tout… On peut

de ce groupe, avatar abouti du célèbre Perlinpinpin

connaux ! L’autre versant du Massilia Sound Sys-

se mettre au service du trad, mais je trouve qu’il

Fòlc. La vielle à roue électroacoustique et la clari-

tem poursuit sa transformation dans une

est beaucoup plus intéressant (et plus sain !) de

nette basse se surpassent, donnant parfois dans le

recherche plus sonore, plus travaillée, où l’on

se mettre à son propre service, au service du

jazz; les arrangements sont très intelligents, subtile-

sent que la musique est pensée, digérée,

public, en ayant digéré l’ensemble des fonction-

ment variés, et on y retrouve certaines connais-

remise cent fois sur le métier…

nements de la musique trad. Le rondeau Nòu

sances comme l’incontournable rondeau Trignac 18

Encore une fois la maturité a gané l’artiste. Ici

gojatas a Castelnau n’aura jamais été aussi sur-

ou des traditionnels basques. Conceptuellement,

on s’exprime en français et en occitan (pro-

volté… j’y ai vu des danseurs de rondeau au

ensuite: cette œuvre est sous les auspices de (pêle-

vençal) dans le calypso, le country & western,

comble de la joie de danser. Même si le tempo à

mêle) Bernard Manciet, Plutarque, Élisée Reclus,

la baloche années trente… avec chaque fois

la fin du morceau frise le 180 bpm… Bon, d’ac-

jusqu’à Pierre Desproges… et bien d’autres, cités

cet « accent » marseillais tout en relief, brandi

cord, ça concerne plutôt les moins de trente

çà et là. Tout ce monde s’attache à parler de l’eau

haut et fort, et donc complètement assumé : ça

ans, et de préférence débordant d’énergie…

dans tous ses états. La mort programmée de la

fait plaisir au milieu de tout ce courant « nou-

À côté du répertoire traditionnel, des composi-

mer d’Aral est mise en symétrie avec une mise en

velle chanson française »… On retiendra entre

tions se taillent une belle part. Et il y a fort à parier que si ce CD est exporté aux États-Unis

garde de Bernard Manciet (Le Golfe de Gascogne,

autres de cet album le refrain Quand tu n’as

1987) au sujet de l’inconscience des agronomes et

que des bons amis tu crains degun2 en passe de

il sera affublé d’un adhésif « explicit content,

d’une certaine bureaucratie européenne des

devenir une sorte d’hymne, et tout de même

parent advisory », puisque cette fois-ci les

années soixante-dix, une description en occitan du

la bonne tenue des textes, avec parfois des

paroles ne sont pas très religieuses… On sent

Kerala (Inde du sud) fait écho à un procès gagné

audaces (qui feraient frémir plus d’un académi-

bien une plume énervée, insurrectionnelle…

par les écologistes indiens face à une mulinationale

cien) comme faire rimer « fabrique » et « Assé-

une sorte de manifeste anarchiste (Lèva-ti dau

dique » (j’en suis particulièrement friand)…

mitan, Rompe-bassas [« casse-couilles »], Bosin,

américaine qui commençait à dépouiller la région

etc.) et, cerise sur le gâteau, un éloge de la

en eau pour fabriquer son célèbre soda… Les textes sont évidemment en accord avec la thématique mais il est heureux que le chant soit limité à quatre chansons sur cet album, car

paresse que n’aurait pas désavoué Paul Lafargue

2006 - Manivette Records, Le Chant du Monde http://moussut.ohaime.com

« travailler plus pour gagner plus » ?

2. Degun signifie personne en provençal.

Buda Musique, 2007, 3017530

Pastel n°59 - avril 2007

Pastel n°60 - octobre 2007

(Me parlètz pas de trabalhar)… Une réponse à

le Ténarèze d’aujourd’hui brille bien plus par son invention instrumentale, bien qu’Alain Cadeillan soit un des meilleurs interprètes de cette belle langue qu’est le gascon. Graphiquement, enfin: le livret est un déferlement de photos toutes plus belles les unes que les autres, mais le design souffre un peu de bavardage, ce qui nuit parfois à la lisibilité des textes. Quoi qu’il en soit c’est une très belle réalisation, et, remarque ultime, un hommage généreux à Christian Lanau.

2007 - édition Buda Musique distribution Socadis www.budamusique.com

Pastel n°59 - avril 2007


Frédéric Aurier, violon

On retire tout de même de cette observation

Sylvain Lemètre, zarb

une passion du « contexte ». Quant à l’émotion

Jean-François Vrod, violon, voix

qui s’en dégage, j’en ai éprouvé une similaire à

La Soustraction des fleurs

l’écoute de certains morceaux du groupe

« Si la relecture fidèle de la figure mélodique

versés côté rigaudon).

Drailles, autres alchimistes magnifiques (mais nous a semblé une étape incontournable et

Il est heureux de penser qu’un nouveau souffle

non achevée aujourd’hui, nous tenterons ici, à

du trad (il en a bien besoin !) est en train de

la manière cubiste, de montrer les divers

voir le jour par la recherche contemporaine

aspects d’un objet musical en un seul plan,

(ou vice-versa, d’ailleurs !)

pour en exprimer l’essence, les sens. » Ainsi est présentée La Soustraction des fleurs, et on ne s’y trompera pas quant au choix de la

Radio Franc, mai 2007. Signature SIG 11050 Didier Labbé Quartet Bazar Kumpanya

référence : J.-F. Vrod est aussi artiste plasticien (par exemple les « machines à marcher », sortes de sculptures ludiques qu’il expose

Bon, cet album n’est pas nouveau, il date exactement d’un an (oct. 2007), mais à mon avis il sera « actuel » encore quelques années! Surtout s’il vient en complément du concert Oui à la Turquie!… Ce cri pose un débat qui n’a pas encore été à son terme, loin s’en faut. L’entrée de la Turquie dans la Communauté Européenne ne se fera pas sans discussions, on l’a vu. Dans tous les cas au niveau musical (et gastronomique mais c’est une autre histoire) je crie cent fois « Oui à la Turquie ! »… Bien conscient que c’est enfoncer une porte ouverte que de dire que nous autres pauvres Occidentaux au tempérament égal avons tout à apprendre de cette galaxie, je le dis quand même! C’est une jolie rencontre entre nos jazzeux toulousains et trois musiciens d’Istanbul (baǧlama, électro-saz, zourna, percussions…). Le résultat valait le déplacement… l’album est aussi assorti d’une vidéo-«carnet de promenade» par Bruno Wagner, et… (non cette fois je ne parlerai pas de graphisme… Aïe, trop tard!) d’un autre «carnet de promenade» de cinquante-six pages magnifiquement illustré par Ronald Curchod… Une bien belle réalisation, en avant-première de l’année de laTurquie… En 2008 Didier Labbé a continué l’aventure en invitant Cem Varveren et Recep Sirplioglu pour une série de concerts en France.

régulièrement, ainsi que ses collages & dessins)… Voilà un personnage qui a envie de dépasser son violon, d’aller explorer d’autres formes, d’invectiver une nouvelle mythologie… tout en restant dans un « terrain de jeu » connu (la musique traditionnelle d’Auvergne). Les violons s’emberlificotent de façon intelligente, têtue et parfois spasmodique, jamais lassante. On sent une percussion (zarb) maîtrisée et parfaitement en phase avec les violons, et des trouvailles vocales délirantes sont bienvenues (Longue plus longue, Ouap Dou Ouap Cortex 1 & 2, Lundi de Pâques). J.-F. Vrod est aussi en train de réaliser une commande d’État, par l’intermédiaire du GMEA d’Albi (Triporteur Sonata, cf. Pastel n°59, où il est question de « multimicrophonie »), il est donc rompu aux explorations intimes aussi bien qu’exubérantes du son…

Production : Compagnie Messieurs-Mesdames, Toulouse - Partenariat : Baykuş Müzik, Istanbul - Mosaïc Music distr., 2007

Pastel n°60 - octobre 2007

Pastel n°62 - octobre 2008


quelques chansons en français ? Elles sonnent

simuler une voix humaine de remplacement… et

moins bien que les occitanes et donnent à ce

l’ensemble est servi par Florent Rousset et Paco

disque un côté plus banal et passe-partout…

Labat (derbouka, riq et daf), percussionnistes

Et ce n’est certainement pas à cause des

redoutablement efficaces à la régularité du tempo.

paroles, puisque selon leurs dires, les DuBartàs

La faculté de rendre des sentiments est univer-

n’ont jamais rencontré de critiques quant à la

selle dans la musique. Et même si les musiques

barrière de la langue occitane (« ni même en

orientales obéissent à d’autres règles que l’har-

Autriche ! »).

monie, on ressent la même nostalgie provoquée par un makâm Nahawen que par une

AD1418C - L’Autre Distribution

progression d’accords mineurs, par exemple…

www.sirventes.com

Mais quoi qu’il en soit, l’attachement de Lakhdar à la poésie est présent dans tout le disque,

Pastel n°64 - octobre 2009 DuBartàs

citant tour à tour Marc Bloch, Adonis, Mahmoud Darwich, Ibn Arabi, et même la dimen-

Fraternitat !

sion poétique du Coran, notamment avec le travail qu’il a mené autour du personnage

Le groupe tire son nom de l’expression occi-

emblématique de l’émir Abdelkader, héros de

tane « de l’autre côté du buisson » ou « der-

la lutte du peuple algérien contre l’invasion

rière la broussaille »… mais c’est aussi – est-ce

française de 1830.

conscient ou involontaire ? – le nom d’un gentilhomme et poète gascon du

XVIe

siècle,

VOC 1475 - 2009

Guilhèm de Sallusti deu Bartàs, compagnon de route du futur Henri IV. Peut-être pour compenser une trop évidente origine aristocratique, voici un disque aux accents progressistes et sans-culotte, sorte de Bella Ciao languedocien… Cependant, sous des dehors purement révolutionnaires – on y célèbre la fraternité et autres acquis – ce disque a clairement été conçu pour danser (ce qui en soi n’est pas

Lakhdar Hanou Quintet

incompatible)… comme le précédent, Turbo

Les doigts teintés

Baléti. Les premières chansons font penser au Còr de la Plana (entre dub et polyphonies

Enfin l’album attendu de Lakhdar Hanou! Ce

énervées) mais très vite les rythmes chaloupés

musicien a joué avec Kafila, et aussi dans la

(cubains, colombiens, africains et autres métis-

deuxième mouture de Mosaïca, et avec bien

sages afro-occitans), comme Laurent Cavalié

d’autres musiciens, mais il n’avait jamais constitué

les aime, en composent la majeure partie. Lau-

jusqu’à ce jour un groupe qui porte son nom.

rent Cavalié, infatigable créateur de groupes,

On entend diverses influences ajoutées à sa

nous propose ici un ensemble de chansons qui

double culture maghrébine et orientale, peut-

vont du répertoire traditionnel languedocien à

être une pointe de tzigane parfois…

ses propres compositions, en passant par un

Les titres El Insan Kamil ou Les doigts teintés mon-

texte de Max Rouquette et un « hymne » final

trent l’habileté de Lakhdar Hanou à cet instru-

écrit par Auguste Fourès, poète chaurien du

ment-roi du monde arabe, l’oud, passant tour à

siècle. La voix est chaude et cordiale

tour de l’égrenage d’échelles au glissando (tech-

XIXe

comme d’habitude ; il y a des trouvailles musi-

nique peu répandue, mais il est vrai qu’il se dit

cales, et surtout une évidente économie de

volontiers «fusionneur d’identités»). Quant à Alza-

moyens ressort de ce groupe : la base instru-

pua, c’est un hommage à Salvador Paterna, «guita-

mentale se résume à un accordéon, un tam-

riste et oudiste flamenco». Mais au-delà, l’auditeur

bourin, une grosse caisse. C’est tout. Se

ressent comme une évidence, sa capacité à s’en-

greffent dessus la voix lead de Cavalié et les

tourer d’excellents musiciens: Raphaël Sibertin-

deux autres voix en complément. De ceci une

Blanc au violon, qui a constitué avec Ümit Ceyhan

grande énergie se dégage, et l’aide de La Mal

(qui est aussi l’ingénieur du son de cet album) le

Coiffée pour le dernier morceau (l’hymne en

groupe Yol Hikâyesi, Fanette Mercier au violoncelle,

question) fait finir le CD par un climax.

qu’on aimerait entendre plus souvent, peut-être,

Mais était-il vraiment nécessaire de chanter

dans cet album, tant cet instrument peut parfois

Pastel n°65 - avril 2010


Familha Artús Drac Il y a longtemps qu’une telle invention n’était plus attendue dans le fonds néotraditionnel occitan (hormis des ovnis comme Manu Théron ou Christophe Rulhes)… enfin la musique occitane décolle ! Ce groupe trad aux cultures rock et électro bien prononcées apporte un bonheur de fluidité de jeu, de combinaisons rythmiques… La dramaturgie est surpuissante (Dehens la vila de Bordèu) et littéralement expressionniste. On pense à ces sagas musicales qui ont émaillé le folk des années soixante-dix, de Steeleye Span à Malicorne, largement influencées par le rock progressif… mais ici le tissu se fait expérience, la narration engagement… Capitèni Salias, sorte de manga ethniquebruitiste, est expliqué dans le pdf à télécharger (www.familha-artus.com) par une phrase lapidaire ponctuée d’un simple « groovy », sans doute pour dédramatiser l’argument (un officier qui embroche cinquante ennemis d’un seul coup d’épée)… Même Cantem en allegressa, compte tenu du sujet et du genre (un chant de Noël en latin et en occitan mélangés), revêt une forme contemporaine, faisant apparaître une sorte de surnaturel sonore, donnant peut-être vie à l’archange Gabriel, qui sait ?… dans un univers où la flûte à trois trous se serait enfin affranchie de toute harmonie classique et convenue, suivi d’un magnifique chorus de vielle à roue électroacoustique (il n’y en a pas assez à mon goût !). La Gala est un prétexte à manifeste (en creux !) : au milieu de la chanson a été glissé un texte de Félix Arnaudin de 1912, reprenant l’abbé Grégoire et qui commente en substance l’aspect dit primaire de la culture gasconne…

Les rares instrumentaux de ce CD (c’està-dire les morceaux non motivés par un chant) révèlent eux aussi une vraie consistance, un discours d’énergie pure et inoubliable. Il est sûr que les morceaux n’ont pas le format commercial des radios (entre cinq et dix minutes pour la plupart), faux départs, gimmicks électro et voix sursaturées forment la matière de cet album. Et la répétitivité de la machine trouve son écho dans le répertoire béarnais/landais/gascon, comme si le destin de la musique traditionnelle avait trouvé ici son aboutissement ; et en terme d’aboutissement ce groupe a bien tracé sa route depuis son premier album en 2003 : j’avais à l’époque dans ces colonnes parié sans hésitation sur le talent de la Familha Artús. Je réitère, persiste et signe. Et ce Dragon est si éloquent que je n’insisterai pas lourdement cette fois sur le choix typographique douteux de l’emballage (en général on n’utilise pas la police Eccentric pour rendre des textes lisibles). En revanche, le clip de la chanson A la bòrda est une petite merveille de stopmotion, réalisé par Timo Hateau et visible sur www.youtube.com/user/ familhaartus . cd, vinyl, et numérique - FZM036 - 2010 Collectif Ça-I www.ca-i.org / Pagans www.pagansmusica.net

Pastel n°67 - avril 2011


Daniel Loddo L’épopée du rock noir « Carmaux, un nouveau Liverpool » ? « Retracer l’itinéraire du projet rock de Carmaux revient à raconter l’histoire de toute une révolution culturelle dont on mesure mal encore les répercussions au niveau de l’évolution des mentalités et de la vie artistique. » Le « rock noir » est une métaphore pour exprimer la mouvance des musiques actuelles en pays minier. L’association Rocktime et le festival pluriannuel (Summer, Winter, etc.) de Carmaux (Cap Découverte) sont la résultante d’une aventure qui a commencé à la fin des années 60, et Daniel Loddo la retrace avec une documentation impressionnante. Les principaux acteurs comme Michel Besset s’y expriment largement. Ce dernier a rencontré Michel Grèzes (acteur décisif, aujourd’hui décédé, et qui résidait à quelques kilomètres) par articles du magazine Actuel interposés ! L’« épopée » est traitée avec forces détails, mais tous ces détails sont indispensables pour reconstituer non seulement cette histoire, mais aussi et par extension toute la génèse du rock en France ! Où il raconte que Toulouse était

dans les années 70 la ville la plus « chaude » de France (dans les concerts on rentrait en force…), où l’association Tartempion (qui était aussi un fanzine) est l’un des tout premiers réseaux militants organisateurs de concerts… Il faut dire qu’à la « fin » du rock n’roll, il n’y a pas grand chose à se mettre sous la dent : la « variétoche » tourne à pleine puissance, et seuls les réseaux alternatifs proposent de la musique créative et de qualité. Gong, Magma, et bien d’autres seront largement promus par ce type d’organisation. Ce livre est passionnant car absolument tout ce qui s’est fait de nouveau et d’intéressant en Midi-Pyrénées dans ce domaine est évoqué. Certes, Daniel Loddo y glisse quelques-uns de ses domaines de prédilection comme l’identité culturelle, mais sans s’apesantir. L’association Rocktime a une histoire relationnelle intime avec plusieurs groupes. Et Michel Besset aime à dire que Carmaux est la ville de Magma. Je sais qu’il exagère à peine, pour avoir connu personnellement le grand dynamisme musical du Tarn des années 70 (j’étais lycéen à Gaillac puis à Albi et je peux dire que les concerts organisés par ces structures ont largement construit les gens de ma génération). Je recommande chaudement cet ouvrage à tous les amoureux des aventures musicales. De « L’An 01 » de Gébé à l’impact territorial du Summer Festival, en passant par Xavier Vidal et le groupe Potemkine, ou par Éric Lareine, Ange, Léo Ferré, le terreau communiste, la musique psychédélique, le rock alternatif… un maillage très dense émerge de ce livre, et pose de nombreuses questions, comme celle du bénévolat, ou du cloisonnement des goûts du public, ou par extension, de la culture de masse… CORDAE / La Talvera, novembre 2007. GEMP 62

Pastel n°61 - avril 2008


Du Bartàs Es contra ta pèl « Chansons populaires mélodramatiques », est-il précisé sur le site de Du Bartàs… Mais sur un fond de « no future », Plantarem de pastèca, chanson hédoniste qui prône une décroissance décomplexée, donne l’ambiance du disque : les chansons à la gloire du nectar de Vitis vinifera et de la fête ne manquent pas, et une large place est donnée à la voix et au parler cru… les désormais six protagonistes de ce groupe ne se contentent pas d’être de sacrés instrumentistes… ils chantent tous. Globalement, cet enregistrement donne une impression sud-américaine (mais le charango y est pour beaucoup) où, comme dans le disque précédent, les intonations mondines3 sont très présentes… la nouveauté étant un apport arabo-andalou bien venu ! La chanson Adieu-siatz ma maire raconte le tirage au sort de la conscription à l’époque napoléonienne : il est toujours intéressant – et savoureux ! – pour moi, qui n’ai jamais entendu parler le languedocien que par mes compatriotes4 et en particulier par les membres de ma famille, d’entendre un chanteur maghrébin (ici Abdel Bousbiba) utiliser cette langue : elle se pare tout d’un coup d’un ethos assez éloigné de nos campagnes… Le juron « macarèl de dieu » prend un tout autre son ! (mais d’autres se sont déjà essayés à la langue occitane également avec bonheur, comme Hayet Ayad…).

Les chansons aux accents contestataires côtoient les airs de fête, parfois rassemblés en un, pour évoquer notamment ces réfugiés républicains espagnols qui ont chanté toute la nuit quand « lo Franco a crebat enfin » dans un quartier de Carcassonne… Mais l’œuvre est parfois inégale : des chansons (par exemple Quand on se retrouve) très typées « variété » (ou pire : « chanson française » – oui je sais je suis intraitable sur ce sujet) côtoient sans complexe de vraies merveilles comme Louis Barthas caporal tonnelièr pacifista, ou Es contra ta pèl, dans lesquelles l’invention de Laurent Cavalié prend tout son sens : arrangements intelligents, polyrythmie juxtaposée… encore l’influence maghrébine en action !… sans parler de la langue qu’il manie avec une certaine aisance. Mais pour moi ce qu’il a réussi dans ce disque (outre – insistons là-dessus ! – d’accorder une belle place au violon alto de Bousbiba), c’est de lier des chansons d’amour à des rythmes où on ne les attend pas forcément : comment peut-on raisonnablement évoquer les premiers baisers d’une rencontre, réputés fragiles, abandonnés… en une frénésie de tarentelle ?… pari gagné, en faisant devenir chèvre… Sirventes, L’autre distribution, 2012 www.myspace.com/dubartas www.sirventes.com/index.php?/ Musique/du-bartas.html 3. Les mondines étaient les travailleuses saisonnières dans les rizières en Italie jusque dans les années cinquante ; elles ont créé entre autres le célèbre Bella ciao, qui est devenu un chant de résistance.

4. Ce n’est pas vraiment le mot approprié, l’Occitanie n’ayant jamais existé en tant qu’État, et a fortiori en tant qu’état colonisateur… À part peut-être pour la « colonie » du comté de Toulouse à Tripoli en Syrie, qui aura duré quasiment un siècle… mais ça remonte au Moyen Âge…

pastel-revue-musique.org - juillet 2012


Kat Ça-i Folk Off ! « Kat ça-i est [pour les Baudoin] un laboratoire d’expérimentation autour de leur pratique, une récréation publique basée sur le plaisir de se retrouver pour créer une musique ethnique, directe et efficace. Travailler du spécifique vers l’universel c’est savoir d’où l’on vient pour savoir où l’on va ! » A priori voici un disque de danse traditionnelle et de chants à danser. Dès le premier morceau l’auditeur entend un bourdon frappé (le tamborin) ; jusque-là, normal… la fondamentale est là, rassurante. Puis tout à coup une vielle nous assène (d’une roue volumineuse bien sentie) d’une quarte augmentée sur ce même bourdon pendant deux bonnes mesures… (attention les oreilles !) bon, d’accord, pour résoudre enfin sur la tierce majeure. Ouf ! on revient de loin… Mais c’est qu’il est question ici de faire de la musique expérimentale… et l’oreille n’est pas au bout de ses surprises : trilles, grincements, sorties fréquentes du mode sans vergogne… sont monnaie courante du disque. D’autant plus que peu à peu on s’aperçoit qu’en fait ce premier chant (Quan jo èri filha a marider) n’était pas en lydien mais simplement en mode mineur ! Je n’insisterai jamais assez sur le talent de Roman et Matèu Baudoin : ils réussissent pleinement une adaptation audacieuse du répertoire gascon avec leur culture alternative. Dans ce premier morceau, précisément, le

fait de lier le vers « Que l’aiga s’èra troblada, ailas !… Que l’aiga s’èra troblada » à une ambiance électronique produite par des pédales d’effets qui rappellent de loin en loin les ondes Martenot provoque immanquablement une image très forte, tragique, presque désespérée… en parfaite adéquation avec le chant ; et j’affirme que tout le disque (qui est censé être une simple récréation, ne l’oublions pas !) respire cette atmosphère pathétique, et même sur les morceaux instrumentaux, qui constituent la majeure partie de l’enregistrement. La volonté d’opérer une rupture avec les convenances du bal, à l’aide notamment de la recherche sonore, provoque une manifestation inédite d’expressions que, répétons-le, la musique de culture occitane devrait plus explorer ! Et puis tout comme dans la formule étendue (la Familha Artús) de ce duo il y a affranchissement évident des conventions harmoniques : la musique modale est utilisée comme un support avec la même culture que dans les musiques de rave. Cependant certains morceaux (Monenh, Le Long Du Rivage…) dévoilent un retour aux sources des tempéraments qui « frottent » : c’est un pur bonheur que d’entendre par exemple dans l’instrumental Monenh des gammes qui n’existeront jamais sur un piano… on se sent libre. La répétitivité de la musique traditionnelle qui constitue un des piliers de ce support de danse vole ici en éclats, comme, j’imagine, les crins du violon de Matèu à force d’appuyer l’archet sur ses cordes ; mais il est question ici d’expression pure, à n’importe quel tarif de reméchage, et c’est tant mieux pour notre oreille. Pagans, 2012 www.katcai.com http://pagansmusica.net/album/folk-off

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Brotto-Lopez Le bal Tous les morceaux se dansent ! c’est la moindre des choses pour assumer ce nom d’album… sous-titré en fin de livret « l’album des 10 ans ». Et comme un achèvement symbolique (en l’occurrence une décennie) se doit d’être fêté, on n’a pas lésiné sur les moyens : nous avons là un disque d’une haute tenue, avec un foisonnement de participants, comme pour signifier une convivialité liée à l’objet même de l’enregistrement : le bal. JoanFrancés Tisnèr, Xavier Vidal (entre autres au trombone, mais oui !), les Baudoin, Éric Fraj, Guilhem Cavaillé, Camille Raibaud (magnifique duo d’impro aux violons – trop court – sur le titre 1 !)… et bien d’autres pas moins valeureux. Et tout ceci sans être bavard… Guillaume Lopez rend enfin une belle autonomie à sa voix (comme si elle s’était libérée d’une tradition trop longtemps enchaînée), de même qu’à sa créativité : joyeux mescladis de rap, scat, beat-box… et la racine « Madier » n’est pas si loin ; il nous livre un paquet d’envolées, qui d’après la photo du livret suscita une garde à vue par la Brigada de la Regalada… La rencontre avec Tisnèr ou avec Matèu Baudoin produit une belle complémentarité, toujours au niveau de la voix, et l’hésitation entre une technique vocale ancestrale et une prise de position « variétés » assumée donne, ma foi, un son assez inédit. Rajoutons son talent de plus en plus

manifeste à la flûte traversière, « le seul instrument avec lequel je suis fier de mon son », confie-t-il à Dominique Regef dans nos lignes… Cyrille Brotto, quant à lui, reste fidèle à lui-même au diatonique, très efficace dans une expression rythmique discrète, et inspiré comme toujours (La Candèla…) ; l’exfiltré de Gadalzen nous régala en son temps de belles compositions, il persiste. Le fait de vouloir à tout prix jouer une musique « fonctionnelle » est affirmé par un beau texte d’Éric Fraj dans lequel le bal est « la recherche collective d’un destin, l’invention d’une intrigue qui se noue à plusieurs… », en fait une manière de marteler peut-être une position anti-académique (« le bal est un désordre » – traduisant ici le mot rambalh, qui pour moi évoquerait plus l’idée d’un vacarme), ne serait-ce que pour rencontrer des univers inattendus… une musique qui se vivrait plus qu’elle ne s’écouterait… L'autre distribution, 2012 www.lecamom.com

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Tres Musiques & chants des contreforts du Massif Central TRES (« Trois » en occitan) est un groupe clairement orienté « chants à danser » – même si quelques-uns de l’album ne le sont pas forcément – et qui gravite autour de la voix de Marianne Evezard. Nous avons là affaire à de véritables virtuoses : Basile Brémaud restitue magistralement une tradition violonistique auvergnate, tandis que Jéròme Liogier Elsener roule une vielle limpide et efficace. Hervé Capel donne du rythme à l’ensemble par son accordéon chromatique, mais pour moi se borne trop souvent à ce rôle d’accompagnateur, même si parfois on sent que c’est pour mieux décomposer telle cellule rythmique ou pour introduire telle harmonie inattendue, tirée certainement d’une culture jazz… L’album révèle de belles recherches et des arrangements intelligents ; certains chants sont inédits, mais la plupart, déjà édités ailleurs, viennent de collectages divers depuis les années soixante (mission Aubrac, Éliane Gauzit et Pierre Laurence, La Talvera, Olivier Durif, Nicole Coulomb…). Le chant Cançon dels missonièrs à seize couplets – presque une épopée – a été habilement arrangé comme une sorte de tableau synoptique, un historique condensé de la musique traditionnelle… qui débuterait par un long bourdon, introduisant la modalité ; puis progressivement apparaît l’harmonie, en même temps que l’accordéon, puis le rythme prend le dessus, etc. Mais tout cet équipage est sousjacent à une voix imperturbable, comme pour signifier que le chant n’a pas besoin

d’autre chose pour exister, au fond… Et Marianne Evezard est cette voix, surprenante, inspirée, mais aussi entêtante, certainement têtue, bien appropriée à ce type de répertoire. Le chant est toujours juste (à tous les niveaux), et très ambitieux, car il est omniprésent (puisque projeté sans cesse devant l’instrumentarium), et aussi parce que chaque chanson est fortement vécue : Marianne possède ce talent de transmettre le drame récurrent de la mal mariée, de la jeune fille obligée de prendre le voile, ou encore du fils du roi qui s’éprend de la jeune paysanne… Mais la dramaturgie joue également là où elle n’a pas forcément lieu d’être, sur des sujets plus légers… En revanche, des essais (trop rares !) d’exploration vocale (Vòle Pieron, ma maire) pointent timidement, et on aimerait que cette piste soit plus creusée, car elle paraît prometteuse. Mais le parti pris est celui d’une certaine tradition vocale, qui utilise une gorge solide, quitte à légèrement « masculiniser » un timbre pour pouvoir se faire entendre d’une vallée à l’autre (dit-on)… C’est le genre de tradition que l’on peut retrouver dans maints endroits en Europe, et qui fait mouche dans le choix de ce répertoire. Le savant mélange d’intonations napolitaines et de collectages occitans nous fait rappeler la géniale Fausta Vetere (Nuova Compagnia di Canto Popolare) aussi bien que Françoise Dagues dans l’intention vocale de Marianne Evezard. Et ce choix probable d’inspirations la transporte avec bonheur. Un mot enfin sur le design graphique de l’album (et par extension, puisqu’il est éponyme, de l’identité visuelle du groupe) : ce n’est pas si souvent que le thème de l’ambigramme est utilisé dans les milieux de la musique traditionnelle ; il faut donc saluer cette œuvre signée Frédéric Wojcik. AEPEM, 2012 www.aepem.com http://tresmusique.wordpress.com

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Sophie Cavez & Baltazar Montanaro Escales Le violon et l’accordéon diatonique sont les espèces les plus répandues dans le biotope trad. À l’opposé, le uillean pipe, par exemple, compte peu d’adeptes en France ; dès lors il paraît plus facile pour un piper de sortir du lot. Quant aux autres (les joueurs des instruments les plus répandus), il faut bien faire du chemin, travailler dur, ne jamais s’avouer vaincu… Ces deux jeunes musiciens semblent avoir répondu à ces exigences et à mon avis sont bien partis pour se tailler une jolie carrière dans le néo-trad, grâce notamment à une belle virtuosité qui sert la simplicité : « J’aime cette musique parce qu’elle est simple, elle n’est pas facile, mais simple (…) » (Baltazar Montanaro). Effectivement, pour moi, c’est une musique dénuée de questionnements inutiles, elle va à l’essentiel et l’auditeur la reçoit telle quelle, sans essayer de démêler le pourquoi du comment (c’est normal, ces questions ne préexistent pas ici). On sent bien malgré tout l’ensemble d’influences relativement récentes (j’entends des parfums de Blowzabella…) ou plus intemporelles, comme par exemple le répertoire tzigane roumain. Leurs compositions me rappellent parfois un certain courant répétitif d’avant-garde, mais la charpente sur laquelle elles s’appuient demeure assez conventionnelle : au cours de l’écoute, l’harmonie qui présage souvent une nouvelle forme reste assez classique, malgré quelques dissonances « bartokiennes »

bien senties : on pense au plus célèbre des ethnomusicologues à travers ses duos de violon inspirés des danses ou des berceuses de Hongrie… Et, à ce sujet, les compositions de Sophie Cavez ont une configuration qui interpelle : elle paraît affectionner tout particulièrement les rythmes dissymétriques et composés, ce qui au demeurant constitue l’un des outils de base de ce jeune duo. En parallèle, les aksak en 9/8 ou 7/8 n’empêchent pourtant pas les « notes de velours » dont parle Didier Mélon (de la radio RTBF). Mais « l’Orient est grand », nous répètera certainement Jacky Molard, et Montanaro et Cavez n’ont pas fini d’explorer les musiques d’Europe Centrale : ils nous apportent des échantillons tous azimuts qui toutefois constituent le matériau très cohérent de cet album. Les inventions ne se bousculent pas encore – les passages « expérimentaux », comme par exemple dans le morceau Ninja Fornicka avec une expression du pizzicato en questionnement constant, osent à peine se dessiner – mais on sent poindre une liberté qui, j’en suis sûr, va finir par être la compagne de route du duo. Baltazar Montanaro a travaillé son propre son dans le sens du bois, pourrait-on dire, une de ces essences rustiques et rectilignes à la fois ; tandis que Sophie Cavez, même si elle nous offre généreusement de belles lignes mélodiques, semble désirer très fort rester dans un rôle rythmique omniprésent (à mon avis elle a grandi avec un métronome dans le berceau), et c’est heureux. Mais là où le duo s’exprime le mieux, apparemment, c’est en public : la dernière plage est une série de prises en live, et on les devine (pour l’instant !) infiniment plus à l’aise que dans un studio… Appel Rekords, 2012 Enregistré et produit par la RTBF, Le Monde est un village www.duomontanarocavez.sitew.com

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