Article de fin d’études:
L’expérience ARTI CIVICHE à Rome et le collectif STALKER
École nationale supérieure d’architecture de Normandie, Séminaire de recherche: Histoire de l’architecture et de l’urbanisme, Élaboré par l’étudiant Yann BEUZIT, Sous la direction de Mme Maniaque, M. Gourbin, M. Labrunye et M. Renault.
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SOMMAIRE:
Introduction Actes: 1.
La création d’un groupe autour d’un élément fondateur: le bambou de 12m,
2.
Rencontres menant un lieu: Civico Zero,
3.
La création d’une agora, lieu de parole pour le laboratoire: Spin Time,
4.
Atorno a Termini: autour de Termini (Découverte d’un lieu complexe, porte d’entrée
centrale mais aussi lisière de la ville.),
5.
La stèle de la citoyenneté planétaire,
6.
Marche vers les limites de la ville,
7.
L’échange libre vers les «autres» au travers d’un acte personnel artistique, social, sociologique,
Conclusion Bibliographie Annexes Page 2
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Notions intercalaires:
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STALKER: genèse, histoire, manifeste, STALKER, le film,
Le concept de la promenadologie,
Théorie de la dérive de Guy DEBORD,
«Terrain vague: une île intérieure inhabitée. Improductive et souvent dangereuse, à la fois en marge du système urbain et partie constituante à part entière. Le vide c’est aussi bien l’absence, mais aussi [...] l’espace du possible.»¹ Ignasi De Solà Morales
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1 CARERI francesco, Walkscapes - la marche comme pratique esthétique, op. cit, P45, in De SOLÀ MORALES Ignasi, «urbanité interstitielle», Inter art actuel, n°65, 1995, P27-28
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INTRODUCTION:
Ce mémoire tente de rendre compte de l’expérience vécue au sein du laboratoire expérimental Arti Civiche issue du groupe STALKER. Cette expérience s’est déroulée de mars à août 2018 à Rome aux côtés de Francesco Careri, directeur du laboratoire Arti Civiche et membre fondateur de STALKER. Arti Civiche, signifiant en italien arts civiques, est un groupe de recherche interdisciplinaire fondé en 2011, qui vise à interagir de manière créative, avec les habitants des espaces parcourus par le biais de recherches et de projets d’action. Le laboratoire se résume à une suite d’exercices abstraits menés dans l’espace réel hors des musées et salles de cours. Ces expériences ont toujours eu lieu au sein de notre sujet d’étude à savoir la ville si bien que celle-ci a fini par devenir notre atelier. Le laboratoire Arti Civiche, dont de nombreux événements sont liés directement à STALKER, s’intéresse par des études et des projets aux quartiers informels et les espaces occupés par des squats à Rome. D’autres projets ont été axés sur l’accueil et le logement des réfugiés et migrants ainsi que sur l’urgence du logement dans les villes contemporaines. Ces espaces sont également étudiés en prenant comme entrée les possibilités de construction de soi, la re-création, la réappropriation d’espaces publics et la possibilité de recréer une nouvelle communauté en rupture avec la société capitaliste. Ce laboratoire cherche au travers de la marche et de l’exploration des lieux en marge de la ville, à révéler une nouvelle morphologie de la ville
faite de plein et de vide où les vides sont des lieux à part entière bien que peu de personnes ne les considèrent ainsi. Ces lieux marginalisés sont vides au sens physique mais sont plein de potentialités, de sens pour quiconque ose se mettre «en danger» pour franchir la limite et de découvrir un monde à part, autonome dont l’organisation bien que peu évidente est réelle, crée par des individus initiés à ces lieux. Cette organisation peut se matérialiser par un trou dans un grillage suivi d’un sentier au milieu d’espaces en friche menant à un bâtiment à l’abandon mais dont quelques signes montrent qu’à certains moments des personnes l’utilisent encore. Le chemin mène ensuite à un tas de gravats permettant de surpasser un mur, de traverser une rue perpendiculairement puis de pénétrer à nouveau dans un lieu en marge. Ainsi il existe, dans la ville, un système secondaire, invisible, de chemins, routes, circuits, bâtiments, presque un monde parallèle fonctionnant en étroite relation avec la ville mais dont la plupart des personnes n’ont pas conscience. La rencontre avec les personnes initiées à ces espaces permet de sentir, découvrir la complexité des villes et ses composantes sociales, urbanistiques et artistiques. Page 5
Ces marches nous emmènent à la rencontre de lieux particuliers où l’organisation de la vie à l’intérieur n’attend rien de l’extérieur, de l’administration ou du secteur privé. Ces lieux autogérés sont une nouvelle réalité sociale où les décisions sont prises en assemblée, les tâches faites à tour de rôle, la sécurité organisée au sein de la communauté. Ces lieux accueillent des familles, des locaux pour la santé, l’éducation, la protection des travailleurs, des ateliers artisanaux mais aussi une vie culturelle faite de conférences, concerts, expositions artistiques... En somme ces lieux cherchent à créer une nouvelle réalité, société en rupture avec celle de l’extérieur. Ce laboratoire universitaire utilise une méthode à part afin de remplir ses objectifs, qui sont pour la plupart flous et où chaque individu se forge sa propre vision de l’enseignement et ce vers quoi il veut diriger son travail. Une richesse commune naît de la diversité initiale encouragée par les intervenants, le laboratoire cherche également à former une communauté au sein de l’enseignement mais également avec les personnes rencontrées fortuitement ou bien gravitant avec nous autour de notre sujet d’étude qu’est la ville dans toute ses composantes et la vie qui y prend place. Cette méthode pédagogique utilise, pour parvenir à ses objectifs, le concept de la promenadologie1, 1 La promenadologie, fondée dans les années 1980 par Lucius et Annemarie Burckhardt, a pour but de percevoir l’en-
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qui considère de manière scientifique le fait de se promener, d’arpenter au sein d’espaces urbains sans aucune trajectoire définie auparavant, en étudiant, en observant et se laissant diriger par les faits, les obstacles, les vides, les territoires abandonnés, les interstices, et tout autres espaces suscitant l’intérêt du promeneur, du scientifique, de l’artiste. Même si la marche débute sans objectif précis, elle doit tout de même être motivée par une question, une volonté et un cadre scientifique à savoir l’écologie, au sens premier, venant du grec oikos (demeure, habitat) et lógos (science, discours)2 : c’est la science de l’habitat. L’habitat est considéré ici comme étant la ville dans son ensemble. A la différence de l’errance, la promenadologie n’est pas un vagabondage sans départ ni objectif mais une découverte des objectifs durant la marche elle-même permettant d’aborder les espaces de la ville sans préjugé, sans conception prédéfini.
Ce travail n’a pas comme objectifs de
vironnement d’une nouvelle manière et de prendre conscience du fait « que le paysage ne doit pas être recherché dans les phénomènes de l’environnement, mais dans les têtes des observateurs » (Lucius Burckhardt, Warum ist Landschaft schön, Die Spaziergangswissenschaft. Berlin 2006, p. 33). Source: http:// www.raumforschung.ch/web/fr/promenadologie/ (consulté le 10/12/18) 2 Le terme écologie (du grec oikos, demeure, et logos, science) a été proposé par Ernst Haeckel en 1866 pour désigner la science qui étudie les rapports entre les organismes et le milieu où ils vivent. Source: https://www.universalis.fr/encyclopedie/ecologie/ (consulté le 09/12/18)
retracer l’origine de ce laboratoire et son histoire puisqu’il existe de nombreux écrits et conférences sur STALKER (collectif d’architectes, urbanistes, artistes, scientifiques) à l’origine du laboratoire d’arti civiche. Ce mémoire cherche à rendre compte de l’expérience vécue dans ce laboratoire et de l’enrichissement obtenu. Cet enrichissement possède différentes facettes, la première, comme on pourrait l’attendre d’un enseignement au sein d’une faculté d’architecture, est en lien avec la ville et la compréhension complexe qu’est ce milieu géographique et social régit par un ou plusieurs systèmes plus ou bien défini regroupant une multitude de personnes, intervenants et lieux différents. Une seconde facette de cet enrichissement est le côté social, civique, de cet enseignement puisque durant 6 mois nous avons pu rencontrer de nombreuses personnes aux situations extrêmement différentes: sans abris, réfugiés, travailleurs sociaux. Mais aussi de nombreuses et diverses personnes dans la rue qui ont nourri notre travail au sein du laboratoire mais aussi construit ou développé notre vision personnelle de la ville et des personnes y vivant. L’ultime facette de cet enrichissement est la partie artistique à savoir le fait de transformer la marche en outil scientifique mais aussi acte/œuvre artistique.
le livre «Walkscapes - La marche comme pratique esthétique» de Francesco Careri, membre fondateur de STALKER et directeur du laboratoire arti civiche. Ce livre nous permettra de comprendre les enjeux de ce laboratoire, sa philosophie et son enracinent historique. Le film Stalker de A. Tarkowski, est également un élément important dans la compréhension de la vision que le groupe éponyme STALKER a de la marche, c’est pour cela que nous nous appuierons sur cet élément. Pour finir, afin de répondre pleinement à la problématique nous utiliserons mon expérience personnelle au sein du laboratoire Arti civiche. Afin de rendre compte de l’expérience, ce mémoire sera structuré sous forme d’actes, qui, s’enchaîneront dans le même ordre que lors du laboratoire. Ces actes sont autant d’événements qui ont ponctués ces six mois d’expérience et m’ont permis d’appréhender les concepts liés à ce laboratoire et au groupe STALKER mais aussi m’ont permis de développer une vision nouvelle de la ville, de la société et de l’architecture.
Afin de répondre aux enjeux exposés précédemment, nous utiliserons principalement Page 7
Comme énoncé précédemment dans l’introduction, le plan de ce mémoire ne s’organisera pas sous la forme classique de grandes parties traitant d’aspects différents le sujet étudié. Il s’organisera sous forme d’actes issus d’événement vécu. Ces actes seront racontés les uns à la suite des autres comme une «promenade», une «marche» menant à la compréhension claire et complète de l’expérience au sein du laboratoire Arti civiche. Cette «promenade», afin d’apprécier dans son ensemble le thème du sujet abordé, sera entrecoupée de pages distinctes permettant d’apporter des informations complémentaires (historiques, théoriques, artistiques, sociétales) en lien plus ou moins direct avec le laboratoire arti civiche et le monde avec lequel il gravite.
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Actes: 1.
La création d’un groupe autour d’un élément fondateur: le bambou de 12m.
Afin de créer un groupe, formant le laboratoire Arti Civiche, une invariable nécessaire est toujours un élément fondateur. Pour nous, ce fut un bambou mesurant 12m de long mais comment un bambou peut permettre de former un groupe et dans quel but ? Sans réelles informations nous avons pris part à ce cours ou cette absence de cours puisque nous savions seulement que nous allions marcher dans la ville mais en aucun cas que nous allions l’étudier et encore moins par le prisme des vides, ces lieux marginalisés de la ville. Deux règles ont été établies dès le départ: interdiction de faire demi-tour et non respect du concept abstrait de la propriété privée. Pour la première marche nous devions traverser Rome, son centre historique et ses rues étroites transportant un bambou d’une douzaine de mètres de long, où chaque obstacle (mobilier urbain, voiture, barrière) devient un élément mobilisant chaque individu du groupe permettant de le surpasser et ainsi former progressivement l’esprit du groupe.
Arrêt dans la marche à côté de la gare de Termini avec le Bambou auprès Surpassement d’un obstacle à savoir une voiture, pour d’un camp dans sans domicile fixe. (2018) cela édification d’un pont avec le Bambou. (2018)
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En soi, le bambou lui-même formait le groupe car compte tenu de son poids et son encombrement nous devions nous fédérer pour nous déplacer dans l’espace urbain. Le bambou met donc en forme le groupe, tente de créer une communauté mais permet aussi de susciter des interrogations chez les personnes rencontrées lors de notre parcours et ainsi échanger, créer du lien avec les personnes formant notre environnement d’étude. Ces pérégrinations nous ont menées à rencontrer un groupe de jeunes et leurs accompagnateurs dans un parc. Ces jeunes, migrants venu d’Afrique et du Moyen-orient, faisaient partie d’un centre d’accueil de jour pour mineur. Après avoir présenté notre «projet», ils nous ont accompagnés, portant le bambou à nos côtés, nous conduisant vers leur local où nous avons échangés avec eux. Le bambou permet donc de créer un groupe mais aussi d’interagir avec les personnes gravitant autour de nous, avec d’autres groupes et ainsi avoir une connaissance plus complexe de la ville, des personnes y vivant et donc de la société romaine.
2.
Rencontres menant un lieu: Civico Zero
Le bambou comme outil d’exploration de la ville nous permet d’analyser la ville de manière différente, sa taille, son poids sont des obstacles intrinsèques à l’objet, il nous oblige à prendre en compte la morphologie de la ville, des rues et de tous les obstacles qu’elle pourrait contenir. Nous avons pu voir que le bambou avait un rôle fondateur et un rôle de médiation, ce rôle de médiation nous a amenés à rencontrer des migrants mineurs accueilli dans un lieu faisant office de centre d’accueil de jour. Ce lieu, Civico Zero, non loin de Termini notre quartier d’étude, nous a permis de découvrir l’aspect social de ce quartier. Au sein de ce lieu sont proposés aux jeunes des activités comme de la photographie, de l’art, de la cuisine mais également des cours de langue mais aussi une aide administrative et juridique. Ce lieu regroupe une richesse de culture insoupçonnée dans une rue banale de Rome. Nous avons donc pu échanger avec eux, partager un repas. Au mur était épinglé une carte du monde, présentant Rome avec Civico Zero et une multitude d’autres points dans d’autres pays montrant où s’étaient établies les personnes de passage au centre d’accueil. Nombres de personnes étaient arrivées en Allemagne, Danemark, Angleterre mais aucune ne s’était installée en France... Manque d’attractivité ? Politique pas assez enclin à l’accueil ? Cette première rencontre, pleine de sens et d’intérêt, sera le point de départ d’autres actes. Page 10
STALKER: genèse, histoire, manifeste. Stalker est un collectif né en 1990 à Rome en Italie durant les grandes grèves étudiantes. Ces grèves avaient pour origine une loi visant à privatiser l’université, ce mouvement contestataire regroupait de nombreux étudiants à travers l’italie dont 13 000 au sein juste de la faculté d’architecture de Rome. Les fondateurs de Stalker, étudiants grévistes de l’époque ont mis à profit cette remise en cause des principes de l’université pour questionner, critiquer l’enseignement de l’architecture, très académique, «pensant que la ville est faite de monuments, alignements, perspectives»1 alors que les étudiants, parcourant, expérimentant la ville possédaient une autre vision de cet espace complexe. Les premières actions concrètes de Stalker datent de 19932, elles se caractérisent par la création de jardins3 «abusifs» (illégaux) au sein d’espaces abandonnés marginalisés comme les nœuds routiers, les friches, les décharges. Ces jardins ont eu comme effet de révéler ces espaces aux habitants, de les sortir de l’invisible et de ce fait est né, chez les riverains, la volonté de créer un véritable parc public. En 1995 sont organisés, les tours de Rome4, faisant apparaître le réseau invisible constitué d’espaces vides. Cette excursion a mis en lien des espaces vides pouvant sembler exister tels que des tâches isolées révélant ainsi un véritable système urbain. Ces dérives tentent de faire ressentir l’inconscient des villes, c’est à dire de mettre au jour les parties invisibles, abandonnées, spontanées, sans commerces ni réelle organisation. 1 Citation de Francesco Careri (membre fondateur de Stalker), Intervention de Stalker (Francesco Careri), Échelle inconnu, vidéo: durée 1h70, extrait: à 4.6 minutes. Source: https://www.echelleinconnue.net/flux.php?media=18 2 1993 (vivifiant). Pour une pratique environnementale des déchets - écrit à l’occasion du parc vivifiant illégal de l’ancienne zone industrielle Ostiense Marconi, Rome, juillet 1993. Source: http://articiviche.blogspot.com/p/ appuntamenti.html 3 Texte et photos de Stalker/laboratoire Arti Civiche présentant le parc illégal Vivilerive (vivifiant en italien), source: http://articiviche.blogspot.com/p/appuntamenti.html (consulté le 04/01/18). (cf annexe n°2) 4 Stalker, carte «Roma, Stalker attraverso i territori attuali, 5-6-7-8 ottobre 1995», présentant le parcours emprunté durant les tours de Rome et montrant l’aspect fractal de la ville de Rome. Source: http://articiviche.blogspot. com/p/appuntamenti.html (consulté le 04/01/18). (cf annexe n°3)
En 19961, est écrit le manifeste entérinant le mouvement et lui donnant un nom: Stalker. Ce nom est issu du film homonyme de A. Tarkowski sortie en 1979 magnifiant la transgression de la limite menant vers un monde différent, inconnu, dangereux, mystérieux: la zone, que l’on pourrait rapprocher des espaces marginalisés de nos villes actuelles. Cet extrait du manifeste défini les objectifs de Stalker mais aussi l’objet et le lieu de leurs travaux:
«
STALKER Percevoir l’écart, en accomplissant le passage, entre ce qui est sûr, quotidien et ce qui est incertain, à découvrir, génère une sensation de dépaysement, un état d’appréhension qui conduit à une intensification des capacités perceptives; soudain, l’espace assume un sens; partout, la possibilité d’une découverte, la peur d’une rencontre non désirée; le regard se fait pénétrant, l’oreille se met à l’écoute. LES TERRITOIRES ACTUELS Ils forment le négatif de la ville bâtie, les aires interstitielles et marginales, les espaces abandonnés ou en voie de transformation. Ce sont les lieux de la mémoire réprimée et du devenir inconscient des systèmes urbains, la face obscure de la ville, les espaces du conflit et de la contamination entre organique et inorganique, entre nature et artifice. Ici, la métabolisation des rebuts de l’homme par la nature produit un nouvel horizon de territoires non explorés, mutants et, de fait, vierges, que Stalker a appelés Territoires Actuels, soulignant par le terme actuel le «devenir autre» de ces espaces. «L’actuel n’est pas ce que nous sommes mais plutôt ce que nous devenons, ce que nous sommes en train de devenir, à savoir l’autre, notre devenir autre» (M. Foucault). De tels territoires sont difficilement intelligibles, et par conséquent aptes à faire l’objet de projets, du fait qu’ils sont privés d’une localisation dans le présent et par conséquent étrangers aux langages contemporains. Leur connaissance ne peut être acquise que par expérience directe; les archives de ces expériences sont l’unique forme de cartographie des territoires actuels.
»
Stalker, Manifeste, à travers les territoires actuels, 19962
1 1996 manifeste - écrit et distribué en photocopie. Exposition organisée par Emanuela de Cecco. Centre de documentation pour jeunes artistes / Galerie Care-Of. Milan janvier 1996 - publié en italien, français, anglais, espagnol et turc dans diverses publications. Source: http://articiviche.blogspot.com/p/appuntamenti.html 2 Source: http://www.osservatorionomade.net/tarkowsky/manifesto/manifestFR.htm
3. La création d’une agora, lieu de parole pour le laboratoire: Spin time Spin time est un ancien bâtiment administratif abandonné occupé qui était auparavant voué à la vente à un fond de pension américain nommé Blackstone possédant déjà une grande partie de l’ancien parc immobilier public italien. Ce bâtiment occupé est désormais habité par 130 familles de 20 nationalités différentes. Il accueille également des leçons d’anglais, espagnol, arabe et russe pour les habitants mais aussi pour les personnes de l’extérieur. Sont également présents, dans le bâtiment, des ateliers artisanaux produisant des meubles (dans le but de tendre vers l’autonomie), des locaux pour la santé, un auditorium recevant des conférences internationales ainsi qu’une salle de concert1. Cette nouvelle réalité sociale s’est développée dans ce lieu proposant une nouvelle société où toutes les décisions sont prises par la communauté, où les tâches ménagères sont faite tour à tour... En somme ce lieu abandonné est désormais un lieu complexe en dehors de la ville où le social est l’élément primordial et l’économie est remise à sa juste place. Dans ce lieu radicalement différent nous avons installé notre «agora», lieu de parole, d’échanges, d’organisation. Pour ce faire nous avons utilisé le bambou, élément récurrent de notre travail, tendu en hauteur dans la cour intérieure de l’édifice, nous permettant de suspendre une toile protégeant notre espace. Au sol nous avons étalé une couche de paille permettant de nous installer de façon informelle et ainsi échanger sur la direction que nous souhaitions prendre avec cette expérimentation proposée par Mr Careri. La création de ce lieu singulier nous a également permis de rencontrer des habitants, les personnes organisant le lieu, nous permettant d’en comprendre l’organisation. 1 SPINTIMELABS, photos des locaux, source: https://www.spintimelabs. org (consulté le 04/01/19), cf annexe n°4
Discussion au sein du laboratoire dans la cour de Spin time. (2018)
L’agora formé du sol de paille et de la couverture en toile. (2018)
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STALKER: le film. Le collectif Stalker tire son nom du film Stalker de A. Tarkowski datant de 19791. Ce film met en scène un passeur (le stalker) conduisant deux personnes d’une ville lugubre et sale vers un territoire inhabité, abandonné et dont l’accès est formellement interdit: la zone. L’intérêt de cette mystérieuse zone réside dans le fait qu’elle abrite une chambre permettant de réaliser tous les désirs des personnes parvenu jusqu’à elle. Plus que la miraculeuse chambre, le film présente plus particulièrement la mise en danger nécessaire à l’entrée dans la zone dont la frontière est gardée militairement et où les contrevenants risquent leur vie. La mise en danger débouche sur une marche guidée par les lieux, dans la zone le chemin n’est jamais une ligne droite menant à l’objectif mais un parcours complexe fait de nombreuses étapes, obstacles et où la temporalité surnaturelle renforce le sentiment d’égarement provoqué par la zone qui telle un personnage agit et régit le parcours des protagonistes. Dans la zone il ne se passe presque rien, seule la tension, la concentration des personnages nous font ressentir la possibilité d’un danger. Cette même tension nous habitant lorsque l’on pénètre un lieu interdit, à l’écoute du moindre son, scrutant le moindre mouvement. L’intemporalité des lieux, la perte du sens de l’orientation provoque une sorte d’évanouissement chez les visiteurs, les forçant à prendre des détours, interdisant le chemin le plus direct. Il faut donc premièrement se perdre pour ensuite se révéler, se libérer et trouver. Dans la zone un sentiment de vide est extrêmement présent, symbolisé par le silence plongeant les personnages dans une ambiance respectueuse, quasi religieuse. Toute légèreté est interdite, toute action doit être précise et doit respecter le rite mené par le stalker. La zone impose le fait d’être humble, elle ne laisse passer que ceux qui n’espèrent rien, il ne faut rien attendre en particulier. Le stalker possède le rôle de guide aussi bien physiquement, il guide le parcours vers et dans la zone, que spirituellement en révélant la vraie nature et les vraies attentes des visiteurs qu’il accompagne. Le stalker est donc le passeur vers un monde nouveau administré par un être hypothétique et supérieur. Les membres du collectif Stalker sont en quelque sorte des passeurs vers un monde d’espaces oubliés, marginalisés, ils les parcourent, les révèlent, voient les potentialités tandis que les personnes non-initiées voient les pleins mais ne prennent pas en considération les vides et la vie qu’ils abritent. 1 COQUART Jordane, Stalker ,Laboratoire d’Art Urbain, Rome, 1995, 2010. http://traac.info/blog/?p=538 consulté le 02/01/19
4.
Atorno a Termini: autour de Termini
(Découverte d’un lieu complexe, porte d’entrée centrale mais aussi lisière de la ville.)
Plus qu’un lieu ou un acte, Termini1 était notre sujet d’étude, notre lieu d’étude principal. C’est dans ce quartier que nous avons aiguisé notre regard quand aux détails présents dans les espaces publics pouvant s’avérer significatif et ainsi devenir partie prenante d’un travail final issu de l’analyse de ces espaces. Ainsi autour de Termini nous avons pu découvrir un monde en soi, les libraires historiques se plaignant des toxicomanes installés sur une place entre la gare principale et une église de Michel Ange. Proche des thermes de Dioclétien2 une communauté d’origine d’Amérique latine a pris l’habitude de se retrouver les jeudis et dimanches après midi, certains vendant de la nourriture traditionnelle d’autres des boissons, le tout installé sur le trottoir. Malgré l’organisation évidente, sans prêter attention aux détails leur présence n’est que très peu visible et reste confidentielle. Le quartier est marqué par la présence de sans domiciles fixes aux abords de la gare sous les parvis mais aussi dans les passages sous les voies ferrés où des campements sont installés. Ce fait met donc au jour au jour trois types de personnes, celle 1 Y. BEUZIT, Carte de Rome présentant la gare centrale de Rome: Termini. (cf annexe n°5) 2 Y. BEUZIT, vue aérienne rapprochée présentant la gare et ses alentours proches, (cf annexe n°6)
qui utilisent la gare au sens courant c’est à dire, ceux en mouvement, qui ne stagnent pas dans la gare, c’est seulement une étape vers un ailleurs. D’autres vivent aux abords de la gare, fréquentent la gare mais sans utiliser son but premier à savoir prendre le train. Enfin une troisième catégorie est formée des personnes travaillant dans la gare (pour le fonctionnement des trains ou dans les nombreuses boutiques présentes) mais vivant dans d’autres lieux, en dehors de la gare. Il existe des échanges entre les travailleurs de la gare et les usagers des rails ainsi qu’avec les SDF mais peu ou aucune relation n’est présente entre les voyageurs et les SDF. Ces problématiques sociales autour de la gare sont aussi symbolisées par la présence d’un local dans le bâtiment de la gare sur une rue latérale sans trop de visibilité. Ce local, foyer, financé par une association religieuse offre des repas et services aux SDF, les habitants quasi invisibles de Termini. Ce quartier est également un point d’échouage de la pression migratoire car étant sur la route entre le sud de l’Italie, point d’arrivée de nombreux migrants, et le nord vers l’Angleterre, l’Allemagne ou la France. Pour cela un centre d’accueil et de services pour les migrants est également présent à proximité immédiate de la gare. Termini est donc un concentré des problématiques touchant les villes de grande échelle car il concentre les problèmes liés à la fois au centre ville mais aussi aux périphéries. Page 15
LE CONCEPT DE LA PROMENADOLOGIE.
La science de la promenadologie a été établie en 1987 par Lucius et Annemarie Burckhardt avec la «promenade à Tahiti»1. Le groupe d’artistes allemand Alias fondé en 19982, est quand à lui à l’origine de l’aspect artistique de ce concept. Ce collectif cherche à mettre au jour des perceptions nouvelles du paysage et se focalise sur les aspects oubliés, invisibles des paysages ou bien sur l’absence résultante d’une destruction. Pour cela le collectif s’appuie sur la promenade qui, mise en scène, permet de révéler de nouvelles perceptions de l’environnement quotidien: des perceptions sensibles.
La promenadologie peut être également considérée comme étant un outil d’exploration permettant une analyse objective de la ville et des espaces qui la compose. Le fait de s’abandonner à la pratique de la promenadologie, c’est à dire marcher sans trajectoire prédéfinie, sans but précis permet de pratiquer la ville dans son intérieur profond et permet de faire de nouvelles découvertes tant sur le plan géographique, physique que sur le plan spirituel, culturel. Cet outil mène aux vides de la ville car n’empruntant pas les chemins prédéfinis il invite à sortir des sentiers battus et ainsi échapper aux règles et permettre de pénétrer un monde en marge de la ville ordinaire: les vides. Le Corbusier prônait l’importance du parcours dans la conception architecturale: la promenade architecturale. Tout comme cette dernière, la promenadologie serait ainsi un outil de conception urbanistique permettant la compréhension complète de l’espace urbain étudié.
1 cf note 1 page 6. Source: http://www.raumforschung.ch/web/fr/promenadologie/ (consulté le 10/12/18) 2 Du laboratoire de la promenadologie, Source: http://mutations.aer.free.fr/barbLabo.swf (consulté le 02/01/19).
5.
La stèle de la citoyenneté planétaire
Cette action en marge du laboratoire Arti civiche, organisé par le groupe atorno a termini (composé de STALKER/No Working, Termini TV et Afghanistan a roma) est décrite comme étant une action mythopoétique1 pour la refondation d’une géophilosophie2 de l’Europe. Cet événement réactualisait un texte de l’empereur romain Auguste, texte définissant les conditions d’entrée dans l’empire telles que: toutes les personnes libres sont romaines sauf celles conspirant contre l’empire et la communauté humaine. Cette définition de la citoyenneté romaine amène à réfléchir sur l’actualité migratoire européenne et ses points de crispation comme Lampedusa, Lesbo, Calais et Melilla. Afin de réactualiser ce texte, il a été traduit dans 140 langues, par des personnes vivant à Rome et parlant ces langues et ce, dans la volonté de montrer la diversité effective de Rome et de l’Europe. Toutes ces traductions ont été inscrites sur des tablettes d’argiles tandis que l’inscription en latin a été gravée sur une stèle en travertin. Nous avons pris part aux traductions puis au transport de la stèle de Porta Maggiore (Nord-est de Rome) à place de la Boca della verità dans l’hypercentre historique au sud de la ville. Afin de transporter la stèle, nous avons fabriqué une structure en bambou que nous portions sur nos épaules. Lors de la marche nous étions accompagnés d’une délégation de la ville de Valberg en Suède qui a accueilli de nombreux migrants dont l’intégration 1 Mythopoétique: «Qui trouve dans les mythes sa richesse poétique» Source: http://www.cnrtl.fr/definition/mythocrate (consulté le 06/01/19). 2 Géophilosophie: philosophie de la géographie.
L’empereur, César Aurélien Antoine Auguste, décrète: «Nous donnons à tous les voyageurs qui sont dans le monde la citoyenneté romaine et le droit de migrer partout où nous voulons diriger et sans entrave, sauf ceux qui combatte contre l’humanité et la communauté du genre humain». Texte de L’empereur Auguste, entre 27 av JC et 14 ap JC.
avec la population a été réussi grâce à la mise en place de structures et associations d’accueil. Grâce à cette procession nous avons pu interpeller les personnes rencontrées sur le chemin mais aussi interpeller les politiques durant la journée de la fête de la création de Rome. Arrivé sur la place de la Boca della Verità nous avons rompu la stèle, ainsi chaque morceaux sera disséminés aux quatre points de crispation cités précédemment.
Parcours de la stèle dans Rome, départ de porta maggiore à droite et arrivée place Boca della verità près du Tibre (Yann BEUZIT)
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Calais (France)
Rome
Medilla (Espagne)
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Lampeduza (Italie)
La procession devant le Capitole de Rome. (2018)
Lesbos (Grèce)
La procession à côté de l’aire archéologique des forum impériaux. (2018) Carte montrant le point de départ des fragments de la stèle vers leur point d’arrivée, aux points de crispation emblématiques de la crise migratoire actuelle. (Yann BEUZIT)
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6.
Marche vers les limites de la ville
Le 13 juin nous nous sommes donnés rendez-vous à l’arrêt de métro Arco di Travertino sur la ligne A vers le sud est de Rome, zone faisant partie intégrante du centre ville de Rome mais où déjà nous commençons à sentir la présence de lieux marginalisés présents dans la bordure périphérique du centre ville. Nous avons initié notre marche ici, sur le parking d’une zone commerciale/ résidentielle avec en son centre un bâtiment récent matérialisant l’entrée d’un parc qui après avoir parlé avec les habitants est entretenu mais reste clôt au public. D’ailleurs le bâtiment formant l’entrée est lui aussi abandonné, devant faire le lien entre la sortie de métro, un parking sous-terrain, un parc et ce qui devrait être une future salle de sport. Ce bâtiment jamais utilisé est laissé à l’abandon et se transforme lentement en ruine moderne que l’on retrouve régulièrement dans les quartiers formant les limites de la ville comme par exemple la «vela di calatrava», gigantesque complexe sportif devant accueillir une piscine olympique et une salle de basket dont la construction a débuté mais n’a jamais abouti. Cet édifice est la tête de file de près de 7501 édifices contemporains abandonnés à travers l’Italie. Après avoir traversé ce bâtiment nous avons suivi une bande de terre laissée en friche entre un 1 «750 ruinas contemporaneas por todo o território italiano» Source: https://www.publico.pt/2018/07/02/p3/fotogaleria/edificios-italianos-incompletos-388360 (consulté le 12/12/18).
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quartier d’habitation et le parc, longeant les jardins privatifs des logements. Ce chemin nous a mené a une parcelle totalement en friche où carcasses de voiture côtoient gravats et herbes hautes, le tout situé derrière une bande de maisons séparant ce terrain d’une rue. Jusque là nous avons seulement empruntés un itinéraire marginalisé ne dialoguant plus avec la ville, l’englobant mais sans l’avoir pris en compte. Pour ressortir de ce terrain vague nous avons dû surpasser une grille et traverser une propriété. Par la suite nous avons rencontré un chantier à l’abandon où seul le gros œuvre avait été réalisé. Dans cet édifice2 nous avons lu des passages du livre de F. Careri avant de repartir, reprendre la route et suivre le parc des aqueducs. Traverser ce parc nous a permis de découvrir une partie de l’histoire récente de Rome à savoir les bidonvilles qui étaient présents avant la constitution du parc naturel. Ces bidonvilles étaient installés le long des aqueducs, sous les arches, appuyés sur les piles. Cet habitat a laissé de nombreuses traces sur les maçonneries comme des enduits comportant des inscriptions et gravures ou alors des renfoncements aménagés dans les piles permettant de supporter des poutres. Ce parc est la résultante de la présence de bidonville et non d’un habitat durable car ce dernier aurait profondément impacté l’environnement alors que l’on retrouve également en périphérie de nombreux quartiers modernes édifiés sans autorisation. Après 2 Laboratoire Arti Civiche, photographies de la marche d’une journée, 2018, Rome. (cf annexe 7)
avoir dépassé ces lieux emplis d’histoire nous avons traversé un terrain privé utilisé comme champ de tir à l’arc mais ne débouchant sur rien. Or nous ne pouvions pas faire demi-tour, nous avons donc dû escalader la clôture. Nous avons ensuite traversés un quartier où de nombreuses «dents creuses» étaient encore présentes mélangeant espace urbain et campagne. Pour finir nous avons débouchés sur la via appia antica, une voie antique partant du centre ville historique de Rome et produisant un espace urbain particulier, possédant à la fois les codes de la campagne mais étant en partie située en ville. Le long de cette voie, sont présentes de grandes villas entourées de grands jardins clôturés par une haute haie ou un mur. On retrouve également des ruines antiques le long de cet axe. Cette marche nous a permis de comprendre plus précisément les limites de la ville de Rome puisque nous avons traversé des lieux délaissés, abandonnés, marginalisés à la fois dans des quartiers défavorisés mais aussi dans ceux plus aisés où de grandes villas rompent la continuité du bâti. L’élément regroupant ces espaces est donc cette non continuité du bâti. Carte présentant les espaces bâti conventionnellement de la ville de Rome en gris ainsi que les espaces plus complexe sans véritable continuité du bâti. (Yann BEUZIT)
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LA THÉORIE DE LA DÉRIVE de Guy Debord
La théorie de la dérive établie par Guy Debord en 19561 définie le concept de dérive urbaine. La dérive urbaine permet à ses initiés d’explorer, d’expérimenter l’espace urbain sous un nouveau jour détaché de la routine quotidienne et permettant de révéler leur environnement véritable. La dérive urbaine est guidée par les émotions, les sentiments (provoqués par les espaces explorés) et permet une autre lecture de la ville. Ce dernier aspect confère à la dérive urbaine un potentiel rôle dans la conception urbanistique et architecturale. L’un des éléments importants dans la théorie de Debord est la place de la psychogéographie dans le concept de dérive. La psychogéographie est « l’étude des lois exactes et des effets précis du milieu géographique, consciemment aménagé ou non, agissant directement sur le comportement [...] des individus »2. Cette notion nous permet donc de mettre au jour l’influence du milieu urbain sur ses usagers et leurs pratiques (chemins empruntés, activités...) dans ces espaces. La dérive urbaine intégrant les principes de la psychogéographie, les individus la pratiquant sont donc amenés à découvrir grâce à l’expérience personnelle l’organisation des espaces étudiés.
Biographie:
« Guy Debord est à l’origine, en 1958, de la création de l’Internationale Situationniste dont il est le principal animateur. Au début, composé principalement d’artistes, ce mouvement cherche un dépassement de l’art pour qu’il redevienne une communication, avec la participation de tous, et qu’il intègre le poétique dans la vie quotidienne transformée en jeu.
En 1967, Guy Debord publie son principal ouvrage, la «Société du spectacle» (1967) dans lequel il montre comment le consumérisme est le signe du début de la marchandisation des valeurs et que la société ne peut plus être décrite que comme une représentation. Après le succès des idées du situationnisme pendant les évènements de mai 1968, qui lui donnent ses lettres de noblesse, Guy Debord préfère dissoudre l’International Situationniste en 1972, pour ne pas en perdre le contrôle et parce qu’elle a «fait son temps». [...] 1
»
1 Guy Debord, Les Lèvres Nues #9 (Novembre 1956), https:// www.cddc.vt.edu/sionline/si/theory.html (consulté le 03/01/19) 2 Debord, cité par Paquot Thierry, « Le jeu de cartes des situationnistes », CFC, no 204, juin 2010, p. 52
1 Pierre Tourev, Biographie de Guy Debord, 2006, http://www.toupie.org/Biographies/Debord. htm (consulté le 03/01/19)
7. L’échange libre vers les «autres» au travers d’un acte personnel artistique, social, sociologique. L’ultime acte, venant conclure cette session du laboratoire Arti Civiche, est un projet personnel libre devant traiter un aspect nous ayant marqué durant nos marches, dérives, déambulations au sein du quartier Termini. Ce projet propre à chacun, s’est caractérisé pour ma part en une performance artistique visant à créer un lien bref et intense avec des individus rencontrés de manière fortuite dans la rue. Afin de réaliser ce lien, ce contact, cet échange mon choix s’est porté sur l’écoute du cœur d’inconnu en posant directement mon oreille sur leur corps et ainsi matérialiser ce contact. Afin de ne pas heurter la sensibilité des personnes en entrant directement dans leur cercle d’intimité le plus proche, je proposais d’abord aux personnes d’écouter mon cœur et ensuite d’inverser les rôles afin de parfaire l’échange. Cette performance était motivée par le fait qu’aux alentours immédiats de la gare très peu d’interactions existaient entre les personnes. Entre celles allant prendre leur train, celles fréquentant les abords de la gare sans prendre le train, la communauté hispanique installée sur le trottoir proche des termes de Dioclétien les jeudis et dimanches après-midi et même entre les personnes d’un même groupe identifié, avec par exemple très peu d’échanges entre les voyageurs prenant le train.
Laboratoire Arti Civiche, photo lors de la performance «écoute mon coeur», Rome 2018.
Laboratoire Arti Civiche, photo lors de la performance «écoute mon coeur» détail du contact, de l’échange, Rome 2018.
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Pour le lieu, l’espace public accueillant les personnes d’origine hispanique m’est apparu pertinent puisque ce groupe bien qu’installé en évidence dans l’espace public n’entretenait aucun lien ou presque avec les personnes extérieures, les non-initiées. Avec ce travail j’ai donc voulu lier, le temps d’un instant, le groupe Arti civiche avec le groupe d’origine sud américaine mais aussi avec les passants, touristes fréquentant ce lieu. «Dans cet endroit où beaucoup de gens se rencontrent, certains passent sans s’arrêter, d’autres y restent mais n’interagissent pas avec d’autres personnes: un manque de contact se fait sentir. Cette performance découle de cette observation et vise à créer un lien entre les personnes, dans un moment bref mais intense. Cela représente une rupture dans le chemin, dans la vie des gens. Ecouter le cœur d’une personne, c’est entrer dans son intimité, s’ouvrir et partager une expérience hors du temps. Ce travail n’a pas pour but de laisser une trace visible, mais plutôt d’encourager les gens à s’ouvrir aux autres. Cela permet également de ressentir la vie dans cette ville où l’espace individuel et les relations entre les gens ont tendance à disparaître. Après un premier contact entre deux acteurs ouverts, la deuxième étape consiste à créer un groupe, formant une chaîne visant à faire battre le cœur de chacun à l’unisson.»1 Pour ce travail, d’autres étudiants ont choisi de nouer une relation avec un couple habitant le 1 Yann BEUZIT, note explicative de la performance «écoute mon cœur», Rome, 2018
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bâtiment occupé Spin Time. Pour cela ils ont passés plusieurs jours et nuits avec ces personnes, dormant dans une chambre prêtée par la communauté. Cette expérience leur a permis d’appréhender l’histoire de ces deux personnes, leurs rôles dans la communauté, le mari étant en quelque sorte l’homme à tout faire de l’immeuble tandis que la femme donnait des cours de russe dans les locaux éducatifs crées dans l’immeuble. Cette expérience leur a surtout permis de comprendre comment était régie cet immeuble et la communauté qui y habite. D’autres étudiants ont travaillés sur la place du corps dans l’espace urbain entourant la gare de Termini, tentant de susciter l’attention des passants effrénés mais aussi chercher à rompre l’indifférence générale régnant dans ce type d’espace. D’autres se sont penchés sur l’une des problématiques actuelles à savoir la pauvreté, problématique clairement identifiable autour de Termini. Pour cela, ils ont choisi de rompre l’indifférence générale vis à vis de cette catégorie de population, et se sont donc munis de café et sont partis à la rencontre des personnes en difficulté, leur offrant du café et échangeant avec eux sur leur histoire et situation. Pour finir une étudiante a cherché a approfondir l’échange entre le groupe d’Arti civiche et les personnes du foyer Civico Zero. Pour cela, elle a mis en place une sorte de speed dating, où nous allions à la rencontre d’un inconnu afin d’échanger sur soi mais aussi rencontrer l’autre. A la différence d’un speed dating aucun cadre n’était
fixé contraignant ces échanges, rendant ces derniers naturels. Tous ces travaux mis à part ceux ayant eu lieu à Spin Time et à Civico Zero, traitent tous de problématiques identifiées par rapport à des lieux précis. Ces travaux n’ont pas cherché a comprendre, intégrer de façon plus complète l’organisation complexe du quartier Termini qui est certes caractérisé principalement par la gare centrale de Rome mais où différentes populations gravitent dans des sous-quartiers bien distincts. Chaque sous-quartier possédant ses caractéristiques propres pouvant donner lieu à des travaux étudiants dans le cadre du laboratoire. Alors que nous nous sommes focalisés sur l’élément central, la gare. Malgré toutes nos marches nous n’avons pas étudié, identifié avec autant de finesse tous les espaces rencontrés et nous sommes focalisés sur la gare, emblème du quartier.
Laboratoire Arti Civiche, photo lors de deux performances expérimentant l’espace avec leur corps et tentant d’interagir avec les passants en sucitant des émotions et/ou interrogations, Rome, 2018.
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CONCLUSION:
Pour conclure ce récit ayant tenté de retranscrire et d’analyser cette expérience pédagogique, nous pouvons dire que ce laboratoire permet de révéler, d’inculquer une méthodologie permettant d’appréhender la complexité actuelle des villes. Cette méthodologie basée sur la marche permet de découvrir les «invisibles» des villes, ces espaces cachés paraissant vidés de tout intérêt mais où la richesse véritable peut s’être établie par l’action de personnes initiées à la pratique de ces espaces. Cette richesse, née de ce réseau secondaire invisible est constituée de nombreuses facettes, comme nous avons pu le voir, pouvant être sociale, artistique, humanitaire... Le laboratoire Arti Civiche tout comme le stalker dans le film de A. Tarkowski fait le lien, initie les personnes, les étudiants à ces espaces, à leur découverte mais aussi à leur compréhension. Ainsi nous avons pu découvrir des lieux en rupture avec la société contemporaine (Spin Time1), des lieux accompagnant les problématiques mondiales actuelles comme les crises migratoires et la pauvreté (Civico Zero2), des appropriations spécifiques d’espace public et les lisères entre la ville et la campagne. Tous ces espaces très diverses ne possèdent qu’une chose en commun, le fait d’être en dehors des chemins balisés de la ville de Rome. Néanmoins bien qu’extrêmement enrichissante, cette expérience s’est déroulée sans apport théorique préalable, alors que de nombreuses théories et travaux ont pourtant travaillés sur le sujet dont un grand nombre produit par le collectif Stalker, sorte de père spirituel du laboratoire Arti Civiche. Le fait de connaitre les notions entourant la pratique scientifique, artistique de la marche nous aurait sans doute appris à mieux nous détacher de la marche comme moyen de transport. Cela nous aurait permis de mieux analyser la ville. De plus, le travail sur la morphologie de la ville initié par Stalker dès ses débuts, nous aurait motivé à identifié ces espaces vides, en marge. Pourtant cette méthode possède plusieurs points positifs, elle permet de réaliser cette expérience sans pré-acquis permettant de pouvoir travailler avec un regard neuf, où notre sensibilité possède un rôle plus important. Sans connaissances notre analyse urbaine et sociale n’était pas influencée par les travaux antérieurs, seul M. Careri orientait nos dérives et travaux en connaissance de ce riche passé. Nous avions donc pas de méthodologie précise en débutant ce laboratoire, nous l’avons acquise en pratiquant directement. Tout comme l’analyse d’espaces urbains par le biais de la promenadologie3, cette expérience s’est faite sans préjugés théoriques, seule l’expérimentation et la pratique nous ont orientés. 1 2 3
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cf présentation de ce bâtiment abandonné occupé, appelé Spin Time page 13. cf présentation de ce foyer pour migrants page 10 cf définition de la promenadologie page 16.
BIBLIOGRAPHIE:
. BOERI, OBRIST, (2000). Tre Posti Caldi. n° 396(Abitare), 150-161. . CARERI, F. (2013). Walkscapes La marche comme pratique esthétique. Arles, France: Jacqueline Chambon / ACTES SUD. . CARERI, F. (2005, 01). Conférence. échelle inconnue. Récupérée 10, 2018, à partir de https://www.echelleinconnue.net/flux.php?media=18 . DAVILA, T. (2002). Marcher, Créer. Déplacements, flâneries, dérives dans l’art de la fin du XXème siècle. Paris, France: du Regard. . DEBORD, Guy. Théorie de la dérive , in Les Lèvres nues, n° 9, décembre 1956 et in Internationale Situationniste, n° 2, décembre 1958, . Hugnet, G. (1957). L’aventure Dada : 1916-1922. Paris, France: Galerie de l’Institut. . TARKOWSKI Andrei réal (1979). Stalker, MK2. . Tiberghien, G. (2004). La vrai légende de Stalker. Vacarme, n°28, 94-99. . Spintimelabs, (2005, 01). Dentro Spintime. Spin time labs. Récupérée 01, 2019, à partir de http://www.spintimelabs.org/ . STALKER, (2000). A travers les territoires actuels. invisu in situ ed. Paris, France: Jean-Michel Place. . STALKER, Manifesto (Stalker attraverso i territori attuali), osservatorio nomade, Récupérée 10, 2018 (http://www.osservatorionomade.net/tarkowsky/ manifesto/manifest.htm) consulté le 08/10/18,
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ANNEXES: Chronologie:
1916-1922: Aventures Dada: début de la vision de la marche comme pouvant être une oeuvre artistique
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1956: La théorie d Debord.
1999: Occupation des anciens abatoirs et création du campo boario
1998: Création du groupe d’artistes allemand Alias
1995: Adoption d’un nom: Stalker et marche dans les vides de Rome: «Attraverso i Territori Attuali» (à travers les territoire actuels)
de la dérive de Guy
2018: expérience personelle au sein du laboratoire Arti civiche 2012: occupation et création du lieu spin time 2011: création du laboratoire arti civiche
1993: Fin de la période étudiante des fondateurs de Stalker, créations des jardins abusifs 1990: Grandes grèves étudiantes italiennes et début de la création d’un collectif 1987: Concept de la promenadologie, fondée par Lucius et Annemarie Burckhardt 1979: Film Stalker de Andrei Tarkovski, dont le nom sera repris pour donner le nom au collectif
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Annexe n°2:
Texte et photos de Stalker/laboratoire Arti Civiche présentant le parc illégal Vivilerive (vivifiant en italien), Vivilerive Lungotevere dei Papareschi. Roma. 1993 source: http:// articiviche.blogspot.com/p/appuntamenti.html (consulté le 04/01/18).
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«Sur les rives du Tibre, face à l’archéologie industrielle de la région d’Italgas, une décharge illégale est occupée pendant trois jours et transformée en parc riverain, invitant étudiants, artistes et architectes à donner vie, avec les matériaux trouvés sur le site, à installations environnementales le long d’un sentier construit avec des stores déroulés directement sur des ronces et des orties. La région se révèle dans ses qualités de nature hybride et spontanée, et après avoir été libérée de centaines de seringues, elle est «donnée» aux habitants du quartier qui sont invités à une réunion avec les associations de quartier, les administrateurs et les propriétaires du domaines sur lesquels les intérêts des spéculations s’accumulent de plus en plus. Après un incendie criminel et quelques mois d’abandon, la nature récupère l’endroit.»
Annexe n°3:
Stalker, carte «Roma, Stalker attraverso i territori attuali, 5-6-7-8 ottobre 1995», présentant le parcours emprunté durant les tours de Rome et montrant l’aspect fractal de la ville de Rome. Source: http://articiviche.blogspot.com/p/appuntamenti.html (consulté le 04/01/18).
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Annexe n°4:
SPINTIMELABS, photo de l’auditorium, source: https://www.spintimelabs.org (consulté le 04/01/19)
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SPINTIMELABS, photo de l’auberge, source: http
ps://www.spintimelabs.org (consulté le 04/01/19)
SPINTIMELABS, photo de la salle de concert, source: https://www.spintimelabs.org (consulté le 04/01/19)
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Annexe n°5:
Carte de Rome présentant (en rouge) la gare centrale de Rome: Termini. Yann BEUZIT
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Annexe n°6:
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4
3
1
Y. BEUZIT, vue aérienne rapprochée présentant la gare et ses alentours proches, légende: 1. La gare 2. Les termes de Dioclétien 3. Piazza dei Cinquecento (place des 500) 4. Lieu de rassemblement de la communauté hispanique 5. centre d’accueil pour sans-domicile-fixe
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Annexe n°7:
Photographies prises lors de la marche d’une journée dans Rome, vers ses limites:
LABORATOIRE ARTI CIVICHE, photgraphie, 2018, Rome, LABORATOIRE ARTI CIVICHE, photgraphie, 2018, Rome, NéLecture de passages de l’ouvrage de F. Careri dans une ruine mo- gation de la notion de propriété privée. derne non loin du point de départ de la marche d’une journée.
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LABORATOIRE ARTI CIVICHE, photgraphie, 2018, Rome, LABORATOIRE ARTI CIVICHE, photgraphie, 2018, Rome, Au Sur la via appia antica nous sommes surpris par un troupeau de milieu des champs nous semblons si loin de la ville mais nous chèvres en transhumance. sommes seulement dans la banlieue de Rome.
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REMERCIEMENTS:
Pour conclure cet article de fin d’études, je souhaite adresser mes remerciements aux personnes qui m’ont apporté leur aide et qui ont contribué à l’élaboration de cet article. Je tiens à remercier sincèrement, Francesco Careri, membre fondateur de Stalker et directeur du laboratoire Arti Civiche, ayant guidé cette expérience enrichissante devenu le sujet de cet article. Mes remerciements s’adresse également à toutes les personnes ayant participé à ce laboratoire ou rencontrées durant cette expérience. Par ailleurs je souhaite remercier, pour leur encadrement m’ayant permis de produire ce travail, Mme Maniaque, M. Gourbin, M. Labrunye, M. Renault. Enfin je souhaite remercier Mathilde Lecler, pour sa relecture et son aide indispensable.
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École nationale supérieure d’architecture de Normandie 27 Rue Lucien Fromage, 76160 Darnétal Tél: 02 32 83 42 00 Fax: 02 32 83 42 10 Mail: contact@rouen.archi.fr
Illustration première de couverture: LABORATOIRE ARTI CIVICHE, photgraphie, 2018, Rome, cour intérieure du bâtiment Spin Time.
janvier 2019