La Reconstruction de Beyrouth: Entre politique de l'oubli et mémoire de la ville

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La Reconstruction de Beyrouth: Entre politique de l'oubli et mémoire de la ville.

Yara YAZJI

EO542, ENSAL 2018

Enseignant tuteur: Denyse Rodriguez Tomé , Soutenance le 31mai


La Reconstruction de Beyrouth: Entre politique de l'oubli et mémoire de la ville. Enseignant tuteur: Denyse Rodriguez Tomé , Soutenance le 31mai,2018 EO542, 2018 Yara YAZJI


Sommaire Introduction

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I. Contexte de destruction et de Reconstruction 1.Contexte géographique de la ville et divisons confessionnelles du territoire 2.Enjeux politiques et économiques, l’importance de Beyrouth sur la scène internationale 3.Conditions sociales de la population

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II. Premiers plans de Reconstruction du centre-ville, non réalisés 1.Les précurseurs des plans d’urbanisme du centre-ville 2. Plan de l’APUR 1977, Beyrouth Méditerranéenne, orientale. 3.Oger 1982, Schémas directeur de L’IAURIF,1986 Transformation radicale du tissu urbain.

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III. Plans et projets de reconstruction du centre-ville (1991-2001) 1. dynamique et politique de la reconstruction d’après-guerre a. une société foncière privée : Solidere. b- Puissances publiques et les opérateurs privés: un débat. 2.La conception et l’évolution des plans de reconstruction :la vision des concepteurs entre préservation du patrimoine et concepts de grandeur. a- le concept de “Grandeur” b- Identité et héritage architectural et urbain 3. les découvertes archéologiques.

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IIII. le centre-ville de Beyrouth après la reconstruction jusqu’à ce jour 1. Un paysage contrasté et une centralité perdue 2. Le fréquentation du centre par les Beyrouthins et la nostalgie des lieux. 3. Quel avenir pour le centre-ville ?

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Conclusion

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Bibliographie

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Resumé

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Annexes

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INTRODUCTION Beyrouth,1975, le début d’une guerre qui entraînera plusieurs conflits, qui durera au moins une vingtaine d’années. Cela laisse la ville victime de la destruction des Infrastructures et du patrimoine ainsi que de grandes faiblesses dans le contexte urbain. À Beyrouth où, comme le poète Nadia Tuéni le disait : « Elle est mille fois morte, mille fois revécue » Comme d’autres villes au Moyen Orient, Beyrouth n’est pas la seule ville à avoir subi une guerre et de multiples conflits politiques. Cependant, cette dernière est la seule a avoir bénéficier de plusieurs plans d’études urbaines et de reconstruction. Etant syrienne, les conflits au Moyen Orient me touchent particulièrement. Depuis le déclenchement de la guerre civile en Syrie en 2011 je ne fais que me questionner sur l’avenir de la reconstruction des villes ayant subi des guerres et des conflits politiques dans la région. Comment reconstruire la ville lorsque tout est détruit ? Comment juguler entre la conservation d’un patrimoine et une mémoire et la projection d’une ville moderne fonctionnelle à l’avenir ? Quels rôles ont la politique et l’économie dans cette mesure de reconstruction ? Le choix d’étudier la capitale libanaise, s’est effectué suite à sa longue histoire avec les plans de reconstructions et ce, depuis le début du mandat français. J’ai choisi d’étudier plus précisement la transformation du centre-ville de Beyrouth vu que les plans de reconstruction proposés représentent plus explicitement les influences politiques et économiques sur les projets de reconstruction et l’urbanisme de la ville, outre l’emblématique de la reconstruction du centre-ville une grande documentation concernant ce sujet est disponible. Dans ce rapport il sera question d’étudier les plans de réaménagement et de jalonnées les plans de reconstruction proposés pour la ville de Beyrouth depuis 1932, Le plan directeur de Solidere, exécuté après la guerre civile sera étudié plus précisement pour répondre à la problématique suivante : Le centre-ville de Beyrouth fonctionne-il aujourd’hui après la longue démarche de reconstruction ? quelle place a le patrimoine et la mémoire de la ville dans cette reconstruction ? Pour commencer, nous allons analyser les plans précurseurs de la reconstruction, ensuite nous verrons la situation de la ville pendant la période de guerre de 1975 à 1990 et les divers plans de reconstruction non réalisés proposés pendant les périodes de trêves. Finalement nous verrons le plan de Solidere. Nous essaierons ensuite de comprendre comment la politique et l’économie ont pu influencer les projets de la reconstruction. Quels rôles ont eu les architectes et les intellectuels pour réorienter et modifier le plan définitif proposé. À la fin nous abordons la ville de Beyrouth aujourd’hui, à partir des témoignages de ces habitants et des architectes urbanistes. Nous verrons que si la qualité du plan de reconstruction est importante, c’est l’histoire et le patrimoine urbain et architectural de la ville qui nous intéresse davantage. La reconstruction de Beyrouth va dépendre de la situation économique mais aussi de la longue histoire du son territoire. Nous allons démontrer en quoi cette démarche de reconstruction est à la fois un plan pour moderniser la ville mais aussi un paradoxe entre la politique de l’oubli et la mémoire de la ville.


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I. Contexte de destruction et de reconstruction 1- Contexte historique et géographique de la ville et divisons confessionnelles du territoire. Afin de mieux comprendre leWs conditions et le contexte global des plans de reconstruction de 1975-1994, il est important de faire un retour rapide sur l’histoire de Beyrouth, la situation géographique, sociale, économique et politique de la ville. En 1835, le récit de voyageurs décrit une ville devenue « la place la plus importante de la côte. La principale échelle de Syrie. L’entrepôt de toutes marchandises, ou tous les navires, même les bâtiments de guerre peuvent mouiller en toute sureté dans son port.»1 Beyrouth semble ignorer son passé tout en refusant de se représenter son avenir. Bien que son histoire remonte au troisième millénaire avant J-C, peu de traces subsistent de la Beyrouth antique. Selon les auteurs de Portraits de Beyrouth: aujourd’hui, les admirateurs de son patrimoine s’efforcent de protéger, dans ces anciens quartiers tel que Gemmayzeh, Achrafieh : les fragments rescapés des multiples projets qui en quelques décennies ont transformé la ville en métropole moderne. Nous apprenons que le Beyrouth actuel ne ressemble en rien aux représentations idéales rêvées par ses planificateurs. Déjà, à l’époque du mandat français (1920-1943), les projets qui devaient être édifiés sur les ruines de la ville ottomane n’ont jamais pu être achevés. Après la guerre de quinze ans, les planificateurs rêvaient de reconstruire le centre-ville, ce projet ambitieux marque le pas, avec une intention d’effectuer au cœur de la ville une gigantesque table rase entouré d’un paysage fourré d’échangeurs et d’autoroutes, et dans cette polémique, la place du patrimoine reste marginalisée. Portrait de Beyrouth décrit un paysage particulier de la ville « On y débarque, rêvant de franchir la porte de l’Orient, de s’abandonner à la douceur méditerranéenne, et on se retrouve face à un univers étrange ambigu marqué par les discontinuités et les ruptures »2 ce passage s’incarne dans la réalité d’organisation de la ville. Les quartiers réhabilités sont souvent entourés de terrains en friche, des tours géantes se dressent au milieu des quartiers à habitations traditionnelles, des squelettes en béton souvent laissés à l’abandon côtoient des édifices en ruine, les bidonvilles ne sont pas non plus loin des ensembles d’habitations. La géographie et la longue histoire ainsi que les différentes conditions économiques et sociales de la ville sont en partie la raison derrière cette fragmentation du paysage beyrouthin en une mosaïque si complexe et alternée. Si depuis plus que cinquante ans le discours des urbanistes n’arrêtent pas de condamner une croissance anarchique qui semble défier toute tentative de planification, c’est dans l’histoire et la topologie du terrain qu’il faut chercher des éléments explicatifs permettant d’appréhender les éléments constructifs de la morphologie urbaine et le mode d’évolution. Les auteurs de Portrait de Beyrouth décrivent les caractéristiques géographiques du site, un site largement divisé par la nature de son terrain. Selon eux ce sont donc les facteurs déterminants les formes de croissance : « L’exiguïté du territoire entraine une croissance verticale du noyau urbain, l’urbanisation de la ville s’étend au-delà de ces limites, 1  Tabet Jade, Ghorayeb Marlène, Huybrechts Eric et al, 2001. Portrait de ville. Beyrouth, Institut Français d’architecture, Paris, p.3. 2

Ibid., p.4


3 notamment le long de la côte et sur les hauteurs avoisinantes Les contraintes topographiques, pentes fortes et vallées encaissées, entrainent un découpage en lanières de la tache urbaine. Cela est l’une des raisons introduisant discontinuités et ruptures dans la morphologie de la ville et ses entourages »3 Le déclanchement de la guerre en 1975 ne fait qu’affaiblir ce terrain déjà fragile, En effet, cette guerre est à l’origine d’une géographie urbaine qui transcrit le conflit sur le territoire, liant nouvelles formes spatiales et répartition de différents groupes dans l’espace. Dans l’entourage de Beyrouth, hors le centre-ville, le bilan des dégâts s’élève à 6% d’immeubles détruits et 22% d’immeubles touchés. Le long de la ligne de démarcation qui divise la ville en deux, 23% des immeubles sont détruits et irrécupérables, 58% d’immeubles extrêmement endommagés.4 Les quartiers centraux fondés sur la coexistence communautaire sont gravement touchés par cette guerre meurtrière. A l’issue de la bataille de 1976 le centre-ville devient un vaste no man’s land occupé par des snipers qui font régner la terreur comme tout au long de la ligne de démarcation. Une nouvelle géographie urbaine prend place en tournant le dos à ce vide central. La ville s’organise en fonction d’une logique confessionnelle. De fait l’Est de l’agglomération devient entièrement chrétien alors que l’Ouest et l’Est majoritairement musulman. Ces territoires confessionnels fonctionnent d’une manière autonome avec chacun leurs propres pôles économiques et de loisirs. Cela crée notamment de diverses centralités dans la ville et réorganise la ville en éliminant les fonctionnalités d’un centre-ville uni pour tous. La centralité économique se décale vers Hamra, de nouveaux centres économiques se développent à l’est, sur les collines d’Achrafieh et tout le long de l’autoroute du nord. A l’ouest, les espaces commerciaux se regroupent à Verdun et à Mar Elias, et la corniche maritime devient l’espace public le plus fréquenté. Les périphéries de la ville se transforment également, les banlieues lointaines deviennent des refuges pour les populations des quartiers centraux à la recherche de sécurité et d’autres banlieues accueillent des populations moins favorisées dans des habitations dans la plupart des cas, irrégulières. La ville au début de la guerre est en pleine expansion, les crêtes urbanisées, jusqu’à 1000m de hauteur, majoritairement peuplées de chrétiens, sont désormais inclues dans l’agglomération beyrouthine. La banlieue sud avec ces 400 000 habitants devient le nid des milices chiites Amal et Hezbollah. La centralité perdue de Beyrouth et la géographie urbaine fragilisée par la guerre deviennent les sujets principaux sur lesquelles portent les divers plans de reconstruction. Les urbanistes ainsi que les architectes rêvent de redonner au Beyrouthins une centralité commune.

2- Enjeux politiques et économiques et l’importance de Beyrouth sur la scène internationale. Beyrouth a joué tout au long de son histoire un rôle d’une ville refuge autant pour les capitaux que pour les idées et les hommes. La ville prend son essor comme un carrefour entre les civilisations : depuis la fin du XVIII siècle, plusieurs missions religieuses s’y sont installées, de multiples écoles et fondations prestigieuses se sont implantées et le pluralisme religieux voit le jour sur son territoire, la tradition marchande persiste, le secret bancaire et la liberté de la presse sont nés. Pourtant Beyrouth ne prend pas la place d’un phare culturel comme le Caire ou Damas, ni d’une cité cosmopolite. Dans ces configurations d’expression architecturale, politique ou bien culturel, Beyrouth reste une ville 3  4

Ibid. Ibid., p41.


4 de synthèse plutôt que de création et d’inventivité. A la fin de la seconde guerre mondiale le Liban prend son indépendance. En effet pendant la période entre 1944 à 1958 Beyrouth devient une métropole régionale, notamment par sa croissance démographique et son étalement urbain. Un concept de « République Marchande » se fonde sur le territoire, marqué par une tolérance excessive dans l’intervention de l’Etat. Cela va de pair avec le style d’urbanisation particulier du régime réformiste du président Chéhab au début des années soixante et qui persistera jusqu’à la veille de la guerre en 1975. Plusieurs facteurs jouent dans l’importance économique que Beyrouth gagne sur la scène nationale et internationale après la seconde guerre mondiale. Souvent appelée le « Miracle Economique » Beyrouth profite de la difficulté de communication avec l’Europe pour développer l’industrie locale, le port de Beyrouth reçoit l’essentiel du trafic maritime suite à l’interruption du transit des marchandises entre Haïfa et l’hinterland arabe. L‘ouverture de l’aéroport de Khaldé, en 1954 Beyrouth devient aussi une étape indispensable sur les routes reliant l’Europe et l’Asie. La guerre civile de 1975 résulte de la combinaison de plusieurs facteurs ; les conflits régionaux et l’occupation par l’Etat israélien de plusieurs territoires arabes en 1967 ainsi que l’implantation des combattants palestiniens sur le sol libanais. En effet, la prospérité du « Miracle Economique » ne retient pas les inégalités sociales dans la société libanaise, Les grands écarts sociaux entre les quartiers qui se côtoient posent un véritable problème au début de la guerre, qui s’accentue après l’élections du nouveau président en 1982 mais aussi avec l’arrivée de l’homme d’affaire Rafik Hariri qui devient en 1992 premier ministre. Le président Amine Gemayel entend consolider son pouvoir par une politique de reconstruction, censée constituer l’adjuvant de l’unité nationale. Trois secteurs font l’objet de projets précis : la banlieue sud, le littoral nord et le centre-ville, Gemayel mène les projets à chaque fois avec Rafik Hariri. L’Etat engage donc de grandes opérations pour attirer les investissements dans le but de remettre aux normes les infrastructures et équiper la ville pour qu’elle regagne sa place sur la scène internationale. Les divers projets de reconstruction engagés au centre-ville par des opérateurs privés empruntent une politique de spéculation immobilière et s’éloignent des notions du patrimoine et la conservation d’un paysage qui témoigne de la longue histoire de la ville de Beyrouth.

3.Conditions sociales de la population (Pauvreté et immigration). Les conflits internes sociaux restent l’une des raisons principales de la guerre. Cela est notamment plus remarqué à Beyrouth dès le début des années 1970. Ce déséquilibre social est notamment matérialisé par la « Ceinture de Misère » qui entoure la ville, refuge des divers vagues de migrants qui ont rejoint la capitale depuis un demi-siècle. A l’est, Beyrouth est entouré d’un camp de réfugiés arméniens de Bourj Hammoud et abritent aussi des habitations miséreuses des migrants palestiniens, syriens et kurdes, au sud se trouve tous les camps de réfugiés palestiniens comme Sabra et Chatila.5 Le centre du conflit économique se cache derrière la grande disparité entre les zones d’extrême pauvreté et les luxueuses opérations immobilières qui les côtoient. Les faubourgs accueillant une modeste classe moyenne à la recherche de meilleures conditions de vie se trouvent confrontés à la richesse des beaux quartiers. Les affrontements de plus en plus graves conduisent à la guerre civile. 5

Ibid.


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II. Premiers plans de reconstruction du centre-ville, non réalisés Il est important de savoir que depuis le Mandat français il y a eu plusieurs tentatives pour replanifier le centre-ville de Beyrouth. Divers plans ont été proposé avec à chaque fois de différents concepts tranchés entre une modernisation de la ville, sa trame urbaine et ses infrastructures, ou une conservation d’une ville méditerranéenne à l’image de sa longue histoire et son patrimoine. Ces différents projets urbains non réalisés ont influencé les planificateurs et les urbanistes pour la conception du plan du centre-ville actuel. Dans cette partie nous verrons les différents plans urbains non réalisés, proposés à différents moments de l’histoire de la ville. D’abord le plan Danger en 1932 pendant le mandant français ensuite le plan Ecochard en 1963 et enfin nous aborderons les deux différents plans de l’APUR qui ont été proposés pendant les périodes de trêves de la guerre civile. Après la fin du mandat français au Liban, l’influence française se poursuit, fortement, puisque les propositions de plans émanent d’urbanistes français, sollicités.

1-Les précurseurs des plans d’urbanisme du centre-ville Le mandat français introduit sur le territoire libanais de nouveaux concepts de l’urbanisme avec un premier plan qui repense le centre-ville de Beyrouth. Le Plan « Danger », du nom de son concepteur René Danger avec son frère Raymond Danger introduit en 1932, propose un zonage rationnel de la ville et applique les principes de la planification urbaine des Beaux-Arts répandu dans les années 1920 et 1930 [Danger est un géomètre-expert de formation. En outre, le projet inclut différents principes d’aménagement comme un plan routier développé pour organiser la circulation, une étude de la densité centrale et la création de multiples espaces publics. Le plan Danger propose de prolonger l’axe du Bourj de la place des Martyrs jusqu’au port. Cette percée ouverte sur la mer est une caractéristique que l’on retrouve souvent dans les villes méditerranéennes. 6 Plus tard pendant les années 1960 le Liban est présidé par le général Chehab, qui à son tour promeut une politique pour le développement du pays. C’est à cette époque aussi que Michel Ecochard réalise plusieurs plans d’urbanisme pour différentes villes libanaises comme Jbeil et Jounieh. Par la suite, en raison de son histoire personnelle avec Beyrouth, le désir profond d’Ecochard est de concevoir un plan d’aménagement de la capitale libanaise : « Il y a vingt ans que je pense au problème de Beyrouth, je crois que sur un certain nombre de points, le temps ne m’a pas donné tort et je serai heureux si la patience que j’aurai mise au service de cette ville (...) pouvait donner quelques résultats. » Par la suite il ne cesse de plaider auprès de l’Etat libanais pour l’établissement d’un nouveau schéma directeur de Beyrouth. En 1963 Ecochard est chargé d’établir un plan directeur des cités gouvernementales à Beyrouth, il conçoit ces cités comme un embryon lié avec un réseau de circulation à l’échelle de l’agglomération avec de nouveaux quartiers d’habitation et de services qui permettent de structurer cet ensemble. Cette vision de l’urbaniste français est fondée sur les principes de l’organisation des villes futures. 6 Gavin Angus, Maluf Ramez, 1996. Beirut Reborn. Beyrouth, Academy Editions, London, p.47


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Le plan d’Ecochard ambitionne de transformer radicalement les conditions d’habitat à Beyrouth, que l’urbaniste, révolté par les mécanismes de ségrégation sociales fondé sur une intense spéculation foncière considère comme « le siège de l’injustice sociale ». 7 La modernisation du centre-ville de Beyrouth, le dernier des grands projets du Chéhabisme, est confié en 1964 à trois équipes mandatées par le conseil exécutif des grands projets de la ville, deux de ces équipes regroupent des jeunes architectes libanais tandis qu’Ecochard et son collègue japonais Banshoya sont chargés d’assurer la coordination urbanistique. Le centre-ville doit faire l’objet d’une modernisation radicale : les quartiers de Ghalghoul au sud et Saifi à l’est. Aucun intérêt n’est porté à l’époque au tissu urbain de ces deux quartiers, qui date de l’époque ottomane et de la période du mandat français. A l’issue des études les deux équipes produisent des projets produisant une modernité démesurée comme des tours allant jusqu’à 33 étages. La coordination urbaine assurée par Ecochard concerne la trame viaire et l’aménagement des espaces publics. Le centre-ville est connecté au reste de la ville et ses banlieues par un ensemble autoroutier. Quant à l’aménagement des espaces publics, l’intention est de réaliser une liaison monumentale entre les deux quartiers rénovés de Ghalghoul et Saifi. Dans la vision de l’urbaniste la liaison entre ces deux places constitue un ensemble qui par sa dimension deviendrait naturellement le centre de Beyrouth. Le plan d’Ecochard a connu un destin chaotique, le schéma du plan routier et autoroutier ont été approuvé et réalisé, cependant les autres éléments de son projet n’ont jamais vu le jour. Quant au projet de rénovation du centre-ville, il est resté lui aussi dans les cartons.

2. Plan de l’APUR 1977, Beyrouth méditerranéenne, orientale. La guerre civile libanaise, pendant sa longue durée de quinze ans, connait plusieurs trêves où la paix est l’occasion de penser la reconstruction. D’abord en 1977, à la demande du gouvernement libanais, l’Atelier Parisien de l’urbanisme (Apur) conçoit un plan de logique conservatoire. Le projet valorise l’identité méditerranéenne de Beyrouth, son architecture bigarrée et son fort rapport à la mer. La démarche principale du plan réclame « de ne pas ajouter aux destructions de la guerre celle de l’urbanisme ». Les grandes lignes du projet prévoient de larges surfaces réservées à l’usage piétonnier, la réhabilitation des souks gravement endommagés et l’aménagement du bord de mer en espace public et touristique. Le projet supervisé par la municipalité de Beyrouth, prévoit en même temps une volonté pour moderniser le centre-ville et d’améliorer les conditions d’accès et de circulation dans le centre. Sur le plan opérationnel, le projet articule plusieurs interventions dans les différents secteurs du centre villes : deux sociétés privées s’occupent de la rénovation des deux quartiers de Ghalghoul et Saifi, un établissement public doit gérer la reconstruction des souks, plusieurs percées doivent être effectuées à la suite des opérations de remembrement urbaine. Le tissu urbain est laissé à l’initiative des propriétaires dans le cadre de la réglementation existante, seulement amendée par un plafonnement des hauteurs.8 7 Tabet Jade, Ghorayeb Marlène, Huybrechts Eric et al, Op.cit.,p.32. 8 Ibid., p.44.


7 Dans le plan de l’APUR la notion conservatrice reste cependant marquée par une double ambiguïté Elle s’oppose tout d’abord à la logique de valorisation foncière qui pousse à doubler les surfaces constructibles dans certaines zones du centre-ville. Elle intègre difficilement les plans de circulations proposés par les ingénieurs de Dar Al-Handasah car ils imposent des percées et des élargissements de voiries qui entrainent des destructions plus importantes que celle prévues dans le plan initial de l’Apur. Le projet dans sa version finale inclut la construction d’un quartier d’affaires bâti sur une dalle à plusieurs niveaux dans la région du port afin d’augmenter la densité. Cela apparait contradictoire avec la vision culturaliste du projet de base. La reprise des combats en 1978 ne permet pas la réalisation de ce plan et il faut attendre la trêve suivante pour que les projets de reconstructions reviennent à l’ordre du jour. À la suite de l’accord de Taëf en 1989 et après un dernier épisode meurtrier qui dure jusqu’au l’automne 1990, la paix civile s’installe à Beyrouth et les opérations de reconstruction peuvent enfin s’engager. Les investissements reprennent et le paysage urbain se transforme rapidement.

3- Oger 1982, Schémas directeur de L’IAURIF,1986, transformation radicale du tissu urbain. En 1982, avec l’entrée des forces multinationales au Liban, l’élection du nouveau président Amine Gemayel et un nouveau venu sur la scène beyrouthine, l’homme d’affaires libano-saoudien Rafik Hariri, une politique de reconstruction nait de nouveau sur le territoire. Au centre-ville la société Oger, dirigée par Rafik Hariri procède à la réhabilitation spectaculaire de la rue Maarad. Cependant cette démarche s’annonce moins conservatrice avec la destruction d’une partie des anciens souks et par le nouveau projet qui s’élabore à l’ouest de la place des Martyrs. Le projet est fondé sur une transformation radicale du tissu urbain, qui prévoit la construction de 3.1 millions de mètres carrés de planchers contre 1.4 millions avantguerre.9 Une fois encore la reprise des combats va empêcher la réalisation de ces projets. Par la suite, une réflexion prospective est lancée par l’étude d’un schéma directeur pour la région métropolitaine de Beyrouth, réalisé par l’Institut d’aménagement et d’urbanisme de la région de l’Ile de France, remis en 1986. Pendant cette époque de la guerre, le territoire Beyrouthin subit la division confessionnelle, de divers pôles secondaires se créent et le rôle du centre-ville reste marginal. Les planificateurs du schéma de L’IAURIF se basent sur la situation actuelle du territoire pour concevoir le schéma directeur, les planificateurs prévoient la création d’une armature de transports collectifs destinée à renforcer la cohésion fonctionnelle du territoire par l’établissement d’un réseau basé sur une hiérarchie des centres secondaires qui gravitent autour du centre-ville à construire. Le Plan de l’IAURIF a notamment été critiqué car les urbanistes ont trop tenu compte du rapport des forces sur le terrain à l’époque de l’étude, en entrainant un découpage milicien du territoire et de l’agglomération et en introduisant des projets qui témoignent de l’affairisme du temps de la guerre. Le schéma de l’IAURIF n’a jamais été approuvé mais à la sortie de la guerre, il reste le dernier document offrant une vision à long terme pour la reconstruction de l’agglomération beyrouthine avec une politique de préservation des espaces naturels et des terrains agricoles.

9 Ibid., p.45


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Source: http://50ans.apur.org/fr/home/1967-1977/beyrouth-phnom-penh-rio-de-janeiro-1312.html

Source: Tabet Jade, Ghorayeb Marlène, Huybrechts Eric et al, 2001. Portrait de ville. Beyrouth, Institut Français d’architecture, Paris.

Source: http://books.openedition.org/ifpo/423


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III. Plans et projets de reconstruction du centre-ville (1990-2001) 1- Dynamique et politique de la reconstruction d’après-guerre. La reconstruction après la guerre est un véritable champ d’expérimentation ou l’urbanisme d’une ville se voit renaitre, c’est aussi un moment où le pourvoir fort et légitimé par la sortie de guerre est capable d’imposer une vision et procéder à sa mise en œuvre. Ainsi La reconstruction permet le développement de l’ambition essentielle de l’urbanisme qui est celle de guérir la société en améliorant le cadre de vie de la population. Eric Verdeil décrit la reconstruction dans sa publication Reconstructions manquées à Beyrouth comme une démarche qui s’inscrit dans l’histoire selon une double modalité, celle de la (re-)fondation et la seconde est celle du retour à la normale. Les projets reconstructeurs se fondent sur leurs précédentes intentions et s’actualisent selon les conditions actuelles, notamment dans une conjugaison de nouveauté et de continuité. Mais paradoxalement, penser la reconstruction ne relève pas de penser la guerre. Celle-ci est présente et nous ne pouvons pas nier son existence, néanmoins sa présence est sous la forme d’un bilan qui réduit la guerre à son aboutissement. Qu’importe la nature et la durée de cette guerre, ses temporalités et les stratégies complexes qui s’y sont inscrites, le bilan reste physique, matérialisé seulement par les destructions causées par cette guerre.10 De 1975 à 1990, la guerre civile au Liban a été ponctuée de plusieurs épisodes de trêves permettant le retour à la normale et la réalisation de plusieurs plans de reconstruction sous tutelle de l’état. Ces plans ne sont pas réalisés pour cause de reprise de combat. Cependant, Entre 1992 et 1996 la reconstruction a constitué un thème qualifié comme le premier débat public de l’après-guerre. Jamais, avant, la controverse sur le projet de la reconstruction du centre-ville n’avait pris une telle force ni de semblables enjeux n’avaient été imposés. Les plans envisagés marquent un nouveau statut de l’urbanisme au Liban où ce dernier apparait comme le vecteur de l’utopie politique. Celle-ci se décline alors entre l’aspiration à restaurer l’ancienne société citadine méditerranéenne, fondée sur la coexistence et la tolérance des différents groupes confessionnels ainsi que de refaire de Beyrouth la plate-forme économique du Moyen-Orient. Il est important de signaler que cette politique s’inspire du modèle des pays du Golfe, sur le plan social mais aussi sur le plan urbanistique. Eric Verdeil décrit cette démarche de reconstruction :« S’il y a donc une pertinence à lire la reconstruction à la lumière de l’ampleur des destructions et de la restauration de l’Etat dans l’une de ses prérogatives essentielles, celle de reconstruire une signification partagée, il faut aussi se demander ce que la guerre éclaire de la reconstruction. L’accent doit alors porter sur les stratégies dans la guerre de certains acteurs politiques qui, lors des reconstructions manquées, on fait de l’urbanisme un registre de leur action. »11

a. Une société foncière privée : Solidere. La paix civile s’installe à Beyrouth en 1990 et la dynamique de reconstruction peut enfin s’engager, les investisse ments reprennent profitant d’un effet de rattrapage économique. 10  Eric Verdeil, 2001, « Reconstructions manquées à Beyrouth, La poursuite de la guerre par le projet urbain », Les Annales de la recherche urbaines, Villes et guerre, 2001, n°91 p.65 11 Ibid., p66


10 Rafik Hariri devient, fin 1992 premier ministre et le projet phare de la reconstruction du centre-ville est confié une société foncière privée, dite Solidere. Le capital de cette société est constitué en partie par des actions correspondant aux indemnités des propriétaires et des ayants droits expropriés, mais aussi par les apports des capitaux d’investisseurs extérieurs, au premier rang, le premier ministre lui-même. Cependant l’Etat au moment de ces reconstructions se déclare dépourvu et inefficace. Le paysage urbain se transforme rapidement et des milliers de grues couvrent la ville et ses banlieues entre 1991 et 1995. Les squatteurs du centre-ville, de Hamra et de l’ancienne ligne de combats sont expulsés dès 1993, après indemnisation, dans le but de libérer des immeubles dans les quartiers centraux. Les activités commerciales reprennent dans le centre-ville dans un contexte de forts investissements et de croissance comme jamais auparavant. En cinq ans, la construction d’une vingtaine de malls à l’américaine, d’un grand nombre de complexes résidentiels fermés et d’une multitude de centres de loisirs, couplées avec l’ouverture de nouvelles voies rapides contribuent à transformer la physionomie de la capitale. Les effets du redéploiement de la population et des activités dans la ville commencent à remettre en cause les divisions spatiales fondées sur les territoires confessionnels.12 Les quartiers du centre-ville qui étaient proches des lignes de combats lors de la guerre, sont frappés par une frénésie destructrice. La question de la protection du patrimoine devient un thème majeur dès le départ de la reconstruction. Toutes ces opérations de réaménagement que l’Etat engage avec les investisseurs privés vont dans le sens de valoriser Beyrouth de nouveau, sur la scène internationale, cependant le patrimoine du centre-ville reste en suspens. Revenons en arrière de l’histoire, la plupart des projets de reconstruction étaient inscrits dans les cartons de l’Etat depuis des décennies. Un plan de transports pour l’agglomération beyrouthine, élaboré en 1995 avec l’appui des urbanistes de l’IAURIF, reprend en développant les hypothèses du schéma directeur de 1986. Le projet de Solidere fixe un objectif présomptueux qui prévoit la construction de 3.5millions de mètres carrés de plancher. Un plan directeur est réalisé par Dar al-Handasah proposant une table rase urbaine où ne sont préservés que quelques îlots, des bâtiments publics et des édifices religieux. Les grands concepts du projet se basent sur la réalisation de trois grands axes structurant le nouveau centre. La place des Martyrs est transformée en avenue « plus large que les Champs Elysées »13 . Une île est aussi créée sur les remblais récupérés sur la mer et la façade maritime est envahie par des tours.

b. Puissances publiques et les opérateurs privés: un débat.

À la suite de cette base du projet Solidere, une vaste campagne de destruction commence dès 1993. Une grande polémique s’engage mêlant les intérêts des ayants droit, ceux des investisseurs et certains intellectuels. Le débat porte sur le patrimoine, l’espace public, le principe de la tabula rasa, l’expropriation des ayants droits, la mixité sociale, le coût du projet, les rapports entre la puissance publique et les opérateurs privées et la mise en dépendance de l’économie libanaise.14 Suite à ce débat, Solidere fait appel aux services du consulat français, le projet est revu dans le sens d’une préserva12 Tabet Jade, Ghorayeb Marlène, Huybrechts Eric et al, Op.cit., p.47. 13 Ibid., p49 14 Ibid.


11 tion plus importante du tissu urbain, du patrimoine architectural et archéologique ainsi qu’une meilleure prise en compte de l’espace public. Néanmoins les principes financiers du projet sont préservés. Les négociations entre les investisseurs et les propriétaires ayants droit conduisent à l’extension du remblai et à l’augmentation de l’espace construit du projet pour atteindre 180ha (au lieu de 115 prévu par l’Apur). La réalisation des infrastructures démarre en 1994 avec la réhabilitation et la remise en état des voieries et réseaux de circulation dans le but d’équiper la ville d’équipements plus modernes : centrale de climatisation, connexion au réseau multi mondial de fibres optiques, immeubles intelligents. De plus certains bâtiments publics sont réhabilités et remis en activité comme le parlement sur la place de l’Etoile, le grand sérail et l’ancien palais de justice. Les quartiers qui datent de l’époque du mandat français sont conservés et réhabilités comme le carré Foch-Allebny et la place de l’Etoile. Cependant ce qui restait des anciens Souks, le quartier de Zeitouneh et celui de Ghalghoul sont passés au bulldozer. En définitive, près de 85% des immeubles du vieux centre ont disparus.15 A Wadi Jamil, l’ancien quartier juif, à Saifi et à Mar Maroun seuls quelques îlots sont conservés. Il est prévu de construire de nouveaux projets comme le village Saifi, un ensemble résidentiel destiné à une clientèle aisée. De multiples projets de rénovation urbaine sont prévus, de différents programmes sont lancés dans les points stratégiques du centre : le siège de l’ESCWA organisme rattaché aux Nations Unies conçu par Pierre el-Khoury sur la place Riad el-Solh et la construction des nouveaux Souks de Beyrouth par l’architecte espagnol Rafael Moneo à l’emplacement même des anciens démolis. Le contrat le plus ambitieux reste celui du remblai du centre-ville remporté par l’entreprise Bouygues. En parallèle de ces opérations, sont prévus des travaux de fouilles archéologiques que nous verrons plus précisément dans la troisième sous partie.

2- La conception et l’évolution des plans de reconstruction :la visions des concepteurs entre préservation du patrimoine et concepts de grandeur. Loin de la vision purement politique de la reconstruction du centre-ville, de multiples auteurs et critiques voient les projets de reconstruction de Beyrouth comme un vecteur permettant la modernisation et la renaissance de la ville. Dans cette partie nous aborderons les grands concepts du projet ainsi que son évolution suite aux divers faits qui se présentent tout au long de la procédure de la reconstruction. Pour les concepteurs, la reconstruction du centre-ville de Beyrouth est un projet qui sort de l’ordinaire, engageant principalement une reconstruction et une restauration d’un cœur d’une ville détruite après une guerre meurtrière. Dans la recherche de précédents modèles et leçons dans l’histoire de reconstruction des villes européennes après les deux guerres mondiales, les équipes d’urbanistes observent deux différentes manières de la reconstruction d’aprèsguerre des villes européennes.

15 Ibid., p50.


12 Dans certains cas les opérations sont nostalgiques, à la recherche d’une reconstitution de la trame urbaine historique et d’une préservation patrimoniale très importante. Cet exemple est bien visible dans la reconstruction du centre-ville de Varsovie. Dans d’autres cas les opérations urbaines cherchent plutôt à rompre avec le passé pour reconstruire un nouveau paysage en s’appuyant sur le concept du changement pour un futur meilleur, ce qui s’effectue en éliminant en grande partie les anciennes structures et les rues étroites d’une ville dans le but de composer une nouvelle image d’une ville future. Ces cas précédents se divisent entre les principes patrimoniaux et la tabula rasa, ils sont notamment tous les deux présents dans la reconstruction du centre-ville de Beyrouth. Selon les concepteurs et les investisseurs, le plan de reconstruction cherche à faire un équilibre entre les deux principes. Ils estiment que malgré la présence de certains concepts de grandeurs dans les projets, une grande attention est portée à la conservation de l’héritage architectural et urbain de la ville de Beyrouth.

a. le concept de « Grandeur » Les plans de reconstructions, en grande partie empruntent des idées qui reflètent les choix des planificateurs pour faire un urbanisme de « grandeur ». Selon les concepteurs cela représente une opportunité pour oublier le passé douloureux de la guerre, imposer un nouvel ordre dans le centre-ville et concevoir des constructions pour le futur. Les thèmes de grandeur varient pendant cette période de la reconstruction, nous retrouvons parmi ces thèmes, les idées de grands axes, les avenues et les boulevards ainsi que les tours, le remblai sur la mer fait également partie de cette démarche. Dans les projets de reconstruction, Les grands axes font partie des éléments principaux qui aident à structurer le centre-ville, parmi ces axes nous retrouvons : le Bourj, l’extension du Allenby et Foch, et le Sérail. Ces corridors urbains ne s’ouvrent pas seulement sur la mer et la façade maritime de la ville mais ils bénéficient aussi de la célèbre vue sur le mont Sannine. Ces axes constituent l’un des traits majeurs du développement du projet urbain de la reconstruction, cependant, aujourd’hui, les vues depuis ces axes sont envahies par les nouvelles constructions. L’axe de Bourj n’est pas complétement droit, il est légèrement incliné pour permettre la conservation de la place des Martyrs comme un espace public séparé, cependant la vue sur la mer maintient sa continuité sur l’extrémité sud de l’axe. Un deuxième axe donnant sur la mer depuis la place de l’Etoile se prolonge passant par la corniche et la promenade portuaire, cet axe est plus tard appelé l’axe Maarad. Le troisième axe de Serail, cadre une vue protégée sur l’est de la colline de Sérail, son côté est est délimitée par l’hôtel Hilton. Les hauteurs des bâtiments sont contrôlées par des lois d’urbanisme tout au long de cet axe pour préserver une vue non interrompue et continue sur la mer. De plus, un autre élément de grandeur est notamment exprimé dans les constructions des immeubles de grande hauteur. Au début, quelques tours étaient groupées dans le quartier des hôtels pour créer une image contemporaine exprimant l’échelle du plan urbain dans le nouveau quartier d’affaires. D’autres bâtiments de grandes hauteurs font


13 l’objet de monumentalité au cœur du centre-ville, cela est pour marquer l’orientation et la nouvelle identité de la centralité beyrouthine. Selon les concepteurs, l’idée des tours monumentales implantées au centre suit l’exemple existant de la tour de Beirut Trade Center. Un projet de deux tours jumelles « gateway » est donc prévu à l’entrée sud du centre-ville. 16 Il est important de rappeler que Le plan directeur contient des règlements précis pour les bâtiments de grande hauteur. Les zones permettant la construction des tours sont définies par les planificateurs, ces zones se trouvent généralement à proximité du quartier d’affaires, offrant des opportunités significatives pour les activités commerciales, les services et le tourisme. Cependant la conception architecturale et la composition des façades sont librement laissées aux investisseurs et leurs architectes, ayant pour seule contrainte de prévoir une marge de recul de la rue publique. Le troisième élément de cet ambitieux plan de grandeur est la nouvelle trame viaire : les autoroutes urbaines, les grandes avenues bordées d’arbres et la grande corniche. Une nouvelle trame viaire est également prévue dans les zones développées dans le plan directeur. Pour les concepteurs ces éléments présentent des symboles de la modernité malgré leurs forts impacts sur l’environnement. De grands efforts sont engagés pour réduire l’emprise au sol de ce réseau viaire tout en maintenant une bonne desserte du centre-ville depuis l’agglomération beyrouthine. Les place publics, l’aménagement paysager, l’éclairage et d’autres fonctions s’ajoutent à l’aménagement de ce réseau viaire pour le valoriser mais aussi pour accentuer l’échelle urbaine dans le domaine public. vue depuis les Serails sur la mer

vue depuis Maarad- Allenbysur la mer

vue depuis Foch sur la mer

vue depuis l’axe de Bourj sur la mer

vue depuis le mur des ottomans sur les montagnes

vue depuis Zaytonah sur les montagnes

vue depuis les Serails sur les montagnes

Source: Gavin Angus, Maluf Ramez, 1996. Beirut Reborn. Beyrouth, Academy Editions, London.

16  Gavin Angus, Maluf Ramez, 1996. Beirut Reborn. Beyrouth, Academy Editions, London, p.75.


14 Le dernier élément exprimant la grandeur est le remblai du centre-ville « Waterfront », le projet prévoit d’accueillir un grand parc, deux marinas et une cité d’affaires internationales. La digue de protection est faite de caissons préfabriqués ancrés dans le rocher, accompagnée d’un aménagement colossal du fond marin sur plus d’un kilomètre de longs et cent mètres de large, afin de casser la houle. Le remblai, constitué d’ordures, de vestiges archéologiques et de restes de bâtiments détruits du centre-ville, est confié à l’agence américaine Skidmore,Owings & Merril (SOM). Visible depuis l’ouest de Beyrouth, le futur Waterfront joue un rôle essentiel dans la composition du nouveau tissu urbain du centre-ville, structurant la façade maritime de la ville avec des promenades publiques et des activités maritimes.

b- Identité et héritage architectural et urbain. Les anciennes villes comme Beyrouth, sont constituées de multiples couches historiques superposées. De multiples éléments de ces couches superposées survivent jusqu’au nos jours, d’autres sont découverts au cours des fouilles archéologiques. La juxtaposition de ces couches historiques contient l’héritage et l’identité de la ville. L’un des buts essentiels du projet de reconstruction est, donc, d’intégrer le nouveau à l’ancien, la démarche d’intégrer les nouveaux concepts du développement urbain à l’ancienne trame urbaine est une procédure délicate et complexe, cependant le slogan adopté par le projet de reconstruction reste « Beirut : Ancient City of the Future » .17 Après le débat public autour du plan proposé par Solidere, un dernier plan directeur est proposé répondant aux sujets qui font polémique. Le nouveau plan prend en compte la mémoire et l’héritage de la ville à travers une conservation plus importante de l’ancien tissu urbain et de l’héritage architectural dans les vieux quartiers de Beyrouth. Le concept de Mémoire de la Ville est développé au cours de la conception du plan directeur entre les urbanistes et la première équipe d’archéologues chargés des travaux du centre-ville. Ces équipes donnent une attention particulière non seulement au développement de Beyrouth mais aussi à la mise en évidence des couches archéologiques successives et aux souvenirs nostalgiques de la période d’avant-guerre. Le nouveau centre-ville de Beyrouth est composé de diverses trames viaires qui font parties de la mémoire de la ville. Des vestiges, des trames romaines, médiévales et la trame des beaux-arts. Aujourd’hui la trame urbaine orthogonale des nouveaux quartiers comme le quartier des hôtels et le quartier d’affaires s’ajoute à la composition de la trame urbaine existante. En conséquence, la reconstruction met l’accent sur la conservation des bâtiments historiques comme les églises, les mosquées, et les fragments de l’ancienne ville romaine qui composaient la ville historique. De multiples bâtiments sont ainsi conservés dans les deux quartiers résidentiels de Saifi et Wadi Abo Jamil. La conservation de ces édifices et ces immeubles est notamment dans le but d’assurer la continuité des nouveaux projets avec la trame urbaine historique et les anciens modèles architecturaux. 17  Gavin Angus, Maluf Ramez, Op.cit., p.55.


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3- Les découvertes archéologiques. L’élément majeur qui enrichit le centre-ville de Beyrouth est notamment son héritage archéologique. Des couches appartenant aux précédentes villes historiques sont découvertes lors des fouilles archéologiques, donnant un aperçu sur les modes de peuplement et d’aménagement antiques remontant à des milliers d’années. Portrait de ville décrit les découvertes archéologiques au cœur du centre-ville : « Les découvertes, très riches, couvrent les périodes depuis l’âge du bronze. Le noyau primitif de la cité cananéenne qui remonte au troisième millénaire, est découvert sur la place des Martyrs. Les fouilles permettent de mettre à nu des canalisations d’égouts en sept couches superposées. Depuis les périodes, grecques, romaine, byzantine, ottomane jusqu’à l’époque moderne, témoignant de la permanence des tracés. »18 Le plan d’aménagement du centre-ville apporte une grande attention à la valeur de l’héritage archéologique, l’un des objectifs du plan directeur est d’intégrer ces découvertes dans l’aménagement de l’espace public. L’emplacement de chaque élément est étudié en apportant les modifications nécessaires sur le plan directeur de base. Ensuite, de multiples solutions ont été proposées pour la préservation de ces vestiges comme la préservation in situ, l’intégration dans le projet d’aménagement, ou le déplacement des fragments pour les exposer ailleurs. Les décisions prises concernant la préservation varient selon les différents cas. Une zone archéologique spéciale est identifiée sur le plan de reconstruction, cette zone englobe les limites monumentales de la ville romaine. Cependant aucune décision n’est prise pour l’aménagement de cette zone car les fouilles archéologiques ne sont pas encore achevées. Un autre cas est celui d’un grand espace public prévu sur la place de Khan Antoun Bey, créant un lien entre la trame historique et le nouveau projet d’aménagement. A cause des destructions et des catastrophes naturelles que la ville antique de Beyrouth a subi, la majorité des couches archéologiques sont gravement endommagées. Les découvertes monumentales sont rares. Cependant les découvertes de tailles moyennes sont multiples. Le principal travail des archéologues n’est pas de chercher un objet en particulier, mais de découvrir et d’archiver l’histoire des différentes couches historiques. Ce projet urbain comme décrit dans cette partie, représente seulement la vision de ses concepteurs et la société foncière privée Solidere chargée de la reconstruction du centre-ville. Pour le peuple libanais et pour certains architectes et intellectuels, ce projet reste un véritable massacre urbain et archéologique préservant quelques traits de la ville antique de Beyrouth.

18

Tabet Jade, Ghorayeb Marlène, Huybrechts Eric et al, Op.cit., p.50.


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schèmas explicatif des couches superposés du tissus urbain

La Reconstruction

La période de guerre

Le Mandat Français

photo Yara Yazji, Beyrouth 2018

La période Ottomane

La période Médivale

La période Romaine

La période phénicienne

Source: Gavin Angus, Maluf Ramez, 1996. Beirut Reborn. Beyrouth, Academy Editions, London.

photo Yara Yazji, Beyrouth 2018


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IIII. le centre-ville de Beyrouth après la reconstruction jusqu’à ce jour 1-Un paysage contrasté et une centralité perdue. La centralité beyrouthine est aujourd’hui un symbole grandiose de l’échec d’une reconstruction imposée par les conditions politiques et économique du Liban d’après-guerre, l’état impuissant et la faiblesse des institutions publiques ont permis à l’ancien Premier ministre Rafic Hariri, à travers sa société Solidere, d’imposer une politique de reconstruction peu respectueuse de la longue histoire de Beyrouth. Les plans de développement et de reconstruction de la société Solidere s’avère être mis en place essentiellement dans le but de réduire l’emprise des quartiers historiques pour les remplacer par des immeubles résidentiels de luxes et des bâtiments dont les bailleurs sont des sociétés privées. Aujourd’hui, après la réalisation de ces plans de reconstruction, la centralité beyrouthine témoigne d’une incohérence dans son paysage urbain. Les tours et les immeubles luxueux construits par Solidere se trouvent alignés aux côtés des bâtiments durement touchés par la guerre (ni ruines, ni réhabilités). C’est le cas du complexe de cinéma et le Holiday Inn au centre-ville. D’autres cas témoignent de l’échec des plans de reconstruction, comme les longues allées partant de la place de l’Etoile, à part quelques touristes venus prendre en photo ce qui devrait être le centre-ville historique et commerçant de Beyrouth, il n’y a pas âme qui vive. Les cafés terrasses restent désespérément vides et les magasins sont fermés. Le silence de cette partie du centre-ville tranche avec les bruits assourdissants de la ville quelques centaines de mètres plus loin. Ce silence est dû à la présence continue des militaires qui surveillent nuit et jour ce labyrinthe désert. En effet, le parlement n’est pas loin et le quartier est considéré comme effrayant pour les beyrouthins. Pour Cecilia Pieri, chercheuse à l’Institut français du Proche-Orient, directrice de l’Observatoire urbain de Beyrouth, : c’est la reconstruction entreprise par l’ancien Premier Ministre Rafic Hariri et la compagnie Solidere qui est à l’origine de cette désolation. « Solidere a fait son marché dans ce qu’il voulait garder ou ne pas garder, ce qu’il voulait détruire ou reconstruire. Il n’a pas créé la spéculation au Liban parce qu’elle existait avant la guerre, mais il l’a exacerbée et l’a érigée en modèle unique. En ne reconstruisant pas les souks tels qu’ils étaient, en repoussant la gare routière et en supprimant le train, Hariri a voulu remodeler ce qu’on appelle aujourd’hui par un abus de langage les “souks de Beyrouth” pour en faire une vitrine, un outil de représentation. Le centre-ville n’est plus fréquenté par les Beyrouthins parce que c’est une vitrine conçue comme un modèle commercial tellement unique que maintenant que le client unique ne vient plus, c’est-à-dire l’Arabe du Golfe, le quartier dépérit. » 19 Ignorant la rareté et la précision de l’ancien tissu urbain de Beyrouth, le plan directeur de Solidere, efface de la mémoire collective libanaise les labyrinthiques ruelles ainsi que l’urbanité des traditionnels souks du centre-ville de Beyrouth. Ces Souks disparus ayant pris l’apparence d’un vague souvenir ne pourront bientôt plus être remémorés et tomberont à jamais dans l’oubli. Solidere affirme protéger la mémoire de la ville en conservant quelques monuments, néanmoins leur contexte urbain reste ignoré. 19 Camille Lons, Downtown, Chronique d’une ville fantôme, [En ligne],2015, mise en ligne le 30 aout 2015, consulté le 20 avril 2018. URL :https://beiruturbanmemory.wordpress.com/2015/08/30/downtown-beyrouth-ville-fantome/


18 La société foncière conserve ces monuments pour ensuite se les réapproprier dans son urbanisme récréatif du spectacle des images. Sa vision a reconstruit une image de la ville à travers une histoire nationale convenablement adaptée.20 Les tentatives de ce plan de reconstruction annoncent un échec dès la fin de la campagne de reconstruction, faute de clients pour occuper les immeubles de luxe et les surfaces de bureaux construites. Le réaménagement du centre-ville marque aujourd’hui le pas, suite aux difficultés économiques, à la fragilité financière accrue par une dette publique qui dépasse les 20 milliards de dollars21 et l’instabilité politique régionale. Aujourd’hui, Beyrouth apparait comme une ville inachevée, une capitale incomplète, les constructions sont jusqu’à aujourd’hui ralenties voire suspendues et le ciel de Beyrouth est encore envahi par des grues qui perturbent la lecture du paysage urbain.

photo Yara Yazji, Beyrouth 2018

photo Yara Yazji, Beyrouth 2018

20  Rawad Chaker, Chroniques/ « DUBAÏSATION » de Beyrouth, Urbanités [En ligne],2013, mise en ligne le 11 février 2013, consulté le 12 janvier 2018. URL : http://www.revue-urbanites.fr/chroniques-la-dubaisation-de-beyrouth/ 21

Tabet Jade, Ghorayeb Marlène, Huybrechts Eric et al, Op.cit., p.54


19

2. La fréquentation du centre par les Beyrouthins et la nostalgie des lieux. Pour mieux comprendre la situation complexe de Beyrouth, J’ai effectué un voyage au mois de février pour voir de près la réalisation du plan de reconstruction et la relation des libanais avec le nouveau centre-ville. J’ai pu effectuer quelques entretiens qui m’ont aidée à situer la polémique autour du centre-ville aujourd’hui. De plus j’ai pu réaliser une enquête auprès des libanais concernant leurs rapports au centre-ville. Cette partie du rapport se base d’une part sur l’analyse des résultats obtenus de l’enquête et d’autre part sur les multiples échanges lors des entretiens sur place. La mémoire d’une ville survit à travers ses habitants. Dans une ville où la centralité est refaite, la population peut déterminer si, aujourd’hui, ces plans de reconstruction du nouveau centre-ville fonctionnent réellement et quelle relation ils entretiennent avec la mémoire de la ville et son patrimoine. Désormais, les Beyrouthins évitent la fréquentation de leur centre-ville, car la vision complètement déformée de ce dernier ne représente plus rien pour eux alors qu’à un certain moment donné cette centralité représentait la dynamique du quotidien de la ville. Seul la population âgée garde des souvenirs de l’époque d’or du centre-ville où toutes les activités administratives, économiques et politiques se concentraient pour former un cœur florissant, berceau de la vie sociale. La jeunesse qui n’a pas connu le Beyrouth d’avant-guerre ignore la vision d’un centre historique accessible à tous. Suite à un entretien effectué avec Ghassan Moukheiber, politicien et avocat, partage ses souvenirs de l’ancien centre-ville ainsi que sa vision sur le nouveau plan de Solidere : « J’ai de très beaux souvenirs de l’ancienne ville de Beyrouth, j’allais chez un marchand de parapluie avec ma mère, à l’entrée du souk y avait un conteur qui raconté Antar, je me rappelle toujours ce conte, il y avait une senteur, une vie pétillante qu’on ne voit plus. Aujourd’hui c’est un autre Beyrouth, ce Beyrouth vivace active est allé ailleurs. Une partie du centre-ville est morte, c’est une ville fantôme. Je crois qu’il y a des efforts pour la raviver mais il faut des politiques économiques en plus des politiques sociales qui tardent à se mettre en place. D’autres parties du centre-ville, sont hors prix pour les Libanais normaux, les propriétés sont possédées par les très riches qui ne viennent à Beyrouth que pour passer quelques jours en été. » Pour Mona Hallak, architecte et activiste, l’un des symboles les plus marquants de cette transformation du centre-ville est celui du vendeur de jus Ain Tableh, très populaire avant la guerre civile pour son jelleb, une boisson locale, et ses limonades. « Ain Tableh était le roi du jelleb et des limonades », se souvient-elle. « Il se situait en plein cœur du vieux souk, sur une petite place où se trouvait une fontaine, nefura al ain tableh. A l’époque, ils rinçaient les tasses dans la fontaine, les gens n’avaient qu’à prendre une tasse, la laver et aller se servir en boisson. C’était un endroit extrêmement populaire. Quand ils ont reconstruit le centre-ville, le souk est devenu un centre commercial et ils ont totalement perdu cet esprit du lieu. Ain Tableh voulait revenir dans son ancien magasin mais les loyers étaient devenus inabordables. Ils ont refusé de lui faire un prix spécial pour qu’il puisse se réinstaller près de la fontaine, donc il a été louer un magasin plus petit quelques dizaines de mètres plus loin, et un autre café a pris sa place. Il était la mémoire vivante du vieux souk. Ce n’est qu’après que l’autre café ait fermé qu’il a pu


20 retrouver sa place initiale près de la fontaine. C’est un bon exemple de la façon dont la mémoire locale est souvent passée après les questions financières. Le centre-ville rassemblait des gens de toutes les classes sociales, maintenant je ne peux même plus moi-même m’offrir une simple boule de glace là-bas».22

Pendant mon séjour à Beyrouth, après avoir récolté de différents avis concernant le nouveau centre-ville de Beyrouth ainsi que plusieurs points de vues comparant l’ancien centre à celui construit par solidere. J’ai eu l’intention de faire une enquête à travers un questionnaire en ligne, L’objectif de l’enquête consiste à recueillir les opinions et les impressions des Beyrouthins sur la situation actuelle et le développement du centre-ville d’aujourd’hui. L’enquête se compose de trois volets. Le premier porte sur le taux de fréquentations du centre-ville et le taux de satisfaction. Le deuxième volet concerne les raisons pour lesquelles les gens fréquentent le centre-ville , le dernier concerne les suggestions et les critiques que les gens peuvent faire vis-à-vis du centre-ville. L’enquête est menée auprès de 50 personnes et de trois types de populations : des étudiants, des salariés ou des entrepreneurs et des visiteurs ou des touristes, tous ces gens font partie de la nouvelle génération qui n’a pas forcément connu la période d’avant-guerre.

1- le Taux de fréquentation du centre-ville ?

22 Camille Lons, Downtown, Chronique d’une ville fantôme, Op.cit.


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2- le temps de fréquentation du centre-ville

L’enquête montre un fort taux de fréquentation du centre-ville, généralement les personnes se rendent souvent au centre-ville, plus qu’une fois par mois. Les étudiants s’y rendent en soirée et les salariées plutôt l’après midi. 3- Que vient-on faire au centre-ville?

Les habitués du centre-ville s’y rendent essentiellement pour aller dans des restaurants ou pour faire du shopping. Très peu de gens se rendent au centre-ville pour pratiquer des sports. Cela montre que les pratiques économiques et commerciales au centre-ville sont relativement plus importantes que d’autres pratiques liées au quotidien des Beyrouthins.


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3-Que représente le centre-ville pour vous ?

Le centre-ville de Beyrouth est fortement chargé de signes et d’images malgré son manque de planification, la majorité des personnes trouvent que le centre-ville représente un lieu touristique, dans un deuxième temps une grande partie trouve que le centre est un lieu fréquenté principalement pour les loisirs. Les deux derniers constats éloignent l’idée d’un centre-ville construit pour ses habitants, le nouveau centre-ville est un lieu d’attraction touristique et commerciale. De plus l’enquête montre que la notion du patrimoine est encore présente mais ce n’est plus le symbole principal du centre-ville, l’image du centre-ville historiques se perd, laissant la place à un centre envahi par les activités commerciales, les spéculations foncières, les immeubles de luxe visant une classe de touristes riches du golf sinon des libanais immigrés qui ne font que de brèves apparitions durant l’année. 4-Le nouveau centre-ville de Beyrouth est fonctionnel


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5-Suis-je satisfait(e) de l’amÊnagement du centre-ville?


24 Quant à la question : Suis-je satisfait(e) de l’aménagement du centre-ville ? Les réponses sont très approximatives alors qu’ils critiquent ouvertement le projet comme nous pouvons le voir dans les réponses ouvertes à côté. Ainsi nous constatons que , pour la question 4, la majorité des gens repondent négativement. Certains trouvent que le centre-ville n’est pas à l’image de la ville de Beyrouth, ils trouvent aussi que l’accès est parfois limité à l’espace public par la présence de la gendarmerie. D’autres confirment que le centre-ville est mal aménagé en ce qui concerne les espaces verts et les places publics, la population, à travers les réponses receuillies trouvent que le centre a totalement perdu son identité. 6- Des critiques du centre-ville?


25 7- Des suggestions pour des aménagements futurs du centre-ville?

À la fin de l’enquête nous posons deux questions ouvertes d’une part concernant des critiques adressées au centre-ville actuel et d’autre part, des suggestions pour des futurs aménagements du centre-ville. Nous constatons que dans cette recomposition patrimoniale, urbaine et sociale, délimitée dans le secteur du centre-ville, une part de la population beyrouthine n’a pas vraiment adhéré à l’image figée du nouveau centre-ville qu’on a imposé par Solidere, ou, la mémoire de la ville réduit la longue histoire de Beyrouth à quelques morceaux choisis


26 destinés à alimenter la spéculation immobilière. Cependant le Centre-ville dégage dans l’imaginaire des jeunes générations une très forte représentation symbolique associé aux plaisirs des yeux mais aussi aux plaisirs du ventre.23 Aujourd’hui, la société libanaise est beaucoup plus extravertie, plus occidentalisée, elle ne cherche plus l’intimité mais elle recherche la foule, la cohue qui fait penser aux rues commerçantes des capitales occidentales, aux cafés-trottoirs européens, cette association permet l’évasion. Autrement dit de fuir la réalité du pays en crise. C’est comme ouvrir une porte et pénétrer dans un autre monde, une autre ambiance marquée par de nouveaux repères et de nouveaux codes : On va au Centre-ville comme on va en vacances !24

3. Quel avenir pour le centre-ville ? Le paradoxe de Beyrouth, dans ce passage entre deux siècles, vient de ce qu’elle bénéficie aujourd’hui d’un niveau en termes d’infrastructures et d’équipement immobiliers qu’elle n’a jamais connu auparavant, alors que la demande s’est effondrée. Désormais, malgré tout ce qui a été construit, Beyrouth ressemble à un grand chantier en cours de construction. De multiples projets, de Solidere ainsi que d’autres investisseurs sont toujours en cours sur son terrain. Malgré la situation économique et politique déplorable dans lequel plonge le Liban, le potentiel du développement reste présent, en attente des changements à l’échelle régionale qui peuvent déclencher un nouveau cycle de croissance. Loin du patrimoine de la ville ancienne de Beyrouth, Le Projet de reconstruction s’est développé pour faire de Beyrouth une métropole sur la scène régionale et internationale. Nous nous demandons si les prochaines étapes du développement de Beyrouth poursuivront dans la même démarche de métropolisation et d’attractivités économiques et foncières. Ghassan Moukheiber nous parle de l’avenir du centre-ville en disant : « Je crains que ce ne soit qu’un lieu pour les très riches qui ne vivent plus à Beyrouth, ça va être un centre-ville pas vraiment habité à moins d’une réflexion nouvelle sur l’avenir de ce centre-ville. » Le pari sur l’avenir est celui d’une ville qui essaie de réinventer les conditions d’une ville dynamique nouvelle, différente de celle qu’elle a connu durant les années florissantes de l’avant-guerre. Beyrouth, une ville désordonnée et avide de développement et d’ouverture, ne cesse pas de réinventer de nouvelles identités à travers sa longue histoire, cette capitale méditerranéenne étourdissante, réserve-t-elle encore des surprises pour l’avenir ?

23 Liliane Buccianti-Barakat, Le centre ville de Beyrouth ou un patrimoine réinvente ?,open edition books [En ligne], p 125-144, consulté le 14 janvier 2018. URL: http://books.openedition.org/pur/2233?lang=fr 24 ibid.


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Conclusion Beyrouth, depuis les premiers plans de reconstruction datant de 1932 jusqu’à aujourd’hui ne cesse de se réinventer, à chaque reprise les plans de reconstruction ne reflètent pas seulement la vision des concepteurs mais ils incarnent une vision politique dirigeant la réalité des projets. L’urbanisme et la planification de Beyrouth à travers les divers plans proposés éloigne donc la ville de son âme méditerranéenne et de sa longue histoire pour des raisons que l’on estime politiques et économiques. Le dernier plan de Solidere, très ambitieux en vue de la reconstruction d’une ville portée sur le futur. n’a pas atteint l’objectif estimé visant à lier les composantes de la ville et à redonner le centre-ville à ces habitants vu l’engagement du départ. Vingt-cinq ans après, nous constatons que le paysage du centre-ville reste mitigé entre les grandes hauteurs et les immeubles ruinées par la guerre. Les espaces « dits publics » ne sont pas vraiment accessibles pour tous. Les vides, les grands espaces de parking et les chantiers au centre-ville ne donnent pas une vision complète du projet et nous laisse perplexe devant un espace non défini. Impossible de circuler à pied sauf si l’on reste dans un quartier, sur la corniche ou dans les souks de Beyrouth. On a l’impression que le centre est décousu et s’étire difficilement, ceci, sans mentionner que les commerces et les activités installées au centre-ville sont onéreux et restent inaccessibles pour la majorité de la population. Le rôle de l’architecte dans tous les plans de reconstruction reste très mitigé, les politiques prennent le dessus et le passage de la conception à la réalisation présente plusieurs points d’ombres. Le principal problème d’effacer le zonage et la division confessionnelles des quartiers d’après-guerre est résolu partiellement. Malgré une volonté du plan directeur qui consiste à créer des liaisons à travers les espaces verts et les places publiques, La solution face au zonage n’est pas spatiale comme promise dans les plans de base. Elle provient de la volonté du peuple à se mélanger afin d’effacer les traces de la guerre. George Arbid, Architecte et directeur de Arab Center of Architecture nous parle du projet Solidere : « Solidere est un modèle qui favorise le capital, l’argent, le bénéfice, au niveau urbain et au niveau social ce n’est pas une réussite. ce n'est pas un projet qui comme à l'époque nous a promis d’unifier les libanais et de redonner au centre-ville son rôle, de rencontre et que toute les strates économiques du pays pourraient trouver leurs places. Il n y a pas eu de vrais bénéfices tel qu’on a promis , la classe moyenne disparaît, de plus en plus de richesse ou de pauvreté... le projet de Solidere a vraisemblablement contribué à cet écart. j’ai écrit quelque part sur le fameux phénix qui renaît de ses cendres. ce mythe libanais ou phénicien qui va renaître de toute façon de ses cendres . j’ai dis oui mais à quel prix, est ce que ça profite à tout le monde?. donc c’est plutôt un mythe qu’une réalité, ce mythe de phénix. Alors le projet de Solidere est devenu aussi un modèle dans la région, c’est ça qui est encore plus grave à Amman, en Egypte et ailleurs. On vend ce modèle là, qui est le modèle de l’initiative privé, c’est de la gentrification. cela est très clair à Beyrouth. Très peu de gens ont les moyens d’habiter le centre- ville ou avoir un bureau au centre ville ou même avoir une petite chambre . c'était donc surtout de la spéculation foncière» Les Beyrouthins, même les jeunes, n’ayant pas connu la ville comme elle était avant la guerre rêvent d’un centre-ville à l’image du pays, accessible pour tous et berceau de la culture libanaise, loin des courant de métropolisa-


28 tion importés. Plusieurs association et organisation luttent pour l’arrêt des projets essayent de transformer la ville en une ville de tours en voie dubaÏsation, ils essayent de sensibiliser la population ainsi que les touristes sur l’identité de Beyrouth, son histoire et les restes cachés de son patrimoine. A la fin de ce rapport nous nous demandons si l’un des projets de reconstructions antérieurs au plan de Solidere aurait pu valoriser la ville, son patrimoine et la mémoire de ces habitants. Cependant nous ignorons si c’est le pouvoir politique qui n’importe quel soit la vision des concepteurs aurait déformées la réalité du plan et ces projets. Selon les divers avis recueillis des habitants, l’enquête, et le entretiens menées pout ce rapport, nous pouvons estimer que le plan du centre-ville tels qu’il est aujourd’hui se considère comme non fonctionnel et ne satisfait pas les Beyrouthins. Il s’éloigne de la culture locale des libanais et renforce les différences sociales entre la population. Cependant nous ne pouvons pas juger ni trancher définitivement sur le fonctionnement du plan initial car plusieurs projets de Solidere ne seront pas achevés avant 2030 25comme le remblai Waterfront et le parc archéologique. Le jugement ne pourrait se faire qu’après la réalisation effective et finale. Nous nous demandons si Solidere deviendra véritablement un modèle de reconstruction dans les pays subissant de tels conflits, la reconstruction sera-t-elle un moteur de gentrification urbaine et de spéculation foncière menaçant l’identité et le patrimoine des villes du Moyen-Orient ?

25 Consulté le 02 mai 2018. URL : http://www.solidere.com/city-center/urban-overview/districts-main-axes/waterfront


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Bibliographie Articles Ego, Renaud, 1993. « Dernière (la) bataille de Beyrouth », L’Architecture d’aujourd’hui, oct.1993, n°289, pp. 52-63. 1996 « Beyrouth le fantôme de la modernité » mars, D’A. D’Architectures , mars.1996,n°63, pp. 48-51. Arbid Georges,2017, «Beyrouth ou la modernité Bafouée », l’Architecture d’Aujourd’hui, mai,2017, n418, pp. 56-61.

Thèses Verdeil Eric, 2002, Une ville et ses urbanistes: Beyrouth en reconstruction, Thèse de doctorat en géographie, M. Pierre Merlin, Paris, Université Paris I, 656 p.

Livres Awada Jalu Sawsan, 1994. La Reconstruction de Beyrouth. les enjeux d’un débatpublic. In Ville reconstruites du dessin au destin volume II . Présentation de Patrick Dieudonné, Edition de l’Harmattan, Paris, pp 43-53. Tabet Jade, Ghorayeb Marlène, Huybrechts Eric et al, 2001. Portrait de ville. Beyrouth, Institut Français d’architecture, Paris, 64 pages. Debié Franck, Pieter Danuta, Verdeil Eric, 2003, La paix et la crise: Le Liban reconstruit?, Presse universitaire de France,Paris, 279 pages. Eddé Henri, 1997, Le Liban d’ou je viens, Buchet/Chastel, Paris, 1997. Mermier Franck,2015, Récits de ville: d’aden à Beyrouth, Sindbad, Paris, 2015, pp. 47-114. Gavin Angus, Maluf Ramez, 1996. Beirut Reborn. Beyrouth, Academy Editions, London, 148 pages.


Références électroniques Abou-Merhi Karim, « L’identité beyrouthine et la reconstruction », Géographie et cultures [En ligne], 65 | 2008, mis en ligne le 28 décembre 2012, consulté le 10 janvier 2018. URL : http://journals.openedition.org/ gc/1177 ; DOI : 10.4000/gc.1177 Chaker Rawad, Chroniques/ « DUBAÏSATION » de Beyrouth, Urbanités [En ligne],2013, mise en ligne le 11 février 2013, consulté le 12 janvier 2018. URL: http://www.revue-urbanites.fr/chroniques-la-dubaisation-de-beyrouth/ Amiot Hervé, Beyrouth (1) : La reconstruction à l’echelle métropolitaine, les clés du Moyen Orient [En ligne], 2013, mise en ligne le 06/11/2013, consulté le 12 janvier 2018. URL: https://www.lesclesdumoyenorient. com/Beyrouth-1-la-reconstruction-a-l.html Amiot Hervé, Beyrouth (2): la reconstruction du centre-ville par la société solidere, les clés du Moyen Orient [En ligne], 2013, mise en ligne le 06/11/2013, consulté le 12 janvier 2018. URL: https://www.lesclesdumoyenorient.com/Beyrouth-2-la-reconstruction-du.html Buccianti-Barakat Liliane, Le centre ville de Beyrouth ou un patrimoine réinvente ?, open edition books [En ligne], p 125-144, consulté le 14 janvier 2018. URL: http://books.openedition.org/pur/2233?lang=fr Verdeil Éric, 2002, Réflexions préliminaires sur les temporalités de la construction de la notion de patrimoine urbain, HAL archives ouvertes [En ligne], mise en ligne le 10 septembre 2004, consulté le 3 janvier 2018. URL: https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-00002824/document. Lons Camille, Downtown, Chronique d’une ville fantôme, Beirut Urban Memory [En ligne],2015, mise en ligne le 30 aout 2015, consulté le 20 avril 2018. URL: https://beiruturbanmemory.wordpress. com/2015/08/30/downtown-beyrouth-ville-fantome/


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Annexes / 1- Entretiens

George Arbid, Architecte et directeur de l'Arab Center for Architecture (ACA),Beyrouth, Enseignant à l'université Américaine de Beyrouth (AUB) http://www.bema.museum/bema/explore/architecture/the-jury

- Solidere est un modèle qui favorise le capital, l’argent, le bénéfice, au niveau urbain et au niveau social ce n’est pas une réussite. c’est pas un projet qui comme à l'époque nous a promis d’unifier les libanais et de redonner au centre-ville son rôle, de rencontre et que toute les strates économiques du pays pourraient trouver leurs places. Il n y a pas eu de vrais bénéfices tel qu’on a promis , la classe moyenne disparaît, de plus en plus de richesse ou de pauvreté... le projet de Solidere a vraisemblablement contribué à cet écart. j’ai écrit quelque part sur le fameux phénix qui renaît de ses cendres. ce mythe libanais ou phénicien qui va renaître de toute façon de ses cendres . j’ai dis oui mais à quel prix, est ce que ça profite à tout le monde?. donc c’est plutôt un mythe qu’une réalité, ce mythe de phénix . alors le projet de solidere est devenu aussi un modèle dans la région, c’est ça qui est encore plus grave à Amman, en Egypte et ailleurs. On vend ce modèle là, qui est le modèle de l’initiative privé, c’est de la gentrification. cela est très clair à Beyrouth . Très peu de gens ont les moyens d’habiter le centre ville ou avoir un bureau au centre ville ou même avoir une petite chambre . c'était donc surtout de la spéculation foncière Maintenant au niveau de l’architecture et de la mémoire , je peux vous montrer ici, sur ce mur une carte de Beyrouth dessiné par heiko schmidt, Vous la connaissez peut être .. tout ce qui est dessiné en bleu est démoli après la guerre , il y a des démolitions avant la guerre et des démolitions après la guerre ,donc ça vous donne un peu ce qu’on a appelé projet de reconstruction et plutôt un projet de démolition pour reconstruire évidemment avec des spéculations et de reconstruire plus haut. Au niveau de l’architecture, si tu veux aussi parler de la question de la mémoire on a favorisé surtout la reconstruction et l’image des immeubles du mandat français qui sont magnifiques, très beaux. Ils sont construit par des libanais , on a toujours l’impression que c’est des français mais c’est des libanais qui les ont construits pour des clients libanais mais ils ont été construits pendant le mandant c’est pour ça qu’on les appelle les immeubles du mandat . On a démoli une bonne partie de la ville car on l’a considérée sans qualité architecturale par ce qu’ elle est ni assez ancienne ni elle représente cette idée du progrès qui est simplifié sous l’image d’immeubles en verre soit- disant pro-


33 gressiste et futuriste. Cette ville de tous les jours,cette ville du 20ème siècle, Beyrouth est une ville du 20ème siècle, elle a été grignotée et démolie et aujourd’hui il reste des vestiges, quelques immeubles, des petits quartiers, Foch Alenby et puis elle est offerte à la reconstruction. Ce que nous faisons ici au centre, Arab Centre for Architecture, on a des archives et des dessins, nous produisons des cartes postales, des publications, nous faisons des conférences, nous essayons de montrer que Beyrouth a connu une période( entre les années 40 et 70) où elle avait réussi à créer un équilibre d’abord entre l’ancien et le nouveau, on a moins démoli à l’époque qu’après. Et puis, la hauteur des immeubles était encore viable , dans des quartiers ou il y avait des maisons ou des immeubles de 3 ou 4 niveaux avec 3 ou 4m de hauteur 4*4 ça fait 16m ou 17m. on fait 2 ou 3 étages pas plus, on rajoute 1 ou 2 étages dans une proportion viable de quartier en coupe entre la largeur et la longueur de la rue . Aujourd’hui on se retrouve avec des grandes tours au milieu des quartiers qui ne peuvent pas l'accepter ni au niveau de la circulation ni au niveau de la hauteur des immeubles alentours , au niveau de l'ensoleillement, des jardins qu’on peut plus se permettre sans forcer de faire un recul pour aller plus haut à cause du gabarit. C’est pour dire que la convivialité de la rue urbaine Beyrouthine est perdue. Je pense que le projet de Solidere est en partie responsable de ça , même si bien entendu dans les brochures on te parle de redonner le centre ville à ces habitants,de créer des espaces verts mais c’est généralement pas des espaces verts accessibles et aussi ce qu’ils appellent espace public. On prend par exemple le quartier de Saifi Village j’ai cité ça aussi dans un article, on a un espace public tu vas là , tu vois un enfant , deux domestiques de la maison et deux policiers qui te regardent de travers , on te dit que c’est un espace public, ils te regardent de travers car ils savent que tu n’est pas du quartier ,c’est quoi cet espace public ou ils me regardent de travers car je suis de passage ?. Et si tu passes dans la rue , evidemment les façades t’as tous les attributs , les attributs de l’architecture traditionnelle , les trois arcades etc… même si cette architecture n’est pas de grande qualité, c’est pas du tout les proportions de l’architecture traditionnelle , derrière ces arcades t’as des fenêtres en aluminium rectangulaires qui sont à peine à un mètre donc on a pas le balcon qu’on connaissaient avant et regardez les plans en détail on verra que ces arcades ne donne pas tout le temps sur l’espace de vie mais des fois sur des chambres et donc le salon a une petite fenêtre, car l’architecte n’a pas réussi à caler le désir des façades dans la réalité du plan . -après les débats sur les plans de de reconstructions, Solidere fait des modifications sur le projet de départ pour donner plus d’importance au patrimoine du centre ville, et pour préserver un plus grande nombre d'immeubles du centre ville. Les nouveau plan annonce aussi la création de divers site parc archéologiques. ça a pris quelle place dans la réalisation du plan aujourd'hui ? -je connais pas très bien la question archéologique , je saurais pas te dire . mais c’est claire que les décisions qui peuvent être prises pour la protection et la mise en valeur de vestiges trouvés ou autrement les décisions pour les relever ou les déplacer ailleurs parce que le projet doit fonctionner , ce genre de décisions est toujours sous la pression de l’argent , rarement on a vu une décision qui est plutôt culturelle , nationale, d'intérêt public primer sur la décision du capital. Ici le modèle tel qu’il est instauré ne permet pas une revanche du public ou de l’espace public ou de l'intérêt public, du bien public sur le bien privé. Mais au contraire tous les rouages de la machine sont dans les mains de celui qui fait le projet . C’est pour ça que ça m'étonnerait que la politique ait changé drastiquement ou


34 qu'on ait décidé de devenir des mécènes de la culture , ça m'étonnerait beaucoup . Si tu prends un exemple comme le bâtiment du grand théâtre on s’est battu comme des fous pour qu’il reste culturel etc mais la décision a été prise pour le transformer d’abord en Spa puis en café-concert ce n’est plus le théâtre qu’il était... . -Est- ce que beyrouth est une ville en voie de dubaisation , une ville où le centre ville devient un centre ville d’affaires ? -Oui, il devient de moins en moins un centre ville de vie comme tel qu’il était, il y avait tout , il y avait un bel équilibre de conditions économique et d’activités . il faut dire que même avant la guerre un nombre de ces activités s'était déplacé vers Hamra aussi, les cinémas, les bureaux aussi à cause de la présence de l’AUB, à cause de la présence de la communauté américaine qui était là et les employés des sociétés , les agences de voyages ,les sociétés de pétrole , toutes sortes de sociétés .Le centre de gravité avait un peu shifter vers l’ouest de Beyrouth vers Hamra . Toujours estil que le centre avait encore bcp de vie normale. Le problème de centre ville créé par solidere , c'est qu’il est artificiel, c’est de créer sans la demande. Si on prend la position de Solidere, on peut dire que c'est les manifestations du centre ville qui ont ruiné toutes les affaires , les gens qui ont ouvert un café ce sont ruinés à cause de Hezbollah qui a fait un sit-in, ce sont des démagogies politiques. le centre ville tel qu’il a été proposé n'était pas un centre-ville qui tenait en compte réellement une vie normale de la ville et une inclusion légitime de toute les conditions économiques. -les personnes expropriées du centre ville sont- ils toujours des habitants du centre ou pas? -Non, ils sont plus là, il faut les voir, il y a en a, je ne connais pas leur noms, je sais qu'il y a un avocat qui était le …. , qui était dans toutes les batailles[...]. -Après cette démarche de reconstruction est ce que Beyrouth se positionne-t-elle plutôt à côté des villes modernes ? -Ils essaient, le slogan déjà de solidere “ville antique pour le futur” donc, il y a cette idée d'être ancrée dans l'histoire et en même temps être projetée dans l’avenir, et moi je dis toujours que le problème c’est que le passé récent n’existe pas dans le slogan ça veut dire qu'il n’existe pas dans leur vie, dans leur vision. on se base sur les histoires anciennes pour légitimer ce qu'on fait dans l’avenir. -Y a t il des traces de la ville ancienne dans la mémoire de la population? -très ancienne oui, il y a quelque traces évidemment, il y a des ruines, il y a des choses qui existent mais ce qui est perdu c’est le quotidien de la ville, c’est vrai que la guerre l’a touché jusqu’à certain degré mais il y a eu encore cette idée de table rase plus forte que la guerre est faite,et avec cette table rase tu déplaces les gens, tu leur donnes pas l'occasion de revenir, tu exclue ce qui n’ont pas les moyens d’habiter dans les endroits comme ça. Tu fais de belles cartes postales et des images de cet avenir projeté, tu fais une liste d’architectes internationaux qui eux ils ont le droit de construire dans le centre ville, si tu es un architecte local tu dois aller t’'associer avec eux pour le nom, l’idée c’est qu'un architecte de renommée va apporter du tourisme architectural pour Solidere. c’est à dire vu que Solidere travail avec ces architectes renommés comment vous pouvez prétendre que notre qualité de construction n’est pas labonne.. Etc. c’est plutôt du marketing que d’urbanisme.[...]


35

Ghassan Moukheiber avocat et homme politique( deputé au parlement, membre de la commission parlementaire des droits de l'homme et membre de la commission parlementaire de l'environnement) http://www.dailystar.com.lb/News/Lebanon-News/2014/Dec07/280177-mp-moukheiber-urges-lebanon-to-join-icc.ashx

-Comment les architectes et les intellectuels ont lutté contre les projets de reconstruction de Solidere ? -Dans les temps il y avait un mouvement d’architectes qui s’est fédéré sous le nom « d’alternative A+ » …. . Aussi il y avait beaucoup d’écrits, l’actuel président de l'Ordre des Ingénieurs Jad Tabet avait beaucoup écrit. Il y avait une montagne d’obstacles à surmonter. Des intérêts financiers, des décisions politiques. il y a quand même eu des petits succès parce que si on compare le plan directeur de Beyrouth comme il était, et comment il est devenu, il y a eu des modifications. Le plan directeur ne faisait nulle place pour l’archéologie, l’archéologie s'est imposée. Le plan directeur à l’origine ne prévoyait pas la préservation des immeubles du patrimoine, cette protection a été forcée. Un autre projet phare c'est l'immeuble qui maintenant est devenue « Bait Beyrouth » le musée de la mémoire qui devait être démoli, une grande action médiatique à laquelle j'avais participé à Saint Wayné, les architectes ont lutté pour préserver cet immeuble de la destruction. Pour maintenir justement la mémoire de Beyrouth. Il y a eu plusieurs tentatives de créer des monuments à la mémoire de la guerre et le grand mémorial qui est constitué par le jardin de la réconciliation, ce jardin de la mémoire est décidé donc maintenant, il fait partie du projet. Cette influence s’est faite sentir, il y a eu des échecs et des petits succès comme cela mais ils sont toujours en reste c'est-à-dire que ce projet de jardin de la réconciliation tarde à se voir exécuter parce que Solidere n’a pas d’argent. Les espaces verts n’ont pas été créé, des espaces culturels non pas été construit comme le grand théâtre’. Toutes ces considérations culturelles, archéologiques étaient absentes du projet. -Et maintenant comment vous voyez la ville est-ce que ce projet est plutôt une réussite ou un échec ? -Non, à mon avis c’est un échec.


36 Je vais mitiger ma réponse, ce n’est pas un échec total, c’est très beau mais c’est totalement vide. il y a toute l’économie qui n’a pas suivi. Est-ce qu’il aurait pu y avoir d’autres alternatives, à mon avis oui. Un plan directeur avec une multiplicité de sociétés immobilières aurait été à mon avis meilleure que ce plan directeur avec une seule société qui a l’exclusivité de la gestion de l'espace. Les propriétaires ont été saisis dans leurs biens qui ont été transféré à une société de droit privé. Cette société a pris en charge plusieurs autres espaces publics, je peux les appeler des « magouilles », par des décisions politiques où ils ont repris un territoire qui a été réclamé sur la mer et bien d'autres. Donc c'était un cartel qui a géré dans un but de profit financier pur avec peu de participation, ce n'est plus une ville à l'image de ses habitants et c'est ce qui est triste. C'est une ville qui n'a plus d’âme, c’est une ville de grands immeubles qui n’est pas habitée. Surtout qu'il n'y avait pas eu une démarche de se mélanger, entre les habitations et les commerces. C’est tellement cher, il y même pas eu une perspective d'habitation sociale, d'encourager les gens d’habiter normalement et de vivre normalement. -Du coup est ce que vous voyez que Beyrouth devient une ville en voix de DubaÏsation une ville qui devient une ville d’affaires ? -Absolument. Elle était une ville Dubaisé, elle l’est un peu moins maintenant à cause de cette attention à l'histoire, au Patrimoine et autres. Elle a gardé un peu de caractère du fait des anciens immeubles qui étaient négligés dans le plan d'origine, c'est dommage que cette planification ne soit pas faite plus tôt. -Est-ce que vous pensez que Beyrouth garde toujours une mémoire de sa longue histoire sur son territoire ? -Difficilement parce que grande partie de sa mémoire a été détruite, la destruction des Souks, c'était des destructions criminelles parce qu’il n’y avait pas nécessairement besoin de tout détruire, ce n'est que beaucoup plus tard que les développeurs ont réalisé qu'il fallait préserver le patrimoine, ils ont réalisé que le patrimoine était beaucoup plus important que les grands immeubles de rapport qu'ils ont construit. C'est une ville donc, qui, à mon avis ; qui a raté sa planification. J'aime beaucoup Beyrouth elle garde un peu de son charme, c'est un peu comme la conférence qui a débuté aujourd'hui c'est le lieu qui reste, donc la mémoire de Beyrouth et ces quelques lieux qui restent, c’est des petits îlots dans un espace de béton, mais qui est par ailleurs très beau et très bien fait et très moderne. Ces Quelques petits îlots, quelques petits, qui n’ont pas vraiment été intégrés dans la vie sociale dans la vie de la ville, ça va probablement prendre beaucoup de temps. -L’ancien centre-ville de Beyrouth, garde quelle trace dans les mémoires des habitants ? -J’ai de très beaux souvenirs de l’ancienne ville de Beyrouth, j’allais chez un marchand de parapluie avec ma mère, à l’entrée du souk il y avait un conteur qui racontait Antar, je me rappelle toujours ce conte, il y avait une senteur, une vie pétillante qu’on ne voit plus. Aujourd’hui c’est un autre Beyrouth, ce Beyrouth vivace actif est allé ailleurs. Une


37 partie du centre-ville est morte, c’est une ville fantôme. Je crois qu’il y a des efforts pour la raviver mais il faut des politiques économiques en plus des politiques sociales qui tardent à se mettre en place. D’autres parties du centre-ville, sont hors prix pour les Libanais normaux, les propriétés sont possédées par les très riches qui ne viennent à Beyrouth que pour passer quelques jours en été -Quel avenir pour Beyrouth pour le centre-ville? Je crains que ça ne soit un lieu pour les très riches. Des très riche qui ne viennent plus à Beyrouth donc ça va être une ville pas vraiment habitée à moins d’une réflexion nouvelle sur l'avenir de ce centre-ville. -C’est triste, c’est une ville fantôme, je crois qu'il y a des efforts pour la raviver mais il faut des politiques économiques en plus des politiques sociales, qui tardent à se mettre en place, donc oui dans certaines parties c’est une ville fantôme aujourd'hui, d'autres parties du ce centre-ville est hors de prix pour les Libanais normaux. Les propriétés sont possédés par les très riches qui ne vient de passer quelques journées de l'été, voilà. -C'est une ville à l'image de son urbanisme qui est mal planifié et mal géré. Cette vie qui devient trop chère, qui nie ses fils, ses habitants, Beyrouth est une ville qui a toujours son côté très attachant qui est le fait de Dieu c'est la nature qui est belle. Il y a des choses qu'on ne peut pas détruire, mais tout le reste il y a eu énormément de destructions par la guerre et surtout par le manque de planification.


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Annexes / 2- Plans

Plan directeur de Solidere

The Master Plan ligne dushoreline littoral d'avant guerre Prewar zone faible densité New de development - low density zone moyenne densité New de development - medium density zone haute densité New de development - high density zone de développement en baslevel Development below corniche de la corniche Restored building les batiment restorés

batiments publics ou religieux Public or religious building Espace publicspace ouvert Public open Espace Private privé open ouvert space Site archéologique Archeological site rues piètonnes Pedestrian street / link services Utilities

The Master Plan includes proposed modifications to the New Wat plan


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Plan des places publics et de points de liaisons

1-Places des Martyrs 2-Place de l'Etoile 3-SĂŠrails 4- Khan Antoun 5- Parc sur la Corniche 6- Parc sur Port 7- Place de Saifi 8- Place de Ghalgoul 9- Place de Riad El Solh 10- Place de Wadi Abu Jamil 11- Place du Centre Commercial 12- Place du quartier des hotels 13- Place des Souks 14- Jardin de Santiye 15- Place de l'ArchĂŠologie

Source: Gavin Angus, Maluf Ramez, 1996. Beirut Reborn. Beyrouth, Academy Editions, London.

16- Place du nouveau quartier d'affaires


40

Plan des immeubles consérvés et des reconstructions proposées

Zone de consérvation Batimets religieux et civiques Batimets d'Heritage Batiments consérvés Reconstruction propsées Source: Gavin Angus, Maluf Ramez, 1996. Beirut Reborn. Beyrouth, Academy Editions, London.


41

Annexes / 3- Photos

Place de l'Etoile, axes et entourages


42

Souks de Beyrouth


43

Waterfront, projet du remblai, en cours.


44

Place des Martyrs et son entourage.


45

Les fouilles archĂŠologiques au centre-ville.


Résumé La Reconstruction de Beyrouth entre Politique de l’oublie et Mémoire de la ville. Plusieurs plans de réaaménagement et reconstruction sont proposés pour la capitale libanaise dès le mandat France en 1932. Ces divers plans ne sont pas réalisés et une grande partie restera dans les cartons. Plusieurs plans de reconstruction sont également proposés à différents moments de trêves dans les combats (Entre 1977 et 1989) A la sortie de la guerre civile libanaise de 1975, Beyrouth se trouve dans un état déplorable de destruction. Reconstruire est alors la priorité des équipes qui accèdent à la tête du pays, ils cherchent à imposer leur pouvoir politique et économique par l’urbanisme. Ces tentatives de reconstruction reprennent certaines idées élaborées dans les plans d’avant-guerre restés inaboutis. Dans ce rapport nous verrons la démarche de reconstruction du centre-ville vue que c’est le morceau de la ville qui crée polémique entre les reconstructions radicales et la préservation du patrimoine, la mémoire et l’identité de la ville antique. Nous nous interrogeons à la fin sur la réalité de ces plans et leur avenir.

Abstract The Reconstruction of Beirut: A struggle between politics of oblivion and the city’s memory. Several reconstruction master plans have been proposed for the Lebanese capital since the French mandate in 1932. However, these plans were never executed and were eventually put aside, archived and neglected. Several reconstruction plans were also proposed at different times of truce during the civil war (Between 1977 and 1989). After the Lebanese sanguinary civil war, Beirut was left submerged in a deplorable state of destruction. Since then, politicians have focused on implementing reconstruction plans and rebuilding the city as a means to solidify their power and get higher approval ratings from the people. Many of the ideas proposed in the new reconstruction plans and attempts are based on previous ideas elaborated in pre-war plans that remain unfinished. This thesis mainly aims to discuss and explain the process of rebuilding the city center of Beirut, which is one of the most important landmarks in the city that hold a lot of heritage and culture. Reconstruction plans for the city center impose a lot of controversy as they focus more on rebuilding and expanding than they do on preserving the heritage and history of the ancient city. Conclusively, we question the veracity of these plans and their subsequent evolution in the future.

Mots-clés Reconstruction, urbanisme, Moyen-Orient, développement, Beyrouth


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