Fedora Parkmann
LONDRES dans l’œil du reporter photographe viewed by the photo-reporter
Londres, dans l’œil du reporter photographe Longtemps, Londres a effrayé et fasciné à la fois. La révolution industrielle et la croissance démographique qui entraînent surpeuplement, bruit, odeurs et crime ont terni l’image de la ville au XIXe siècle. Cette « Babylone des temps modernes », où se mêlent magnificence et débauche, se mue rapidement en « ville-monde » à mesure qu’elle affirme la puissance de son commerce et le caractère composite de son urbanisme 1. À la fin de l’ère victorienne, Londres déploie un kaléidoscope d’activités économiques, de populations et de quartiers, perdant en cohérence ce qu’elle gagne en richesse et en diversité. « Quelqu’un parviendra-t-il un jour à photographier Londres ? » Telle est la question posée en 1948 par le photographe Bill Brandt au terme des mémorables enquêtes qu’il consacre aux différences sociales des Londoniens, à la vie nocturne et aux bombardements de la Seconde Guerre mondiale. « Tout le monde connaît ces photos qui sont vendues à des milliers d’exemplaires : Trafalgar Square et Piccadilly Circus, le British Museum et Buckingham Palace, Whitehall et Regent Street. Mais elles ne représentent pas vraiment Londres, pas plus qu’une casserole n’équivaut aux arômes et aux saveurs du mets qu’elle contient. » Et d’admettre que « Londres est une ville trop complexe pour être saisie en quelques vues ou par n’importe quel photographe » 2. Que penser alors des vues urbaines de la capitale britannique qui paraissent par milliers dans les journaux illustrés de l’entre-deux-guerres ? Cette profusion d’images de presse, nouvelle pour l’époque, déconcerte les observateurs, inquiets de savoir si ces représentations reflètent vraiment la réalité. Ils ne sont pas sans soupçonner que chacune résulte d’un double point de vue : celui du reporter photographe, qui isole une infime partie du réel, et celui du directeur artistique de la revue, qui sélectionne les images à paraître. Très vite, il apparaît que le réservoir d’images de presse donne à voir un monde artificiellement construit où une partie de la réalité est dissimulée, le but étant de fournir des photographies plaisantes et génériques aux journaux et à leur lectorat. Avec le recul dont nous disposons aujourd’hui pour démasquer les motivations et desseins de ses concepteurs, le corpus d’images de presse de l’agence Keystone retient avant tout notre attention pour ses qualités intrinsèques. Le regard inédit posé sur la vie de rue, la qualité formelle des compositions et la justesse des portraits de citadins parviennent d’autant mieux à nous intéresser que la photographie de presse jouit, depuis les années 1970, d’une reconnaissance artistique 1 2
Philippe Chassaigne, Marie-Claude Esposito,Londres, la ville-monde, Paris, Vendémiaire, 2013, p. 6. Bill Brandt, « A photographer’s London », Camera in London, Londres, Focal Press, 1948, p. 9.
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LONDon, viewed by the photo-reporter London has long inspired both fear and fascination. During the 19th century, the industrial revolution and demographic growth which led to overcrowding, noise, stench and crime tarnished the image of the city. This “modern-day Babylon”, centre of splendor and debauchery, rapidly turned into a “world city” as it asserted its commercial might and piecemeal urban structure 1 . At the end of the Victorian era, London displayed a kaleidoscope of economic activities, of populations and districts, losing in cohesion what it gained in richness and diversity. “Will someone manage to photograph London one day?” was the question raised in 1948 by the photographer Bill Brandt, concluding a memorable series of surveys he conducted on the social differences between Londoners, the night life and the bombing raids during the Second World War.“Everyone knows these photos which are sold in thousands: Trafalgar Square and Piccadilly Circus, the British Museum and Buckingham Palace, Whitehall and Regent Street. But they do not really represent London, any more than a saucepan adds up to the aromas and flavours of the dishes it contains.” He also acknowledged that “London is too complex a city to capture in a few shots by any photographer” 2. So what are we to make of the cityscapes of London which appear in thousands in the illustrated papers of the inter-war period? This profusion of press images, new at that time, disconcerted observers worried whether these representations really reflected reality. And doubtless suspecting that each was the result of a twofold selection: by the photographer, who isolated a tiny part of reality; and by the art editor of the magazine, who chose the images for publication. It rapidly emerged that the stock of press pictures showed an artificially constructed world in which part of reality was concealed, with the aim of providing the press and its readership with pleasant, generic images. While with hindsight, we can see through the motivations and intentions of the Keystone Agency’s designers, its corpus of press pictures today merits our attention above all for its intrinsic qualities. The unprecedented view of street life, the formal quality of the compositions, and the accuracy of its portraits of city dwellers hold our interest today all the more because press photography has enjoyed new artistic recognition since the 1970s. Now it hangs from the picture-rails of museums and reporter-photographers, formerly obscure assistants, acceded to the status of creators. Although the pictures taken by the reporters 1 Philippe Chassaigne, Marie-Claude Esposito, Londres, la ville-monde, Paris, Vendémiaire, 2013, p.6. [No english translation yet – NdT.] 2 Bill Brandt, « A photographer’s London », Camera in London, London, Focal Press, 1948, p.9.
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« Nous sommes seuls dans cette ville rouge et noire où toutes les boutiques sont des épiceries, où les meilleures gens ont les yeux très bleus. » Philippe Soupault, Westwego, Paris, Librairie Six, 1922. “ We are alone in this black and red city where all the shops are groceries, where the best people have very blue eyes. ” Philippe Soupault, Westwego, Paris, Librairie Six, 1922.
Les pieds dans l’eau, ce photographe brave les éléments pour saisir des images suggestives des rues inondées de Londres durant la crue exceptionnelle de la Tamise en avril 1937, l’une des pires de son histoire. Treading water, this photographer defies the elements to capture striking images of submerged London streets during the exceptional Thames flood in April 1937, one of the worst in its history.
...p. 38-39
...p. 40-41
À Hyde Park, des mannequins exhibent les modèles de l’hiver 1939. L’ensemble tailleur-pantalon pour femme était à l’époque révolutionnaire, n’étant encore porté que par quelques actrices et femmes actives. In Hyde Park, models present the lines of winter 1939. The women’s trouser suit was revolutionary at the time, only worn by a few actresses and professional women.
Le manège à chaises volantes suspendues par des chaînes métalliques était une innovation introduite en Angleterre durant les années 1920, époque à laquelle a été prise cette vue de la foire de Hampstead. The merry-go-round with flying chairs hanging from metal chains was introduced into England during the 1920s, the period when this shot of Hampstead Heath Fair was taken.
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Derrière cet ouvrier qui allume sa cigarette sur le pont de Westminster à la fin des années 1940 se profile la tour de Big Ben, dont l’horloge est éclairée, signalant une séance nocturne du Parlement. Behind this worker lighting his cigarette on Westminster Bridge at the end of the 1940s stands the tower of Big Ben, its clock lit up, indicating Parliament is in night sitting.
Vue prise durant l’hiver 1962 : le mouvement du passant, dont le parapluie vole dans la bourrasque, rappelle la composition de l’une des célèbres photographies d’Henri Cartier-Bresson. This shot taken in winter 1962 of a pedestrian whose umbrella flies off in a gust of wind recalls the composition of one of Henri Cartier-Bresson’s famous photographs.
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Dans l’insouciance retrouvée, après la Seconde Guerre mondiale, ces deux fillettes jouent « à la maman ». La poussette du bébé au guidon haut était le modèle en usage à l’époque. Carefree once more, after the Second World War, these little girls play at being mummy. The pram, its low-lying carriage on little wheels and its high handle was the model then in use.
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Cette fillette s’apprête à monter sur un grand-bi pour enfant, en 1965. Ce type de vélo, fabriqué à partir de 1871, fut remis à la mode en Angleterre dans les années 1960. This little girl is getting ready to mount a child’s penny-farthing in 1965. This type of bicycle, built from 1871 onwards, came back into fashion in England in the 1960s.
...p. 102-103
Un magasin d’alimentation générale à Bromley, en 1930. L’uniformité des modestes maisons basses de cette ancienne banlieue de Londres fut dénoncée par l’écrivain H. G. Wells, qui y avait grandi. A grocery store in Bromley in 1930. The uniformity of the modest little houses of this former London suburb was criticized by the writer H.G.Wells, who grew up there.
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À la fois lieux de rencontre et débits de boisson, les pubs ou tavernes londoniennes favorisaient la mixité sociale. Sur cette photographie, des ouvriers en salopette trinquent avec des hommes en costume. Both meeting-places and bars, London pubs favour mingling between social classes. In this photo, workers in overalls drink with businessmen in suits.
Vue du pub Sherlock Holmes en 1962. Ouvert en 1957 par le fabricant de bière Whitbread, ce pub à thème est riche d’une collection d’objets illustrant la vie et les exploits du célèbre détective. View of the Sherlock Holmes pub in 1962. Opened in 1957 by the brewery Whitbread, this pub boasts a collection of objects illustrating the life and feats of the famous detective.