L’Histoire en citations Michèle Ressi
Directoire, Consulat et Empire
L’Histoire en citations est une collection de livres numériques. La Chronique, divisée en 10 volumes, raconte l’histoire de France des origines à nos jours, en 3 500 citations numérotées, replacées dans leur contexte, avec sources et commentaires. Le Dictionnaire recense toutes les citations (et leurs auteurs), regroupées par mots clés, mots thèmes et expressions, classés par ordre alphabétique en quelque 6 500 entrées.
Michèle Ressi, auteur et chercheur au CNRS, a publié une vingtaine de titres – dont L’Histoire de France en 1000 citations (Eyrolles, 2011). L’écriture théâtrale lui a donné le goût des dialogues, et la passion des citations. CV complet sur Wikipédia.
Sommaire
Directoire Prologue
Quelques repères Personnage de Napoléon Bonaparte
Chronique (1795-1799)
∑ Consulat Prologue Chronique (1799-1804)
∑ Premier Empire Prologue
Quelques repères Personnage de Napoléon Ier Personnage de Charles Maurice de Talleyrand-Périgord
Chronique (1804-1814)
∑ Index par noms
Directoire 27 octobre 1795 : Mise en place du Directoire 9 novembre 1799 : Coup d’État du 18 brumaire an VIII
La France, harassée, vit une courte période de transition entre la Révolution et l’épopée napoléonienne. Cinq Directeurs exercent le pouvoir exécutif, mais se disputent, notamment Carnot et Barras. Le pays, toujours en guerre, est en pleine crise financière, économique, sociale et politique, Jacobins contre Royalistes. Les spéculateurs s’enrichissent, la bonne société mène une vie mondaine fastueuse et dissolue. Les émigrés commencent à rentrer. Gracchus Babeuf, révolutionnaire attardé ou communiste avant l’heure, tente en vain de renverser le régime. L’irrésistible ascension de Napoléon Bonaparte commence : nommé général en chef de l’armée d’Italie, il a l’art de galvaniser ces vagabonds en guenilles et d’en faire des soldats, multipliant les victoires et se procurant sur le terrain ennemi, à la pointe des baïonnettes, tout ce qui manque à ses troupes. Au soir de Lodi (10 mai 1796), ayant triomphé des Autrichiens, il se voit déjà dans l’Histoire. Et Carnot salue le héros de la France. Le Directoire éloigne le trop populaire Bonaparte, qui va s’illustrer dans la campagne d’Égypte contre l’ennemi anglais. Sieyès, qui cherche son « sabre » pour remettre de l’ordre en France, comprend qu’il a trouvé son homme en ce général. Le coup d’État du 18 Brumaire an VIII (9 novembre 1799) met fin au Directoire, sans que le pays réagisse. Trois consuls auront désormais le pouvoir.
Directoire • Prologue
Prologue Quelques repères 1641. « Notre Montagne enfante un Directoire
Applaudissons à son dernier succès ! Car sous ce nom inconnu dans l’histoire Cinq rois nouveaux gouvernent les Français [. . .] En adoptant un luxe ridicule Ils font gémir la sainte Égalité ; À leur aspect la Liberté recule Et dans leur cœur plus de Fraternité ! » Le Directoire (1795), chanson Poésies révolutionnaires et contre-révolutionnaires (1821), À la Librairie historique éd La France vit une transition entre la Révolution et l’Empire. Phénomène récurrent : après le Moyen Âge vint la Renaissance où « le monde rit au monde » (Marot) ; après Louis XIV et une fin de règne très sombre, le temps de l’aimable Régence rimait bien avec licence ; après les horreurs de la Première Guerre mondiale, les Années folles se déchaîneront. Et en 1795, au lendemain de la Terreur, la jouissance est à l’ordre du jour, du moins pour la bonne société. Quant au Directoire, en tant que nouveau régime né de la Constitution du 5 fructidor an III (22 août 1795), il présente deux inventions, une mauvaise et une bonne. Les « cinq rois » qui gouvernent, appelés Directeurs, ne vont cesser de se disputer, ce qui fragilise ou paralyse le pouvoir exécutif. À l’inverse, le bicamérisme cher à Montesquieu, pouvoir législatif confié à deux Chambres, sur le modèle anglais, instaure une formule toujours reprise (à l’exception de la brève Deuxième République) : la Chambre basse (élue au suffrage direct, par le peuple) est tempérée par la Chambre haute (élue au suffrage indirect, représentant les régions et les départements). En 1795, on a le Conseil des Cinq-Cents et le Conseil des Anciens – sous la Cinquième République, la Chambre des députés et le Sénat.
Directoire • Prologue
1642. « La goinfrerie est la base fondamentale de la société actuelle. »
Louis-Sébastien MERCIER Louis-Sébastien MERCIER (1740-1814), Nouveau Paris (1799-1800) Auteur dramatique connu avant la Révolution, il juge ainsi la bonne société du Directoire. Selon un policier, « le débordement des mœurs dépasse toute idée ». La danse fait fureur : 645 bals à Paris, dont le bal des Zéphirs au cimetière Saint-Sulpice et le bal des Victimes, réservés aux parents d’un guillotiné. C’est le temps des « Muscadins » (le mot désignait sous la Révolution les jeunes royalistes lyonnais usant de riches parfums au musc). Sur les boulevards parisiens, on voit se pavaner les « Merveilleuses » (élégantes aux perruques de toutes les couleurs) et les « Incroyables » (excentriques à l’extrême). Ils s’étourdissent dans des fêtes coûteuses. C’est une réaction normale, après les années d’austérité et de terreur, mais ce beau monde est frelaté et le reste du pays souffre.
1643. « Peuple ! Réveille-toi à l’Espérance. »
Gracchus BABEUF Gracchus BABEUF (1760-1797), Le Tribun du Peuple, 30 novembre 1795 Ce révolutionnaire passe une partie de la Terreur en prison et fonde son journal au lendemain du 9 thermidor an II (27 juillet 1794). Il y expose ses théories communistes, privilégiant la notion de lutte des classes et visant à une société des Égaux. Il se prépare maintenant à passer à l’action.
1644. « En 1796, c’est le peuple qui est harassé ; il se retire en masse ;
il a besoin de sommeil, il va dormir pendant un tiers de siècle. » Edgar QUINET Edgar QUINET (1803-1875), La Révolution (1865)
Le peuple a tout supporté, la faim, la misère, les massacres, les guerres civiles et étrangères, avec la levée en masse, les impôts, l’inflation. Il n’y aura plus de révolution avant 1830. Entre-temps, le peuple va voir passer plusieurs régimes, le Directoire étant le plus original, et l’Empire, le plus épuisant.
1645. « Les Français, las de se gouverner, se massacrèrent ;
las de se massacrer au dedans, ils subirent le joug de Bonaparte qui les fit massacrer au dehors. » RIVAROL RIVAROL (1753-1801), Fragments et pensées politiques (s.d.) Raccourci saisissant d’une histoire française particulièrement mouvementée, entre la Révolution et l’Empire à venir. Et pourtant, la génération suivante, celle des jeunes romantiques, en gardera la nostalgie.
Directoire • Prologue
Personnage de Napoléon Bonaparte Suite du portrait, au Premier Empire
1646. « Napoléon, en arrivant sur la scène du monde, vit que
son rôle était d’être l’exécuteur testamentaire de la Révolution. » NAPOLÉON III NAPOLÉON III (1808-1873), Idées napoléoniennes (1839) Nombre d’historiens sont de cet avis. Son neveu (troisième fils de Louis Bonaparte, frère de l’empereur) aura lui aussi un (lourd) héritage historique, dont il fera plus ou moins bon usage. Les « idées napoléoniennes » ont de quoi l’inspirer, le nom de Napoléon lui servira pour fonder le Second Empire.
1647. « Un jeune homme de vingt-six ans se trouve avoir effacé
en une année les Alexandre, les César, les Annibal, les Frédéric. Et, comme pour consoler l’humanité de ces succès sanglants, il joint aux lauriers de Mars l’olivier de la civilisation. » STENDHAL STENDHAL (1783-1842), Vie de Napoléon (posthume) Engagé dans l’armée de Bonaparte (âgé de 26 ans en 1795), le futur écrivain découvre l’Italie avec un émerveillement dont son œuvre sera plus tard le reflet. Il écrit cet essai à Milan en 1817-1818, pour répondre à Mme de Staël : dans ses Considérations sur la Révolution française, elle attaquait l’homme à qui Stendhal voue une véritable passion. Ce qui n’exclut pas la critique. Stendhal consacrera à l’empereur un second essai, Mémoires sur Napoléon (1836-1837).
1648. « Ce Corse terroriste nommé Bonaparte, le bras droit de Barras
[. . .] qui n’a pas trente ans et nulle expérience de la guerre [. . .] petit bamboche à cheveux éparpillés, bâtard de Mandrin. » MALLET du PAN Jacques François MALLET du PAN (1749-1800) Dictionnaire critique de la Révolution française (1992), François Furet, Mona Ozouf
Suisse d’expression française et jadis très hostile à la Révolution française, il est le porte-parole des émigrés et l’agent secret de la cour auprès des gouvernements antirévolutionnaires. Un article sur la conduite de Bonaparte en Italie (lors de sa campagne de 1797) irrite profondément le « Corse terroriste » et force l’écrivain journaliste à s’exiler. Bonaparte, et pas plus Napoléon, ne supporte la contradiction, l’opposition.
Directoire • Prologue
1649. « Napoléon vole comme l’éclair et frappe comme la foudre.
Il est partout et il voit tout. Il sait qu’il est des hommes dont le pouvoir n’a d’autres bornes que leur volonté, quand la vertu des plus sublimes vertus seconde un vaste génie. » La France vue de l’armée d’Italie, 1797 Journal créé par Bonaparte qui a vite et bien compris l’importance de la propagande et la nécessité de se créer une légende. C’est son deuxième journal, après le Courrier de l’armée d’Italie, largement diffusé en France pour exalter les exploits d’un jeune général encore inconnu, et avant le Journal de Bonaparte et des hommes vertueux, qui pousse plus loin encore le culte du héros. Cette propagande est financée par le butin de l’armée d’Italie, pendant la campagne. Napoléon empereur aura une maîtrise parfaite de cette « communication médiatique ».
Directoire • Chronique
Chronique (1795-1799) 1650. « Je jure sur ma parole d’honneur que cela n’est pas vrai !
— Ne lève pas la main, il en dégoutterait du sang. » Paul BARRAS et Lazare CARNOT
Paul BARRAS (1755-1829), répondant à Lazare CARNOT (1753-1823), première séance du Directoire, début novembre 1795 Mémoires du prince de Talleyrand (posthume, 1891) Le Grand Carnot fut l’« Organisateur de la victoire » sous la Révolution, mais il faut rappeler qu’il siégea avec Robespierre au Comité de salut public, responsable de la Terreur. Le passé de Barras, le plus célèbre des cinq Directeurs, est plus chargé : conventionnel régicide, célèbre par la cruauté qu’il mit à « épurer » Toulon après le siège (décembre 1793) et à réprimer l’insurrection royaliste contre la Convention (octobre 1795). Débauché, sans scrupule (« le roi des pourris », selon Bonaparte), il va devenir le premier personnage de l’État durant cinq ans. Les querelles de personnes au sein du Directoire rendent le régime fragile, et la Constitution n’arrange pas la situation.
1651. « Là où il n’y a point de finances, il n’y a pas besoin de ministre. »
Martin Michel Charles GAUDIN Martin Michel Charles GAUDIN (1756-1841), refusant le ministère des Finances Histoire de la France et des Français (1972), André Castelot, Alain Decaux Financier d’expérience, il refuse ce cadeau empoisonné aux Directeurs qui forment le gouvernement, le 8 novembre 1795. Le régime sera marqué par une crise à la fois économique, financière et sociale. Quand Napoléon Bonaparte fera appel à cet « homme tout d’une pièce, une forteresse inattaquable pour la corruption », Gaudin reviendra aux affaires en 1799 – après le coup d’État de Brumaire, qui met fin au régime du Directoire et aboutit au Consulat.
1652. « Au sein de l’abondance
Le Directoire dépense Plus que jamais en France Prince ne dépensa. »
L’Intérieur du Directoire, chanson Histoire de France par les chansons (1982), France Vernillat, Pierre Barbier Encore une chanson qui a valeur de gazette. La France va mal. Le pays est en guerre, les Directeurs se disputent, les Jacobins s’opposent aux royalistes, et les spéculateurs s’enrichissent.