L’Histoire en citations Michèle Ressi
Second Empire et Troisième République
L’Histoire en citations est une collection de livres numériques. La Chronique, divisée en 10 volumes, raconte l’histoire de France des origines à nos jours, en 3 500 citations numérotées, replacées dans leur contexte, avec sources et commentaires. Le Dictionnaire recense toutes les citations (et leurs auteurs), regroupées par mots clés, mots thèmes et expressions, classés par ordre alphabétique en quelque 6 500 entrées.
Michèle Ressi, auteur et chercheur au CNRS, a publié une vingtaine de titres – dont L’Histoire de France en 1000 citations (Eyrolles, 2011). L’écriture théâtrale lui a donné le goût des dialogues, et la passion des citations. CV complet sur Wikipédia.
Sommaire
Second Empire Prologue
Quelques repères Personnage de Napoléon III
Chronique (1852-1870)
∑ Troisième République Fin de la guerre franco-allemande et Commune de Paris Prologue Chronique (1870-1871)
Troisième République avant la Première Guerre mondiale Prologue Politique Social
Chronique (1871-1914)
Première Guerre mondiale Prologue Chronique (1914-1918)
Entre-deux-guerres Prologue Chronique (1918-1939)
∑ Index par noms
Second Empire 2 décembre 1852 : Louis-Napoléon Bonaparte proclamé empereur 4 septembre 1870 : Proclamation de la République
Le nouveau régime est né du suffrage universel et d’une opinion publique que l’empereur a su manipuler pour acquérir une grande popularité. Il va avoir le soutien des paysans (majoritaires) qui bénéficient du progrès matériel, de l’armée qu’il met à l’honneur, et surtout l’appui de deux grandes forces, l’Église et la bourgeoisie, soulagées d’avoir échappée à la République. Jusqu’en 1860, l’Empire est autoritaire : libertés publiques et privées restreintes, enseignement contrôlé, opposition muselée. Appuyé sur une administration solide, Napoléon III exerce un pouvoir personnel, et seule la voix du grand exilé, Hugo, fustige « Napoléon le Petit ». Napoléon III est un « aventurier heureux » et tout semble lui réussir en politique extérieure. Mac-Mahon ayant pris la tour de Malakoff aux Russes (10 septembre 1855), la France sort gagnante de la guerre de Crimée. Elle devient puissance prépondérante en Europe, et l’empereur se pose un peu partout en défenseur du principe des nationalités. L’empereur a des idées modernes et des amis banquiers : la France se transforme. Les grandes banques naissent (Crédit Mobilier, Société Générale, Crédit Lyonnais) et se lancent dans les affaires. Il faut des capitaux pour financer les chemins de fer, les compagnies maritimes, les mines de charbon, et la métamorphose de Paris par le baron Haussmann, préfet de la Seine. Un problème social existe et s‘aggrave : la classe ouvrière, dont les troupes grossissent et permettent aux capitalistes de s’enrichir, travaille dur, sans que son sort s’améliore. Les mesures sociales, pleines de bonnes intentions, sont inefficaces. L’Empire, à mi-parcours, doit faire « un demi-tour à gauche » pour donner des gages à l’opinion publique où les mécontents se multiplient : crise économique et agitation sociale, naissance d’un mouvement ouvrier politisé (socialisme révolutionnaire), renaissance de l’idéologie républicaine et de l’opposition (Ferry, Gambetta). À quoi s’ajoute la défection des catholiques opposés à la politique favorisant l’unité italienne contre le pape et les États pontificaux, et celle des industriels touchés par le traité de libre-échange avec l’Angleterre (1860). Le bilan de la guerre du Mexique (1863-1867) se révèle désastreux : sacrifice de vies humaines, de temps et d’argent pour une cause chimérique. Mais le plus grand danger vient de la Prusse : pour le chancelier Bismarck, l’unification allemande se fera « par le fer et par le sang », et passe par une victoire militaire contre la France. Rassuré par un dernier plébiscite triomphal (mai 1870), poussé le 19 juillet à déclarer la guerre « le coeur léger » (selon le mot d’Émile Ollivier) par une opinion presque unanimement belliciste, surpris par l’invasion rapide de l’Alsace et de la Lorraine (août), l’empereur enfermé dans Sedan capitule, le 2 septembre. À cette nouvelle, Pais se soulève, le 4. Le régime s’effondre.
Second Empire • Prologue
Prologue Quelques repères 2234. « Et s’il n’en reste qu’un, je serai celui-là ! »
Victor HUGO Victor HUGO (1802-1885), Les Châtiments (1853) Le prestigieux proscrit témoigne de son opposition irréductible à l’empereur, à présent haï de lui. Le poète qui se veut « écho sonore » et conscience de son siècle refusera de rentrer en France après le décret d’amnistie. À la date où son œuvre est diffusée sous le manteau, l’opposition républicaine est réduite à néant : chefs en prison ou en exil, journaux censurés. Ces mots ont d’autant plus de portée, Hugo devenant le chef spirituel des républicains refusant le dictateur : « Si l’on n’est plus que mille, eh ! bien, j’en suis ! Si même / Ils ne sont plus que cent, je brave encore Sylla ; / S’il en demeure dix, je serai le dixième ; / Et s’il n’en reste qu’un, je serai celui-là ! »
2235. « Sous le céleste Empire
De Napoléon Trois, Le bourgeois Pousse jusqu’au délire Le respect de l’honneur, Il a peur. Refrain
Il ne s’oppose à rien, Tout est très bien, tout est fort bien Pour ce bon citoyen. » Paul AVENEL Paul AVENEL (1823-1902), Le Bon Bourgeois, chanson Histoire de France par les chansons (1982), France Vernillat, Pierre Barbier Cette chanson reflète l’état d’esprit du pays, au début du Second Empire. La peur de la République et surtout des républicains fauteurs de trouble met le bourgeois dans le camp de l’Empire. De même pour l’Église. Le régime se gagnera également la reconnaissance du monde paysan pour une meilleure raison : le progrès matériel pénètre la France rurale. On va retrouver Avenel, journaliste et auteur dramatique, poète, romancier, mais il reste surtout connu pour Les Chansons politiques (1870).
Second Empire • Prologue
2236. « Monsieur Tout-le-monde
est plus riche que Monsieur de Rothschild. » Henri GERMAIN Henri GERMAIN (1824-1905), maxime du créateur du Crédit Lyonnais en 1863 Les Grandes Étapes de l’histoire économique (2002), Yves Carsalade À côté de la banque suisse protestante et de la banque juive allemande qui, comme les Rothschild, travaillent avec les grosses fortunes, de nouveaux organismes financiers se créent, et font appel au grand public. Le Crédit mobilier des frères Péreire donne l’exemple en 1852 : première grande banque d’affaires moderne, qui jusque dans ses déboires financiers servira de leçon. Citons aussi le Crédit foncier (1852) spécialisé dans les prêts à l’agriculture et à la construction immobilière, le Crédit lyonnais (1863), la Société générale (1864). Les épargnants portent leur argent à ces banques de dépôts et leur achètent des actions et obligations négociables en Bourse. Ce mécanisme financier, sur fond de forte croissance économique, permet au petit capitaliste de s’enrichir. Cette époque de capitalisme triomphant, sans contre-pouvoir, sans syndicat et sans mécanismes correcteurs du marché, enrichit les riches et la classe moyenne, mais n’améliore pas la condition des pauvres.
2237. « Le Capital mourrait si, tous les matins,
on ne graissait pas les rouages de ses machines avec de l’huile d’homme. » Jules VALLÈS Jules VALLÈS (1832-1885), Jacques Vingtras (1879-1886) Cet écrivain et journaliste se retrouvera du côté des prolétaires, lors de la Commune en 1871. Sa sincérité est évidente dans sa trilogie romanesque et autobiographique (L’Enfant, 1879, Le Bachelier, 1881, L’Insurgé, 1886) qui montre la misère du peuple en cette époque de capitalisme triomphant. Le profit du capital augmente, alors que le salaire réel de l’ouvrier stagne. Napoléon III, sensible aux problèmes économiques et sociaux de son temps, se révélera incompétent pour les résoudre.
Second Empire • Prologue
2238. « Du berceau jusqu’au cimetière
Longue est ma chaîne de labeurs ! Mais le travail fait l’âme fière L’oisiveté les lâches cœurs [. . .] C’est le travail qui rend féconde La vieille terre aux riches flancs [. . .] Au travail appartient le monde, Aux travailleurs, à leurs enfants. » Mme G. BRUNO
Mme G. BRUNO (1833-1923), paroles et musique, La Chanson du pauvre (1869) Histoire de la France : les temps nouveaux, de 1852 à nos jours (1971), Georges Duby Augustine Thuillerie, alias G. Bruno, fille et femme d’universitaires en renom, exalte la morale qu’une société bourgeoise veut imposer aux travailleurs. Son livre le plus connu, le Tour de la France par deux enfants, fait un énorme succès de librairie. La Chanson du pauvre est extraite de son premier « roman pédagogique », dont le titre est tout un programme : Francinet. Livre de lecture courante. Principes élémentaires de morale et d’instruction civique, d’économie politique, de droit usuel, d’agriculture, d’hygiène et de sciences usuelles. C’est la chanson que fredonne un enfant qui travaille, encore et toujours, c’est « dans le silence de la nuit, une voix [qui s’élève], une petite voix d’enfant, triste, plaintive. . . » Cette idéologie dominante et bien pensante peut expliquer la haine du bourgeois et l’explosion de la Commune.
2239. « Si la démocratie ouvrière,
satisfaite de faire l’agitation dans ses ateliers, de harceler le bourgeois et de se signaler dans des élections inutiles, reste indifférente sur les principes de l’économie politique qui sont ceux de la révolution, il faut qu’elle le sache, elle ment à ses devoirs et elle sera flétrie un jour devant la postérité. » PROUDHON Pierre Joseph PROUDHON (1809-1865), De la capacité politique des classes ouvrières (posthume) Proudhon parle en socialiste dépassé par les événements : le mouvement ouvrier est à présent plus sensible au marxisme qui prêche collectivisme et lutte de classes. La révolution politique devient une étape de la révolution sociale, et l’Empire qui soutient le capitalisme est l’ennemi à abattre. Ce sera une des raisons de la chute brutale d’un régime qui se croyait si fort.
Second Empire • Prologue
2240. « La révolution féminine doit maintenant compléter
la révolution prolétaire, comme celle-ci consolida la révolution bourgeoise émanée d’abord de la révolution philosophique. » Auguste COMTE Auguste COMTE (1798-1857), Catéchisme positiviste (1852) Héritier de Saint-Simon qu’il renia, créateur du positivisme qui prétend faire de la politique une « science positive et physique », précurseur de la sociologie scientifique, Comte va jusqu’à penser un État positiviste ayant pour devise morale : « L’Amour pour principe, l’Ordre pour base et le Progrès pour but. » Son amour platonique pour Clotilde de Vaux est responsable de l’orientation de sa philosophie. La « révolution féminine » se bornera sous l’Empire à une mesure qu’il faut mettre au crédit de l’empereur (et de son ministre Victor Duruy) : création d’un enseignement secondaire pour les jeunes filles, réforme très mal vue par l’Église qui perd son monopole en ce domaine.
2241. « Qu’est-ce que Paris ? Qu’est-ce que la France ? Imaginez
un champ. Au lieu de l’ensemencer dans toute son étendue, on s’est avisé d’entasser la semence en un point où elle risque de ne pas germer précisément parce qu’elle y est entassée. Ce champ, c’est la France, ce point, c’est Paris. » Louis BLANC Louis BLANC (1811-1882), Histoire de la révolution de 1848, volume II (1871)
Paris grandit, Paris s’embellit sous le Second Empire : Haussmann, préfet pendant dix-sept ans, taille et retaille la capitale à coups de pioches et de millions. Mais les témoins de l’époque n’admirent pas tous ces travaux, et s’inquiètent – déjà – de l’excessive centralisation, un mal bien français. L’afflux des ruraux là où le travail existe – dans les grands centres urbains et industriels – est facilité par le réseau de voies ferrées en étoile, qui toutes convergent vers la capitale. Ce n’est pas encore le « désert français » de 1945, mais les statistiques pouvaient affoler les observateurs : 547 000 habitants en 1801, 1 054 000 en 1846, 1 800 000 en 1871 : « La centralisation, c’est l’apoplexie au centre, la paralysie aux extrémités » (Lamennais).
2242. « [La France] la plus brillante et la plus dangereuse
des nations de l’Europe, et la mieux faite pour y devenir tour à tour un objet d’admiration, de haine, de pitié, de terreur, mais jamais d’indifférence. » Alexis de TOCQUEVILLE Alexis de TOCQUEVILLE (1805-1859), L’Ancien Régime et la Révolution (1856) Renonçant à la carrière politique après le coup d’État du 2 décembre 1851, Tocqueville sera l’un des grands historiens et penseurs du siècle. La politique extérieure de Napoléon a deux buts : d’abord rassurer et se faire accepter des cours européennes pour qui le Premier Empire reste un mauvais souvenir ; ensuite jouer un rôle de grande puissance mondiale pour des raisons de commerce aussi bien que de prestige. Mais face à l’Allemagne, ni la diplomatie ni l’armée française ne pourront rien.
Second Empire • Prologue
2243. « Aujourd’hui, le règne des castes est fini,
on ne peut gouverner qu’avec les masses. » Louis-Napoléon BONAPARTE
Louis-Napoléon BONAPARTE (1808-1873), L’Extinction du paupérisme (1844) Évidence bien sentie par le futur empereur qui saura séduire les foules, les manipuler à l’occasion – élections, plébiscites. Mais il est aussi l’homme du mieux-être économique, grâce au progrès industriel et commercial. Les mesures sociales chargées de bonnes intentions seront suivies de peu d’effets. Et le régime ne prendra que tardivement un tournant vraiment libéral.
2244. « La grande moralité de ce règne-ci sera de prouver
que le suffrage universel est aussi bête que le droit divin, quoique un peu moins odieux. » Gustave FLAUBERT Gustave FLAUBERT (1821-1880), Lettre à George Sand, 1869 La Nouvelle Revue, volume XXVI (1884) Progrès majeur pour la démocratie, l’instauration du suffrage universel apparaît prématurée à beaucoup de contemporains et d’historiens : l’opinion publique est aisément manipulée, souvent sollicitée par l’empereur et ses préfets. L’Empire est né de ce suffrage populaire et a vécu sur cette assise très large, avant de s’effondrer.