L’Histoire en citations Michèle Ressi
Renaissance et guerres de Religion Naissance de la monarchie absolue
L’Histoire en citations est une collection de livres numériques. La Chronique, divisée en 10 volumes, raconte l’histoire de France des origines à nos jours, en 3 500 citations numérotées, replacées dans leur contexte, avec sources et commentaires. Le Dictionnaire recense toutes les citations (et leurs auteurs), regroupées par mots clés, mots thèmes et expressions, classés par ordre alphabétique en quelque 6 500 entrées.
Michèle Ressi, auteur et chercheur au CNRS, a publié une vingtaine de titres – dont L’Histoire de France en 1000 citations (Eyrolles, 2011). L’écriture théâtrale lui a donné le goût des dialogues, et la passion des citations. CV complet sur Wikipédia.
Sommaire
Renaissance et guerres de Religion Prologue
La France nouvelle Le roi et la cour Économie et société La guerre religieuse
Chronique (1483-1589)
∑ Naissance de la monarchie absolue Prologue
Le pouvoir royal et ses limites Économie Religion, société, lettres La guerre
Règne d’Henri IV Personnage d’Henri IV
Chronique (1589-1610)
Louis XIII avant Richelieu Chronique (1610-1624)
Règne de Louis XIII et Richelieu
Personnage de Louis XIII Personnage d’Armand Jean du Plessis, cardinal, duc de Richelieu
Chronique (1624-1643)
∑ Index par noms
Renaissance et guerres de Religion 31 août 1483 : Avènement de Charles VIII 2 août 1589 : Mort d’Henri III
Charles VIII, fils de Louis XI, est le premier roi de France à succomber aux mirages de l’Italie. Louis XII, François Ier et Henri II se laisseront prendre à leur tour aux charmes de cette Renaissance et multiplieront les « guerres d’Italie ». Toute la bonne société va vivre ce « beau XVIe siècle » à l’heure italienne. Artistes et savants sont les hôtes des Valois dans leurs nouveaux châteaux du Val de Loire. Leur cour, avec ses musiciens et poètes, brille d’un éclat incomparable, tandis que les philosophes repensent et affermissent l’idée de monarchie. Sous François Ier (1515-1547), la France est le pays le plus peuplé d’Europe et le roi, maître de l’Église, de l’armée, des finances, de la justice, impose aussi sa volonté au Parlement. Les Grands sont mis au pas. Le français devient seule langue officielle par l’ordonnance de Villers-Cotterêts (1539). La bourgeoisie s’enrichit et se lance dans de lointaines expéditions maritimes encouragées par la royauté - Jacques Cartier au Canada. Les paysans sont plus heureux, mais le petit peuple des villes souffre de l’augmentation des prix mal suivis par les salaires. L’empereur Charles Quint (1519-1556), maître de l’Allemagne et de l’Espagne, se joint aux adversaires de François Ier dans les guerres d’Italie. Un demi-siècle de victoires et de défaites alternées se soldera au traité de Cateau-Cambrésis (1559) par un gain modeste pour la France. Vers 1520, de nouvelles idées religieuses venues d’Allemagne et véhiculées par les livres de Luther (auteur le plus vendu, après la Bible) remettent en question l’Église catholique : la religion doit retrouver sa pureté originelle. Rien ne sert de brûler les livres ou d’emprisonner ceux qui réclament la Réforme, la « secte hérétique pullule » et Calvin en prend la tête. L’Église réformée de France est fondée (1559). Voilà le royaume divisé en deux peuples, deux religions : huguenots hérétiques contre papistes idolâtres. Après la mort en tournoi d’Henri II (1559), la France va vivre trente-huit année de luttes fratricides en « huit guerres de Religion », aggravées de conflits d’ambitions, alliances avec l’ennemi anglais ou espagnol, rivalités de famille (les Condé contre les Guise) et coteries auprès de rois trop jeunes ou incapables de gouverner. Catherine de Médicis, conseillée par son chancelier Michel de l’Hospital, veut d’abord faire jeu égal entre catholiques et protestants. Mais les haines sont trop vives et elle y renonce, ne pensant plus qu’à assurer l’autorité de ses fils, François II, Charles IX, puis Henri III. Ce ne sont que conjurations, abjurations, assassinats, massacres (le plus célèbre, la Saint-Barthélemy en 1572). Poètes et philosophes témoignent et se lamentent en vain : le fanatisme est égal des deux côtés. La Ligue catholique soulève Paris (première Journée des Barricades de l’histoire, 12 mai 1588) contre le roi Henri III allié à son cousin huguenot Henri de Navarre, héritier présomptif de la couronne. Le roi va payer de sa vie cette alliance qui semble contre nature à une France majoritairement catholique.
Renaissance et guerres de Religion • Prologue
Prologue La France nouvelle 386. « Voyez, voyez tout à la ronde
Comment le monde rit au monde, Ainsi est-il en sa jeunesse. » Clément MAROT Clément MAROT (1496-1544), Colloque de la Vierge méprisant le mariage (publication posthume) C’est la Renaissance, l’aube des temps nouveaux, appelée par les historiens le « beau XVIe siècle » : de 1480 à 1560. Salué par Marot, aimable poète et courtisan, et nombre de contemporains : « Ô siècle ! les lettres fleurissent, les esprits se réveillent, c’est une joie de vivre ! » s’exclame l’humaniste Ulrich de Hutten. Seule règle morale de l’abbaye de Thélème chère à Rabelais : « Fais ce que voudras. »
387. « Avant moi [François I
], tout était grossier, pauvre, ignorant, gaulois. » er
FÉNELON FÉNELON (1651-1715), Dialogues des morts (1692-1696) Cet auteur de la fin du XVIIe siècle met en scène et oppose Louis XII et François Ier. Baptisé par Brantôme « Père et vrai restaurateur des arts et des lettres », François Ier incarne la Renaissance, avec ses trentedeux années de règne au cœur du beau XVIe qui succède au long Moyen Âge. Ce ne sont plus seulement les couvents et les universités qui diffusent la culture ; les cours donnent l’exemple, pratiquant le mécénat, lançant les modes et cultivant le raffinement. « François Ier, découragé des guerres lointaines, veuf de son rêve d’Italie, se fait une Italie française » (Michelet). Il invite Léonard de Vinci et sa Joconde (achetée 4 000 florins d’or, soit 15 kg), puis d’autres artistes prestigieux, Cellini, le Rosso, le Primatice. Favorable à l’esprit nouveau et bien que peu instruit (il ne sait pas le latin), il protège les savants et les écrivains, secondé par sa sœur Marguerite d’Angoulême (future reine au royaume de Navarre), l’une des femmes les plus cultivées du siècle. C’est dire que Louis XII se trompait, en parlant de son petit-cousin et successeur : « Ce gros garçon gâtera tout. »
Renaissance et guerres de Religion • Prologue
388. « Le Grec vanteur la Grèce vantera
Et l’Espagnol l’Espagne chantera L’Italien les Itales fertiles, Mais moi, François, la France aux belles villes. » RONSARD Pierre de RONSARD (1524-1585), Hymne de France (1555-1556) Le jeune « écuyer d’écurie » entre dans la carrière des lettres. L’éloge de la France est un thème classique, l’expression d’un sentiment national profond, sensible en d’autres lieux, mais sans doute plus intense en cette terre bénie des dieux, faite d’équilibre et de charme, et qui inspirera, le danger revenu avec les guerres étrangères et civiles, des chansons déjà patriotiques et les Discours enflammés d’une littérature engagée.
389. « Car je suis né et été nourri jeune au jardin de France :
c’est Touraine. » RABELAIS
François RABELAIS (vers 1494-1553), Pantagruel (1532) Moine médecin, né près de Chinon et lancé en littérature par ce personnage de géant (fils de Gargantua) qu’il a créé. Paris reste capitale de la France, mais les Valois au pouvoir fuient ses violences révolutionnaires et vont en Val de Loire construire leurs châteaux : Amboise, Blois, Chambord, Chenonceau. Là se situe la vie culturelle, galante et bien souvent politique de la France : Léonard de Vinci le prestigieux invité finira sa vie près d’Amboise, les États généraux se tiennent à Blois, à Tours. Et ce qui deviendra au XVIe siècle la langue nationale est le français parlé en Touraine, réputé le plus pur.
390. « France, mère des arts, des armes et des lois ! »
Du BELLAY Joachim du BELLAY (1522-1560), Les Regrets (1558) Encore un poète inspiré par l’amour du pays et qui renonce à la carrière militaire pour les vers. La trilogie « des arts, des armes et des lois » résume fort bien l’histoire de cette époque si riche, si contrastée : « Le dialogue tour à tour sanglant et serein qu’on appela Renaissance » (Malraux, Les Voix du silence). « L’aimable mot de Renaissance ne rappelle aux amis du beau que l’avènement d’un art nouveau et le libre essor de la fantaisie ; pour l’érudit, c’est la rénovation des études de l’Antiquité ; pour les légistes, le jour qui commence à luire sur le discordant chaos de nos vieilles coutumes » (Michelet, Histoire de France).
Renaissance et guerres de Religion • Prologue
391. « L’histoire de France commence avec la langue française.
La langue est le signe principal d’une nationalité. » Jules MICHELET Jules MICHELET (1798-1874), Histoire de France, tome III (1840)
L’ordonnance de Villers-Cotterêts édictée par François Ier en 1539, qui réorganise la justice, impose le français au lieu du latin pour les ordonnances et jugements des tribunaux. Mais il faudra se battre pour que le français devienne aussi la langue des savants et des artistes.
392. « Notre langue étant pauvre et nécessiteuse
au regard de la latine, ce serait errer en sens commun que d’abandonner l’ancienne pour favoriser cette moderne. » TURNÈBE TURNÈBE (1512-1565) La Littérature latine de la Renaissance (1966), Paul Van Tieghem Adrien Tournebous, dit Turnèbe, humaniste, professeur au Collège de France (on disait alors : lecteur au Collège royal) se bat pour le latin et le grec. Au XVIe siècle, quelque 700 poètes du royaume versifient en latin, la poésie néo-latine s’inspirant jusqu’au plagiat de Virgile, Horace, Catulle, Ovide, tandis que d’autres « pindarisent et pétrarquisent » à qui mieux mieux. Querelle des Anciens et des Modernes, identité nationale en jeu : Ronsard réunit une « Brigade » qui devient « Pléiade » et cette nouvelle école charge du Bellay de rédiger la Défense et illustration de la langue française (1549).
393. « Je prouverai [. . .] que notre langue vulgaire n’est pas si vile,
si inepte, si indigente et à mépriser qu’ils l’estiment. » RABELAIS François RABELAIS (vers 1494-1553), Le Cinquième Livre, prologue (posthume)
Rabelais se bat de son côté avec sa langue, bien à lui et bien française. Il s’adresse ici aux « rapetasseurs de vieilles ferrailles latines, revendeurs de vieux mots latins, tous moisis et incertains ».
394. « Supplie très humblement ceux auxquels les Muses
ont inspiré leurs faveurs de n’être plus latiniseurs ni grécaniseurs, comme ils sont plus par ostentation que par devoir, et prendre pitié, comme bons enfants, de leur pauvre mère naturelle. » RONSARD Pierre de RONSARD (1524-1585), Préface de La Franciade (1572) Jusqu’au cœur des guerres de Religion, le combat pour le français, langue en pleine évolution, continue. Il sera gagné à la fin du siècle, contribuant à faire l’unité de la France.
Renaissance et guerres de Religion • Prologue
Le roi et la cour 395. « Un roi, une foi, une loi. »
Guillaume POSTEL Guillaume POSTEL (1510-1581) Dictionnaire universel (1727), Antoine Furetière À l’origine, l’adage était : « Une foi, une loi, un roi » : la loi divine passait avant les lois royales. On a dit ensuite : « Un seul seigneur, une seule foi, un seul baptême ». Cette formule qui a cours au Moyen Âge (venant sans doute de saint Paul dans l’épître aux Éphésiens) désigne le Seigneur Dieu. Postel, professeur de grec, d’hébreu et d’arabe au Collège royal (futur Collège de France) créé par François Ier, substitue le seigneur royal au seigneur divin et la « loi » au « baptême ». Timide début de laïcisation, même si royauté et religion se fondent toujours l’une l’autre.
396. « Le roi de France est empereur en son royaume. »
Antoine DUPRAT Antoine DUPRAT (1463-1535) Le Chancelier Antoine Duprat (1935), François Albert-Buisson Parole d’un prélat et grand légiste de l’époque, avocat, premier président du Parlement de Paris (en 1507), précepteur du futur François Ier qui le fait chancelier en 1515. Cette formule résume l’œuvre de ce roi qui aura eu assez d’autorité (et de temps) pour remettre à leur place Parlements, Universités, haut clergé, féodaux, grande bourgeoisie financière, provinces et villes, bref, tout ce qui menace son pouvoir. Quand l’autorité royale est à son tour menacée par les guerres de Religion et l’anarchie qui s’ensuit, elle est défendue par le parti des « Politiques », qui trouve son juriste en la personne de Jean Bodin, théoricien de la monarchie absolue dans La République (1576) : le pouvoir du roi ne doit être tempéré que par le respect des lois fondamentales du royaume, les conseils du Parlement et des États généraux. De 1484 à 1560, ceux-ci ne sont plus convoqués. Des monarques tels François Ier et Henri II ont pu s’en passer, véritablement rois en leur royaume. Même les étrangers le reconnaissent.
Renaissance et guerres de Religion • Prologue
397. « Le roi de France est le roi des bêtes,
car en quelque chose qu’il commande, il est obéi aussitôt comme l’homme l’est des bêtes. » MAXIMILIEN Ier MAXIMILIEN Ier (1459-1519), vers l’an 1535 Histoire de la France : dynasties et révolutions, de 1348 à 1852 (1971), Georges Duby Boutade de l’empereur d’Allemagne (grand-père du futur Charles Quint), affirmant que lui-même n’est que le roi des rois, et le roi catholique (roi d’Espagne) le roi des hommes. Machiavel donne le royaume de France en exemple aux Italiens pour sa solidité et les ambassadeurs vénitiens qui se succèdent en France font des témoignages qui tous se ressemblent : « Il y a des pays plus fertiles et plus riches ; il y en a de plus grands et de plus puissants, tels que l’Allemagne et l’Espagne ; mais nul n’est aussi uni, aussi facile à manier que la France. Voilà sa force à mon sens : unité et obéissance » (Marino Cavalli, relation de 1546). Cet absolutisme – qui se renforce également dans les pays voisins – n’est pas encore celui du siècle de Louis XIV : des provinces gardent leurs privilèges, les Parlements de province et surtout celui de Paris demeurent des forces d’opposition latente. Tout risque d’être remis en question avec les guerres de Religion, et plus tard la Fronde.
398. « Le plus âpre et difficile métier du monde, à mon gré,
c’est faire dignement le Roi. » MONTAIGNE
Michel de MONTAIGNE (1533-1592), Les Essais (1580, première édition) Magistrat, membre du Parlement de Bordeaux, très loin des poètes courtisans ou des écrivains engagés de son temps. Il parle ici en humaniste et philosophe, sage et souvent sceptique, libre et indépendant de pensée, disant aussi : « Nous devons la sujétion et l’obéissance également à tous rois, car elle regarde leur office ; mais l’estimation, non plus que l’affection, nous ne la devons qu’à leur vertu. » Il dit encore : « Sur le plus haut trône du monde, on n’est jamais assis que sur son cul. » Au siècle des Lumières, Voltaire prisera fort cette pensée de Montaigne.
399. « Soyez comme un bon Prince amoureux de la gloire,
Et faites que de vous se remplisse une histoire, Du temps victorieux, vous faisant immortel, Comme Charles le Grand [Charlemagne] ou bien Charles Martel. » RONSARD Pierre de RONSARD (1524-1585), L’Institution pour l’adolescence du Roi (1562) Renonçant à la carrière des armes et à la diplomatie pour cause de surdité précoce, Ronsard devient le prince des poètes, puis le poète des princes, sans être jamais bassement courtisan. Sincèrement patriote, il élabore un art de gouverner à l’intention du roi Charles IX, alors âge de 12 ans.