L’Histoire en citations Michèle Ressi
Gaule et Moyen Âge
L’Histoire en citations est une collection de livres numériques. La Chronique, divisée en 10 volumes, raconte l’histoire de France des origines à nos jours, en 3 500 citations numérotées, replacées dans leur contexte, avec sources et commentaires. Le Dictionnaire recense toutes les citations (et leurs auteurs), regroupées par mots clés, mots thèmes et expressions, classés par ordre alphabétique en quelque 6 500 entrées.
Michèle Ressi, auteur et chercheur au CNRS, a publié une vingtaine de titres – dont L’Histoire de France en 1000 citations (Eyrolles, 2011). L’écriture théâtrale lui a donné le goût des dialogues, et la passion des citations. CV complet sur Wikipédia.
Sommaire
Gaule
Prologue Chronique (VIe s. av. J.C.-481)
∑ Moyen Âge Mérovingiens et Carolingiens Prologue
Quelques repères Personnage de Clovis Personnage de Charlemagne
Chronique (481-987)
Capétiens directs Prologue
Roi et seigneurs Chevalerie et religion Société Personnage de Philippe II Auguste Personnage de Louis IX (Saint Louis)
Chronique (987-1328)
Premiers Valois Prologue
Quelques repères Personnage de Louis XI
Chronique (1328-1483)
∑ Index par noms
Gaule VIe siècle av. J.-C. : Occupation de la Gaule par les Celtes 481 apr. J.-C. : Clovis roi des Francs
Les Celtes, peuplade venue de l’Est, occupent massivement l’Europe en plusieurs étapes. Sur le territoire de la future France, ils se mêlent aux Ligures du Midi, aux Ibères du SudOuest. Cette Gaule celtique, où abondent les tribus riches en hommes et en biens, est à la fois tentante et gênante pour les peuples voisins, Romains et Germains. Les Romains conquièrent la Gaule cisalpine (nord de l’Italie), puis le sud de la Gaule qui devient province romaine et colonie prospère (capitale, Narbonne), cependant que la Celtique, Gaule transalpine, indépendante et « chevelue » (couverte de forêts), est déchirée par les luttes entre tribus. César, proconsul de la Province et de la Gaule cisalpine, profite des querelles entre Gaulois et de la menace de divers envahisseurs pour soumettre avec ses légions le reste du pays en huit campagnes annuelles (59 à 51 av. J.-C.) et mater des insurrections (dont celle de Vercingétorix). L’ensemble de la Gaule devient une colonie de l’Empire romain sous le règne d’Auguste. La paix civile (pax romana) va durer trois siècles. Prospérité économique et essor culturel caractérisent la civilisation gallo-romaine. Religion nouvelle, le christianisme pénètre peu à peu le pays avant de devenir religion d’État. La situation se détériore au IIIe siècle. Le Bas-Empire romain s’affaiblit dans des luttes pour la succession impériale, les paysans libres se révoltent à la fois contre les nobles, la misère, les impôts. Les premières invasions germaniques (Francs et Alamans) franchissent le Rhin et ces nouveaux peuples vont s’installer en Gaule, comme cultivateurs ou soldats au service des Romains. Les grandes invasions se succèdent au Ve siècle. La plus terrible, celle des Huns d’Attila, est repoussée en 451 par une coalition de Romains et de Barbares. Après la chute de l’Empire romain d’Occident (476), de vrais royaumes barbares se constituent en Gaule : Wisigoths au sud, Burgondes le long de la Saône et du Rhône. Les Francs, guerriers germaniques installés au nord, vont conquérir la Gaule avec leur chef Clovis. Il deviendra roi, en 481, et les Gaulois adopteront le nom de Francs.
Gaule • Prologue
Prologue 1. « La Gaule avait été fermée et fortifiée par la nature
avec un art véritable. » Flavius JOSÈPHE
Flavius JOSÈPHE (37-100), Guerres des Juifs La constatation de cet historien juif du Ier siècle se retrouve chez son confrère latin Ammien Marcellin au IVe siècle. Mais fleuves et montagnes ne sont pas infranchissables. La Gaule (lointain ancêtre de la France) a périodiquement subi des vagues d’invasions, profitant par ailleurs d’une exceptionnelle diversité de peuplements et de civilisations. Il faut attendre le Moyen Âge pour que le pays acquière un territoire à peu près hexagonal, en même temps que sa cohésion, sa conscience nationale et, plus tard, une notion précise de la frontière. La théorie des frontières naturelles – selon laquelle Rhin, Alpes et Pyrénées doivent former les limites continentales de la France, Océan et Méditerranée complétant l’hexagone – existe sans doute à l’état latent dans la politique des rois de l’Ancien Régime, même si les historiens sont partagés sur ce point. En tout cas, elle explosera sous la Révolution où « les armées victorieuses reculent les limites jusqu’aux barrières que la nature nous a données » (Carnot), avant que Napoléon ne franchisse les bornes.
2. « Les Celtes, pensait-on à Marseille, étaient à la fois
impossibles à dompter et toujours prêts à se vendre. » Camille JULLIAN Camille JULLIAN (1859-1933), Histoire de la Gaule (1908-1921) Historien de référence pour cette longue et lointaine période, Jullian rapporte cette opinion des habitants de Marseille (Massilia), ville fondée au début du VIe siècle av. J.-C. par les Grecs de Phocée (venus d’Asie mineure) et aujourd’hui encore appelée cité phocéenne. À la même époque, les Celtes, venus de l’Est par vagues successives depuis déjà un millénaire, occupent massivement l’Europe et notamment la Gaule. Ils se mêlent aux peuples déjà présents : Ligures du Midi et Ibères du Sud-Ouest, sans créer véritablement de civilisation celtique. Leur apport est cependant essentiel : ils ont substitué à l’usage du bronze celui du fer, métal plus solide pour les lances, les épées, les faux, les socs de charrue, le cerclage des tonneaux de bois. Marseille, cité opulente, à la population cosmopolite et raffinée, fut en relations constantes avec les tribus celtes de la vallée du Rhône. Les Celtes (ainsi dénommés par les Grecs) restent dans l’histoire sous le nom que leur donnèrent les Romains : Galli, Gaulois.
Gaule • Prologue
3. « Honorer la divinité, fuir le mal, pratiquer la bravoure. » Maxime de sagesse des Celtes Vies, doctrines et sentences des philosophes de l’Antiquité (multiples éditions et traductions), Diogène Laërce (ou Diogène de Laërte), écrivain grec et compilateur du IIIe siècle de notre ère C’est aussi un précepte druidique, et même le seul qui nous soit parvenu de cette civilisation où l’écrit n’est pas répandu. Telles sont les qualités morales prônées par les tribus celtiques installées en Gaule. Jérôme, docteur de l’Église qui vécut à la fin du IVe siècle et deviendra saint, confirme : « La Gaule est le seul pays qui n’ait pas produit de monstres ; mais de tout temps elle s’est distinguée par ses hommes avisés et éloquents. » En parlant de « monstres », il songeait à certains empereurs romains, célèbres pour leurs folies sanguinaires, tels Néron et Caligula.
4. « Il y a dans la Gaule deux classes d’hommes qui comptent
et qui sont honorées : celle des druides et celle des chevaliers. » CÉSAR Jules CÉSAR (101-44 av. J.C.), Commentaires de la guerre des Gaules Les druides cumulent trois fonctions : prêtres allant cueillir le gui sacré, offrant des sacrifices et assurant le culte de quelque 400 dieux ; éducateurs transmettant à la jeunesse aristocratique des poèmes héroïques (non écrits) nourris de légendes gauloises et de connaissances historiques, juridiques, astrologiques ; juges prononçant des arbitrages et des peines capitales en fonction d’un rituel précis. Les chevaliers, soumis au roi seulement en temps de guerre, sont entourés de « clients » unis à eux par des liens de vassalité personnelle (origine de la féodalité) et font travailler des serfs sur des territoires comparables en étendue aux actuels cantons. Au-dessous de ce « clergé » et de cette « noblesse », le peuple forme le « tiers ordre ». Au total, la Gaule comptait, selon César, 10 millions d’habitants au Ier siècle av. J.-C. Les historiens modernes hésitent entre 8-9 millions, 20 et même 30 selon Camille Jullian. Les statistiques n’ont jamais été une science exacte.
5. « [Les Gaulois] ont deux passions dominantes,
être braves à la guerre et parler avec habileté. » CATON l’Ancien CATON l’Ancien (234-149 av. J.C.) Histoire de la Gaule (1908-1921), Camille Jullian
Les deux qualités dont fait ici état cet homme politique et écrivain romain du IIe siècle av. J.-C. vont se retrouver tout au long de l’histoire.
Gaule • Prologue
6. « L’infériorité des armées gauloises donna l’avantage aux Romains ;
le sabre gaulois ne frappait que de taille, et il était de si mauvaise trempe qu’il pliait au premier coup. » Jules MICHELET Jules MICHELET (1798-1874), Histoire de France, tome I (1835)
Les Romains disposent en effet d’un armement supérieur à celui des Gaulois. Ce sera l’une des raisons de leur victoire, quand ils vont être amenés à faire la conquête de la Gaule.
7. « Des tyrannies, des guerres, voilà ce qu’on trouvait dans les Gaules
jusqu’à ce qu’elles fussent rangées sous nos lois. » Petilius CEREALIS Petilius CEREALIS (Ier siècle) Histoires (nombreuses éditions et traductions), Tacite, historien romain du Ier siècle
Ce général romain du Ier siècle évoque l’état du territoire, avant l’intervention romaine en deux étapes : conquête du sud-est de la Gaule et création de la Province romaine (Provincia) avec Narbonne pour capitale (124-118 av. J.-C.) ; conquête par César de la Gaule restée indépendante (58-51 av. J.-C.). Jules Michelet, dans son Histoire de France, confirme : « Ce chaos bourbeux et belliqueux de la Gaule était une superbe matière pour un tel génie [César]. »
8. « César s’était présenté comme un protecteur.
Sa conquête avait commencé par ce que nous appellerions une intervention armée. » Jacques BAINVILLE Jacques BAINVILLE (1879-1936), Histoire de France (1924) Fait capital de notre histoire. En 58 av. J.-C., la tribu des Helvètes décide d’émigrer vers la Saône pour fuir la pression des Germains d’Arioviste. Les Éduens établis entre Loire et Saône se sentent menacés par cette migration et appellent à leur secours César, nommé l’année précédente proconsul de la Gaule cisalpine (Italie du Nord) et de la Province romaine. Cerealis (cité par Tacite) rappellera plus tard aux Gaulois ce fait historique : « Si nos chefs et empereurs sont entrés dans votre pays, c’est à la requête de vos ancêtres. » César, fort de six légions, oblige les Helvètes à retourner chez eux (vers l’actuelle Suisse) et refoule les Germains au-delà du Rhin. Voulant éclipser la gloire militaire de son rival Pompée, il en profite pour conquérir en huit campagnes annuelles toute la Gaule, y compris Belgique et Suisse, avec une incursion en [Grande-]Bretagne.
Gaule • Prologue
9. « C’est une race [les Gaulois] d’une extrême ingéniosité,
et ils ont de singulières aptitudes à imiter ce qu’ils voient faire. » CÉSAR Jules CÉSAR (101-44 av. J.C.), Commentaires de la guerre des Gaules S’ils ne connaissent pas de civilisation urbaine et vivent en tribus, les Gaulois sont de remarquables éleveurs et agriculteurs qui savent « engraisser la terre par la terre » (assolement et alternances de céréales riches et pauvres), au grand étonnement des Romains. Ils exportent jusqu’à Rome foies gras, jambons et autres charcuteries. Leurs tissages et leurs cuirs sont de qualité, comme leurs bijoux et leurs bronzes. Ils auraient même inventé le savon (fait de cendre végétale mélangée au suif). Pour être conquérant, César n’en fut pas moins sensible au génie gaulois. Dans ses Commentarii de bello gallico, il se révèle remarquable historien, et styliste. À partir du IXe siècle se multiplient les éditions et traductions de ce grand texte, également titré Guerre des Gaules.
10. « Ces gens-là [les Gaulois] changent facilement d’avis
et sont presque toujours séduits par ce qui est nouveau. » CÉSAR Jules CÉSAR (101-44 av. J.C.), Commentaires de la guerre des Gaules Grand fond de vérité dans cette constatation. Richelieu, au XVIIe siècle, évoquera souvent cette « légèreté » propre aux Français. Mais ce sera pour s’en plaindre.
11. « Et le Christ ?
— C’est un anarchiste qui a réussi. C’est le seul. » André MALRAUX André MALRAUX (1901-1976), L’Espoir (1937) Sous le règne de Tibère vit en Galilée un homme dont les enseignements vont bouleverser l’histoire du monde. De sa mort sur la croix va naître une religion qui lentement s’étendra sur l’Empire. Pour les Romains, les premiers chrétiens ne sont qu’une secte juive, dont le fondateur passe pour un agitateur politique. Pour les chrétiens, il est Dieu, fils de Dieu, ce Dieu étant un dieu unique, comme celui qu’adorent les juifs. La réussite de l’« anarchiste » qui termina sa vie comme un criminel mis en croix entre deux « larrons » est due à ses disciples, et plus particulièrement à Paul de Tarse : il fera du message de Jésus une religion à vocation universelle. La Gaule sera tardivement acquise : l’évangélisation des villes, puis des campagnes, ne se fera qu’au IVe siècle, le christianisme devenant religion d’État en 391.
Gaule • Prologue
12. « Là où Attila a passé, l’herbe ne repousse plus. » Adage symbolisant la sauvagerie des Huns Histoire des Francs (première impression française au XVIe siècle), Grégoire de Tours Ce mot recueilli par Grégoire de Tours un siècle et demi après l’invasion des Huns (en 451) montre que la mémoire était encore vive, en Gaule, de ces barbares et de leur chef, Attila surnommé Fléau de Dieu. Beaucoup de chroniqueurs s’inspireront de ses Dix livres d’histoire – titre originel de sa somme historique –, ce qui contribue à renforcer le mythe d’Attila.
13. « Nous dévoilons le passé infructueusement, le présent
incomplètement ; il y a, pour nous, de la honte à dire des choses fausses, du danger à dire la vérité. » SIDOINE APOLLINAIRE SIDOINE APOLLINAIRE (430-487), Lettre à son ami Léon, en 476-477
C’est dire les risques courus par l’historien : ainsi justifia-t-il son refus d’écrire l’histoire de son temps. Sidoine Apollinaire, patricien gallo-romain, se contenta d’être écrivain, préfet, sénateur, évêque – élu malgré lui – et saint. Ses poèmes (Carmina), ses lettres (147 réunies en neuf livres) et ses panégyriques (discours officiels) demeurent des témoignages précieux sur cette Gaule du Ve siècle.