Pandora extraits ch4

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c IV d

đ?„ž (Future Sound of London - Slider) Leur course effrĂŠnĂŠe avait pris fin Ă la tombĂŠe de la nuit. Les deux fuyards venaient de trouver refuge sur le toit d’un vieil immeuble tandis que l’escadron Ă leurs trousses, ĂŠpuisĂŠ, avait dĂŠclarĂŠ forfait après avoir fouillĂŠ une dernière fois le quartier par acquit de conscience. DissimulĂŠs dans l’ombre d’une allĂŠe quelques minutes plus tĂ´t, avant de grimper par l’escalier de secours qui longeait la façade, ils avaient vu les fourgons de leurs assaillants disparaĂŽtre dans un vacarme ĂŠpouvantable en direction de Grey Garden, le quartier le plus sĂŠcurisĂŠ de la ville. Tous deux en avaient alors profitĂŠ s’Êclipser avant qu’une nouvelle patrouille ne les repère. S’estimant en sĂŠcuritĂŠ pour la nuit, Ienzo se courba en deux pour reprendre sa respiration puis chercha des yeux un endroit oĂš se reposer.

Enfin.

Du haut de sa cinquantaine d’Êtages, le building ĂŠtait l’un des plus imposants du quartier et certainement celui qui avait le mieux su rĂŠsister Ă la dĂŠgradation du temps. Au centre de ce vaste espace recouvert de gravier, quatre vieux sièges arrières de voiture disposĂŠs Ă mĂŞme le sol offraient un maigre confort Ă cette terrasse improvisĂŠe. Plusieurs

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panneaux lumineux, dont les néons grésillaient à intervalles réguliers, illuminaient l’endroit de leurs couleurs acidulées et donnaient un air fantomatique aux deux squatteurs. Un monceau de bouteilles et de mégots amassés dans un coin attestait de la fréquente occupation des lieux mais par chance, personne d’autre qu’eux n’avait eu l’idée de s’y aventurer cette nuit-là. La pluie avait cessé de tomber au cours de leur fuite, ne laissant en souvenir de son passage qu’une vague odeur d’asphalte mouillé et de larges flaques d’eau reflétant leurs mines exténuées. Ienzo s’affala sur le premier fauteuil venu et se délecta du contact moelleux de ce siège sur son dos endolori. L’espace d’un instant, il espéra pouvoir se fondre dans cette douceur, afin que les courbatures qui rongeaient son corps disparaissent enfin. Tout en massant la plante de ses pieds qu’il venait d’extirper de ses bottes de cuir, il releva les yeux vers son compagnon. — Bienvenue à Newport, «noble étranger». Tandis qu’il marmonnait un semblant de réponse, l’homme aux cheveux d’ébène s’approcha avec précautions de la corniche et laissa ses pensées rejoindre l’horizon plusieurs minutes durant, non sans avoir au préalable jeté un coup d’œil téméraire en direction du vide. Le Monde. Enivrant. Pouvoir saisir les rouages de l’univers d’un seul regard. Malgré les ténèbres qui avaient déjà englouti la ville depuis plusieurs heures, il distinguait encore les hauts bâtiments de l’aéroport, au loin, illuminés par l’abondance de projecteurs qui s’alignaient de manière régulière sur le tarmac. A cette distance, le complexe semblait si ridiculement petit face à la démesure du centre ville et de sa banlieue que son indécision passée, lorsqu’il était arrivé, lui parut encore plus légitime.

Noyé au coeur de l’inconnu.

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Trois faisceaux lumineux perçaient le ciel dans un rythme lent et se heurtaient aux épais nuages recouvrant la cité, mais plus aucun signe de vie ne semblait leur parvenir des Bas-Fonds à l’exception des basses d’une musique d’ambiance rythmée qui venait rompre le silence et s’envolaient jusqu’à eux, depuis les fenêtres entrouvertes d’un bar en contrebas. Ienzo suivit le regard de son compagnon et contempla à son tour le labyrinthe urbain qui s’étendait à perte de vue.

Une ville figée, piégée par la nuit.

Les quartiers les plus indigents étaient plongés dans un profond brouillard, à tel point qu’il ne distinguait même plus les cinq premiers étages de la majorité des bâtisses. A la constellation dorée que formaient d’ordinaire la nuée d’éclairages et les grands boulevards saturés par la circulation s’était substitué un amas huileux et noirâtre qui engloutissait tout sur son passage. Seul un îlot coloré, presque flamboyant, se détachait au centre de cette noirceur abyssale, comme un pied de nez effronté à l’insécurité et à la pauvreté du reste de la métropole. Grey Garden. L’éden de la ville, uniquement accessible à une petite poignée ô combien élitiste de privilégiés qui s’y pensaient en sécurité. Newport était l’un de ces pays de Cocagne typiques qui avaient connu une ascension fulgurante avant de se voir déchoir plus rapidement encore. Aujourd’hui, elle ne semblait plus être que l’ombre d’elle même, rongée par ses quelques sept millions d’habitants qui pensaient pouvoir s’y construire une vie idéale et se retrouvaient au final encore plus désemparés qu’auparavant. Seule une très petite minorité de newporters avait réussi à se frayer un chemin vers la réussite et écrasait désormais les espoirs communs de tous ceux qui rampaient à leurs pieds. La majorité des bâtiments environnants avaient été édifiés en grès, un matériau noble et très recherché dans la région mais qui, suite à une sélection trop hâtive, était devenu la plus grande menace de la ville ; jour après jour, l’air agressif et vicié avait raison de sa solidité et en érodaient les Tous les textes et les images de ce document sont la propriété de Yuna Minhaï Dekebat. Toute copie, reproduction totale ou partielle ou modification du texte ou des images sans le consentement préalable de leur auteur est interdite et passible de poursuites. Si vous souhaitez diffuser ce document ou son contenu, merci d’en citer la source : HTTP://PANDORA.BLINDSYMPHONIA.NET


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contours. Ce qu’il restait des dernières sculptures défigurées par le temps était noirci par des années de pollution, tels les vestiges d’une époque révolue. Tout le faste et la grandeur de Newport s’effritait en même temps que ses murs. Pensif, le voyageur leva les yeux vers le ciel couleur de suie qu’aucune étoile ne venait rehausser, comme si elles aussi s’étaient éteintes avec l’agitation du centre. Pourtant, il était persuadé de toutes les connaître ; il aurait pu replacer chacune d’entre elle sur ce sombre tableau et il les visualisait comme si elles étincelaient réellement.

Étrange réminiscence.

Hasard des destinées, rien d’autre.

— C’est quoi ton nom ? murmura Ienzo, l’interrompant ainsi dans ses réflexions. — ... — Hey ! — Quoi ? — Ton nom... — Ensaï.

En-Saï.

Ces deux syllabes à l’étrange consonance s’étaient machinalement échappées de sa bouche sans qu’il ait besoin d’y réfléchir. Etait-ce vraiment son nom ? Sans nul doute. Pourtant, celui-ci ne signifiait rien à ses yeux ; aucune évocation familière, aucune image n’y était associée. Ce n’était qu’un mot parmi tant d’autres, sans vibration particulière, accentuant d’autant plus son malaise et le sentiment dérangeant de ne pas être à sa place. Troublé, il se replongea dans une contemplation muette de l’immense cité pour esquiver une conversation qui deviendrait assurément trop embarrassante.

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— Newport… Ainsi c’est le nom de cet endroit, reprit-il finalement, tout en désignant le sombre panorama d’un geste du menton. — Tu n’es vraiment pas du coin, toi, hein ? — Qui peut savoir… Lassé de ce décor monotone, Ensaï se retourna à pas lents, sans perdre le rebord de vue, et s’installa, résigné, aux côtés de Ienzo. Il se laissa lourdement tomber sur le siège le plus proche de son nouvel ami et ne réagit même pas au petit rebond que produisit son corps lorsqu’il se heurta au rembourrage usé. Puis il arrêta son regard sur ses mains crasseuses ; celles-ci étaient sèches, un peu rêches, étonnamment usées par le temps et la terre qui en avait noirci les traits malgré ses vingt-sept petites années d’existence.

Quels souvenirs peuvent bien renfermer ces lignes ?

Il renversa la tête en arrière et abaissa ses paupières dans un soupir las. Un instant, il se délecta de ce moment de calme presque irréel après la course-poursuite endiablée qu’ils avaient vécue des heures durant. Etait-il donc possible de suspendre le temps ? De faire taire ses interrogations et d’emporter ses incertitudes avec les nuages qui filaient à toute allure ? Et s’il restait sur ce toit… À jamais ? Prostré, mais protégé de cette folie qui régnait, là, en bas, dans les rues…

Je perds la tête.

Puis il reprit la parole, cherchant maladroitement ses mots comme pour exorciser son amnésie. — Je ne sais même pas ce que je fais ici. Alors de là à savoir d’où je viens… — Je ne comprends pas, renchérit Ienzo, les sourcils froncés. Tu as échoué à l’aéroport, donc… Tu as bien du prendre un avion. Et il n’est pas sorti de nulle part, si ? — Crois-tu que je n’aie pas vérifié ? C’est comme s’il n’avait jamais existé. Tous les textes et les images de ce document sont la propriété de Yuna Minhaï Dekebat. Toute copie, reproduction totale ou partielle ou modification du texte ou des images sans le consentement préalable de leur auteur est interdite et passible de poursuites. Si vous souhaitez diffuser ce document ou son contenu, merci d’en citer la source : HTTP://PANDORA.BLINDSYMPHONIA.NET


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Rien, pas la moindre trace, pas même de son arrivée. Mais tout s’est passé si vite sur le tarmac… Et puis...

Blanc. Il poursuivit à mi-voix, passablement gêné.

— Je ne sais pas lire votre langage. Oubli volontaire ou involontaire d’une âme tourmentée. Ils se détaillèrent mutuellement sans prononcer un mot de plus. Ienzo ressemblait, malgré son âge, à ces adolescents désinvoltes qui s’élèvent contre l’autorité par pur esprit de contradiction. Son visage fin était en grande partie dissimulé derrière de longues mèches d’or qui tombaient en cascade sur ses épaules et ses yeux d’un intense vert émeraude en auraient rendu plus d’un jaloux, s’ils ne recelaient pas au fond d’eux cette tristesse, cette douleur et cette mélancolie que le visiteur avait déjà pu percevoir dans le regard de nombreux newporters. Les deux prunelles de jade se voilèrent alors. — Seuls les fugitifs cherchent asile ici. Personne d’autre ne voudrait de ce monde ni de cette vie-là. Personne. C’est le moment que choisit Ensaï pour se relever d’un bond, incapable de rester dans la même position plus de cinq minutes consécutives. L’inconnu et l’ignorance le rendaient nerveux, tant et si bien qu’il ne pouvait s’empêcher de tourner en rond tel un lion en cage. Ses muscles tendus le démangeaient comme s’ils étaient en attente de quelque chose. S’envoler. Fuir cet endroit. Rentrer chez lui. Où ça ? Peu lui importait, mais après avoir passé des heures immobile sur l’inconfortable chaise du bar, il ressentait plus que jamais le besoin de se défouler, d’extérioriser ses doutes, ses peurs et sa colère... Et peu lui importait comment.

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Et si Newport était ma prison ?...

À cette pensée succéda soudain un flot de paroles confuses qui déferlèrent sans qu’il ne parvienne à les contrôler. — Peut-être bien que j’en suis un, qui sait ! Peut-être que je ne suis qu’un dangereux criminel à qui l’on a volé sa mémoire pour éviter qu’il ne récidive ! Et si j’étais dangereux ? Ils voulaient ma mort, là en bas, j’en suis certain, et je ne sais pas pourquoi ! Et toi, qu’es-tu pour avoir atterri dans ce trou, hein ? Un clandestin, c’est ça ? Tu peux m’expliquer ?

Silence. Confrontation.

Ienzo soutint son regard, le visage obscurci par l’amertume, jusqu’à ce qu’Ensaï n’abandonne enfin, surpris par sa propre arrogance. Son ton se radoucit aussitôt. — Je suis désolé. Je ne devrais pas te traiter de cette manière, tu m’as... Sauvé la vie. Son interlocuteur ignora ses excuses et se contenta de croiser les bras, l’air ailleurs. Quelque chose, dans son attitude, avait irrémédiablement changé. Ensaï poursuivit, espérant se racheter par quelques explications supplémentaires, comme si l’effort de se mettre à nu suffirait à effacer ses paroles. — C’est juste que… Je ne sais pas… C’est un peu comme si une porte se dressait devant moi, que je savais que tous mes souvenirs, tout ce que j’ai été et tout ce que je suis, se cachaient derrière elle, mais que j’étais incapable d’en trouver la clé. — Parfois, le passé est si douloureux que l’on ferait tout pour l’effacer de sa mémoire, maugréa Ienzo, toujours froissé. — Peut-être, mais sans histoire, on n’est rien. Pourquoi renoncer à ce qui fait partie de nous ?

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Vide. L’homme blond hocha pensivement la tête mais ne l’écoutait déjà plus. Il avait les yeux rivés sur un pendentif argenté qui pendait sur la poitrine découverte d’Ensaï. Le bijou était retenu par un gros lacet de cuir qui faisait plusieurs fois le tour de son cou. — Tiens, mais je connais ça… Le médaillon, large de trois ou quatre centimètres environ et vraisemblablement martelé à la main, représentait une étoile à huit branches dont chaque extrémité était pourvue d’une petite pointe de flèche. Au centre brillait un cabochon finement taillé dans un grenat éclatant. Contre l’avis de son propriétaire, le jeune homme s’en saisit délicatement et profita de le faire danser entre ses doigts pour l’observer sous toutes les coutures. Les lueurs rosées des néons se reflétèrent dans la petite pierre parfaitement polie. — C’est étrange, je suis persuadé d’avoir déjà vu ce truc quelque part… Sais-tu ce dont il s’agit ? — Non, je n’en ai pas la moindre idée. Il était à mon cou lorsque je suis arrivé. C’est sans doute une breloque comme les dizaines d’autres qui sont pendues à mes vêtements. Il joignit le geste à la parole et fit machinalement tinter les quelques grelots cousus à son châle de laine.

— Qu’est-ce que tu as dit ? — Rien. Tous les textes et les images de ce document sont la propriété de Yuna Minhaï Dekebat. Toute copie, reproduction totale ou partielle ou modification du texte ou des images sans le consentement préalable de leur auteur est interdite et passible de poursuites. Si vous souhaitez diffuser ce document ou son contenu, merci d’en citer la source : HTTP://PANDORA.BLINDSYMPHONIA.NET


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Ensaï fronça les sourcils, aux aguets. À nouveau, cette voix qui semblait provenir de partout à la fois résonna autour de lui. Pas de doute. Cette fois, il n’avait pas rêvé. Il observa nerveusement les alentours et son regard se heurta à la porte métallique toujours close. Ils étaient seuls. — Tu es sûr que ça va ? — Je ne sais pas.

Plus rien.

Il se frotta alors les tempes en dodelinant de la tête puis retourna au bord du toit. Là, il s’assit à même la corniche et laissa ses pieds se balancer nonchalamment dans le vide. Cette pseudo sensation de liberté, malgré les dangers qu’elle comportait, suffit à le rasséréner. Inquiet de son silence, Ienzo vint le rejoindre quelques minutes plus tard et prit place à ses côtés. Tous deux contemplèrent les lueurs de Grey Garden qui mourraient peu à peu, jusqu’à ce que le secteur ne se distingue plus que par un pâle halo mordoré. — Sois patient, peut-être qu’avec un peu de temps…

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