le
fauteuil Une réflexion sur Zumthor et Libeskind ZARITH PINEDA
MEMOIRE/ ARCHITECTURE / SENSUALITÉ/ CORPS/CALME
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INTRODUCTION
Le Fauteuil
NYc Le debut du trajet épique
Ma petite mère du haut de ses un mètre cinquante avait loué un camion, récupéré l’objet précieux,
LE FAUTEUIL Elle était tombée amoureuse du meuble pendant un voyage à New York et maintenat ce fauteil est ma memoire d’enfance la plus importante.
Le Fauteuil
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INTRODUCTION
C
hez ma mère il y a un fau-
à travers les embouteillages chaotiques
teuil marron en cuir. Elle
de Manhattan et commençait un long
était tombée amoureuse du
trajet de quatre heures pour le rapport-
meuble pendant un voyage
er chez nous. Le fauteuil avec son style
S
ouvent les architectes oublient qu’il y a des éléments en dehors de la forme du bâtiment qui créent des impressions
à New York, quand j’avais treize ans.
imposant changea complètement l’am-
Comme la plupart des architectes, ma
biance de notre petit salon et devint
tants de leur architecture... comme dans
mère a un gout très sélectif, et c’est diffi-
un être à part entière de ma maison
le cas du fauteuil en cuir plutôt mo-
cile pour elle de trouver meubles qui lui
d’enfance. Aujourd’hui, impossible pour
che chez ma mère… Il y a des qualités
plaisent. Le problème de sa découverte
moi de m’imaginer cet espace commun
transcendantales qui restent dans nos
était que le magasin ne faisait pas de
unique sans ce fauteuil. Il est gravé dans
souvenirs longtemps après avoir quitté
livraisons jusqu’à Boston ; un obstacle
ma mémoire. Maintenant, à chaque fois
le bâtiment. Elles évoquent certaines
qui n’a fait que renforcer son obsession
que je pense à la maison de ma mère,
émotions, désirs et sensations.
pour ledit fauteuil. Alors elle l’ache-
le souvenir le plus vif est la texture du
ta. Ma petite mère du haut de ses un
fauteuil, l’odeur de son cuir et la sensa-
mètre cinquante avait loué un camion,
tion de ne jamais se sentir à l’aise sur sa
récupéré l’objet précieux, le transportait
texture glissante.
marquantes chez les visiteurs et habi-
le transportait à travers les embouteillages chaotiques de Manhattan et commençait un long traje.
le objet représentation fictive du fauteuil
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Architectes Sensibles et Peter Zumthor
Le Fauteuil
architecture sensible &
zumthor Argument pour une architecture atmosphĂŠrique.
zumthor Par: Share Design
Le Fauteuil
Architectes Sensibles et Peter Zumthor
atmosphÈres Par Peter Zumthor
I
BURJ KALIFA Wikimedia Commons
l y a peu d’architectes, qui, de nos
ce monde m’émeut? Comment puis-je
jours, essayent de comprendre ces
introduire cela dedans mon travail? >>
sensibilités dans leur design pro-
La suite du discours fut une tentative
cess. Dans l’ère des formes expres-
de réponse, un résumé des principes
sives, design paramétrique, Frank Gehry
qu’il utilise pour essayer de réaliser des
et le Burj Khalifa ; l’architecte suisse,
espaces évocateurs.
Peter Zumthor est l’un des seuls promoteurs des sensibilités atmosphériques. Dans sa conférence Atmosphères en 2003 pour le festival de musique et littérature de East Westphalia-Lippe, Zumthor commence son discours avec
P
armi toutes ses guides Zumthor identifie deux principes fondamentaux : l’anatomie et la temporalité.
Plus que des principes, ces guides sont
ces quelques mots simples : << L’archi-
des suggestions qui calibrent à nouveau
tecture de qualité pour moi est quand
nos points de vues en interprétant le
le bâtiment m’émeut. Qu’est-ce qui dans
rôle de l’architecture et l’architecte. En
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Architectes Sensibles et Peter Zumthor
Le Fauteuil
le chef d’oeuvre de Libeskind possède plusieurs complexités, calques et partis enracinés dans le concept de partage d’une atmosphère d’absence.
Musée Juif à Berlin Libeskind. Image par: Wikemedia Commons
analysant de façon décalée le bâtiment, avec ces nouvelles caractéristiques, Zumthor souligne la puissance évocatrice de l’atmosphère dans les oeuvres architecturales.
P
I
l est évident que le musée a de très fortes caractéristiques formelles, mais le chef d’oeuvre de Libeskind possède plusieurs complexités,
calques et partis enracinés dans le
our mieux visualiser ses
concept de partage d’une atmosphère
traits il faut les analyser dans
d’absence.
le contexte d’un bâtiment existant. Pour cette étude de
cas, j’ai choisi le Musée Juif à Berlin de Daniel Libeskind. Un bâtiment connu pour ses qualités évocatrices de la gravité de l’absence des Juifs, après l’Holocauste, à Berlin.
Le Fauteuil
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Architecture comme un corps
Architecture comme un corps [L’architecture.] Le corps même! Un corps qui peut me toucher.
E
n parlant de l’anatomie d’un bâtiment Zumthor utilise une métaphore anthropomorphe pendant son discours, <<Ici
on est assis dans cette grange, il y a des rangées de poutrelles, et après elles sont couvertes etc, etc. Ce type de chose a un effet sensuel pour moi. Et j’appelle ça le premier et le meilleur secret de l’architecture… Pour moi c’est comme un type d’anatomie. En fait, c’est le vrai sens de la mot <corps>, c’est littéralement comme notre propre corps avec ces anatomies et choses qu’on peut pas voir et la peau qui nous couvre… [L’architecture.] Le corps même! Un corps qui peut me toucher.>>
corps humaine Equisses par Leonardo da Vinci
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Architecture comme un corps
D
ans le cas du Musée Juif,
Kadishman. Le visiteur est forcé de se
Libeskind montre une com-
confronter au massacre des Juifs en
préhension totale du secret.
Europe. Dans le plafond on trouve des
Qu’il transmet au visiteur.
lucarnes qui éclairent légèrement les
Dans l’axe central du bâtiment il y a
vides pour évoquer en un sens l’espoir
six percements qui créent des vides
inaccessible. Métaphore puissante par
qui s’étendent du sous-sol au troisième
l’espace, la seule lumière qui allume cet
étage. Ces percements sont invisibles
espace étant quatre étages au-dessus.
de l’extérieur happés par l’enveloppe du bâtiment. Cependant, à l’intérieur les vides créent une rupture sévère dans la
Ces percements sont invisibles de l’extérieur happés par l’enveloppe du bâtiment.
Le Fauteuil
circulation soulignent la absence juif en Allemagne.
L
es vides ne sont pas climatisés
L
es percements forment un orchestre de lumière, température et matériels pour produire cet ensemble introspectif et
impressionnant.
et avec leur matérialité en béton bruit ils marquent les esprits. Sensation déroutant
et nostalgique. Le sol est couvert par l’installation Shalekehet, des feuilles qui tombent, de l’artiste Israélien Menashe
Shalekehet Par Menashe Ka-
dishman, Musée Juif à Berlin
Le Fauteuil
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la calme et la séduction
hotel therme vals Par Peter Zumthor
le calme & la
séduction Il y a aussi l’art plus gentil de la séduction, de permettre les gens à se laisser, se balader...
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Le calme et la séduction
P
our décrire le rôle du mouve-
l’extérieur. Il faut entrer par le bâtiment
ment et de la circulation dans
baroque adjacent pour commencer le
ses bâtiments, Zumthor anal-
parcours. Après avoir trouvé l’entrée
yse l’architecture comme un
cachée on descend au sous-sol. Là on se
art temporel. <<Mon expérience n’est
confronte avec trois axes, des couloirs
pas limité à une seconde… comme la
avec des trajets différents, chacun mis
musique [l’architecture] est un art tem-
en scène pour livrer une expérience
poral. Ça veut dire qu’il faut réfléchir à
singulière.
la manière dont les gens bougent dans le bâtiment… Il y a aussi l’art plus gentil de la séduction, de permettre les gens à se laisser, se balader, et c’est dans les pouvoirs d’un architecte>>
AXES Film, Entre Lignes, par Stan Newmann et Richard Copans
Le Fauteuil
C
L
es axes représentent la continuité des catastrophes qui ont accablées les Juifs en Europe comme l’exil et l’Holo-
causte. L’axe se termine avec un escalier de la largeur du couloir, qui avec sa
et outil dans l’arsenal d’un
taille insignifiante, créé un accès pour
architecte peut être extrême-
monter aux salles d’exposition, situées
ment puissant. Dans le cas de
dans les trois étages de galeries.
l’oeuvre de Libeskind, fin as-
semblage de métaphores, la circulation n’est pas une exception. L’entrée principale du musée ne se remarque pas de
Le Fauteuil
la calme et la séduction
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tour holocauste Par Wikemedia Commons
A
près vient l’axe de l’holocauste. Cet axe se termine avec une tour complètement détachée de la forme
principale du bâtiment. La tour est
L
e dernier axe est celui de l’Exil qui amène les visiteurs au célèbre jardin éponyme. Ce jardin est composé de rangées
d’arbres enveloppées dans des boîtes
fermée, totalement close, sauf un petit
de béton formant un cube parfait.
filet de lumière qui vient du haut : il
Semblant un repos dans le parcours
renforce l’espoir vain qui a subsisté pen-
chargé du musée, le visiteur se trouve
dant l’holocauste. C’est un des exemples
cependant à nouveau dans une situ-
des trajets agencés pour comprimer le
ation déroutante. Le cube parfait est
visiteur dans une galerie puis le relâcher
tourné de dix dégrées pour déstabiliser
dans un espace contemplatif sombre.
et évoquer l’oppression avec les arbres l’environnant. Comme point culmi-
mon expérience n’est pas limité à une seconde… comme la musique [l’architecture] est un art temporal.
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Le calme et la séduction
nant de cette expérience de liberté et d’oppression, Libeskind introduit un nouveau défi : impossible de sortir du jardin par l’extérieur, celui-ci étant immergé sous le niveau de la rue. Claustro-
L
’utilisation de variations de compressions dans la circulation créent un circulation parfois active, parfois passive, mais
toujours désorientant. Une émotion
phobie poétique. Obligation d’entrer à
contrastant le parcours tranquille décrit
nouveau dans le bâtiment par les sous
par Zumthor, mais émouvante.
sol faiblement éclairé pour continuer le parcours du musée.
jardin Éponyme Par Wikemedia Commons
AXES Film, Entre Lignes, par Stan Newmann et Richard Copans
Le Fauteuil
Le Fauteuil
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la calme et la séduction
l’archi de qualité atmosphère 3 Par Cynthia Woehrle
C’est en réitérant l’introduction d’Atmosphères, l’architecture de qualité, remarquable et impressionnante que l’on arrive à émouvoir.
L
es descriptions des espaces
vides impressionnants dans un bâti-
émotifs de Zumthor étaient
ment labyrinthique... La morale de cette
plutôt sensuelles et calmes.
approche du design architectural est de
Le Musée Juif à Berlin de
ne pas sous-estimer la dimension sen-
Libeskind propose l’antithèse de ces
timentale de cet art. L’architecture est
émotions en évoquant la perte de
un art temporel, l’architecte a un temps
foi, la solitude, l’exile, l’incertitude…
limité pour laisser une empreinte. La
Cependant les deux sensations sont
manière la plus durable d’y arriver est
égales et importantes, elles marqueront
de toucher les sentiments, le sensible du
le visiteur, lui gravant des souvenirs
visiteur. C’est en réitérant l’introduction
inoubliables. Les sentiments à évoquer
d’Atmosphères, l’architecture de qualité,
sont infinis : la nostalgie de l’enfance
remarquable et impressionnante que
à cause de la texture d’un fauteuil, la
l’on arrive à émouvoir.
remarque de l’absence d’un avec des