No6, Printemps 2010
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Fabrice Lauterjung : a. Zagreb, répétition,2007 ; b. À une passante,2005.
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ZéroQuatre Revue semestrielle d’art contemporain en Rhône-Alpes Gratuit
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Fabrice Lauterjung : c. Avant que ne se fixe, 2007 ; d. The Study, 2009 ; e. Istanbul, le 15 novembre 2003, 2004 ; f. Berlin : traversée, 2005.
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école supérieure d’art et design de Saint-étienne Journées portes ouvertes
© Sandrine Binoux
12 et 13 mars 2010
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Rien que l'endroit et le mot, portrait de Fabrice Lauterjung par Corinne Rondeau 6. Considérations sur les techniques permettant la réincarnation des fantômes de Douglas Crimp par François Aubart 10. Sculptures objectivées, compte-rendu en écho par Lélia Martin-Lirot 12. Faire école, à propos des écoles d’art par Florence Meyssonnier
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Rédacteurs : François Aubart, Carine Bel, Julien Fronsacq, Nicolas Garait, Olivier Huz, Lélia Martin-Lirot, Florence Meyssonnier, Hugo Pernet, Fabien Pinaroli, Corinne Rondeau, Pierre Tillet
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Poster central de Katrin Ströbel a. Les bateaux, 2008 ; b. Import-export, 2008.
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Édition : Associations 04 et 02 Directeur de la publication & rédacteur en chef : Patrice Joly Rédactrice en chef adjointe : Florence Meyssonnier Comité de rédaction : Nicolas Garait, Guillaume Mansart, Lélia Martin-Lirot, Caroline Soyez-Petithomme
Graphisme : Olivier Huz sous le regard avisé d’Ariane Bosshard Typographies : Henry Pro de Matthieu Cortat (2009) et Jacno de Jacno (1948) Impression : Imprimerie de Champagne, Langres
Exposition : art3, Valence, du 2 avril au 8 mai 2010, dans le cadre du programme des échanges entre le BadeWurtemberg et la Région Rhône-Alpes.
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Damián Navarro et Klat à Genève par Julien Fronsacq, Émilie Parendeau à Lyon par Fabien Pinaroli, Anthony Vérot à Fontaine par Nicolas Garait, Poétique du chantier à Annecy par Pierre Tillet, La vie à l’épreuve à Villeurbanne par Florence Meyssonnier, Markus Müller à Lyon par Hugo Pernet, Supervues 009 à Vaison-la-Romaine par Fabien Pinaroli, L’espèce de chose mélancolie à Genève par Carine Bel, Guillaume Désanges à Fribourg par Olivier Huz 24. Fiches de lecture & prévisions 15.
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Comité partenaires : Institut d’art contemporain, Villeurbanne ; École nationale des beaux-arts de Lyon ; Musée d’art moderne de Saint-Étienne Métropole ; Fondation Léa et Napoléon Bullukian, Lyon ; Fondation pour l’art contemporain Claudine et Jean-Marc Salomon, Alex ; La Cité du design, SaintÉtienne ; École supérieure d’art et design de Saint-Étienne ; Villa du Parc, centre d’art contemporain d’Annemasse
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Remerciements : Nadège Dumas, Céline Muller, Pierre Joseph et la galerie Air de Paris, nos soutiens, partenaires et annonceurs
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ZéroQuatre est un supplément à 02 Nº53, édité par Zoo Galerie, 4 rue de la Distillerie, 44000 Nantes, www.zerodeux.fr redaction.zeroquatre@gmail.com
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ZéroQuatre bénéficie du soutien de la Région Rhône-Alpes
portrait de Fabrice Lauterjung par Corinne Rondeau
Voir dans la continuité les films de Fabrice Lauterjung laisse une sensation étrange encore accentuée par le fait qu’ils sont autant à regarder qu’à lire. La continuité dissout leur nombre dans l’obsession d’une image où s’absente la profondeur, où s’intensifient les mouvements, où s’éclipsent les mots et les voix entêtés à revenir, à disparaître par nécessité, où prédominent le noir et blanc et le grain du super-8. La continuité donne à voir le même film mais en transit, comme en errance. Plus question de se poser la question de combien d’opus ai-je vu, de leurs débuts ni de leurs fins. S’impose au contraire la question du défilement des phrases et des images, des extinctions entre noir et silence, des reprises entre images mobiles et immobiles, des disparitions progressives entre fondu des ima ges et effacement des mots, des écarts entre la parole et la lettre. Un même film dont la quête consiste à interroger la mémoire par des lieux et des mots. La mémoire commence avec le nom d’un lieu, lieu qui appelle simultanément une histoire. Mais cette mémoire est d’abord celle de l’image. Rien alors ne peut avoir lieu que le langage et un travail de construction de la mémoire par sa destruction, en entendant ici destruction en un sens véritablement durassien : « Il n’en reste que la mémoire de l’histoire / et ce seul mot pour la nommer / Césarée / La totalité. / Rien que l’endroit / Et le mot. […] L’endroit s’appelle Césarée / Cesarea / Il n’y a plus rien à voir. / Que le tout 1. » Cette totalité échoue. Ni la vérité ni la mémoire ne sont toute. Et il faut la puissance de l’inscription au cœur de cette impuissance pour tracer les lignes d’un tout en défaillance et inventer sa fiction. Trace noble de la mémoire, éternelle et chancelante, entêtante et dérisoire. Cette défaillance se confond au mouvement de l’inscription et de l’image. Mais au lieu de les tisser, comme le cinéma nous y a conditionné,
Rien que l'endroit et le mot —
Fabrice Lauterjung : exposition au Bleu du ciel, Lyon, du 5 février au 13 mars 2010 et Célébration, exposition collective, Frac Auvergne, Clermont-Ferrand, du 29 janvier au 30 avril 2010.
elle les désunit. Ils ne peuvent plus être ensemble, pas dans le même lieu, pas en même temps. Pourtant c’est un même film tous ces films qui cherchent non la matrice, la mémoire, mais ce qui d’elles est condamné à s’effacer. Dans Zagreb, répétition, on donne à voir un film et des mains qui dans le doute tentent de classer les images photographiques selon l’ordre du film qui a été vu. Il s’agit de l’écart entre ce qu’on a vu et ce qu’on a mis de notre mémoire à l’épreuve d’une autre mémoire, celle du film lui-même comme dans À une passante, comme dans The Study. Qu’importe en définitive que ces films reposent a priori sur des dispositifs scientifiques de mémoire car Fabrice Lauterjung ne fait jamais que les repousser vers l’intérieur, ne façonnant pas une expérience objective mais le temps de la complication subjective. C’est la possibilité de voir que le monde ne se joue jamais à l’extérieur de l’inscription qu’on en donne et des images qui passent, défilent, dérivent.
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Mais ce même film doit être revu pour en dégager moins des débuts et des fins que les temps de la mémoire. Dans la séquence finale de Au fil de l’oubli, un long travelling au fil de l’eau rappelle le premier travelling de l’histoire du cinéma, bien qu’il ne se passe pas à Venise, avec l’opérateur des frères Lumière sur une gondole, mais sur un bateau dont on entend le moteur et les cliquetis contre la coque. La caméra filme un mur, le mur d’une digue de béton sans savoir ce qu’il cache. On sait qu’une ligne est trace et se trace, mais on oublie souvent qu’elle retient. Que retient-elle ici ? Ce long travelling est mon seul souvenir : la durée, les sons ont tout effacé sauf une carte, celle de la construction d’un port au tout début du film. Ce mur retient mon souvenir, mélange les temps, pour dire qu’une image peut effacer les enchaînements auxquels elle m’a conduit et me mettre nez à nez avec ma propre capacité à recouvrir et choisir de voir ceci plutôt que cela. Choisir de m’inventer un film qui ferait tout disparaître, qui m’a tenu jusqu’à la stupéfaction d’un j’ai oublié.
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Dans Istanbul, le 15 novembre 2003, il y a une triple ligne d’écriture qui raconte le temps de l’inscription, du témoin de l’inscription et de l’image. Et il y a le défilé d’images enchaînées qui ne montrent pas ce qui se raconte. Il faut le lire ce film, et il faut ensuite le voir, et il faut enfin le lire et le voir pour reconnaître sa fiction, celle du film qu’on ne verra pas. Le film qui empêche de voir Istanbul. Les mots d’un homme, un turc, s’écrivent à propos d’un film sur la ville, « le vrai Istanbul », qui a été perdu avant même d’avoir été développé. Dans l’absolue banalité des images de la ville, posséder le vrai n’est possible « que par la parole ». Et puis il y a les mots du narrateur qui mettent à distance par le jeu de la mise en abîme des guillemets et la troublante manifestation du « je ». Le narrateur montre en faisant lire tout en aiguisant l’image d’un son de défilement de super-8 qui sonne avec un bruit de machine à écrire. Tracer des lignes, changer de plans, traverser la ville, s’arrêter à ses signes, à ses hommes. Et puis cette phrase : « Parfois j’arrêtais la caméra pour regarder vivre la ville 2. » C’est l’oiseau qui vole au-dessus des mots comme la caméra voltige, dans l’impossibilité d’un point fixe. Dans ma mémoire cet oiseau est l’envol d’un visage et me rappelle La jetée de Chris Marker, évocation de l’histoire du cinéma énigmatique du vol à la Muybridge, de la menace à la Hitchcock, de l’amoureux à la Marker. Voici une mémoire marquée par l’histoire du cinéma jusqu’à la violence de la discrépance 3 du lettriste Isidore Isou et de la voix absente de Duras. Comment les images marquent-elles l’histoire et s’en délient pour faire le récit de toute fiction ?
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Mémoire de La Jetée encore avec Avant que ne se fixe où la poésie des images se révèle davantage à travers les mots du livre d’Éric Suchère, Fixe, désole en hiver. Une silhouette de femme installée dans le contre-jour ne se retournera pas. « Instable, l’image s’établit 4… » quelque chose d’une chevelure, d’une bordure, d’un reflux, derrière une fenêtre de train défile le paysage instable : verticalité du mouvement naturel,
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horizontalisation du défilement mécanisé ; aérien et terrien, solitaire au déclin d’un corps imaginé mais non retrouvé. Les intensités du sentiment de phrases brisées en images répétées et syncopées pour une histoire dont la mémoire a été effacée et qui, contrairement à La jetée, ne retrouvera pas l’aimée mais la sait perdue autant qu’en vie, toujours de dos, ne regardant jamais le seul regard qui la cherche.
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Tous ces détails aussi poétiques que techniques montrent dans ce même film la force du forage des images par les mots et la saillie des mots sur les images. Dans un espace ténu Fabrice Lauterjung expose une formule déjà historique, « explosante fixe », la rendant mobile sans lui donner l’excès du spectacle. Un mot pourrait résumer ce même film, élégie, qui signifie « chant du deuil », et qui pourrait dire aussi, en lointain écho à la huitième Élégie de Rilke, libre de l’effacement. Et c’est en de nombreux lieux que la mémoire appelle mais qui jamais ne s’éveille tout à fait. Les noms de villes sont au croisement du temps et du lieu et se retrouvent dans les titres sans être des figures : Istanbul ressemble à Berlin, Zagreb à Paris. Mais ces villes aussi ont une destinée : traversée pour Berlin, le 15 novembre 2003 pour Istanbul, 02/03 pour Paris, répétition pour Zagreb. Cette destinée est celle d’une image première, d’une expérience de l’espace, de la pellicule super-8 toujours impression de lumière et dont la qualité est par nécessité indéfinie comme la mémoire. Il faut alors les mots pour que vienne toujours le dialogue. Berlin : traversée raconte un vis-à-vis entre l’est et l’ouest, des gestes s’imposent quand la voix trop lointaine ne peut se faire entendre. Alors un langage de gestes s’installe, montre ce qui est caché. Mais vient insidieusement le temps où les gestes ne suffisent plus, effacent le rapprochement : ces statues que l’on voit se dresser, immobiles, surimprimées de mots, Berlin, ou Césarée, la ville résonne dans ces gestes qui inscrivent dans notre mémoire son essence première et peutêtre définitive : l’incommunicable
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Fabrice Lauterjung : g. Zagreb, répétition, 2007 ; h. Avant que ne se fixe, 2007.
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1. Marguerite Duras, Césarée, film de 1979 et texte publié au Mercure de France, Paris, 1979. 2. Extraite du film Istanbul, le 15 novembre 2003. 3. Usage séparé de la bande-son et de la bande-image qui permet de faire de la bande-son un objet littéraire, poétique et oratoire. 4. Extrait du film Avant que ne se fixe, d’après le livre d’Éric Suchère, Fixe, désole en hiver, Les petits matins, Paris, 2005.
un essai de françois aubart
« Je me suis beaucoup intéressé aux notions de paternité (auteurship) liées à des formes qui ne sont généralement pas pensées comme ayant des auteurs… qui sont pratiquement invisibles. Je les trouve très intéressantes à explorer. Par exemple, je me suis intéressé à la paternité dans le pan and scan 1. » C’est en ces termes, dans un entretien portant sur son intérêt pour la culture de masse et la possibilité d’y déceler une forme d’expression singulière, que Mike Kelley manifeste l’attention qu’il porte à une des techniques qui permet de transférer un film, réalisé au format de type cinémascope, vers une télévision qui ne peut pas recevoir ce format horizontal. La technique la plus respectueuse de l’œuvre cinématographique, qui est aussi celle que nous avons la plus subie en France, est appelée letterbox. Elle consiste à faire apparaître le film entre deux bandes horizontales, conservant ainsi presque intégralement le format original du film. Son inconvénient est de redoubler le défaut principal de la télévision vis-à-vis du cinéma, celui de proposer une image plus petite. La technique du pan and scan, beaucoup plus exploitée aux États-Unis, consiste non pas à transférer un format cinéma vers celui d’une télévision mais à adapter le film aux dimensions du petit écran. Et pour insérer un format rectangulaire dans une télévision presque carrée le procédé est simple : il faut en rogner environ un tiers. Seulement le recadrage du pan and scan est dynamique, c’est-à-dire que l’on ne se contente pas de capturer la partie centrale du film mais que des mouvements latéraux peuvent être effectués dans l’image originale. Clarifions la situation. Prenons la scène d’un film. La caméra est fixe. Un personnage traverse le champ, il entre dans le cadre à gauche et en sort à droite. Pour le suivre intégralement dans une image retaillée pour la télévision, il faut soit
Considérations sur les techniques permettant la réincar nation des — fantômes de Douglas Crimp
montrer un paysage vide en début et en fin de séquence, soit balayer l’image originale de gauche à droite et donc créer un mouvement de caméra là où il n’y en avait pas. Sans même pénétrer sur ce terrain de transformation extrême, un simple dialogue entre deux personnages situés chacun à une extrémité de l’image au cinéma se transforme à la télévision en un dialogue où l’un des interlocuteurs est hors-champ. On imagine donc assez bien comment les possibilités de composition dont se sont délectés les réalisateurs au fur et à mesure que leurs outils leur permettaient de composer des plans toujours plus larges se voient dénaturées par le pan and scan. Ainsi, ce que Mike Kelley qualifie d’« invisibilité culturelle » relève d’opérations qui interviennent directement sur une œuvre, en modifient la forme et la réception, sans avoir été choisies et paramétrées par leurs auteurs 2. Il s’agit d’une forme de transcription qui, tout en étant indispensable à sa diffusion, ne relève pas de l’expression de l’œuvre originale.
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Dans son étude sur les moyens de communication en tant que moyens de production, Raymond Williams discerne trois types d’outils 3. Les moyens amplificateurs ont vocation à diffuser une source, comme le font un mégaphone ou une télévision lorsqu’elle retransmet une émission en direct. Les moyens de stockage enregistrent l’image ou le son, voire les deux, comme le font une peinture ou une bande magnétique. Enfin, les moyens de substitution permettent de s’exprimer par une transposition du langage en signes, c’est le cas de l’écriture. Williams, observant les évolutions technologiques, constate que les moyens amplificateurs et de stockage sont devenus de plus en plus accessibles au public. Mais il constate également que les moyens de substitution ne connaissent pas cette démocratisation, car ils requièrent, plus que des compétences techniques, une éducation, celle de la lecture. Mais, en deuxième analyse, Williams admet que tous les moyens technologiques, malgré l’apparente transparence de leur mise en œuvre, requièrent une forme de substitution dans ce qu’ils
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relèvent toujours de l’édition d’un matériau brut. En effet, des actions de sélection, de cadrage et de montage sont toujours nécessaires quel que soit le moyen de communication utilisé, « ainsi, ce qui est vu possède bien les attributs d’une forme élémentaire, mais correspond surtout à ce qu’on a choisi de montrer 4. » L’auteur en appelle ainsi à une démystification des modalités d’énonciation qu’impose tout moyen de transmission. Des modalités qui en apparence ne s’élaborent que sur des prérogatives techniques mais qui s’avèrent signifiantes. Or, si ces opérations techniques ne constituent pas la sève de l’œuvre, elles ne sont pas pour autant complètement laissées entre les mains des techniciens qui en ont la charge. En effet, même s’il ne le fait pas lui-même, un réalisateur peut porter son attention sur la façon dont le montage de son film est réalisé, un musicien peut à loisir s’intéresser au mixage de son album et l’on n’imagine mal un artiste laissant ses assistants réaliser ses œuvres comme bon leur semble. Toutes ces opérations, qui apparaissent indispensables quel que soit le moyen de communication, constituent une part d’écriture. Mais, bien que techniquement réalisée par une tierce personne, l’auteur reste, ou au moins peut rester, maître de son application. Or, le pan and scan ne relève pas de ces opérations. Il intervient après l’exécution de toutes les opérations de réalisation, il intervient en tant qu’outil de transfert permettant la migration d’un média vers un autre. Les effets de relecture qu’il produit sont la conséquence d’une nécessité technique indispensable à la diffusion de l’œuvre, mais à sa diffusion par un moyen de communication pour lequel elle n’avait pas été conçue. La signification d’une œuvre, ou la possibilité d’y accéder, apparaît ainsi dépendante des canaux de diffusion qu’elle a dû parcourir pour nous arriver. On rejoint ici ce qu’avait soulevé Stuart Hall à propos de la façon dont un élément peut être différemment entendu selon le protocole dans lequel il est intégré. Il en déduit que la signification ne dépend pas de ce que
sont les choses mais de comment elles sont formulées. Citant Louis Althusser, Hall affirme que « puisque la signification est une pratique, et que la pratique est définie comme “ tout processus de transformation d’une matière première donnée déterminée, en un produit déterminé, transformation effectuée par un travail humain déterminé, utilisant des moyens (de production) déterminés ”, il s’ensuit que la signification implique une forme déterminée de travail 5. » Si les termes utilisés à dessein par Hall apparaissent comme purement techniques, on doit garder à l’esprit qu’ils évoquent pour lui une modalité de construction idéologique. Cependant, ils révèlent à quel point ce qui se présente comme pur effet de transmission, détermine dans les faits une signification. La médiation apparaît ainsi comme une interprétation. On peut ainsi avancer que toute reproduction ne copie pas un élément à l’identique mais le reformule parce qu’elle lui impose de s’adapter aux réglages techniques qui la caractérisent.
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L’un des projets de l’artiste Michael S. Riedel est de reproduire des événements. Avec Dennis Loesch, ils ont ouvert un lieu, situé au 16 de la Oskar-von-Miller Strasse à Francfort, qui hébergea entre 2000 et 2004 des copies de films, de concerts et d’expositions ponctuant la vie culturelle de cette ville. On a ainsi pu y voir, entre autres, des reproductions identiques et simultanées aux expositions de Simon Starling, Rikrit Tiravanija ou Jason Rhoades présentées à Portikus, important lieu d’exposition de Francfort. Dans un texte sur ce travail, Daniel Birnbaum exprime l’idée selon laquelle Riedel a « transformé [le 16 de la Oskar-von-Miller Strasse] en une gigantesque photocopieuse 6. » Selon lui la posture de Riedel ne peut être réduite à celle des artistes appropriationnistes des années 1980, car il prend en compte et imite la dissémination de l’information à l’œuvre dans la culture de masse.
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1. John C. Welchman, « Qualities, Being Hidden : John C. Welchman Interviews Mike Kelley About Interviewing », in : John C. Welchman (ed.) Mike Kelley : Interviews, Conversations, and ChitChat (1986-2004), Zurich : JRP/ Ringier, Dijon : Les presses du réel, 2005, p.33, ma traduction. 2. Ibid., p.35, ma traduction. 3. Raymond Willians, « Les moyens de communication sont des moyens de production », in : Culture & Matérialisme, Paris, Les prairies ordinaires, 2009, p.225-246. 4. Ibid. p.243. 5. Stuart Hall, « La redécouverte de l’ “ idéologie ” : retour du refoulé dans les media studies », in : Identités et cultures. Politiques des cultural studies, Paris, Éditions Amsterdam, 2008, p.155. 6. Daniel Birnbaum, « Michael S. Riedel », in : ArtForum, octobre 2005. Disponible sur : http ://findarticles.com/p/ articles/mi_m0268/is_2_44/ ai_n16752852. (dernière consultation : 15/01/2010), ma traduction.
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un essai de françois aubart
7. Benjamin Thorel, « À la lisière des choses. Clément Rodzielski : images, panneaux et miroirs », in : May, nº1, juin 2009, p.104. 8. Tim Griffin, « The personal Effects of Seth Price », in : ArtForum, été 2009, p.284-293. 9. Ibid. p.292. Ma traduction. 10. Douglas Crimp, « L’activité photographique du post-moderne », in : L’époque, la mode, la morale, la passion : aspects de l’art d’aujourd’hui, 1977-1987, Paris : Musée national d’art moderne, Centre Georges Pompidou, 1987, p.601-604. 11. Ibid. p.602. 12. Ibid. p.603.
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On retrouve cette attention aux conséquences du déplacement, et précisément aux effets du photocopieur, dans la pratique de Clément Rodzielski, qui s’attache souvent à révéler les modalités et les circonstances d’apparition des images. Ses réalisations ont été décrites en ces termes par Benjamin Thorel : « Composés par accumulations, juxtapositions et ruptures, [s]es collages et découpages attestent de la matière et du poids des images ; à rebours de toute appropriation, l’accent est mis sur l’importance des usages et des mésusages des images davantage que sur leur valeur d’icônes 7. » On trouve une réflexion similaire dans la lecture que fait Tim Griffin du travail de Seth Price 8. Étudiant les effets digitaux qui parsèment le travail de l’artiste, Griffin rappelle que la compression que l’on applique à une image numérique pour en réduire le poids et en assurer une diffusion plus large et plus rapide, consiste à en soustraire de l’information, même si ces changements ne sont pas visibles à l’œil nu. Selon lui, cette prise en compte de la compression constitue « un point crucial de différentiation entre la pratique de Price et celle des artistes de l’appropriation qui le précédèrent, car la sienne est un modèle plus algorithmique : alors que ces derniers soulignent la création de signification en déconstruisant l’image dans un contexte spécifique (démêlant le sens implicite, ou intégré, d’une image), Price observe et imite la façon dont la signification est en même temps perdue et créée lors de n’importe quel changement de contexte 9. » Ces exemples nous montrent que, si un certain nombre d’artistes reviennent aujourd’hui sur les questions qu’enclenche la multiplication permise par la reproduction, ils le font différemment de la génération du début des années 1980, principalement dans leur façon de considérer ce qu’est un original.
a. et f. Seth Price : Redistribution, 2007. b. Michael Riedel / Dennis Loesch : Réinstallation du film argenté de Jim Isermann à Oskar-von-Miller Strasse 16, Francfort, 2000 (in Oskar, Silverbridge, Paris, 2003). c. Jim Isermann à Portikus, Francfort, in Allgemeine Zeitung, le 6 mai 2000. d. Clement Rodzielski : Sans titre (And the same to you), 2009.
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Pour analyser le travail d’artistes apparus au début des années 1980, comme Sherrie Levine, Cindy Sherman ou Troy Brauntuch, par exemple, Douglas Crimp utilise régulièrement la métaphore d’une image devenue fantôme. C’est le cas notamment dans L’activité photographique du post-moderne où, à la suite de Walter Benjamin, il revient sur l’anéantissement de l’aura qu’engendrent les outils de reproduction 10. Il y explique comment « l’opération de vidage, l’épuisement de l’aura, la contestation de la nature unique de l’œuvre d’art » tendent à faire disparaître l’origine de toute représentation sous un amassement exponentiel de copies 11. Les images seraient réduites à une présence fantomatique, « toujours une représentation, toujours-déjà-vue 12 ». Or, à cet évanouissement de l’origine d’une image devenue fantôme, un certain nombre d’artistes tels que Michael S. Riedel, Clément Rodzielski et Seth Price répondent par la multiplication de sa réapparition. Pour eux, chaque passage du faisceau lumineux d’un photocopieur sur un document lui donne une autre existence, incarnée par un autre type d’impression. Chaque agrandissement ou réduction des dimensions ou du poids d’une image numérique en modifie les qualités. En reprenant les termes proposés par Raymond Williams, on constate que chacune de ces opérations produit une nouvelle écriture, que Mike Kelley qualifierait peutêtre d’invisible. Car toute opération de transfert d’un média vers un autre modifie les conditions d’apparition des images et ne produit pas tant une copie qu’un renouvellement, un nouvel original. Délaissant une considération de l’image faisant d’elle une entité au profit d’un intérêt pour les modalités de sa circulation, il semble que ces artistes cherchent moins à en dévoiler la spectralité qu’à invoquer ses réincarnations
e. Seth Price : Affairs, 2009. g. et h. Clement Rodzielski : Sans titre, 2009 ; Sans titre (cheval), 2009. i. Michael Riedel / Dennis Loesch : Installation du papier peint de l’expostion Jim Isermann Oskar-von-Miller Strasse 16 à la Frieze Art Fair, 2004.
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Pour Seth Price : courtesy galerie Isabella Bortolozzi, Berlin. © Nick Ash. Pour Clement Rodzielski : courtesy de l’artiste et galerie Carlos Cardenas, Paris. Pour Michael Riedel et Dennis Loesch : courtesy des artistes.
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en écho : the morning after the big fire + prems par lélia martin-lirot
Dans un extrait du recueil Histoire universelle de l’infamie, Borges imagine un empire dont les cartographes ont dessiné une réplique à l’échelle 1:1, si fidèle qu’elle se superpose au territoire documenté. Cette nouvelle questionne les processus de représentation et le devenir des objets qu’ils produisent. Des sujets que l’on peut retrouver dans les dernières expositions de La BF15 et de la Villa du Parc.
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À La BF15, l’installation Prems de Claire Healy et Sean Cordeiro trouve son origine dans un fait géopolitique incongru. En 2006, un territoire chinois a été révélé par les images satellites de Google Earth. Il s’agirait d’une reproduction à l’échelle 1:500 des reliefs d’Aksai Chin, vaste région stratégique traversée par une route qui rejoint le Tibet. Aksai Chin est également frontalière du Pakistan et de l’Inde et l’un des territoires du Cachemire, zone sensible pour les trois puissances nucléaires. Il est donc probable que cette singulière réplique ait été réalisée à des fins militaires. À leur tour, Healy et Cordeiro construisent une copie réduite et transportable de la maquette, à partir de briques de Lego. Plus précisément, ils en reproduisent l’image, unique référent existant. Ils soulignent l’inversion hiérarchique qui s’opère entre le réel et sa représentation en adjoignant des tableaux en liège, constellés de punaises de couleurs formant l’image d’un satellite et d’une explosion nucléaire. À travers des genres classiques – la sculpture, le tableau, le paysage –, ils figurent les produits des conquêtes spatiales, médiatiques et militaires. L’utilisation d’objets de consommation est également signifiante. Si le Lego évoque le souvenir de jeux d’enfants, il représente aussi un produit industriel type, conçu pour offrir un maximum de possibilités d’utilisation avec une forme
Sculptures objectivées
— Sara Barker, Michael Samuels : The morning after the big fire ; Kerim Seiler : Pneuma, Somnambul, Villa du Parc, Centre d’art contemporain d’Annemasse, du 18 décembre au 27 février 2010. Claire Healy & Sean Cordeiro : Prems, La BF15, Lyon, du 20 novembre au 30 janvier 2010.
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générique reproductible en masse. Les briques de Lego sont diffusées dans le monde entier, au point d’avoir déjà été qualifiées de « nouveau langage universel ». Dans d’autres œuvres, Healy et Cordeiro semblent procéder à une étude formelle de l’habitat en décomposant, stratifiant, classifiant ou accumulant ses contenants et contenus. Les objets qui s’y trouvent renvoient autant aux stratégies économiques dont ils sont les vecteurs qu’aux usages intimes de leurs propriétaires.
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À la Villa du Parc, l’exposition The morning after the big fire réunit Sara Barker et Michael Samuels, alors qu’une installation de Kerim Seiler s’accroche à la façade. Comme Healy et Cordeiro, ces trois artistes développent un travail sculptural à travers une variété de médias. On retrouve notamment l’utilisation d’objets quotidiens ou de matériaux pauvres issus du monde urbain. Samuels compose des ensembles hétéroclites à partir de mobilier en formica des années 19501960, période marquant l’essor de la société de consommation. Tiroirs, pieds, étagères, et autres fragments de meubles colorés, sont assemblés dans des bas-reliefs ou des sculptures totémiques à l’équilibre précaire, qui font écho à l’histoire de l’art, du constructivisme au pop art, en passant par le dadaïsme. Si Samuels, Healy et Cordeiro se servent d’objets « ready-made », leurs œuvres portent pourtant les traces du travail manuel. Samuels met en scène le bricolage en multipliant les serre-joints apparents, et les pièces d’Healy et Cordeiro suggèrent des heures de manipulations. Qu’elles soient minutieuses ou physiques, leurs actions dissocient les objets de leur fonctionnalité, isolent les qualités plastiques et formelles et révèlent « l’épaisseur d’humanité » définie par Lévi-Strauss. Avec des conglomérats de carton, aluminium, colle et peinture, Sara Barker élève de frêles sculptures, squelettes d’architectures dessinées dans le vide. Kerim Seiler crée des assemblages monumentaux qui parasitent les bâtiments d’accueil autant qu’ils les révèlent. Deux démarches symétriques, l’une renvoyant à l’espace privé où
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le corps éprouve ses limites intimes. L’autre positionnant l’œuvre comme corps étranger qui contamine et éclaire l’espace urbain. Parmi les points communs de ces différentes œuvres, on peut remarquer le statut transitoire qu’elles entretiennent vis-à-vis du lieu d’exposition. La maquette d’Healy et Cordeiro est déplaçable, les cartons servant à la fois de socles et d’outils de transport. Le virus de Seiler pompe l’énergie du bâtiment avant de migrer vers une autre architecture. Les sculptures de Barker semblent sur le point de s’écrouler et de retourner au domaine immatériel dont elles sont issues. Et les ensembles de Samuels sont auto-éclairés et composés d’éléments de décoration adaptables à tout intérieur. Pour ces artistes, la tendance ne serait donc plus à la contextualisation de l’œuvre dans son lieu d’exposition, mais plutôt au renvoi vers d’autres territoires, vécus ou fantasmés, de l’habitat privé à l’environnement urbain, en passant par la littérature ou l’espace médiatique
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La BF15, Lyon Claire Healy & Sean Cordeiro : a. Huan Yang Tan 38° 15' 52.56" N 105° 57' 00.90" E (détail), 2009 ; b. Drawing board 2, 2009. © Claire Healy & Sean Cordeiro.
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Villa du Parc, Annemasse c. Kerim Seiler : Pneuma, Somnambul, 2009. d. Michael Samuels : Plume, 2009. e. Sara Barker : Window Writing, 2009. © Villa du Parc.
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à propos des écoles d’art par florence meyssonnier
Faire école
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Le processus initié à Bologne en 1999, a jeté les bases d’un vaste chantier d’harmonisation euro péenne qui aspire à instaurer un espace commun de l’enseignement supérieur. Depuis 2000, les pays concernés se sont ainsi engagés, sous l’évaluation d’agences, dans des réformes institutionnelles de leurs écoles d’art dont le projet est désormais tenu de répondre à un impératif d’adossement à la recherche. En France, sous l’expertise de l’AERES 1, les écoles supérieures des beaux-arts doivent, d’ici la fin de l’année 2010, soumettre un projet garantissant différentes conditions pour voir leurs formations acquérir un grade européen. À leur nécessaire autonomie juridique (en EPCC 2), s’ajoute une obligation de taille critique d’au moins 250 étudiants (encourageant un regroupement de certaines écoles) et la définition de leurs modalités de rattachement à la recherche. C’est notamment ce dernier point qui cristallise les grands débats en France, comme dans quelques pays voisins. Car si cette volonté d’harmonisation, tend à permettre aux enseignants et étudiants une meilleure mobilité dans la reconnaissance de leurs qualifications, les obligations institutionnelles, elles, n’ont pas fait l’unanimité. Par le principe même d’évaluation, elles supposent davantage ce glissement redouté, du champ de l’éducation supérieure vers une logique concurrentielle de marché. Et dans un contexte économiquement fragile, ces écoles qui se sont développées sur les territoires comme des pôles de la vie artistique, ne souhaitent pas que les conséquences économiques de la réforme soient sous-évaluées. Certaines craignent d’être mises en péril, au profit d’établissements multi-sites qui demanderont inévitablement une logistique importante. Mais au-delà de la question du maintien ou non des écoles, c’est la remise en question des fondements mêmes de la pédagogie de l’enseignement de l’art,
tels qu’elles les revendiquent, qui déclenche des controverses au sein des professionnels, largement exprimées depuis la publication du rapport de l’AERES 3. Les indications émanant de cette « évaluation prescriptive portant sur la possibilité d’attribution du grade de Master aux titulaires de DNSEP 4 par les écoles d’art » (réalisée à la suite de la visite de sept établissements), appliquent pour nombres de directeurs et enseignants, une schématisation universitaire réductrice et inadéquate à l’enseignement artistique. Préconisant notamment une séparation des domaines, le cloisonnage de la théorie et de la pratique, ainsi que l’évolution du cursus par palier, ces mesures dirigeraient plus globalement l’enseignement artistique vers un devenir recherche au sens universitaire du terme, c’est-à-dire en laboratoire, renforcé par la réalisation d’un mémoire de fin d’études et une augmentation du nombre d’enseignantsdocteurs dans les écoles. Cette évolution vers la position de chercheur n’en est cependant pas foncièrement une, si l’on considère que les artistes-enseignants, comme les étudiants poursuivent déjà une recherche, les situant tout autant dans un développement personnel que dans l’histoire. Aux problèmes d’ordre économique et social, dus aux différences statutaires entre professeurs des écoles d’art et enseignants-chercheurs des universités, se superpose ainsi une discordance conceptuelle, qui place la prescription du modèle universitaire à contre-courant d’un principe pédagogique fondamental défendu par ces institutions. L’un consisterait en l’acquisition de connaissances autour d’un objet, alors que le second favoriserait un apprentissage permettant l’auto-création du sujet (ou de l’auteur) dans « la construction d’un projet artistique personnel et individué », précise Tristan Trémeau, « lequel suppose la singularité poétique (au sens originel de production à la forme) de la langue déployée et de l’œuvre produite 5. »
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L’enseignement supérieur artistique français est ainsi entré dans un processus historique, travaillé par cette divergence entre les procédures de validation qui opèrent dans l’enseignement supérieur et celles qui sont à l’œuvre dans le champ de l’art.
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Si l’enjeu est désormais de construire une politique nationale de l’enseignement supérieur artistique dans un contexte européen, c’est localement que se trouvent les fondations de l’édifice, car le sort des écoles se décide au niveau des collectivités, et au regard du projet de chaque établissement. Dans l’impératif du délai, tous ont donc entamé ce travail de refonte. Mais les disparités conjoncturelles, tout comme celles des modalités de concertation, ne placent pas toutes les régions au même stade d’avancement. Dans celles où se côtoient plusieurs établissements (comme les régions Provence-Alpes-Côte d’Azur, Nord-Pas-deCalais, Aquitaine, Bretagne ou Languedoc-Roussillon), les débats liés aux enjeux de la réforme se sont évidemment faits plus présents, resserrant les liens tissés historiquement entre des écoles. Mais parmi les réseaux qui structurent désormais ces associations dans quelques régions, certains traduisent une anticipation délibérée des écoles sur leur devenir. C’est en particulier le cas des écoles d’art en Rhône-Alpes, dont les directeurs, déjà habitués à coopérer, ont constitué dès 1990 une association, l’ADERA 6, assortie d’une convention fondatrice signée entre son président et les maires des cinq villes concernées (Annecy, Grenoble, Lyon, Saint-Étienne, Valence), favorisant les circulations tout comme les partenariats entre établissements. Grâce aux grands dispositifs d’aménagement du territoire (tels que le Contrat de plan État-Région devenu Contrat de projet, et le Réseau des villes), les manifestations communes et les réflexions sur la pédagogie se sont largement développées, avec un engagement conjoint de l’État et de la Région.
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Depuis près de 20 ans, avec la permanence d’acteurs qui font figures de rouages, « la région Rhône-Alpes bénéficie d’un contexte favorable dans les domaines éducatifs et artistiques », confirme Emmanuel Tibloux (directeur de l’École supérieure d’art et design de Saint-Étienne et président de l’ANDÉA 7 ), « et les moyens ont été jusqu’à présent mis en œuvre dans une concertation choisie entre ces champs et le politique. » Dans ce cadre, l’ADERA, financée aujourd’hui essentiellement par la Région, est devenue une interface rendant visible une politique pédagogique inter-écoles d’envergure internationale, favorisant l’insertion professionnelle de leurs ex-étudiants par la mise en œuvre d’éditions, d’expositions, d’aide à la production, de programmes de mobilité et de résidences. Mais elle constitue également un outil privilégié à travers lequel les écoles et leurs partenaires publics semblent aujourd’hui trouver un atout. En témoigne la restitution en octobre 2009, aux représentants des villes concernées, de la Région et de la DRAC 8 Rhône-Alpes, d’une étude commandée à l’ADERA par la Région, en collaboration avec les collectivités locales. Elle dresse un panorama des cinq écoles et retranscrit des perspectives d’évolution qu’elles ont collectivement envisagées. Sont préconisées notamment la création de quatre EPCC, répartis sur cinq sites (Saint-Étienne, Lyon, Annecy et le regroupement Valence-Grenoble) ainsi que la
1. Agence d’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur. 2. Devenu en France le cadre juridique préconisé pour assurer les partenariats entre l’État et les collectivités territoriales. 3. Le blog de la CNEEA (Coordination nationale des enseignants des écoles d’art) en donne un aperçu : http://blog.cneea.fr. 4. Diplôme national supérieur d’arts plastiques. 5. Tristan Trémeau, « Les écoles supérieures d’art en recherche d’identité », L’art même, nº45, 2009, p.5. 6. Association des écoles supérieures d’art en Rhône-Alpes. 7. Association nationale des directeurs d’écoles d’art. 8. La direction régionale des Affaires culturelles est le service déconcentré du ministère de la Culture et de la Communication en région.
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Les écoles d’art de l’Adera : a. Lyon ; b. Annecy ; c. Grenoble ; d. Saint-Étienne ; e. Valence
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à propos des écoles d’art par florence meyssonnier
mutualisation de certaines missions. Cette posture de concertation, n’épargne cependant pas les écoles d’art rhonalpines de relations concurrentielles, mais elle permet de les équilibrer. Déterminées chacune à défendre leur projet à une échelle désormais européenne, ces écoles négocient au local le partage de certains domaines, comme par exemple le graphisme, dans une « concurrence assumée » précise Yves Robert (directeur de l’École nationale des beaux-arts de Lyon). Jacques Norigeon (directeur de l’École régionale des beaux-arts de Valence) préfère alors parler d’un jeu de « complémentarité relative », qui distingue la singularité des écoles, sans interdire des recoupements propres à la scène artistique contemporaine, et qu’un contexte régional propice permet d’imaginer. Le réseau tel qu’il est pensé ici « additionne les forces des uns et des autres, sans glisser vers un format monopolistique » souligne Stéphane Sauzedde (directeur de l’École d’art de le Communauté de l’agglomération d’Annecy), « il doit rester garant d’une hétérogénéité plus que nécessaire lorsqu’on parle d’art et de culture. » Pour Emmanuel Tibloux, cette vision générale « pondère ainsi une logique gestionnaire et concurrentielle : nous choisissons notamment de conserver la section art dans les cinq écoles, considérant ce champ comme socle commun aux autres. Nous envisageons également la mise en place d’une plate-forme commune de recherche, que nous avons chacun déjà
amorcée de différentes manières (par divers programmes, post-diplômes, publications…), et d’un observatoire de la vie étudiante et de l’insertion professionnelle. » On ne peut ignorer que, d’une manière générale, cette absorption dans un territoire commun de l’enseignement ne sera pas sans effets sur le maintien de certains établissements, les choix pédagogiques ou encore une accessibilité égalitaire. Certaines écoles entretiennent pourtant la stratégie de coopération localisée, comme force critique dans un processus global de subordination. Cette réflexion sur l’enseignement artistique concerne à l’heure actuelle tous les domaines, et permet aussi de penser qu’en élargissant cette dynamique de concertation à l’interdisciplinarité, les écoles inventeront leur propre forme de laboratoire
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Pierre Joseph : f et g. Si j’ai le temps, 1998 ; h. Le Monde m’intéresse (C.V.), 1998. Courtesy Air de Paris, Paris, © Marc Domage pour c.
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damiÁn navarro et klat à genève par julien fronsacq
Damián Navarro vs. Klat : l’Escalade — Quelle merveilleuse occasion que celle de L’Escalade (12 décembre 2009) – anniversaire de la victoire du peuple genevois sur les mercenaires du duc de Savoie, allié de l’Espagne en pleine guerre des Religions – pour se rendre à Genève et découvrir la nouvelle exposition de Damián Navarro, Armatostes (« monuments » en espagnol) à la galerie Evergreene, conjointement à Cookie à Hard Hat. Lors de ses premières expositions (Atelier 304 et Forde, 2006 ; Fondation Salo mon, 2008) Damián Navarro présentait à touche-touche d’importantes séries de dessins géométriques en une palette chromatique réduite. La forme, sublime par sa simplicité (triangle, cercle), s’abîmait sous le regard du spectateur qui, en quête de familiarité, pensait déceler ici un motif héraldique (Burundi, Canton de Vaud) ou là une forme empruntée à l’histoire de l’abstraction (Palermo, Parrino). Damián Navarro développait alors un projet intriguant et pervers aux intentions bien ambigües. L’exploration de la mémoire personnelle flirtait avec celle
des limites de la création graphique au seuil de l’archétype et de l’hypertextuel. Avec Armatostes, le récit de l’inventaire cède la place à celui de l’apparition du motif : cadres faux marbre, dessin mural couvrant en chevrons et dominoterie. À l’instar de ces motifs décoratifs à la charge projective forte, il y est question du statut de l’abstraction. Offrant l’expérience du cadre, de l’encadrement, de l’environnement, du hasard, Damián Navarro met en scène une abstraction qui semble procéder de l’anecdotique et du mineur. Le communiqué du Centre d’art contemporain présentait l’exposition des Klat à la lumière de la critique institutionnelle. Ce groupe est né en 1997 avec 1440’, autrement dit 24 h de la vie collective de jeunes de 20 ans campant de manière sauvage dans un terrain vague clôturé. Donnée à voir du haut des fenêtres de l’espace d’art Forde, la situation se présentait comme une performance. Cette représentation d’une situation pourtant banale mais mise à distance constituait ainsi une efficace critique des productions médiatiques qui, avec la téléréalité et autre sitcom, spectacularisaient la vie quotidienne d’une génération désaisie de sa culture devenue marchandise. Leur exposition au Centre d’art, irréductible et hallucinée comme l’annonce son titre Tennessee
wiggler the big fat worm aka le lombric cosmique, présente un lombric géant traversant les espaces d’exposition. Successivement, un anus lâchant des excréments bovins, une fontaine à pisse, puis un nœud perforé d’odeurs nauséeuses, avant un inattendu four à pizzas volantes. En mutation permanente, comme autant de scènes de production et de dépense festive ou abjecte, comme autant d’archétypes vernaculaires et de stéréotypes de la contre-culture, cette œuvre, à la manière d’un film de série Z, une construction monstrueuse de notions qui demeuraient jusque-là désespérément distinctes. Ces deux expositions fort différentes ont une origine en partie commune : une histoire locale affranchie des polarités habituelles. À l’aube des années 1980, la peinture abstraite parmi d’autres genres a été pour cette scène un espace privilégié parce que paradoxal. Instaurant une équivalence productive des vocabulaires historiques et contemporains, des formes anonymes et référencées, la peinture abstraite a amorcé singulièrement le projet de la critique institutionnelle : « performer » sa propre identité au sein d’un système historicisé et hiérarchisé en éprouvant la construction de celui-ci. Damián Navarro et Klat semblent bien les enfants de cette étonnante conjonction de projets historiques
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a. Klat, Tennessee Wiggler the Big Fat Worm aka le lombric cosmique, 2009. Courtesy Centre d’art contemporain de Genève. © David Gagnebin-de-Bons. b. Damián Navarro, Sans titre, 2009. Courtesy Evergreene. © Annik Wetter.
Damián Navarro : Arma tostes, Evergreene, Genève, du 14 novembre au 23 décembre 2009. Klat : (*1997), Centre d’art contemporain de Genève, du 27 novembre 2009 au 14 février 2010.
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Émilie parendeau à lyon par fabien pinaroli
Pourvoir des mots — 1. Détails sur www.enba-lyon.fr/ diplomes/diplomes.php ?id= dnsep_art_08#parendeau. 2. Protocoles, activations et archives sont sur www.alouer-project.net.
Émilie Parendeau : À Louer #1, École nationale des beaux-arts de Lyon, du 5 novembre au 5 décembre 2009.
Lors de son diplôme de fin d’études aux beaux-arts, Émilie Parendeau a détourné le rituel habituel. Au cours d’une visite très guidée, elle a présenté au jury cinq œuvres d’artistes fluxus et (post)conceptuels. Celles-ci étaient visibles au passage du groupe mais avaient disparu quand il est revenu sur ses pas 1. Dans la proposition À Louer #1, elle poursuit son investigation autour d’un travail d’interprétation de pièces historiques. Elle réactive huit œuvres conçues initialement sur le mode de la partition et donc inscrites dans le langage. Cherchant à en éprouver les limites, elle questionne l’espace et la liberté donnés aux interprètes par leurs auteurs. Tout est en mouvement dans cette exposition performative. Les pièces sont activées, donc visibles, les unes après les autres au cours des cinq semaines, mais pourtant toutes sont là, sous la forme de textes posés sur huit tables. Chaque œuvre est présentée d’abord par son protocole, elle est ensuite réalisée dans l’espace, pour enfin être à nouveau disponible sur la table sous la forme d’une documentation, d’une archive. Tous les choix concernant ces trois états 2 sont faits par Émilie Parendeau en accord avec
les artistes, mais les enjeux de l’interprétation d’une partition ne s’arrêtent pas là. L’exemple de Fabienne Compet invitée à interpréter la pièce d’Yvonne Rainer est parlant car le jeu des documents permet d’en comprendre certains enjeux. Outre le texte théorique de la chorégraphe qui est la partition initiale, était présentée, écrite par l’interprète, une description des mouvements par le langage. Dans un entretien, elle explique qu’Yvonne Rainer a utilisé un mode de transmission de Trio A par l’image vidéo et la reproduction des mouvements. Étant habilitée à la transmettre, Fabienne Compet s’en est passé mais a produit cette partition qui utilise les mots et donc oblige à une appropriation individuelle des mouvements. Évitant tout systématisme, Émilie Parendeau choisit la forme matérielle qu’elle donne aux œuvres en partant de leur nature ou du contexte de présentation. Lors du vernissage, une explosion de pétards réalise la pièce de Lawrence Weiner. Le texte inscrit sur le carton d’invitation est transformé en œuvre sonore puis en sculpture. La sculpture-texte de Luis Bisbe fait partie des œuvres d’artistes plus jeunes. Elle est transformée en performance : trois jours de montage et un pour le démontage. La pièce Recto du carton d’invitation.
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est totalement visible quelques heures seulement. Même principe dans celles de Tomas Schmit, Joris Lacoste & Jeanne Revel, Ben Kinmont ou Éric Duyckaerts : des glissements légers s’instaurent depuis la partition jusqu’à la trace, pour créer une situation propice à l’expérience de l’œuvre. Car Émile Parendeau se les approprie comme si elle les avait louées – terme dont on note la double signification : faire l’éloge de quelqu’un et bénéficier librement de quelque chose dans un cadre défini. Ce qui lui permet d’en actualiser les enjeux dont certains sont clairement issus des années 1970. Elle semble également avoir loué le Réfectoire tellement elle s’y sent chez elle. En témoigne sa performance continue qui résonne comme en écho avec la pièce de Dora García. Face aux visiteurs curieux, tout est sujet à langage : la conception, les protocoles, la réalisation jusqu’à l’énonciation de ses propres doutes. Par cette archive orale de l’exposition, Émilie Parendeau trouve son propre mode d’énonciation, elle parvient ainsi à échapper au fétichisme de l’objet et à celui de l’événement qui sourd actuellement dans le regain des actes performatifs que nous servent les années 2000
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anthony vérot à fontaine par nicolas garait
Auto portrait — À un arrêt de tram du Magasin-CNAC de Grenoble, l’espace d’art contemporain Vog à Fontaine poursuit depuis son ouverture en 2005 une politique d’expositions monographiques intrigante et variée. L’exposition récemment consacrée à Anthony Vérot fait ainsi la part belle à l’évolution récente du travail de l’artiste : ses portraits semblent désormais tourner quasi exclusivement autour de celles et ceux qui lui sont proches. Pour autant, les images que Vérot « fabrique » et recrée à partir de simples photographies semblent toujours avoir cette distance universelle qui fait avant tout du personnage représenté un modèle générique. Les portraits d’Anthony Vérot le sont au sens classique du terme, ancrés dans leur temps, dans ce qu’ils sont frappés des sceaux du cinéma et de la photographie – on pense à Jean-Olivier Hucleux, l’hyperréalisme en moins et la couleur en plus. À mi-chemin entre la stricte reproduction photographique et l’épure de la mémoire, les œuvres de Vérot tentent de donner à la peinture de nouvelles possibilités de traiter le réel à travers des fonds neutres, des détails hyperréalistes (les reflets travaillés des tubes métalliques
d’une chaise de Marcel Breuer) et le souvenir du modèle. Pas d’anecdote, pas d’intimité : loin d’une peinture bourgeoise, la sévérité des traits et l’absence d’expression des figures humaines, leurs mains nouées, les rides creusées et la précision des traits, l’austérité des fonds et les couleurs sourdes soigneusement choisies par l’artiste concourent à faire de ses portraits des humanités toutes entières. À l’entrée de l’exposition, le diptyque Miroir / Élisabeth (2009) représente l’épouse du peintre : quelques pièces de mobilier, une femme hiératique et, dans le fond du tableau, un miroir perturbateur. Comme souvent chez Vérot, cette double représentation s’accompagne d’un double regard – dans le premier tableau, le modèle détourne légèrement les yeux, tandis que dans le second, le regard est frontal, presque nu. À cet égard, le polyptique Une seconde de cinéma / Nathalie (2005), composé de vingt-quatre portraits à l’huile détaillant un mouvement de visage, synthétise assez bien cette question du regard chez Vérot : peu importe la relation de cette femme à son peintre, peu importe son âge, ce qu’elle fait, ce qu’elle est : ce qui compte, c’est qu’à la fin de la succession ordonnée des tableaux, le regard finisse par se planter dans les yeux du spectateur, donnant irrémédiablement chair à la représentation
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Anthony Vérot : Vog, Fontaine, du 12 novembre au 19 décembre 2009.
Anthony Vérot : a. Miroir / Élisabeth, 2009 ; b. Une seconde de cinéma / Nathalie, 2005.
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poétique du chantier à annecy par pierre tillet
Permis de construire — 1. Citation extraite du livret de l’exposition.
a. Egon Gutmann : Ouvrier au marteau-piqueur en pied, première moitié du XXe siècle. © Musées de la Ville de Strasbourg. b. Wim Delvoye : Bétonneuse, 1991. Coll. Frac Lorraine. © Adagp. c. Pierre Huyghe : Chantier Barbès-Rochechouart, Paris, 1994. Fnac - Cnap, Paris. © Adagp, Cnap, Y. Chenot, Paris. a
Poétique du chantier : exposition collective, Musée-Château d’Annecy, du 27 novembre 2009 au 3 avril 2010.
L’exposition débute par ce genre d’œuvre tellement évidente que personne ne la remarque. Dans la cour du Musée-Château d’Annecy, un Algeco est entouré de grilles métalliques, panneaux de signalisation et matériaux divers. Il est surmonté d’une bâche détaillant un projet baptisé « Unités Mobiles d’Habitation ». En fait, il s’agit d’une installation d’Alain Bublex présentant une fiction de chantier. L’artiste reprend l’idée de la « plug-in city » de Peter Cook, consistant à résoudre les problèmes de surpopulation des villes par l’implantation de passerelles habitables entre des immeubles. Cette proposition ironique annonce la thématique d’un groupshow consacré à la notion de chantier, que les commissaires (Juliette Singer et Jean-Max Colard) envisagent comme « un entre-deux permanent, un lieu indéterminé, ambivalent, partagé entre construction et démolition, fondation et éboulement. Il soutient d’une part l’édification joyeuse et positive des mondes en cours, mais il est aussi ce terrain vague interlope, ce no man’s land déshérent des zones urbaines 1. » À l’intérieur sont rassemblées des œuvres renvoyant à l’idée
d’un monde en perpétuelle transformation. On y trouve une palissade de Raymond Hains couverte d’affiches lacérées, une fragile amorce (ou un reste) de mur de Gyan Panchal, ainsi qu’une bétonnière en bois de Wim Delvoye, ornée de motifs rococo opposés à la nature de l’objet. La projection de Splitting (1974), où Gordon Matta-Clark transforme un pavillon en sculpture en l’ouvrant par le milieu, renvoie à une maquette de construction démolie de Didier Marcel, opposant l’idée de projet (propre à la maquette) à celle de la destruction. Un échafaudage de Jonathan Monk qui ne soutient rien et rappelle les open cubes de Sol LeWitt, voisine avec une peinture de Duncan Willie montrant une pelleteuse en pleine action… L’exposition se poursuit en mêlant œuvres anciennes et contemporaines. L’approche romantique des ruines qui caractérisait la peinture d’Hubert Robert au XVIIIe siècle s’oppose à l’effroi suscité par une photo (mal encadrée) de Ground Zero par Joel Meyerowitz. La représentation de l’ouvrier, sans lequel il ne saurait y avoir de chantier, témoigne d’un certain optimisme, dont font preuve Les Constructeurs à l’aloès (1960) de Fernand Léger c
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ou la statue virile d’un homme maniant le marteau-piqueur, d’Egon Gutmann. Au contraire, Ilya Kabakov dénonce le �stakhanovisme dans une toile où apparaissent des immeubles en construction, sur laquelle sont fixées deux pelles. On retrouve avec bonheur Chantier Barbès-Rochechouart, Paris (1994) de Pierre Huyghe, où des ouvriers s’affairent autour d’une brouette, tandis qu’une affiche les représente dans la même image, mettant en abîme le réel et sa représentation. Enfin, le chantier est abordé sous l’angle du work in progress. Une peinture de la série infinie d’Opalka, évoquant un monochrome blanc, n’a jamais semblé aussi proche d’une toile de Bertrand Lavier citant les vitrines passées au blanc d’Espagne. Mathieu Mercier clôt quasiment le propos avec son mur en plâtre devant lequel s’élève une sorte de tas informe et meringué. Comme un tombeau du minimalisme
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la vie à l’épreuve à villeurbanne par florence Meyssonnier
En chute libre — Le titre-image emprunté à Jimmie Durham, « la vie barrée, en travers », donne à l’exposition proposée par Sandra Catini à L’Institut d’art contemporain, un ton mêlant le désenchantement à un ravissement naïf. Cette rature maladroite permet de bifurquer quelque peu des risques encourus par une ambitieuse thématique, féconde d’innombrables questionnements d’ordre empirique ou métaphysique. Réunissant quatorze artistes, l’exposition choisit d’entrer en matière dans l’acceptation d’une impossible parabole et préfère nous placer dans une immanence tragico-absurde, à laquelle l’impressionnante œuvre de Kris Martin semble donner forme au beau milieu du centre d’art. Une montgolfière renversée et comprimée entre les murs renvoie tous les Icare et autres croyances à l’échec d’une basse condition. Un spectaculaire renversement qui rappelle également la notion d’« ascension barrée » utilisée par Laurent Jenny pour éclairer les écrits d’Henri Michaux, ou l’allégorie de la Chute. Si « la chute de l’homme est notre histoire » écrit Michaux, elle est une ambivalence dans laquelle, l’obstacle de ce qui se dérobe à nous, suscite un désir de renaissance.
Le basculement et l’abandon comme conditions pour venir au monde traversent ainsi la plupart des œuvres présentées. Qu’elles réexplorent les objets et les gestes anodins dans les mises en abîme des belles images de Taroop & Glabel ou dans les dessins à la facture grossière de Jean-Xavier Renaud, les stratégies de réenchantement du monde opèrent dans ce creuset ouvert par la défaillance de tous systèmes d’autorités. Passant par un libre réinvestissement de l’insignifiant comme des mythologies, elles assimilent l’existence à une circulation dans laquelle s’enchevêtrent réel et virtuel. Du récit d’un conteur à d’enfantines illustrations, Noëlle Pujol croise les récits d’une filiation possible entre une mère qui lui est narrée et celle qu’elle s’invente. Au fatalisme de la contingence répond ainsi une nécessité d’autocréation, qui frôle chez certains artistes une sorte de régression narcissique. C’est à travers leurs avatars que les protagonistes des vidéos d’Alain Della Negra & Kaori Kinoshita habitent leur propre existence, à la fois acteurs et spectateurs, résidents d’une a-life portée par les mêmes préoccupations (fondamentalement séparées en trois pôles : Sex, Money et God) que leurs réels homologues. Entre le
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vivant biologique et le « vis ma vie » biographique, l’exposition profile un être-là prenant la forme d’une résidence transitoire et génératrice de topographies complexes, à l’image du dense schéma d’History of the World dans lequel Jeremy Deller relie mouvements musicaux, sociaux et les géographies sans principe d’ordonnancement. Dans des jeux de traduction et d’analogies du mot Fall (à la fois cas et chute en allemand) Peter Sloterdijk développe l’expression de Ludwig Wittgenstein « Die Welt ist alles, was der Fall ist » (le monde est tout ce qui arrive) : « Ce qui est le cas (ou ce qui arrive) est ce mouvement de traversée auquel se soumet, purement et simplement, la vie de l’homme en éveil 1. » Vivre ou se situer au milieu de rien et au centre de tout, dans ses évidences et ses lacunes, l’exposition fait signe de ce qui ne peut être vraiment exposé qu’à travers quelques formes factuelles de cette traversée
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Kris Martin : t.y.f.f.s.h., 2009. Courtesy Galerie Johann König, Berlin et Sies + Höke, Düsseldorf. © Blaise Adilon
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1. Peter Sloterdijk, catalogue Sigmar Polke. Schilderijen, Stedelijk Museum, Amsterdam, 1992.
La vie à l’épreuve : exposition collective, Institut d’art contemporain, Villeurbanne, du 18 décembre 2009 au 14 février 2010.
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supervues 009 à vaison-la-romaine par fabien pinaroli
35 chambres avec vues et quelques scénarios —
Supervues 009 : 35 artistes, 21 galeries et institutions, expositions, performances, projections vidéo pendant trois jours, Hôtel Burrhus, Vaisonla-Romaine, les 11, 12 et 13 décembre 2009.
Le public va et vient dans le dédale de couloirs et d’escaliers, discute avec les artistes dans les chambres qu’ils ont investies, squatte la salle vidéo ou assiste à une performance dans le hall de l’hôtel. Les propriétaires sont collectionneurs, ils ont organisé pendant dix ans un festival cinéma expérimental et sont passionnés de jazz. L’événement privilégie donc l’échange et le mouvement façon jam-session. Le contexte très connoté d’une chambre d’hôtel diffère du cube blanc et les artistes développent en conséquence des stratégies d’accrochage. Ici, trois d’entre elles retiennent l’attention : La chambre du collectionneur, L’artiste absent et La résidence hôtelière. Dans la première on trouve par exemple les chambres de Rémy Jacquier, Hippolyte Hentgen, Paul Raguénès, David Wolle ou Josué Rauscher qui ont accroché de manière très classique des œuvres directement sorties de l’atelier. L’espace invite à la contemplation mais
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à la relation intime aussi, ou encore à la tractation financière. On est au cœur du triangle classique peintre-galeriste-collectionneur et le lit au centre de la composition, tient de l’écran pour les projections mentales flottantes. L’artiste absent : le visiteur se trouve seul plongé dans l’univers fantastique, la mise en scène inquiétante ou l’appartement abandonné de Grégoire Bergeret, Thierry Mouillé ou Jean-Baptiste Ganne. Par cette vacuité, la chambre devient le décor d’une fiction et catalyse l’imagination. Dans un tel cas, l’irruption de l’artiste n’est pas forcément la bienvenue. De leur côté, Catherine Crozat, Lucja Ramotowski-Brunet ou Éric Watier se mettent en situation d’une Résidence hôtelière. Ils tirent parti d’un contexte qui excède souvent la simple chambre d’hôtel. Le mobilier design de l’hôtel Burrhus fait l’objet d’une enquête plastique, Vaison est témoin d’une relation adultère à géométrie variable et nos stéréotypes paysagers sont méthodiquement déconstruits. Pas de mises en scène mais des accrochages simples qui résistent à la tentation d’utiliser de
façon redondante les éléments de la chambre d’hôtel. JeanBaptiste et Laurence Gurly se sont entourés de quatre amis artistes et de 21 structures d’art contemporain publiques et privées pour une programmation en conséquence légèrement hétéroclite. Mais l’intérêt de Supervues réside dans la saveur des mélanges que Jean-Marc Chapoulie a pu incarner au cours de ses performances iconophiles, savantes et déjantées
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a. Lionel Fourneau : Les invités à Supervues 009, 2009. b. Jean-Marc Chapoulie : Tentative de mettre sous hypnose mon ordinateur par l’intermédiaire de sa webcam et Expérience de la catalepsie du coq, 2009. © Denis Rouxel.
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markus müller à lyon par hugo pernet
De la trans parence de l’aggloméré — En entrant dans l’exposition de l’artiste suisse Markus Müller chez Néon, on est d’abord saisi par la présence autoritaire d’une sculpture apparemment faite de bois massif, dont le dessin évoque autant les specific objects des minimalistes que la stylisation architecturale d’une imposante cheminée, ou encore d’un autel religieux. Pourtant, en y regardant de plus près, on s’aperçoit que cette sculpture nous trompe sur sa nature : il s’agit en réalité d’une forme construite en contreplaqué, recouverte d’un effet de « fauxbois » peint à la main, à l’aide d’une brosse et de peinture à l’huile. L’utilisation de cette technique de trompe-l’œil (qui rappelle les guitares cubistes ou les placages employés par Richard Artschwager) permet donc à l’artiste d’éloigner ironiquement son œuvre du poncif de la matérialité pure, ou brute, de la sculpture. Une fois l’illusion dévoilée, il faut faire un pas en arrière pour s’interroger sur la signification de l’apparence « rustique » ainsi obtenue. En architecture, un ouvrage de genre rustique repose sur l’authenticité du matériau ou sur l’imitation de cette authenticité :
autrement dit il peut être fait de pierres brutes ou de pierres taillées à l’imitation de pierres brutes. Et de la même manière, il existerait une forme de « rustique moderniste », incarné par l’aspect moderne ou pseudo-moderne des sculptures de ronds-points ou d’autoroutes, auxquelles l’artiste dit s’intéresser particulièrement. La structure peinte de Markus Müller serait donc à sa façon une image rustique de sculpture minimaliste, feignant de réaliser en tous points le programme canonique de la littéralité ou de la réflexivité. À l’inverse de cette pièce imposante, Right angle est une œuvre qui semble en retrait. Elle associe sur un même plan une peinture atmosphérique et une forme d’équerre réalisée en bois clair, dans une technique proche de la marqueterie, qui vient se loger exactement dans l’angle d’un mur. Là encore un léger effet de trompe-l’œil nous fait imaginer quelques instants un volume posé devant un fond peint. Mais malgré ses deux dimensions, Right angle a tout d’une sculpture qui aurait été contrainte à la planéité. Une planéité étonnamment teintée de romantisme. Cet effet de superposition est également à
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l’œuvre dans la dernière pièce de l’exposition, composée d’un sol en deux parties qui paraît chevaucher architecturalement l’espace de la galerie et sert de socle à une étrange « table de verre » (Glass Table), en réalité constituée d’éléments informels de bois aggloméré assemblés et partiellement peints à la bombe. Mais à défaut de verre, c’est peut-être à une autre transparence que le titre fait référence : celle, par exemple, de la réalisation de l’œuvre, dont les traces ne sont pas cachées, ou celle, plus théorique, des différents « calques » qui composent le monde complexe et chargé d’ambivalences volontairement irrésolues de l’art de Markus Müller
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Markus Müller : Horoscope, Néon, Lyon, du 19 novembre 2009 au 13 février 2010. b
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Markus Müller : a. Right angle, 2009 ; b. Horoscope, 2009 ; c. Glass table (détail), 2009. © Jean-Alain Corre /Néon.
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l’espèce de chose mélancolie à genève par carine bel
L’insoute nable fuite du temps —
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L’espèce de chose mélan colie : Mamco, Genève, du 28 octobre 2009 au 17 janvier 2010.
Qu’est ce qui réunit Erik Bulatov, Alain Huck, Deimantas Narkevicius, Marc Bauer, Cathryn Boch, Pierre-Olivier Arnaud et Patrick Neu en sept expositions monographiques ? L’espèce de chose mélancolie, humeur troublante qui progresse sur les quatre étages du Mamco, passant de la fin d’un monde au ravissement d’une végétation nouvelle. Priorité aux dessins et œuvres sur papiers, la mélancolie du Mamco évite la dépression et erre dans les abords de la chute, réservant des passages d’une beauté sidérante. En chemin, elle positionne le russe Erik Bulatov dans l’histoire de l’art et révèle l’œuvre prodigieuse du Suisse Alain Huck. Autour d’une trentaine de peintures et dessins réalisés depuis 1974, la monographie Bulatov propose une empreinte formelle de la Perestroïka. Héros pétrifiés, spirales de mots, paysages de ciel bleu magistralement exécutés ou fenêtre sublimée par la lumière, prennent la mesure d’un monde inabouti en
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train de s’effacer. Plongée dans la profondeur des états d’inquiétude, la Chair Nuit d’Alain Huck bouleverse. Elle nous convie dans la zone des noirs le long d’immenses dessins au fusain. Ceuxci campent des sous-bois, des marécages ou des végétations torturées. Curieusement, on s’acclimate très vite à cet univers cauchemardesque criblé de traits. Derrière, on devine des silhouettes. Une humanité grouillante se tient là, recouverte d’une sorte de brouillard. Non loin, la catastrophe rode, peste noire, Hiroshima et autres cataclysmes. L’œuvre pénètre dans un entre-temps silencieux où un univers hallucinant prend forme, celui de la tombée, de la nuit, du soleil, du mouvement. Un ralentissement opère dans le vertige. En vidéo, l’artiste énonce un à un les langages du vivant comme un murmure ou un souffle. Tentative ultime d’étirer le temps : la respiration est ralentie, l’immobilité requise. Aux portes du visible et de l’audible, Alain Huck creuse un au-delà où se projettent des ombres du réel. On pense au monde parallèle de l’écrivain japonais Haruki Murakami, avant de nous faire rattraper par le réalisme socialiste. En quoi la perception de l’art est-elle liée au contexte politique ? Le film de Narkevicius retrace la réalisation du buste monumental de Karl Marx en rda, par le sculpteur Kerbel,
lauréat du prix Lénine. Au 1er étage, l’espèce de chose entre en résonance avec quatre monographies. Les dessins inédits de Marc Bauer, lauréat du prix culturel Manor 2009 la secoue en mettant à mal la morale et l’ordre social dans un 1er conte sur le pouvoir. Impressions de la chair déposées sur le papier ou stigmates, les dessins cousus à la façon d’une cicatrice de Cathryn Bloch placent l’espèce de chose dans le corps en situation d’urgence. Là, un espace d’intimité pudique est créé et une expérience de désir mise en œuvre. Hymne à la modernité déchue ou symphonie des gris ? Presque effacées, les photographies collées à même le mur de Pierre-Olivier Arnaud diluent les images de lieux anonymes et la validité que nous leur donnons. Questionnement sur la présence, l’image et la ville sont mises sous observation comme filtres du réel. En contre-pied de cet art magistral du presque rien, les aquarelles d’iris et pièces de cristal de Patrick Neu affichent leur virtuosité. En 60 dessins, on voit l’iris passer de la naissance à l’évanouissement sécrétant un monde d’une extrême délicatesse. Ravissement dans les verres fumés, des ailes de papillons finement gravées tissent une armure translucide. L’espèce de chose mélancolie est un lieu ambivalent où la condition de l’art se déploie dans le sentiment de la perte
a. Deimantas Narkevicius : The Head, 2007. Film still Courtesy gb agency, Paris et Jan Mot, Bruxelles. b. Erik Bulatov : Je vis plus loin (ou « Je continue à vivre »), 2008. Courtesy August Collection. © Ilmari Kalkkinen - Mamco, Genève. c. Alain Huck : Extension, 2008. Coll. particulière. © David Gagnebin-de-Bons.
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guillaume désanges à fribourg par olivier huz
A Sound Survey — En novembre, lorsqu’il commence à faire froid, les salles chauffées des auditoriums sont a priori de bons refuges où la parole amplifiée de quelque conférencier permet de passer une fin d’aprèsmidi douce et reposante. En novembre dernier, au Centre Pompidou, Heimo Zobernig déplaçait l’auditorium au sein de l’exposition 1 et l’écran de projection de la salle noire devenait une peinture, « parlée », puisque c’est le titre de son projet. De manière fortuite, au même moment, les conférences de Guillaume Désanges à Fribourg étaient aussi peu confortables pour celui qui s’attendait à être bercé par la voix monocorde d’un orateur censé dispenser une forme de savoir. La place de « l’intervenant » était mise à mal à Paris comme à Fribourg. Des trois conférences données par Désanges, j’en évoquerai une en particulier : Vox artisti, la voix de ses maîtres – les deux autres portant des titres tout aussi accrocheurs : Signs & Wonders (Théorie de l’art moderne / Théorème de l’art maudit) et Une histoire de la performance en 20 minutes, 30 figures et 70 ans. Vincent Pécoil, lors de son intervention à Pompidou à propos d’un tableau de Wade
Guyton, évoquait cette publicité pour Whiskas où les chats, ayant pris la parole, pourraient affirmer leur préférence culinaire. Les chats ne parlant pas plus que les peintures abstraites, il est bien sûr possible de leur faire dire tout et n’importe quoi. En écho, à Fribourg, résonnait cet extrait d’une œuvre de Marcel Broodthaers : – Est-ce que c’est un bon tableau, celui-là, qui correspond à ce que vous attendez de cette transformation toute récente qui va du conceptual art à cette nouvelle version d’une certaine figuration, pourrait-on dire ? – Miaou, miaou. – Vous croyez ? 2 Derrière l’analogie féline, c’est l’apparent mutisme de l’art abstrait (ou conceptuel) qui était ici questionné : la dématérialisation de l’art au cours du XXe siècle, sa perte de sujet au sens classique du terme, serait-elle la source d’une plus grande présence de la voix des artistes ? La conférence de Désanges soulevait cette question (plutôt que de dresser un état des lieux historique de l’art sonore) à travers un collage audio orchestré comme un medley désordonné. Mêlant pièces sonores, interviews, bande-son de vidéos ou de performances – d’un entretien avec Marcel Duchamp au bruit des pas de Bruce Nauman arpentant son atelier, ou
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encore la terrible détonation de Shoot de Chris Burden –, cette compilation 3, « interprétée » par Mélanie Mermod, était commentée par Désanges. Silencieusement, puisque sa voix n’était présente qu’à travers la projection de ses notes, tout aussi « orchestrée » d’ailleurs. Au-delà du « sujet » de cette conférence, c’est sa forme qui est excitante, terriblement séductrice. Non seulement parce qu’elle est sur-jouée, presque un concert du GRM, mais aussi par ce qu’elle donne à voir. Dans ce fouillis, ces embranchements multiples et anachroniques, le flot de texte qui défile à l’écran est une pensée qui se dessine, se trompe et se corrige. Ce n’est pas un discours clos qui est énoncé mais une proposition, un sens de lecture dont la présentation spectaculaire laisse ouvertes les nombreuses autres relations (intertextuelles) possibles. Vox artisti est une espèce de blog en live dont chaque post est lié à celui qui le précède, le suit ainsi qu’à tous les autres. Mais là où un blog est une suite théoriquement infinie faite de pages suivantes et précédentes, la conférence prend malheureusement fin au bout d’une heure
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Guillaume Désanges et Mélanie Mermod : Vox Artisti, la voix de ses maîtres. © Marc Zendrini.
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1.Heimo Zobernig, Une Peinture parlée, « Le nouveau festival », novembre 2009, Centre Pompidou, Paris. L’ensemble des vidéos des « peintures parlées » est accessible à tinyurl.com/peintureparlee. 2. Marcel Broodthaers, Entretien avec un chat, pièce sonore, 1970. 3. De nombreux extraits sont écoutables sur le site UbuWeb, ubu.com.
Guillaume Désanges : Fri Art, Fribourg, les 11 et 12 novembre 2009.
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fiches de lecture et prévisions
Fiches de lecture échappé, ces brefs textes cohabi- QUE JEUNESSE SE PASSE Guillaume Linard-Osorio – tent dans un jeu avec des titres Tracks – une jeunesse : Sébaschoisit d’exposer la possibilité Fabienne Ballandras : Sentiqui trouvent leur justesse dans tien Legal, Amélie Bucher, ou l’impossibilité du projet armentale Intellektuelle par Lélia ce qu’ils ont à la fois de singuMaxime Ballesteros, Bruno chitectural, qui se détermine Martin. À partir d’images lier et générique. S’y répondent Costantini, Nika Oblak et dans le temps de sa modélimédiatiques reconstituées en les noms, les gestes, les détails Primoz Novak, L’assaut de sation comme dans celui des maquettes, Fabienne Ballanpour donner forme aux soula menuiserie, Saint-Étienne, démarches administratives. – dras réalise des photographies venirs, entre lesquels, des modu 19 mars au 11 avril 2010. qui questionnent le traitement ments heureux à leurs revers, L’Assaut de la menuiserie inau- BAROQUE Marie Hendriks : Silver threats visuel et la circulation de l’actransparaissent les obsessions gure la programmation de sa and Golden needles, centre d’art tualité. En opérant des transide l’auteur telle que sa relation nouvelle directrice artistique, de Lacoux, du 26 juin au 5 tions d’échelles et de matériaux, à un père disparu. Objet à inBlandine Gwizdala, avec le septembre 2010. Sous le signe elle instaure une distance vestir librement, cet ouvrage premier volet d’une série d’exdes trompeuses apparences, le critique entre objet et sujet. emprunt d’absurdité, n’est positions sur la « jeunesse », centre d’art de Lacoux propose Ses derniers projets, enrichis de pas sans faire écho à un Cersouhaitant mettre en lumière un nouveau parcours estival volumes, dessins et vidéos, sont tain Plume d’Henri Michaux, les regards d’une génération d’expositions à travers difféprésentés dans l’édition Senautre artiste amateur de tout d’artistes européens nourris rents sites du département timentale Intellektuelle. Le lance qui aide à traverser la nuit… d’illusions et de désillusions. – de l’Ain. Dans ses murs, le gage s’y fait source et vecteur. a ANIMAL centre présente l’œuvre poDans Du fric ou boum, slogans Delphine Gigoux Martin : lymorphe et mystérieuse de et scènes de rue sont réinjecMorceaux choisis, résidence de Marie Hendriks, qui puise ses tés dans l’espace public par le l’artiste et production in situ, références dans les histoires, biais de l’affichage. Dans une centre d’art Bastille, Grenoble, souvenirs, mythes et légendes. autre série, réalisée à Stuttgart, du 27 mars au 13 juin 2010. Circuit estival départemenc’est l’espace carcéral qui s’exDelphine Gigoux Martin tal Baroque et faux semblants, pose, décrit par les détenus de réalise des dispositifs mêlant centre culturel Aragon, Oyonla prison de Stamheimm, qui sculptures, dessins et vidéos, nax, château des Allymes, enfermait les membres de la dans lesquels la confrontaAmbérieu en Bugey, Abbaye Fraction armée rouge dans les – tion d’énergies animales à d’Ambronay… de juin à noannées 1970. Ces œuvres rePrévisions l’architecture des lieux, nous vembre 2010 (informations marquables donnent corps aux renvoient aux paradoxes de www.centre-art-lacoux.com). lieux de la contestation sociale – on /off – nos instincts contradictoires. et politique et interrogent le – On/Off, Cité du Design, « devenir image » de l’histoire. SÉQUENCES 05 Saint-Étienne, jusqu’au 20 b Spacificity : TTrioreau, Joris mars 2010. La Cité du DeVan De Moortel, Camilo sign participe au parcours Yáñez, Fort du Bruissin, FranDiagonale, son, vibration cheville, du 27 mars au 4 juillet et musique dans la collec2010. La programmation du tion du Centre national des Fort du Bruissin, investit un arts plastiques, durant lequel peu plus la spécificité de ce sont présentées des œuvres site dans le paradoxe d’une indu CNAP autour de la thémavalidité ontologique, et en lui tique du son et de l’impact de réinventant une fonction à trala musique dans le champ de vers l’expérience (ré)activée des la création contemporaine. – – œuvres lors de chaque séquence. Fabio Viscogliosi : Je suis LA VILLE À L’ÉCRAN Exposition Permanente avec g pour tout ce qui aide à traverser Valence Ville Ouverte, Lux, Pascal Broccolichi, Pierrela nuit par Florence MeyssonValence, 25 et 26 mars 2010. Laurent Cassière, Rémi Dal nier. Les écrits réunis dans cet Ces deux journées conçues Négro, Nicolas Floc’h, TTrioouvrage entrent dans la danse par Pascale Cassagnau, Marc reau, résidence d’Ariane kaléidoscopique des petits riens Guiga et Florence Lazar, auBosshard et Olivier Huz. – qui font de façon mêlée, la vie tour d’une sélection de films, À L’ÉTAT DE PROJET et l’œuvre (à la fois musicale, mettent en relief les potentiGuillaume Linard-Osorio : visuelle et écrite) de Fabio Visalités des villes dont artistes Le Champ des Possibles, galecogliosi. Refuges introspectifs et cinéastes se sont emparé, et invitations à redécouvrir ce comme sources inépuisables sé- rie Roger Tator, Lyon, du qui par évidence nous aurait crétant les signes des identités. 1er avril au 30 juin 2010.
a. Fabio Viscogliosi : Je suis pour tout ce qui aide à traverser la nuit. 286 pages, éditions Stock, 2010. b. Fabienne Ballandras : Sentimentale Intellektuelle. 92 pages, édition de l’Institut français de Stuttgart, 2010. Texte d’Anne Giffon-Selle, entretien avec Florence Meyssonnier. c. Nika Oblak et Primoz Novak : We did this and that, 2005-2007. d. Guillaume Linard-Osorio : Tout ce que nous ne construirons pas, 2007-2010. e. Delphine Gigoux Martin : L’arc est bandé, évite la flèche, 2008. f. TTrioreau : Towards the Development of Hotel Palenque, 2009. g. Marie Hendriks : Spaghetti alla rosa di seta in salsa di stella a la texana, 2009.
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