Projet Movilab

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MoviLab, laboratoires de modes de vie durables in vivo A- Compléments méthodologiques pour le MEDDTL Thanh Nghiem & Christophe Sempels - novembre 2011

Cette note vient en réponse à votre mail du 4.11.11 nous informant que le projet MoviLab avait été retenu pour être soutenu financièrement, sur une base maximale de 77 000€ sur 24 mois, sous réserve de "préciser la méthodologie et d'étoffer l'équipe en recherchant de nouveaux partenaires". En ce qui concerne la première requête, la présente note (A) vient en complément de la réponse à l’appel d’offre initialement auditée, de telle sorte que nous ne reprendrons pas ici ce qui a déjà été dit. Nous chercherons à compléter ce qui a été posé en précisant de manière concrète et exemplifiée les différentes étapes méthodologiques de la recherche que nous proposons de mener. En ce qui concerne la seconde requête, la note (B) expose le dispositif de validation scientifique que nous proposons, ainsi que les nouveaux partenaires de recherche et d'expérimentation réunis autour de MoviLab.

Préambule Sur le plan méthodologique, MoviLab combinera deux champs de recherche complémentaires : un travail de recherche théorique, visant à qualifier l'émergence d'un nouveau paradigme autour de l'économie du partage et de la production de biens communs1 associée, afin d'évaluer dans quelle mesures ces dernières pourraient offrir des alternatives à un modèle aujourd'hui en échec ; et un travail de recherche appliqué nourri par l'observation des usages et des comportements à travers des expérimentations in vivo sur des sites pilotes, de manière à alimenter la réflexion théorique avec des données "vivantes". Un changement de paradigme MoviLab se fonde sur une approche inédite hybridant le libre et durable2. Par cela, nous entendons bien plus que la simple addition de deux axes porteurs d'enjeux clés pour notre société. En hybridant l’approche visant la durabilité et celle incarnée par l'open source – principes d'abondance, réputation, réutilisation et collaboration, nous cherchons à étudier les conditions de déploiement d'une économie du partage et la viabilité d'une production de biens communs en open source3. Celles-ci dessinent en effet un changement de paradigme par rapport au modèle dominant, fondé sur la compétition, la prédation, le toujours plus. A ce titre, elles s’inscrivent dans une logique de démarchandisation des besoins et du bien-être, entendu au sens du "passage de l’échange marchand à un échange social généralisé qui intègre différentes formes de transactions monétaires et non monétaires, y compris symboliques… qui s’accompagne d’un découplage entre la production/circulation des valeurs sociales – au sens large de "ce qui a de la valeur pour une société" – et celles des marchandises"4. Tout en englobant les avancées actuelles en matière de modes de vie durables, qu'il s'agisse d'innovation en matière de TIC ou de comportements, d'économie de fonctionnalité ou de business models collaboratifs, notre recherche entend explorer et qualifier les possibilités d'émergence d'une telle rupture. En effet, une mutation rapide est déjà en train de se produire dans le monde entier et 1 2

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Par bien commun, nous entendons à la fois les bien publics et privés, tangibles et intangibles, mais développés dans une logique d'ouverture qui les rend accessibles au plus grand nombre Comme nous l'avons expliqué dans la note initiale, nous entendons par "libre" l'ensemble des initiatives favorisant la libre circulation des savoirs – p. ex., le logiciel libre, Wikipédia, les réseaux d'échanges de savoirs, le référentiel Creative Commons. Le mot "libre" peut cependant prêter à confusion, c'est pourquoi nous utiliserons alternativement le terme "open source" pour désigner toutes les approches de libération des savoirs Cf les travaux du prix Nobel Elinor Ostrom (gouvernance des biens communs), Yochai Benkler (réseaux, collaboration et biens communs) ou Rachel Botsman et Roo Rogers (consommation collaborative). Cf bibliographie en annexe Perret B. (2011), Pour une raison écologique, Editions Flammarion, Paris, France.

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dans tous les domaines, mais elle s'opère par la pratique, hors de tout cadre institutionnel ou conceptuel5. MoviLab entend objectiver ces éléments empiriques dispersés et leur donner une base scientifique robuste, afin d'identifier les clés et les freins pour un passage à l'échelle. Des laboratoires de modes de vie durables in vivo Au croisement de l'innovation technologique, comportementale et territoriale, face au foisonnement de business models émergents, les sujets que nous proposons de couvrir bousculent tous les repères. Dotés de facultés de diffusion "virale", les modèles évoluent extrêmement vite, ce qui pose le problème épineux de l'obsolescence face à un temps de gestation de la recherche inscrit dans la durée. L'approche de laboratoires de modes de vie durables in vivo offre une voie pour sortir de l'impasse et articuler ces deux extrêmes. Il s'agit de documenter en temps réel ces innovations par la base, aujourd'hui foisonnantes et fragmentées, et de leur donner une assise scientifique robuste dans le but de produire des biens communs en open source. Seul un aller-retour efficace et permanent entre un empirisme de terrain avant-gardiste et le recul scientifique peut permettre de développer des politiques à plus long terme dans le but recherché. C'est pourquoi notre recherche s'appuie sur les remontées "en première main" de nos partenaires de terrain, précurseurs dans leur domaine, données que nous nous proposons de qualifier et de mettre en cohérence par un dispositif académique et scientifique inscrit dans la durée, prenant sa source dans l'expérimentation directe in vivo.

1. Articulations du programme de recherche Dans ce cadre, la méthodologie de notre recherche ingénierique se construit autour de trois piliers séquentiels qu’il importe de bien comprendre et que nous tenons ici à préciser : 1. TICA (territoires intelligents et communautés apprenantes) et incubation de proximité 2. Pollinisation des idées : open source et réseaux apprenants 3. Axes d’une politique industrielle et territoriale revisitée 1.1. TICA et incubation de proximité L’expérience d’incubation de projets à forte valeur sociétale acquise par Angenius a permis de constater la puissance d’une approche territorialisée dans l’incubation de modes de vie durables. On ne peut en effet pas parler de durable sans évoquer le territoire et ses interactions avec les hommes et leur culture (Nghiem, 2010). Les projets incubés ont ainsi permis de conceptualiser le principe des TICA (territoires intelligents et communautés apprenantes6). La pratique montre qu’une solution globale supranationale ou à l’échelle d’un État ne peut émerger par elle seule, compte tenu de la taille à gérer et de la multiplicité des enjeux et des parties prenantes à satisfaire. Par contraste, l’échelon local, grâce à sa proximité avec le terrain et les habitants, apporte de nombreuses solutions innovantes au défi de la durabilité. Ci et là émergent à travers le monde des solutions à contre-courant touchant toutes les sphères de la société – l’habitat, l’alimentation, l’accès aux produits et services essentiels, la mobilité douce, le mieux-vivre ensemble, l’inter-générationnel, la revalorisation des déchets… Ces innovations sont portées et/ou renforcées par des communautés apprenantes7, qui agissent en symbiose avec leur territoire pour tirer le meilleur de leur contexte et de leur cadre de vie, en améliorant sans cesse leurs pratiques sur base des leçons tirées de leurs expériences. Véritable expérimentateurs de nouveaux modes de vie, ils agissent par essais et erreurs dans des processus apprenants, sans cesse revisités pour être améliorés. 5 6 7

Attesté par la montée en puissance de l'open source, dans et au-delà de la sphère du logiciel, l'émergence de mouvements tels la consommation collaborative (cf Botsman et Rogers), le développement des FabLabs, le slow mouvement, les transition towns, ou encore les révolutions arabes, WikiLeaks, Occupy Wall Street… Que penser de tous ces phénomènes ? http://thanh-nghiem.fr/tiki-index.php?page=TICA Le concept de communauté apprenante s’ancre dans les travaux sur les organisations apprenantes, les équipes apprenantes, les communautés de pratiques ou les communautés d’apprentissage (on peut citer à titre non exhaustif les travaux de Senge, 1994 ; Le Moigne, 1995, Wenger, 1998, …) et analysent les modalités et les capacités d’apprentissages collectifs multiples et variés

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Bedzed (voir encadré 1) illustre adéquatement ce mécanisme, mais il est loin d’être le seul exemple. Les transition towns8 - ces sites pilotes appliquant les principes du développement durable et portés par de petites communautés -, la montée en puissance des mouvements collaboratifs, des Fablabs ou Medialabs, de l’open source ecology9, … ne sont que d’autres illustrations de cette volonté d’un nombre grandissant d’individus de s’émanciper d'une logique de consommation passive, pour créer et partager entre pairs les conditions d’une vie plus en adéquation avec leur milieu. Encadré 1 : L’expérience de Bedzed* Bedzed (Beddington Zero Energy Development) est un site pionnier situé à 20 min de Londres construit en 2000 pour démontrer concrètement qu’il est possible de vivre de manière durable sans sacrifier au confort de la vie moderne. Il comprend 82 logements pour 250 habitants. Ce site précurseur a été entièrement conçu de manière à réduire l’empreinte écologique des habitants de moitié. Cet objectif a été atteint en repensant totalement en amont le fonctionnement et les usages des habitants futurs à l’échelle d’un quartier. C'est un des projets phares dans le monde en la matière. Un partenariat de recherche appliquée a été passé en 2003 entre Angenius et les fondateurs du site, une infirmière et un biologiste. Le but était de permettre une libre diffusion des savoirs en matière de modes de vie. À l'écart de tout échange marchand, il a été convenu qu'Angenius organiserait des voyages d’études avec des décideurs (territoires, gouvernement, entreprises, financeurs, chercheurs, experts, ONG...), et qu'en retour, il serait possible de rentrer dans les "dessous" de Bedzed, c'est-à-dire d'étudier en toute transparence ce qui avait été réalisé, décortiquer les solutions techniques, les coûts, les retours des habitants en matière de qualité de vie. Les innovations étaient nombreuses : maisons conçues de manière à réduire les besoins en énergie de 90%, ceux en eau de 60%, utilisation de bois d'élagage pour faire tourner la centrale qui fournit l'électricité et la chaleur, récupération de matériaux issus de 30 km à la ronde, club de voiturage combiné avec le train, permettant une fluidité des déplacements sans avoir besoin de posséder de voiture, livraison sur site de fruits et légumes produits par des fermiers voisins... Le site n'est pas réservé aux bobos. 1/3 sont des classes moyennes et 1/3 est constitué de l'équivalent des HLM. 10 ans après, ces solutions basées sur le bon sens et des procédés simples à mettre en œuvre ont été reprises un peu partout dans le monde. Le site a servi de démonstrateur et l'approche ouverte a essaimé : JO de Londres 2012, Portugal, Chine, Masdar, Afrique du Sud. De 250 habitants, on est passé à 1 million de logements inspirés de cette méthode qui permet de réduire l'empreinte écologique tout en améliorant la qualité de vie des habitants. * http://2008.angenius.net/tiki-index.php?page=Bedzed

Même si Internet donne aujourd’hui à voir ces innovations locales, elles restent trop souvent méconnues, confidentielles ou insuffisamment documentées pour pouvoir être réappropriés par d’autres, dans d’autres contextes et avec d’autres visées. Elles sont pourtant autant de séquences d'ADN pouvant germer pour faire éclore à plus grande échelle des modes de vie durables. En outre, la mise en relation de personnes porteuses de ces initiatives pourrait être encouragée pour favoriser les échanges de bonnes pratiques, l’émergence de processus apprenants, la fertilisation d’idées innovantes – autrement dit, créer du capital social. 1.2. Pollinisation des idées : open source et réseaux apprenants L'étape suivante a pour but d'accompagner la mise en œuvre par d'autres territoires et communautés des savoirs accumulés et mis en partage par les précurseurs de cette logique de TICA. À partir de ces initiatives remarquables, il s'agit de produire des unités de savoir suffisamment décortiquées10, inscrites dans des processus cognitifs suffisamment efficaces pour en permettre l'appropriation et l'adaptation dans d'autres contextes par des communautés apprenantes et ainsi préparer un passage à l’échelle. L'exemple de Bedzed et celui de Loos-en-Gohelle (voir encadré 2) sont éclairants. Comparativement à d’autres éco-quartiers mondialement reconnus tels que ceux de Freiburg ou de Stockholm, la particularité de Bedzed réside dans le fait que dès l'origine, une vision – il s'agissait de réduire l'empreinte de nos modes de vie de 50% – a d'abord été posée par des acteurs de la société civile. Dans un deuxième temps, le site de Beddington à 25 mn de Londres a été sélectionné pour permettre une mise en œuvre de cette vision et servir de démonstrateur. Le but était de donner envie aux gens par l'exemple d'adopter des modes de vie durables. La mission affichée "make it 8 http://www.transitionnetwork.org/ 9 Voir webographie en annexe 10 Unité de savoir : série d'instructions suffisamment standardisées pour pouvoir être reprises et mises en application sans "perte en ligne" par les utilisateurs – code source du logiciel, design d'objet, cf les recettes de cuisine

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attractive to adopt sustainable lifestyles" (rendre attrayant l'adoption de modes de vie durables) reflète cette conception du changement par la base. Les fondateurs ont ainsi eu à cœur de développer une méthodologie qui puisse être reprise et adaptée ailleurs, quel que soit le contexte. Celle-ci deviendra le programme "one planet living11" (OPL), qui se traduit par une méthode documentée en 10 axes et la mise en place d'OPL communities dans chaque site, qui partagent les savoirs et enrichissent le code source ou design des modes de vie initial. Le précurseur de 250 habitants a ainsi à ce jour favorisé et nourri la construction de plus d’un million de logements, dans tous les continents. Il s'agit bien ici d'un processus de pollinisation des idées en open source, appuyé sur un réseau de communautés apprenantes. En France, dans la foulée de Bedzed, la commune de Loos-en-Gohelle illustre la puissance de ce mécanisme combinant mise en œuvre concrète et volonté de transmettre les savoirs tirés de l'expérimentation in vivo. Encadré 2 : Loos en Gohelle : après la mine, l'Odyssée du 21° siècle ? Loos-en-Gohelle est une commune de 7500 habitants, située à côté de Lens, au cœur du bassin minier. Elle cristallise tous les dégâts de la société industrielle non durable : les deux plus hauts terrils d'Europe, des générations entières dévastées par la silicose du mineur, une ville qui s'enfonce dans certaines rues de 15 m à cause des 200 km de galeries sous terre laissées à l'abandon, 50% de RMIstes, 20% de chômeurs... Dans ce contexte, la ville n'avait pas le choix : c'était prendre son destin en main ou s'enfoncer dans la spirale de l'échec. Héritier d'une longue tradition de combats pour la mine (ses ancêtres ont été maires de père en fils, inspirant Germinal à Zola), JF Caron a décidé de faire de sa commune une défricheuse du développement durable. Après avoir piloté le SRADT (Schéma régional d'aménagement durable du territoire) en tant que Vice-Président de la Région, il a fait le choix de se consacrer à sa ville en tant que maire, pour en faire un territoire d'application de la stratégie régionale. Depuis le milieu des années 1990, la commune a ainsi accumulé un maximum de réalisations tangibles en matière de durabilité. Au retour d'un voyage d'études à Bedzed organisé par Angenius en 2004, Loos est devenue la première commune en France à emboîter le pas au précurseur anglais. Le projet "Loos ville pilote d'interprétation du développement durable" a alors été conçu et lancé. Au-delà de ce qui avait été fait à Bedzed, il s'agissait ici de mettre l'accent sur la participation des habitants, de les faire monter en capacité dans la vie de la commune. Le but était de donner à voir ce qui était en train de se faire pour que les gens puissent comprendre la trajectoire et s'en inspirer. Ceci a permis une appropriation tant par les habitants qu'au-delà, avec le déploiement de réseaux apprenants (tissu associatif, chercheurs, comités scientifiques, entrepreneurs, artistes et designers venus d'ailleurs pour s'inspirer de ce qui se faisait dans la ville, sous leurs yeux). La pollinisation des idées et l'intelligence collective ont ainsi été stimulées par des exemples concrets et documentés pour se rapprocher des principes de l'open source. Ce travail de longue haleine s'est traduit par la stratégie "Ville pilote d'interprétation" présentée en 2011, avec le soutien de la région et de l'Europe. La commune bénéficie de financements importants pour sa capacité d'exploration et de mise en démonstration des modes de vie durables (cf FEDER, CERDD, CD2E, Caisse des Dépôts) et jouit d'une couverture médiatique sans précédent. Pratiquement tout ce qui était imaginable a été mis en démonstration : bâtiments durables, énergie, transports doux, jardins partagés, pépinière d'éco-entreprises, culture et action sociale, centre de recherches sur le durable, calcul d'empreinte écologique, indicateurs de bien-être, et surtout participation des habitants. Les résultats parlent d'eux-mêmes : JF Caron a été réélu avec 82% au 1° tour des municipales en 2008, alors qu'il se situe à 10 km du fief de Marine Le Pen. Plus de 200 conseils de quartiers ont été tenus en 7 ans, enregistrant une participation élevé des Lossois. Plus d'une centaine d'associations ont vu le jour, tandis que des centaines de bénévoles animent chaque année avec enthousiasme les grands événements tels la Route du Louvre.

Loos fait aujourd'hui partie des précurseurs en matière de durabilité, et se retrouve souvent associé aux travaux d'incubation d'Angenius – au point d'avoir été baptisé "les enfants de Bedzed" ou d'être cité comme la prochaine destination écologique en France après Bedzed, Freiburg ou Stockholm12. Cet exemple illustre la seconde séquence de Movilab, la pollinisation des idées appuyée sur la logique de l'open source et des réseaux apprenants.

11 Littéralement "vivre avec une seule planète", en référence à l'empreinte écologique humaine, qui dépasse largement ce seuil d'équilibre. Voir références en annexe 12 "Villes durables, 21 expériences pionnières en Europe", C. Emelianoff & R. Stegassy, Ed Autrement 2010. "Les enfants de Bedzed", Forum des Projets Urbains, Novembre 2006, Palais des Congrès Paris. "Destinations vertes pour touristes écolos", Le Monde Magazine, Juillet 2011

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1.3 Les axes d’une politique industrielle et territoriale revisitée Le processus permettant de multiplier les sites pilotes s'inscrivant dans le paradigme du libre et durable, c'est-à-dire le partage et la production de biens communs en open source, vient d'être décrit. L'étape suivante consiste à en tirer des propositions entrant dans des politiques territoriales et industrielles. Les initiatives porteuses d'avenir que nous avons décrites peuvent paraître dérisoires devant l'inertie du système. Pire, elles sont vraisemblablement tolérées tant qu'elles restent marginales 13. Dès lors que des innovations menacent le mainstream, des forces de rappel ou un plafond de verre s'appliquent pour les reléguer au rang de curiosités non applicables. Comme le signale l'appel à projet Movida, il n'est pourtant pas possible de continuer ainsi. Comment sortir de l'impasse ? Si nous savons où nous voulons aller – ou plutôt ne pas aller – et que les pistes ouvertes se multiplient, l'enjeu est de réussir à transformer l'essai. À partir des pilotes TICA et du processus de pollinisation évoqué, il s'agit de produire des résultats suffisamment convaincants à court terme pour pouvoir faire "boule de neige", et de formuler des propositions allant dans ce sens. Partant des éléments réunis dans les séquences précédentes (avancées théoriques sur le paradigme, éléments issus de l'observation in vivo venant nourrir ces interprétations), nos propositions s'articuleront autour de deux axes stratégiques, visant à stimuler le développement de territoires intelligents et de communautés apprenantes : 1. Territoires intelligents : comment les enseignements des projets MoviLab peuvent-ils être repris dans l'agenda territorial, p. ex. politique de la ville, politique numérique, aménagement durable, cohésion sociale ? Sur le plan des équipements, comment mailler le territoire avec de tels tiers espaces ouverts à l'expérimentation de modes de vie durables, à partir des espaces existants (EPN, médiathèques, théâtres, maisons d'associations, campus, écoles...) ou ex nihilo (friches en reconversion, éco-quartiers en devenir...) ? 2. Communautés apprenantes : comment stimuler les réseaux existants vers la logique du partage et la création de bien commun en open source ? L'innovation par la base peut-elle nourrir un développement local et se traduire par la création de structures ad hoc – associations, SCOP, coopératives d'usagers cotisant pour le déploiement de projets collaboratifs, start-ups de médiation numérique… ? Comment intégrer les enseignements de MoviLab dans les politiques culturelles du territoire, p. ex. créer un festival du partage ou de l'intelligence collective, trouver des articulations avec le Festival du Livre, la journée de la démocratie UNESCO, le Sommet de la Terre Rio + 2014... Enfin, de manière plus transversale, la question du financement et de la viabilité d'une production de biens communs en open source sera abordée afin d'identifier des axes pouvant s'inscrire dans des politiques territoriales et industrielles. Les points à traiter sont les suivants : 1. Amorçage du modèle. Par analogie avec le logiciel libre, une fois écrit, le code source est gratuit. Mais comment financer le démarrage – écriture des premiers codes sources et lancement de l'expérimentation (voir encadré 3) ? 2. Développement et pérennisation. À l'instar du modèle du logiciel libre, nous chercherons à évaluer trois sources de revenus générés une fois l'amorçage effectué : maintenance, services et développement de solutions sur-mesure 15. Nous chercherons à en établir les conditions de succès – modèles d'animation de communautés, P2P / H2H 16, équipements techniques et culturels 3. Conséquences pour le système actuel. Ce qui précède permettra d'ouvrir des pistes pour les politiques industrielles et territoriales – les modèles d'open source et d'animation de communauté sont-ils applicables à grande échelle aux territoires ou aux entreprises 17 ? Comment stimuler la participation des populations pour en faire des usagers et contributeurs actifs ? Comment mettre en place un processus apprenant, c'est-à-dire un processus social qui prenne en charge l'échec ? Etc. 13 P . ex., les monnaies complémentaires, SEL, échanges de biens et services en P2P tels AirBnb ou ZipCar, sont "tolérées" tant qu'elles ne dépassent pas quelques % du PIB 14 Cf échanges avec Loos-en-Gohelle et Mouans-Sartoux, le Théâtre de la Gaîté Lyrique à Paris, Saline Arc & Senans dans le Doubs 15 Les modèles d'Ubuntu, de RedHat ou d'Apache sont instructifs à cet égard 16 Dans l'économie du partage, les frais de fonctionnement sont réduits au minimum, car ce sont les usagers qui génèrent leur contenu, les "jardiniers" ou "concierges" facilitant seulement le processus (cf Wikipédia). Essentiel, le modèle H2H (Human to Human) permet de créer la confiance entre étrangers et de multiplier les échanges (cf AirBnB, eBay, Facebook) 17 Exemples : devenir une "We-Brand" comme Timberland ou Nike, ou un laboratoire sociétal comme ManorLab aux USA

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Encadré 3 : Production de biens communs en open source, la clé de l'amorçage Qu'il s'agisse de logiciels libres, de FabLabs ou de tiers espaces, un mécanisme d'amorçage spécifique est nécessaire. Des mécènes privés (business angels) ont pris en charge le démarrage des grands projets libres, tels M. Shuttleworth pour Ubuntu ou J. Wales pour Wikipédia. Des structures publiques portent les tiers espaces, tels le MIT qui a créé les premiers MediaLabs et FabLabs avant de permettre leur essaimage dans le monde, tandis que les pépinières d'entreprises bénéficient souvent de financements de l'État et que les EPN sont financés par les territoires. Une étude récente portant sur un vaste échantillon de FabLabs, Garages et autres espaces du même type souligne l'ambiguïté relevée dans tous les cas : ces espaces sont censés atteindre l'autonomie financière en 3-4 ans, ce qui les fait hésiter entre un rapport marchand (conseil / facturation) et leur mission d'ouverture à tous. Dans ces conditions, comment pérenniser l'amorçage des modèles de production de biens communs en open source ? Si les fonds de capital-risque privés sont nombreux, ils sont rarement mobilisés sur un objet-art sociétal. Surtout, ils n'interviennent qu'à une étape ultérieure, une fois la preuve de concept effectuée (phase de pré-amorçage). Ainsi, même dans le cas de start-ups classiques, l'essentiel des fonds de démarrage est d'origine publique, souvent sous la forme d'aides à la R&D, d'accompagnement aux porteurs de projets ou de soutien aux universités et autres acteurs participant de l'économie de la connaissance. Parallèlement, les territoires déboursent des sommes conséquentes pour stimuler en proximité le développement durable, la cohésion sociale, la création d'entreprises, la participation citoyenne, les usages numériques. Dans ces conditions, pourquoi ne pas proposer aux territoires de regrouper une partie de ces financements afin de les consacrer à l'amorçage de laboratoires de proximité, dont l'utilité sociale serait le développement de solutions de modes de vie durables en open source, avec un modèle économique inspiré de celui du logiciel libre ? Il nous semblerait particulièrement judicieux ici de creuser la notion de "retour sur investissement" de tels dispositifs, en intégrant d'autres indicateurs de richesse que les sempiternels critères financiers, afin de prendre en compte la création de capital social, les indicateurs de bien-être, la préservation du patrimoine naturel et humain, la participation citoyenne à travers p. ex. les contributions des bénévoles². Notre recherche pourra aussi explorer l'applicabilité d'indicateurs de succès propres à l'économie du partage et aux projets open source – densité et largeur du réseau social, taux de participation des populations, économies de fonctionnalité permises par ces principes d'échange et de réutilisation, viralité et "pénétration" du modèle 3. Au final, nous proposons d'ouvrir des pistes méthodologiques pour objectiver l'impact d'un modèle d' open source appliqué à la production de biens communs. (1) Peter Troxler, 2010 (voir webographie en annexe) (2) Cf travaux auxquels nous sommes associés, p.ex. Loos-en-Gohelle et l'évaluation (projet de recherche avec la Caisse des Dépôts, mené avec plusieurs laboratoires de l'Institut Catholique et de la Faculté Libre de Droit à Lille) ; indicateurs de richesse, avec P. Viveret ; empreinte écologique, avec le Global Footprint Network ; recherche mondiale sur les monnaies complémentaires, avec B. Lietaer (3) Cf le dispositif d'évaluation des projets que nous avons mis en place sur le Défi Innovation SKEMA 2011. Ou l'exemple de Lets'DoIt avec le cas de l'Estonie, où 4% de la population s'est mobilisée sur ½ journée pour nettoyer des décharges publiques dispersées dans le territoire. Le projet a coûté 500 000 $ , alors qu'il aurait fallu 3 ans et 23 M$ par des méthodes classiques

2. Plan de travail Afin de mettre en œuvre le programme de recherche mentionné ci-avant, nous proposons de suivre un plan de travail articulé autour des 5 séquences suivantes : 1. Travail théorique préalable 2. Repérage d’initiatives innovantes 3. Mise en œuvre du processus apprenant au sein des sites pilotes 3.1.Documentation du storytelling et des projets remarquables des sites pilotes et identification des parties prenantes au processus apprenant 3.2.Mise en œuvre du processus d’incubation 4. Décorticage et montée en généralisation 5. Conclusions et impact sur les politiques territoriales et industrielles 2.1 Travail théorique préalable Un travail théorique préalable sera mené pour poser des bases scientifiques robustes au projet. Ce point théorique a été documenté dans la proposition initiale au point II.#1. Ce travail sera conduit en partant des études disponibles et des travaux académiques de référence (Ostrom, Benkler, Rifkin,

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impact des Creative Commons, économie du partage, etc 18), en se focalisant sur le croisement libre et durable . Nous nous intéresserons notamment aux travaux précurseurs du MIT en matière de FabLabs et MediaLabs, aux études internationales sur la production de biens communs en open source, aux publications académiques sur l'incubation de projets sociétaux et à la montée de la consommation collaborative19. Les avancées en matière de durabilité – p.ex. l’économie de fonctionnalité, écoquartiers tels Bedzed ou les villes de transition – feront l'objet d'une simple compilation de l'état de l'art, le but n'étant pas de surinvestir dans la connaissance théorique, mais d'identifier ce qui, dans ces pratiques, pourrait être mis en application dans des TICA (étape 1 d'incubation) avec pour objectif la création de bien commun en open source (étape 2 de pollinisation). 2.2 Le repérage d’initiatives innovantes Un repérage en matière de libre et durable en France et à l'international sera organisé avec l'aide de nos partenaires de terrain (voir l’ensemble des partenaires de notre première proposition ainsi que les nouveaux partenaires dans la note (B)). Grâce à leur position et leurs compétences de têtes de réseau, ces derniers disposent d’une visibilité particulièrement riche, sans cesse réactualisée, sur les initiatives locales à l’échelon de la planète, et sur les acteurs clés pouvant être rencontrés pour des entretiens ou des visites de terrain. Partant de la confiance et des réseaux établis par eux et nous, il est prévu de rentrer en contact avec par exemple les précurseurs du MIT, de Berkeley ou Yale, les acteurs de la consommation collaborative aux USA et en Europe, les animateurs de FabLabs, MediaLabs, garages ou autres tech shop, les projets d'avant-garde tels open source Ecology. Des enquêtes et des entretiens personnalisés seront menés auprès des fondateurs ou animateurs de telles communautés, en direct et par Web-survey. Nous bénéficierons aussi d'un accès direct auprès des réseaux du libre et de l'open source, partenaires de longue date d'Angenius, ainsi qu'auprès des précurseurs en matière de durable tels Bedzed et One Planet Living, ou le réseau mondial de l'empreinte écologique Global Footprint Network20. Ce travail de repérage visera à identifier à travers le monde les projets exemplaires gagnant à être documentés pour entrer dans le processus d’incubation et la seconde phase de pollinisation. Il se réfère là aussi à l’axe II.#1 de notre proposition initiale. Cette approche permettra de bénéficier de données de première main, fournies par un réseau collaboratif d'acteurs précurseurs de telles démarches. Il permettra de nourrir le travail de validation scientifique quant à la portée, les forces et les faiblesses de ces modèles, leurs leviers de déploiement. 2.3 Mise en œuvre du processus apprenant au sein de nos villes pilotes Nous focaliserons nos travaux d'incubation en travaillant étroitement avec des territoires précurseurs, fortement engagés dans le mieux vivre ensemble et les modes de vie durables. Par l'expérimentation in vivo, il s'agit d'identifier, d’analyser et de documenter la faisabilité de ces initiatives à contre-courant, ainsi que les conditions de leur pérennisation. Trois sites pilotes seront au centre du dispositif d’incubation en 2012 : la commune de Loos-enGohelle (Nord-Pas-de-Calais), la commune de Mouans-Sartoux (Provence-Alpes-Côte-d’Azur) et le réseau des acteurs numériques de Saint-Étienne appuyé par le Conseil Général de la Loire. Ces 3 sites pilotes ont marqué leur accord pour nous donner à voir non seulement les initiatives existantes, mais également pour nous permettre d’innover sur le territoire en incubant localement de nouvelles solutions (voir lettres d’acceptation en annexe). En outre, le fond européen FEDER a confirmé son intention de soutenir les expérimentations dans ces sites pilotes et au-delà (voir lettre en annexe). D'autres territoires sont associés à nos travaux, notamment la Communauté d'Agglomération de Brest, précurseur en matière de ville 2.0, qui a donné son accord pour nous permettre de documenter ce qui a été réalisé, ou la ville de Montreuil sous Bois (93) et la collectivité territoriale de Corse, comme territoires d'incubation potentiel. L’interaction avec nos trois pilotes d’expérimentation se déroulera en deux temps, décrit ci-après. 18 Cf bibliographie en annexe 19 Voir la bibliographie et la webographie en annexe, notamment http://papers.ssrn.com/sol3/papers.cfm?abstract_id=1692617 pour une recherche académique portant sur plusieurs centaines de FabLabs et autres tiers espaces dans le monde (juillet 2010) 20 Voir http://www.footprintnetwork.org, travaux de recherche menés avec Angenius depuis 2003 qui ont mené à l'audit et la reconnaissance de l'empreinte écologique en France par la Commission Stiglitz http://ee.angenius.net

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2.3.1 Documentation du storytelling et des projets remarquables des sites pilotes et identification des parties prenantes au processus apprenant L’expérience d’incubation de projets acquise par Angenius dans le libre et durable a permis de constater l'importance du storytelling21 dans la transmission des idées et le changement par la base. Partant du constat que le fait culturel est fondé sur l'imitation (Sperber, 1996), l'enjeu est de rendre contagieuses les solutions évoquées ci-avant en matière de modes de vie durables, en nous inspirant des recherches les plus avancées en la matière (croisant notamment la sociologie, l'anthropologie, l'épidémiologie des idées, la psychologie, voire les neurosciences 22). L'enjeu est d'articuler l'ensemble des initiatives venant de la base avec un objet-art partagé, et d'en permettre l'appropriation par des processus sociaux – narration ou storytelling, rites, objets remarquable (Nghiem, 2010). Le premier temps consistera en l’analyse des spécificités territoriales – histoire, patrimoine naturel, humain et culturel – afin de construire le storytelling dans lequel s’ancrent ou s'ancreront tous les projets de développement, l’identification et la documentation des projets remarquables existant et l’identification des parties prenantes aux processus apprenants. À cet égard, nos sites pilotes présentent une belle complémentarité. Loos-en-Gohelle (voir encadré 2 pour rappel) est une ville qui dès 2004 est entrée dans une dynamique de ville pilote d’expérimentation directement ancrée dans un dispositif apprenant au croisement du libre et du durable. Les projets nouveaux ont été développés sur ces modalités apprenantes et l'ensemble est entré dans un dispositif de recherche formalisé (cf Comité d'Orientation Scientifique de Loos ville pilote, avec lettres de soutien à MoviLab en annexe). Ils ont en outre permis de développer une méthodologie innovante pour "donner à voir l'invisible", fondée sur un storytelling éprouvé, la documentation des projets et l'utilisation de technologies de pointe23. A l’inverse, Mouans-Sartoux investit depuis près de 30 ans dans de nombreux projets visant à favoriser le mieux vivre ensemble et les modes de vie durables et compte à son actif un nombre impressionnant de réalisations (voir encadré 4, section "30 ans d'engagements réussis dans le développement durable"). Par contre, ces projets n’ont pas été développés dans les processus apprenants que nous allons formaliser au sein de Movilab, et sont aujourd’hui insuffisamment, voire pas du tout documentés, ce qui ne permet pas d'enclencher un processus de pollinisation. La complémentarité est forte : grâce au travail de Loos, nous disposons d’un outillage méthodologique permettant de documenter les projets de Mouans-Sartoux et de les faire entrer dans un processus apprenant et dans une dynamique de pollinisation. Ce travail a d’ailleurs d’ores et déjà été enclenché (voir encadré 4, section "comment devenir une ville apprenante"). Par ailleurs, le réseau avant-gardiste d’acteurs de proximité à Saint-Étienne (acteurs du numérique citoyen, de la médiation culturelle, collectif associatif, laboratoires de recherche engagés dans l'innovation sociétale libre et durable) nous permet de décortiquer en profondeur le fonctionnement des communautés apprenantes et la manière dont elles entrent en interaction avec les territoires intelligents (voir encadré 5, Saint-Étienne territoire en transition). En collaboration avec d'autres partenaires de MoviLab, ceci nous permettra de développer une "boîte à outils" pour doter les TICA de pratiques numériques collaboratives et citoyennes.

21 Le storytelling vise à comprendre l’histoire de la ville et plus spécifiquement l’histoire de son engagement vers le durable. Comprendre mais surtout documenter cette histoire dans un storytelling formalisé est crucial car il permet d’ancrer les projets dans un collectif qui fait sens et de les projeter dans un processus social qui s’est construit au fil du temps. Ainsi, le passé minier de Loos et les dégâts occasionnés par une société industrielle non durable ne peuvent se déconnecter des développements actuels de la ville et de l’implication de ses habitants à « s’en sortir ou périr ». Mouans-Sartoux s’est construit sur une toute autre dynamique : celle d’une ville en résistance qui a mené et gagné un grand nombre de combats pour protéger son mode de développement spécifique et ses choix en faveur d’un mieux vivre ensemble. 22 Dan Sperber, la contagion des idées, travaux sur l'anthropologie du Web (B. Glowczewski, M. Wesch), travaux de recherche menés par Angenius avec le GFN sur l'empreinte écologique, Bedzed, les succès du Web 2 23 Voir la restitution à Loos le 28/1/2011 de "Loos ville pilote d'interprétation", avec comme partenaire le FEDER, la région, des entreprises de technologies, avec la participation de M. Rocard, B. Stiegler, P. Radanne, J. Gadrey, C. Emelianoff, T. Nghiem

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Encadré 4 : Inscrire Mouans-Sartoux dans la trajectoire d’une ville apprenante 30 ans d'engagements réussis dans le développement durable Mouans-Sartoux est une ville des Alpes-Maritimes d’un peu plus de 10.000 habitants, reconnue régionalement et nationalement pour son engagement en faveur du développement durable. Depuis plusieurs décennies, la ville initie, développe, encourage et soutient de nombreux projets visant à favoriser le mieux vivre ensemble et les modes de vie durables et compte ainsi à son actif un nombre impressionnant de réalisations. De manière non exhaustive, la ville a largement soutenu le développement associatif, qui aujourd’hui compte plus de 100 associations totalisant plus de membres que d’habitants, ce qui démontre l’adhésion des mouansois au tissu associatif local. L’offre culturelle a véritablement explosé sur la ville, avec la création d’une médiathèque, d’une ludothèque, d’une salle informatique, d’un musée d’art concret, d’un complexe de cinéma, d’un centre culturel, mais aussi avec la tenue de nombreux évènements, tel que le désormais célèbre Festival du Livre, avec cette année un thème nous adressant la question « Où allons-nous si vite ? ». Soucieux de proposer une alimentation de qualité aux enfants des 3 écoles maternelles et primaires et du collège, elle a depuis de nombreuses années favorisé l’alimentation issue de l’agriculture biologique, parallèlement à une éducation au goût et à l’alimentation saine auprès des jeunes. Afin de créer des boucles locales d’approvisionnement, MouansSartoux a créé une régie agricole municipale cultivée en bio et permettant d’approvisionner les écoles tout en faisant participer les enfants à la vie de l’exploitation. La ville s’est réappropriée la gestion de l’eau par le retour en régie municipale pour une qualité de service accrue, un prix maitrisé et des marges budgétaires dégagées pour soutenir des projets d’intérêt général. La mobilité douce est encouragée depuis de nombreuses années, avec p.ex. le pédibus et le vélibus pour se rendre à l’école, ou la réhabilitation de la gare pour reconnecter la ville au réseau ferroviaire. La ville investit dans de nombreux projets intergénérationnels, tels p.ex. le conseil des enfants ou les rencontres artistiques. Elle offre à ses habitants un nombre impressionnant d’infrastructures sportives pour une ville de cette taille favorisant la pratique physique à deux pas de chez soi… L’intérêt de cette ville, c’est qu’elle dispose non seulement d’une équipe municipale et d’une administration particulièrement engagée et audacieuse, mais également d’une appropriation de la chose publique par les habitants et les commerçants, qui tous ensemble participent à faire de cette ville un lieu réputé pour sa qualité de vie. Comment devenir une ville apprenante ? les premières actions mises en place En septembre 2011, le Défi Innovation SKEMA, événement annuel centré sur l’innovation, a été mené avec Angenius sur le thème de l’innovation sociétale libre et durable. En partenariat avec Loos-en-Gohelle et MouansSartoux, 850 étudiants de Skema ont pendant une semaine travaillé sur le développement de projets innovants appliqués à ces deux territoires. Au terme de ce Défi, 200 projets ont été présentés par les étudiants, 46 ont été retenus pour leur qualité, leur pertinence et leur faisabilité. Dans le prolongement de ce Défi Innovation, 12 étudiants du Mastère Spécialisé en Management Stratégique du Développement Durable (profil expérimenté) travaillent sur la mise en œuvre effective de deux projets opérationnels : l’un porte sur l’identification et la documentation des projets remarquables de Mouans-Sartoux sur base de l’apport méthodologique de Loos-enGohelle ; l’autre porte sur le Festival du Livre de Mouans-Sartoux et reprend en les hybridant plusieurs idées issues du Défi Innovation pour faire vivre le Festival tout au long de l’année et favoriser plus encore l’adhésion des habitants et d’un public plus large à ses thèmes engagés (via la mise en place d’une télévision participative et d’un espace communautaire partagé). De manière coordonnée, ces deux groupes ancrent le développement de leur projet dans la logique Movilab. Ils insistent ainsi tout particulièrement sur la compréhension et le décodage des processus sociaux qui ont permis aux projets remarquables de se diffuser, ainsi que sur la cartographie des communautés apprenantes sur lesquels les projets futurs pourront être ancrés. L’exemple de la télévision participative est ici illustratif. Plus qu’un simple « tuyau » de communication, l’essentiel réside sur l’engagement des citoyens à participer à la vie de cet outil, de se l’approprier et de co-développer son ontologie et son contenu. En ce sens, la ville s’engage vers la voie de la ville apprenante.

La méthodologie qui sera appliquée dans chaque site est la suivante :  Définition du périmètre d'incubation avec les parties prenantes : mise en contexte par une recherche historique intégrant les différents angles culturels, patrimoniaux, sociaux, géographiques, économiques et politiques ; échanges avec les acteurs du territoire, dont élus, équipes municipales ou régionales, acteurs-relais et têtes de réseaux locales, chercheurs  Inventaire des lieux aptes à devenir territoires d'intelligence (espaces publics numériques, espaces culturels, écoles, friches, maisons associatives ...) et des communautés apprenantes pouvant être associées au projet d'incubateur sociétal (acteurs relais de l'ESS et du durable, culture, acteurs du numérique, enseignants, étudiants, militants, médias locaux, professionnels-amateurs…). Cet inventaire vise à préparer la phase 2 de pollinisation en formalisant le terreau pour recevoir l'ADN des projets innovants en matière de libre et durable  Identification des projets et éléments remarquables, analyse et synthèse sous l'angle du libre et durable. Établissement d'une liste de projets porteurs à incuber permettant d’amorcer l'expérimentation de proximité. Choix et formalisation d'un ou deux objets-arts24 (événement 24 L'intelligence collective repose sur un certain nombre de principes, parmi lesquels "l'objet circulant" qui permet de motiver les

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clé, festival, grand projet relevant de l'économie de fonctionnalité ou du partage...) et identification des acteurs-relais à mobiliser dans le processus Encadré 5 : Saint-Étienne, territoire en transition Saint-Étienne est le 1er territoire en France à avoir mis en application depuis maintenant près de 6 ans le concept des TICA dans le cadre d'une collaboration réussie entre le Conseil Général, les acteurs du numérique citoyen et le monde du durable et de l'ESS (voir lettre de soutien en annexe). Métropole urbaine sortant à peine d'une ère minière et industrielle dont elle porte encore les stigmates, SaintÉtienne est en transition accélérée. Elle a ainsi entamé une "transhumance" vers les hautes technologies et le développement de services innovants. Lors de la dernière Biennale Internationale du Design en 2010, placée sous le thème des "territoires en transition à l’ère du numérique", le vice-président du Conseil Général de la Loire* Georges Ziegler insistait sur le fait que si ce territoire avait su être un des précurseurs français en matière d’infrastructures et de services numériques (dispositif Cyberloire), tout restait à faire en matière d’usages de ces infrastructures techniques. Cette volonté de rapprocher le "dur" et le "soft" explique l'origine du partenariat étroit passé entre le Conseil Général et l’association Zoomacom depuis 2006 sur le volet "usages". L'action menée combine web 2.0, usages numériques citoyens, modèles collaboratifs, proximité des acteurs, action de terrain, alternatives durables, espaces de coworking, partenariats avec les territoires, et couvre aujourd’hui autant le online que le vivant et le matériel. En 5 ans, une multitude d'acteurs d'horizons variés se sont fédérés autour d'actions collectives de proximité – associations locales, ONG, collectivités locales et régionales, entreprises et sociaux-entrepreneurs. Les sujets couverts sont aussi complexes et transversaux que : 

la gestion du fleuve Loire et des rivières affluentes (Loire Amont Vivante) – exemple d'une mobilisation collective sur plus de 25 ans qui a débouché sur l'un des partenariats entre écologistes, ONG (notamment le WWF), habitants, territoires et pouvoirs publics considéré comme l'un des plus innovants d'Europe ;

l’innovation sociale au croisement du libre et durable avec p. ex. les FabLabs, les PapyCamps, les JobCamps (cf le Comptoir Numérique, la Rotonde et le Garage)

le développement d’une monnaie complémentaire « la Patate », au seins du cluster culture et coopération réunissant des associations et des entreprises d'économie mixte cherchant à valoriser le bénévolat et l’engagement citoyen

une collaboration innovante entre des grandes écoles et les acteurs du numérique citoyen pour accueillir des étudiants de l’École des Mines, de la Cité d’art et du design, des écoles de commerce (Comptoir Numérique, WikiSchool, CowoCamp) Lancé initialement avec une poignée d’acteurs engagés issus du monde de l'économie sociale et solidaire, Zoomacom a gagné une maîtrise des usages numériques collaboratifs et citoyens par la pratique. Son action a pris de l'ampleur, débouchant sur le lancement de structures innovantes et de collaborations multiples dans et audelà du territoire ligérien. Considéré comme précurseur au sein des réseaux du libre et des espaces publics numériques, il bénéficie de subventions multiples – Département, Europe, Politique de la ville, secteur privé. Le modèle économique innovant permet d'envisager un passage à l’échelle de ces tiers lieux créatifs où le numérique permet de donner à voir, comprendre et faire. C’est cette hybridation entre libre et durable, entre Web collaboratif et action sociale de proximité, qui fait de Saint-Étienne et du réseau d'acteurs assemblés autour de Zoomacom un pilote en France en matière de TICA. * élu en charge de l'innovation et de la compétitivité du territoire 

2.3.2 Mise en œuvre du processus d’incubation Une fois ces données à disposition, nous pourrons entrer dans le processus de mise en incubation, devant créer ensuite les conditions propices à la pollinisation des idées. Ce processus sera alimenté par l'hybridation entre les projets remarquables des villes pilotes et les projets innovants identifiés au-delà de ces territoires par nos réseaux d'avant-garde (phase 2.2. préalablement décrite). L’expérience de Bedzed ou de Loos montre que la pollinisation fonctionne lorsqu’un projet attractif est développé selon un processus apprenant, c'est-à-dire : 1) le "code source" est documenté et mis à disposition – le cahier des charges initial et tout ce qui se produit par la suite est explicité et transformé en unités de savoir suffisamment explicites pour permettre l'appropriation par d'autres 2) le projet est conçu comme un démonstrateur "pour donner à voir", en ce qu'il articule la "vitrine" avec "l'atelier", dans lequel les codes sources et approches pratiques permettant collaborations au sein d'un collectif : c'est le ballon au football, la mélodie pour un groupe de jazz qui tape un bœuf... À la différence d'objets externes au groupe et préexistants, tels l'argent ou la crainte d'un attentat terroriste, l'objet-art émerge de la collaboration de tous. C'est par exemple la page sur Wikipédia. Voir http://thanh-nghiem.fr

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d'arriver à ces résultats sont explicités 3) le processus est "bordé" auprès des parties prenantes et par un dispositif scientifique robuste (cf note (B)), ce qui permet aux expérimentations d'être menées sans craindre de prendre des risques – les étapes précédentes 2.1 et 2.2 rendant le risque d'échec infime Sur base de ce modèle, le processus d’incubation visera à développer les démonstrateurs soit en capitalisant sur les projets existants mais en les insérant dans des processus apprenants comme décrit ci-dessus, soit en développant de nouveaux projets sur cette même base. La dimension clé du processus d’incubation réside dans l’interfaçage des projets avec les communautés apprenantes sur des territoires intelligents préalablement qualifiés, et sur l'hybridation entre ce qui se fait déjà ou émerge dans ce territoire et les pratiques innovantes identifiées ailleurs. Multisite, le processus d'incubation sera mené en associant de manière transversale les équipes de recherche partenaires, chacune apportant à la fois un regard sur l'expérimentation voisine, et des compétences thématiques particulières (voir note (B)). Ainsi, le Comité d'Orientation Scientifique (COS) de SKEMA/Sophia-Antipolis se focalisera sur les questions de business development, d'entrepreneuriat social et d'innovation dans l'économie de la connaissance. Celui de Loos, comme il a déjà commencé à le faire, se centrera sur les questions d'évaluation et sur celui de la création de biens communs en open source au moyen d'innovations telles que les monnaies complémentaires, un festival d'intelligence collective, les modèles de consommation collaborative. Celui de Saint-Étienne, en partenariat avec le Conseil Général de la Loire, se centrera sur le développement de pratiques numériques citoyennes et la mise en pratique ex nihilo depuis 7 ans du concept de TICA. Enfin, des scientifiques et des laboratoires éminents interviendront au niveau national, en apportant un support méthodologique de fond dès le démarrage. Citons p. ex. M. Bernasconi sur l’entrepreneuriat et l’innovation en lien avec les territoires, B. Blowczewski sur l'anthropologie du Net et la ritualisation des processus de transmission des connaissances, C. Garbay sur la Web Intelligence des régions, le laboratoire REEDS de l'Université de Saint-Quentin en Yvelines sur l'évaluation économique et environnementale et les indicateurs du développement durable, ou la Chaire management de l'Innovation qui résulte d'un partenariat entre l'X et HEC (voir lettres de soutien en annexe). Méthodes et innovation dans la société de la connaissance La méthodologie visant à structurer le processus d’incubation s’inspire ici en partie de la méthode Lean Startup (Ries, 2011), mais en la revisitant pour la rendre compatible avec l’incubation de modes de vie durables. Cette méthode développée pour accompagner la création de start-ups en incubation, invite les entrepreneurs à développer une version minimum viable de leur produit et à rapidement la tester dans le marché pour valider les hypothèses et faire évoluer l’offre. Cette approche en "do it fix it" permet de raccourcir considérablement le temps de développement des offres tout en les faisant coller aux besoins du marché, et s’oppose à une vision classique de long travail "en chambre" de formalisation d’une version élaborée d’un produit le plus souvent en déconnexion du marché et de formalisation d’un business plan dont les hypothèses sont souvent remises en cause dès leur confrontation au principe de réalité. La méthode lean startup s’articule autour de trois principes clés : 1. Compte tenu de la nécessaire frugalité des start-ups en termes de moyens humains et financiers, s’appuyer au maximum sur l’utilisation de plate-formes et de ressources open source et de logiciels libres dans le travail de développement d’un produit minimum viable 2. Appliquer au maximum des méthodologies de développement agiles et apprenantes qui réduisent considérablement le taux de déchet et qui libère la créativité dans le développement des propositions de valeur 3. Multiplier rapidement et de manière extensive les allers et retours avec le marché (en s’appuyant notamment mais non exclusivement sur les technologies 2.0.) pour favoriser un développement itératif de sa proposition de valeur et la faire évoluer dans un processus apprenant bâti autour d’une séquence « construire – mesurer – apprendre ». Ces principes trouvent une résonance particulièrement intéressante avec MoviLab, ce qui souligne l'intérêt d'adapter cette méthode business au cas de MoviLab. L’objectif est de dépasser le cadre strict de la start-up à incuber pour promouvoir de manière analogique des modes de vie durables dans un processus d’aller-retour avec les communautés apprenantes et les citoyens sur une séquence Pour plus d'informations, voir http://www.movilab.eu et http://thanh-nghiem.fr


identique et cyclique "construire/tester – documenter/mesurer – apprendre/ajuster". A cet égard, les conditions de résilience des communautés apprenantes seront étudiées, l’expérience montrant que la résilience est une condition essentielle de bon fonctionnement du processus apprenant. Nous interfacerons cette méthode avec la logique effectuale caractéristique des processus entrepreneuriaux en milieu de forte incertitude. L’effectuation est un paradigme pragmatiste du management partant du constat que le plus souvent, l’entrepreneur ne raisonne pas selon une logique causale/prédictive, mais plutôt dans une logique et dans un chaînage moyens-effets (Sarasvathy & Simon, 2000 ; Vian, 2010). Les moyens dont dispose l’entrepreneur permettent d’atteindre des effets qui deviennent ensuite de nouveaux moyens permettant d’atteindre de nouveaux effets, et ainsi de suite. Ce faisant, une réalité imprévisible à priori se construit au fur et à mesure du processus. Cette approche d'incubation transversale ancrée dans un travail in vivo permettra d'assurer un travail scientifique de qualité et d'enclencher une pollinisation des idées multisite. 2.4 Décorticage et montée en généralisation Le projet Movilab consiste en un prototypage d’incubateurs de modes de vie durables in vivo. Testé en partenariat avec les territoires pilotes d’expérimentation, ces incubateurs devraient s’inscrire dans un plan de déploiement à plus vaste échelle de telles initiatives. Ce déploiement invitant de manière élargie la participation des acteurs précités, auxquels doivent s’adjoindre des entreprises, des PME, des laboratoires, des écoles et tout autre acteur innovant, pourrait constituer les contours de nouveaux axes de développement d’une politique industrielle et territoriale. Le moteur de ces nouvelles politiques serait la mise en œuvre de conditions propices à l’émergence et au soutien de territoires intelligents couplés à des communautés apprenantes. L'impact en termes de création d'activités et d'emplois dans les bassins régionaux concernés fera l'objet d'une attention particulière. Pour pouvoir préciser ces contours nouveaux, il importe de codifier les retours d’expérience et surtout de monter en généralisation. Il est également nécessaire d’évaluer, sur base du retour d’expérience des projets incubés, l’impact sur les business models et les modèles économiques d’une approche ancrée dans le libre et durable. Quel sont l'impact et la faisabilité de modèles fondés sur le serviciel, le partage, l’open source et le do it yourself ? Comment financer de tels modèles ? Quels types de richesses ces modèles peuvent-ils créer, pour quels acteurs ? Comment peuvent-ils contribuer à dynamiser un territoire et comment s’interfacent-ils à l’économie classique ? Chaque projet incubé nous permettra d’étudier les conséquences de son introduction dans le corps social sur ses différentes dimensions (selon un processus transformant une idée/une invention en une réelle innovation, au sens de Schumpeter). De ce fait, nous chercherons à évaluer et à questionner l’impact de ces projets sur les points précités. L’objectif ici est double. De manière centralisée cette fois, le décorticage des projets incubés permettra :  La constitution d'une base de données documentée sur ces retours d'expériences, ses impacts sociétaux, ses facteurs clés de succès, ses acteurs clés, son historique et sa trajectoire, ses moyens. Cette base sera évidemment disponible en open source.  Le développement d’un modèle "apprenant" visant à structurer les différents projets en patterns permettant d’identifier des facteurs clés de succès par pattern transversaux aux projets. Ce modèle peut s’imaginer dans sa version 1.0. structuré autour d'une dizaine de modules : une première série portant sur les modes de vie durables (alimentation, mobilité, habitat, biens-services et déchets, gestion de l’eau, énergie), l'autre série portant sur le libre et le partage open source (maillage en espaces d'intelligence collective, culture, médias et outils d'intelligence collective, patrimoine naturel, monnaies). Chaque nouveau projet pourra améliorer ces patterns et distinguer des traits de classification principaux et secondaires. Au niveau des outils de décorticage, nous nous appuierons sur une méthodologie propre créée à partir de la méthodologie du business model canvas (Osterwalder et Pigneur, 2010). Dans sa forme générique, le business model canvas se fonde sur la construction d’un modèle d’affaires structuré autour d’une proposition de valeur, devant s’adresser à des segments de marché moyennant la mise en place de circuits de distribution et de modes de gestion de la relation client. L’acceptation de cette proposition de valeur par les clients constitue le socle des revenus du modèle économique. Pour rendre cette proposition de valeur disponible au marché, des activités et des ressources clés Pour plus d'informations, voir http://www.movilab.eu et http://thanh-nghiem.fr


doivent pouvoir être mobilisées par le porteur de projet (comme p. ex. des activités de planification, de production, de recherche et développement, … et appuyées par des ressources financières, humaines, technologiques, …). Généralement, un porteur de projet n’est pas capable seul de déployer l’ensemble des activités et ressources nécessaires, de sorte qu’il gagne à s’inscrire dans une démarche partenariale avec des partenaires à identifier. Tous ces éléments constituent la structure de coût du modèle, qui confronté aux structures de revenus, génèrent le modèle économique. Développée dans un contexte d’entreprise pur (notamment très utile dans un processus de création et d’incubation de nouvelles entreprises), ce modèle présente peu d’intérêt en l’état pour notre projet. Ses modalités de construction, son caractère systémique et le principe d’interaction entre ses composants sont par contre de précieux atouts pour développer un outil et une méthode de décorticage des processus d’incubation de modes de vie durables, et pour analyser le business model et le modèle économique des projets remarquables incubés dans le cadre de Movilab. En effet, la proposition de valeur devient ici les modes de vie durables à promouvoir. Les segments sont les personnes à toucher pour les inciter à adopter ces modes de vie durables, tandis que les canaux de distribution et les modalités de gestion de la "relation client" sont les TI et les CA du dispositif. La mise en mouvement de ces réseaux et territoires appellent à des ressources et des activités d’amorçage, et s’opèrent par nature dans une démarche partenariale ouverte. La notion de coût dépasse ici la seule composante financière pour évaluer p. ex. le coût en termes de temps, les besoins en termes d’amorçage. Les retours dépassent évidemment les seuls revenus financiers puisqu’ils touchent à une richesse élargie (richesse humaine, sociale, environnementale, économique, …). En ce qui concerne la dimension plus classique de formalisation des business models gravitant autour des nouveaux modèles que sont l’économie de la fonctionnalité, la consommation collaborative, l’économie du partage, les FabLabs, …, le modèle du business model canvas classique peut s’appliquer en l’état. Aspects anthropologiques et humains A ces dimensions seront couplées des approches anthropologiques, fondées notamment sur les travaux de B. Glowczewski. Dès 1983, celle-ci a en effet travaillé sur le tissage entre territoire, culture et rites. Sa recherche auprès des Aborigènes d'Australie l'a amenée à parler de tribus du rêve cybernétique à leur propos."À l'instar des empreintes qui permettent au chasseur de pister un animal en déduisant le moment de son passage et son itinéraire, les images oniriques font l'objet d'une interprétation dynamique par le rêveur et son entourage 25". Le totémisme aborigène s'ouvre ainsi sur un réseau cartographique à la fois physique et mental : virtuellement tout est interdépendant et ancré dans des lieux qui peuvent se connecter par des récits, des chants et des peintures. Cette "pensée réticulaire", qui n'est pas sans rappeler le "rhizome" de Deleuze, a permis à B. Glowczewski de devenir précurseur d'une anthropologie du Net. Avec ses hyperliens, réseaux, tags et autres couches de navigation, le fonctionnement du Web 2.0 fait écho à l'art de la mémoire et de la cartographie mentale des Aborigènes. B. Glowczewski ajoutera ainsi un éclairage anthropologique aux résultats issus des expérimentations de MoviLab, ce qui permettra également de bénéficier des avancées du projet de plate-forme collaborative libre pour la conservation du patrimoine immatériel qu'elle porté à l'UNESCO avec l'aide d'Angenius depuis 2010. Un dernier point concerne l'analyse des facteurs clés de succès, sociologiques et humains, des expérimentations menées dans le cadre de MoviLab. Notre hypothèse est qu'une clé est de pouvoir s'appuyer sur des entités apprenantes, dotées d'une capacité de résilience elle-même fondée sur l'existence d'un capital social existant. En effet, pourquoi Loos-en-Gohelle et Mouans-Sartoux ? Dans ces deux cas, ces communes offrent un terrain stable, apte à recevoir l'expérimentation. En effet, leurs maires bénéficient d'une légitimité incontestable (80% au premier tour des municipales, un historique de combats gagnés depuis des dizaines d'années), doublée d'une vision partagée des enjeux que se propose d'explorer MoviLab. En tant que précurseur, ces entités sont ainsi aptes à prendre des risques et donner à voir ce qui s'ensuit. Partant des projets incubés en 2012, nous nous efforcerons de mettre en évidence les facteurs clés de succès permettant de mener avec assurance la démarche MoviLab et de la faire passer à l'échelle. Nous porterons une attention particulière aux facteurs sociologiques et humains – éléments culturels et historiques, développement d'une vision partagée, transparence de la démarche, existence d'un capital social, importance des réseaux humains et des habitudes de collaboration ou de partage.

25 Entretien publié dans "des abeilles et des hommes", T. Nghiem, Ed. Bayard 2010

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2.5. Conclusions et impact sur les politiques territoriales et industrielles Les éléments clés du dispositif Movilab résident dans la rencontre de territoires intelligents et de communautés apprenantes résilientes pouvant porter l’incubation de modes de vie durables. Nous chercherons ainsi à alimenter les politiques territoriales et industrielles en montrant les manières les plus pertinentes pour équiper et pérenniser de tels territoires et communautés. En conclusion, les axes suivants pourront faire l'objet de mise en débat dans les sphères appropriées :  L'émergence d'un nouveau paradigme – une autre manière de produire et d'assurer une gouvernance durable des biens communs est possible  La gestion de la transition – comment amorcer le modèle, quelles sources de financement envisager pour accompagner la mutation, quel rôle pour les territoires, comment minimiser les impacts sociaux  Complémentarité dans la pratique – il nous semble important de montrer que l'économie du partage et la production de bien commun en open source complètent le système existant et peuvent cohabiter en son sein, afin d'éviter une spéculation stérile sur la prévalence de l'un ou l'autre modèle. Nous chercherons à démontrer que les premières constituent une solution de recours efficace pour faire face à la crise, notamment en territoire fragilisé, et qu'elles contribuent à accroître le capital social, notamment à l'échelle locale En guise de conclusion de cette note, l’idée en est que pour permettre un "mieux vivre ensemble sur une planète limitée", il faut26 : 1. déployer une intelligence collective, à travers l’expérimentation de solutions concrètes, donc locales, que l’on rend contagieuses par la "pollinisation des idées" 2. pour permettre l’éclosion de solutions qui fonctionnent, le territoire est un échelon incontournable – milieu de création collective, d’expérimentation et d’apprentissage, nourrissant les acteurs, il doit être infrastructuré de manière à permettre l’intelligence, au sens de la mise en lien organique, constitutive d’un écosystème libre et durable 3. cette innovation ascendante ou écosystème durable ne peut prendre forme sans des communautés apprenantes. Réciproquement, sans point d’appui territorial, les réseaux même apprenants ont du mal à s’incarner dans des solutions durables, ils restent à l’état « virtuel » ou conceptuel 4. c’est donc la rencontre entre des territoires intelligents et des communautés apprenantes qui est au cœur du changement vers un "mieux vivre autrement"

26 Ce texte a été mis en ligne en 2006 voir http://thanh-nghiem.fr/tiki-index.php?page=TICA

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Études d'ensemble sur la consommation collaborative http://www.internetactu.net/2010/09/22/la-montee-de-la-consommation-collaborative/ http://owni.fr/2011/05/29/les-fab-labs-ou-le-neo-artisanat/ http://owni.fr/2011/05/17/nouvelle-economie-partage-consommation-collaborative-p2p/ http://www.shareable.net/blog/the-rise-of-the-not-just-for-profit http://www.fastcompany.com/magazine/155/the-sharing-economy.html/ http://consocollaborative.com/ http://gigaom.com/cleantech/10-signs-web-based-sharing-is-reaching-a-tipping-point/ http://www.shareable.net/blog/libraries-become-centers-for-sharing http://www.digitalmcd.com/2011/03/11/mcd-62-leurope-des-media-labs-media-labs-in-europe/ http://www.planete-plus-intelligente.lemonde.fr/ http://www.internetactu.net/2010/07/15/fablabs-refabriquer-le-monde/ http://www.internetactu.net/2011/05/25/makers-12-faire-societe/ http://owni.fr/2011/05/18/mode-demploi-pour-demarrer-une-civilisation/#comment-60564 http://www.internetactu.net/2010/10/26/faites-le-vous-meme-mais-quoi-mais-tout/ Exemples de précurseurs documentés http://fablab.waag.org/node/1943 http://socialinnovation.ca/ http://opensourceecology.org/wiki/Marcin_Jakubowski http://openmaterials.org/2010/03/24/refarm-the-city-open-source-tools-for-urban-farmers/ http://instructablesrestaurant.com/ http://www.wannastartacommune.com/

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