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Architecture Ressentir l’espace

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Le verre au vert

Le verre au vert

La Cité—Architecture Depuis début juin, la place du Temple-Neuf est devenue une Oasis, aménagement éphémère qui doit permettre de tester de nouveaux usages. En l’occurrence, laisser la place aux gens plutôt qu’aux voitures. Une installation à la croisée de l’œuvre d’art et du mobilier urbain, conçue par Les Nouveaux voisins, aka Pierre Laurent et Nicolas Grun, architectes plasticiens strasbourgeois, qui invitent comme souvent dans leur travail à faire corps avec le lieu.

Propos recueillis par Sylvia Dubost Photo Thomas Lang

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Ressentir l’espace

Oasis, tout l’été place du Temple Neuf lesnouveauxvoisins.fr

* Amplitude est une structure en métal composée de quatre volées de marches disposées en losange, qui descendent et ressortent de l’eau et permet d’éprouver physiquement sa hauteur et son mouvement.

Pourquoi Les Nouveaux Voisins ?

Architectes de formation, on conçoit et construit aussi pour des clients qui sont toujours les nouveaux voisins de quelqu’un. Choisir ce nom permet de parler de l’humain, plus que de la construction. L’architecture est importante car elle porte quelque chose de social.

Comment avez-vous pensé le projet Oasis ? C’est une place qu’on connaît bien, on est conscient de son potentiel. Ce projet fait le lien entre la qualité architecturale des façades et les cinq platanes qui font de l’ombre, entre la construction et la nature. Il s’enroule autour de deux troncs avec des dossiers inclinés où l’on peut se poser. Dans cette position un peu « chill », le regard se projette vers le haut de l’arbre, ou du bâtiment. Cela permet de regarder le Temple Neuf d’une autre manière. Cette proposition répond à un programme : tester des usages éphémères, et accueillir des publics divers et plurigénérationnels. C’est aussi un geste artistique : on n’est pas que dans du mobilier urbain. La forme évoque les dunes – c’était d’ailleurs le premier nom du projet –, fait référence aux bancs de Gaudí à Barcelone. Ce qu’on voit aujourd’hui c’est ce qu’on avait imaginé. On n’avait pas osé mettre autant de personnes sur les images 3D. Honnêtement, ça fait plaisir !

Comment abordez-vous une installation comme celle-là ? Quelle est la première étape ?

C’est toujours le contexte : qui fait la demande, d’où vient le projet, est-ce une intervention pérenne ou ponctuelle ? Le lieu donne l’impulsion. Le fil conducteur de nos installations, c’est le rapport à l’espace. C’est l’expérimentation physique de l’œuvre par le spectateur qui lui donne du sens. Peu de nos installations ne provoquent pas de sensations physiques. À La Teste de Buch [Gironde, ndlr], où les blockhaus sont noyés, on avait proposé un exosquelette qui reproduisait l’espace intérieur d’un bunker, pour que le visiteur puisse se rendre compte de cette architecture de torture. Dans la ville de Duclair [Seine-Maritime, ndlr], on a réalisé une œuvre pérenne immergée dans la Seine pour rendre tangibles les risques d’inondation et rendre visibles les 4 à 5 m d’amplitude quotidienne du fleuve*. C’est un élément d’architecture dessiné à la mesure du corps, où la hauteur des marches permet d’appréhender facilement celle de l’eau. Le point le plus haut est à la hauteur projetée du niveau de la Seine dans 100 ans si rien n’est fait…

Comment en êtes-vous arrivés là ? Qu’est-ce qui a déclenché cette envie ?

Cela a démarré à l’École d’architecture de Strasbourg, où nous avons tous les deux étudié. Tous les projets bizarres qu’on nous proposait, on les faisait. Les écoles ont cette qualité de nous ouvrir les chakras. Lors d’un voyage d’études à Berlin, on a pu visiter le musée juif de Daniel Libeskind, vide : on a saisi la symbiose de l’art et de l’architecture, que chaque geste a une pensée. L’architecture est capable de plus que d’abriter : de donner des sensations et des émotions. Entre programmes, réglementations, problèmes techniques et financiers, ce n’est pas toujours facile d’arriver à cela… Un projet comme Oasis nous permet de nous concentrer sur l’essentiel, sur ce qu’on veut procurer. L’éphémère est plus libre.

Vous faisiez partie de 3RS, un des premiers collectifs d’architectes. Une manière de voir et de faire l’architecture qui a fait florès…

L’idée était de sortir de la théorie et d’essayer de faire des trucs nous-mêmes, beaucoup sur des bases d’échafaudages. On a ainsi réalisé un hôtel éphémère aux Trinitaires à Metz, un forum pour Les Nuits blanches… L’architecture transitoire rend possible des choses qui ne le seraient pas autrement. Et c’était une aventure humaine incroyable. Cela nous a appris une liberté d’esprit, la possibilité de sortir des sentiers battus. Et que quand on s’entoure des bonnes personnes, on peut tout faire.

Comment ces démarches ont-elles fécondé la façon de penser et de faire l’architecture aujourd’hui ?

Ça reste à la marge, mais dans les grands appels à projet on demande maintenant des occupations transitoires. Ça s’institutionnalise. Il y a même un cursus dans une école d’architecture pour monter son collectif. En tout cas cela a changé la vision du métier par les jeunes générations, leur a montré qu’on peut aller vers une architecture plus sociale, moins invasive, plus pérenne. On n’est plus vu comme les mains du système.

Y a-t-il des espaces à Strasbourg sur lesquels vous aimeriez intervenir ?

Partout, nous on est des gourmands. Tout nous intéresse ! Notamment la promenade basse des quais, où il n’y a pas d’endroit où se poser, pas de rapport à l’eau. Là, il y a un vrai potentiel.

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