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Chassé-croisé sur le Rhin
À Gambsheim, on visite l’une des plus grandes passes à poissons d’Europe. C’est aussi l’une des rares ouvertes au public. Ce printemps, peut-être aurez-vous la chance de tomber nez à nez avec un saumon du Rhin…
Et si le saumon ne pointe pas le bout de son nez le jour de votre visite, il y a quand même de bonnes chances d’observer des espèces plus locales : ombres, brèmes, barbeaux, brochets, ablettes ou les très nombreuses anguilles qui composent le gros des troupes comptabilisées ici chaque année. Les enfants en mal de patience peuvent aussi nourrir et caresser des petites carpes koï, moins locales mais moins farouches que les espèces du Rhin.
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Ici, le Rhin se déploie en trois bras qui permettent le franchissement d’une écluse, du barrage hydroélectrique et de la passe à poissons. Cette installation offre aux curieux, aux pêcheurs et aux spécialistes de l’environnement une occasion rare d’observer, à travers une large baie vitrée, les déplacements et les migrations d’une trentaine d’espèces du Rhin. Ce matin de fin février, nous avons surtout observé l’incroyable bouillonnement du fleuve, car c’est encore un peu tôt dans la saison pour les poissons. « On peut voir passer le saumon, notre porte-étendard, mais aussi des truites de mer, des anguilles, des lamproies marines, des grandes aloses, les cinq grands migrateurs du Rhin », explique Léa Langlois, chargée de mission de l’association Passage 309, qui gère la passe à poissons. Dans cet espace, seul ou avec l’audioguide, on apprend plein d’aspects méconnus de la vie des poissons. Qui sait aujourd’hui que le Rhin a longtemps été l’un des plus grands fleuves à saumons d’Europe, mais que sa canalisation, ses barrages et l’activité humaine ont peu à peu fait disparaître l’espèce ? Après la catastrophe Sandoz à Bâle en 1986, le programme « Saumon 2000 » lance sa réimplantation. En 1994, les premières frayères (lieux de reproduction) sont observées sur le Rhin inférieur et en 1995, un saumon remonte le Rhin jusqu’à Iffezheim. À force de résultats prometteurs, un nouveau programme « Rhin 2020 » est adopté en 2001 pour le retour des saumons par milliers dans le Rhin.
Retour en terrain connu
« Les saumons qu’on observe au printemps – surtout en avril/mai – reviennent là où ils sont nés, après avoir passé généralement trois ans dans les régions proches du Groenland, de l’Irlande et dans la mer du Nord », explique Jean-Franck Lacerenza, hydrobiologiste et directeur de l’association Saumon Rhin. « Comme ils ont près de mille kilomètres à faire à contre-courant dans le Rhin, ils s’engraissent en mer pour emmagasiner l’énergie et venir se reproduire dans les affluents du Rhin, comme la Bruche ou la Fecht… Ces derniers jours, nous avons piégé des saumons de cinq ans, qui ont passé un à deux ans en rivière et trois ans en océan. Ils mesurent plus de 85 cm pour un poids proche de 10 kg », un signe très positif du retour de l’espèce, après deux années moins favorables.
L’exposition de la passe à poissons aide à comprendre l’utilité de cette construction et son fonctionnement. Une entrée de chaque côté du fleuve – eh oui, les poissons ne lisent pas les panneaux de direction – et un gros débit d’attrait de 15 m 3 les incitent à se faufiler par là. Ils sont alors guidés dans une quarantaine de bassins successifs jusqu’à la fente (notre poste d’observation) qui leur permettra de franchir les 11 mètres de dénivelé de l’obstacle. Certains mettent une heure à passer, d’autres trois jours. Il y en a même qui s’amusent même à faire des allers-retours dans cette attraction à sensations. C’est à ce niveau qu’ils sont comptés et parfois capturés par l’association Saumon Rhin pour le besoin de ses études.
Réapprendre à connaître son environnement Les efforts et les politiques menés dans le Rhin depuis plus de 60 ans par l’ensemble des acteurs du fleuve paient, mais c’est un travail de longue haleine. « Quand on sait que 7 500 œufs ne produisent que quatre adultes, dont deux seulement reviendront se reproduire dans le Rhin, on mesure le nombre de générations de poissons nécessaires pour constater des résultats significatifs », explique Jean-Franck Lacerenza. Parallèlement à l’introduction d’alevins, l’équipe mène des travaux génétiques pour développer une souche naturelle rhénane et elle suit attentivement ces populations de migrateurs. « Nous avons obtenu le retour d’une centaine de saumons par an dans différents cours d’eau, nous constatons des reproductions naturelles, il reste maintenant à restaurer durablement la qualité des habitats et la dynamique du Rhin pour jouer sur tous les pans de la biodiversité. » C’est l’un des objectifs du programme « Rhin Vivant » adopté en 2020. Les passes à poissons font partie de cet écosystème, car elles rendent possible l’accès aux affluents du Rhin. « L’idéal serait d’équiper tous les barrages, pour que les poissons puissent passer d’un milieu à l’autre, plutôt que de rester enclavés entre deux barrages », plaide Léa Langlois. Mais c’est aussi à nous, curieux de passage et des bords de l’eau, de jouer les sentinelles, de réapprendre à connaître nos milieux naturels et d’adopter des écogestes capables de préserver la qualité de l’eau et la biodiversité. « Quand on sait qu’un mégot de cigarette jeté au sol pollue 500 litres d’eau ou qu’un berlingot d’eau de Javel peut tuer toute la population de poissons d’une rivière sur plusieurs kilomètres, alerte Jean-Franck Lacerenza, il est urgent de réapprendre à vivre en harmonie avec nos cours d’eau ! »
PASSAGE309.EU