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Un apéro avec Lola Quivoron.

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La Culture Cinéma Réalisatrice du film Rodeo salué au dernier Festival de Cannes, pourfendeuse des étiquettes et amatrice… de l’au-delà du réel. Par Cécile Becker / Photo Christophe Urbain

Elle a bu : une Meteor Pils

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La journaliste a bu : un Picon « sans »

Qui a réglé la note : les cinémas Star

Propos recueillis à La Chope le 24 août, dans le cadre de l’avant-première de Rodeo aux cinémas Star. Pourquoi tu fais des films ? Pour créer du lien avec l’autre, pour construire et greffer des choses sur le réel, pour être dans une forme de réciprocité. À l’heure où la société divise, où la pensée devient de plus en plus binaire et se construit dans la fracture, le cinéma, à travers l’émotion qui est universelle, réussit à produire des familles. Le film est une expérience collective.

As-tu la sensation de créer des familles

quand tu fais des films ? Je dirais même plus, tu crées des micro-sociétés. Quand tu es réalisatrice, tu as la chance de pouvoir inventer des dispositifs et c’est important de créer un dispositif qui soit à l’image de tes opinions et de ton inscription dans la société. Je n’aime pas parler de direction d’acteur, c’est problématique : tu diriges une banque ou une boutique mais ce n’est pas un terme artistique. C’est un terme de dominant, de prédation et qui renvoie au capitalisme. Je veille à ce que l’esprit du collectif soit présent et à ce que l’énergie circule. Je suis très mal à l’aise quand le pouvoir est trop concentré.

Qu’est-ce que tu regardes le plus chez les

gens ? Je crois que c’est les yeux. Parce que dans les yeux tu vois beaucoup de choses. L’instinct premier de la rencontre c’est ça : la vérité, l’âme ; c’est hyper important. Et souvent, ça me met sur la piste du gros plan, mon langage et ce qui m’intéresse le plus. Le gros plan, c’est le regard emphatique. Le naturalisme ne m’intéresse pas, mais le cinéma est là pour amplifier, pour créer des épiphanies, de l’intensité, de l’épique, de la mythologie.

Il y a un regard amoureux sur le garage

dans ton film… J’adore les garages.

Pourquoi ? J’aime bien les voitures accidentées. La première histoire que j’ai entendue en boucle, c’est celle de l’accident de ma grandmère, opérée plus de sept fois. Elle me racontait l’accident sous toutes ses coutures, à travers ses cicatrices qui avaient chacune un nom. J’adorais quand elle me racontait ça. Elle a un corps rafistolé, cabossé que j’ai toujours trouvé super beau, que je prenais en photo.

Tu aurais fait quoi si tu n’avais pas été

réalisatrice ? J’ai honte de le dire mais j’aurais été bouchère – en plus, je suis en train de devenir végétarienne. C’est l’idée de découper de la viande, ça a un rapport avec le montage, j’aime bien la technicité du geste, j’aime bien comprendre. J’adore découper des filets, du poulet, tout ça… C’est un peu bizarre. [Rires]

Tu parles de domination, comment tu t’es

déconstruite ? J’ai commencé à écrire Rodeo en 2016 à la sortie de la Fémis. Plus je construisais le film et plus je me déconstruisais. C’est un truc d’expérience sociale le fait d’être une femme, réalisatrice, gouine, d’être tout le temps confrontée au regard masculin... Ce qui m’a déconstruite, ce sont les lectures. Paul B. Preciado m’a fait le plus de bien au moment où j’ai commencé à écrire le personnage de Julia. Ça vient certainement aussi du fait que je suis non-binaire : je suis entre les normes du masculin et du féminin, j’oscille, ce que je donne à voir n’est pas vraiment moi. Au début ça me faisait beaucoup souffrir… et puis ce personnage que je n’arrivais pas à caractériser : un garçon ? Une fille ? Ce qui m’a débloquée c’est Un appartement sur Uranus [de Paul B. Preciado, donc, NDLR], Elsa Dorlin et pas mal de podcasts, notamment Les Couilles sur la table avec Virginie Despentes qui parle de violence féminine. Et puis des lectures décoloniales, un livre génial que j’ai découvert cet été, Rester barbare de Louisa Yousfi…

Et tu retrouves ça côté films ? Les films de Samuel Fuller que je trouve vraiment complexes sur les personnages. Le film de Ridley Scott, Thelma et Louise, un vrai film sur le regard.

Tu te considères comme affranchie ? Le problème c’est qu’on est tellement dans des rapports de domination que le seul moyen que tu peux trouver pour résister, c’est de faire un pas vers la violence. La violence est coûteuse, elle est aliénante mais elle peut être ludique, par exemple… comme les pirates. Le problème c’est qu’on vit en communauté… Mon rêve, c’est un peu de m’abstraire du monde. La société est violente et la violence est un outil de travail.

Tu arrives à être violente ? Seulement si je me défends. Et j’ai beaucoup appris pour ne pas prendre ce chemin-là. Quand je dis que c’est coûteux, par exemple, tu subis une agression, tu te défends et après tu es hantée par ta propre violence : pourquoi je ne suis pas allée plus loin ? Pourquoi j’ai pas fait ça ? Comme un fantôme. Aujourd’hui, je ne m’allume plus au simple regard de travers dans le métro, j’aborde le truc avec le rire, mais c’est dur… franchement. Faut être intelligent, mais c’est dur d’être intelligent dans une société bête, même si c’est binaire de dire ça. C’est dur de s’élever dans une société qui nous rapetisse sans cesse. On nous fait croire qu’on peut s’élever individuellement mais c’est collectivement qu’il faut s’élever…

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