MEMOIRES D'UN VIEUX CHASSEUR

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Ernest Varaigne ** 105

Céation de notre amie Marie-Josée Torre de Bravura

Mémoires d'un vieux chasseur CAMPAGNE DE CRIMEE Témoignage Nice - Juillet 1992


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LES GUERRES DU XXe SIÈCLE À TRAVERS LES TÉMOIGNAGES ORAUX ** Collection Michel El Baze réalisée dans le cadre de l’Association Nationale des Croix de Guerre et des Croix de la Valeur Militaire 2 Place Grimaldi - 06000 Tél. 0493878677

Récits de vie des Anciens Combattants, Résistants, Internés, Déportés, Prisonniers

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Ministère des Anciens Combattants - Délégation à la Mémoire et à l’Information Historique - Paris. Sénat de la République - Département de la Recherche Historique de la Bibliothèque Paris. Department of Defense - Department of the Army - Federal Center of Military History Washington - U.S.A. Imperial War Museum - Departement of Documents - London - Great Britain. Bundesarchiv-Militärarchiv - Freiburg im Breisgau - Deutschland. Hôtel National des Invalides - Musée de l'Armée - Paris. Conseil Général des Alpes Maritimes - Cabinet du Président. Direction des Archives Départementales des Alpes Maritimes. Université de Nice-Sophia Antipolis - Centre de la Méditerranée Moderne et Contemporaine. Ville de Nice - Bibliothèque Municipale. Ville de Nice - Cabinet du Maire-Adjoint aux Anciens Combattants. Musée de la Résistance Azuréenne. Le Témoin.


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Analyse du témoignage

105 - Capitaine VARAIGNE Ernest -: MEMOIRES D’UN VIEUX CHASSEUR GUERRE DE CRIMEE Écriture : 1913 - Édition Juil 1992- 60 Pages AVANT PROPOS DU TÉMOIN Je dois remonter aux années de l'enfance et rechercher les raisons qui ont pu me décider à embrasser une carrière pour laquelle je n'avais ni aptitudes, ni vocation bien déterminées. Je ne me rappelle pas dans quel auteur j'ai lu : Félix qui potuit rerum cognoscere causas ! Heureux celui qui arrive à se rendre compte des causes des événements ! Cette connaissance ne peut m'être personnellement d'aucune utilité en présence de faits accomplis et, qu'en raison de mon âge, je ne puis voir se renouveler. Ma carrière militaire a été assez bornée; je n'ai pas dépassé le grade de chef de bataillon; aurais-je mieux réussi ailleurs ?- en tous cas je serais bien ingrat si je ne rendais grâce à la Providence qui m'a octroyé de précieuses compensations, en me réservant une union des plus heureuses et les grandes satisfactions que m'ont procurées mes enfants.

I have to ascend to years of the childhood and to research reasons that have been able to decide me to kiss a career in order that I had not neither aptitudes, neither well determined vocation. I do not remind in what author I have read: Félix qui potuit rerum cognoscere causas ! Happy who arrives to render account causes of events ! This knowledge can not me be personally no usefulness in the presence facts accomplish and, that by reason of my age, I then to see to renew.


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My military career has been enough staked I have not exceeded the rank of battalion chief would have - I better succeeded elsewhere ? - In all cases I would be well ungrateful if I rendered thanks to the Providence that has not granted me precious compensations, in reserving me a union of the happiest and the great satisfactions that have me obtained my children.


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POSTFACE DU GÉNÉRAL YVES CHEVALIER DE LAUZIÈRES Président honoraire de l’Association Nationale des Croix de Guerre et de la Valeur Militaire L'expédition de Crimée (1854-1855) est bien peu - en tout cas, bien mal- connue de nos compatriotes dont un bien petit nombre seulement “savent” * que ce fut une des toutes premières fois que, après des siècles de conflits les Anglais et les Français furent alliés dans une guerre et qu'ils combattaient alors aux côtés des Turcs. * que cette guerre se situait sous le règne de Napoléon III. * qu'elle fut illustrée par les noms de l'Alma (fleuve), de Sébastopol (ville assiégée par les alliés pendant 349 jours), de Malakoff (bastion), de Balaklava (ville), de Inkermann (pont). Et combien sont capables de citer d'autres noms de chefs militaires notamment ou d'apporter d'autres précisions sur telle ou telle phase de cette campagne ? Il est donc intéressant d'en apprendre davantage et, alors la vie du Soldat est riche d'enseignements. Ici, ce sont les souvenirs de l'un des combattants de cette campagne, - Ernest Varaigne, (1823-1916) - qui nous ont été confiés par deux de ses petites-filles. Ces mémoires sont ceux d'un homme issu d'une famille profondément ancrée en terre de France (Meuse) qui nous raconte, avec la simplicité toute naturelle des générations de ce siècle, des événements et des choses aussi banales que les satisfactions et les désillusions quotidiennes (si fortes soient-elles), les joies et les peines de chaque à-coup de la vie, les souffrances - voire la mort - de ceux qui sont confrontés aux épreuves de leur temps. Ce qui frappe, ici notamment c'est l'absence de doute et la certitude que les valeurs enseignées sont - et restent - en toutes circonstances le guide, le moteur et le rempart des actions de l'homme façonné par une éducation qui, alors, était l'apanage de la multitude... The expedition of Crimea (1854-1855) is well little - in any case, well badly - known of our compatriots whose a well small number only know * that this was one of the all time firsts that, after centuries conflicts English and French were allied in a war and that they combatted then to sides of Turkishs. * that this war situated under the reign of Napoléon III. * that it was illustrated by names of the Alma (river), Sébastopol (city besieged by allies during 349 days), Malakoff (bastion), Balaklava (city), Inkermann (bridge).


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And how much are capable to quote others military chief names notably or to bring others precisions on such or such phase of this countryside ? It is therefore interesting in to learn more and, then the life of the Soldier is rich of enseignements. Here, this are souvenirs of one of combatants of this campaign, - Ernest Varaigne, (1823-1916) - that us have been confided by two of his girls. These memories are these a stemming man of a family deeply anchored in earth of France (Meuse) that tells us, with the simplicity natural all of generations of this century, events and things as banal as satisfactions and daily disillusion (so strong are-they), joys and sorrows of each to-knock of the life, sufferings - perhaps the death - of these that are confronted with tests of their time. What knocks, here notably it is the absence of doubt and the certainty that taught values are - and remained - in all circumstances guides him, the engine and the rampart of actions of the man fashioned by an education that, then, was the privilege of the multitude...


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Index Affre 36 Afrique 27; 31; 47 Alexandre Colonel 15 Algérie 27 Alma 33; 34; 35 Ancemont 7; 8; 9; 14; 22 Angers 27 Angleterre 31 Anselme Colonel 47 Antonio 30 Astaix 42; 43 Athènes 31 Avesnes 19; 21 Azof 41

Baïdar 35; 41; 46 Balaklava 35 Baldaca Sergent 20 Baldacci Sergent 17 Baltchick 33 Barral commandant 33; 34 Bartaumieux Charles 24; 25 Baudière 37 Bazancourt Baron de 30; 32; 33; 34 Bazeilles 37 Belteck 33 Berthollet 35 Besnard 44 Besnard Lieutenant 43 Beuret Colonel 27; 28 Bigorgne 9 Boismouchy 18 Bordeaux 38 Bosquet Général 33; 34; 36 Bouchain 18; 21 Bourg 25; 26 Boussardon 9 Bouvelet Amédée 34 Brancion 42 Brandoly Capitaine 15; 16 Breton Général 31; 45; 46 Brisset Lieutenant 19 Bugeaud Sous-Lieutenant 47

Calot Sergent 23 Canrobert Général 31; 35; 40 Carbuccia 32 Carrier 18 Carrier Capitaine 18 Chanaan 33 Chenu Capitaine 44 Chevaliers de Malte 30 Cita-Vecchia 29; 30 Clausse 7

Clocheton 45 Cluzel Capitaine 46 Collin le juge de paix 12 Colson abbé 9 Colson commandant 44; 47 Condamine 45 Constantinople 31; 38 Cornaton 25 Coudeyras sergent-major 17 Couvelet Madame 34 Crimée 32; 36; 39; 40; 44

D'Ambly 11 d'Aurelles de Paladine Général 28; 29 d'Autemarre Général 46; 47 d'Wissel 14 Dautun adjudant-major 38 Davoust Ferdinand 27 Davoust Léopold sous-Lieutenant 26 Davoust Maréchal 27 Decaen Général 41; 46 Delessart 22 De Neuville peintre37 de Bainville Capitaine 43 de Benoist Madame 25 de Caro 39 de Fisson Isabelle 39 de la Boussinière commandant 34 de la Cour Charles 14 de Lourme Général 37 de Préfontaine 12 de St Arnaud Maréchal 34 de Versterveller 25 Dieue 9 Dobroudja 32 Doineau 26 Dormoy Capitaine 44; 46 Dreyfus 19 Dubas Ernest 21 Duc D'Auerstaedt 27 Duc d'Eckmühl 27 Duc de Nemours 21 Dufay Capitaine 36; 40; 44 Dugny 7; 12; 22; 25

Epire 31 Eugénie Impératrice 39 Fiève Capitaine 34 Fontainebleau 13 Forey Général 30; 31; 36 Fraigier 12

Gabriel 39


MEMOIRES D’UN VIEUX CHASSEUR Gaillard Sous-Lieutenant 40 Gallipoli 31 Gauthier Lieutenant 32 Genève 26 Génin, député de la Meuse 11; 15; 23 Génion 23 Ghersonèse 35 Gibert Sergent 36 Grémillet 43; 44 Grémillet Capitaine 39; 44 Gruignard 32 Guégain Lieutenant 35; 42; 43 Guégaire Lieutenant 37 Guerby Sous-Lieutenant 32 Guéry Sous-Lieutenant 22; 32; 36 Guignard Lieutenant 32 Guisolphe 31; 36

Herbert Capitaine 43 Hutin 11

Iénikalé 41 Issoudun 17 Italie 27

Jacquot fourrier 15; 18 Jourdan 38

Kalchka 33 Kamiesch 36; 38; 39; 41; 42; 48 Kertch 41; 42

Labérard 25 Lacronique Médecin Major 42 Lahayresse côte 9 Laine tambour 20 Lainé 15 Lamairess Capitaine 22 Lambert Sous-Lieutenant 37 Lancastre Batterie 42 Landrecies 21 Lavalette cité 29 Lazaret 31 La Seyne 28; 29 Leblanc docteur 9 Lebrun abbé 11 Leininger Mademoiselle 20 Le Quesnoy 21 Lombardeau Capitaine 21 Londres 26 Lord Raglan 40 Lyon 19; 25; 26; 27; 28; 41 Mac Mahon 45 Mâcon 25 Madin Frédéric 25 Maison Carrée 28 Malakoff 42; 43; 45

Malte 29; 30 Marande Melles de 18 Marchand Général Auger 27 Marly 21 Marseille 15 Mathieu de Fossey Capitaine 29 Maubeuge 21 Mayer Père 11 Medjidié 36 Medj 39 Menschikoff Prince 34; 35 Mer Noire 38 Meuse 22 Montargis 34 Monthairon-le-Petit 9 Morel Capitaine 42 Morlot sergent-major 22 Moselle 21

Nancy 22; 23; 44 Narat 25 Ney d’Elchingen 32 Nicolas Empereur 34 Nicolas-Nicolas Lieut Colonel, baron 43 Nîmes 19; 28; 32; 39 Noisy 25

Obozenki 22 Old Fort 33 Orient 28; 29; 30 Ostensacken Général 41 Othon roi 31

Parabère abbé 35 Paris 19; 21; 23; 24; 25; 26; 35; 40; 46 Paris Lieutenant 35 Pasq 13 Pasquin docteur 25 Patry 25; 26 Pélissier Général 40; 42 Pentecôte de Reneville S.Lieutenant 29 Péronne 23; 24; 25 Perse 38 Pescheux Sergent 45 Petitcher 21 Phore 46 Pirée 30; 31 Poidevin Sous-Lieutenant 34 Pontalier 25

Richier docteur 12 Rizet 38 Rollin Collège 24 Roux Capitaine 43 Russes 34

Sailly 21 Sardine Sergent major 15


MEMOIRES D’UN VIEUX CHASSEUR Schah 38 Sébastopol 21; 34; 35; 36; 39; 40; 41; 45 Sedan 15 Souilly 11 Sousselier Lieutenant 44 Stenay 39 Streleska 36 St Arnaud 40 St Cyr 10; 11; 21; 27; 37 St Géry 15 St Michel 22 St Thomas 24 St Vincent de Paul 38

Toulon 28; 29; 38; 39 Tour Magne 28

Tchernaïa 35 Teulé moulin de 46; 47 Teyssonière fourrier 18 Thâlon (Marne) 22 Thesssalie 31 Thiaucourt 22 Tholozan docteur 38 Tilhay Tilhay 11 Todtleben 41

Walter Ange Gal baron 13 Waly 10 Watcher Capitaine 47

Valenciennes 12; 15; 18; 21 Varennes 12 Varin Receveur des Finances 12 Varna 32 Verdun 8; 9; 10; 12; 15; 19; 22; 38; 39 Victor de Benoist baron 10 Villalon 39 Vincennes 17 Vincent Capitaine 44 Voronzof Prince 46

Yusuf Général 31 Zambeaux 22


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Table Avant propos ....................................................................1 Ma jeunesse - 1823/1842

....................................................7

Mes premières études de Latin...........................7 Collège de Verdun ...........................................8 Une de mes rares actions louables ......................8 Petit séminaire de Verdun .................................8 Mes vacances à Ancemont ................................9 Grave accident qui faillit me coûter la vie...........9 L'abbé Colson, son bréviaire, sa bibliothèque et sa cave ........................................................9 2ème et 3ème années de séminaire et ma rentrée à la maison ....................................10 L'Instituteur de Souilly....................................11 Je rentre à la maison et je regrette d'avoir abandonné mes études ..........................11 Je suis délégué pour gérer une perception ..........12 Le Maire de Dugny et son entourage.................13 Ma carrière militaire - 1843 - /1842

...............................15

Ma mise en route pour le Régiment ..................15 L'habillement du Fantassin ..............................16 Je paie ma bienvenue à la Chambrée.................16 Une aventure .................................................16 Où j'aurais pu être malmené par un charretier.............................................16 Mon instruction militaire.................................17 L'Ecole Régimentaire .....................................17 Mon Cousin, Capitaine au 39ème .....................18 Ma promotion au grade de Caporal...................18 Je suis nommé Caporal Fourrier .......................18 La Femme du Capitaine et leurs Filles ..............19 Deux ans et six mois passés dans l'emploi de Fourrier.................................20 Nomination de Sergent Major ..........................22 J'entre d'urgence à l'hôpital ..............................22 J'abandonne les galons de Sergent Major pour prendre les fonctions de ...........................23 Sergent, 1er Secrétaire du trésorier ...................23 Je suis nommé Sous-Lieutenant .......................24


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La garnison de Paris .......................................24 Nomination à l'emploi d'Adjoint au Trésorier.....25 Garnison de Bourg .........................................25 Garnison de Lyon - Mon camarade Davoust - Le Manège Mari..............................26 Garnison de Nîmes - Je suis nommé Lieutenant .............................28 Départ pour la Campagne d'Orient....................28 Campagne de Crimée

- 1854 - 1855................................29

Expédition de Kertch.......................................41 Assaut final....................................................44


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Ernest Varaigne Mémoires d'un vieux chasseur Mons en Baroeul, le 17 Juillet 1911 1823 - 1916

L a mé m o i r e

L a mé m o i r e : se u l ba g a g e i n c e s s i b l e Jacques ATTALI


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Ma jeunesse 1823 / 1842

Mes premières études de Latin Lorsque je suis rentré chez mes Parents à Dugny, en quittant la maison du grand père maternel où s'étaient passées mes premières années, je n'avais presque rien appris en fait de latin, chez le curé d'Ancermont. Très jeune encore je n'avais pas été au-delà des premières déclinaisons. En octobre 183O, à l'âge de 7 ans, 4 mois 1/2, j'ai commencé à suivre, comme externe, les classes d'un modeste établissement du village tenu par Mr Nicolas, successeur de Mr Clausse, ce dernier avait quitté l'enseignement pour se lancer dans des entreprises de travaux de chemins de fer; il y fit fortune, et quelques années plus tard, c'était un riche banquier de Nancy. Mr Nicolas était garçon et Mme Clausse, restée au pensionnat pendant les premières années qui suivirent le départ de son mari avait conservé la direction de la partie matérielle: nourriture du personnel et de quelques pensionnaires, chauffage, éclairage, entretien du linge etc...Son fils Jules, de 4 à 5 ans plus âgé que moi y continuait ses études. Les maîtres suffisamment instruits pour enseigner les premiers éléments de la langue latine, s'occupaient sérieusement de leurs élèves. Je me rappelle que, dans le cours d'une récréation, poursuivi par un élève sans intention hostile de sa part, j'allai dans une course précipitée, donner de la tête contre l'angle d'une muraille; je pouvais me tuer mais il paraît que la tête était plus dure que la pierre! J'avais une passion malheureuse pour le jeu de billes; les camarades, plus adroits que moi me gagnaient souvent, quand je n'avais plus de billes et pas de sous pour en acheter, ils m'en cédaient en échange de noix ou de pruneaux emportés pour le déjeuner ou le goûter. L'établissement était situé à une extrémité du village, la maison paternelle à l'extrémité opposée; entre les deux se trouvait l'école communale des garçons; j'y déposais, en passant mon petit frère Charles, âgé de 5 ans; je lui demandais quelquefois de me venir en aide pour me procurer des billes, à la condition de le faire participer à mes bénéfices; la société n'a jamais prospéré! Ce bon Charles, renvoyé de l'école un matin, avant l'heure du déjeuner, pour cause de congé imprévu, rentrait à la maison avec son pain, mais sans les noix abandonnées pour la


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commandite; il dut avouer la vérité, la société fut dissoute, le principal associé reçut une réprimande, mais sans punition, probablement en considération de ce que la gourmandise n'était pour rien dans l'affaire. Je suis resté 2 ans dans l'établissement Nicolas!

Collège de Verdun Au mois d'octobre 1832 j'étais admis dans la classe de sixième, professée par mon Grand Père paternel, au collège de Verdun. Ma bonne tante Eléonore, restée fille, tenait le ménage de son père qui était veuf et je logeais chez eux. Bon Papa me donnait des répétitions, je n'allais au collège que pour les classes, de 8 à 1O et de 2 à 4 . Je remportai la Ier Prix d'Excellence mais je n'ai eu que des accessits dans les diverses matières, où je crois que je n'obtins même pas un 2ème prix. Or les compositions du cours de l'année qui m'avaient valu celui d'excellence étaient jugées par le professeur de la classe seul, tandis que celles de fin d'année pour les prix de version, thème etc.... étaient soumises à une commission. Comme je n'arrivais que troisième pour ces dernières, on pouvait mettre en doute l'impartialité de mon aïeul qui m'avait si souvent classé premier. Je ne suis pas éloigné de supposer que ce résultat a pu ne pas être étranger à la décision qui fut prise de me retirer du collège.

Une de mes rares actions louables j'ai trop peu de bonnes actions à enregistrer pour me dispenser de citer un fait qui prouve que je n'étais pas incapable d'un bon mouvement. Dans le cours de cette année de collège, le bon papa d'Ancemont, étant venu un jour à Verdun, m'emmena en ville avec lui et me demanda combien de fois j'avais été premier; je pus, sans exagérer, répondre par le chiffe 1O, il me donna une pièce de 1OO sous, disant qu'il m'avait promis 5O centimes pour chaque place de premier; je me précipitai dans la boutique d'un épicier; ayant dépensé 85 centimes en achat de billes et de sucre d'orge, sachant que le Grand-Père n'était pas riche, je lui remis ce qui restait de la pièce; il refusait de reprendre ce qu'il avait si généreusement donné; mais il fut obligé de se rendre à mes instances.

Petit séminaire de Verdun Tante Henriette, une soeur de ma mère, avait épousé un capitaine de dragons; mon cousin Alfred, leur fils, de 4 ans plus âgé que moi, était élevé dans un établissement religieux.


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Sa mère, d'une extrême dévotion, n'admettait pas que l'on confiât l'éducation des enfants à d'autres maîtres que les ecclésiastiques: elle persuada mes Parents de me faire entrer au petit séminaire de Verdun. Au mois d'octobre 1833, j'y fus admis dans la classe de cinquième; j'étais de beaucoup le plus jeune de l'établissement et de très petite taille pour mon âge. Monseigneur l'Evêque présidait la cérémonie de la distribution des prix à la fin de l'année; on m'adressa à lui pour me faire couronner et me remettre le Prix d'Excellence; il me posa cette plaisante question, qui provoqua l'hilarité de l'assistance: "Mon petit ami, vous avez sans doute laissé votre berceau à la porte ?" Plus heureux que l'année précédente, j'avais réussi les compositions de fin d'année, et je revins en vacances, très content d'avoir remporté presque tous les premiers prix. Mes vacances à Ancemont Grave accident qui faillit me coûter la vie Je passai une grande partie du mois de Septembre chez le Grand Père d'Ancemont; à 150 mètres du village et près de celui de Monthairon-le-Petit, se trouve une petite montagne, la côte Lahayresse, descendant par une pente très raide sur le chemin qui relie les deux localités; aujourd'hui plantée de sapins, elle était alors inculte; par un bel après-midi je me trouvais au sommet de cette élévation avec deux gamins de mon âge, Boussardon et Bigorgne; nous nous amusions à faire rouler des cailloux qui arrivés au bas de la côte, franchissaient en vertu de la vitesse acquise un chemin creux et une haie bordant la prairie. Nous eûmes ensuite la singulière idée de suivre la même route; mes compagnons dévalèrent en zigzags, à une allure relativement modérée et arrivèrent sans encombre; pour moi, lancé à toute vitesse comme un étourneau, je fus précipité la tête la première sur le chemin récemment empierré; ce saut périlleux provoqua chez mes camarades des éclats de rire qui furent suivis de cris d'alarme lorsqu'ils virent ma figure inondée par le sang qui coulait d'une affreuse blessure au-dessus de la tempe droite. Une brave femme qui venait apporter des vivres à son mari, occupé dans une carrière voisine, me ramassa et m'emporta à la maison dans son tablier. Ma tante Julie fut très effrayée, elle croyait que j'avais une fracture du crâne. Bon Papa envoya chercher le Dr Leblanc, médecin à Dieue, le village le plus voisin; en l'attendant, ayant coupé les cheveux autour de la plaie, il y fit un pansement sommaire, y appliquant une compresse de fleurs de lis macérées dans l'alcool. On dut soigner la blessure pendant plusieurs mois, et après 74 années j'en porte encore les traces très apparentes. La bonne tante, lorsqu'elle eût été rassurée par le médecin sur les suites de l'accident, me dit que c'était un avertissement du ciel, et la punition d'une faute commise peu de jours auparavant, de concert avec mes deux acolytes. Nous verrons dans le chapitre suivant quelle était cette faute.


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L'abbé Colson, son bréviaire, sa bibliothèque et sa cave Un ecclésiastique, locataire du Grand-Père, occupait une partie de la maison, indépendante et séparée de nous par une grange. L'abbé Colson, jeune encore, n'était pas pourvu d'une cure ni d'aucune autre charge; je crois que c'était pour cause de santé; c'était du reste un digne prêtre; son genre de vie dénotait une certaine aisance; avec mes deux amis, quelques jours avant l'équipée de la côte Lahayresse, nous avions trouvé dans une poche du cabriolet de Bon Papa, un bréviaire (édition de luxe) doré sur tranche et très joliment illustré; l'abbé, s'étant servi de la voiture pour un voyage à Verdun, y avait laissé le bréviaire; après en avoir admiré les gravures, nous l'avions replacé dans la dite poche, au lieu de le reporter à son propriétaire. C'était à cette faute, assez vénielle du reste, que ma Tante faisait allusion à propos de l'accident qui avait failli me coûter la vie. Je dois en avouer une, bien autrement répréhensible, dont je me suis rendu coupable l'année suivante. J'étais encore en vacances à Ancemont, avec le cousin Alfred, dont j'ai déjà parlé. Mr Colson avait une bibliothèque de plusieurs centaines de volumes; il nous chargea de l'épousseter et d'y mettre de l'ordre, promettant à chacun de nous un livre comme récompense. Peu de temps après il nous employa pour une autre corvée, celle de nettoyer le compartiment de la cave, dans lequel était logé son vin et de ranger les bouteilles. Nous étant acquittés consciencieusement de ces besognes et ayant attendu en vain la récompense promise, nous avons jugé à propos, le cousin et moi, de nous payer nous mêmes en nous adjugeant un échantillon de son meilleur vin. Cette action peu délicate, qui rentre dans la catégorie des larcins, ne doit pas être citée comme exemple à suivre par la jeunesse. La part que j'ai prise à cet acte, peu recommandable, ne m'a pas été dictée par la gourmandise; je n'appréciais pas encore le jus de la treille, le trouvant d'autant moins agréable au goût, qu'il était d'un âge plus respectable. Qu'avons-nous fait du flocon vide? Nous aurions dû le replacer sur le tas, avec une étiquette ainsi conçue: "Boisson recommandée aux gosiers desséchés par la poussière de vieux bouquins".

2ème et 3ème années de séminaire et ma rentrée à la maison Je fus beaucoup moins brillant dans la classe quatrième, où nous reçûmes quelques nouveaux élèves plus âgés, plus sérieux que moi et bien préparés par des prêtres intelligents de leurs paroisses. Au lieu de tenir le Ier rang, je me maintenais difficilement au 3ème; je ne crois pas que j'aie obtenu un seul prix, mais j'ai été nommé dans presque toutes les matières; l'étoile du petit prodige avait singulièrement pâli; l'année précédente, n'ayant pas eu à lutter contre des adversaires sérieux, j'avais remporté des succès faciles: dans le pays des aveugles les borgnes sont rois.


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Admis dans la classe de troisième au mois d'octobre 1835, je ne regagnai pas le terrain perdu; nous avions un professeur distingué, très bienveillant, l'abbé Perrin, qui fut plus tard le précepteur des six fils du baron Victor de Benoist, de Waly; il leur fit faire de très bonnes études; 3 d'entre eux furent admis à l'Ecole Militaire de St Cyr et en sortirent dans la Cavalerie; excellents soldats, écuyers hors ligne, ils parvinrent rapidement au grade de Général. Quelques jours avant les vacances de Pâques, le Supérieur avisa ma famille que je devrais prendre la soutane après les dites vacances; ne me sentant pas de vocation pour l'état ecclésiastique, il me répugnait d'en porter l'habit, tout en ayant le plus grand respect pour ceux qui en étaient revêtus; je priai mon Père de me retirer et de me prendre comme aide à son bureau. Je ne devais pas songer à rentrer au collège de Verdun, le Grand Père ayant déclaré, lorsque je l'avais quitté, qu'il ne me reprendrait plus; mon frère ainé faisait de très bonnes études au lycée de Nancy où il avait obtenu une demi-bourse; mais on ne pouvait solliciter la même faveur pour moi. Il n'y a pas lieu de s'étonner si mes premières études n'ont pas donné de meilleurs résultats! Très léger de caractère, je cherchais surtout à me signaler par des farces, souvent d'un goût douteux et parfois au détriment des camarades. Ainsi, en plein hiver, je vidai le contenu d'un pot d'eau dans les draps d'un voisin de dortoir; l'enquête pour découvrir le coupable n'ayant pas abouti, je me dénonçai moi-même, espérant probablement qu'il me serait tenu compte de l'aveu. Comme punition, je dus me tenir à genoux pendant deux repas, au milieu du réfectoire avec un morceau de pain pour me restaurer; la faute méritait un châtiment plus sévère. Autre farce très inoffensive et qui ne devait pas me laisser de remords: on désignait chaque semaine quatre élèves pour faire le service pendant les repas; l'un servait la table des Maîtres, deux autres celle des élèves; le 4ème faisait la lecture à haute voix, assis dans la chaire placée au-dessus du trou par lequel le cuisinier envoyait les plats. Le réfectoire avait la forme d'un rectangle; en face de la chaire la table des professeurs et celle des élèves sur les deux grands côtés; mon tour étant venu de faire la lecture, je m'étais procuré un chapeau haut de forme (tuyau de poêle) hors de service: j'avais supprimé une partie des bords, ne laissant qu'une visière, de sorte que la coiffure était transformée en schako; je l'avais fait arriver dans la chaire avant le dîner; plusieurs complices devaient me regarder de temps en temps. Jetant un coup d'oeil sur la table des Maîtres pour m'assurer que le moment était propice, tout en lisant un passage ayant trait aux exploits de quelque grand capitaine, je me coiffais du schako, l'enlevant aussitôt que les camarades l'avaient vu. Bruyants éclats de rire réprimés par la sonnette du Supérieur ! Le geste fut renouvelé à 2 ou 3 reprises, avec le même succès et sans conséquences fâcheuses. Encore une plaisanterie fort anodine: pendant une récréation dans une vaste cour plantée d'arbres au vent, je grimpai sur un pommier, faisant annoncer par mes fidèles complices que j'allai prêcher; puis entonnant de ma voix de contralto l'asperges me, je jetai le contenu d'un vase d'eau sur la tête des curieux les plus rapprochés;


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l'auditoire s'étant dispersé, le prédicateur fut dispensé du sermon non préparé et qu'il était incapable d'improviser. Si j'ai quitté le séminaire sans regrets, j'ai conservé un bon souvenir de Maîtres fort bienveillants; je n'oublierai jamais le Père Mayer notre digne supérieur, l'abbé Lebrun, professeur de rhétorique et mon indulgent Directeur de conscience, qui versait des larmes avec son pénitent, en recevant l'aveu de fautes graves: l'abbé Perrin dont j'ai parlé plus haut; le jeune et aimable abbé Tilhay qui nous enseignait l'histoire naturelle; son cours était pour les élèves une véritable distraction; il avait lieu dans la salle du musée, où nous admirions la collection d'oiseaux et d'animaux, dont un grand loup. Je me rappelle que ce bon Mr Tilhay, qui se mêlait aux élèves pendant les récréations, me voyant un jour très affligé de graves pertes en jouant aux billes, s'empressa de monter à sa chambre et m'en rapporta une demi douzaine de beaux oeufs de Pâques pour me consoler de mes pertes au jeu.

L'Instituteur de Souilly Quand je quittai le séminaire je n'avais pas 13 ans et ne pouvais rendre de grands services à mon père; il me mit en pension chez l'instituteur de Souilly, Mr Hutin, réputé à juste titre pour un des meilleurs du département; il devait réformer ma vilaine écriture, me donner des leçons d'arithmétique et de géométrie qui me faisaient défaut; il nous enseignait aussi l'arpentage, le cubage des arbres, nous conduisant à cet effet dans les champs et dans le bois. Je restai chez lui 2 ans et quelques mois.

Je rentre à la maison et je regrette d'avoir abandonné mes é tude s Me voilà donc commis de perception à l'âge de 15 ans et 3 mois 1/2; nous étions en septembre 1838; mes débuts ne furent marqués par rien d'important; dans le courant de l'année suivante, regrettant d'avoir interrompu mes études, je me mis, sans le confier à personne, à revoir mes auteurs grecs et latins; je me levais au point du jour pour travailler. Un matin, de très bonne heure, mon père vint me chercher pour lui rendre quelques services de jardinage; il croyait me trouver au lit et fut surpris de me voir occupé à piocher le jardin des racines grecques; je lui fis part de mes regrets; avec sa bonté habituelle il encouragea mes efforts et me mit en relations avec un ancien principal de Collège, Mr d'Ambly, en retraite à Landrecourt, petite commune voisine de Dugny. Cet excellent homme consentit à me donner des leçons et je me rendais chez lui deux ou trois fois par semaine. Mr Génin, député de la Meuse, ami dévoué de la famille, informé de mes studieuses dispositions, me demanda si je n'aspirais pas à St Cyr; je n'y avais jamais songé et visais seulement le baccalauréat; toutefois cette perspective me souriait.


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Dans l'été de 1841, à 18 ans, je sollicitai l'autorisation de m'engager pour un Régiment en garnison dans une ville pourvue d'un bon collège, où je pourrais, ainsi que le conseillait Mr Génin, suivre les cours préparatoires à l'Ecole Spéciale Militaire. Mon père ajourna son consentement, me jugeant trop chétif, et peut être aussi avec l'intention de mettre ma vocation à l'épreuve. Un an après, il accordait l'autorisation demandée, m'engageant toutefois à retarder mon départ, afin de passer les vacances avec mes frères, et de profiter encore de quelques semaines de chasse, à quoi je consentis volontiers.

Je suis délégué pour gérer une perception Dans les premiers jours de Septembre1842, le Receveur Particulier des Finances, Mr Varin, proposa à mon Père de m'envoyer gérer la perception de Varennes, la petite ville où l'infortuné Louis XVI avait été arrêté; mon Père me conseilla de saisir cette occasion de me faire un petit pécule qui me permettrait de me procurer quelques douceurs dans mes débuts au Régiment. Comme je n'avais que 19 ans et qu'il fallait être majeur pour remplir ces fonctions, on me fît émanciper. Mon Père vint procéder à mon installation et me présenta dans plusieurs familles, chez Mr Collin le juge de paix, Mr le Dr Richier, Mr de Préfontaine, et chez un de ses anciens condisciples, Mr Fraigier, amateur de chasse et qui devait me piloter en plaine dans mes moments de loisir: très occupé, je crois que je n'ai pris mon fusil qu'une fois et sans grands succès ! Le Percepteur était fort malade, le service en souffrance et la rentrée des impôts très en retard; en quelques semaines j'avais fais merveille ! le Receveur Particulier à qui j'avais dû signaler de graves irrégularités dans les écritures, me témoigna sa satisfaction et, sur ces entrefaites, la Perception étant devenue vacante par suite du décès du titulaire, mon protecteur me proposa de faire l'intérim en attendant l'arrivée du remplaçant; il m'offrait de me prendre ensuite dans ses bureaux comme aspirant surnuméraire avec 600 francs d'appointements; j'étais tout disposé à accepter, mais mon Père fut d'avis que la carrière des armes me donnait plus de chances d'avenir: ce n'est pas sans regret que je me rangeais à cet avis, je ne me dissimulais pas la difficulté pour moi, dont l'instruction était très superficielle de préparer utilement les examens pour St Cyr, étant au Régiment. Si j'avais pu choisir la Cavalerie, j'aurais renoncé plus facilement à la Perception; la grosse cavalerie et la cavalerie de ligne m'étaient interdites pour défaut de taille; il me manquait 2 centimètres pour la cavalerie légère; cette difficulté n'était pas insurmontable: avec le consentement d'un Colonel, on pouvait obtenir une autorisation ministérielle; je ne devais pas songer aux régiments de hussards, dont la brillante tenue coûtait fort cher; les engagés volontaires et les officiers se recrutaient presqu'exclusivement parmi les fils de famille auxquels les Parents pouvaient fournir de larges subsides ! il restait l'arme plus modeste des chasseurs à cheval; mon Père tenait absolument à faire de moi un fantassin, et je dus partir, sans le moindre entrain pour le 39ème de ligne. Je quittai Dugny le 23 Novembre dans l'après-midi; j'ai su par le plus jeune de mes frères, alors âgé de 8 ans, que mon Père qui s'était bien tenu au moment critique des adieux, avait eu aussitôt après ma sortie de la maison, une crise terrible, se


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roulant par terre, et éclatant en sanglots; il est possible que, se rendant compte de mon peu d'enthousiasme, il regrettait d'avoir trop insisté sur la décision qui m'éloignait de la famille pour m'envoyer dans un milieu rempli d'écueils et si différent de celui où j'avais été élevé ! Un camarade d'enfance, le fils du Maire, me conduisit à Verdun dans le cabriolet de son Père, attelé de la Cocotte, très belle jument Mecklembourgeoise; cet équipage de luxe ne sortait que dans de rares et exceptionnelles occasions. Je devais prendre dans la soirée la diligence qui faisait le service de Verdun à Valenciennes, où le 39ème tenait garnison.

Le Maire de Dugny et son entourage Je croirais manquer à tous mes devoirs si je ne vous faisais pas connaître l'excellent homme qu'était Mr Pasq..., ami dévoué de la famille et Maire de Dugny; d'origine très estimable, il avait reçu une bonne éducation; après ses études de médecine, il était rentré dans son village, pourvu du diplôme de Docteur de la Faculté de Paris; je crois qu'il n'a exercé que fort peu; dans une belle situation de fortune, il avait épousé la fille du Gal Walter, baron de St Ange qui vivait chez son gendre; il avait rapporté de ses campagnes un fourgon d'artillerie; on en avait enlevé les roues pour le reléguer au-dessus d'une remise, dans une sorte de grenier non fermé; dans nos jeux il nous servait de cachette; nous y accédions au moyen d'une échelle, et nous y étant blottis, on rabattait le couvercle et il restait assez d'air pour nous préserver de l'asphyxie. J'ai connu Madame Walter, la femme du Général; très âgée et infirme, elle ne quittait jamais le lit au-dessus duquel était suspendu un trapèze, au moyen duquel elle se soulevait lorsqu'elle voulait s'asseoir ou changer de position; j'allais souvent lui tenir compagnie avec un ou deux de mes frères et soeurs; on plaçait la table de jeu près du lit et nous faisions de bonnes parties de Fontainebleau, jeu de cartes très en vogue et plein de surprises; j'en eus une entr'autres à laquelle je ne m'attendais pas: un soupir assez sonore s'échappa sournoisement de dessous mon siège: sans perdre la carte, je me tournai vers ma soeur aînée assise près de moi, et je lui dis mezzo voce, mais de façon à être entendu: eh bien, tu ne te gênes pas. Interdite, la pauvre fille rougit très fort et ne protesta pas lorsque Madame Walter lui fit compliment au sujet de la sonorité de son instrument; je suis forcé de reconnaître que j'étais un bien terrible et mauvais frère!! J'ai toujours connu Mr Pasq... très affligé de la goutte, ce qui se voyait assez aux énormes nodosités des doigts; comme distraction favorite, il faisait sa promenade quotidienne dans le village et dans la campagne; de haute taille, très gros et souffrant aussi de la goutte aux pieds, il marchait difficilement; pour ses sorties, on attelait Coco, un rejeton de la jument Mecklembourgeoise, à une charrette sur laquelle on aurait eu de la peine à le hisser s'il n'avait pris la précaution de s'installer avant de faire amener le cheval dans les brancards. Il faisait de fréquentes haltes dans le village, s'informant des nouvelles du jour, de la santé des malades; il s'engageait ensuite dans les champs, sans s'astreindre à suivre les chemins, passant partout


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lorsqu'il ne pouvait causer des dégâts; le vigoureux Coco ne le laissait jamais dans l'embarras; il s'arrêtait pour causer avec les travailleurs; propriétaire de nombreuses terres, il s'intéressait à l'état des récoltes. Sans abuser des liqueurs fortes, il réclamait son cassis à la fin de chaque repas; sa femme ne manquait pas de lui dire: "Docteur, Docteur, tu n'es pas raisonnable"; et lui de répondre en présentant son gobelet: "Avance, Allemande !" (Madame Pasq... était originaire de l'Alsace); ne pouvant refuser la liqueur demandée, elle en versait une bonne ration, ne lésinant pas sur la quantité; il est vrai que, pour le rendre moins dangereux, elle avait pris le soin de mouiller très largement le cassis. Ce bon Mr P... prenait très au sérieux ses devoirs municipaux, veillant aux intérêts de la commune et des particuliers. Par un bel après-midi du mois d'Août, assis sur un siège solide, il nous regardait faner le regain dans un pré séparé de son jardin par un ruisseau; la chasse n'était pas chasse ouverte. Ayant entendu des coups de fusil tirés dans les champs, nous apercevions deux individus en action de chasse non loin des fameuses grottes de la Falouze, à une distance de 350 mètres environ du village. Le Maire envoya chercher le garde-champêtre, donnant en même temps l'ordre d'atteler Coco à la charrette dans laquelle ils s'installèrent tous deux; puis ils se dirigèrent vers le terrain de chasse, suivant un chemin d'exploitation sans se presser, afin de ne pas donner l'éveil à ceux qu'ils voulaient surprendre. La voiture étant arrivée à leur hauteur quitta le chemin; Coco fut lancé au galop de charge, et au moment propice le Garde, Nicolas Marchand, agile et vigoureux, se précipita en bas de la voiture et arrêta un des délinquants; nous suivions des yeux avec grand intérêt les péripéties de l'action; le coupable était un ancien camarade de classe, avec lequel j'avais étudié chez le Curé d'Ancemont; Charles de la Cour habitait avec le Marquis, son père, le magnifique château de Monthairous-le-Petit; il supplia le Maire de lui faire grâce, offrant de verser au bureau de bienfaisance un somme supérieure aux frais de l'action, Mr Pasq... fut inflexible et la Justice dut suivre son cours; je n'étais pas fâché de la protection accordée à nos perdreaux; mais j'eusse préféré que le procès fut épargné à mon ancien condisciple. J'ai su que son ancien compagnon, qui avait pu échappé au garde grâce à de bonnes et très longues jambes, était un Verdunois de ma connaissance, Mr d'Wissel aimable et très sympathique garçon, appartenant au meilleur monde. En somme leur cas n'était pas pendable; que celui qui n'a pas péché leur jette la première pierre!!!


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MA CARRIERE MILITAIRE 1843 - 1853

MA MISE EN ROUTE POUR LE REGIMENT Mon camarade, Charles P... me mit, vers 6 h du soir, dans la diligence qui faisait le service de Verdun à Valenciennes; je montai dans le compartiment désigné sous le non d'Intérieur avec un jeune homme et deux dames que je supposai être la mère et la fille. On relayait à Sedan vers 7 h du matin; les dames descendirent, arrivées probablement au terme de leur voyage; en me levant pour sortir pendant l'arrêt; j'aperçus à mes pieds une petite boîte en carton; comme je la ramassais, mon compagnon de route me dit: Part à deux. La boîte contenait une longue chaîne de cou, en or, à usage de dame, peut-être un cadeau de fiançailles tombé de la poche de la jeune fille: je me précipitai hors de la voiture; les voyageuses avaient disparu; je déposai ma trouvaille au bureau de la diligence; le Directeur prit mon nom et mon adresse; n'en ayant plus eu de nouvelles, j'ai supposé que la chaîne avait retrouvé le cou dont elle devait faire l'ornement. Arrivé à Valenciennes assez tard, après un voyage de plus de 24 heures, je descendis à l'hôtel de la Biche, rue St Géry. Vers 9 h du matin, je me présentai chez le Colonel Alexandre, qui occupait le Ier étage d'un immeuble situé sur une petite place dont j'ai oublié le nom; je lui remis une lettre de Mr Génin, le député, qui ne devait pas être un inconnu pour lui; je le trouvai en robe de chambre. Après m'avoir adressé quelques paroles d'encouragement, il m'accompagna, toujours en négligé du matin, dans les bureaux du trésorier, installés au rez de chaussée de la même maison; je fus immatriculé sous le n° 13.971; le Colonel me désigna une Cie, la 5ème du 2, commandée par le Cap. Brandoly; le sapeur de planton me servit de guide pour me rendre à la citadelle où ma Cie était casernée; le Sergent major Sardine me fit conduire par le fourrier Jacquot à la chambre que je devais occuper et qui contenait dix lits, dont un, celui qui me fut désigné était vacant par suite de la mort d'un jeune soldat, récemment décédé à l'hôpital; j'avoue que cette circonstance me causa une impression désagréable. J'avais pour voisin le caporal Marseille; en face le gentil tambour Lainé, qui me fit ses offres de service que j'acceptai volontiers; dans les commencements surtout il me fut très utile, faisant mon lit auquel je n'aurais pu


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donner une tournure convenable, entretenant fusil et équipement, et disposant réglementairement le sac et les effets sur la planche, au-dessus de la tête du lit; je continuai à user de ses bons offices, les reconnaissant, comme il convenait, par un léger supplément de solde. N'ayant pas de gamelle le jour de mon arrivée, je fus autorisé à sortir et, comme un grand seigneur, je pris mes repas à l'hôtel de la Biche.

L'HABILLEMENT DU FANTASSIN La cérémonie de la prise d'habit m'a laissé un fâcheux souvenir: l'Officier d'Habillement, m'essayant un schako trop étroit et dont il tenait absolument à me coiffer, y mit une telle brutalité qu'il me martyrisa le front; mais ne nous arrêtons pas trop à ces petites misères: peut-être cet Officier croyait-il agir dans mon intérêt, en vue de m'aguerrir ? L'habillement se composait de l'habit et de la veste de drap bleu foncé, de la capote gris-bleu et du pantalon garance; comme coiffure, le grand schako, évasé du haut, pas gracieux, mais assez commode pour y loger mouchoir et blague à tabac; en outre pour les corvées et les sorties du matin, on avait le bonnet de police, que les gradés et les anciens portaient légèrement cassés et crânement inclinés sur l'oreille; comme armure le simple soldat du centre n'avait que le fusil qu'il appelait sa clarinette, de 5 pieds. Lorsqu'il sortait en ville, le malheureux faisait triste figure coiffé de l'affreux schako, revêtu de l'habit ou de la veste avec la capote comme pardessus dans la saison d'hiver, sans arme et sans ceinturon; il est vrai qu'il était correctement ganté de coton blanc, comme les domestiques pour servir à table! Combien je portais envie au sabre et à la botte éperonnée du cavalier ! Notez qu'à cette époque le Cap. d'Infanterie n'était pas monté; l'avancement fort lent en temps de paix ne donnait que très peu de chances à l'engagé volontaire de parvenir au grade d'Officier supérieur : l'heure de la retraite sonnait le plus souvent pour lui, sans qu'il ait eu le droit de chausser les éperons. Aujourd'hui, sans être brillante, la tenue du fantassin, est moins grotesque; il ne sort pas sans le ceinturon et le sabre-baïonnette; si l'arme n'est pas très décorative, elle peut tout au moins servir de porte-respect et de défense en cas d'agression.

JE PAIE MA BIENVENUE A LA CHAMBREE Dans la soirée du samedi qui suivit mon arrivée, pour me conformer aux usages, je payai ma bienvenue aux camarades de la Chambrée; des saucissons de Lorraine, emportés à cette intention, firent les frais du lunch; je voulais offrir du vin; les braves troupiers estimèrent que quelques litres d'eau de vie leur conviendraient mieux; ils la buvaient aussi facilement que l'eau claire; désirant ne pas paraître trop conscrit; je voulus les imiter: sans arriver à leur niveau, j'absorbai, plus que je ne pouvais en supporter, de cette liqueur traîtresse, d'autant plus pernicieuse que, provenant de la cantine, elle devait être de qualité inférieure. Le lendemain


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Dimanche, le bon Capitaine Brandoly passait à 10 heures sa revue dans les chambres; me voyant au lit avec une triste mine, il se tourna vers le Sergent Major qui l'escortait; ils échangèrent quelques paroles que je n'entendis pas et dont je crus saisir le sens en les voyant s'éloigner le sourire sur les lèvres. UNE AVENTURE OU J'AURAIS PU ETRE MALMENE PAR UN CHARRETIER Quelques semaines après mon entrée au service rentrant seul d'une promenade extra muros, j'allai m'engager sous la voûte de la Porte de Paris, lorsque je vis le conducteur d'un chariot, qui tout en marchant à la tête de son attelage, caressait de la lanière de son fouet, les mollets d'une jeune fille qui cheminait devant lui; je lui adressai des observations qui furent mal reçues : une rixe aurait pu en résulter, et il y avait des chances pour qu'elle ne tournât pas à mon avantage; heureusement un agent de police survint très à propos et mis fin à la discussion en déclarant procèsverbal à l'agresseur; peu de temps après je fus cité comme témoin devant le tribunal correctionnel; je crois que ma déposition ne fut pas trop accablante pour le prévenu; en somme il n'avait pas causé grand dommage à la victime; n'ayant pas l'occasion d'user de son fouet pour ses chevaux, peut-être avait-il eu l'idée de s'en servir, en manière de plaisanterie, pour donner des jarretières à la jeune personne. Le Président du Tribunal félicita le jeune et vaillant troubadour qui avait pris la défense du faible sexe opprimé. MON INSTRUCTION MILITAIRE Dans les dernières semaines de mon séjour à la maison, mon Père, ancien officier de la Garde Nationale et qui avait le goût des choses militaires, m'avait procuré une théorie de l'école du soldat et initié aux premiers exercices; j'exécutais convenablement les mouvements du soldat sans armes, mais je maniais avec maladresse le fusil d'infanterie, beaucoup trop lourd pour moi. Mon Capitaine était chargé de la direction de l'instruction des recrues; celles du dernier contingent, arrivées devant moi, avaient commencé leurs classes. Désirant me voir à leur niveau le plus vite possible, le Capitaine me donna le conseil de prendre des répétitions près du sergent Baldacci, bon instructeur, et qui commandait la demi-section de la Cie, dont mon escouade faisait partie; grâce à ces exercices supplémentaires, je fus bientôt à la hauteur des camarades, et en moins de deux mois, je passais à l'Ecole de Bataillon. Je me demande quelquefois comment il se fait que je ne puisse me rappeler quels étaient les Officiers (Lieut. et sous-Lieut) de la Cie, alors que je cite sans hésiter le sergent-major, le fourrier, les sergents et plusieurs caporaux. L'ECOLE REGIMENTAIRE Tout nouveau soldat, illettré ou ayant reçu de l'instruction, devait être envoyé à l'Ecole Régimentaire aussitôt après son admission à l'Ecole de Bataillon.


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J'ai dû d'abord chanter en choeur, en suivant la baguette du moniteur, qui indiquait les lettres de l'alphabet sur le tableau: B.A.ba - B.E.be etc... Le sergent-major Coudeyras, moniteur général, ne tarda pas à me faire passer à une classe supérieure, et on me fit bientôt suivre les théories des élèves caporaux. Coudeyras était un sous-officier intelligent et un travailleur; inscrit au tableau d'avancement pour le grade de sous- Lieut. il dut quitter l'armée active, par suite d'une extinction de voix passée à l'état chronique, il fut nommé adjudant d'administration du service des bureaux de l'Intendance; très bon comptable il fit son chemin dans sa nouvelle carrière. Je l'ai revu en 1872, à la tête de l'école de S. Off. d'administration à Vincennes, avec le grade d'officier principal, équivalent de celui de Commandant et donnant droit à la pension de retraite de Lt. Colonel. Originaire d'Issoudun (Indre) il s'y retira au moment de la retraite.

JE TRAVAILLE AU BUREAU DU SERGENT MAJOR Le Sergent.Major me faisait travailler à son bureau dans ses moments de loisir. Le Fourrier, avec lequel j'avais passé plusieurs nuits pour le règlement du trimestre, m'invita à déjeuner à sa pension, tenue par la cantinière; la politesse n'a pas dû obérer son budget; le menu se composait d'un plat de viande, un légume, avec le pain de munitions et de l'eau comme boisson, toutefois, je fus heureux de cette diversion qui me procurait la satisfaction de manger dans une assiette, et de boire dans un verre, assis devant une table. Ce brave Fourrier Jacquot, doué d'une belle voix de ténor, interprétait avec beaucoup de sentiment plusieurs morceaux d'opéra, entr'autres de Lucy de Lamermoor; sa courte carrière militaire a été très mouvementée; il a été cassé de son grade et remis simple soldat pour de nombreux écarts de conduite; il était fils du Gardien-Chef des prisons de Mâcon; sa soeur Mina, qu'il affectionnait tout particulièrement, lui adressait de sages conseils qu'il ne suivait pas toujours. Rentré dans ses foyers après 7 années de service, il y rapportait les galons de fourrier reconquis1.

MON COUSIN, CAPITAINE AU 39EME MA PROMOTION AU GRADE DE CAPORAL Je viens un peu tardivement vous parler d'un Officier de mon Régiment, le Capitaine Carrier, de Boismouchy, de Marande, qui avait épousé une cousine germaine de mon Père; le ménage avait deux gentilles filles. Un de ses collègues, assez farceur et peu respectueux de ses pompeux titres de noblesse, l'abordait souvent ainsi: "Bonjour Carrier, comment va ? J'espère que Madame de Boismouchy se porte bien et que Melles de Marande sont en bonne santé".

1Au

mois d'Avril 1851, mon Régiment, où j'étais Sous Lt, quittait Paris pour aller tenir garnison à Bourg et à Lyon; de passage à Mâcon, j'y ai revu le camarade Jacquot, et j'ai été très cordialement accueilli dans sa famille.


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Mon Parent avait été froissé de ce que je n'avais pas été placé dans sa Cie, je crois qu'aucune démarche n'avait été faite dans ce sens par ma famille; d'ailleurs son Btn était détaché à Bouchain et il était préférable au point de vue de l'instruction militaire, que je fusse incorporé dans une Cie casernée à Valenciennes avec l'EtatMajor. Le Cousin s'intéressa néanmoins au jeune soldat qui portait le nom de sa femme. Son Btn était rentré à Valenciennes le Ier Avril, il apprit avec satisfaction que j'étais bien noté; dans le courant du mois de Mai, il fut avisé qu'on préparait une promotion et fit une démarche en ma faveur. L'ordre du régt. parut le 22 Mai; j'y figurais parmi les soldats promus Caporaux, avec mention que je ne prendrais rang que du 25 Mai, le jour où j'aurais accompli les six mois de service exigés pour l'obtention des premiers galons.

JE SUIS NOMME CAPORAL FOURRIER Dans les premiers jours de Juin, le fourrier Teyssonière de la Cie Carrier était libéré du service; le Capitaine me fit figurer en tête du mémoire de proposition pour le remplacer et le Colonel me nomma Caporal fourrier. Dans l'Escadron de Cavalerie il y a un Mal des Logis Fourrier avec un Brigadier Fourrier comme adjoint; la Cie d'Infanterie n'a qu'un Fourrier, soit sergent Fourrier, soit Cal Fourrier; tous les deux ont les mêmes attributions, les mêmes prérogatives, avec une légère différence de solde. Le Cal Fourrier est habillé de drap mi-fin comme les s.offs et mange à leur table; il partage la chambre du sergent major sous la direction duquel il tient les écritures de la Cie; il est ordinairement promu sergent. Fourrier, aussitôt qu'il a accompli les six mois de grade de caporal. Ma nouvelle position était pour moi un changement d'existence complet!

LA FEMME DU CAPITAINE ET LEURS FILLES Mon capitaine n'était pas toujours aimable. Je me suis aperçu plus d'une fois qu'il gardait rancune à mon père de ce que celui-ci n'avait pas demandé à ce que je fusse placé dans sa Cie; je me rappelle qu'un jour, à propos de légères omissions dans les écritures et dont le sergent Major était responsable, il me fit une scène ridicule, prétendant que mes Parents m'avaient fort mal élevé, et que je ne serais jamais qu'un vaurien et une canaille; je lui répondis sur un ton rien moins que respectueux qu'il avait le droit de me punir, mais je ne lui reconnaissais pas celui de tenir des propos blessants pour ma famille; il me déclara que désormais je ne devais plus le considérer comme un Parent; il me tint rigueur pendant quelque temps; un jour, m'étant présenté chez lui pour communiquer un ordre, je ne trouvai que sa femme, ma cousine Henriette, fort intelligente et de beaucoup supérieure à son mari. Elle s'est toujours montrée affectueuse à mon égard; au courant de la situation, elle m'engagea à ne pas trop prendre au sérieux les boutades de mon Capitaine. Je dus aller le trouver au café pour lui faire signer le livre d'ordres; il faisait une partie de billard avec un bourgeois de la ville d'Avesnes où nous étions en détachement; il me présenta à son partenaire en lui disant:


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"Vous voyez ce jeune Fourrier, c'est mon cousin, un sujet remarquable et qui fera son chemin" Puis il m'offrit un verre d'absinthe !! J'ai pensé que ma bonne cousine n'était pas étrangère à ce revirement; en somme, s'il avait parfois des sorties malheureuses, ce n'était pas un mauvais homme! Sa fille ainée, Louise, intelligente et fort jolie était élevée chez son aïeul maternel, avoué à Verdun; sa tante Zaza (la cousine Elisa) qui s'en occupait spécialement, l'aimait beaucoup et l'élevait parfaitement, la gâtant peut-être un peu; j'avais eu l'occasion de la voir assez souvent lorsque j'allais à Verdun, et j'avais conservé un bon souvenir de cette charmante jeune fille. En 1853, étant en garnison à Nîmes, et sur le point de passer Lieutenant, je m'avisai de lui écrire, lui demandant si, dans le cas où ses parents y consentiraient, il ne lui déplairait pas d'unir sa destinée à la mienne. Elle me répondit qu'elle n'avait jusqu'alors éprouvé pour moi qu'une bonne affection de cousine et qu'elle désirait prendre le temps de réfléchir à ma proposition; elle m'engageait du reste à lui écrire et à tenter par ma correspondance, de lui faire partager mes sentiments. Comme je n'étais pas autrement épris, je retirai ma candidature, et lui écrivis que je ne me croyais pas assez d'esprit pour espérer de gagner son coeur par la correspondance, il a été fort heureux pour elle que ce commencement d'idylle n'ait pas eu d'autres suites. Cette bonne Louise a épousé un très digne et excellent officier, le Lieutenant d'Infanterie Brisset, qui prit sa retraite comme Chef de Btn; attaché ensuite au parquet de la justice militaire à Paris, il remplissait les fonctions de commissaire du gouvernement près du 1er Conseil de guerre qui condamna Dreyfus. Henriette, la soeur cadette de Louise, était une gentille enfant qui suivait ses parents dans les garnisons; j'étais heureux de l'avoir pour compagne de promenade dans mes moments de loisir; je crois qu'elle a été admise à la maison des Dames de St Denis, en qualité de fille d'un officier décoré de la Légion d'Honneur. Je n'ai pas su exactement ce qu'elle est devenue plus tard; j'ai ouï dire qu'elle n'avait pas été heureuse. Quant à leur père, il a pris sa retraite à Lyon, où il était Capitaine à l'Etat Major des Places. Il est mort à un âge assez avancé.

DEUX ANS ET SIX MOIS PASSES DANS L'EMPLOI DE FOURRIER Les fonctions de fourrier me laissaient peu de loisirs; ce qui n'était pas un mal et me forçait à faire des économies; mon trésor de guerre était à peu près épuisé; il m'avait été fort utile, me permettant de rémunérer les services du tambour Laine, les leçons de maniement d'armes du Sergent Baldaca d'avoir toujours une tenue convenable en remplaçant à mes frais, les effets d'habillement en trop mauvais état avant l'expiration de leur durée réglementaires, puis j'avais dû arroser les galons de caporal, de caporal fourrier et de sergent fourrier; en outre je prenais des leçons de flûte près du S. chef de musique.


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A cette occasion je me rappelle qu'un jour, au moment où je traversais la place en sortant de chez ce musicien, j'entendis des personnes rassemblées devant le beffroi, se demander, en l'examinant, s'il n'allait pas s'effondrer. En effet je n'avais guère eu le temps de parcourir quelques cents mètres que j'entendais un grand bruit, en même temps qu'un nuage de poussière s'élevait au dessus de la ville; le monument s'écroulait, faisant deux victimes: Mademoiselle Leininger, femme d'un Lieutenant de mon Régiment qui logeait dans une rue située derrière le beffroi et le guetteur qui fut précipité sur le pavé avec sa guérite qui était au sommet de la tour. Je disais donc que je n'avais pas beaucoup de temps à perdre dans les cafés, occupé que j'étais par la tenue des écritures, sans parler des théories et des manoeuvres. Pour ne pas avoir de retard dans la comptabilité, je passais quelquefois une partie de la nuit, mon Sergent major rentrait souvent fort tard et tenait à trouver de la lumière pour se coucher. Un soir, ayant gagné mon lit avant sa rentrée, j'avais laissé allumé la chandelle, qui à défaut de chandelier, était fichée dans une pomme de terre; le suif ayant coulé sur la table avait détruit presqu'entièrement mon livre d'ordres; il n'était pas possible de dissimuler l'accident en me procurant un nouveau livre, parce que chaque feuillet devait être paraphé par le Lt Colonel. Par ordre de cet Officier supérieur je fus puni de 8 jours de consigne; lorsque je lui présentai le nouveau livre mis à jour, il me félicita sur la netteté du travail et ce qui restait de consigne à faire fut levé! Le fourrier était chargé des distributions. Un jour, à la suite d'une revue, on avait alloué une ration de vin à la troupe, à raison d'un litre pour quatre; j'avais remis à la pension de mon sergent major le quart de litre qui lui revenait il parait que mes collègues avaient quadruplé la ration de leur chef, en faisant des économies sur celle des soldats. Mécontent de ne pas avoir été traité sur le même pied, mon sergent major me menaça de salle de police si le fait se renouvelait, je me demande comment il aurait libellé le motif de la punition. Le métier de fourrier était surtout pénible dans les routes; à cette époque ou changeait fréquemment de garnison et ou voyageait à pied; certaines mauvaises langues prétendent que le fourrier, débrouillard, se soulageait en mettant son sac à la voiture; or les fourriers partaient avant la colonne sans être accompagnés d'aucun moyen de transport; les tambours ne les réveillaient pas en parcourant les rues, comme ils le faisaient pour la troupe une heure avant le départ; il fallait s'arranger pour se trouver au rendez-vous fixé pour l'avant-garde, à la minute indiquée, sous peine d'être puni par l'adjudant; j'avais une crainte salutaire des punitions et ne dormais pas tranquille consultant ma montre à chaque instant; peu expert dans l'art de soigner la chaussure, j'avais souvent les pieds excoriés; l'équipement était fort gênant; on se trouvait incommodé par le poids du sac (Azor ou as de carreau), par les buffleteries croisées sur la poitrine, par la giberne le sabre poignard (coupechoux) et par le lourd fusil. Ajoutez à tous ces impedimenta le schako, coiffure très incommode, et vous conviendrez que le chétif troupier que j'étais ne se trouvait pas à l'aise; j'ai bien souvent maudit mon sort, enviant celui du cavalier; je ne partageais pas l'opinion que j'ai entendu émettre : à savoir que dans les routes le fantassin était plus favorisé que le Cavalier, n'ayant pas, comme ce dernier, à bouchonner Cocotte,


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en arrivant à l'étape, et d'ailleurs le sous officier de cavalerie n'a pas à s'occuper des soins à donner à sa monture, sinon pour surveiller ceux qui en sont chargés; pour moi, après avoir rempli les obligations de mon service, je ne songeais pas à visiter les curiosités, pas davantage à me rendre au café; je ne pensais qu'à me coucher, me trouvant parfois tellement fatigué que je ne me levais pas pour aller dîner. Au mois de Juillet 1844, le 39ème partait pour Sailly (Moselle) où il devait faire partie d'un camp de manoeuvres sous le haut commandement du Duc de Nemours. Un jour, par une chaleur torride, arrivant à l'étape après une marche de 35 kilomètres, je fus informé que ma Cie serait détachée à 2 kilomètres; m'étant rendu à cette nouvelle destination, le Maire me prévint que, ne pouvant loger tout mon monde, une vingtaine d'hommes devait être envoyée dans un hameau à 1500m en arrière et sur le côté. Dans le but d'éviter à cette fraction un surcroît de fatigue, je me portai en hâte, à la rencontre de la Cie jusqu'à la bifurcation où les 20 hommes devaient prendre une nouvelle direction. Une des obligations du fourrier en arrivant à l'étape, consiste dans la visite des logements des Officiers; craignant d'arriver trop tard pour éviter aux hommes à détacher une course inutile, j'avais cru pouvoir me reposer sur la déclaration du Maire, que la chambre destinée à mon Lieutenant était convenable et que du reste il n'avait rien de mieux à lui offrir; mon Lieutenant qui commandait la Cie en l'absence du Capitaine et auquel j'avais rendu compte de mon abstention et du motif qui m'avait guidé, m'infligea 4 jours de salle de police. Dans les routes, le sous officier frappé de cette punition, après avoir rempli les obligations de son service, se rend au poste de la garde de police et il couche sur les planches du lit de camps. Au point de vue physique, la question du lit peu moelleux était largement compensée pour moi par la certitude de ne pas manquer l'heure de la mise en route de l'avant-garde, dont le rendez-vous est au dit corps de garde; mais j'étais très contrarié de ce que j'allais figurer au rapport pour avoir manqué à mon service; le lendemain le Capitaine Adjudant, Mr Lombardeau, dans sa visite au poste de police me demanda ce que j'y faisais; je lui contais l'aventure dans tous ses détails. Une heure après il me faisait prévenir que ma punition était levée, j'ai su en outre que le Lieutenant avait été puni de 4 jours d'arrêts. Il avait fait preuve en la circonstance de manque de tact et abusé de son autorité; il n'avait point passé par les rangs et ne sortait pas de St Cyr; il avait été nommé sous Lieutenant par récompense nationale à la suite des glorieuses journées de Juillet 1830, se trouvant à Paris comme étudiant en droit. Il ne se rendait probablement pas compte des difficultés du service, ni de la bienveillance que l'Officier doit à ses subordonnés; il convient d'ajouter, à titre de circonstance atténuante, qu'il était d'un tempérament maladif, ce qui pourrait avoir eu de l'influence sur son caractère. Onze ans plus tard, en Sept. 1855, après la prise de Sébastopol, je me trouvais Capitaine comme lui, toujours au 39ème; l'année suivante il était promu Chef de Btn et mis d'office à la retraite; sa santé ne lui ayant pas permis de prendre part à la Campagne de Crimée, il était resté au dépôt, s'occupant d'un travail sur la réorganisation de l'Armée. Ce travail, ayant été mis sous les yeux de l'Empereur, avait reçu son approbation, et c'est sans doute ce qui avait valu à l'auteur sa nomination au grade d'Officier supérieur.


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A la levée du camp de Sailly, le 39ème revenait à sa garnison de Valenciennes, qui fournissait des détachements à Avesne, Bouchain, Tondé, Landrecies, Maubeuge et Le Quesnoy. Dans l'été de 1845, étant fourrier de voltigeurs à Maubeuge, je demandai une permission de deux jours pour aller voir deux compatriotes MMrs Petitcher et Ernest Dubas, employés des Contributions Indirectes à Marly près Valenciennes. Ayant passé fort gaiement un dimanche avec eux, je comptais prendre le Lundi vers deux heures la voiture qui faisait le service de Valenciennes à Maubeuge; je fus très désappointé lorsque le conducteur me déclara que le chiffre réglementaire des voyageurs était complet; je dus partir de mon pied léger de voltigeur et pour ne pas rentrer en retard, je pris le pas gymnastique; j'ai parcouru à cette allure 30 kilomètres environ, dépassant dans les montées la diligence qui me dépassait à son tour en terrain plat; il ne restait plus guère que 1.200 mètres pour être à la ville, lorsqu'on m'offrit une place devenue vacante; je la refusai tenant à lutter jusqu'au but; je suivais la voiture à quelques pas lorsqu'elle s'arrêta sur la place; un voyageur descendant précipitamment, vint me tendre la main et me félicitant sur mon tour de force, m'offrit gracieusement un verre de punch au café Obozenki; je rentrai au quartier, satisfait d'être à l'heure, mais littéralement fourbu; le lendemain, très souffrant de courbature, je dus garder le lit; mon Capitaine me fit paternellement des reproches, me disant que je ne pouvais être puni en rentrant en retard par suite d'un cas de force majeure. Au mois d'Août 1845, le 39ème quittait le Nord pour aller tenir garnison à Nancy. De passage à Verdun, à 7 kilomètre de Dugny, je demandai une permission de 48 heures pour aller voir mes parents; j'emmenais avec moi mon collègue Guéry, fourrier de Grenadiers; nous passions la journée du Dimanche à Dugny; dans l'après midi ce brave Guéry, voulant faire preuve d'agilité, s'avisa de franchir d'un bond le petit cours d'eau qui séparait notre jardin de la prairie; ayant mal calculé son élan, il tomba au milieu du ruisseau ayant de l'eau jusqu'à la poitrine. Le bain par lui-même n'avait rien de bien désagréable, mais mon ami dut se déguiser en bourgeois, afin de faire sécher et brosser sa tenue militaire. Le lendemain Lundi, mon père nous conduisit en voiture à St Michel, où nous devions rejoindre le Btn; le village d'Ancemont se trouvait sur notre route; je fus heureux d'embrasser en passant Bon Papa Zambeaux et la bonne Tante Julie; c'était le lendemain de la fête patronale; on nous fit emporter des brioches et le Grand-Père me garnit le gousset, afin, disait-il, de me permettre d'offrir aux camarades quelques flacons de vin de Thiaucourt, fameux vignoble de la Meuse, où nous devions passer le lendemain. A St Michel je conduisis mon Père au logement de Mr Delessart, mon Capitaine, auquel il tenait à faire une visite; nous fûmes accostés ensuite par un autre Capitaine, Mr Lamairesse, presque notre compatriote; il était originaire de Thâlon (Marne); il dit à mon Père qu'il avait des vues sur moi, qu'il comptait me demander au Colonel pour remplacer son sergent-major, qui était sur le point de le quitter pour passer dans une Compagnie d'élite; en effet, moins de deux mois après, les circonstances lui permettaient de tenir sa promesse.


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NOMINATION DE SERGENT MAJOR J'ENTRE D'URGENCE A L'HOPITAL Le 8 Novembre 1845, je remplaçais à la Compagnie Lamairesse le sergent-major Morlot passé aux Grenadiers; j'avais fort à faire pour me mettre à hauteur de mon prédécesseur; le sergent Major était le bras droit du Capitaine; mes nouvelles fonctions étaient très importantes; la partie la plus délicate consistait dans le maniement de fonds. Tous les 5 jours je recevais chez le trésorier, sur la présentation d'une pièce comptable (feuille de prêt) la somme destinée au paiement de la solde de la troupe; je devais la remettre à mon Capitaine; mais celui-ci me la laissait entre les mains, pour se dispenser de me remettre, chaque jour, l'argent nécessaire aux dépenses de l'ordinaire; cette dérogation au règlement constituait un double écueil pour le sergent Major qui pouvait être volé, ou bien se laisser aller à disposer de fonds qui ne lui appartenaient pas et se trouver un jour fort gêné pour le remboursement; je dois ajouter que pour éviter un trop perçu, le Capitaine, excellent comptable, ne signait jamais la feuille de prêt, sans s'être assuré de son exactitude. C'était une sage précaution; j'ai connu un sergent Major de Zouaves qui, abusant de la confiance aveugle de son Commandant de Cie, avait pu majorer de 1800F les feuilles de prêt d'un seul trimestre; le Capitaine était responsable, mais la famille prévenue par le Lieutenant Colonel remboursa la somme dilapidée, sous la condition expresse que le coupable, auquel on évitait le Conseil de Guerre, serait mi en demeure de faire la remise de ses galons pour être envoyé comme simple soldat dans un Régiment d'Infanterie de Marine; intelligent et suffisamment instruit, il eut bientôt reconquis ses galons, et s'étant amendé, il serait arrivé à l'épaulette, s'il n'avait succombé à l'hôpital des suites d'une fièvre pernicieuse sous le climat meurtrier d'une île de nos colonies. J'ai failli, moi aussi, succomber à l'hôpital de Nancy. Un soir, en sortant d'une représentation au théâtre, je me trouvai subitement indisposé et ne parvins qu'à grand-peine à regagner la caserne; je me présentai le lendemain à la visite de santé; le Médecin Major m'exempta de service, sans rien prescrire pour me soulager; trois jours après me sentant plus mal et étant hors d'état de me lever, je le fis appeler; il ordonna de me transporter d'urgence à l'hôpital, recommandant de ne pas me communiquer le billet d'entrée qui portait comme diagnostic "fièvre typhoïde"; je venais de recevoir de ma famille quelques centaines de francs à remettre à l'économe du lycée où j'avais deux frères pensionnaires; il est probable que cette circonstance me sauva la vie. Mon fourrier que j'envoyai porter l'argent à Mr Génin, garde général des eaux et forêts, l'informa de la gravité de la situation; cet ami dévoué se rendit aussitôt chez le docteur X..., médecin civil en chef de l'hôpital; j'étais arrivé après la visite qui n'avait lieu qu'une fois par jour; il se dérangea pour moi et constata que j'étais atteint d'un rhumatisme articulaire aigu qui menaçait la région du coeur; deux abondantes saignées, des sangsues et des ventouses scarifiées enrayèrent les progrès du mal. Le lendemain Mr Génion, entrant dans la salle et voyant mon lit vide, se demandait avec anxiété si on ne m'avait pas transporté à l'amphithéâtre après décès,


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et fut rassuré en me retrouvant dans une baignoire. Je puis dire que je dois la vie à ce bon ami et aux soins éclairés du Médecin en Chef de l'hôpital; quant au Médecin Major du Régiment, il avait fait preuve d'incapacité et s'était montré peu soucieux de la santé d'un malade, le laissant trois jours sans s'en inquiéter; c'était un bel homme toujours bien sanglé, ganté et parfumé, se plaisant à parader dans sa loge au théâtre et cherchant à se faire admirer des dames. Le Docteur de l'hôpital a dit à Mr Génin que si je n'avais été traité énergiquement le jour même de mon entrée, il y avait beaucoup de chances pour qu'il fût impossible de me sauver. Une fois remis sur pied, ou m'envoya passer un mois dans ma famille. il parait que j'étais d'un tempérament arthritique; à l'âge de dix ans, j'avais eu déjà un violent accès de rhumatisme articulaire aigu.

J'ABANDONNE LES GALONS DE SERGENT MAJOR POUR PRENDRE LES FONCTIONS DE SERGENT, 1ER SECRETAIRE DU TRESORIER. Au mois de Novembre 1847, l'emploi de sergent, 1er secrétaire du trésorier devenait vacant par suite de l'entrée du titulaire, le sergent Calot dans un asile d'aliénés; je sollicitai ce poste assez envié parce qu'il offrait des chances de parvenir plus vite à l'épaulette; ordinairement celui qui l'occupait ne tardait pas à figurer au tableau d'avancement pour le grade de Sous Lieutenant et en même temps pour le poste d'officier adjoint au trésorier; mon amour propre souffrit bien un peu en enlevant de ma manche le 2ème galon d'or; mais ma nouvelle situation me relevait plutôt aux yeux de mes anciens collègues; ayant à vérifier une partie de leurs écritures, je pouvais leur épargner des punitions en rectifiant certaines erreurs sans les signaler. A la suite de la Révolution de Juillet 1848, les Bataillons actifs et l'Etat-Major du 39ème se rendaient à Paris, la portion central et le dépôt avec le Capitaine Trésorier étaient dirigés sur Péronne; c'est dans cette garnison que pour la première fois depuis six ans que j'étais au service, j'eus la grande satisfaction de me livrer au plaisir de la chasse. Mon Capitaine m'emmena un jour dans un étang près de Péronne, où il avait une action de location de la chasse; j'ai passé là quelques heures délicieuses; à genoux sur l'avant d'une petite barque qui glissait sans bruit dans un clair pratiqué entre deux rangées de roseaux, on tournait la tête à droite et à gauche en traversant de petits layons où les poules d'eau prenaient leurs ébats; j'en ai tué sept; le lendemain le trésorier m'engageait à dîner; sa femme, très habile cuisinière, avait accommodé en salmis ces oiseaux de marais, dont la chair n'est pas très estimée; c'était d'ailleurs une diversion au menu ordinaire de la cantine. Les deux années que j'ai passées comme secrétaire du trésorier ont été fort agréables, mon chef m'ayant rendu le service facile en me traitant avec une extrême bienveillance.


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JE SUIS NOMME SOUS-LIEUTENANT LA GARNISON DE PARIS L'Officiel du 15 Octobre 1849 m'a apporté ma nomination de sous-Lieutenant. Avec plaisir et selon l'usage, j'ai donné la pièce de 5 francs au factionnaire qui, le premier, m'a rendu les honneurs en prenant la position du port d'arme. Cette libéralité n'était pas ruineuse, mais, à cette époque, certaines coutumes imposaient aux nouveaux promus des dépenses de nature à les endetter, s'ils n'avaient pas d'autres ressources que leur maigre solde; je ne pouvais guère me dispenser d'engager à dîner quelques camarades de la ville; les frais du repas à la cantine n'étaient pas exagérés; la soirée au café augmentait beaucoup la dépense; avant de quitter Péronne pour rejoindre ma Compagnie à Paris, j'ai dû offrir un punch aux officiers du dépôt, à la table desquels j'avais vécu quelques jours; enfin à Paris j'ai eu à supporter ma part dans les frais d'une soirée au café, offerte à tous les officiers de l'Etat Major et des deux bataillons actifs. Heureusement cette dépense était partagée entre un Capitaine, un Lieutenant et moi, promus le même jour; néanmoins la somme qui m'était allouée à titre de 1ère mise fut sérieusement entamée et je me trouvai à mes débuts comme officier, endetté chez les divers fournisseurs: tailleur, passementier, etc... Je crois que, depuis quelque temps ces regrettables coutumes ont été sensiblement modifiées, et que les choses se passent beaucoup plus simplement. Enchanté de voir Paris que je ne connaissais pas, j'y retrouvais Jules, mon frère ainé, Préfet des Etudes et Répétiteur au Collège Rollin. Il m'a fait faire la connaissance de Mr Bartaumieux, architecte, dont le fils Charles de six à sept ans plus jeune que moi, était élève de l'Ecole des Beaux Arts, après avoir fait de bonnes études à Rollin; il a succédé à son Père. Mon frère et moi, nous avions notre couvert mis tous les vendredis chez Madame Bartaumieux, la meilleure des femmes; j'ai conservé avec Charles des relations d'amitié pendant plus d'un demi-siècle et j'ai eu le chagrin de le perdre il y a deux ou trois ans; sa femme, excellente personne, m'a toujours témoigné beaucoup de sympathie, à moi et à tous les miens; elle est morte quelques années avant son mari. Edouard, l'aîné de leurs fils, qui a quelque peu dépassé la cinquantaine; a épousé une charmante femme; il est commissaire-priseur à Paris. Georges, son frère cadet, resté garçon, a remplacé son père comme architecte; tous deux, fidèles aux traditions de famille, entretiennent des relations d'amitié avec les Varaigne. La première fois que j'ai monté la garde à Paris, j'allais prendre le poste du Musée d'Artillerie de St Thomas d'Aquin. Je fus agréablement surpris, en apercevant à quelques pas du corps de garde mon frère et Charles Bartaumieux, qui avaient voulu me voir prendre possession du poste après avoir échangé le salut réglementaire avec l'officier que je relevais.


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A quelques semaines d'intervalle, j'étais de garde au poste de la banque de France. Prévenu qu'un de mes hommes avait soustrait à un camarade un objet de peu de valeur, je fis opérer la restitution, sans infliger une punition qui aurait pu amener le coupable devant un Conseil de Guerre; je dois avouer que l'indulgence dont j'ai fait preuve en la circonstance avait un motif intéressé; je craignais d'être retenu pour comparaître comme témoin et de ne pouvoir profiter de suite d'une permission de trente jours qui m'était accordée pour me rendre chez mes Parents; je ne les avais pas vus depuis cinq ans, et il me tardait de me montrer avec l'épaulette; Je suis donc parti, en descendant la garde, pour mon beau village de Dugny, où je me suis rencontré avec un ancien camarade, Frédéric Madin, récemment nommé Garde Général à Pontalier, à sa sortie de l'Ecole Forestière; engagés tous deux à dîner chez le bon docteur Pasquin, celui-ci nous offrit le champagne, se faisant un malin plaisir de nous exciter à en boire de façon à nous rendre plus gais. Au cours d'une visite chez Madame de Benoist, où les joueurs faisaient la partie de Wisth, on remarqua que les nouveaux hommes n'étaient pas dans leur assiette, et qu'ils avaient la langue un peu longue. Mon Père se trouvait là, il me témoigna, en rentrant à la maison, son mécontentement en termes tellement sévères, que je repartis pour Paris le lendemain sans attendre l'expiration de mon congé. Cette manière d'agir a pu peiner mes Parents; j'aurai mieux fait de réfléchir, de me dire que ma dignité d'Officier ne me dispensait pas de la soumission à l'autorité paternelle et que je devais accepter humblement la semonce méritée.

NOMINATION A L'EMPLOI D'ADJOINT AU TRESORIER GARNISON DE BOURG Le 14 Février 1851, étant au fort de Noisy le Sec, je reçus ma nomination d'Adjoint au Trésorier et je pris les fonctions d'Officier payeur près de la portion du corps de la garnison de Paris; j'aurais préféré continuer le service actif; mais en sollicitant l'emploi de sergent Ier secrétaire du Trésorier, qui avait hâté mon avancement, j'avais dû en accepter les conséquences. Les deux bataillons actifs quittèrent Paris au commencement d'Avril pour se rendre à Lyon, l'Etat-Major se rendait à Bourg, où il devait être rejoint par le dépôt qui était à Péronne; par une fausse interprétation du règlement, on me fit abandonner les fonctions d'Officier Payeur pour rester à Bourg avec le Trésorier; c'est là que j'ai fait la connaissance d'un jeune Anglais, Mr Patry, qui cultivait une ferme à Cornaton sur la route de Bourg à Mâcon, avec le concours de son beau-frère, Mr de Versterveller, ingénieur d'origine suisse. J'allais souvent passer la journée du Dimanche avec ces gentilshommes fermiers; je montais à cheval avec Patry, quelques fois nous allions en voiture à Mâcon; j'ai retrouvé là un compatriote et ancien condisciple, Mr Narat, qui occupait le poste de Payeur du Département de Saône et Loire; par son intermédiaire, je suis entré en relations avec son collègue Mr Labérard, Payeur à Bourg, et avec lequel j'allais avoir des rapports de service. C'est à sa caisse que je touchais la solde des officiers et de la troupe; cet excellent homme chez lequel j'ai été reçu très cordialement, était un horticulteur et arboriculteur


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distingué; il a bien voulu venir une ou deux fois s'asseoir à notre modeste table de Lieutenants, ne manquant pas de nous apporter d'excellentes et magnifiques poires, produits de son jardin. Mon ami Patry, très grand et vigoureux était un véritable casse-cou. Un Dimanche matin il s'excusa de ne pouvoir m'accompagner à la promenade; n'ayant pas de Temple à proximité et à défaut de pasteur, il voulait lire quelques pages de la Bible à ses serviteurs appartenant, comme lui au culte protestant. Il m'avait fait seller un petit cheval vicieux, et afin que j'eusse moins d'action sur l'animal on ne lui avait mis que le bridou, sous prétexte que la bride était en réparation. Patry m'indiqua, comme but de ma course, un cabaret situé à quelques kilomètres, m'engageant à y prendre un apéritif. Au moment où je venais de quitter l'auberge, me disposant à me remettre en selle, le cheval, sans me laisser le temps de chausser le second étrier, partit à une allure désordonnée; nous descendions une pente très raide, et craignant un accident, je faisais, mais en vain, des efforts pour calmer l'ardeur du coursier; enfin, à la montée qui succédait à la descente, il se disposait à prendre le pas; pour moi usant de la cravache et des éperons, je le remis au galop de charge. M'en étant rendu maître, j'arrivais tranquillement à la barrière qui séparait de la route l'avenue conduisant à la ferme; les deux beau-frères m'y attendaient; connaissant les habitudes de la monture que l'on m'avait donnée, ils m'avouèrent qu'ils avaient cru que le cheval serait rentré sans son cavalier et furent très surpris de voir le fantassin arriver tranquillement et correctement campé sur sa selle. Dans le courant de l'après-midi, je fus soumis à une nouvelle épreuve dont je ne me tirai pas sans de sérieuses avaries! C'était en plein hiver, nous étions dans la chambre à coucher que j'occupais à la ferme et nous regardions la neige tombant à larges flocons. Patry me donna un cor de chasse et me faisant grimper sur son dos me dit de sonner un bien-aller; au moment où j'approchais l'embouchure des lèvres, il demanda : "Faut-il donner un coup de reins ?" Sans attendre la réponse, il me précipita, la tête en avant, contre le foyer, risquant de me tuer, ou tout au moins de me brûler la figure. Me voyant inanimé, il me transporta sur le lit et fit monter à cheval un domestique qui ramena un médecin; j'avais plusieurs dents cassées, les cartilages du nez brûlés sans parler d'autres blessures à la langue et au visage; je restai couché jusqu'au lendemain, et mon imprudent ami me reconduisit à Bourg en traîneau; je rentrai à l'heure à mon bureau, mais j'étais dans un piteux état. Deux ans et quelques mois après, je reçus la nouvelle de la mort tragique de ce pauvre garçon. Il revenait de Mâcon au milieu de la nuit, en voiture attelée de deux magnifiques et fringants gris-pommelé, cadeau d'un oncle banquier à Londres. Les chevaux arrivèrent à la porte de l'écurie, traînant la moitié de la voiture; on retrouva le conducteur dans un fossé. Un mois après il succombait, après avoir horriblement souffert; c'était un brave coeur : dans une belle situation de fortune il donnait largement aux malheureux; mais il abusait des liqueurs fortes. Sa mère, qui habitait Genève, était venue le soigner après son accident. Il lui avait juré de se corriger, s'il guérissait !!


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GARNISON DE LYON - MON CAMARADE DAVOUST LE MANEGE MARI Au commencement de l'année 1852, l'Etat-Major quittait Bourg et rejoignait le Bataillon actif à Lyon, où je me rendis pour y reprendre les fonctions d'Officier Payeur. C'est alors que je fis la connaissance d'un Officier, qui a fourni une carrière des plus brillantes : Léopold Davoust sous-Lieutenant au 72ème d'Infanterie, intelligent et très sérieux, tenait à être au courant de tous les détails du métier. Il venait souvent passer la soirée dans ma chambre et nous passions une heure à causer comptabilité; puis un troisième camarade venant nous retrouver, on faisait quelques parties de piquet ou d'écarté avant de se séparer. L'ayant quitté en 1853, lorsque le 39ème partit pour Nîmes, je l'ai revu à Paris en 1856; je rentrais de Crimée avec les épaulettes de Capitaine, il était encore Lieutenant, détaché aux bureaux des affaires arabes en Algérie; il avait été mandé à Paris pour donner des renseignements au sujet de la ténébreuse affaire Doineau. Trois ans après, en 1859, il faisait la campagne d'Italie comme Capitaine de Chasseurs à pied; pendant un engagement, détaché de son Bataillon avec la Compagnie qu'il commandait, il s'empara d'un canon autrichien que les servants après la défaite, cherchaient à sauver en se dérobant au milieu des hautes moissons; il ne rentra que le lendemain à son Bataillon qu'il devait rejoindre le soir. Son Commandant lui infligea des arrêts; le Général Auger de l'Artillerie, à l'instigation duquel il s'était mis à la poursuite de la pièce capturée, fit lever les arrêts et Davoust fut nommé Chef de Bataillon, ayant à peine trois ans de grade de Capitaine. C'était un avancement magnifique ! Parvenu au grades les plus élevés, il est décédé il y a quelques années, Général de Division et Grand Chancelier de la Légion d'Honneur; il avait occupé pendant plusieurs années le poste éminent de Gouverneur de Lyon. En outre des circonstances heureuses qui l'ont servi, et de son mérite personnel, son origine a pu aider à son avancement: petit neveu du Maréchal Davoust, Duc D'Auerstaedt, Duc d'Eckmühl, qui n'avait pas laissé de descendants directs, il avait hérité du titre de Duc d'Auerstaedt qu'on l'avait autorisé à porter; on lui avait promis l'autorisation d'y joindre celui de Duc d'Eckmühl; lorsqu'il serait arrivé au grade de Général de Division; la chute de l'Empire est venue s'opposer à la réalisation de cette promesse. j'ai conservé un bon souvenir de cet excellent camarade, qui aurait été heureux de me rendre service, si l'occasion s'en était présentée. J'ai connu son frère Ferdinand, soldat au 39ème, où il préparait ses examens pour St Cyr, sorti de l'Ecole en 1849 ou 1850, il était Sous-Lieutenant au 11ème Régiment d'Infanterie Légère qui a eu un Bataillon décimé à la rupture du pont suspendu d'Angers qu'il traversait, en se rendant en Algérie. Ferdinand Davoust a été enlevé peu de temps après par une fièvre pernicieuse en Afrique. Toujours amateur d'équitation, j'ai suivi à Lyon les cours d'un manège civil installé aux Brotteaux; un jour, pendant une reprise, je vis à la tribune mon Colonel, venu pour assister au dressage d'un cheval qu'il avait confié à notre professeur, très habile et vigoureux écuyer; à la fin de la leçon le Colonel me demanda pourquoi je ne suivais pas les cours gratuits dans un Régiment de Cavalerie. Une circulaire ministérielle parue récemment prescrivait d'envoyer au manège des Régiments de


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cavalerie un certain nombre d'Officiers d'Infanterie et de préférence ceux qui pouvaient avoir de l'avenir. Le Colonel, auquel je servais souvent de secrétaire, avait désigné les noms à porter sur la liste, qu'il m'avait donnée à copier; ainsi que je lui avais fait remarquer, il ne m'appartenait pas de me juger susceptible d'avenir, en lui demandant de figurer sur cette liste. Très bienveillant pour moi, le Colonel Beuret me dit que s'il ne m'avait pas désigné, c'est parce qu'il supposait que mon bureau ne me laisserait pas libre aux heures indiquées pour les cours d'équitation du Régiment de Cavalerie. Le Directeur du manège civil, Mr Marion, présent à notre entretien, dit au Colonel que j'étais un de ses meilleurs élèves et que lui (le Colonel) pouvait me faire monter ses chevaux difficiles, ce en quoi j'étais d'avis qu'il s'avançait beaucoup; cet excellent homme me faisait prix de faveur et me laissait sortir avec ses meilleurs chevaux. J'ai conservé, entr'autres le souvenir d'une forte alezane, Lola, légèrement ensellée, aux réactions très douces, et qui aurait pu figurer avantageusement dans un cirque pour y exécuter un pas de menuet. Je me rappelle aussi un petit étalon arabe, Gamin, très capricieux et qui avait l'habitude, fort dangereusement pour le cavalier, de se cabrer parfois au point de se trouver presque debout sur les pieds de derrière. Lorsque je le montais hors du manège, Marion m'avait donné le conseil de mettre pied à terre lorsque le cheval commençait à se cabrer et de le conduire un instant par la bride avant de le remonter. J'avais employé déjà ce moyen avec succès, lorsqu'un jour, en passant devant la porte d'un quartier de cavalerie, où quelques sous-officiers avaient les yeux sur moi, au moment où Gamin commençait à se livrer à ses fantaisies, ne voulant pas paraître trop timide, j'assénai un coup de pommeau de la cravache sur la tête de l'indiscipliné; et lui rendant la main, je lui fis prendre le galop de charge, aux applaudissements des Cavaliers témoins de l'incident.

GARNISON DE NIMES - JE SUIS NOMME LIEUTENANT DEPART POUR LA CAMPAGNE D'ORIENT Au commencement de 1853, le 39ème quittait Lyon pour se rendre à Nîmes, la ville aux antiques monuments : La Tour Magne, la Maison Carrée, les Arènes en ruines, où j'ai assisté à plusieurs corridas, avec mise à mort de taureaux. Maintenu au tableau d'avancement de 1853, j'ai été nommé Lieutenant le 23 Février 1854.` Au mois d'Avril, le Régiment était désigné pour prendre part à l'expédition d'Orient; je n'appartenais pas aux Bataillons actifs; le Colonel Beuret me donna une nouvelle preuve d'intérêt, en me faisant permuter avec un Lieutenant, auquel un tempérament délicat ne permettait pas de faire campagne; je pris sa place à la 1ère Compagnie du 2ème Bataillon, au grand déplaisir d'un camarade plus ancien de grade, plus vigoureux et plus méritant que moi à tous égards. Le Régiment s'étant mis en route pour Toulon, je le précédai pour faire le logement.


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Le Général d'Aurelles de Paladine, qui prenait le commandement de la Brigade, voulut m'attacher à son Etat-Major en qualité d'Officier d'Ordonnance; le Colonel, préférant me garder près de lui, en désigna un autre, ce dont je ne lui suis pas gré; j'aurais été heureux d'entrer en campagne comme officier monté. Le 39ème s'est embarqué à La Seyne dans les premiers jours de Mai.


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Campagne de Crimée 1854 - 1855

J'ai évoqué l'annonce de mon départ pour l'Armée d'Orient, avec le regret de ce que le Colonel eût mis opposition à la demande du Général d'Aurelles de Paladine, qui voulait me prendre pour Officier d'ordonnance, position qui m'eut procuré l'avantage inappréciable à mes yeux d'être monté et de faire campagne dans de meilleures conditions. Ma Compagnie s'embarquait le 11 Mai à la Seyne, près Toulon. J'avais pour Capitaine Mr Mathieu de Fossey et comme S.Lieutenant le jeune Pentecôte de Reneville.

Ci-après, copie de ma première lettre à ma famille en date du 19 Mai. Mes chers Parents Je ne veux pas commencer cette campagne en manquant à la promesse de vous donner souvent de mes nouvelles. Partis de Toulon le 11 Mai, nous entrions dans le port de Malte le 15 à 7 heures du soir. Notre installation à bord du Météore n'est pas précisément confortable; il parait que plusieurs de nos camarades sont encore moins favorisés que nous sur d'autres bâtiments; le mal de mer ne m'a pas trop éprouvé bien que plus d'une fois j'ai dû quitter la table et monter sur le pont afin de jeter en pâture aux poissons ce que l'estomac se refusait à digérer; Nous vivons à la table des officiers de Marine, Lieutenants de vaisseau, Enseignes et Aspirants; l'ordinaire est très convenable; la table fixée au sol, est percée de trous dans lesquels des chevilles sont plantées pour maintenir les bouteilles, carafes,


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verres et assiettes afin que les brusques mouvements de tangage et de roulis ne les jettent pas sur le parquet; par les gros temps on doit se cramponner à la table pour éviter les culbutes en somme je n’apprécie pas ce mode de transport auquel je préfère le cheval, la voiture, voire même les courses à pied sur la terre ferme, qualifiée dédaigneusement par le marin, de la vulgaire épithète de plancher des vaches!! L’île de Malte est divisée en trois parties: la cité Lavalette, la Victorieuse et la Cita-Vecchia; les rues sont généralement régulières et très propres; beaucoup d’habitations; dans les beaux quartiers, sont pourvues de balcons fermés, où l’on voit parfois apparaître, derrière un coin de rideau soulevé, une tête de femme qui s’éclipse aussitôt qu’un oeil indiscret se fixe sur elle. Dans la rue on rencontre, comme en France, des femmes qui supportent très bravement les regards quand elles ne les provoquent pas; la plupart de celles que l’on rencontre sont misérablement vêtues; il paraît que les femmes de la société sortent rarement dans la journée. Les Officiers Anglais de la garnison nous font très bon accueil; mais il faut avoir l’estomac et la tête solides pour accepter de dîner à leur Mess! Ils se font un malin plaisir de vous exciter à boire, vous offrant des vins capiteux auxquels je les soupçonne de mêler quelques drogues fortement alcoolisées. Les soldats Anglais ont une singulière façon de saluer: quelques pas avant de se trouver à hauteur de leurs supérieurs, ils s’arrêtent étendant le bras droit de toute sa longueur, puis ils portent la main au-dessus des yeux, comme pour se garantir des rayons du soleil, et quittent cette position que lorsque vous les avez dépassés. Les Maltais, commerçants ou autres, nous exploitent de leur mieux; une seule chose m’a semblé bon marché: le sucre qui se vend à 0,40 cm la livre. Si vous désirez visiter un monument, le passant auquel vous demandez le chemin, vous précède de quelques pas, s’arrête devant l’édifice et tend la main pour recevoir le prix de sa course, eût-elle duré moins d’une minute. Je suis entré dans la magnifique église.St Jean. entièrement pavée en mosaïques, où se trouvent les tombeaux d’anciens Chevaliers de Malte. Hier avec deux camarades, je quittais à 8 h du soir le quai pour rejoindre le Météore; nous avions là une barque pour traverser les 30 mètres qui nous séparaient du bâtiment; j’avais déjà le pied à l'échelle, après avoir remis au patron le prix convenu pour la course; il exigeait davantage et voulait faire rétrograder l’embarcation, sans débarquer mes compagnons; je sautai sur le frêle esquif qui fut sur le point de chavirer et il fallut menacer de nos sabres les rameurs pour les décider à nous mettre à bord. J’ai fait, en compagnie de plusieurs camarades, une excursion à la Cita-Vecchia. Nous avions loué de petits chevaux très


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vigoureux; des palefreniers nous escortant, se suspendant à la queue de nos montures lancées aux grandes allures; nous avons mis pied à terre pour visiter le jardin Antonio réservé au Gouverneur. Ce vaste jardin était rempli d’arbres fruitiers, les uns en fleur, d’autres chargés de fruits, entr’autres de nèfles du Japon, auxquelles par curiosité plutôt que par gourmandise, j’aurais voulu pouvoir goûter, mais nous avions seulement le droit d’admirer: “Regardez, mais n’y touchez pas” Il me faudrait remplir bien des pages pour vous parler de toutes les merveilles que j’ai vues pendant notre relâche d’une semaine en rade de Malte; je tâcherai d’en garder quelque souvenir pour le jour où j’aurai le grand bonheur de vous revoir. En attendant, j’embrasse toute la famille du meilleur de mon coeur. Ernest.

Après les quelques jours d’arrêt à Malte la flottille qui portait notre Division, reprenait la mer. Le 25 Mai elle jetait l’ancre dans le port du Pirée; le Général Forey, qui nous commandait, avait l’ordre de s’y arrêter. On trouvera les raisons de cette halte dans les lignes suivantes, que j’emprunte au remarquable ouvrage du Baron de Bazancourt sur la guerre d’Orient.

Les graves et justes sujets de mécontentement que l’attitude du Gouvernement Grec et son évidente participation aux troubles de l’Epire et de la Thesssalie avaient donné à la France et à l’Angleterre, força le gouvernement de l’Empereur à diriger une expédition sur le Pirée; Le Général Forey, informé que le roi Othon n’avait pas encore fait connaître sa décision au sujet de demandes formulées, fît descendre à terre, dans des chaloupes armées de canons des marins Français et Anglais pour s’emparer du Lazaret, de la poudrière et des avenues donnant sur les quais; puis il fît tenir prêts à débarquer deux bataillons, pendant que lui-même reconnaissait le lieu le plus convenable pour le campement. L’ultimatum, adressé au Gouvernement Grec était le renvoi de son Ministère, son remplacement par un Cabinet dévoué aux Puissances Alliées et une déclaration formelle de complète neutralité. Le Roi ayant donné son adhésion, il fut convenu que, dans le but d’assurer l’exécution des promesses de la Cour d’Athènes, une force de 3.000 hommes resterait au Pirée; le Colonel Breton, du 74 ème prit le commandement de ce corps d’occupation.


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Le 29 Mai, le 39ème, ne faisant pas partie des troupes restant au Pirée, se dirigeait sur Gallipoli. Le Général Canrobert nous y attendait; il procéda à notre installation; ma Compagnie campait dans un cimetière; je passai cette première nuit sous ma petite tente, dressée sur une tombe, ce qui ne troubla pas mon sommeil. Le lendemain nous allions camper à peu de distance de la ville et nous y restions quelques semaines, menions une existence paisible. Notre popote se composait des trois officiers de la Compagnie et du Capitaine Guisolphe, Adjudant Major. Notre cuisinier, ancien troupier d’Afrique, très débrouillard accommodait convenablement les vivres fournis par l’administration; il y ajoutait parfois un plat de sa façon, il nous a servi des petites tortues en fricassée de poulet et dont nous nous léchions les doigts. L’Adjudant Major ayant mis gracieusement sa monture à ma disposition, je faisais des excursions en dehors du camp. Chevauchant un jour le long d’un ruisseau, j’aperçus une petite tortue et mis pied à terre, pour m’en emparer; l’ayant posée sur le devant de la selle, mon odorat fut bientôt désagréablement affecté par des émanations nauséabondes; je me débarrassai de ma trouvaille; en la jetant, je constatai qu’elle était pourvue d’une queue, semblable à celle des rats, notre cuisinier me dit que c’était la petite tortue d’eau, dont la chair n’est pas mangeable. Pendant notre séjour à Gallipoli, nous étions réveillés avant le lever du soleil par la circulation d’arabas, charrettes grossières, dont les essieux en bois produisent un grincement étourdissant. Notre Division s’est embarquée à Constantinople vers le 10 Juillet, à destination de Varna; en y arrivant, les tentes furent dressées sur les hauteurs qui dominent la ville, à 2 Kilomètres environ des fortifications. C’est alors que le Général Yusuf fut chargé de l’organisation d’une colonne composée de quelques Bataillons et Escadrons, qui devaient agir isolément, une fois les opérations commencées; ma demande d’en faire partie dans un escadron de Cavalerie n’eût pas de suites. Nous ne restions pas inactifs au camp; en outre des manoeuvres, nous allions dans la forêt faire des provisions de bois destiné à la confection de fascines et de gabions en prévision d’un siège. Un jour que je conduisais une de ces corvées, ayant emporté un fusil de chasse emprunté à un Capitaine qui ne s’en servait jamais, j’eus l’occasion de tirer sur un groupe de huppes; j’en ai tué trois d’un seul coup; l’oiseau est assez joli; mais la chair en est coriace et le salmis que nous servit le Chef de cuisine ne fut pas apprécié. Quelques jours après je tuais une perdrix isolée (petite bartavelle), la seule véritable pièce de gibier que j’ai rencontrée pendant la durée de la campagne. Le 10 Août, à 7 h du soir, nous descendions à Varna pour combattre un incendie qui prit des proportions effrayantes, pendant quelques heures on a craint le désastre:l es poudrières se trouvaient cernées par un réseau de flammes et les munitions pour toute l'Armée étaient là (8 millions de cartouches). Le Maréchal, qui se trouvait sur les lieux, éprouva de cruelles angoisses à la pensée d’explosions qui pouvaient engloutir une partie de son Armée sous les ruines de la ville; il eut un instant l’idée de faire sonner la retraite; enfin l’héroïque dévouement des Officiers et Soldats


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occupés à saper à coups de hache une maison voisine du magasin à poudre, fut couronnée de succès. La maison s’écroulait avec grand fracas, les travailleurs ayant pu s’éloigner à la hâte; dès lors le danger était conjuré; on était maître du feu; il était 5 heures du matin; on venait de traverser une lutte incessante de 10 heures, pendant lesquelles on était exposé à la mort. Pour moi; bien que me trouvant très près de la poudrière, je n’avais pas conscience du danger (j’ai copié les détails ci-dessus sur le livre du Baron de Bazancourt, lequel ajoute que le septième de Varna était détruit.) Le séjour de Varna fut marqué par l’invasion du Choléra; moins éprouvée que la colonne d’expédition de la Dobroudja, où parmi les nombreuses victimes on eut à déplorer la mort foudroyante de deux Généraux distingués: Ney d’Elchingen et Carbuccia, notre Division fut sérieusement atteinte. Les ambulances étaient encombrées; les voitures qui venaient prendre an camp les malheureux frappés du terrible mal, n’arrivaient pas à destination, sans avoir perdu une partie de leurs malades décédés dans le trajet. J’ai monté plusieurs gardes aux ambulances où le spectacle était navrant; la nuit surtout on était assourdi par les plaintes et les râles des agonisants. Un de mes camarades, le Sous-Lieutenant Guéry, fut le premier officier atteint au 39ème; j’allai le voir sous sa tente: le pauvre garçon, chargé des provisions pour la popote, avait acheté une magnifique et grasse volaille (dinde) et regrettait de ne pas en prendre sa part; malgré ses souffrances il me disait avec son accent gascon: Ces coch... là vont la manger sans moi! Le lendemain j’arrivais à l’ambulance pour prendre de ses nouvelles, lorsque je rencontrai le Sous-Lieutenant Guerby, son compatriote, qui me fit part de la mort de notre infortuné camarade. Le Lieutenant Guignard qui prononça sur sa tombe quelques paroles bien senties, fut lui-même frappé peu de jours après. En prenant la garde à l’ambulance, je n’y trouvais pas l’Officier commandant le poste; il était occupé à frictionner Gruignard; je le remplaçai dans ces fonctions.d’infirmier, jusqu’au moment où l’ordonnance du malade revint de la pharmacie où il était allé chercher des médicaments; moins d’une heure après il venait me prévenir que son officier avait succombé. Environ 8 jours plus tard le Sous-Lieutenant Guerby était enlevé à son tour et dans les mêmes conditions. La malchance s’acharnait sur la lettre G Nous venions de recevoir la nouvelle de la mort du Lieutenant Gauthier décédé à l’hôpital de Nîmes, et dont j’avais pris la place aux Bataillons de Guerre.

Le 25 Août, le Maréchal annonce à l’Armée, par son ordre du jour, le départ pour la Crimée: “Généraux, Chefs de Corps Officiers de toutes Armes, vous ferez passer dans l’âme de vos soldats la confiance dont la mienne est remplie. Bientôt nous saluerons ensemble les 3 drapeaux réunis sur les remparts de Sébastopol, de notre cri national de: Vive l’Empereur!


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Notre Division embarquée à Baltchick débarquait à Old Fort le 15 septembre, sans être inquiétée par l’ennemi, qui nous attendait à l’Alma, à la Kalchka, au Belteck. Le lendemain, nous marchions vers l’Alma, précédés par des éclaireurs; le 17 nous descendions dans une vallée traversée par un ruisseau, dont, après avoir arrêté la colonne, on faisait garder les rives par des factionnaires pour en interdire l’accès aux hommes qui, ayant eu à souffrir de la soif dans la marche de la veille, seraient tentés d’aller boire en pleine transpiration; un quart d’heure après; la consigne étant levée, ils purent se désaltérer. La halte s’étant prolongée, on eut le temps de faire le café. Une demi-heure après, nous passions près de vigne chargées de raisins blancs en pleine maturité; les soldats furent autorisés à y faire la vendange; mon fourrier m’en apporta quelques grappes énormes que je comparais aux raisins de la terre de Chanaan, je m’en régalai au point d’avoir la diarrhée; il parait que cette cure de raisin a pu contribuer à me préserver du choléra, qui faisait encore des victimes; depuis quelques semaines je commandais ma Compagnie, en l’absence du Capitaine détaché comme auxiliaire aux services de l’Intendance. Le 19 dans la soirée, ma Compagnie était mise à la disposition de l’Officier comptable des vivres; je devais être séparé de mon Bataillon pendant 24 heures pour escorter le troupeau. Le lendemain 20 septembre, nous nous arrêtions vers onze heures pour déjeuner. Une heure après, toujours au repas, nous entendions le crépitement de la fusillade et la voix imposante du canon; j’avais aperçu, à une distance de plus d’un kilomètre, les zouaves de la Division Bosquet escaladant un sentier le long des rochers bordant la mer; ils parvenaient au sommet et bientôt l’artillerie les rejoignait au prix d’efforts surhumains, et la bataille s’engageait.

Je copie encore le passage suivant, dans lequel le Baron de Bazancourt décrit d’une façon si émouvante les difficultés qu’avaient dû surmonter les artilleurs: Le transport de nos pièces par ce sentier escarpé, souvent brisé, était certes la limite du possible; mais l’hésitation n’était plus permise:à quelque prix que ce fût, il fallait arriver. Les tirailleurs sur le plateau ouvrent un feu bien dirigé et vigoureusement nourri, qui maintient l’ennemi; le commandant Barral, qui avait suivi le Général Bosquet, revient lui-même donner l’ordre à ses batteries, et en surveiller l’exécution. Si les attelages prennent le pas, les voitures sont infailliblement renversées dans le ravin; car dans plusieurs de ses parties, le chemin, rompu par l’écoulement des eaux, offre de larges et profondes déchirures; les servants se placent près des roues, afin de les retenir, dans le cas où le sol viendrait à manquer; les


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hommes ont l’ordre de frapper les chevaux avec leurs sabres, s’ils hésitent ou s’ils veulent prendre le pas. Au signal donné, les pièces et caissons partent au galop; hommes et chevaux se confondent en un élan désespéré; de tous côtés, sous le poids de ces lourdes masses, la terre se fend, les pierres détachées roulent en bondissant; les servants se penchent sur les zones qui creusent dans les terres de dangereux sillons; parfois les chevaux tremblent et frémissent sur leurs jarrets, mais rien n’arrête et ralentit le mouvement, et le Général Bosquet pousse une exclamation de joie, quand il voit les premières pièces sur la hauteur. Le Commandant Barral et le Capitaine Fiève qui commande la 1ère Batterie marchent en tête; les pièces sont placées à 1OO mètres environ du point où elles ont débouché sur le plateau. Aussitôt que chaque pièce est dégagée de son avant-train elle commence le feu sans attendre l’arrivée des autres; c’est l’artillerie française qui tira le premier coup de canon dans cette mémorable journée!

C’est au mouvement de la Division Bosquet, qu’il faut attribuer la plus grande part du succès de la journée. Il parait que le Prince Menschikoff, commandant en chef de l’Armée russe, avait engagé les dames à venir de Sébastopol pour assister, à cheval ou en voiture, à la déroute des Alliés qu’il devait porter à la mer. Tout ce qui sort de la plume du Baron de Bazancourt étant beaucoup plus intéressant que ce que je puis écrire moi-même au risque d’être taxé de plagiaire, je lui emprunte encore un épisode qui égaya la fin de la bataille:

L’Armée russe était en retraite, les deux Batteries à cheval de notre artillerie de réserve qui couronnaient les crêtes du côté où les Anglais attaquaient la droite de l’Armée ennemie, s’étaient portées en avant pour s’opposer aux charges de Cavalerie, par lesquelles, sans nul doute, les Russes voudraient protéger leur mouvement rétrograde. Le Commandant de la Boussinière, en batterie dans cette position, vit déboucher, à une distance de 600 mètres, une voiture attelée de trois chevaux de front et qui venait en ligne droite, à toute vitesse. Reconnaissant l’artillerie française, elle voulut changer de direction, mais le Commandant se mit à sa poursuite avec 20 servants et l’atteignit, lorsqu’elle n’était plus qu’à cent mètres d’escadrons russes. Les artilleurs, se mettant à la tête des chevaux, leur firent rebrousser chemin et ramenèrent l’équipage avec les cinq personnes qu’elle contenait et la conduisirent au Grand Quartier Général; cette voiture


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appartenait au prince Menschikoff et contenait des papiers très curieux.

Sur tous les points, la bataille prenait fin à 5 heures 1/2. Le 39ème avait été relativement peu éprouvé; il avait perdu un seul officier, le Sous-Lieutenant Poidevin, frappé à mort par un obus, au moment où il se disposait à escalader la tour du télégraphe pour y planter le drapeau. Originaire de Montargis, où ses compatriotes lui ont érigé une statue, Poidevin était de très haute taille et d’une force peu commune; peu de jours avant sa mort, il nous disait qu’on devrait l’emmener dans une chambre obscure avec l’Empereur Nicolas et qu’il serait convenu que la mort de l’un des deux champions mettrait fin à la guerre au profit de la partie du survivant. Resté à la garde du troupeau, je n’ai pas été exposé à cette première affaire. A ma rentrée en France je racontais à une très aimable et charmante femme, amie de la famille, et la mère de mon bon ami, Amédée Bouvelet, le rôle effacé qui avait été le mien dans cette journée, et depuis lors elle m’appelait son “fidèle Berger”. La maison Recouvreur fabricant de dragées à Verdun, patrie de Madame Couvelet et lieu d’origine de ma famille, portait comme enseigne: Au fidèle Berger. Le soir de l’Alma j’eus l’occasion de rendre les honneurs au Maréchal de St Arnaud, qui passait devant mon poste avec sa brillante escorte, je ne me doutais pas que je ne devrais plus le revoir! Dans cette même soirée un soldat vint me prévenir qu’un Officier me demandait à l’ambulance, à quelques pas de mon poste; me rendant à cet appel, je me trouvais en présence d’un bon ami, le Lieutenant Paris; il avait reçu au bras une blessure, dont il souffrait beaucoup; je lui fis prendre de l’absinthe, largement étendue d’eau; en le quittant, je laissai mon caban, sa couche ne me paraissant pas suffisamment pourvue de couvertures; le lendemain matin en me renvoyant ce vêtement, il me faisait dire qu’on l’évacuait sur Constantinople. On l’envoya ensuite en France avec un congé de convalescence à l’expiration duquel il revint, complètement rétabli, prendre sa place devant Sébastopol. On peut dire qu’il avait reçu une blessure heureuse, à l’occasion de laquelle il avait été nommé Capitaine; 18 mois après, étant en garnison à Paris, il recevait la croix de Chevalier de la Légion d’Honneur, et sept ans plus tard en 1863, il était promu Chef de Bataillon. Le lendemain de l’Alma, et le surlendemain nous campions sur le champ de bataille; le 2 l’Armée se mettait en marche, notre Division en tête de colonne. Nous traversions d’abord un terrain montueux, puis une plaine où les lièvres effrayés se sauvaient dans toutes les directions, les soldats en prirent plusieurs; un Grenadier de mon Bataillon en offrit à son Capitaine; de tous côtés on apercevait des maisons de campagne avec jardins. A notre arrivée en bivouac le Lieutenant Guénain aîné, m’emmena fourrager dans un potager; nous étions accompagnés de nos ordonnances, porteurs de sacs à distribution et nous faisions une razzia de choux, carottes et autres légumes, qui furent bien reçus par nos camarades de table.


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Le 25 septembre, le Maréchal, en proie à une violente attaque de Choléra, se sentant à bout de forces, faisait appeler le Général Canrobert, éventuellement désigné pour lui succéder, et lui remettait le commandement; il adressait en même temps ses adieux à l’Armée par l’ordre du jour suivant:

“Votre général en Chef, vaincu par une cruelle maladie, contre laquelle il a lutté vainement, envisage avec une profonde douleur, mais saura remplir le devoir impérieux que les circonstances lui imposent, celui de résilier le commandement, dont sa santé, à jamais détruite, ne lui permet plus de supporter le poids. Soldats, vous me plaindrez; car le malheur qui me frappe est immense, irréparable et peut-être sans exemple”

La voiture prise au prince Menschikoff transporta le Maréchal à Balaklava, pour l’embarquer sur le Berthollet, bâtiment affecté à son service personnel et qui devait le ramener en France. Il était écrit qu’il n’y arriverait pas en vie: le 29 septembre, à 4 h du soir, il rendait le dernier soupir, assisté de l’Abbé Parabère, aumônier. Le 26 septembre, l’Armée campait dans la plaine de la Tchernaïa; le 27 notre Division (la 4ème) se dirigeait sur la vallée de Baïdar, et le 29 nous partions à six heures du matin pour le cap Ghersonèse; nous avons marché vingt heures sans avancer beaucoup, faisant de fréquentes haltes. L’Adjudant-major m’avait prêté son cheval à plusieurs reprises, je n’en étais pas moins exténué en arrivant, au milieu de la nuit, sur le plateau où nous devions camper. Nous avions eu, pour nous sustenter pendant cette longue journée, que du biscuit et pas d’eau pour nous désaltérer; je me suis étendu sur le sol, en attendant ma tente; le mulet qui la portait se trouvait à l’arrière garde; mon ordonnance, l’ayant dressée, m’y transporta, ensuite ce brave et dévoué garçon s’occupa de me procurer un breuvage réconfortant; on avait jeté des cadavres dans les puits, il finit par trouver une source non contaminée, et bientôt il me réveillait en me présentant une tasse de thé. Les troupiers ont donné à ce bivouac le nom de Camp de la Soif. Le lendemain nous campions entre la baie de Streleska et celle de Kamiesch, faisant face à Sébastopol: c’était le prélude de l’investissement de la place. Le Général Forey prit le commandement du corps de siège; le Général Bosquet fut mis à la tête d’un corps d’observation destiné à protéger l’Armée de siège contre les entreprises d’une Armée de secours qui pourrait venir de l’intérieur de la Crimée. Les Anglais prirent leurs positions sur la droite, leur gauche s’appuyant au grand ravin de Sébastopol qui allait séparer les deux attaques, anglaise et française. Les Anglais étaient chargés des attaques de droite; les Français de celles de gauche. Notre Division se trouvait en face du bastion central, de celui du Mât et du fort Gênois.


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Le 7 octobre, à six heures du soir, une colonne russe venait s’assurer si nous avions commencé les travaux d’attaque et reconnaître nos positions; ma compagnie, déployée en tirailleurs, couvrait le Régiment placé à 150 mètres en arrière; le Colonel, en me donnant ses instructions m’assurait qu’en cas d’attaque il ne me laisserait pas sans secours. La nuit commençait à être obscure; mes hommes étaient couchés derrière des débris de murs en pierres sèches; j’avais expressément recommandé de ne pas ouvrir le feu avant le signal qui en serait donné par le groupe placé près de moi au centre de la ligne. Ayant aperçu l’ennemi à une distance de 80 mètres environ, les tirailleurs de la droite malgré mes ordres avaient ouvert le feu auquel les Russes, avant de se retirer, avaient répondu par une fusillade et une décharge de mitraille, blessant deux de mes hommes. Si l’on s’était conformé à mes prescriptions, je laissais approcher l’ennemi et une décharge à courte distance aurait fait de nombreuses victimes; ne pouvant les poursuivre dans l’obscurité, l’engagement n’eut pas d’autres suites. Le Colonel me demanda un rapport sur l’affaire, et bien que nous n’eussions obtenu d’autre avantage que celui de repousser l’ennemi, je fus proposé pour une récompense qui m’arriva six mois plus tard sous la forme d’une décoration de l’ordre turc du Medjidié. Le sergent Gibert, que j’avais signalé, fut nommé Sous-Lieutenant; ce sousofficier était arrivé comme engagé volontaire, quelques années plus tôt portant déjà sur la poitrine la croix de Chevalier de la Légion d’Honneur. A la Révolution de Juillet 1848, à peine âgé de 18 ans il avait pris dans les rangs de la Garde Nationale la place de son père indisposé, et s’était distingué aux côtés de Mgr Affre. Vers le 12 octobre le Colonel, en venant visiter le poste où j’étais de service à proximité du camp, m’apprit que le Capitaine Guisolphe, adjudant Major était atteint du Choléra, et, sur ma demande m’autorisa à m’absenter quelques instants pour aller voir le malade qui m’avait toujours témoigné une grande bienveillance; il me montra une caisse que sa femme lui avait envoyée et qui contenait des vins, liqueurs et autres provisions et il exprimait la crainte de ne pas en profiter ce qui me rappelait les regrets de mon malheureux camarade Guéry, dans les mêmes circonstances. Le lendemain j’apprenais que l’infortuné capitaine Guisolphe avait succombé. Décidément la lettre G était le point de mire du terrible fléau! Octobre fut un mois de grandes fatigues; j’ai passé neuf jours consécutifs sans me reposer sous ma tente; lorsque je rentrai de la garde de tranchée, on m’y renvoyait avec une corvée de travailleurs. Toutefois en rentrant un soir à 5 h je fus agréablement surpris : notre cuisinier avait engagé de ma part le Lieutenant Dufay à partager notre dîner. Je me demandais ce qu'il pourrait bien nous servir; depuis quelque temps nous étions réduits aux vivres de campagne: lard salé et biscuit, avec de l’eau comme boisson. Je vis avec satisfaction sur la table du pain de munitions frais, du vin fourni par l’Administration à titre remboursable; une distribution de viande avait permis de nous faire un bon potage; je fus très intrigué, en voyant arriver une casserole, ne me doutant pas de ce qu’elle pourrait contenir. En allant faire sa provision d’eau, le malin cuisinier avait aperçu dans une vigne un grand lièvre au gîte; déposant là ses bidons, il avait couru au camp, y avait pris


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mon fusil et ayant retrouvé le “capucin” à la même place, il l’avait tué et nous avait accommodé un excellent civet. Après ce festin de Sardanapale, nous prenions les cartes pour faire un wisth; mais une sortie des Russes nous appela sur le front de Baudière, où nous restions une partie de la nuit, attendant des ordres pour nous porter au secours des camarades aux prises avec l’ennemi; celui-ci fut enfin repoussé sans notre concours. J’ai perdu peu après un bon ami, le Sous-Lieutenant Lambert. En me relevant la veille à la garde de tranchée, il m’avait serré la main, me disant: “A demain; j’irai te demander une tasse de thé et faire un wisth” Dans la matinée l’ennemi avait fait une sortie, favorisée par un brouillard épais; Lambert avait été tué en faisant bravement son devoir. La nuit suivante j’étais à la tête d’une corvée de travailleurs mis à la disposition de l’Artillerie pour réparer les épaulements d’une Batterie sérieusement endommagés. Le Lieutenant Guégaire jeune, commandait un détachement chargé de relever les morts; il avait découvert le corps de notre camarade et venait me chercher pour me le montrer: le brave garçon, étendu sur le dos, avait figure très calme; on voyait sur la tunique, à l’endroit du coeur le trou fait par la balle qui l’avait frappé; on lui avait enlevé ses bottes et les attentes en or des épaulettes. Il avait un frère, alors candidat à St Cyr, et qui devait se signaler 16 ans plus tard en défendant à Bazeilles une maison, à la tête d’une poignée de braves et jusqu’à l’épuisement complet des munitions. Cet épisode a inspiré au peintre de Neuville son magnifique tableau de “La dernière cartouche”. Lambert jeune était, lui aussi, de la race des braves; il se distingua comme explorateur, devint Général et mourut, jeune encore, Commandant Militaire du Palais du Sénat. Dans la même nuit, après avoir reconnu le corps de Lambert, je passais près d’une tranchée où on avait découvert un soldat russe blessé et enseveli sous les morts; le malheureux craignant sans doute qu’on ne lui fît un mauvais parti, me tendait les mains en suppliant; je le rassurai, en lui offrant de l’eau de vie de ma gourde; il me témoignait sa reconnaissance, en me disant : Bono Francis! Au commencement de Novembre, de garde en tranchée, j’avais veillé une partie de la nuit, et ayant passé le quart à mon Sous-Lieutenant, je dormais paisiblement, assis sur un havresac, lorsque je fus réveillé par la course précipitée de mes hommes qui passaient devant moi pour éviter une bombe tombée dans la tranchée et roulant, mèche allumée, sur le sol en pente; la bombe arrivant à deux pas de moi, je fis un bond par-dessus et me jetai, à plat ventre, me demandant ce qui allait advenir. Après une minute d’attente, l’engin meurtrier qui s’était arrêté à deux pas au dessous de moi fit explosion; mes hommes qui s’étaient mis à l’abri dans un boyau perpendiculaire à la tranchée, sortant de leur refuge, en me voyant couché, s’écriaient : Le Lieutenant est f...u, le havresac sur lequel je reposais un instant auparavant, était haché ; une demi-douzaine de fusils que les soldats qui


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m’entouraient avaient négligé d’emporter étaient en morceau.. Je devais m’estimer heureux de n’avoir pas une égratignure; Le 5 Novembre l’Armée faisait une grande perte: le jeune et brillant Général de Lourme recevait une balle en pleine poitrine, en repoussant une sortie des assiégés; il a dû quitter le champ de bataille, et je me trouvais près de lui lorsque, ne pouvant plus se tenir en selle, on l’aida à mettre pied à terre; des Grenadiers de mon Bataillon l’emportèrent dans une couverture; il succombait deux jours après. C’était le premier officier Général de l’Armée Française tué à l’ennemi depuis le début de la campagne. Il avait 43 ans à peine. Le 11 novembre j’ai du quitter ma Compagnie de garde à la tranchée, atteint subitement d’un accès de rhumatisme articulaire aigu. Deux jours après le vent renversait ma tente; projeté hors de mon lit, je me trouvais couché sur le sol inondé et dans l’impossibilité de faire un mouvement. La tempête qui dura 48 heures fut terrible et pouvait nous faire plus de mal que ne nous en avait causé jusqu’alors le feu de l’ennemi; Le drame le plus épouvantable se passait en rade de Kamiesch, où nos vaisseaux étaient exposés à se briser les uns contre les autres et à être engloutis sous les vagues; enfin le 15 la mer s’apaisait, le calme était revenu et le danger conjuré. Pour moi, le Médecin Major me fit transporter à l’ambulance, je fus heureux de m’y trouver dans le service d’un ancien condisciple au collège de Verdun, le Docteur Verjus, aide-major; il me céda son lit et le lendemain on me transportait, à dos de mulet, à Kamiesch, pour y être embarqué à Constantinople. Je me trouvai sur le même bâtiment que l’adjudant-major Dautun, de mon Régiment, évacué pour blessure graves; ce brave Officier succomba pendant la traversée; on lui donna la sépulture des marins en le jetant, dans un sac avec un boulet aux pieds dans les eaux de la mer Noire. Depuis près de sept mois, je n’avais pas couché dans des draps, dormant le plus souvent sans quitter mes vêtements; aussi à l’hôpital de Constantinople, je me trouvais tellement bien que pendant les premiers jours , je ne pouvais trouver le sommeil; j’étais dans une vaste pièce du 1er étage et pouvant contenir 5O lits tous occupés. Je n’ai pas su pour quel motif on m’a fait descendre au rez de chaussée pour y occuper seul une chambre contiguë à la chapelle; j’étais souvent impressionné tristement par les chants de l’Office des Morts; j’ai cru remarquer que le Médecin en chef qui me soignait avec une grande sollicitude, n’était pas rassuré sur mon compte; je l’entendis un matin demander à l’infirmier qui me veillait, comment j’avais passé la nuit, il m’a semblé que cet homme lui disait que j’avais eu plusieurs accès de délire, je crois qu’il était dans l’erreur. A ma grande satisfaction on me remontait bientôt dans la grande salle; j’avais pour voisin de lit un jeune employé du Ministère des Finances, Mr Jourdan, détaché à l’Armée en qualité de payeur adjoint; il m’a semblé qu’il était l’objet d’un traitement de faveur; il est probable que sa solde lui permettait de payer un prix plus élevé pour ses journées d’hôpital; Un matin, la bonne soeur de St Vincent de Paul, qui lui servait son déjeuner, lui versant un verre de Bordeaux, crut remarquer que je


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lorgnais la bouteille d’un oeil d’envie, m’en offrit, bien que cet extra ne fût pas dans les prescriptions du médecin; elle lui en rendait compte le lendemain, et à partir de ce jour, on me mit au régime de Bordeaux. Un jour, à la visite du Docteur Tholozan, le Médecin-Chef, je reconnus à sa suite un jeune aide Mr Rizet, mon compatriote et ancien condisciple au collège de Verdun; il vint me trouver dans la journée et me demanda pourquoi je ne sollicitai pas un congé. Je ne croyais pas devoir le faire en raison des instructions du Haut Commandement qui prescrivaient de ne renvoyer les Officiers en France qu’avec la plus grande réserve. Le lendemain le Médecin en Chef me proposait d’office pour un congé de convalescence; il me jugeait hors d’état de tenir la campagne dans la saison d’hiver. Après la guerre Mr Tholozan quittait le service pour se rendre en Perse, où le Schah l’attacha à sa personne; c’était une grande perte pour l’Armée! Avant ma sortie de l’hôpital, je crus devoir informer le Colonel de mon départ et des raisons qui l’avaient motivé; je lui demandais de me conserver ma place aux Bataillons de Guerre. Vers le 15 Décembre je m’embarquais sur un bâtiment du commerce à destination de Toulon; la mer était mauvaise, à peine rétabli j’étais mal disposé pour supporter le mal de mer, je ne quittais pas la couchette, où l’on me servait mes repas; un jeune enseigne de vaisseau, passager comme moi, se tenait souvent près de mon lit pour me distraire. Un soir de tempête le navire fit un brusque mouvement qui m’inquiéta; je remarquai sur la physionomie de mon compagnon une certaine inquiétude; il ne me dit rien de ses impressions, mais le lendemain il m’avouait que nous avions été en grand danger: pour éviter des récifs sur lesquels le Bâtiment allait se briser, le Capitaine au long cours qui le commandait, avait eu recours à une manoeuvre très hardie, à la suite de laquelle nous pouvions être engloutis; ce coup d’audace nous avait sauvés. Les gros temps nous forçèrent à chercher un abri en rade de la petite île de St Pierre; je ne sais pas sur quelle côte elle se trouve; nous avons passé quelques heures à terre; le pays m’a semblé très pauvre; je suis entré dans plusieurs masures, où j’ai vu un baudet activant une meule pour moudre le grain; en parcourant les environs j’ai cueilli sur une haie quelques figues de Barbarie, non sans me piquer les doigts. Il parait que la plupart des habitants, très misérables, attendent pour faire baptiser les nouveaux-nés, que les mauvais temps leurs amènent quelque bâtiment, espérant y trouver parrain et marraine; j’ai assisté à un baptème où l’enfant avait pour répondants un Capitaine d’Artillerie et une Cantinière, nos compagnons de traversée. En sortant de l’église, j’ai fait l’aumône à un pauvre aveugle privé de la lumière du jour; il me rejoignait bientôt , me disant que la petite pièce d’argent (monnaie turque) que j’avais mise dans la sébile ne valait rien; je remis la pièce en poche sans rien rendre en échange à l’aveugle si clairvoyant.

La traversée s’achevait dans de bonnes conditions et je débarquais à Toulon le 3 Janvier; mon congé prenait date à partir du lendemain. Je me rendis d’abord à


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Nîmes, afin de pourvoir, près du maître tailleur, d’effets d’habillement, ceux que je portais se trouvaient dans un état déplorable. Le bonheur de revoir mes Parents fut bien troublé par la triste nouvelle de la mort de ma soeur Caroline, décédée récemment à l’âge de 17 ans! Cette bonne petite soeur, très affectueuse, était élevée à Verdun dans un couvent, dont notre cousine, Isabelle de Fisson, était la supérieure; les prières que ma bonne Caroline et ses pieuses compagnes adressaient au Ciel depuis le commencement de la campagne avaient certainement contribué pour une grande part, à me préserver des dangers, auxquels j’avais été si souvent exposé. Les semaines passées à Stenay, résidence de mes Parents, s’écoulèrent trop rapidement. Je suivais exactement dans les journaux les détails du siège et j’aurais appris avec plaisir la prise de Sébastopol, ce qui m’eut dispensé de retourner en Crimée.

Je quittai ma famille, à la fin de Mars pour arriver à Toulon le 3 Avril, jour de l’expiration de mon congé. Le Bâtiment sur lequel je pris passage était commandé par un Capitaine au long cours, Mr Gabriel, excellent homme, très prévenant pour ses passagers; j’avais pour compagnons de traversée trois officiers: Mrs Villalon, Lieutenant du Génie espagnol, de Cord, Lieutenant d’Artillerie, également espagnol; on disait ce dernier cousin de notre gracieuse Impératrice Eugénie; tous deux étaient envoyés par leur Gouvernement pour suivre, près de notre Etat-Major; les opérations du siège; mon 3ème compagnon était un Sous-Lieutenant nouvellement promu, Mr de Caro, affecté à mon Régiment. Ayant dû faire plusieurs relâches en raison du mauvais temps, nous ne sommes arrivés à Kamiesch que dans les premiers jours de Mai. Je repris le commandement de ma Compagnie. Vers le 15 Mai je reçus la décoration du Medj pour laquelle j’avais été proposé au commencement du siège. Un camarade, le Capitaine Adjudant Major Grémillet était en même temps que moi décoré de cet ordre; nous engagions quelques camarades à dîner et je saisissais l’occasion pour inviter les officiers Espagnols; j’avais rapporté de France mon vieux fusil; profitant de quelques heures de liberté j’étais sorti du camp, et j’avais tué une quinzaine de petits oiseaux qui figuraient avantageusement au menu du festin. Le Général Canrobert, successeur de St Arnaud, demandait dans le courant de Mai à l’Empereur de le relever de son commandement et de le laisser en Crimée comme simple Général de Division; il alléguait, comme raison, le peu d’entente qui existait entre lui et Lord Raglan, le chef de l’Armée Anglaise. Le 16 Mai le Ministre de la Guerre lui télégraphiait que l’Empereur acceptait sa démission, le félicitant du sentiment qui lui faisait demander de rester à l’Armée;


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toutefois, il devait prendre le commandement du Corps d’Armée de Pélissier, désigné pour le remplacer comme Commandant en Chef. Malgré les instances de ce dernier, Canrobert persistait dans sa résolution et restait simple Divisionnaire; il joignait à une grande bravoure une extrême modestie; l’Empereur, appréciant les rares qualités de ce grand homme de guerre, lui rendit justice et quelques mois plus tard après la prise de Sébastopol, lorsque ce Général ramenait à Paris les premiers Régiments rapatriés, il l’élevait à la haute dignité de Maréchal de France. Bien que le service des tranchées fût toujours pénible, et que le feu de l’ennemi fit chaque jour des victimes, il était beaucoup moins dur que dans la saison d’hiver. Il nous arrivait souvent de nous distraire en y faisant une partie de wisth; un matin la partie ayant été interrompue à l’heure du déjeuner, après le café je dis au Capitaine Dufay, un des joueurs: C’est à vous de “faire le mort”; il me répondit que rien ne pressait et que nous pouvions prendre le temps d’allumer une pipe. Dufay avait été promu Capitaine à la fin d’Avril par le même décret qu’Astaix, du 39ème également; il n’y avait qu’une vacance aux Bataillons de guerre, le Colonel gardait les deux promus, en attendant que le Ministre eût fait connaître lequel devait rentrer en France; ayant reçu la veille l’ordre d’y envoyer Dufay, il avait proposé à ce dernier de le conserver provisoirement, parce qu’il voulait demander de le garder définitivement, et en attendant il lui donnerait le commandement de la Compagnie d’un Capitaine absent. Dufay me confiait, tout en fumant sa pipe, qu’il avait accepté à contre-coeur. Nommé Capitaine et décoré de la Légion d’Honneur depuis le début de la campagne, il n’avait plus rien à y gagner; dans une très belle situation de fortune, il eût préféré rentrer en France; il me demandait si je croyais à une paix prochaine; Les Russes ne tardaient pas à lui répondre. Nous nous trouvions à ce moment quatre officiers assis sur une même ligne, appuyés contre la tranchée et tournant le dos à la Place; trois boulets vinrent successivement à quelques secondes d’intervalle, écrêter le parapet, nous couvrant de poussière, puis trois bombes de moyen calibre passèrent au-dessus de nos têtes sans nous faire de mal; la 3ème faisant explosion avant de toucher terre; entendant le Sous-Lieutenant Gaillard, placé à ma gauche, pousser un cri, je lui demandais ce qu’il avait, il était blessé au pied; me retournant vers Dufay, mon voisin de droite, je vis avec horreur un visage partagé en deux par une ligne rouge, du sommet de la tête au menton; le malheureux avait été foudroyé.. Pour moi j’avais ressenti comme des piqûres d’épingle au visage inondé de sang; ma tête touchait celle de Dufay au moment de l’explosion; de plus un petit morceau de fer avait traversé ma botte me blessant au dessous du genou; j’ai eu le tort de ne pas faire constater par un certificat ces blessures, bien que légères; mes états de service en auraient fait mention et cela pouvait m’être utile, au point de vue de l’avancement. J’ai cru pouvoir m’expliquer dans la suite pourquoi les assiégés, qui ne pouvaient voir ce qui se passait dans nos tranchées, avaient dirigé leurs projectiles sur le point précis où se trouvait un groupe d’officiers; ils avaient du être renseignés par quelque signal partant de nos lignes. J’avais remarqué peu de jours auparavant un individu, revêtu d’un uniforme que je ne connaissais pas, et qui se tenait assis au sommet de la tranchée. Bien qu’il eût détourné la tête en me voyant passer, il m’avait semblé reconnaître un ancien officier de Chasseurs à pied, que j’avais fréquenté à Lyon. Cet


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officier, criblé de dettes, ne se refusait rien; il s’était fait remettre, sous prétexte de fiançailles, des bijoux par un joaillier, et les avait vendus sans les payer. Ces graves indélicatesses l’avaient fait renvoyer de l’Armée. Un camarade, auquel j’avais dit que j’avais cru le voir dans les tranchées, me dit que je ne m’étais pas trompé. Connaissant la langue russe, il avait obtenu une place d’interprète et portait le costume de l’emploi. Quelques mois après cette rencontre, étant en reconnaissance dans la vallée de Baïdar, le Général Decaen, que j’accompagnais comme Officier d’Ordonnance, était mandé près du Général de Division pour présider une cour martial appelée à juger un individu accusé de trahison. Celui-ci avait été condamné et fusillé séance tenante; le jugement et l’exécution n’avaient pas duré plus d’une demi-heure. D’après ce que m’en a dit mon Général, j’ai cru comprendre qu’il s’agissait de l’interprète, ancien Officier de Chasseurs à pied. Je n’ai plus depuis lors entendu parler de ce malheureux.

Expédition de Kertch Le 39ème, désigné pour prendre part à l’expédition de Kertch, s’embarquait à Kamiesch, dans la soirée du 22 Mai. Pendant la nuit, étant encore en rade, nous entendions des bruits de fusillade et détonations d’artillerie, signes d’un engagement sérieux; Le Général de Salles, Commandant le 1er Corps d’Armée, avait reçu l’ordre de détruire des travaux de défense à droite des Bastions Central et du Mât, en face de la gauche de mes attaques. Après une nuit d’une lutte acharnée le combat était interrompu et reprenait dans la soirée; finalement nos troupes restaient maîtresses du champ de bataille en des ouvrages russes qui se retournaient contre eux. Dans la journée du 25, à la demande du Général Ostensacken, il y eut un armistice pour enterrer les morts; nous avons remis à l’ennemi plus de 12OO cadavres. Pendant les quelques heures que dura l’armistice, les Officiers russes s’entretenaient cordialement avec les officiers Français. Un de mes camarades auquel son interlocuteur avait remis sa carte en le quittant, y lut le nom de Todtleben, le remarquable organisateur des travaux de défense. Nous avons eu connaissance des détails ci-dessus à notre retour de Kertch. Le 24 Mai, dans la matinée, le Corps Expéditionnaire débarquait, sans être inquiété, à la petite baie de Kamiesch, dans la mer d’Azof. A 3h 1/2 nos troupes étaient toutes à terre. Le 25 de bonne heure la petite armée passait devant Kertch et atteignait dans la matinée la petite ville d’Iénikalé, où elle s’installait. Mon Régiment campait dans les environs, en pleine campagne. Quel contraste avec les environs de Sébastopol, où il n’y avait plus trace de végétation, où l’on ne marchait que sur du fer, des boulets, biscaïens, débris de bombes et d’obus, sans parler des ordures et immondices qui


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abondaient autour des campements! Dans la plaine d'Iénikalé nous respirions un air pur, nous roulant dans l’herbe avec volupté; J’avais emporté mon fusil; en passant devant Kertch, le Commandant de Bataillon m’appelait pour me signaler une bande de pigeons, sur lesquels je déchargeais mes deux coups; ils étaient à une portée raisonnable. Je devais en abattre plusieurs; il est probable que la poudre était quelque peu avariée; je ne ramassai qu’un seul de ces oiseaux. Lorsque le service ne s’y opposait pas, je sortais du camp et en quelques heures, je tuai 12 ou 15 alouettes huppées; ayant remarqué une maison de de campagne abandonnée, j’entrai dans le jardin en fourrageur, et en rentrant je fournissais à notre table le rôti et la salade; je n’ai pas rencontré une seule pièce de véritable gibier, probablement parce que je n’avais pas de chien. J’ai tué plusieurs jolis oiseaux, de la taille d’une petite grive, au plumage éclaté de nuances très vives: du bleu, du rouge; la chair en était délicate, le tir en était facile lorsque l’oiseau planait au dessus de débris de murailles, de même que l'alouette au miroir; un camarade m'a dit que ce devait être le guêpier d’Amérique. J’en avais offert quelques-uns à un Capitaine Adjudant-Major qui vivait à la table de l’Etat-Major. Le Lieutenant-Colonel me disant un jour que je faisais acte de vandalisme en détruisant d’aussi jolis oiseaux, je lui demandai s’ils étaient bons en rôti; il me répondit affirmativement. Me trouvant un matin sur la côte, j’aperçus sur la mer 7 à 8 oiseaux, que de loin je prenais pour des canards; ayant déchargé sur le groupe une cartouche de gros plomb, la bande s’envola, me laissant un des siens. Je dus me déshabiller et faire plus de 6O mètres à la nage pour m’emparer de ma victime; je lui mis le bec dans ma bouche pour la rapporter, comme l’eut fait un chien bien dressé; L’oiseau était de grande taille et remplissait le carnier, j’étais fier de ma capture. Le camarade, qui avait des notions d’histoire naturelle et d’ornithologie me dit que c’était une frégate ou un cormoran, le moindre petit canard eut mieux fait mon affaire.Notre habile cuisinier lui fit avaler du vinaigre le laissa suspendu à l’air pendant trois jours, et nous en confectionna un salmis qui fut trouvé détestable. J’ai gardé un excellent souvenir de l’expédition de Kertch, qui a été pour nous une bonne vacance, nous procurant quelques semaines de calme et de tranquillité.

Le 15 Juin le 39ème était de retour à Kamiesch. Au lieu de nous laisser reprendre notre place aux attaques de gauche, on nous dirigea sur celles de droite où nous devions prendre part à l’assaut que l’on allait tenter contre Malakof. Dans la journée du 17 je rencontrais un compatriote, le Médecin Major Lacronique, le Médecin Major Lacronique, renommé pour sa dextérité à couper bras et jambes; il m’assura que je pouvais compter sur lui pour me faire, au besoin, une amputation le lendemain; cette perspective ne me souriait guère, et je faisais des voeux pour ne pas avoir recours à ses bons offices. Dans la soirée, le 39ème prenait position dans les tranchées; le Général Pélissier, installé à la Batterie Lancastre, devait donner le signal de l’attaque par un bouquet de fusées d’artifice tiré de la dite batterie.


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A 3 h du matin trois bombes parties de la batterie Brancion firent croire que c’était le signal, et de plusieurs points les troupes s’élançaient hors des tranchées; le Lieutenant Guégain ainé eut la jambe brisée par un boulet, en se présentant à l’ouverture par laquelle nous devions sortir et où l’on ne pouvait passer qu’un par un. Je franchis le passage heureusement et je me trouvais bientôt à quelques pas en avant avec une dizaine d’hommes qui m’avaient suivi. Le Commandant P... m’interpella en me disant que j’avais l’air d’un Caporal à la tête de son escouade; je lui répondis sur un ton peu respectueux que je ne pouvais me trouver en tête pour montrer le chemin, et en arrière afin de pousser les hésitants; au même instant une balle venait s’aplatir sur la plaque de son ceinturon, lui causant une forte contusion. Le reste de la Compagnie m’ayant rejoint, nous restions sur place, attendant des ordres, et non abrités de la mitraille que nous envoyait l’artillerie de la flotte. Le Capitaine Morel, qui se trouvait à quelques pas de moi, vint me dire dans le tuyau de l’oreille que nous ferions bien de fumer afin d’inspirer confiance à nos hommes; ayant allumé un cigare qui me parut trop dur, j’en prenais un second et faisais le geste de jeter le premier, un jeune soldat, neveu du Capitaine Astaix, me pria de le lui donner, se rapprocha de moi pour prendre du feu, il avait la tête près de la mienne, lorsqu’un biscaïen, le frappant à la tempe droite, le tua raide. Je portais sur moi quelques centaines de franc appartenant à l’ordinaire de la Compagnie, ayant conscience du danger, je prévins mes hommes de prendre, au cas où je succomberais la sacoche contenant leur argent; Une heure après, ayant fait un mouvement en avant, ma Compagnie se trouvait isolée; le Lieut Colonel, baron Nicolas-Nicolas, du 50ème Régiment, plein d’ardeur, se trouvant séparé de ses soldats, me proposait de me porter sur Malakoff avec lui; ne croyant pas devoir m’engager avec mes hommes sans ordre de mes chefs directs, j’envoyai demander des instructions à mon Colonel, lequel me fit dire de le rejoindre dans un ravin, où il était avec quelques hommes et à peu près à l’abri; Je me rappelle qu’en y arrivant je vis quelques morts, et entr’autres, un jeune sergent major nommé Noirot. La proposition du Lt Colonel du 50ème ne pouvait avoir d’autre résultat que celui de nous faire tuer inutilement. Nous avons passé le reste de la journée, esquissant quelques mouvements sans être engagés; les projectiles des deux artilleries ennemies se croisaient au dessus de nos têtes, sans nous faire de mal. Vers 7 h du soir le Régiment se trouvait réuni; de même qu’un jour d’ouverture, la compagnie de perdreaux disséminée par les coups de fusil, par les allées et venues des hommes et des chiens, se trouve rassemblée aux approches de la nuit, à l’exception toutefois des victimes tombées sous le plomb du chasseur; ainsi les fractions du régiment, séparées par les diverses phases du combat, se réunissaient le soir; il manquait hélas, les braves restés en trop grand nombre sur le champ de bataille et qui, dormant leur dernier sommeil, ne devaient plus répondre à l’appel. A 8 heures, à ma grande satisfaction, le Colonel m’engageait à dîner; je n’avais rien pris depuis la veille; aussi je fis honneur au repas, et tout particulièrement à un fin pâté de bécasses. Après ce festin de Lucullus, je me rendis au poste que je devais occuper avec deux compagnie; à défaut de Capitaine, mon ancienneté dans le grade de Lieutenant m’appelait à prendre le commandement; nous étions à l’extrême droite de nos positions dans des tranchées dont on avait délogé l’ennemi; je devais veiller à ne pas me laisser tourner. Dans la nuit quelques hommes, ayant cru


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apercevoir l’ennemi, ouvraient le feu; étant monté sur le parapet, il me sembla qu’on tirait sans motif; je fis cesser le feu, auquel l’artillerie de Malakoff avait répondu; j’avais vu tomber à mes pieds le Lieutenant Besnard, un de mes bons amis; ne pouvant pour le moment m’occuper de lui, quand le calme fut rétabli, je demandais de ses nouvelles; personne ne put me renseigner; le lendemain matin un clairon vint me prévenir qu’il avait conduit à l’ambulance cet officier, frappé à la tête d’un éclat d’obus; il fut du reste promptement rétabli et ne tarda pas à reprendre sa place dans les rangs. Le 19 Juin vers midi, nous rentrions au camp, très heureux d’être sortis indemnes de cette affaire, où l’Armée Française avait perdu plus de 3000 hommes. Mes camarades Roux et Grémillet me proposèrent de fêter notre chance, en nous offrant un verre de bière; n’en trouvant pas chez nos cantinières, je fis monter à cheval mon ordonnance et l’envoyai au camp des Grenadiers de la Garde Impériale avec un mot pour le Capitaine de Bainville, un de mes amis. Le messager nous rapporta de la bière, qui fut trouvée délicieuse, bien qu’un peu chère (9 francs pour 3 bouteilles). Le lendemain, conduisant une corvée à la distribution de viande, je fus tristement impressionné en passant auprès de fossés où l’on jetait, tout habillés et équipés, des centaines de morts, recouvrant de chaux vive chaque couche de cadavres; En outre du Lieutenant Guégain, qui ne survécut pas aux suites de l’amputation, le 39 avait perdu dans cette malheureuse affaire les Capitaine Herbert et Astaix, ce dernier était l’oncle du jeune soldat tué près de moi, au début de la journée. Quelques jours après, le Capitaine Roux, Adjudant-Major était décoré de la Légion d’Honneur; le Colonel l’avait proposé avec la mention: "A reçu une balle en pleine poitrine". La balle avait aplati un bouton de la tunique occasionnant une simple contusion; j’aurais désiré en recevoir une dans les mêmes conditions et avec les mêmes résultats; il convient d’ajouter que cet officier s’était vaillamment conduit et que l’étoile des braves n’était pas déplacée sur sa poitrine. Au commencement de Juillet, nous perdions un officier distingué, le Capitaine Vincent tué à l’ennemi. Vers la même époque, je passais avec mon grade dans une Compagnie de Voltigeurs, privée de son Capitaine, et j’en prenais le commandement. A la fin de Juillet je recevais la visite du capitaine au long cours Gabriel, qui m’avait ramené en Crimée trois mois auparavant; il nous fit l’amitié de partager notre modeste déjeuner; il n’était pas venu les mains vides; et nous apportait quelques provisions, entr’autres d’excellent pain blanc, confectionné à son bord; Vers le 10 Août, prévenues par le Capitaine Dormoy, des zouaves, que le Lieutenant Sousselier avait été tué, nous allions, deux camarades et moi, assister au convoi. Dormoy et Sousselier avaient fait partie du 39ème, qu’ils avaient quitté pour


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les zouaves. J’avais emprunté pour ce déplacement le cheval de l’Officier payeur mes compagnons s’étaient aussi procuré des montures. Après le repas qui suivit la cérémonie, Dormoy nous reconduisit; c’était un cerveau brûlé, un vrai casse-cou, ne cherchant que plaies et bosses surtout pour les autres!. Saisissant le moment où, penché vers un camarade, j’allumais un cigare, il mit son cheval au galop, et passant contre moi, me fit perdre l’équilibre; je fus désarçonné et projeté la tête en avant, sur les pierres du chemin Au moi de mai, en revenant d’enterrer Dufay, dont j’ai raconté la mort, Dormoy qui avait assisté au convoi, m’avait déjà joué le même tour, en provoquant l’emballement du cheval vicieux que je montais; j’avais pu m’en rendre maître sans dommage pour ma personne aujourd’hui il n’en était pas de même. Lorsque je revins à moi, j’étais dans la tente d’une vivandière des zouaves qui me donnait ses soins; je me remis en route à pied, la tête enveloppée de linges ensanglantées et très inquiet au sujet de ma monture; je passais en pleine nuit devant un poste de soldats anglais où j’entrais pour demander mon chemin; Lorsque je le quittai, il m'offrit sa bourse; je le remerciai, ne me trouvant pas au dépourvu. Une heure après je rencontrais le Capitaine Chenu, qui m'avait accompagné au convoi; il me fit monter en croupe et nous continuâmes la route au pas; je souffrais de ma blessure et ne pouvais supporter le trot du cheval. Chenu m'expliqua la raison pour laquelle, après m'avoir transporté à la cantine, il s'était mis à la recherche de ma monture, en compagnie de Besnard notre compagnon. Arrivé au camp sans autre incident, j'appris le lendemain, à ma grande satisfaction, que le cheval emprunté à l'Officier payeur avait été ramené par Besnard. Quelques jours après, le Colonel me désignait pour remplacer dans les fonctions d'Adjudant Major le Capitaine Grémillet, atteint de dysenterie.

Assaut final Le 7 Septembre je sortais du Quartier Général de la Division, où j'avais été appelé par le service, lorsque je fus retenu par le Commandant Colson sous-Chef d'EtatMajor de la Division. C'était un ancien camarade de classe de Jules, mon frère ainé, au lycée de Nancy. Il me prévint confidentiellement que l'assaut était décidé et fixé au lendemain. Je passai une partie de la nuit à écrire plusieurs lettres, entr'autres une assez longue à mes Parents pour leur faire mes adieux éventuels; puis dès le matin, je me rendais à l'ambulance près de Grémillet; je lui disais que j'avais une grande nouvelle à lui annoncer, sous la condition expresse qu'il se conduirait personnellement comme s'il ne savait rien. Ayant reçu sa promesse, je lui confiais ma correspondance à faire parvenir à son adresse, dans le cas où je ne reviendrais pas de l'assaut qu'on allait donner. Le brave garçon, au désespoir, parlait de reprendre immédiatement son service; je lui fis observer qu'il n'avait pas le droit de reprendre sa parole; il dût se résigner et accepter mon dépôt.


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Le 8 septembre le Régiment prenait les armes à dix heures du matin et se rendait au Clocheton, lieu de rendez-vous de la Brigade. Le Général Breton nous adressait quelques paroles empreintes d'une mâle énergie, nous disant que l'ennemi ne devait pas voir la semelle de nos chaussures, puis nous conduisait aux positions qui nous étaient assignées, en face du Bastion Central et de celui du Mât; quelques pas avant d'y arriver, le Sergent Pescheux, qui marchait à côté de moi, tombait, mortellement frappé d'une balle. Le Régiment ayant pris place dans les tranchées, le Colonel m'envoya reconnaître l'endroit où, après avoir enlevé un gabion, mon Bataillon devait sortir pour s'élancer contre le bastion du Mât, dont nous n'étions séparés que par une quarantaine de mètres; comme les fonctions d'adjudant-major m'appelaient à sortir le premier, il y avait beaucoup de chance pour que je ne revinsse pas. Nous attendions le signal, adossés contre la tranchée nous garant de notre mieux des grenades et autres projectiles qui y tombaient dru, en décrivant un parabole et sans nous faire beaucoup de mal; nous demandions pourquoi on nous laissait dans l'inaction. Le Général Breton, mettant la tête à une embrasure pour voir ce qui se passait chez l'ennemi, reçut une balle au front et fut tué raide. Quelques minutes après, un Bataillon défila devant nous, Colonel en tête, suivi de près par le sous-Lieutenant de la Condamine, un jeune et gentil Champenois dont j'avais fais la connaissance quelques jours auparavant. Son Régiment arrivé de France depuis peu, n'avait pas encore été engagé et venait de recevoir l'ordre de marcher contre le Bastion du Mât. Je serrai la main au jeune de la Condamine, lui souhaitant bonne chance; je ne devais pas le revoir: moins de cinq minutes après, ce qui restait du Bataillon: quelques rares Officiers et Soldats ayant échappé au massacre, repassaient devant nous. Le Régiment venait de perdre en quelques minutes plus de monde que le 39ème qui se trouvait en Crimée depuis le commencement de la campagne. Je n'ai jamais pu me procurer des nouvelles du jeune Sous-Lieutenant, qui du reste fut inscrit sur la liste des morts. Nous attendions l'ordre de recommencer l'attaque; mais la tentative faite de ce côté, sans grand espoir de succès, avait pour objectif d'occuper l'ennemi, de distraire son attention pendant que l'on donnait un vigoureux coup de collier à la Tour Malakoff, la clef de Sébastopol; les choses ayant pris bonne tournure de ce côté, on jugea inutile de sacrifier de nouvelles victimes, en tentant de s'emparer de bastions, dont la prise n'avait plus qu'une importance secondaire. A partir de 3 heures le feu des adversaires se ralentissait. Mac Mahon était à Malakoff; on le prévint que l'ouvrage était miné et qu'il y avait grand danger d'y être victime d'explosion, on connait sa fière réponse: "J'y suis, j'y reste" Les Russes avaient établi des fils électriques communiquent avec des magasins de poudre placés dans diverses parties de l'ouvrage; par un hasard providentiel le Génie les avait découverts et les avait mis dans l'impossibilité de remplir leur office meurtrier. L'artillerie enlevait les jours suivants 40OOO kilogs de poudre de ces magasins; c'est plus qu'il n'en fallait pour réduire en poussière la tour Malakoff et ensevelir sous ses ruines Mac Mahon et les braves qui l'entouraient. Du côté des bastions Central et du Mât, les assiégeants de même que les défenseurs, demeuraient tranquilles; la nuit venue, le Colonel m'envoya placer un poste dans une espèce d'entonnoir creusé par une explosion de mine; je me trouvai


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en présence d'un horrible spectacle: 5 à 6 cadavres affreusement mutilés et ent'autres, un Grenadier assis sur un quartier de roc, le fusil entre les jambes; on voyait le jour à travers la poitrine trouée par un projectile d'assez fort calibre. La nuit fut assez tranquille; toutefois un Sous-Lieutenant du Régiment, Poussin, fut atteint mortellement par une balle, en sortant de la tranchée avant que l'obscurité fut complète, pour aller ramasser un blessé; il clôturait la liste des Officiers du 39ème tués à l'ennemi dans cette mémorable campagne. Le lendemain, dans la matinée, le capitaine Paris, ayant reçu l'ordre d'occuper le bastion Central évacué par l'ennemi, n'en était plus qu'à quelques pas, lorsqu'un clairon lui sonna la retraite; un prisonnier venait de prévenir que l'ouvrage était miné et que les Russes devaient le faire sauter. En effet une formidable explosion ébranlait bientôt le sol; des poudres, des quartiers de roc étaient projetés à de grandes distances dans toutes les directions.Je me trouvais avec ma Compagnie de Voltigeurs à une soixantaine de mètres du théâtre de l'explosion; mon Sous-Lieutenant s'était abrité derrière un gabion, ce qui certainement ne l'eût pas suffisamment protégé contre la chute d'une poutre ou de quelque grosse pierre; pour moi, resté debout les yeux fixés en l'air, j'étais prêt à me jeter de côté, si quelque projectile arrivait dans ma direction; je fus assez heureux pour éviter ceux qui me menaçaient. Vers midi, relevés de notre poste, nous quittions les tranchées sans avoir à nous garer des bombes, boulets, obus, biscaïens, balles... Quel soulagement!! Le Capitaine Dormoy, dont il a été déjà question, comptait passer Chef de Bataillon, s'il ne succombait pas le jour de l'assaut; il commandait la 1ère Compagnie du 1er Bataillon du 1er Régiment de Zouaves, faisant partie de la 1ère Brigade de la 1ère Division du 1er Corps de l'Armée de siège; dans ces conditions il était appelé à marcher en tête de la colonne d'assaut; j'ai appris qu'il avait été tué dans un corps à corps avec un Officier Russe d'une taille gigantesque. Le 10 Septembre ma Compagnie était de garde près de l'entrée de la partie sud de la ville, désertée par ses habitants. La consigne était d'arrêter le pillage; nous faisions donc déposer les objets que les soldats emportaient et bientôt nous étions gardiens d'un tas d'objets divers: petites tables, glaces, pendules, tapis, vêtements d'hommes et de femmes; il y avait de quoi garnir plusieurs boutiques de marchandes à la toilette et de brocanteurs du Temple. Je n'ai pas su ce que l'on avait fait de ce butin. Le lendemain 11, la Division, sous le commandement du Général d'Autemarre, se dirigeait sur la vallée de Baïdar. En y arrivant, le 39ème dressait ses tentes à proximité du moulin de Teulé; comme on avait la perspective d'y passer l'hiver, on nous engageait à nous installer aussi confortablement que possible; aussi les tentes faisaient bientôt place à des gourbis, solidement construits au moyen de bois emprunté à la forêt voisine. Les troupiers faisant pour leur compte personnel des reconnaissances dans les environs, avaient pénétré dans un château abandonné, propriété du prince Voronzof, aux portes Phore et baigné par la mer, et en avaient emporté un certain nombre de


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bouteilles d'un vin fameux. Le Capitaine Cluzel, des Grenadiers de mon Bataillon, avisé de la découverte, se rendait au château, accompagné de quelques hommes, rapportait de cet excellent vin et m'en offrait une bouteille; Vers le 16 Septembre, ma Compagnie était désignée pour relever un poste de Grand'Garde.Je sortais du camp à 4 heures de l'après-midi ayant donné à mon ordonnance l'ordre de me rejoindre, en m'apportant mon fusil; 20 minutes avant d'arriver à destination, laissant mon Sous-Lieutenant à la tête de la Compagnie, je me mettais en chasse, accompagnée de mon voltigeur, et, en arrivant au poste, j'avais tué sept cailles; j'espérais en rapporter une vingtaine le lendemain, en allant visiter mes avant-postes, mais les cailles avaient disparu je n'en tuai qu'une seule. En rentrant au camp, je fus averti par le Colonel que le Général Decaen, nommé au commandement de la Brigade en remplacement du Général Breton, était arrivé et me faisait appeler. J'étais fort intrigué et n'avais pas la conscience tranquille; je me demandais si le Général n'avait pas eu connaissance de mon expédition contre les cailles, et je craignais d'être puni, ou tout au moins réprimandé, pour m'être livré au plaisir de la chasse, étant de service aux avant-postes. Je fus agréablement surpris; le Général à la recommandation du Commandant Colson, me demandait de lui servir d'Officier d'Ordonnance; j'allais enfin être monté, ce qui était mon plus grand désir. On m'envoya un cheval pris dans un Régiment de Chasseurs d'Afrique. Le Général avait droit, comme Brigadier à un Capitaine d'Etat-Major pour lui servir d'Aide de Camp, et à un Officier d'Ordonnance du grade de Lieutenant. Le Commandant Colson l'avait prévenu que je serais compris dans une prochaine promotion de Capitaine, et je ne devais plus avec ce grade, servir en qualité d'Officier d'Ordonnance. Le 23 Septembre j'accompagnais le Général à une reconnaissance; il était escorté d'un peloton de Chasseurs d'Afrique, commandé par le Sous-Lieutenant Bugeaud, le fils de l'illustre Maréchal. Ayant rejoint le Général d'Autemarre, notre Divisionnaire, celui-ci m'interpella en me disant: "Il parait que nous sommes alignés". Comme je le regardais d'un air étonné et ne comprenant pas, il ajouta: "Vous êtes Capitaine". Les prévisions du Commandant Colson se réalisaient trop vite à mon gré; je n'étais qu'à demi satisfait d'un avancement qui devait me faire rentrer dans le rang, me priver de mon cheval et me faire renoncer à des fonctions agréables. A ma grande satisfaction, je fus autorisé, à la demande du général, à rester près de lui pour remplir l'office d'aide de camp dont je ne pouvais avoir le titre, n'appartenant pas au Corps de l'Etat-Major. Au cours d'une promenade à cheval, nous mettions pied à terre pour entrer dans une maison de cultivateur; le propriétaire nous faisait bon accueil et présentait au Général une fillette d'une dizaine d'années, qui nous chantait, en s'accompagnant d'une petite mandoline, quelque lied dans une langue qui nous était inconnue.Il nous offrit ensuite le spectacle d'un combat de coqs; mon Chef y prenait grand plaisir; il pria notre hôte de lui céder l'oiseau qui avait remporté la victoire; le propriétaire s'excusa, alléguant qu'il y tenait beaucoup; le lendemain j'étais envoyé, escorté d'un Chasseur d'Afrique, avec ordre de rapporter le fameux coq, même contre le gré du propriétaire, en lui donnant un prix très avantageux. J'ai rempli cette mission délicate, à la satisfaction du Général et sans être forcé d'avoir recours à la violence.


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Dans la dernière quinzaine de Novembre, le 39ème était désigné pour rentrer bientôt en France; le Général prit pour aide de camp, le Capitaine Watcher, de l'EtatMajor, tout en me conservant. Nous alternions pour le service, nous relayant chaque semaine,l'un chargé des écritures, l'autre accompagnant le Général, ou faisant des courses à cheval pour le service. Un matin je devais assister à l'exécution d'un condamné à mort. Voyant que cette corvée me répugnait, Watcher s'offrit pour me remplacer à l'heure fixée pour l'exécution qui devait avoir lieu à une centaine de mètres du moulin de Teulé, notre quartier général, je me bouchais les oreilles pour ne pas entendre le feu de peloton. Les soldats de garde à la prison, croyant rendre service au condamné, lui avaient procuré de l'eau de vie, dont il avait absorbé une grande quantité. On fut obligé de le transporter ivre mort, à dos de mulet, sur le lieu d'exécution; il ne pouvait se tenir debout, ni à genoux. On dut le fusiller couché, comme un cochon sauvage, dans sa bauge. La neige avait fait son apparition, recouvrant la terre de son manteau blanc. Un jour le cuisinier m'appelait pour me faire tirer des petits oiseaux groupés sur un buisson; d'un seul coup j'en tuais environ deux douzaines, sans compter les blessés qui nous échappèrent. Le Général profita de l'occasion pour engager le Colonel Anselme, Chef d'Etat-Major de la Division et un Commandant du Génie; je fus chargé de leur porter l'invitation. Quelques jours après, sachant qu'un Capitaine de Chasseurs à pied qu'il avait eu sous ses ordres et dont il gardait un bon souvenir, tuait des lièvres dans la forêt voisine, le général m'envoyait chasser avec lui; je rapportais le soir un beau lièvre, cadeau du Capitaine; je n'avais pas eu de succès, n'ayant vu qu'un lièvre gelé raide et qui avait dû recevoir du plomb la veille. Vers le 15 Décembre, le 39ème s'embarqua à Kamiesch; j'étais heureux de rentrer en France; mais je regrettais de quitter mon Général, d'abandonner des fonctions agréables et de nature à me procurer de bonnes relations, et enfin de renoncer au cheval. A cette époque les Capitaines d'Infanterie moins favorisés qu'aujourd'hui, n'étaient pas montés. Le 39ème avait perdu dans cette campagne 18 Officiers (8 Capitaines, 3 Lieutenants, 7 Sous-Lieutenants). 14 avaient été tués et 4 (1 Capitaine, 1 Lieutenant, 2 Sous-Lieutenants) enlevés par le Choléra.


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