10 minute read

Une traversée de l’Afrique en vélo

évasion

Une traversée de l’Afrique

Advertisement

à vélo

Safia a été depuis longtemps propulsée sur les routes du monde entier par son addiction au voyage : elle a rêvé sa vie sans limite, et sa vie a rêvé d’elle. Ses voyages ont été de longues aventures tumultueuses et surprenantes. Elle a serpenté à vélo sur les chemins de tous les continents. Lors de son périple de plus d’une année à travers les Amériques, elle a pédalé avec ténacité depuis les confins polaires de l’Alaska jusqu’à l’extrême sud de la froide Patagonie, en traversant les déserts brûlants du Mexique et de la Bolivie, la jungle moite de l’Amazonie et même les hauts sommets des Andes. Depuis 2004, son point d’ancrage est le val d’Anniviers : elle y vient entre deux voyages, y habite, y travaille une ou deux saisons, y retrouve à chaque fois ses amis, en repart, puis y retourne, car elle est attachée à la vallée et à ses habitants, et elle s’y sent chez elle. En 2018, alors qu’elle préparait son voyage en Afrique, Safia a eu l’idée d’apporter des crayons de couleur et des stylos aux écoliers des villages reculés, afin de leur rendre service mais aussi pour créer un contact avec eux et entrer dans leur univers. Elle a sollicité l’aide des habitants d’Anniviers et beaucoup d’entre eux ont participé au projet en lui donnant de nombreux crayons. Elle a partagé ensuite avec les Anniviards des photos des enfants rencontrés durant son voyage à travers le continent africain.

«Les enfants et moi-même vous remercions sincèrement pour votre générosité, votre soutien et votre participation à ce projet qui me tenait tant à coeur. Grâce à vous, les yeux de ces enfants ont brillé de bonheur l’espace d’un instant et vos petits gestes ont permis de grandes choses».

Safia

Pour les lecteurs des 4 saisons, Safia a accepté de raconter sa traversée difficile, courageuse et merveilleuse de l’Afrique en six mois, 7000 kilomètres uniquement à vélo, à travers l’Ethiopie, le Kenya, l’Ouganda, le Rwanda, la Tanzanie, le Malawi, la Zambie et le Botswana, pour parvenir finalement en Namibie, une contrée mythique de dunes rouges, bordée par l’océan Atlantique et peuplée d’innombrables animaux sauvages.

Safia : Mon vélo était à la fois ma maison et mon moyen de transport. je portais une cuisine et une tente, et je fabriquais mon électricité grâce à une dynamo dans la roue. je devais aussi transporter l’eau et la nourriture. Au Botswana, il n’y avait des points d’eau que tous les deux cents kilomètres, alors je roulais entre cent et cent cinquante kilomètres quotidiennement. je buvais sept litres d’eau par jour, car les températures étaient extrêmement chaudes, supérieures à quarante degrés. je transportais environ une trentaine de kilos de matériel en plus des dix-huit kilos du vélo.

Le but du voyage, c’est la rencontre avec les gens. Mais ça fatigue énormément ! Déplacer ma maison tous les jours me demandait beaucoup d’énergie, alors au bout d’un moment ça pouvait devenir très éprouvant de passer en plus mes soirées à communiquer. Pour choisir mon lieu de campement, j’essayais donc d’alterner entre des villages et des endroits de nature isolés où je pouvais être seule et me reposer. Mais c’était parfois difficile de trouver des lieux sauvages pour camper, car certains pays d’Afrique sont surpeuplés. Dans les villages, je campais souvent dans les écoles, car j’étais presque sûre d’y trouver quelqu’un qui parlerait anglais: le professeur. Ces écoles au milieu de la brousse étaient juste des abris sans chaise. Les écoliers ne pouvaient pas s’asseoir. Il y avait à peine un tableau noir et même pas de craie pour écrire dessus. On ne m’a jamais refusé l’hospitalité en Afrique. Làbas, c’est un honneur d’accueillir celui

ou celle qui vient d’ailleurs. Et c’est aussi tout un protocole ! On ne pouvait pas venir s’installer comme ça. Il fallait d’abord demander l’autorisation au chef du village; il acceptait de toute façon, mais c’était important pour lui de pouvoir donner la bienvenue et de me placer sous sa protection. Comme les chefs de village ne parlaient pas l’anglais, les professeurs traduisaient. Les villageois étaient très curieux et enthousiastes : c’était vraiment intriguant pour eux de voir arriver une fille à vélo. Un jour, ma présence plongea les enfants dans un tel état de transe, ils criaient tellement de joie que j’étais presque mal à l’aise, mais le chef du village me dit : « Regarde quel cadeau tu leur offres par ta venue» ! j’avais cent cinquante regards posés sur moi tous les soirs pendant que j’installais mon campement, c’était épuisant. Pour eux, c’était magique de me voir tout sortir de mes sacoches, telle Mary Poppins : je fabriquais ma maison, puis ils observaient comment je gonflais mon matelas et installais ma petite cuisine. Personne ne parlait. Il n’y avait plus un bruit, juste quelques chuchotements. Ensuite, les questions fusaient. Les hommes et les enfants s’intéressaient surtout à mon vélo : ils voulaient le comprendre et l’essayer. Les femmes s’intéressaient plutôt à ma cuisine, surtout à mon réchaud à essence, car il était prêt en deux secondes, alors qu’elles devaient cuisiner au feu de bois, ce qui est très long. Elles étaient très curieuses de savoir où on pouvait trouver un tel réchaud : pour elles, c’était de la magie… Elles voulaient aussi savoir si j’étais mariée, si j’avais des enfants, et surtout, comment étaient les hommes dans mon pays. C’était la question qui revenait toujours. Il y a malheureusement beaucoup de souffrance pour les femmes en Afrique et elles pensent que la vie de la femme européenne est parfaite. Elles se sentent maltraitées par les hommes de leur pays. Elles doivent travailler très dur et supporter des maris parfois alcooliques. En Afrique, ce sont toujours les femmes qui gèrent l’argent, sinon ce serait une catastrophe pour les enfants. Souvent les femmes se retrouvent seules avec plein d’enfants parce que leurs maris sont partis en les abandonnant.

j’avais peu de conversations avec les hommes, sauf avec les professeurs qui me racontaient leurs conditions de vie. En Afrique, quand un enseignant obtient tous ses diplômes, on l’affilie à une région : il n’a pas le choix, il devra rester et travailler là jusqu’à la fin de sa vie. Il ne peut pas refuser, car il a vraiment besoin de ce travail. Certains professeurs venaient de la capitale et se retrouvaient au fin fond de la brousse, sans électricité. C’était très difficile pour eux. Ils essayaient de s’adapter et de faire évoluer les choses, mais en général les villageois s’opposaient à eux, car ils ne voulaient pas que des gens venus d’ailleurs viennent bousculer leurs coutumes avec des idées nouvelles. C’était un peu désespérant pour les enseignants : ils devaient finir par accepter que les choses ne changeraient jamais.

L’Ethiopie est l’endroit le plus éprouvant que j’aie traversé. Les adultes y étaient respectueux, mais les enfants étaient sauvages et très nombreux. Ils me jetaient des cailloux dans tous les villages. Je n’ai jamais compris pourquoi. Quand ils voyaient les enfants faire ça, les adultes leur couraient après avec des cravaches pour les punir. j’avais peur d’être blessée et ne me sentais pas en sécurité. Là-bas, tous les voyageurs recevaient des pierres, qu’ils soient à vélo, à moto ou en voiture. Mais les jets de pierres cessèrent dès la frontière du Kenya traversée. L’Ethiopie est un pays très violent. Dans le sud, à la frontière avec la Somalie et le Kenya, il y a un conflit ancien et récurrent entre des ethnies. je suis arrivée en pleine guerre civile. La dernière image que j’ai de l’Ethiopie, c’est celle d’un village en feu avec des gens morts par terre et tous les bâtiments criblés de balles. Les militaires débarrassaient des cadavres qui semblaient être là depuis longtemps. Les gens buvaient tranquillement leur café à côté des morts : je voyais bien qu’ils avaient l’habitude. je n’ai pas du tout aimé l’Ethiopie. C’était le début de mon voyage et je m’imaginais que toute l’Afrique allait être comme ça. je commençais à me demander si je voulais continuer, parce que c’était dangereux et que je ne voulais pas mettre ma vie en péril pour un voyage. L’Ethiopie est d’une pauvreté extrême. je n’ai presque jamais vu personne porter des souliers, à part quelquefois des enfants de cinq ans avec des chaussures trop grandes trouvées dans la rivière. Les gens sont très sales, car il y a très peu d’accès à l’eau. Ils ont beaucoup de maladies de peau dues au manque d’hygiène. On voit même dans la rue des gens atteints de gangrène. L’eau courante n’existe pas dans les maisons. Aller chercher l’eau est une tâche très difficile car ils n’ont pas de véhicules. Tout se fait à pied dans les campagnes africaines. Le point d’eau le plus proche peut être très loin, à une heure de marche. Ce travail est toujours effectué par les femmes et les enfants. Ils portent des quantités d’eau inimaginables dans de grands bidons en plastique : un sur la tête et un autre dans chaque main, ce qui fait en tous cas trente litres d’eau à porter chacun, pour un trajet à pied d’une heure, sous une chaleur insupportable. Les Africains ont toujours le sourire et ne se plaignent jamais. Ils sont très solidaires et vivent tous ensemble tout le temps, ils ont l’air heureux. Il n’y a pas d’individualisme. Même les enfants s’entraident beaucoup, on voit souvent des filles de cinq ans porter des bébés et s’en occuper. L’Afrique transpire la joie de vivre, l’amour et le rire. Quand je voyais ça, je me disais, ▼

finalement, c’est quoi le bonheur ? Ils possèdent les choses essentielles: la famille, les amis, le partage, et ils sont satisfaits de ce qu’ils ont. Pourtant là-bas le partage n’est pas simple, car il y a toujours beaucoup de monde. Un jour, j’ai donné une pomme à un enfant : il l’a partagée en dix, car dix enfants étaient présents, et il n’en a mangé que le dernier morceau. Chaque soir, je cuisinais et mangeais seule devant cent cinquante personnes, et c’était très difficile pour moi parce qu’ils étaient trop nombreux pour que je puisse partager mon repas avec eux. En Afrique, les rencontres étaient magiques et uniques à chaque fois. Il n’y avait aucun véhicule et les gens marchaient sur la route en portant plein de trucs sur la tête. Quand j’allais dans la même direction qu’eux, ils étaient surpris de m’entendre arriver à vélo derrière eux: lorsqu’ils se retournaient, ils avaient à chaque fois les yeux qui brillaient et leurs sourires spontanés me redonnaient de l’énergie pour pédaler cent kilomètres de plus. C’était un sourire qui venait du cœur, jamais un sourire commercial.

A partir de la Zambie, l’Afrique est moins peuplée et on croise plus d’animaux que d’humains. Ce sont de vastes étendues désertiques. On entre sur le territoire des animaux sauvages : les lions, les guépards, les léopards, les hyènes et les éléphants. Là-bas, je devais chaque jour trouver un campement assez tôt, avoir fini de tout installer et de manger avant le crépuscule, et rentrer dans ma tente avant que la nuit tombe, vers 19h. Ensuite, j’attendais. je ne pouvais pas sortir avant qu’il fasse jour, vers 5 ou 6h du matin. j’avais surtout peur des éléphants qui étaient si immenses et impressionnants. Ceux du Botswana sont les plus grands du monde et ils peuvent devenir très agressifs. je me disais qu’ils pourraient écraser ma tente sans même la remarquer, alors j’essayais toujours de trouver au moins un arbre pour la planter à côté. je ne passais pas des nuits très tranquilles, seule au milieu de la nature. j’étais tout le temps aux aguets. Un soir, j’entendis un rhinocéros qui broutait devant ma tente avec un bruit de vache. je le voyais à travers la moustiquaire. j’arrêtai de respirer et j’attendis. Son repas terminé, il retourna dans sa rivière. je m’étais sentie vraiment vulnérable. Une autre nuit, alors que la lune était pleine, j’étais dans ma tente au fin fond de la savane. je vis un éléphant, puis deux, puis trois, puis plein d’éléphants élégants qui marchaient doucement à côté de ma tente en se dirigeant vers le point d’eau, juste devant moi. On n’entend pas du tout arriver les éléphants, ce qui est incroyable vu leur taille et leur poids. C’était un moment fabuleux et invraisemblable que je n’oublierai jamais, comme un rêve merveilleux sous la lumière magique de la pleine lune.

Merci à Safia pour ce magnifique récit et pour les photos

Pauline Archambault

WWW.MELLYMEUBLES.COM

This article is from: