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Sacrées croix de bois
traditions
Le val d’Anniviers abonde de longues croix de bois. Elles ne se remarquent presque pas tant elles sont nombreuses et éparpillées un peu partout dans les villages et dans la nature. On ne parle pas ici des crucifix qui décorent les églises, les chapelles ou les cimetières, ni des insignes religieux qui tracent les chemins de croix. On parle des croix mystiques, celles qui s’élancent vers le ciel telles des anges dont les ailes déployées sont accueillantes.
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Ces symboles des religions chrétiennes sont en bois résineux de la région. Le mélèze est imputrescible, dense et résistant. La pierre est plus chère et difficile à travailler. La durée de vie d’une croix de bois est d’environ 100 à 150 ans. Elles sont édifiées par les communautés villageoises ou par des donateurs privés. Il arrive que sur le bord des chemins des croix anciennes soient recouvertes de mousse séchée, une sorte de lichen, qui crée un mimétisme étonnant avec la nature environnante.
Ces entrecroisements de bois sont parfois décorés avec un cœur, des instruments du martyre, des symboles religieux, des ex-voto ou recouverts d’un petit toit. En dehors des villages, les croix sont simplement gravées d’inscriptions et portent une date.
Dans le val d’Anniviers, ces croix évoquent souvent une mission. La présence de ces grands crucifix est due aux missionnaires, des frères Capucins ou des Jésuites. On pense que c’est Saint-François de Sales qui est à l’origine de ces missions. Chaque dix ans, les diocèses envoyaient dans les paroisses des prédicateurs rédemptoristes afin d’évangéliser les pauvres en milieu rural. Ils prêchaient lors des messes et animaient des retraites pendant plusieurs jours pour motiver les fidèles, raviver l’élan spirituel des villageois mis à mal par la propagation de l’hérésie protestante. Pour clore ces périodes de missions paroissiales, de longues croix étaient érigées dans des lieux spécifiques comme à la croisée de chemins, dans des virages, dans des alpages, des mayens ou au cœur des villages.
Certaines croix sont symboliques alors que d’autres ont un rôle spécifique. Dans le passé, lors des convois funèbres, elles servaient de reposoirs et offraient aux porteurs de la bière un moment de répit pendant les prières.
Les entrées et les sorties des villages sont souvent indiquées par une croix de limite. C’est un repère administratif et topographique. Une croix érigée en souvenir d’une mission prêchée en 1949 s’élance vers le ciel à la limite des anciennes communes de Vissoie et d’Ayer, proche de Mission, de Cuimey et de La Combaz. Ces hameaux faisaient partie de l’ex-commune d’Ayer mais étaient reliés à la Paroisse de Vissoie.
Très anciennes, les croix de peste rappellent une épidémie. Elles ont été érigées par les populations pour se protéger de ce terrible fléau. La peste est une infection mortelle provoquée par le bacille yersinia pestis. Cette contamination frappa périodiquement la Suisse entre le XIVe et le XVIIe siècle. Elle fut vaincue à Hong Kong
Saint-Jean 26.12.2010
en 1894, après la découverte du bacille par Alexandre Yersin.
Les croix de pèlerinage indiquent une étape lors d’un pèlerinage ou pendant une procession. Les croix des ponts protègent ces constructions des inondations, des avalanches, des incendies et de tous les désastres naturels. Il existe également les croix des sources et des fontaines. Elles servent à bénir ou à sanctifier l’eau, élément indispensable à la vie.
Il y a des montagnes auréolées de croix protectrices qui comme les phares maritimes guident les alpinistes et témoignent de leurs exploits. Ces croix sont en métal et ancrées sur le point culminant des sommets. Elles peuvent aussi symboliser un souvenir ou la splendeur d’un lieu. C’est le cas de celle qui illumine la Pointe de Zinal (3790 m) au fond du val d’Anniviers. En 2010, elle a été portée tout là-haut par les initiateurs du projet Jérémie Melly et ses amis, ainsi que par le créateur de la croix, JeanPaul Theytaz et par monsieur le Curé Luc Devanthéry qui l’a bénite.
En 2019, la croix du village de Grimentz, haute de 22 mètres, a été arrachée par un violent coup de vent. Elle datait de 1833. La Société du Village, la Bourgeoisie, la Paroisse et les artisans du village se sont unis pour reconstruire cet immense symbole protecteur. Le 14 novembre 2020, la nouvelle croix est descendue des cieux en hélicoptère depuis la forêt de la Chierne pour être redressée au village et fixée sur un socle solide. Fierté des villageois, elle illumine et domine le village de Grimentz. L’Oratoire Saint-Félix à Saint-Jean d’en Bas a été reconstruit en 1711. Entièrement rénové en 2014, sa croix mesure quelque dix mètres de hauteur. Elle est adossée à l’édifice et protège le village et ses habitants depuis la nuit des temps. Autrefois à Chandolin des processions avaient lieu toutes les deux semaines. Elles partaient de l’église et grimpaient jusqu’à la croix du Calvaire. Les fidèles peuvent toujours se recueillir au reposoir situé à proximité de la croix.
Tous les villages d’Anniviers possèdent des croix qui rappellent une histoire, un souvenir ou un événement. Certaines sont en parfait état alors que d’autres sont bien délabrées. Il serait bon de les rénover pour les mettre en valeur avant qu’elles ne disparaissent à jamais. Elles incarnent avec les nombreux monuments religieux anniviards, un précieux patrimoine historique. De surcroît, elles procurent un charme divin à la vallée et à ses villages.
texte & images: Dominique©Epiney Regolatti
sources : • Le «bon» vieux temps au val d’Anniviers Pont André 1991 • Le val d’Anniviers - Gyr Willy 1994
