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Le Gamin
de Philippe Theytaz: une perle anniviarde
lectures
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Il y a une dizaine d’années, Philippe Theytaz publiait un ouvrage intitulé Gamin. Le livre retraçait les péripéties de la vie d’un gosse aux prises avec un monde d’adultes dans la solitude des alpages. Le livre a enthousiasmé les lecteurs de l’époque. J’en étais. Malgré une quasi-ferveur autour de cette petite perle – voyez plus loin quelques extraits des témoignages – l’ouvrage, épuisé depuis longtemps, n’a pas été réédité.
M’y repenchant récemment, j’ai mieux mesuré la force et la qualité exceptionnelle de l’ouvrage. Une analyse fouillée à laquelle je me suis livré m’a confirmé dans ces impressions.1 J’ai réalisé qu’il était un document quasi-unique, un témoignage, sur la vie qui avait cours ici naguère encore, une pièce de notre patrimoine. De là l’idée de convaincre Philippe de procéder à un nouveau tirage. Mais ce fut une rude affaire. Il fallut vaincre une pudeur qu’il a chevillée au corps, assurant la défense de son intimité. Il a cédé devant nos insistances. Les encouragements sont en effet venus nombreux, en particulier du petit comité de soutien constitué pour l’occasion (voyez la liste page 31). Venons-en à l’ouvrage. Le livre dont il est question ici a pour cadre un alpage situé au-dessus de Zinal, Tracuit, et la vie qui s’y déroulait durant les trois mois de l’estivage, entre 1800 et 2600 mètres d’altitude. Une équipe de six personnes, les pâtres, gère un troupeau comprenant une centaine de vaches à traire, une quarantaine de modzons, quelque dix cochons et une dizaine de cabris. L’un des pâtres, le maître ou fruitier dirige l’ensemble. L’équipe est fortement hiérarchisée, avec en queue le mayo, d’ordinaire un gosse d’une dizaine d’années. Leur fonction, gouverner tout ce monde et surtout, fabriquer quelque deux mille kilos de fromage répartis en meules de cinq à six kilos, du sérac et du beurre. Philippe fut des leurs entre sa dixième et sa seizième année. Confronté à la rudesse des lieux, des gens et de la tâche, oscillant entre souffrance et jubilation, Philippe relève le défi. Il a pour secours la force de la prière, l’amour des bêtes et la résilience provocatrice du « même pas peur, même pas froid, même pas fatigué, ... » repris en boucle comme une litanie, l’enfant tient à se montrer à la hauteur. L’épée de Damoclès du « ne pas faire collier. »2
Le style
Le Gamin de Philippe est inclassable. Il est inclassable quant au contenu, à la richesse et à la variété des thèmes abordés et à la profondeur de la pensée : l’enfance partout, l’école, l’éducation, la religion, la tendresse et l’amour, les relations humaines, l’amour des bêtes, etc. Mais à côté de sa portée ethnologique, le Gamin est une œuvre littéraire. Elle l’est au plein sens du mot par son style. En réalité, style et contenu sont indissociables, en parfaite harmonie l’un avec l’autre. Mettant sur la touche des règles syntaxiques et grammaticales qu’il enseigne pourtant journellement, Philippe s’efforce parfois de « mal écrire » pour rendre vrai le témoignage. Ramuz l’avait fait, c’était même chez lui presque une marque de fabrique. Il disait que son style avait la démarche naturelle de ses personnages. En rouvrant le livre de Philippe, ce sont les échos ramuziens que j’ai perçus à travers le style, chose à laquelle je n’avais pas été attentif lors de ma première lecture. Les passages sont nombreux dans lesquels cette impression se manifeste. L’un de ses correspondants l’observait aussi dans une lettre à Philippe, suite

à la parution du livre (voir plus loin dans les témoignages). Paul Theytaz abonde et prolonge en découvrant dans le narratif de Philippe des accents flaubertiens. « Style épuré, simple, poignant, sans fioritures, ni insistance, absence totale de rhétorique », note-t-il. Il ajoute : « Philippe captive le lecteur, aucune ligne n’est ennuyeuse. Un récit qui entraîne et qui tire des larmes. Personne ne ronronne ni ne s’assoupit. Et nous voilà plongés dans une émotion vivante, concrète. On ne lâche ni le récit, ni le conteur. Pas de grandiloquence, ni de victimisation. Fallait réussir ce tour de force ! » Et le professeur de français qu’il est ajoute : « Gamin devrait être étudié dans toutes les écoles du Valais, car il fait partie du patrimoine et de notre histoire. »
Je cite deux de ces passages en relation avec le style, mais on a l’embarras du choix. Pages 44-47, Philippe se trouve à Compohhangna3, 2600m : « Il y a un épais brouillard et la neige continue à tomber. Je monte, monte encore … Je me dis que pour tous les rassembler et les amener dans le pâturage du bas [2050m], où il y a pas de neige, ça va être je sais pas comment… Impossible. (…) Etre devant pour leur montrer le chemin, être derrière pour les chasser, être de chaque côté pour les guider… Quand tu es devant, elles avancent plus. Quand tu es derrière, celles qui sont devant savent pas où aller. Quand tu es d’un côté, elles partent de l’autre. Et puis avec ce brouillard, même si elles savaient où aller, elles savent plus. Alors je prie. »
Page 84, à l’occasion de la visite de sa mère. « Il l’aimait. Elle l’aimait. Mais ça ne se disait pas. Ça se sentait ou ça devait se sentir, mais ça ne se disait pas. Et pourtant, il aurait aimé l’entendre dire qu’elle l’aimait. Et il aurait été tout gêné. Et alors, elle aurait regardé ailleurs. Tchièno avait appris, sans que personne le lui dise vraiment, parce que c’est au-dedans de lui, que si on doit dire qu’on aime, c’est qu’on n’aime pas vraiment. Quand on aime, ça se voit. Pas besoin de dire. »
Ethnographique et littéraire, le Gamin est encore un chant de gloire en l’honneur de toute la corporation des pâtres. Eux à qui nul ne rend hommage, eux à qui la race d’Hérens doit sa réputation. Que serait en effet cette race sans ceux qui, été après été, ont affronté trois mois durant les rigueurs de la haute montagne, dans la précarité d’équipements et de logements rudimentaires, à la merci des éléments? Je pense ici à mon copain d’enfance Norbert Epiney, mayo à Barneusa, foudroyé avec treize bêtes en 1952.
Philippe nous raconte la genèse de son livre
« C’est vrai qu’il était là, tout au fond, Tchièno4… caché, ignoré, oublié. Peut-être qu’il ne demandait qu’à ressurgir, comme quand il avait 10-12 ans et qu’il était fier d’être petit pâtre des alpages. Il était là, oublié, jusqu’au détour d’un café, avec Bernard Crettaz qui semblait dire en d’autres termes : « Mais maintenant, tu vas le laisser parler, Tchièno ! Pourquoi tu l’en empêches ? Il a des choses à dire… et il ne va pas te lâcher comme ça. Arrête de refouler ! Il va prendre une telle place qu’il va te contraindre à une thérapie psychanalytique si tu continues ainsi à le bâillonner... ».
De guerre lasse, Tchièno a pris le vieux par la main et l’a conduit à l’alpage. D’abord au Marais, puis à l’alpage du Toûno et enfin à Tracuit (sur Zinal). Et le vieux n’a plus eu qu’à se taire. C’est Tchièno qui l’amène alors dans les endroits oubliés de la mémoire. Dans la tsijiere des Remointzes, sous les coilles du parc du Chiesso, au misio de Composanne, à Cruiverde, à côté de la croix du Saché. Il parle, il parle Tchièno… et tout à coup il s’arrête.
Témoignages de lecteurs suite à la première édition « Le fait de choisir un enfant comme narrateur, la fraîcheur que ce choix entraîne, la vie à l’alpage avec une grande sensibilité, l’évocation de l’initiation à des valeurs fortes et durables que cette expérience a permise, tout cela fait de votre livre un attachant bonheur de lecture… un ouvrage qui figure en bonne place dans ma bibliothèque. » Nicolas Perruchoud
« Ces morceaux d’enfance m’ont passionnée. Je semblais les vivre… Je lis, relis, sans me lasser comme si tout était de mon âge. (...) Je vous adresse mes sincères félicitations pour l’incomparable Gamin, une merveille. » Marceline Rey
« (...) Ce message que vous voulez partager me fait réagir et mieux comprendre qu’on a le pouvoir de façonner son destin. » Pascal Vuistiner
« Beaucoup d’émotions en découvrant ce « morceau d’enfance volé ». Une envie de prendre dans mes bras et de consoler l’enfant blessé. Le verbe « voler » signifie aussi ouvrir ses ailes et gagner le large vers le champ de tous les possibles. Tu as su le faire et tu es un magnifique exemple de « résilience » … cher voisin d’autrefois dont j’ignorais les blessures secrètes. » Marie-Rose Genoud
« (…) Magnifique ouvrage d’une grande sensibilité (…) dans un style qui me fait penser à St-Exupéry. » Paul-André Florey
« (…) Bravo ! Voilà un document important pour la bibliographie de l’histoire du Valais, la vie de ses habitants jusqu’à il n’y a pas si longtemps… » Jean-Jacques Joris


« … J’ai été bouleversé par la vision de ce monde disparu, recréé au travers du regard d’un jeune garçon. Chaque anecdote devient un alibi pour comprendre la tendresse, la timidité, la curiosité et les peurs de ce petit héros dans lequel j’ai senti en permanence les prémices du sage que tu es devenu… J’apprécie ton humilité, ta réserve, ta force et ton humanité, toutes qualités bien présentes en germes chez Tchièno. Mais ce qui m’a le plus impressionné, c’est la langue que tu as créée. A l’instar de Ramuz ou de Noëlle Revaz, tu inventes une langue qui sonne parfaitement juste, bien qu’elle soit très soigneusement travaillée et littéraire. Un vrai tour de force. Merci pour ce beau cadeau. Continue ! » Maurice Dirren
« Après avoir lu avec bonheur ton Gamin, je te félicite de cet ouvrage, écrit avec tant de réalisme et de sensibilité. Un vrai plaisir… Tu as trouvé le ton juste et la manière pudique d’évoquer des faits « disparus ». Si jamais tu posais la question de poursuivre le récit des aventures de Tchieno grandissant, je ne pourrais que t’y encourager. » Michel Salamolard Groupe de soutien à la réédition du Gamin: Raphaël Antonier, Janine Barmaz, PierreAndré Berthod, Christophe Bétrisey, Jean Bonnard, Rémy Bonnard, Christian Caloz, Jean-Marc Caloz, Alexandre Cotting, Christiane Crettaz-Zufferey, Didier de Courten, Maurice Dirren, Louis Epiney, Patrick Epiney, Roger Epiney, Anne-Françoise Evéquoz, André Fagioli, Tharcis Genoud, Janine Guex, Evelyne Guilhaume, Priscilla Hiroz, Loane Imhof, Sabrina Imhof, Jean-Jacques Joris, Christian Liégeois, Henri Maître, Paolo Marandola, René Massy, Christian Melly, Jean-Yves Melly, Raphy Melly, Mercédès Meugnier, Georges Meynet, Jean-Henri Papilloud, Benoît Pont, Christine Pont, Guy-Pierre Pont, Jean-Claude Pont, Martine Pont, Nicolas Pont, Victor Popoff, Christiane Revey, Jean-Yves Rey, Gaétan Salamin, Jean-Pierre Salamin, Louis Salamin, Simone Salamin, Michel Salamolard, Jean-Marc Savioz, Michel Savioz, Barbara Stryjenski, Georges Theytaz, Jean-Marc Theytaz, Gabriel Vianin, Isabelle Vicquéry, Marie-France Vouilloz Burnier, Frédéric Zuber, GeorgesAlain Zuber.
Philippe Theytaz est né en 1945. Enseignant primaire et secondaire en Anniviers, il a été par la suite responsable de l’Office de l’enseignement spécialisé au Département de l’instruction publique du canton du Valais. Après une thèse en sciences de l’éducation, il a été directeur des écoles de Sierre. Cofondateur du Centre de Compétences en Education et Relations Humaines (CCER). Au plan sportif, Philippe fut champion valaisan des 5000 et 10’000 mètres ainsi que du marathon, champion romand des 25 et 30 km, avec plus de 35 participations à la course de Sierre-Zinal. Philippe a «alpé» durant six saisons dans différents alpages, entre sa dixième et sa seizième année.
Jean-Claude Pont Bulletin de commande Adresse pour commande ou réservation du livre Gamin de Philippe Theytaz : Auprès de Régine Theytaz, route du Rawyl 9 A, 3960 Sierre. 079 697 00 32. reginetheytaz@netplus.ch Prix de vente : CHF 27.- / CHF 29.- par envoi postal, port compris.

Points de vente : Sion, La Liseuse Sierre, Payot Chandolin, La Boutique Grimentz, Marché villageois St Luc, Panoramik Vissoie, Café des Alpes Zinal, Bazar du Centre
1 On peut obtenir le texte de cette analyse gratuitement sur simple demande à : jean-claude.pont@unige.ch 2 Le lecteur qui aimerait connaître le sens de ce mot le trouvera dans l’exemplaire du livre de Philippe qu’il aura auparavant acheté ! 3 J’ai regretté que Philippe n’utilise pas ici la si belle et si expressive appellation locale, qui était «Compohhangna», les deux h indiquant une aspiration comme le h allemand, le «gna» comme dans «gnou». Sans parler de l’affreux «Combautanna», qu’on peut lire sur la carte pédestre du val d’Anniviers 4 Tchièno est le nom d’emprunt utilisé par Philippe pour le petit pâtre qu’il était.