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Plein la vue pour pas un rond ?

C’est bien connu, tous les frais médicaux des militaires sont pris en charge par la Défense. Enfi n, ça c’est la théorie car en pratique, se faire rembourser est souvent synonyme de tracasseries administratives. Par exemple quand il s’agit de remplacer sa paire de lunettes…

L’âge moyen des militaires est toujours relativement élevé, il n’est donc pas étonnant que nombre d’entre-eux portent des lunettes. Personnellement, je ne vois rien de loin. Sans mes lunettes, les arbres du paysage sont une succession de boules vertes fl oues. J’ai besoin de mes lunettes pour ma vie quotidienne mais aussi en milieu militaire, pour conduire un véhicule, reconnaitre le terrain ou tirer, par exemple. Et comme elles servent souvent, je dois régulièrement les remplacer. En tant que militaire, on bouge beaucoup et les lunettes souffrent : monture cassée, branches pliées, verres griffés, … Le règlement prévoit qu’on peut renouveler sa monture tous les cinq ans et les verres tous les deux ans. Ce n’est pas un luxe quand on est très actif !

Parcours du combattant

Pour moi, ça fait plus de cinq ans. J’ai bien sûr oublié comment il faut faire pour être remboursé. Heureusement, une collègue me renseigne et trouve le bon document sur l’intranet militaire. Je me demande bien comment font les jeunes soldats dans les unités ! Tout commence par une visite auprès d’un médecin agréé. Ah, mais je ne suis pas malade, moi ?!? Peu importe, il faut y aller pour obtenir l’indispensable formulaire ‘Modèle Transfert’ qui permet de consulter un ophtalmologue. Oui mais, je n’ai pas besoin d’un ophtalmologue, ma correction n’a pas changé depuis la dernière fois ! La collègue hausse les épaules : « C’est comme ça, ne discute pas ! » Après avoir vu le médecin, très mécontent que je l’embête avec ça en pleine crise Covid, je prends rendez-vous chez un ophtalmo. « J’ai une place dans cinq mois, un lundi à 11h, ça vous va ? » En temps normal, cela prend des plombes de voir un spécialiste et avec le corona, c’est pire. Après avoir patienté longtemps (avec mes lunettes brumeuses aux pattes tordues), je vois fi nalement l’ophtalmo. Je lui remets les papiers (grave erreur !!!) et puisque je suis là, il refait vite les tests. Ma correction n’a pas changé, je l’ai donc dérangé pour rien mais je repars avec une prescription en bonne et due forme.

Loin du compte

Mes fi lles avaient recommandé un opticien populaire sur internet, vraiment très bon marché et dont elles sont contentes. Les lunettes sont faites à Hong-Kong, la livraison peut se faire à domicile ou dans une des boutiques du réseau, à Bruxelles, Hasselt, etc. Mais ma collègue, décidément très au courant, me met en garde : « Les boutiques sont en Belgique mais la facture est établie au nom d’une société étrangère, ce qui n’est pas autorisé ! ». Retour chez les

Photo : Vincent Bordignon

vendeurs ‘bien de chez nous’. ‘Optique Mxxx’ sur la Grand-Place est une bonne adresse traditionnelle réputée mais qui facture 500€ la paire d’unifocales, ça fait réfléchir. En effet, la Défense rembourse un maximum de 125€ pour la monture et 25€ par verre (65€ pour des multifocaux). On est très loin du compte ! Essayons donc les grandes chaînes, réputées moins chères. Il y en a une qui fait une promo ‘trois pour le prix d’une’. C’est même prévu par le règlement : le remboursement se fait sur la paire payante. J’ai choisi une monture de marque. À 89€, je n’arrive même pas au forfait de l’armée, cool ! Ça se corse pour les verres, qui coûtent bien plus que 25€ ! Finalement les lunettes reviennent à 299€, desquels je retoucherai 139€ de la Défense. La mutuelle peut aussi intervenir, l’opticien vous renseignera. Détail important : la monture doit être mate et englober tout le verre. Quant aux verres, ils doivent être en matière organique et posséder un traitement anti rayures. Notez que ce traitement à lui seul peut déjà coûter plus cher que le forfait remboursé par la Défense. Les filtres antireflets ou UV sont autorisés mais pas les verres foncés, colorés ou photochromiques (qui s’assombrissent au soleil). C’est ballot car c’est justement de lunettes de soleil corrigées dont j’ai le plus souvent besoin. Pour conduire, par exemple. Heureusement, la promo de l’opticien permet de contourner cette limitation en choisissant une seconde paire ‘gratuite’ aux verres sombres. Comme d’habitude à la Défense belge, là où les moyens s’arrêtent commence la créativité... Finalement, pour être remboursé, L’époque des lunettes ‘Jaruzelski’ fabriquées par l’armée belge est heureusement révolue. Qui s’en souvient encore…?

il faut envoyer à BFA-M un dossier comportant l’attestation de conformité de l’opticien, la facture détaillée, une copie de la prescription de l’ophtalmologue et l’original du Modèle Transfert. Euh, mais, glup… je l’ai donné à l’ophtalmologue ? Grave erreur ! Il faut le montrer mais pas le donner. Le mien étant perdu (l’ophtalmo ne l’avait pas conservé), j’ai dû retourner chez mon médecin agréé pour en obtenir un nouveau… Autant vous dire qu’il n’a pas rigolé. Mais tout ce moulin à papier administratif est-il bien nécessaire ? Nous concevons que la prescription d’un ophtalmologue soit requise pour une première paire de lunettes. Mais après ? Il est tout de même rare que la vue s’améliore avec le temps. Si la Défense supprimait ces deux visites médicales périodiques, beaucoup de temps et d’administration seraient déjà épargnés tous les deux à cinq ans. En effet, les opticiens sont parfaitement à même de déterminer la correction requise. Par ailleurs, les remboursements de 25€ et 65€ pour les verres ont été fixés par l’OG-J/838 datant de 2003. Après 17 ans sans la moindre indexation, il est évident que ces montants sont insuffisants. Quant à l’interdiction des verres teintés, elle est tout bonnement incompréhensible. Il nous semble que la procédure actuelle a surtout été conçue pour dissuader les militaires de faire valoir leurs droits. En ces temps de forte attrition du personnel, l’autorité ferait mieux d’abandonner les vieux réflexes protectionnistes pour enfin penser au bien-être des collègues.

Remboursement forfaitaire

Nous avons contacté à DG H&WB le service compétent en cas de litige concernant le remboursement des frais médicaux. Nous pensions être confrontés à une bureaucratie rigide et qui ne veut rien entendre mais au final, ces collègues sont de bonne volonté et tout aussi désappointés que le reste des militaires par cette vieille procédure. L’adjudant-major Ronny Lenaers 

explique : « Des propositions existent depuis longtemps. Ce qui est acquis, c’est que les lunettes pour travail sur écran feront l’objet d’une SPS et seront considérées comme un équipement de protection individuelle. Quant aux lunettes de vue pour la vie quotidienne, je plaide pour un remboursement forfaitaire suffi sant, sur simple présentation de la facture. De cette façon, les militaires pourront choisir librement ce dont ils ont besoin : lunettes de soleil, pour voir de près ou de loin, multifocales, verres photochromiques, … Savez-vous que l’interdiction des verres foncés venait du vieux règlement sur les tenues qui interdisait le port de lunettes de soleil dans les pelotons ? Quant à l’OG-J/838, il est complètement dépassé. Depuis sa publication, la globalisation et le

Photo : Christian Decloedt

L’utilité des lunettes de soleil ou ‘photochromiques’ corrigées ne fait pas de doute, alors pourquoi encore les interdire ?

commerce sur internet se sont imposés dans notre vie. Peu importe où vous les achetez, la majorité des lunettes viennent d’Asie. Il faut vivre avec son temps et accepter ces changements. Plus besoin de ‘Modèle Transfert’ ni de visite chez un médecin agrée non plus. C’était utile dans le temps pour identifi er les soins non disponibles à l’HM mais aujourd’hui, ça n’a plus aucun sens. Tout le monde sait entre-temps que l’ophtalmologie a disparu en milieu militaire, tout comme la gynécologie d’ailleurs. Je me demande vraiment pourquoi on continue à exiger un Modèle Transfert. C’est un gaspillage de temps et d’argent manifeste. En revanche, je ne supprimerais pas toutes les visites chez l’ophtalmologue car celui-ci fait bien plus que déterminer la correction requise. Certains défauts de la vue peuvent avoir une cause grave que seul un médecin spécialiste peut diagnostiquer. Son avis reste donc primordial. »

« J’ai mis un plan de simplifi cation sur la table. Celui-ci pourrait être fi nalisé rapidement mais il y a tellement d’intervenants que le dossier n’avance pas. Dans le temps, c’était facile : nous étions le service compétent et décidions de la procédure. Aujourd’hui, tout le monde s’en mêle et au fi nal, on ne sait même plus qui doit décider. » 

Est-ce vraiment si compliqué ?

Le syndicat militaire ACMP-CGPM demande que la Défense simplifi e rapidement la procédure. Les militaires devraient pouvoir changer automatiquement leurs verres ou leurs lunettes tous les deux ou cinq ans, sans dossier compliqué, sans tracasseries administratives et sans visites médicales inutiles. Les économies sur les innombrables visites chez le médecin agréé et/ou à l’ophtalmologue seraient conséquentes. Sans parler du temps perdu, du manque à gagner suite à l’indisponibilité du militaire se rendant deux fois chez le médecin et du coût en personnel administratif chargé de gérer les dossiers. De cette façon, la Défense pourrait proposer un remboursement forfaitaire suffi sant, correspondant au coût réel d’une paire de lunettes de bonne qualité. DG H& WB planche depuis des années sur l’amélioration de la procédure. Les (bonnes) idées sont visiblement là, seule la décision manque. Est-ce vraiment si compliqué ?

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