Extrait "Francis Hallé. Les vies heureuses du botaniste" de Laure Dominique Agniel.

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Francis Hallé Les vies heureuses du botaniste

Laure Dominique Agniel biographie
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Pour Alix, Mika, Samuel, Owen.
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9 SOMMAIRE Mai 1971, Zaïre .................................................. 11 Mai 2022, Ploumilliau, Côtes-d’Armor ............... 14 Une maison comme un bateau ............................ 18 La quête de la beauté ........................................... 22 Un enfant dans la guerre...................................... 26 J’avais un rêve : naviguer !.................................... 33 Ce sera la botanique ! .......................................... 35 La rencontre ........................................................ 41 1963 : premières découvertes scientifiques en Côte d’Ivoire ............................................................ 45 D’une rive à l’autre du fleuve Congo ................... 50 Nostalgie des tropiques ........................................ 55 Dans les forêts d’Indonésie .................................. 59 Le monde au bout du crayon ............................... 64 Sur les traces de Darwin ...................................... 71 L’aventure du Radeau des Cimes ......................... 111 Les arbres, ces “monuments du monde”............... 136 Et on ose s’appeler sapiens ! .................................. 146 Reconnaissance des droits de l’arbre .................... 162 Le pessimisme, pas pour moi ! ............................. 166 Le passeur............................................................ 175 Une forêt primaire en Europe de l’Ouest : l’ambitieuse utopie .................................................... 181 La sagesse du botaniste ........................................ 192

Le texte est ponctué par des haïkus que Francis Hallé a écrits lors de ses expéditions.

10 Bibliographie ........................................................ 199 Ouvrages de Francis Hallé ...................................... 201 Remerciements ...................................................... 203

MAI 1971, ZAÏRE

Avant de braver sur ses rives l’effervescence de Kinshasa et de Brazzaville, le fleuve Congo s’élargit pour former un vaste lac : le Pool Malebo, naguère appelé Stanley Pool. Des jacinthes d’eau flottent autour de l’île M’Bamou, au centre du lac. Des pêcheurs sur leur barque lancent au loin leurs filets pour attraper quelques poissons-chats.

Francis Hallé a trente-deux ans. Il est arrivé il y a quelques mois à Kinshasa. Debout sur la berge, il observe les îlots couverts de forêts qui émergent du lac. C’est l’après-midi. Ce doit être un dimanche car sinon, il serait au labo. Il est seul.

Tout d’un coup, tout bascule. La forêt prend une couleur dorée, elle semble se rapprocher du promeneur, l’envelopper, l’absorber. “Ce n’est pas l’endroit le plus beau du monde, mais à ce moment-là il n’y avait rien de plus beau pour moi ! se souvient Francis. C’est un souvenir très précis : il n’y a plus de différence entre moi et ce qui m’entoure, il n’y a plus de limites. Je comprends tout, j’admire tout. Je suis tout. Cela disparaît tout aussi soudainement que c’était arrivé, mais il en reste un inoubliable bonheur.”

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La force et la lumière de cette expérience ont marqué la vie du botaniste et l’habitent encore, cinquante ans plus tard. Il s’interroge sur le mystère de ce que l’on désigne sous le terme de “sentiment océanique” : “J’ai la nostalgie de ce moment, mais dès que j’y pense, je retrouve ce sentiment de bonheur.”

Qui est cet homme ? Un scientifique qui a suivi à travers le monde les traces de Darwin. Un enseignant soucieux de transmettre. Un humaniste curieux que le vivant émerveille. Un homme de combats que les ravages faits à la nature exaspèrent. Il ne s’agit pas ici d’une biographie exhaustive, car la vie de Francis Hallé s’invente, se crée, se nourrit sans cesse de nouvelles expériences. Pendant dix-huit mois, nous avons eu de nombreux entretiens chez lui à Montpellier. Je l’ai suivi en Bretagne, à Paris, à La Rochelle. Cet homme est une force de la nature. Il a l’endurance d’un durian d’Indonésie – son arbre préféré. À quatre-vingts ans passés, il continue de parcourir le monde pour plaider la cause des arbres. De conférence en débat, de radio en vidéo, c’est la vie qu’il défend avec la même fougue : le génie des plantes et des arbres qui nous nourrissent et nous permettent de respirer, mais que les humains empoisonnent, abattent, brûlent sans états d’âme.

Francis Hallé n’est pas homme à renoncer, ni à se reposer. Il se bat pour les générations futures. Quand notre société laisse à ses descendants des déchets nucléaires toxiques pour l’éternité et un continent de plastique dans l’océan, le botaniste veut léguer à l’humanité une forêt intacte où végétaux et animaux sauvages vivraient en toute tranquillité, pour le bonheur des humains qui pourraient y observer la beauté de la nature : une forêt primaire en Europe

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de l’Ouest. Voilà l’ambitieuse utopie du botaniste. Voilà qu’il ouvre une brèche d’espoir dans un monde qui ne croit plus en l’avenir.

D’où vient l’énergie du scientifique ? Quel est le secret de son inextinguible amour de la vie ? J’ai tenté de le comprendre au cours de conversations dans lesquelles il livre, pudiquement, les souvenirs, les rencontres, les livres qui ont marqué son existence. Une vie passionnée à la recherche de la beauté.

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MAI 2022, PLOUMILLIAU,  CÔTES-D’ARMOR

Est-ce que les plantes peuvent se défendre ? Est-ce qu’il y a des arbres qui ne se supportent pas ? Est-ce que les plantes peuvent tomber malades ? Est-ce qu’un arbre peut encore vivre s’il n’a plus de sève ? Les humains peuventils attraper les maladies des plantes ? Comment font les cactus pour pousser puisqu’ils n’ont pas de feuilles ? Les animaux, ils mangent les orties qui piquent ? Est-ce que je verrai une forêt primaire en Europe quand je serai grand ?

Les petites mains se lèvent. Debout au milieu des élèves de CM2 de l’école de Ploumilliau, Francis Hallé écoute et répond avec soin aux nombreuses questions des enfants. Il dessine au tableau des arbres, des plantes, des fleurs, explique avec des mots simples l’étonnante vie des plantes : elles ne s’arrêtent jamais de grandir, elles ont besoin des autres – oiseaux, animaux, insectes, champignons –pour vivre, se reproduire, disperser leurs graines car elles ne peuvent se déplacer. Elles sont fixes, mais contrairement aux animaux, elles sont difficiles à tuer. Une petite fille remarque : les plantes n’ont pas d’yeux, elles ne voient rien. “Moi je sais qu’elles voient ! répond le botaniste. Elles voient d’où vient la lumière et elles s’orientent vers sa source puisque

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la lumière est leur nourriture. Elles perçoivent les formes, les couleurs…”

Francis Hallé se livre ce matin à son exercice préféré : transmettre la connaissance du monde végétal, partager les découvertes d’une science longtemps méprisée. À la fin de la séance, Émilie s’avance devant le tableau pour lire un poème de Robert Desnos :

[…] Il était un arbre au bout de la branche

Un arbre digne de vie

Digne de chance

Digne de cœur

Cœur gravé, percé, transpercé,

Un arbre que nul jamais ne vit

Il était des racines au bout de l’arbre

Racines vignes de vie

Vignes de chance

Vignes de cœur

Au bout des racines il était la terre

La terre tout court

La terre toute ronde

La terre toute seule au travers du ciel

La terre1 .

Théo présente des portraits d’arbres que les enfants ont dessinés. Visiblement ému, Francis Hallé glisse à la maîtresse : “ Vous n’imaginez pas le plaisir que j’ai à rencontrer les enfants !”

L’école primaire de Ploumilliau, une petite commune des Côtes-d’Armor, a décidé en 2015 de se

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1. Robert Desnos, “Il était une feuille”, Fortunes © Gallimard, 1992 (1re éd. 1942).

baptiser “Groupe scolaire Francis-Hallé”, bel hommage pour celui qui considère comme essentiel d’éduquer les jeunes générations pour qu’elles ne sombrent pas dans les mêmes erreurs que leurs aînés. À la fin de chaque année scolaire, Francis renoue pour quelques jours avec son métier de professeur et se rend à Ploumilliau pour semer les graines de la botanique chez les enfants qui partiront ensuite au collège. C’est pour eux que Francis se bat sans relâche contre la destruction du monde vivant.

C’est aussi pour lui l’occasion de revoir la Bretagne qui lui est chère depuis l’enfance. Même s’il a choisi de s’établir à Montpellier il y a près de cinquante ans, la Bretagne est le pays de sa jeunesse : son grand-père maternel, André Dauchez, était un peintre de l’école de Pont-Aven. Il avait fait construire une maison à la Palue du Cosquer, entre Loctudy et Lesconil, sur la côte atlantique du Finistère. Par temps clair, on voyait l’archipel des Glénan1. C’est à la Palue que Francis, le plus jeune de la famille, passait ses vacances, entouré de ses cinq frères et de sa sœur. C’est là qu’il a appris à naviguer sur des petits voiliers entre Concarneau, la pointe de Trévignon, la baie d’Audierne, le raz de Sein, jusqu’à devenir moniteur de voile dans la célèbre école des Glénans. La passion de la voile ne le quittera jamais.

La mer, la voile, la Bretagne ont une très grande place dans la vie de Francis Hallé qui a possédé une maison sur l’île de Groix pendant vingt-deux

1. Glénan s’écrit sans s quand on évoque l’archipel ou les îles. Le nom prend un s uniquement lorsqu’il s’agit de l’école de voile des Glénans, qui est une marque déposée.

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ans. La mer, la voile, la Bretagne, l’île de Groix, où j’ai vécu aussi, m’ont amenée vers lui tout autant que mon intérêt pour les plantes et les arbres. Plus étonnant, c’est notre passion commune pour les îles Marquises, en Polynésie française. Nous avons l’un et l’autre aimé la beauté austère de ces îles perdues au milieu du Pacifique, l’archipel habité le plus isolé du monde, l’un des plus préservés aussi. Le botaniste y a vu une végétation prolifique, j’y ai trouvé, quelques années après lui, une culture en pleine renaissance : tatouage, sculpture, danse, pratiqués par tout un peuple, toutes générations confondues. Il évoque le banyan, le burao, le santal, le mapé, le mayoré, et bien entendu le tiaré ; je pense aux tiki1, au tohua2, à l’hakamanu3. C’est par les Marquises que nous nous sommes liés d’amitié et que ce dialogue a commencé.

1.Sculpture représentant les dieux ou les ancêtres.

2. Traditionnellement, lieu de rassemblement du village.

3.La danse de l’oiseau.

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FRANCIS HALLÉ.

LES VIES HEUREUSES DU BOTANISTE

Francis Hallé est un botaniste mondialement connu pour ses travaux sur les plantes, qui a consacré sa vie à l’étude et à la sauvegarde des forêts tropicales. Il est aussi un humaniste curieux que le vivant émerveille. Un scienti que qui a parcouru le monde sur les traces de Darwin. Un enseignant soucieux de transmettre. Un homme de combats que les ravages faits à la nature exaspèrent. Son dernier rêve est de recréer une forêt primaire en Europe de l’Ouest. À quatre-vingts ans passés, il n’est pas homme à renoncer, ni à se reposer. Il se bat pour les générations futures et ouvre une brèche d’espoir dans un monde qui ne croit plus en l’avenir.

D’où vient son énergie, son inextinguible amour de la vie ? Laure Dominique Agniel a tenté de le comprendre au cours de nombreuses conversations dans lesquelles il lui a con é les souvenirs, les rencontres, les lectures qui ont marqué son existence. Elle ne nous livre pas ici une biographie exhaustive, mais des fragments d’une vie menée tambour battant aujourd’hui encore, en bateau, en brousse, en forêt, ou sur le Radeau des Cimes. Plusieurs vies dans une vie, guidée par la passion du vivant et la recherche de la beauté.

Laure Dominique Agniel est écrivaine et réalisatrice de documentaires. Elle a signé plusieurs biographies aux éditions Tallandier : Gauguin aux Marquises (2016), Alexandra David-Néel, exploratrice et féministe (2018), Lady Stanhope, l’amazone du Liban (2021).

DÉP. LÉG. : MAI 2023 / 20,50 € TTC France

ISBN 978-2-330-17536-8

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www.actes-sud.fr
Photographie de couverture : © Tristan Jeanne-Valès

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