Extrait "Vivent les corneilles" de Frédéric Jiguet

lusieurs centaines de milliers de corvidés sont tués chaque année en France en raison de leurs supposées nuisances. Tous les moyens sont bons pour les éliminer. Au cœur des plus grandes cités, les corneilles sont même accusées d’agresser les passants et de s’acharner sur les nourrissons jusque dans leurs poussettes…

En 2015, la Ville de Paris confie le dossier à Frédéric Jiguet. Sa mission diplomatique : mieux connaître ces oiseaux mal-aimés afin de déterminer les conditions d’une possible cohabitation. Une enquête captivante débute sur les pelouses du Jardin des Plantes, révélant des comportements étonnants qui témoignent d’une intelligence exceptionnelle et d’une vie familiale insoupçonnée. En suivant la piste des corneilles parisiennes, nous (re)découvrons la capitale sous un angle inattendu. Ce livre est une invitation à la tolérance à l’égard de la vie sauvage urbaine et à l’observation scientifique participative.

Biologiste de la conservation et ingénieur agronome, Frédéric Jiguet est professeur au Muséum national d’histoire naturelle, au Centre d’écologie et des sciences de la conservation (Cesco). Il a coordonné à l’échelle nationale toutes les activités de baguage des oiseaux et est un spécialiste reconnu internationalement de la migration de ces animaux et de l’évolution de leurs populations face aux changements globaux.

FRÉDÉRIC JIGUET

un plaidoyer pour une cohabitation responsable

FRÉDÉRIC JIGUET

VIVENT LES CORNEILLES VIVENT LES CORNEILLES

VIVENT LES CORNEILLES

un plaidoyer pour une cohabitation responsable

ISBN : 978-2-330-18561-9

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ACTES SUD Dép. lég. : janv. 2024 21 € TTC France www.actes-sud.fr

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“MONDES SAUVAGES” POUR UNE NOUVELLE ALLIANCE

La nation iroquoise avait l’habitude de demander, avant chaque palabre, qui, dans l’assemblée, allait parler au nom du loup.

En se réappropriant cette ancienne tradition, la collection “Mondes sauvages” souhaite offrir un lieu d’expression privilégié à tous ceux qui, aujourd’hui, mettent en place des stratégies originales pour être à l’écoute des êtres vivants. La biologie et l’éthologie du xxie siècle atteignent désormais un degré de précision suffisant pour distinguer les individus et les envisager avec leurs personnalités et leurs histoires de vie singulières. C’est une approche biographique du vivant. En allant à la rencontre des animaux sur leurs territoires, ces auteurs partent en “mission diplomatique” au cœur du monde sauvage.

Ils deviennent, au fil de leurs expériences et de leurs aventures, les meilleurs interprètes de tous ces peuples qui n’ont pas la parole, mais avec lesquels nous faisons monde commun. Parce que nous partageons avec eux les mêmes territoires et la même histoire, parce que notre survie en tant qu’espèce dépend de la leur, la question de la cohabitation et du vivre-ensemble devient centrale. Il nous faut créer les conditions d’un dialogue à nouveaux frais avec tous les êtres vivants, les conditions d’une nouvelle alliance.

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Collection créée par Stéphane Durand en 2017

© Actes Sud, 2024 ISBN 978‑2-330‑18561‑9

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FRÉDÉRIC JIGUET

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Illustrations de Guillaume Reynard

Pour une nouvelle alliance

ACTES SUD

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SOMMAIRE Prologue – p. 10

CHAPITRE 1. – P. 16

LES PREMIÈRES CAPTURES

CHAPITRE 2. – P. 22

LA CAGE-PIÈGE

CHAPITRE 3. – P. 28

PARIS MOBILITÉS

CHAPITRE 4. – P. 32

LA GESTION DES POUBELLES

CHAPITRE 5. – P. 38

MORTALITÉ DES JEUNES CONFINÉES

CHAPITRE 6. – P. 46

PLANTATIONS, PELOUSES ET HANNETONS

CHAPITRE 7. – P. 54

SON ENNEMIE, C’EST LA FINANCE

CHAPITRE 8. – P. 62

LE JARDIN DES TUILERIES

CHAPITRE 9. – P. 70

CORNEILLES DES VILLES OU CORNEILLES DES CHAMPS

CHAPITRE 10. – P. 78

VERT 335, LA CORNEILLE D’ALEXANDRA

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CHAPITRE 11. – P. 86

SOLUTIONS ALTERNATIVES EN AGRICULTURE

CHAPITRE 12. – P. 92

LES EXPÉRIENCES M&M’S

CHAPITRE 13. – P. 96

USUTU, WEST NILE ET AUTRES VIRUS

CHAPITRE 14. – P. 102

LES CORNEILLES DES CENTRES DE SOINS

CHAPITRE 15. – P. 108

LE MYTHE DU RITE FUNÉRAIRE

CHAPITRE 16. – P. 114

LES CORNEILLES DANS LA START-UP NATION : LA POUBELLE-MANGEOIRE

CHAPITRE 17. – P. 122

VERS UNE ÉVALUATION ÉCOLOGIQUE, ÉCONOMIQUE ET ÉTHIQUE DE LA DESTRUCTION

CHAPITRE 18. – P. 132

REJOIGNEZ LES OBSERVATEURS PASSIONNÉS DE CORNEILLES BAGUÉES !

ANNEXES. – P. 138

POUR VOLER PLUS LOIN VISITEZ LE PARIS DES CORNEILLES, UN GUIDE TOURISTIQUE POUR LES PETITES FUTÉES

Remerciements – p. 162

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L’absence ne fait mal que de ceux que l’on aime.

Pierre Corneille

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PROLOGUE

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Les corbeaux sont mal-aimés. Leur plumage noir, leur cri rauque, leur intelligence hors du commun dérangent. Dès l’Ancien Testament, l’animal est décrié, se faisant voler la vedette par la colombe. C’est pourtant lui que choisit Noé pour être le premier à quitter l’Arche quarante jours après le Déluge. Le corbeau part en éclaireur, fait des vaet-vient, mais ne trouve pas de terre émergée. Sept jours plus tard, c’est la colombe qui reviendra avec une feuille d’olivier, prouvant la baisse des eaux. L’histoire retiendra cette colombe et son brin d’olivier, devenue le symbole planétaire de la paix, alors que le corbeau est tombé en disgrâce. Il était pourtant le premier choix de Noé. Certaines versions expliquent que le corbeau ne revint plus, retenu par sa gloutonnerie sur les cadavres flottant dans les eaux. La colombe finit par disparaître elle aussi, mais les rédacteurs des textes anciens ont été plus indulgents à son égard, disant que c’était là le signe du retrait total des eaux. On pourrait dire que Noé a tenté de réhabiliter le corbeau, mais que toutes les versions hébraïques, grecques et latines ont cantonné le corbeau dans son univers malfaisant. Pas de chance pour le corbeau.

Entre l’automne 2019 et l’été 2022, plus de 5 millions de corbeaux, corneilles et pies ont été tués en France sous couvert de régulation, pour lutter contre les dégâts qu’ils sont censés causer aux cultures et au petit gibier. En 2020, durant la première année de pandémie mondiale du Covid, les confinements ont à peine nuancé ces chiffres, les régulateurs étant autorisés à sortir leurs pièges et fusils pour gérer la nature, alors que tous les bons citoyens restaient enfermés chez eux pour protéger les plus faibles, sur demande de nos dirigeants. Pourtant, cette même année, les déclarations de dégâts attribués à ces espèces ont diminué de 40 %, une baisse que l’on a du mal à attribuer à l’impossibilité pour les agriculteurs d’aller visiter leurs champs – qu’ils ont semés, traités à maintes reprises, voire irrigués puis moissonnés. C’est peut-être la preuve que si l’on laisse la nature un peu tranquille, des équilibres 11

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plus naturels revoient le jour. Ce type de contradiction me motive au quotidien dans mon métier, mes travaux de recherche, pour mieux orienter et conseiller les politiques de gestion de la nature, et stopper des hérésies. * Certaines rencontres ont été cruciales dans la genèse de mon projet de recherche sur les corvidés. Celle avec Lazare en fait partie, elle a même été la première. Du fait de mon métier d’enseignant-chercheur au Muséum, je suis souvent sollicité par des journalistes pour les aider dans la rédaction de leurs articles, pour préparer des émissions radiophoniques ou télévisées, voire souvent pour y participer. Interviews pour diverses chaînes de télévision, pour parler des opérations nationales de comptage d’oiseaux dans les jardins, du déclin des oiseaux agricoles, de la mortalité des étourneaux lors des feux d’artifice, de la migration des hirondelles… Les sollicitations de Radio France m’enjouent particulièrement, que ce soit pour La Tête puis La Terre au carré, La Méthode s­cientifique, La Science CQFD, Les Savanturiers ou Secrets d’info…

J’adore tenter de partager ma passion pour les oiseaux, pour la protection de la biodiversité. En 2014, c’est la chaîne M6 qui prépare une émission sur l’intelligence des animaux. Un épisode de E=m6 intitulé “Animaux, encore plus intelligents que vous ne le pensez !”, et qui sera diffusé le 14 septembre. La réalisation contacte le Muséum pour bénéficier de l’expertise d’un ornithologue, et me voilà embarqué dans un reportage sur un corbeau intelligent, nommé Lazare. Il vit près d’Avignon avec son humaine Véronique, qui lui a appris à réaliser un certain nombre d’actions nécessitant une intelligence prononcée.

Lazare et Véronique vont venir à Paris, au Muséum, dans mon bureau, pour le tournage. Nous sommes en 2014, je ne suis donc pas encore investi dans mon suivi de corneilles, mais je suis ravi de découvrir Lazare. Après un petit temps d’habituation à ce nouvel environnement 12

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qu’est mon bureau au Muséum, Lazare va réaliser ses “jeux” devant ­l’objectif. Ramasser des jetons de couleur pour les placer dans des boîtes de la même couleur. Tirer une ficelle, pousser un tiroir pour accéder à une graine placée dans une boîte. Lazare fait preuve d’intelligence, en tout cas il a appris ces actions qu’il peut répéter et qui ont pour lui un sens. En fin de tournage, alors que Véronique parle face caméra avec Lazare sur son bras, ce dernier s’envole et vient se poser sur le mien, de bras, comme pour me signifier qu’il m’a adopté. Dont acte, Lazare, je ­m’efforcerai d’être digne de cette confiance.

Lazare est un corbeau freux, espèce coloniale, et il a été récupéré très jeune par des humains et rapidement imprégné, donc il n’a pas pu être relâché dans la nature. Il est né en 2010 en Bourgogne, est tombé du nid à la suite d’une opération de régulation de corbeaux freux (qui se fait par tir au fusil des adultes près des nids), et a été récupéré par un centurion – oui, un chef romain – lors d’un défilé d’une colonne déguisée en soldats romains ! Le centurion le confiera plus tard à Véronique, qui n’a pu le relâcher et l’a donc gardé. Rapidement, il devient pour elle un véritable compagnon de vie, l’ambassadeur des corvidés malaimés, pour défendre leur droit à vivre. Il intervient dans de nombreuses animations pédagogiques, notamment dans des écoles, pour réhabiliter ses congénères. Lazare a même un site internet à son nom, et une association qui regroupe ses amis : l’association ladel, Les Amis de Lazare.

Atteint d’une pathologie respiratoire aiguë, Lazare s’est éteint le 3 mars 2022.

Le corbeau Lazare passe à la télévision, en 2015 www.youtube.com/watch?v=51iuERe5fm0

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* Ces mots se veulent le récit d’une aventure, passionnée et professionnelle, qui tente de comprendre pourquoi chaque année plus de 500 000 corbeaux, corneilles et pies sont éliminés de notre nature, pour préserver cultures et nature justement. Sans jamais que l’efficacité de ces vies avortées ne soit évaluée ni même contestée. Vous découvrirez, au fil de ces pages, comment un programme de recherche s’est construit, brique après brique, au fil des idées, des rencontres et des opportunités, pour tenter de comprendre le mode de fonctionnement de ces oiseaux, et envisager des alternatives à leur destruction, l’objectif ultime étant de rendre possible une cohabitation apaisée entre les humains et les corbeaux. Peut-il d’ailleurs y avoir une autre solution durable ? Ce récit est aussi celui de rencontres, avec des femmes et des hommes dont le chemin, la curiosité ou la passion ont croisé les miens ou ceux des corneilles.

Il est des hasards qui créent des vocations. Passionné depuis mon plus jeune âge par les oiseaux, je n’avais pas imaginé qu’un simple appel téléphonique pourrait changer à ce point mon quotidien de chercheur en écologie de la conservation. Un appel des services de la Direction des espaces verts et de l’environnement de la Ville de Paris. Les corneilles parisiennes sont responsables de nuisances récurrentes : elles vident les poubelles, arrachent des plantes et des pelouses, elles attaquent parfois des passants. Des maires d’arrondissement demandent à la Ville de pouvoir réguler les effectifs de ces oiseaux de mauvais augure. Il faut comprendre : certains électeurs accusent même ces “corbeaux” de s’acharner sur des nourrissons dans leur landau… Alors que le Jardin du Luxembourg, géré par notre chère institution sénatoriale, a décidé de réguler les corneilles en les piégeant, alors que le Jardin des Tuileries, géré par l’établissement public du Louvre, fait venir chaque mois un fauconnier pour les effaroucher, les services environnementaux de la 14

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Ville comprennent qu’il faut d’abord étudier les volatiles, leurs comportements, leurs mouvements, pour déterminer la meilleure réponse à apporter aux nuisances subies par les Parisiens. D’où leur appel au directeur du Centre de recherches sur la biologie des populations d’oiseaux (CRBPO) – votre plume du moment – au Muséum de Paris. Le téléphone de mon bureau sonne. Lors de cet échange téléphonique, mon interlocuteur m’explique la situation, la volonté de la mairie, et me demande si je peux aider à tester la faisabilité de captures, de marquages de corneilles (le CRBPO coordonne le baguage scientifique des oiseaux en France), pour tenter de savoir si chacune est inféodée à un parc ou est nomade, et à terme pour évaluer si la destruction de quelques corvidés dans un parc peut réduire leur nombre localement, et par ricochet les nuisances associées. Contrairement à toutes les préfectures de France, la Ville de Paris ne veut plus donner de blanc-seing pour tuer des corneilles sans savoir si cela est efficace pour réduire les nuisances.

Un appel téléphonique comme un appel du corbeau, mais pas anonyme, et avec un objectif salvateur. C’était ­Thomas. Toute l’histoire que je vais vous raconter a commencé ce jour-là, au printemps 2015.

Si je suis un ornithologue confirmé et passionné, bagueur expérimenté, je n’étais pas à l’époque un spécialiste des corvidés. J’ai suivi de près les travaux de Christian et Pascal sur les grands corbeaux de Saint-Flour dans le Massif central. J’ai suivi de loin le programme de baguage de Geais des chênes de Cyril en forêt de Chizé, et j’ai parfois discuté au Muséum avec François de l’étude qu’il a conduite sur les pies dans les parcs du Neuf-Trois.

Captures, baguages, déplacements d’individus, suivis par balises GPS, toutes ces techniques ont déjà été utilisées sur des corvidés, et je sais que je pourrai consulter ces collègues et amis pour apprendre, pour bénéficier de leurs expériences sur ces oiseaux malicieux. Je pars confiant, comme souvent, et ravi de me lancer un nouveau défi, un projet où tout est à construire, au service des oiseaux.

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lusieurs centaines de milliers de corvidés sont tués chaque année en France en raison de leurs supposées nuisances. Tous les moyens sont bons pour les éliminer. Au cœur des plus grandes cités, les corneilles sont même accusées d’agresser les passants et de s’acharner sur les nourrissons jusque dans leurs poussettes…

En 2015, la Ville de Paris confie le dossier à Frédéric Jiguet. Sa mission diplomatique : mieux connaître ces oiseaux mal-aimés afin de déterminer les conditions d’une possible cohabitation. Une enquête captivante débute sur les pelouses du Jardin des Plantes, révélant des comportements étonnants qui témoignent d’une intelligence exceptionnelle et d’une vie familiale insoupçonnée. En suivant la piste des corneilles parisiennes, nous (re)découvrons la capitale sous un angle inattendu. Ce livre est une invitation à la tolérance à l’égard de la vie sauvage urbaine et à l’observation scientifique participative.

Biologiste de la conservation et ingénieur agronome, Frédéric Jiguet est professeur au Muséum national d’histoire naturelle, au Centre d’écologie et des sciences de la conservation (Cesco). Il a coordonné à l’échelle nationale toutes les activités de baguage des oiseaux et est un spécialiste reconnu internationalement de la migration de ces animaux et de l’évolution de leurs populations face aux changements globaux.

FRÉDÉRIC JIGUET

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ISBN : 978-2-330-18561-9

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