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Souvenirs – Clay Regazzoni
from ACS 296
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Clay Regazzoni, le pilote du peuple
Portrait d’un champion, cinquante ans après son succès en Formule 1 à Monza, avec sa femme Maria Pia et sa fille Alessia. Entre souvenirs et engagement social. Par Elias Bertini
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L’ image sur l’écran montre une Ferrari 312 B, numéro 4, habillée d’un rouge éclatant, dont les 12 cylindres envoûtent le spectateur de leurs rugissements victorieux. Un bras se lève vers le ciel et puis… la clameur de la foule qui soulève son roi triomphant. Un drapeau, notre hymne national. Le 6 septembre 1970, il y a donc 50 ans, un jeune homme originaire de Porza, après avoir été champion d’Europe de formule 2, remportait sa première course de formule 1. C’était Clay Regazzoni. Cet événement extraordinaire a marqué de manière indélébile le quotidien de ce sportif de haut niveau.
AUTO: Comment avez-vous vécu cet accomplissement historique sur le plan privé, et quel a été son héritage spirituel?
Maria Pia : Tout a changé, et rien n’a changé. Jusqu’à cette époque, mon mari travaillait dans l’atelier de carrosserie de son père et menait une vie tranquille et accomplie. Son ascension en formule 1 avec Tecno a débuté en 1967 et culminé avec ce titre. Ce n’était qu’une mise en bouche de tout ce qui allait suivre. Par contre, le passage chez Ferrari a considérablement modifié notre niveau de vie. Cet environnement nous imposait des cadences, d’innombrables voyages liés au travail et des contacts fréquents – une vie que je n’avais jamais imaginée avant.
Sur le plan émotionnel, cependant, Clay était resté le même : un être simple et humble qui, bien qu’il ait gagné à Monza, avait les pieds sur terre, appréciait la compagnie de ses amis et ne faisait aucune distinction de classe ou d’origine sociale. Avec ses enfants aussi, il était resté le père auquel ils étaient habitués sans que la dynamique familiale ne soit trop perturbée.
Comment viviez-vous sa notoriété? Avez-vous accompagné Clay dans ses voyages dans le monde entier?
De temps à autre, j’ai assisté à des Grands Prix, tout en m’assurant que mes enfants soient toujours pris en charge. Ma mère me donnait un gros coup de main. Avec le temps, on s’habitue à la célébrité. Nous en avons ressenti les effets principalement en Italie : à cette époque, le «Commendatore» Ferrari ne recrutait plus des talents dans la pépinière péninsulaire, et mon mari, avec le nom qui était le sien, avait pratiquement été adopté comme une idole italienne, tout en reconnaissant son origine suisse. Il était un peu leur pilote, et la foule immense qui suivait le drapeau à damiers ce 6 septembre en constituait un incroyable témoignage. Je me souviens de l’énorme satisfaction de Clay, pas tant concernant la victoire accomplie, mais (m’avoue-t-elle avec un sourire) parce qu’il avait réussi à battre Jackie Stewart.
Lors d’une apparition publique, vous avez affirmé «Clay Regazzoni était un homme qui, tout en vivant pleinement et intensément sa vie, a donné de la dignité à cette vie même.» Quelles sont les valeurs qu’il a réussi à vous transmettre, à vous et à votre frère Gian Maria?
Alessia : Simplicité et humilité, car ces deux vertus étaient profondément ancrées en lui. Il n’a jamais attrapé la grosse tête par rapport à tout ce qu’il avait accompli et est resté fidèle à lui-même. Par exemple, on a beaucoup parlé de la dualité de caractère entre Regazzoni et Lauda, mais aucun des deux n’a jamais pris de l’influence sur l’autre. Ils avaient des approches totalement différentes… de la course automobile comme de la vie elle-même. Niki, qui reste dans ma mémoire comme un homme très aimable, était plus timide, méthodique, et il courait pour gagner. À l’inverse, mon père, qui était arrivé en formule 1 presque par hasard, vivait sa passion de façon authentique, sans trop se soucier de l’aspect mathématique. Il aimait ce monde composé de fans, de moteurs, de techniciens et de mécaniciens.
Que signifiait le fait de bénéficier des attentions réservées à un champion?
Même si le dimanche, il nous enthousiasmait à la télévision, à nos yeux, il n’était ni une idole, ni un sportif à succès, mais simplement notre père. La famille était l’endroit où il rechargeait ses batteries et il profitait de toutes les petites habitudes
que son séjour à la maison pouvait lui offrir : tranquillité, silence... il aimait les western (dont il connaissait les dialogues par cœur) et les regardait avec nous. Il adorait le risotto, la soupe, le tennis… Il passait beaucoup de temps sur les courts de la Villa Castagnola et désespérait ma mère qui le regardait jouer par la fenêtre et préparait le dîner - en étant convaincue qu’il en était à son dernier match de la journée. Quand il était à Lugano, il ne dédaignait pas une partie de cartes au bar «Paciarott», car il s’entendait bien avec tout le monde.

Ce bras levé en signe de victoire à Monza, il y a cinquante ans, est devenu une sorte de symbole représentant toutes les batailles menées et gagnées au cours de sa vie. La plus importante de toutes était celle contre l’adversité du destin. Quel homme est-il devenu après l’accident en 1980? Pourquoi aujourd’hui encore, il est considéré comme un emblème de volonté et de courage?
L’accident à Long Beach a changé sa vie : d’un jour à l’autre, il s’est retrouvé dans un lit d’hôpital, paraplégique, confronté seul au très dur processus de réhabilitation, parce que parmi les milliers de personnes qu’il connaissait, la famille et quelques amis proches seulement sont restés à ses côtés. Cependant, une fois de plus, il s’est révélé être un combattant: pour lui, les problèmes ne représentaient rien de plus que de petits incidents dont il fallait s’affranchir. Il a essayé de toutes ses forces de remarcher. Il était un patient modèle qui a subi inlassablement des opérations diverses jusqu’à ce qu’il dise stop aux médecins. Mais, même quand l’espoir s’est éteint, il n’a jamais abandonné. C’est exactement ce genre d’impulsion innée qui lui a permis, dans les années suivantes, d’affronter des compétitions épuisantes telles que le ParisDakar (qu’il a couru comme si c’était une course de formule 1). Il ne voulait pas que sa paraplégie lui impose des limites et s’assurait que nous ne cédions pas à la peur qui nous aurait privés d’aspects importants de la vie.

Clay Regazzoni s’est beaucoup battu pour que les personnes porteuses d’un handicap se voient garantir un maximum de dignité et de possibilités…
Malgré sa condition, il a mené une vie confortable et il était soutenu, aimé et aidé. Il aurait pu s’occuper de lui-même uniquement, mais lorsqu’il s’est aperçu de ce monde occulte dans lequel vivaient les personnes handicapées, il a commencé à revendiquer leurs droits, à l’instar de quelques autres personnes telles que l’acteur Christopher Reeve. Mon père avait particulièrement insisté pour que débutent des programmes de recherche qui, comme il déclarait, ne convenaient pas aux lobbies du secteur, mais qui étaient fondamentaux pour redonner un avenir aux personnes se trouvant dans la même situation que lui. En 1984 déjà, il a créé avec deux paraplégiques suisses (un chirurgien et un publicitaire) la «La Fondation internationale pour la recherche en paraplégie - IRP». Grâce aux efforts conjugués d’hommes comme mon père, d’importantes institutions, dont la Fondation suisse pour paraplégique à Nottwil, consacrent désormais une partie de leurs fonds au développement de nouvelles approches thérapeutiques qui, tout récemment, ont produit des résultats encourageants.
14 ans après sa mort et 40 ans après l’épilogue tragique en formule 1, Clay Regazzoni est l’un des sportifs les plus aimés, comme j’ai pu le constater récemment lors d’un entretien avec un journaliste japonais. Tout cela parce qu’il s’est engagé avec son cœur en faveur des autres, laissant un héritage magnifique, à la fois en tant qu’athlète et qu’en tant qu’être humain.
Le Memorial Room Clay Regazzoni à Pregassona est non seulement un espace où l’on peut rendre hommage à un champion et savourer ses exploits à travers un parcours d’exposition mais aussi et avant tout un lieu dédié à la sensibilisation…
Dans ses interviews, il disait : «Je me mets en colère cent fois par jour à cause de l’ignorance des gens». Avec ces paroles dures et franches, il voulait résumer à quel point la société n’était ni sensibilisée, ni habituée au monde de la paraplégie, que ce soit pour traiter les personnes en chaise roulante comme des êtres humains absolument normaux ou pour considérer les barrières architecturales. Il luttait en faveur de cette sensibilisation et réfléchissait souvent au changement dans la société et au rôle clé qui est donné aux enfants : ils ne portent pas de jugement, ils ont une véritable volonté d’apprendre, ils seront les adultes de demain – avec un brin de conscience en supplément.
Ce que nous essayons de faire ici, avec le Memorial Room, c’est d’organiser des rendez-vous dédiés à la sécurité routière. Clay serait heureux de voir les élèves sourire et être enchantés par les voitures dans lesquelles il a roulé vers la victoire avec talent et passion. Il serait heureux de les voir écouter tant de témoignages merveilleux de ceux qui, tout comme lui, ont vécu un drame. Ce que mon père a fait est une goutte d’eau dans l’océan, mais je suis sure que son exemple sera perpétué.
Pour plus d’informations sur le Memorial Room Clay Regazzoni et sur les fondations de soutien : www.clayregazzoni.com