adeline le cocq POST-IT collection MEMO!
adeline le cocq
POST-IT
collection mĂŠmo ensap bordeaux 2013 1
MEMO!
Le mémoire de licence
Cet enseignement propose une traversée des idées et des formes liées aux trois années de licence en architecture, conçu comme un lieu de conception, de rédaction et de réalisation d’un livre. Il associe différents modes pédagogiques : • réflexion sur les concepts et rédaction d’un propos • éditions, mise en forme, maquettage, relation texte-image
Chaque étudiant est invité à, se documenter, puiser dans ses archives, mettre en récit et éditorialiser les concepts liés à la formation d’architecte.
Cette édition expérimentale est une mise en oeuvre de leurs savoir-faire plastique et rédactionnel. L’objet éditorial est baptisé Mémo !
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Sommaire
Ma vision du mémoire de licence
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Chapitre A : Les archives mises à jour
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Dessiner pour voir
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Chapitre B : Conférence sur un architecte
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Soustraction
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Chapitre C : Revue de presse
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La fenêtre, un subsitut à l’absence. Une intrigue constante dans la carrière d’Eduardo Souto de Moura
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Chapitre D : La mémoire du futur
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Révéler pour voir
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Colophon
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Ma vision du mémoire de licence
La mémoire est défaillante. On ne se souvient pas de tout, et il y a des choses que l’on préfère oublier. Parce qu’elles sont porteuses de trop de souvenirs, tristes, mauvais, honteux, durs, inutiles même parfois. Des souvenirs que l’on cache, mais qui seront toujours là, en nous. Il y a des choses, au contraire, dont on préfère se souvenir. Parce qu’elles nous rendent heureux, nostalgiques, mélancoliques, elles nous comblent d’un sentiment rassurant, familier, personnel. La mémoire sélectionne ce qu’elle veut nous donner en image. Elle est fondatrice de notre «moi». Mon «moi» n’est pas ton «toi», qui n’est pas son «sien». La mémoire est singulière. Dans un atelier, regroupant cent vingt élèves, nous travaillons, nous dessinons, nous rêvons de projet d’architecture. Nous possédons les mêmes machines à travailler, les mêmes outils, nous côtoyons le même espace. Pourtant, nous en retiendrons tous des souvenirs différents, concordants, ou divergents, complémentaires, inhérents, consécutifs, éloignés, divers, opposés. Un même moment, un même lieu et cent vingt manières d’appréhender, de voir, de retenir, de percevoir, de garder en mémoire. Il n’est pas une vision unique d’un instant. La mémoire est sensible. Elle est tisse, connecte des liens entre des espaces temps totalement différents. Elle est capable de nous rendre compte de ressemblances, elle fait contact entre image, son, odeur, toucher. Elle nous donne à voir de nouvelles idées, elle nous oblige à nous replonger dans le passé pour créer notre futur. Perdre la mémoire c’est perdre toute la matière qui nous constitue. Cette matière si personnelle nous bâtit, elle édifie notre histoire.
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Chapitre A : Les archives mises à jour DESSINER POUR VOIR D’abord comme un regard, la main qui dessine est la première habitante de l’espace que nous créons. Ensuite, le dessin prend des allures de fauxsemblant. Il nous transporte dans un ailleurs imaginé, pensé, presque irréel. Le dessin est simulacre d’espace. Il se réduit à des lignes, des points, des surfaces. Nous mentant sur sa consistance, il n’est qu’une chose plate sans relief, ni profondeur. Pourtant le dessin emprisonne la marque fragile du crayon qui cherche à nous parler. Parfois, c’est tentative vaine, la ligne se perd dans des hypothèses improbables, qui ne sont que fantasmes de l’esprit. D’autres fois, le dessin nous donne à voir le projet. Il offre cet instant où l’espace se construit sous nos yeux. Le dessin comme langage, il est moyen d’expression qui nous confère des possibilités infinies de transmettre, d’échanger, de partager des intentions d’architecture. Il nous accompagne et nous guide dans nos incertitudes. La représentation est preuve de ce que nous avançons. Elle permet de légitimer ses desseins. Elle invente le lieu jusque là inconnu. Lorsque la main a enfin touché la feuille de papier et que le crayon en a effleuré sa surface, le projet devient un objet familier, qui est en nous et qui transparaît être évidence. L’espace devient visible grâce à de multiples subterfuges, la perspective, la lumière, les rapports d’échelle... Le dessin est au final la seule et unique chose factuelle que nous garderons d’un projet. Car le dessin reste là. Comme une empreinte posée dans notre mémoire.
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la paroi & la sĂŠrie
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le scénario & les croquis d’architecture
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Chapitre B : Conférence sur un architecte
Notre propos s’articule autour du thème de la soustraction. La soustraction n’est pas seulement synonyme de retrait, elle est pour nous témoin d’une aptitude de l’architecte à se glisser dans un site tout en le gardant authentique, unique en soi. Si la Casa Baiao de Souto de Moura se soustrait à la falaise, c’est au bénéfice d’un large territoire, vaste, ample qui appelle à la contemplation. Parler de simplicité, c’est parler d’une maison qui répond à une fonction fondamentale, celle d’habiter. Un patrimoine, massif, fort, fait de pierre, il est une valeur ajoutée à cet espace domestique. La façade de la maison est à la fois, fenêtre, paysage. Elle permet la mise en abîme de cet horizon. 1.UNE TOPOGRAPHIE, DES TERRASSEMENTS, UN FLEUVE. La falaise comme adossement, les vallées du Douro comme large embrasure.
6.SIMPLICITE DE LA COMPOSITION, ESPACE JOUR/ESPACE NUIT
Habiter une maison c’est vivre sur deux temporalités. Un plan intelligible qui souligne une conception de l’espace humble et clair.
2.UNE RUINE EN PIERRES
Perdue dans ce vaste territoire, elle est l’origine d’une intention architecturale. Préservée, elle est support à une rencontre entre deux époques, deux manières de faire acte d’architecture.
7.DES ESPACES TOURNES VERS LE PAYSAGE
L’extérieur n’est plus étranger à l’intérieur. Chaque espace donne à voir sur ces vallées portugaises, immenses, et tout d’un coup à portées de main.
3.UN EVIDEMMENT, UN CREUSEMENT
Comme un négatif, la maison se positionne entre deux mondes; la terre, la masse, le tréfonds du sol, et l’infini de l’horizon, l’eau, l’air et la lumière.
8.PAYSAGE Pas de mur, la façade n’est que verre, elle disparaît, elle n’est plus.Le territoire s’offre à nous sans retenue.
4.UNE ACCROCHE Tels deux organes faisant corps. La ruine est complémentaire à la maison.
9.A LA FRONTIERE ENTRE DEUX MONDES Adosser à la masse du sol, la maison s’ouvre sur son paysage.
5.UN MUR EN PIERRES, TEMOIN DE LA RUINE Architecture de la continuité. Le mur en pierre intériorise la mémoire du lieu. Il devient central, c’est le coeur de la maison. Nichant la cheminée, il est le foyer fondateur et catalyseur de la vie des usagers.
10.UNE COUVERTURE Un toit plat qui vient filer sur le haut de la maison. 11. UNE DISSIMULATION La maison disparaît sous le sol. Elle est imperceptible dans son environnement. Cachée, soustraite de la vue. Elle est la maison qui regarde. Elle est la maison qui ne se perçoit pas. 21
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Chapitre C : Revue de presse La fenêtre, un substitut à l’absence. Une intrigue constante dans la carrière d’Eduardo Souto de Moura.
Eduardo Souto de Moura tente d’élucider le secret de la fenêtre depuis le début de sa carrière. À la rechercher perpétuelle d’un alibi qui légitimerait ses ouvertures; Souto de Moura parle de fenêtre comme du «négatif du mur» ou comme du «non-mur». Dans une volonté de s’éloigner toujours davantage de cette image et de cette peur qu’est «percer=trou», le vocabulaire de Souto de Moura pour parler des fenêtres se rapproche de celui d’un artiste. Peut-être sculpteur dans le fait de travailler la matière. Peut-être photographe dans la décision du cadrage, de l’angle de vue, de la lumière. Peut-être peintre dans le choix du motif, et dans la volonté de faire du banal, une chose d’exception. Les fenêtres anciennes sont pour lui les plus belles, car ayant de bonnes proportions, elles sont profondes et créent une intimité avec la lumière qui s’en trouve modelée. Cette quête permanente du dessin du percement se retrouve bien entendu dans son travail. Nous pouvons distinguer trois façons d’aborder la fenêtre lorsqu’il fait projet. «Des conséquences attendues» qui naissent d’un usage particulier de l’habitant à l’espace, «La fragmentation, dématérialisation en cours», proposant une échelle plus grande de l’architecture et ouvrant sur la répétition, le rythme de la façade, et enfin «Des conséquences inattendues» introduisant le thème de la réhabilitation, re-façonner un espace dans le but qu’il réponde aux attentes actuelles.
Since the beginning of his career, Eduardo Souto de Moura tries to elucidate the secret of the window. He is always looking for an alibi to legitimize its opennings; Souto de Moura talks about window like a «negative wall» or like a «no-wall». He wants to get away from this picture and this fear of «to open= to make a hole». Souto de Moura’s vocabulary comes closer to artist’s vocabulary. Maybe like a sculptor who works matter. Maybe like a photographer who chooses framing, camera angle, and correct light. Maybe like a painter who chooses his subject, and who wants to make the ordinary extraordinary. The old windows are for him the most beautiful because of their correct proportions, they are deep and they create privacy with a light relief. The perpetual search of the drilling drawing is reflected in his work. We can see three ways to make projects with windows; «Expected consequences» which arise from special use of the inhabitant in the space, «Fragmentation, dematerialization in progress», proposing a bigger scale of architecture, with repetition and rythm, and to finish «Unexpected consequences» introducing rehabilitation theme, to shape a space in order to meet the expectations of the contempory society.
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Il a toujours déclaré ne pas savoir dessiner les fenêtres. Mensonge ou réalité, les fenêtres ou « trous », « murs en négatif » comme il les appelle, sont devenues sa matière de prédilection. Il suffit d’appréhender quelques projets significatifs de sa carrière pour saisir à quel point ce sujet devient obsession dans son travail. « Il n’est ni dedans ni dehors, l’espace est unitaire (...) » Laurent Beaudouin
Notre connaissance de l'architecture est faite par l'expérience, l'expérience du vide. Comprendre sa consistance, c'est comprendre l'épaisseur des masses qui nous entoure, nous enveloppe, nous protège. Parfois prosaïque, parfois singulier, chaque espace se détermine par une limite, il ne peut exister de vide sans le plein. Complémentaires et contraires, ils se touchent, se côtoient, se frôlent, jusqu'à ne devenir qu'un. Eduardo Souto de Moura parle de « non-élément » en faisant allusion au vide de la fenêtre par exemple. Il n'y a pas de vérité révélée, absolue en architecture, il en va à chacun de construire sa propre approche empirique, son regard. L'architecture avant d'être vue, se doit de voir ellemême; elle perpétue une chaîne dans la mémoire d'un territoire. Ni aveugle, ni sourde, l'architecture parle. Parle de paroi, de muralité, de percement, de parcours. Elle nous conte vie après vie ses multiples histoires. Elle est avide de lumière et d'ombre, de vent, d'air et de bruit. Cette découverte physique de l'espace nous rappelle que l'architecture est tangible, elle réclame le toucher. Elle est matière qui ne demande qu'à être façonnée, modelée, sculptée.
Elle est comme un cadre à nos souvenirs. Enfant, qui n’a pas dessiné du bout des doigts dans la buée de son souffle posé sur la vitre. Paisible et rassurante la fenêtre nous fait sentir ailleurs en même temps qu’elle nous protège à l’intérieur. Dessiner une ouverture c’est se questionner, quelles proportions, quelle position, vers qui, vers quoi, pour qui et surtout pour quoi; Pourquoi ouvrir? Quelles sont les qualités qu’apportent une fenêtre à la maison, à l’immeuble, au monument? Elle change l’atmosphère du dedans, et devient un exercice de style en façade. Percer ce n’est pas seulement dessiner un «trou». Imaginez-vous à la place d’un sculpteur qui travaille la matière, prenez-vous au jeu du photographe qui adopte son cadrage, son angle de vue, et oeuvre avec la lumière ou bien encore celui du peintre qui choisit son motif, et qui tente de révéler dans le banal l’exceptionnel. L’architecte est tout à la fois; sculpteur, photographe, peintre. Découvrir la complexité de ces différents enjeux concède à l’architecte un champ de possibilités multiples, qui doivent s’avérer rigoureuses et justes.
« La sculpture repose sur le vide « disait Alberto Giacometti, il en est de même pour l’architecture. Trouer, percer, ouvrir, tailler; la fenêtre est l’oeil qui donne à voir sur le monde. La fenêtre est la porte du ciel, elle permet d’y faire entrer la lumière au sein du logis, elle fait courir l’air, et crée la vision entre l’intérieur et l’extérieur. Ouvrir, sens concret et matériel de l’architecture; ouvrir c’est aussi une notion plus sensible et généreuse, celle de découvrir, de débuter, de donner naissance à une nouvelle vision de ce qui nous entoure. Eduardo Souto de Moura, parle de choix mental avant de devenir un choix physique dans le dessin de la fenêtre.
Eduardo Souto de Moura tente d’élucider le secret de la fenêtre depuis le début de sa carrière. Comme en quête d’une acuité qui lui permettrait de résoudre ce questionnement perpétuel sur la transformation de la fenêtre et ses proportions à travers l’histoire et le temps. Dans son travail à la Biennale de Venise 2012, Souto de Moura revient à l’essence même de l’architecture, quatre murs de différentes hauteurs, définissant trois espaces, trois fenêtres. Découvrir ou re-découvrir ce qu’est un lieu qui se suffit à luimême, qui n’a besoin d’aucun prétexte pour exister, qui est indépendant de tout, et qui n’est conditionné par aucune fonction. 26
Il faut s’affranchir des simples nominations de programme et s’ouvrir de nouvelles perspectives, transformer les fonctions en usage ça veut dire, appeler «espace de regards» un «observatoire». Parce qu’en effet, c’est ce qu’est ce lieu; non pas un espace d’observation où il s’agit d’analyser, d’examiner attentivement, il appelle davantage à notre regard passant, qui glisse sur les choses et qui au hasard de notre cheminement percute un angle pour comprendre ce que l’architecte veut nous transmettre. Ici, il est question de l’évolution de la fenêtre. La fenêtre qu’il nomme «ancienne», fenêtre verticale creusée dans un mur de 4 mètres de haut, et de 1 mètre d’épaisseur. Pour Souto de Moura il s’agit de la fenêtre aux bonnes proportions, car profonde, elle a du corps et permet de construire une intimité avec la lumière qui s’en trouve modelée. Le second espace présente la fenêtre «moderne» dessinée dans un mur de 30 centimètres d’épaisseur, c’est une fenêtre rectangle, ou «bandeau». Enfin vient la fenêtre contemporaine, ouverture faite dans un mur de béton de 15 à 20 centimètres de profondeur, les murs sont hauts de 2.5 mètres. La fenêtre se substitue au mur, c’est l’époque du béton et du verre. Passer de la fenêtre à la paroi vitrée. Revenir à la nature profonde de l’architecture, c’est rechercher dans les fondamentaux ce qui fait qu’une architecture est différente, distinguable par son rapport à l’humain, son attention au détail, et sa qualité à nous transporter dans une poétique spatiale.
Biennale de Venise 2012, Trois fenêtres, Souto de Moura
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CONSEQUENCES ATTENDUES
Le mot fenêtre vient du latin fenestra, et contient probablement le mot grec phainô qui signifie «paraître, laisser voir», le mot window quant à lui vient du vieux nordique vindauga «oeil du vent».
L’architecture s’édifie car elle est sujette à la commande. Elle naît d’une volonté propre à chacun de voir se réaliser sa maison, son lieu d’habitation. Elle est pour la ville, le lieu de rencontres et d’échanges des citoyens. L’architecture doit répondre à des attentes intrinsèques à l’habitant, à la personne qui va vivre l’espace quotidiennement. Eduardo Souto de Moura aime à s’attacher à la spécificité de chaque nouvelle commande, afin que toute réalisation soit unique, mais surtout réponde aux désirs des maîtres d’oeuvre. Sa manière d’aborder l’architecture est toujours humble, respectueuse de l’existant, il donne les clés pour que chaque projet soit intelligible, ses espaces nous semblent devenir évidence.
La façade de la maison est à la fois la porte, la fenêtre, le paysage. Vivre à l’intérieur comme si vous étiez à l’extérieur, il n’y a plus de mur, plus de cadre qui viendraient interrompre votre regard vers cette immensité. Dans une recherche de totalité, Souto de Moura nous livre ce territoire sans retenue, aucun artifice rythme la façade, pas de menuiserie, pas de volet. Comme un négatif, la maison se positionne entre deux mondes; la terre, la masse, le tréfonds du sol, et l’infini de l’horizon, l’eau, l’air et la lumière.
Dans l’un de ces premiers projets, la Casa Baiao 1990.1993, Souto de Moura doit travailler avec un patrimoine présent sur la parcelle; une petite maison en ruine. Ce projet s’installe dans la Vallée du Douro au Portugal, un territoire particulier marqué par une topographie sculptée de terrasses. Perdue dans ce vaste site, la ruine est à l’origine d’une intention architecturale. Elle devient support à une rencontre entre deux temps, deux manières de faire acte d’architecture. L’idée d’Eduardo Souto de Moura est de venir s’accoler à la ruine en pierre, elle devient un nouvel organe au sein de la maison, son corps, vide, laisse place à un petit jardin. La maison est un évidement de la falaise, elle vient se nicher dans son flanc, une seule façade prend place. Dans un souci de se fondre dans ce territoire si vaste, pas de mur apparent, la façade n’est que verre, elle disparaît, elle n’est plus. La falaise comme adossement, les vallées du Douro comme large embrasure. Modeste maison, où toutes les pièces de vie sont tournées vers l’extérieur.
Casa Baiao, Portugal, Souto de Moura
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Dans la Casa do Cinema «Manoel de Oliveira» 1998.2000, Edouardo Souto de Moura prend un tout autre parti, celui de venir cadrer, de faire un choix dans ce qu’il veut donner à voir et de ce qui a besoin de voir. Maison à deux têtes, elles regardent chacune dans une direction opposée. Maison qui semble prendre vie, métaphore au corps, elle appelle à l’imagination de chacun. Sont-ce deux têtes, rappelant Janus dans la mythologie romaine, ou encore le Cerbère de la mythologie grecque, sont-ce deux yeux exorbités d’une conséquente boîte crânienne? Fantaisie de la pensée. L’architecte cherche avant tout à donner à sa pièce de convivialité deux regards. Une fenêtre en trois dimensions, elle devient un espace à elle seule, un seuil, deux parois, un plafond, et la vitre qui nous feint être le dehors. Sorte d’écrin qui vient capter la lumière et uniquement la lumière, car ici l’air ne rentre pas. Ces fenêtres sont des perchoirs, elles offrent à celui qui s’y rend l’impressionnante sensation de vertige. Niche ou confessionnal où seul le verre est votre auditeur. Elles nous isolent dans une espèce de vide calme et placide. Comment embrasser le travail d’Eduardo Souto de Moura sans comprendre l’adéquation constante de son architecture aux usages singuliers des habitants dans chaque espace.
Casa do Cinema «Manoel de Oliveira», Portugal, Souto de Moura
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La Casa na Serra da Arràbida semble répondre avec parcimonie aux attentes de l’occupant. Taillée sur mesure, comme un vêtement qui épouserai parfaitement votre silhouette, le tombé est ajusté, accommodé et presque indémodable. S’articulant autour d’un patio, toute la maison semble se recroquevillée sur cet élément majeur et fondateur d’une manière de vivre. Il est surprenant de remarquer comment Souto de Moura aboutit à des subterfuges pour dessiner des fenêtres profondes qui pour lui deviennent alors légitimes et trouvent leur raison d’être. En effet, il use d’un léger retrait entre la façade et la vitre, ainsi la fenêtre est comme enfoncée dans la paroi. Une épaisseur, une masse sont alors retrouvées. Dans ce projet le plan est habile, une fragmentation des espaces comme de petites entités tournés vers le coeur de la maison mais renvoyant sans cesse vers le site où elle est ancrée. Répondre à un programme c’est questionner les habitudes. Qu’aime-t-on voir depuis son bureau lors d’un sérieux travail d’écriture? Allongé dans sa baignoire la nuque collée à la robinetterie glacée, les yeux ne montent-ils pas au ciel? Pourquoi le salon devrait-il tourner autour du poste de télévision quand on peut avoir le plus bel écran qu’il soit sur les montagnes portugaises? Fenêtre profonde qui loge en réalité une petite terrasse, fenêtre en toiture pour baignée de jour une salle de bain. Il n’existe pas de «modèle type» de fenêtres dans ce projet. Toutes différentes, les proportions s’adaptent à chaque pièce. «Fenêtres magiques», qui sont dessinées de l’intérieur pour l’extérieur. «Maison anonyme», elle nous rappelle les maisons d’Adolf Loos, par son caractère impassible, et intègre. Pourtant cette maison est une transcription directe des usages. Comme un scénario qui aurait pris forme, et qui se déroule devant nos yeux. 30
Casa na Serra da Arrabida (plan R+1), Portugal, Souto de Moura
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F R A G M E N T A T I O N, D E M A T E R I A L I S A T I O N E N C O U R S
Il est un moment où le programme en demande davantage. Davantage de surface utile, davantage d’étages, de murs, d’espaces. Il est un moment où l’architecte se trouve face à des projets de plus ample envergure. Des logements collectifs, des bureaux, des équipements publics. Vient alors la question de la production, de la multiplication, du rendement. Est-il possible d’attribuer autant de qualité de vie à un bâtiment dont les pièces se comptent par centaines et où les choix d’orientations se trouvent tout d’un coup limités à quatre façades semblables ? Passer à une toute autre échelle de projet, cela veut aussi dire, revenir à la géométrie élémentaire, penser le plan pour qu’il puisse être applicable sur différents niveaux, dessiner des circulations horizontales et verticales, faire pénétrer la lumière dans un immense bloc, intimiser certains espaces et en rendre publics d’autres. Complexe jeu d’assemblage qui requiert une certaine habilité dans le dessin et la mise en volume du projet. Le caractère unique, d’une maison d’habitat individuel comme la Casa Baiao par exemple, se trouve dans des projets de grande échelle totalement modifié. Ici, c’est l’addition d’un même objet qui accorde à l’œuvre son caractère singulier. Les composants de construction (produits en masse) du premier étage sont similaires à ceux du dix-huitième. Répétés, utilisés, multipliés. Serrures, menuiseries, radiateurs, revêtements de sols, de murs, tuyaux, conduits, robinetterie, portes, sans oublier fenêtres. Il n’est plus de place pour le sur-mesure. Comme pour un vêtement, la grande échelle n’est plus haute-couture mais prêt-à-porter confectionné en série. « Prêt-à-habiter » ces projets se déterminent par des réponses fonctionnelles n’ont plus relatives à un seul individu mais à plusieurs.
Nous avons vu précédemment l’attention que prêtait Souto de Moura aux éléments contraires, qui devenaient alors complémentaires, au travail du négatif/positif : le travail de la masse du sol contre la légèreté de la façade pour la Casa Baiao, la dualité entre les deux fenêtres de la Casa Manoel de Oliveira, le jeu de pleins/ vides qui voit le jour dans la Casa da Arrabida entre les parois et les fenêtres creuses.
Torre Burgo, Espagne, Souto de Moura
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Il applique ce même procédé dans son projet de la Torre Burgo à Porto. En effet, la tour à quatre façades est en réalité une tour à deux façades doublées. Une façade nord analogue à son opposée la façade sud, toutes deux sont les contraires des façades ouest et est. Pour être plus clair ; les fenêtres des façades nord et sud deviennent les parois pleines des façades ouest et est, et les menuiseries (les pleins) du nord et sud deviennent, elles, les fenêtres des façades ouest et est. C’est le système de construction qui guide ici l’aspect extérieur de la tour. Il s’agit de larges poutres métalliques qui viennent s’empiler les unes sur les autres. Laborieux travail d’ingénieur qui donne sa statique à l’édifice, il nous rappelle les jeux de construction de planchettes de pin. Les poutres utilisées alternativement sur leur côté le plus large ou le plus fin permettent cet effet de négatif en façade. Indéniablement moderne dans son traitement de
l’extérieur, la Torre Burgo présente une subtile réinterprétation de la ligne. Lignes pleines, lignes vides. Les façades ouest et est sont comme des façades à claire-voie, ne laissant entrer que des raies de lumières elles figurent les persiennes qui nous cachent de l’extérieur. Pareils à des jalousies qui permettraient de voir sans être vu, ce travail de lamelles qui découpent la façade est orienté vers les espaces servants de la tour (espaces de circulation). Les façades nord et sud quant à elles offrent davantage de lumière aux espaces dits servis (les bureaux). Les bandeaux systématiques qui rythment celles-ci créent une grille métallique remplie de verre. Les façades ouest et est sont comme une paroi pleine que l’on aurait taillée par brèches, à l’inverse les façades nord et sud sont comme une paroi vide (le verre s’assimilant au vide ici) qui, pour tenir debout se servirait des poutres métalliques comme tuteur.
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« Répéter la même fenêtre isolée, c’était son drame. » écrit Dominique Machabert à propos de Eduardo Souto de Moura. Dans le projet de Barcelone, La Pallaresa, il s’agissait de trois tours abritant un cinéma multiplex, un hôtel et deux cents logements sociaux. Le climat méditerranéen ne permettait pas comme dans la Torre Burgo d’avoir de larges façades en verre, ce qui explique cette maille très dense constituée d’une multitude de « trous ».
De plus, la trame offre à Souto de Moura la possibilité d’ouvrir ou non, aboutissant en façade à de fausses fenêtres. L’emplacement normalement destiné à recevoir menuiseries et vitres est signifié sans être trouer. Non pas dans un souci «d’impôt sur les portes et fenêtres» comme il était coutume au XVIIIè siècle en France, Eduardo Souto de Moura compose la façade afin d’être en complète adéquation avec le plan. Alors fausses fenêtres, oui, mais non pas pour des questions budgétaires, davantage par souci de continuité, de permanence d’un vocabulaire qui serait maintenu uniformément sur toute la surface de la tour. Astucieux artifice qui n’est qu’illusion du vrai. Il nous rappelle les fausses fenêtres qu’usaient les architectes dans leur composition classique. Proportion, sobriété, continuité, ordre et rationalité des formes, il ne manquait que la symétrie, en effet, elles sont trois, trois tours, n’ont pas deux, ni quatre…
Ce projet trouve sa place dans la limite entre deux zones sensiblement dissemblables de la ville de Barcelone, la vieille ville; tissu dense et compact et le quartier Siguerlin où la trame urbaine est davantage discontinue et éparse. La Pallaresa cherche à retrouver des aménités possibles entre ces différentes typologies existantes. Voulu aussi comme un projet symbole qui puisse devenir un point de repère, une porte dans la ville, Souto de Moura densifie en hauteur afin de bénéficier au sol d’un large espace public qui soit la continuité du Parc Europa. Trois tours s’articulent autour de ce vide urbain, le dialogue établi entre celles-ci se définit par leur apparence formelle mais aussi par une conception de la façade similaire. L’image homogène qui est produite par la série de ces trois tours renvoie au caractère très distinguable et singulier du projet dans la ville. La trame des façades est conçue comme un tressage oblique, qu’il est possible ou non de percer pour créer des ouvertures. Ainsi, les fenêtres toutes similaires s’en retrouvent disséminées sur ces monolithes. Ce travail perceptible de pleins/vides nous laisse penser à une répartition au hasard des «trous» alors qu’il s’agit en réalité d’une adaptation mécanique de la forme aux besoins du programme. Néanmoins, c’est cette apparente dispersion qui trompe le passant sur la répétition d’un seul et même élément. 34
La Pallaresa, Espagne, Souto de Moura
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Architecte de la continuité qu’inlassablement il se dit être. Souto de Moura témoigne un certain intérêt pour l’histoire, l’histoire de l’architecture notamment, qui accomplit sa transformation à travers les siècles d’une manière lente et subtile. L’héritage classique qu’Eduardo Souto de Moura possède et met en pratique dans son travail n’est pas sans rappeler celui de Mies Van Der Rohe, ou encore Le Corbusier. L’importance de sites comme Epidaure ou le Parthénon se ressent dans leurs travails. Une réappropriation des procédés antiques mêlée aux moyens modernes. Quand Souto de Moura imagine le Stade de Braga il prête une profonde attention à la géographie avant de faire acte d’architecture. Il y a «quelque chose de grec» dit-il dans ce projet. Il pensait à Epidaure. Ce sont d’abord «un bosquet immédiat qui clôt la scène, puis le paysage qui va en s’éloignant. Au fond, les montagnes.». Pour Braga, il comprit qu’il fallait contenir le projet. Les montagnes en toile de fond, une colline et un bosquet qui nicheraient le stade. Il s’agit dans ce stade de football de deux tribunes qui se font face, laissant ainsi les deux côtés latéraux ouverts, un sur la roche, l’autre sur l’environnement alentour. Le terrain est couvert par une structure légère en câbles métalliques. Les tribunes nords sont desservies par de larges passerelles qui courent tout le long de ce que l’on peut appeler la façade principale de l’édifice. Dans ce projet, il n’y a pas de fenêtre à proprement parlée. D’une part car les fenêtres sont les éléments qui distinguent l’intérieur de l’extérieur, et ici, les deux sont intimement liés, on est à la fois à l’intérieur du stade, tout en étant à l’extérieur.
L’air circule, la façade ne conditionne plus la séparation entre ces deux espaces, elle est, au contraire, élément de porosité. D’autre part, car ce qui fait office de fenêtres, et qui nous ramène directement aux propres mots de Souto de Moura c’est le «trou», le «non-mur», non plus l’élément de petite échelle. Les portes sont passages, brèches, les fenêtres sont balcons, coursives. Ce qui est probant ici, c’est le travail de la matière. Le béton armé utilisé comme médium, devient le squelette de cet équipement. Comme si les deux tribunes étaient cage thoracique, qui renfermeraient dans leurs entrailles le coeur du projet, le terrain. Eduardo Souto de Moura utilise un vocabulaire qui paraît presque trop simple pour un édifice de ce type. Ce n’est pas un stade qui se vante d’une situation géographique centrale, ce n’est pas non plus un stade qui se referme sur lui-même et tourne le dos à tout ce qui l’entoure. Un langage formel clair, c’est une trame d’immenses murs de béton qui sont percés et traversés par une trame horizontale de plateaux. Ce sont aussi des circulations qui viennent glisser sur la façade dessinant un dédale d’escaliers aux allures de voilure. Comme un gigantesque navire, le Stade de Braga trouve dans sa grande échelle, des détails d’ordre domestique qui nous suggère le travail de sculpture de l’architecte. À la manière de Carlo Scarpa, Souto de Moura détourne et revisite des éléments d’architecture qui font qu’un projet en devient métamorphosé, unique en-soi. Les escaliers flottants avec une impressionnante légèreté, Carlo Scarpa, lui, joue avec la masse, il découpe, décale, repositionne les marches. Les passages comme des yeux grands ouverts. Les balcons comme des promontoires en saillie du bâtiment.
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Estadio de Braga, Portugal, Souto de Moura
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CONSEQUENCES INNATENDUES
«Au fond, le patrimoine est marqué du signe des gens qui désignent comme leur appartenant ce qui ne leur appartient pas, au titre d’une valeur suprême et secrète qui parle d’eux et ne parle qu’à eux.» Dominique Machabert Pour Souto de Moura, le patrimoine introduit nécessairement la notion de collectif, car le patrimoine c’est ce qui fait que les gens se reconnaissent dans l’architecture. Il n’est pas question de définir le terme patrimoine, ni même d’en poser les caractéristiques. Cette tâche bien trop conséquente à mon sens, n’est pas le sujet ici. Mais, comment ne pas aborder le travail de réhabilitation lorsque l’on traite de la carrière d’Eduardo Souto de Moura? L’architecture, est pour lui, un processus continu et métissé. Il a toujours voué une grande admiration au travail de la pierre, à l’histoire. «L’usage est la première condition pour le maintien d’un édifice», Souto de Moura ne cache pas que pour qu’un bâtiment perdure à travers le temps il faut qu’il sache s’adapter à de nouvelles fonctions, et cela n’a rien d’illégitime pour lui. Il faut alors, lui infliger des traitements qui n’auraient jamais été imaginés, à l’époque de leur édification.
Les toits sont plats, comme chez les modernes, le puit est déplacé, les fenêtres recoupées, réorientées. Voici le thème favori de Souto de Moura, les fenêtres anciennes. Il trouve en elles ce qui a disparu avec l’évolution des matériaux, la profondeur, la générosité des proportions. Architecte de la continuité, oui, mais avec une certaine nostalgie pour ces éléments qui lui sont chers. Les creusements historiques sont alors préservés, et l’on en ressent bien leur présence. Le savant empilement des pierres et les chambranles en légère saillie nous apparaissent comme authen tiques au rapport du double vitrage sans meneau, ni menuiserie. Certaines fenêtres sont flanquées de petits balcons dont le garde-corps en acier corten vient rythmer la façade de touches orangées.
Le Convento Santa Maria do Bouro (1989.1997 à Amares) était une ancienne abbaye cistèrcienne du XIIè siècle, il devait à présent accueillir ce que l’on nomme «pousada» au Portugal, l’équivalent d’un hôtel cinq étoiles. Même si l’on ne veut rien changer en arrivant devant un édifice déjà bâti, on se rend vite compte que les réglementations actuelles obligent à de nombreuses modifications. Il faut tout revoir, réinterpréter. Pourtant, une fois fini, qui saurait dire que le couvent n’est pas le même qu’antérieurement? Seule l’église de l’ancien couvent recevait encore une communauté de fidèles, tout le reste de l’édifice n’était que ruines. Souto de Moura se ressert alors des pierres disponibles pour un nouveau bâtiment, mais pour l’intégralité de la réhabilitation il faut rebâtir en suivant les conseils des archéologues. La structure du cloître est en béton, la terrasse créée, les toits en pente pourvus habituellement de tuiles ne sont plus.
Convento Santa Maria do Bouro, Portugal, Souto de Moura
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Il s’agit d’un simple panneau qui semble inexorablement glisser vers le sol. Subtile association entre l’acier et la pierre qui semblent se donner le ton, les nuances de la pierre s’accordant parfaitement au orange rouille, et la finesse du garde-corps qui ne saurait se faire plus remarqué en présence d’un matériau comme la pierre, pleine de consistance et de caractère. La plaque d’acier transparaît être la réplique exacte de la forme du percement, alors, ce minutieux détail confère à l’ensemble une sorte d’harmonie totale. Un équilibre dans les proportions qui est contre-balancé par un décalage entre les deux éléments, un effet de faux-jumeaux entre, l’opacité de l’acier et la transparence du verre. Un détail qui peut paraître anodin aux vues de l’intégralité du projet, mais qui, en fait, en donne tous ses attributs.
La reconversion du Couvent de las Bernardas (2006.2009 à Tavira) en logements offre de nouveau la possibilité à Souto de Moura de travailler la fenêtre historique. Ici, le bâtiment datant du XVIè siècle fût totalement bâti en terre par l’Ordre cistercien. Ce qui explique son existence encore aujourd’hui. Souto de Moura ne voulait pas que sa réhabilitation fasse de cette édifice «un objet de design», mais qu’il devienne une partie de la ville. Le couvent se referme sur lui-même, offrant aux logements une double orientation. La large cours au centre du projet bénéficie d’une piscine d’eau salée qui donne une apparence d’oasis à ce lieu qui semble être désert de roches. L’eau, la lumière, la terre se rencontrent pour former une placide intériorité dans le bâtiment. Le changement de fonction qui devait s’opérer s’avéra beaucoup plus compliqué que celui du Couvent Santa Maria do Bouro. Ce qui posa réellement problème dans cet édifice sont les fenêtres. Insuffisantes pour répondre à un programme comme celui-ci, il fallait donc retravailler en totalité les parois extérieurs. Mais les ingénieurs étaient formels: creuser et tout s’écroule. Souto de Moura pensa donc a une armature métallique. L’idée lui vint de la Tour Agbar de Jean Nouvel dont les fenêtres font structure. Celle-ci constituerait un grille qui garantirait la statique de l’édifice. « Il devenait possible de consolider le bâtiment à l’endroit de sa faiblesse, son talon d’Achille.» Les fenêtres alors existantes pourraient être multipliées à foison, agrandies, retravaillées. En effet, mesurant quarante centimètres sur quarante centimètres, elles ne risquaient pas de satisfaire les futurs habitants. Les conditions passées ne réclamaient pas de larges ouvertures, mais, à présent, il fallait envisager de donner de la lumière aux quatrevingt maisons. Plus de deux cents fenêtres étaient nécessaires.
La fenêtre donne à voir vers l’extérieur mais elle est d’autant plus belle lorsque celle-ci donne à voir sur elle-même. La fenêtre est comme le cadre d’un tableau, ils sont là pour nous rendre tout le faste de la chose qu’ils bordent. C’est ce qu’il y a à l’intérieur qui attire notre attention. Pourtant, ici le cadre semble aussi intéressant que ce sur quoi il s’ouvre. À l’inverse d’un véritable cadre, la fenêtre se voit sous tous ses angles, il est rare de retourner une toile pour y voir le dos du cadre qui l’entoure soigneusement. La fenêtre et son balcon dont l’ombre tape sur le mur en pierre, la fenêtre où la lumière s’engouffre, fascinée par un objet si sobre, l’architecture tient en un si petit espace; un balcon.
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«La beauté quand elle est toujours présente commence à fatiguer». En faisant référence à la Villa le Lac de Le Corbusier, Souto de Moura explique que les maisons tournées vers les salines seront moins ouvertes. Selon lui, il faut offrir le paysage à l’usager, mais tout en retenu, si on lui donne tout, il en perd sa profonde valeur. Il devient lassant et anecdotique. L’important est de savoir qu’il est là, mais non de le voir tous les jours. Au début de sa carrière, Souto de Moura faisait des copies de fenêtres anciennes dans ces projets, mais cela ne fonctionnait pas, il comprend que c’est dû à la profondeur du mur. Jamais il ne pourrait retrouver les proportions qu’il idéalise tant. Sa paroi contemporaine trop fine, trop mince bouleverse ses desseins d’architecte.
Il se compare à Alvaro Sizà, ou encore à Raphaël Moneo qui dessinent des fenêtres qu’il trouve «fantastiques». Eduardo Souto de Moura témoigne d’un certain intérêt pour l’architecte Adolph Loos. Celuici disait qu’il prenait la proportion du dedans; la chambre par exemple, pour la renvoyer à l’extérieur, et ensuite faisait une composition de façade. Souto de Moura applique d’une certaine manière cette pensée dans le Couvent, en effet, lorsqu’il compose son plan, si il a besoin d’une fenêtre pour la cuisine, il décide de fermer la fenêtre existante trop haute, pour en ouvrir une qui sera adaptée à l’usage et à la taille de la pièce.
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Le projet n’est jamais dissocié de la mémoire du lieu. Ce sont deux choses qui fonctionnent ensemble, et qui se nourrissent l’une de l’autre. L’architecture est objet de culture, elle vient sublimer l’existant. Elle permet de faire sens avec le «déjà là». Elle marque un ancrage, un enracinement sur le territoire. Comme un travail d’auteur, Souto de Moura se nourrit de ce patrimoine. Dans la performance I love America and America loves me, Joseph Beuys doit apprendre à cohabiter avec un coyote sauvage, dans la même pièce et durant plusieurs jours. Au début, le coyote est agressif, mais les deux êtres s’apprivoisent mutuellement au fil du temps. L’animal comprend ce qu’il se passe, c’est alors que né un dialogue, des échanges entre eux deux. Souto de Moura nous dit qu’avec le patrimoine c’est la même lutte. «Le patrimoine, c’est le coyote». Au commencement du projet, c’est l’architecte qui en impose à l’édifice, mais après, c’est l’édifice qui demande des choses.
Cette étude ne sera jamais complète. Elle ne cherche pas à donner une réponse unique et concrète. Elle annonce davantage les prémices d’un intérêt certain porté sur un thème dont les solutions architecturales sont loin d’être exhaustives. Multiples, engagées et métissées, les fenêtres de Souto de Moura ne se donnent pas les prétentions d’une architecture trop démonstrative, trop spectaculaire. Il ne s’agit pas non plus de classer, catégoriser ces fenêtres d’une manière sûrement trop arbitraire et personnelle. Il convient mieux de penser que certaines fenêtres tissent des liens avec d’autres, car il en va d’une démarche de projet où l’architecte s’est attaché à des spécificités parfois semblables. Jamais résolue, cette question ne cessera de poursuivre Souto de Moura. Comme un animal qui le guète, les fenêtres seront toujours là, car nous avons besoin de lumière, car nous avons besoin d’une ombre aussi qui nous fasse sentir à l’intérieur. Les fenêtres nous donnent une échelle dans le territoire. Elles nous renvoient au caractère domestique, à l’usager. Les fenêtres plus qu’objet architectural, elles se déterminent par la valeur ajoutée qu’elles apportent à tout espace. Les fenêtres de Souto de Moura ne sont qu’une infime partie de son travail, mais elles témoignent d’un geste propre à l’architecte; celui de ne pas négliger le caractère fondamentalement humain de l’architecture. Comme une figure discrète, le percement est l’élément qui confère toute sa distinction à l’édifice. Il est le début de l’ombre, il est le début d’un nouvel univers qui s’offre à nous.
Convento de las Bernardas, Portugal, Souto de Moura
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Chapitre D : La mémoire du futur Révéler pour voir
De pierre, de béton, de terre,
de chair.
En lumière, en vie.
D’ombre, de noir, de blanc,
d’éclat.
Je dis
chaleur,
tu dis
permancence.
Tu dis
immuable,
je dis
mouvement.
Je dis
noir,
tu dis
contraste.
Nous sommes là, loin, prés, à côté, indivisibles,uniques,
unis.
Nous sommes je, tu, il. Nous sommes tous. Nous sommes rien. Ton corps rencontre mon corps. Nos corps s’écoutent, se rapprochent, se compriment, se refoulent, s’étreignent, s’abandonnent l’un à l’autre.
Je suis fait de plein, tu es fait de vide.
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BIBLIOGRAPHIE
Laurent Beaudouin .Pour une architecture lente, 2007. Dominique Machabert .Au Thoronet, le diable m’a dit, 2012. Eduardo Souto de Moura .Conférence «Faut-il refaire comme avant? Agora, 2012. Eduardo Souto de Moura .Estadio de Braga/Fenêtres, Entretiens de Chaillot, 2006 Eduardo Souto de Mouro .Parole à l’architecte Eduardo Souto de Moura, Pompidou, 2012
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Colophon
Ce mémoire a été conçu à l’école nationale d’architecture et de paysage de Bordeaux en 2013 dans le cadre de l’UE 6-3 Mémo !
Il a été coordonné par Gilles Ragot et Arnaud Théval. Avec l’équipe d’enseignants : Laurence Chevallier, Fabienne Darricau, Jean-Marc Emy, Vincent Lefort, Catherine Meyer-baud, Gilles Ragot, jeanMarc Rubio, Sylvain Schoonbaert, Frédéric Tessier et Arnaud Théval.
Impression Aquaprint, Bordeaux.
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collection MEMO! le mĂŠmoire de licence ensapbx