Synthèse de recherche sur l'autoconstruction - Rapport de stage mention recherche Laure - LabEX IMU

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Rapport de Recherche : Synthèse de connaissances sur différents aspects complémentaires liés aux pratiques d’autoconstruction

ÉTUD. MEJIA RIOS Adrien UNIT Stage MENTION RECHERCHE

MEM

Encadrants

FIORI Sandra

MARCH ARCH

S10 DEM ALT 17-18 Promo

© ENSAL

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SOMMAIRE

pages

Introduction

05

I - Récurrences & spécificités de l’autoconstruction dans les quartiers d’origine spontanée

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• Définition dynamique d’un phénomène mondial divers

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• Du baraquement à la consolidation: description d’une autoconstruction «évolutive»

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• On construit rarement sa maison seul: entre travail rémunéré, entraide & auto-promotion

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• Des cultures constructives hétérogènes

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• Marchés, filières et réemplois des matériaux

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II - Accompagner l’autoconstruction: débats théoriques et références pratiques

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• Quand l’incitation à l’autoconstruction fait débat

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• Historique des programmes nationaux d’autoconstruction

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• Un pritzker pour l’autoconstruction: le projet ‘‘Quinta Monroy’’ de l’agence Elemental au Chili

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• Le collectif USINA au Brésil et le «mutirão autogerido» : entre autogestion et expérimentation

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Conclusion

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Bibliographie

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*

* image issue du manuel d’autoconstruction de Santa Cruz (Bolivie)

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Introduction Cadre du stage Ce rapport est issu d’un stage de master en architecture que j’ai réalisé au sein de l’équipe de recherche EVS-Laure de l’Ecole nationale supérieure d’architecture de Lyon, en réponse à une commande de la chaire « Habiter ensemble la ville de demain » (HEVD) portée par le Labex Intelligence des Mondes Urbains (IMU). Cette chaire compte 4 laboratoires partenaires dont l’UMR 5600 Environnement Ville Société (EVS) et le soutien d’industriels et d’acteurs impliqués dans les politiques urbaines de la métropole lyonnaise (bailleurs, collectivités locales). Se focalisant sur les politiques publiques et les solutions urbanistiques du renouvellement urbain, ses chercheurs se sont donné pour programme de travail : • d’interroger les politiques de logement et d’habitat mises en œuvre dans différents contextes nationaux, • de questionner les modalités de production et de structuration du marché immobilier ainsi que les modalités socio-techniques de construction et leurs évolutions, • d’identifier tant les nouvelles formes urbaines et d’habitat produites que les pratiques d’habiter, les préférences sociales qu’elles dénotent et leur renouvellement. Sur le thème de l’autoconstruction, le stage avait pour cadre prospectif la recherche de solutions abordables de logement, dirigée notamment vers les quartiers de logement auto-construits des pays en développement et/ou vers des situations d’habitat d’urgence (camps de réfugiés, campements provisoires, etc.). Son objectif était alors, à partir d’une revue de littérature existante, d’apporter une synthèse de connaissances sur l’autoconstruction et ses pratiques. Le cursus d’architecture croisant différents domaines de connaissances, plusieurs axes de recherche complémentaires, liés aux formes bâties, aux techniques et aux filières de construction, à l’urbanisme et à la sociologie des usages, ont pour cela été initialement proposés :

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• à quelles typologies bâties et architecturales donnent lieu ces pratiques ? à quels modes constructifs récurrents ou originaux font-elles appel ? • quelles transformations et évolutions dans le temps les études de cas permettent-elles d’observer, à l’échelle du bâti comme à celle d’une possible intégration à la ville « formelle » ? • comment s’organisent les auto-constructeurs (réseaux d’entraide…) ? dans quelle mesure existe-t-il des formes de collaboration avec les institutions (urbaines, sociales…) ? • de quelle manière s’organisent aussi des marchés de l’auto-construction, des entreprises et des filières de matériaux ? des pratiques de réemploi et d’usages liés au cycle de vie des matériaux ? • quels projets mobilisant les processus d’auto-construction font-ils référence ? Existe-t-il des « guides de bonnes pratiques », des manuels ?

Méthodologie et corpus Pour la recherche bibliographique, trois « portes d’entrées » centrées sur les pays en développement ont été choisies : l’Amérique Latine, l’Afrique sub-saharienne et l’Inde. Dans mon mémoire de master et mon projet de fin d’études, j’ai traité des autoconstructions participatives au sein de communautés rurales dans mon pays d’origine, la Colombie. En 2015-2016, j’avais aussi passé une année universitaire au Brésil, à la faculté d’architecture de l’Université de Sao Paulo, où une tradition de recherche engagée s’est développée depuis les années 1970 sur la question du logement populaire et de la ville informelle ; les travaux universitaires disponibles en portugais y sont nombreux ; il s’agit d’études de cas ou d’ouvrages plus théoriques qui donnent un bon aperçu des problématiques et des réalités de l’auto-construction à partir d’un pays où elle représente une forme d’urbanisation et de logement très importante. Le choix de l’Inde et de l’Afrique sub-saharienne est aussi lié à l’ampleur de leur urbanisation informelle, et à l’hypothèse que des recherches et des écrits y ont été menés sur le sujet. Ce choix tient en particulier à la lecture d’une thèse récente en architecture réalisée sur un quartier auto-construit de Bamako au Mali ; l’accès à la bibliographie de ce travail et la rencontre de son auteur, Vincent Laureau, ont été importants (Laureau, 2014). 6


Sur cette base, plusieurs bases de données en ligne ont été interrogées, de la plus large (google scolar) à la plus ciblée (Dedalus, le catalogue en ligne de la bibliothèque de l’Université de Sao Paulo). La sélection d’écrits scientifiques et universitaires a été complétée par la recherche d’autres sources : écrits d’architectes, manuels d’auto-construction… Dans tous les cas, les principaux mots-clés de cette recherche ont été : autoconstruction, self-help housing, autogestion, mutirão, quartiers informels, bidonvilles, slums.

Structuration du rapport Un premier tour d’horizon des références bibliographiques répertoriées montre que le terme «autoconstruction» est employé pour décrire un ensemble de situations et de pratiques assez différentes. Certains auteurs l’utilisent à propos de la précarité des bidonvilles, d’autres pour décrire des plans de logement gouvernementaux bien réglés, d’autres encore pour évoquer des mouvements populaires auto-organisés autour d’une forte conscience politique. Du point de vue des modes d’urbanisation, de nombreux cas de figure ont été repérés au fil des lectures : • appropriation illégale de terrains, sous les termes d‘«occupation», « squat », «invasion », « accaparement »… ; • implantation sur des parcelles sans titre de propriété mais ayant pu faire l’objet d’un lotissement (illégal ou à la limite du droit, comme dans le cas de terrains acquis selon les seules règles du droit coutumier en Afrique sub-saharienne) ; • implantation légale et reconnue sur des terrains planifiés et aménagés par les institutions publiques pour accueillir des logements auto-construits (ce que certains auteurs appellent des « parcelles assainies ») • négociation, auprès des institutions, d’une communauté d’habitants auto-constructeurs, pour obtenir un terrain à construire ; • régularisation foncière, viabilisation et/ou équipement a posteriori de lotissements ou de quartiers auto-construits existants (au Brésil, par exemple, ces processus relèvent de programme appelés « ré-urbanisation de favelas »). Les cas d’étude répertoriés montrent aussi que l’autoconstruction s’organise sur des modes variables : auto-construction individuelle, entraide familiale ou des voisins (pratique traditionnelle du « mutirão » au Brésil), recours à des artisans spécialisés, appui d’ONG, d’organismes publics ou d’architectes. 7


Si, dans la réalité, chaque situation donne souvent lieu à des ré-agencements particuliers, on peut ainsi globalement distinguer : - autoconstruction spontanée et autoconstruction programmée - autoconstruction autonome et autoconstruction assistée. Ces quatre grandes catégories nous ont servi de base pour la structuration de ce rapport de stage : • La première partie tentera de synthétiser les principales caractéristiques de l’autoconstruction spontanée et autonome ; liée à un phénomène d’urbanisation spontanée d’ampleur mondiale, cette forme d’autoconstruction constitue la réalité la plus courante dans les pays en développement ; • La deuxième partie sera focalisée sur des exemples emblématiques d’autoconstruction programmée et /ou assistée qui permettront d’aborder la valeur expérimentale de ces formes d’autoconstruction, et ainsi de discuter des apports et des limites d’une auto construction accompagnée.

spontanée assistée

spontanée autonome

AUTOCONSTRUCTION

programmée autonome

programmée assistée

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I - Récurences & spécificités de l’autoconstruction dans les quartiers d’origine spontanée

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Définition dynamique d’un phénomène mondial divers L’autoconstruction spontanée autonome est celle qui produit la majorité du logements des couches les plus défavorisées de la société dans les pays émergents, au sein de quartiers que nous nommerons «quartiers d’origine spontanée». Nous empruntons cette expression à un article écrit en 2009 par la géographe C.Christy PETROPOULOU pour nommer les réalités d’une urbanisation très courante dans les pays en développement. Certains traits communs décriraient ainsi l’ensemble de ces quartiers spontanés : «un paysage marqué par l’auto-construction évolutive sur des terrains de petites dimensions, aux routes non goudronnées, et dépourvus des infrastructures nécessaires. Souvent, ces quartiers naissent hors des plans urbains et restent longtemps dans des conditions précaires ; d’autres changent au fur et à mesure pour devenir des zones consolidées très denses de la ville et marquées par leur passé.» (PETROPOULOU, 2009) On retrouve aussi certains de ces traits dans une définition de la ville spontanée donnée par l’historienne Charlotte Vorms : «La notion de ville spontanée est communément utilisée pour décrire celle qui s’est construite sans plan, celle qui serait réductible à une somme d’actions individuelles. De l’invasion de terres où l’on construit en une nuit des baraques à la division et la vente légale de lots non frappés d’interdit de construire, mais non viabilisés, sans qu’aucun tracé de rues n’ait préalablement été approuvé ni dessiné, il existe, toutefois, un large éventail de variations de cette urbanisation dite spontanée […] : la légalité, le niveau d’équipement, la nature des constructions, le degré d’unité de conception à des échelles diverses, sont les plus marquants.» En ce sens, nous préférons le terme de quartier spontané à d’autres expressions souvent employées de manière synonyme : • «bidonville», qui ne correspond qu’à certains type des quartiers d’origine spontanée, et souvent même qu’à une étape de leur édification ; • «quartier autoconstruit», qui laisse penser que l’auto-construction de son logement par le futur habitant est la règle, alors que, nous le verrons, le recours au travail rémunéré est courant ; • «quartier informel», qui associerait systématiquement l’autoconstruction à l’illégalité et/ou à l’absence de droits de propriété (alors qu’après un certains temps, certains quartiers d’origine spontanée sont reconnus et des titres de propriétés formels accordés aux habitants par les municipalités), et entretient la confusion avec les supposés revenus informels de ses habitants. 11


Or dans la réalité, pratiques formelles et informelles s’entremêlent : au sein d’un même foyer, certains habitants peuvent posséder un travail informel (vente de rue …) et d’autres un travail reconnu légalement ; de même, peuvent y cohabiter des populations très pauvres et des couches aux revenus moins modestes. • «quartier installé aux marges du foncier», qui laisse entendre que ces quartiers s’installent dans les «trous» du marché foncier (terrains vagues abandonnés et occupés sans achat par les futurs habitants…), ce qui est loin d’être toujours le cas comme l’expliquent Patrick CANEL et Christian Girard à propos de villes africaines :

«En premier lieu, le sol, même inondable des bas-fonds de Douala ou érodable des collines de Kinshasa, n’est jamais gratuit ; il est contrôlé, revendiqué par les prétendus détenteurs de droits réels; de fait, il n’est pas à la portée du premier arrivant en ville d’accéder à un terrain à bâtir, même s’il s’agit d’un terrain non équipé vendu sur le marché non officiel. Il existe bien un marché des terrains non équipés, « sous-intégrés» (CANEL, GIRARD, 1986) Tout en adoptant le terme de «quartier spontané», C. PETROPOULOU (PETROPOULOU, 2009) en note aussi les limites : alors que la spontanéité connote l’action «sans calcul, sans arrière-pensée, sous l’impulsion […] », dans la plupart des cas, une fois le risque d’éviction écarté et les terrains stabilisés, les habitants peuvent développer une vision à plus long terme. Une telle évolution implique alors une autoconstruction évolutive (abordée plus loin dans ce rapport) qui nécessite un niveau d’organisation parfois communautaire. Afin de prendre en compte la dimension dynamique du phénomène sans en oublier l’origine, le terme de «quartier d’origine spontanée» nous semble finalement le plus adéquat.

Du baraquement à la consolidation: description d’une autoconstruction «évolutive» Les quartiers d’origine spontanée connaissent une autoconstruction évolutive (Petropoulou, 2009) qui les fait passer par différents stades de matérialité rythmés par l’apport individuel de chaque habitant à l’amélioration de son logement. Les différents textes étudiés font part de cette gradation dans l’évolution des habitats des quartiers d’origine spontanée, passant de l’usage de matériaux de récupération précaires à une consolidation des constructions et du quartier. Une des premières choses à noter, est que le passage en «dur» est conditionné par la possibilité de rester ou non sur le terrain où la première baraque a été construite. Être soumis à un risque imminent d’expulsion conduit 12


logiquement à moins investir dans la construction en «dur» alors qu’une sécurité de garder le terrain fera peu à peu évoluer un bidonville en un quartier urbain à part entière avec ses infrastructures associées (apportées après des années de revendications auprès des autorités locales). Ainsi, en règle générale, lors de l’arrivée sur un terrain vierge par un groupe d’habitants en carence de logement, la première étape est, l’édification de baraques en grande partie autoconstruites, avec un mélange entre matériaux de récupération (bâches plastiques, tôles, tissus...) et matériaux naturels (bois, feuillages séchés, bambou...) servant d’abri face aux intempéries. Cette étape est celle qui renvoie à l’image-type de l’autoconstruction en bidonville, comme habitation faite avec les moyens du bord, dans l’urgence, et sans savoir-faire particuliers.

Baraque du quartier Coque - Recife (Brésil) Photo : Lucienne, 2014

Baraque à Attur Nagar - Chenai (Inde) Photo : Karine Houchard, 2014

«Le quartier était initialement entièrement occupé par des huttes construites avec les matériaux disponibles (bois, carton), qui ont été progressivement remplacées par des maisons en briques, à l’initiative des habitants eux-mêmes [...] Avant toutes les maisons étaient en taipa (terre), aujourd’hui elles sont faites en brique.» (HOCHARD, 2014)

Dans cet extrait l’évolutivité de l’autoconstruction est exprimée, en ajoutant une information importante qui semble caractéristique des quartiers que nous étudions: l’insertion de techniques vernaculaires dans le processus de consolidation du quartier. Dans son mémoire comparant deux quartiers dans les villes de Recife (Brésil) et Chenai (Inde), l’auteure met clairement en parallèle les deux héritages vernaculaires des deux cultures étudiées:

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«Les matériaux utilisés pour la construction d’habitations de type kutcha sont généralement des feuilles de palmier séchées, à l’image des habitations traditionnelles en milieu rural, ou des matériaux de récupération (taule, plastique…). Les murs de la maison peuvent être érigés en terre cuite, les toits sont faits de chaume. Cette méthode de construction est adaptée au climat chaud et humide à Chennai car il facilite la ventilation à travers les interstices entre les murs et le toit, et le toit de chaume maintient la fraîcheur à l’intérieur de l’habitation. «On peut dresser un parallèle entre les palafittes et les habitations de type kutcha, qui semblent reproduire des modèles de construction traditionnels et ruraux. Nous relevons également une tendance commune dans l’évolution de cet habitat vers un habitat en dur.» (HOULIER, 2014)

Maison «kutcha» à Attur Nagar - Chenai (Inde) Photo : Karine Houchard, 2014

Maison «palafittes» à Coque - Recife (Brésil)Photo : Karine Houchard, 2014

Un article de Valérie FERNANDO sur Dharavi (Inde) le plus grand quartier d’origine spontanée d’Asie parle aussi de cette progressivité de l’habitat: «Contrairement à de nombreux autres bidonvilles plus récents, la plupart des habitations de Dharavi sont consolidées, construites de ciment et de briques (sauf pour le toit fait de simples plaques métalliques récupérées ou de tôles, plus rarement de tuiles). Cela témoigne d’une installation ancienne et d’une amélioration progressive de l’habitat dans la mesure des moyens financiers et de l’espace disponible.» (FERNANDO, 2009)

Cependant, il semble important de noter que la non-utilisation de matériaux moderne n’est pas forcément synonyme de quartier récent. En effet, certains quartiers étant pendant longtemps soumis à un risque d’éviction, demeurent pendant des dizaines d’années dans des états de grande précarité. 14


Mais le caractère «évolutif» de l’autoconstruction ne réside pas seulement dans le passage de matériaux de récupération aux matériaux modernes, il s’exprime aussi dans l’assemblage même des matériaux entre eux durant le chantier. Comme l’expliquent CANEL et GIRARD, le bloc de ciment possède un rôle clé dans l’économie de l’autoconstruction/autopromotion: «L’atout majeur de la filière ciment est le principe de modularité inhérent à la construction par blocs manuportables. Pendant le chantier proprement dit, on peut aussi mesurer le rythme d’avancement aux rangées successives de parpaings assemblés, au nombre de sacs de ciment « tapés » (transformés en agglomérés par un tâcheron pour le compte du propriétaire).» (CANEL, GIRARD, 1986)

Ainsi, à la différence du marché formel où les habitants entrent dans une maison où les finitions sont terminées, une des particularités des quartiers d’origine spontanée réside dans le fait qu’ils sont constamment en construction. D’où l’impression de travaux non-achevés qu’ils dégagent comme l’explique Rovy Pessoa dans son mémoire sur les favelas de Florianopolis au Brésil: «Une des caractéristiques urbaines les plus marquantes des favelas est le caractère évolutif des constructions. [... ] L’espace construit est en permanente mutation, ne pouvant à aucun moment être considéré comme achevé, et présente un aspect embryonnaire. L’autoconstruction permet aux habitants de faire face à la situation de carence socio-économique, et impose une temporalité différente de la ville formelle. L’organisation du bâti paraît à priori chaotique, n’obéissant à aucune règle évidente, mais cache en réalité une grande complexité et une flexibilité qui permet à la population des favelas d’adapter l’espace à leurs nécessités.» (PESSOA FERREIRA, 2013)

Les chantiers autoconstruits sont donc rythmés par le degré d’investissement nécessaire, de manière saccadée, et les constructions abritent déjà les occupants alors que le chantier n’est pas terminé: «Les études montrent pourtant bien l’existence de points de blocages quasi obligés et de phases différenciées dans le processus de construction. Les points morts correspondent toujours aux moments de plus forte monétarisation des actions à engager pour poursuivre le projet constructif. Ceci suggère, par exemple, la nécessité d’octroyer des prêts par tranches pour financer les points de passages délicats et eux seulement.» (CANEL, GIRARD, 1986)

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occupation primaire baraquements précaires fait à partir matériaux de récupération

Favela de Paraisopolis à São Paulo, Brésil Photo: Carolina Garcia/iG São Paulo

phase intermédiaire apparition progressive de la brique et du béton, l’ensemble parait inachevé et certaines constructions semblent fragiles mais le quartier se consolide

Favela de Rocinha Rio de Janeiro - Brésil Source: Travelsauro

consolidation dans ce quartier construit sur des terrains marécageux dans les années 1970 les rues ont été viabilisées et les constructions améliorées et agrandies...

Barrio «Patio bonito», Bogota - Colombie Source: casas.mitula.com.co

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(Schéma explicatif de densification , Rovy Pessoa 2013)- Florianopolis Brésil

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Dans son mémoire d’architecture sur l’autoconstruction à Paraisopolis (SP, Brésil), Gabriel Enrique précise qu’en plus de la limite économique, c’est aussi le manque d’espace de stockage (afin de ne pas se faire voler) et le manque de planification du chantier qui morcelle la construction. De plus, il décrit avec précision le processus d’autoconstruction des différentes cas étudiés et met en exergue cette notion d’évolutivité. L’une des familles étudiées construit en premier lieu un étage avec une hauteur sous-plafond d’à peine plus de deux mètres par manque de moyens financiers et finit, dès que suffisamment d’argent a été mis de côté (ou a été emprunté) par rajouter cinquante centimètres afin d’avoir un espace plus agréable autant spatialement que thermiquement.

Intérieur d’une maisons à Paraisopolis à São Paulo, Brésil (Photo: ENRIQUE, 2016)

Il analyse aussi la structure du bâtiment voisin, en faisant ressortir certains points récurrents dans la favela de Paraisopolis:

Extérieur d’une maison à Paraisopolis, São Paulo, Brésil (Photo: ENRIQUE, 2016)

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«Vue des maisons voisines depuis le toit: elles ne sont pas encore enduites ce qui laisse transparaître clairement le système constructif du mur en brique et du portique en béton. Il est aussi possible de noter d’autres aspects qui se retrouvent à Paraisopolis: des poteaux qui parfois ne sont pas sur le même alignement à tel point qu’on peut même voir un poteau finir au milieu d’une poutre. On remarque aussi le dernier étage construit sans poutres et parfois même sans poteaux, laissant simplement des murs de maçonneries supporter la tôle ondulé en fibrociment » (ENRIQUE, 2016)

Cet exemple montre certes des erreurs structurelles qui pourraient être évitées, néanmoins le fait que le premier étage ne possède pas de cadre en béton rigidifiant le mur de maçonnerie vient sûrement d’un manque de budget initial, (idem pour l’absence d’enduits). Les habitants, face au besoin de se loger rapidement, mettent de côté les critères esthétiques ainsi que les éléments structuraux qui ne sont pas indispensables dans un premier temps et amortissent de ce fait l’investissement nécessaire à la construction sur plusieurs années. La structure, comme l’esthétique, sont évolutives elles aussi. Les quartiers d’origine spontanée naissent donc par une autoconstruction/ autopromotion évolutive sur plusieurs points. Cette évolution se fait via un enchaînement de procédés constructifs, du réemploi à l’utilisation de matériaux modernes (ou industrialisés), en passant par le vernaculaire. Puis ces quartiers évoluent aussi spatialement, via un processus de densification du terrain (afin d’accueillir d’autre membres de la famille ou mettre en location), mais aussi dans l’édification même du bâti qui avec des constructions qui peuvent rester plusieurs mois en attente du temps et des matériaux nécessaires pour les achever.

On construit rarement sa maison seul: entre travail rémunéré, entraide & auto-promotion. Les différentes lectures ont fait ressortir qu’il fallait utiliser avec prudence le terme «d’autoconstructeur» étant donné que l’autoconstruction, bien que très présente lorsque les quartiers d’origine spontanée en sont au stade de bidonville (à l’aide de matériaux de récupération en grande partie), est de moins en moins présente dans la production du logement une fois le quartier consolidé. Mais encore une fois, il est compliqué de généraliser tant la pluralité des quartiers autoconstruits est importante. L’autoconstruction nécessite presque toujours un travail d’équipe qui implique pour le futur habitant de recourir à d’autres personnes, en premier lieu à son cercle social proche, sous forme d’entraide: famille, voisins, amis: 19


«L’autoconstruction est aussi caractérisée par la présence de parents et voisins qui participent directement à la construction du logement. Ce contingent de main d’œuvre ne perçoit pas de rémunération directe. C’est pourquoi ce type d’organisation du travail est appelée entraide.» (Vega-Centeno, 1990) À partir du moment, où d’autres personnes extérieures que les futurs habitants participent au chantier, on parle d’autoconstruction avec entraide donc, mais au fur et à mesure, que les villes grandissent et que les quartiers d’origine spontanée s’insèrent au marché de l’emploi, les chercheurs ont remarqué que le travail rémunéré était de plus en plus présent: «Les sciences sociales ont toutefois récemment proposé d’autres perspectives. Des travaux comme ceux de Zolezzi et Calderon (1985, 68) et ceux de Riofro et Driant (1987, 82) remarquent qu’on constate une présence importante de main d’œuvre salariée dans les processus d’autoconstruction. D’après ces auteurs, ce fait met en question l’existence de ‘l’autoconstruction’ [...] D’autre part, les auteurs se méfient de la possible permanence des relations de réciprocité dans la construction ou, en tout cas, ils pensent que celles-ci sont en train de disparaitre et d’ouvrir la voie à des relations de type capitaliste (Zolezzi et Calderon, 1985, 71). Ainsi Riofrio et Driant (1987) assurent que la tendance dans les quartiers marginaux est vers le développement de relations capitalistes dans la construction des logement» (Vega-Centeno, 1990) L’étude du chercheur architecte Pablo Vega-Centeno s’est faite à Lima au Pérou, mais nous pouvons remarquer qu’au Mali, dans le quartier autoconstruit de Bozobuguni (Bamako), la présence d’un maçon est également remarqué: «J’appris plus tard que ce maçon est un maçon de métier, qui a été employé pour la journée, d’où l’assurance et la stratégie des gestes observés dans ce document. Le maçon en question est un voisin qui vit non loin de là, dans le quartier.» (LAUREAU, 2014)

L’exemple donné par Vincent LAUREAU au Mali nous permet de voir une autre spécificité qui semble récurrente dans l’organisation des chantiers des quartiers d’origine spontanée qui est le fait que même si il y a recours à des travailleurs rémunérés, ceux-ci font partie du quartier voire du cercle social ou du (moins spatial) proche des futurs habitants. Cette récurrence semble se confirmer avec la recherche de Pablo Vega-Centeno en Amérique Latine: 20


«Par ailleurs, la main d’œuvre engagée est spécialiste en construction, avec une expérience déjà importante du métier. Ce sont des maîtres constructeurs ou maîtres maçons qui, dans 45% des cas, arrivent avec leur(s) assistant(s). Ces maîtres, formés par la pratique, sont, dans beaucoup de cas, responsables du dessin ou du croquis de la maison. Celui-ci est réalisé d’une manière simple et sans précision. Il s’agit de personnes connues du propriétaire du logement ou, dans de nombreux cas, de voisins ou de personnes qui habitent dans le même «Asentamiento Humano». Ainsi la relation contractuelle ne s’établit pas dans des termes formels et impersonnels, mais elle est souvent le fruit de l’amitié ou d’une bonne relation entre les propriétaires et les maîtres.» (Vega-Centeno, 1990) Une recherche faite entre Kinshasa et Douala par les chercheurs Patrick Canel et Chrisitan Girard met en exergue une dynamique croissante de la «monétarisation» des relations à mesure que la ville et la modernité entrent dans les quartiers d’origine spontanée: «Alors qu’avec l’urbanisation, disparaissent les dimensions cosmogoniques et symboliques attachées par la tradition à l’habitat, on assiste à l’édification profane d’un espace profane où la monétarisation s’est infiltrée partout (du paiement de l’artisan, à la «pièce» donné au gamin qui va chercher un sac de ciment» (CANEL, GIRARD, 1986) Dans le même article, les chercheurs confirment que le terme d’autoconstructeur est à utiliser avec prudence: «La représentation mythique de l’intégration urbaine des jeunes ménages d’origine rurale ou immigrés a longtemps été celle des « invasions urbaines» périphériques, brutales, sans transitions, par des populations en quête d’un «abri» et démunies de toutes ressources, s’improvisant pour la circonstance maçons, charpentiers, menuisiers... bref «autoconstructeurs» ». [..] A l’évidence le processus était beaucoup plus complexe qu’il n’y paraissait: il mettait en jeu des compétences, des moyens et des filières élargis par rapport au noyau des occupants ou des bénéficiaires, répondait à une logique et des stratégies à plus long terme que la simple nécessité de s’abriter.» (CANEL & GIRARD, 1988). C’est donc un autre trait qui semble commun aux différents quartiers d’origine spontanée d’Afrique subsharienne et d’Amérique Latine: après la phase d’occupation primaire, vient une construction «en dur» qui nécéssite un recours à des compétences et des réseaux remettant en question la notion d’autoconstruction «pure». 21


Pour ce qui est de l’Inde, nous n’avons pas trouvé de documents traitant de la pratique de l’autoconstruction en elle-même. Cependant, dans son mémoire Salome Houllier, étudiante de l’EPFL cite une habitante d’un bidonville possédant une maison en tôle qui spécifie avoir engagé des ouvriers pour construire (HOULIER 2013 p.99 Maison de Sadhvika). Au vu de la complexité que représente l’édification d’un logement pérenne, seul quelques tâches sont appréhensives sans nécessiter un réel savoir-faire, il parrait finalement assez naturel d’employer de la main d’œuvre salariée lorsque le quartier se consolide . Le nouvel habitant serait finalement plus dans le rôle d’un «auto-promoteur» qui gère lui même l’achat du terrain, l’économie du projet, la fourniture des matériaux et l’organisation du chantier sans forcément mettre «la main à la pâte». Mais cette recrudescence de l’autoconstruction avec entraide à mesure que la modernité pénètre les quartiers d’origine spontanée cache un autre trait caractéristique lui aussi évoqué dans les différentes sources étudiées: l’apparition de petits promoteurs informels, faisant construire d’autres logements pour faire payer un loyer aux nouveaux arrivants n’ayant pas les moyens d’acheter un terrain: «Plusieurs auteurs ont récemment mis en doute le processus d’autoconstruction comme forme dominante de la production du logement des moins pauvres des pauvres; ils s’appuient surtout sur des exemples pris dans les grandes villes d’Afrique noire. Il semble bien qu’on assiste souvent à tout un système de production de petites maisons destinées à la location, plus fréquent qu’on ne le croyait. Dans les quartiers pauvres, certains habitants, déjà logés, réussissent, souvent au prix de plusieurs années d’effort, à faire construire par des tâcherons une deuxième petite maison qu’ils louent alors aux nouveaux arrivants, incapables d’acquérir un terrain et de produire eux-mêmes leur logement.» (Rochefort, 1988) Au Brésil, cette notion d’autopromotion et de «citadin promoteur» semble exister tout autant, avec par exemple le cas de la favela de Florianopolis à São Paulo, étudiée par Gabriel ENRIQUE qui sépare en deux groupes distincts les études de cas réalisées dans son mémoire:

«Les cas étudiés peuvent être divisés en deux grands groupes dépendant de la finalité de la construction: ceux qui autoconstruisent pour eux-mêmes visant la propriété, et ceux qui construisent avec pour objectif l’obtention d’une rente via le loyer ou la vente, entraînant une zone nuancée entre l’autoconstruction et l’autopromotion» (ENRIQUE, 2016). 22


Ce processus d’autopromotion lié à la consolidation des quartiers est décrit par Canel et Girard: «d’abord par une densification (réalisation d’un étage) et/ou l’acquisition d’une autre parcelle, induisant un départ de la première parcelle et sa mise en location : de la «petite propriété domestique à la propriété marchande» ; du statut de propriétaire occupant à celui de «propriétaire occupant et bailleur» sur le lieu de la construction, à celui de propriétaire-bailleur non résident... Ainsi va l’urbanisation selon un cycle continu et d’une durée variable selon le degré de réussite de l’insertion urbaine de chaque candidat à la construction; le processus s’autoreproduit à l’infini. A leur tour les quartiers périphériques se densifient, les parcelles se redivisent, les propriétaires occupants deviennent des propriétaires-bailleurs/investisseurs hébergeant des immigrants louant à des jeunes ménages et le cycle se renouvelle sans fin.» (CANEL & GIRARD, 1988). Les deux chercheurs mettent notamment en avant le rôle «d’amortisseur social» joué par le marché locatif informel pour les nouveaux arrivants urbains. En effet, les nouveaux arrivants n’ont la plupart du temps pas la somme nécessaire à une construction en dur et doivent prendre le temps de trouver un travail et de mettre suffisamment d’argent de côté pour accéder à la propriété.

Des cultures constructives hétérogènes Les quartiers d’origine spontanée naissent en grande partie via l’arrivée de paysans issus de l’exode rural qui viennent en ville chercher des nouvelles opportunités de vie. Une partie de ces populations auront sans doute vu ou participé à des chantiers ou des techniques vernaculaires étaient utilisées et ce qui peut influence l’architecture des quartiers. Dans son mémoire, Rovy Pessoa montre que l’utilisation du bois dans les favelas de Florianopolis n’est pas utilisé que lors de l’occupation primaire mais aussi en tant que choix technique/esthétique lors de la consolidation. «Les résidences traditionnelles de la région rurale de Santa Catarina, d’où sont originaires une grande partie des pauvres de Florianópolis, consistent en un volume simple en bois d’un étage comprenant une toiture à deux pentes. Cette tradition explique l’abondance de maisons en bois, qui n’est donc pas un matériau synonyme de précarité mais l’expression d’une culture constructive, pouvant dans certains cas être préféré à la brique. Cette forme d’habitat élémentaire peut également être retrouvée en extension d’un bâtiment existant, créant un mélange de techniques pour le moins insolite dans lequel une forme typique de résidence individuelle peut se retrouver au troisième étage d’un bâtiment.» (PESSOA FERREIRA, 2013). 23


Santa Catarina (Brésil) Source: tripomondo.com

Florianopolis (Brésil) Source: PESSOA FERREIRA Photo: Marcelo Cabral

Il est intéressant de noter que cette héritage vernaculaire peut s’exprimer sur ce qui pourrait sembler un détail décoratif, comme le cas du jali indien qui dans l’exemple du mémoire de HOULLIER Salomé est mis en place également lorsque la maison est construite en dur. Le vernaculaire n’est pas alors seulement utilisé comme procédé par défaut en attendant d’avoir mieux, mais comme un symbole d’appartenance à une culture et à une identité communes:

Le Jali, un élément typique du vernaculaire indien (HOULIER, 2013)

Habitation à Chenai (Inde) (HOULIER, 2013)

«Les ouvertures sont presque toujours des éléments de récupération que les habitants ont pu trouver : la porte peut être en bois, en tissu ou en panneau de tôle. Il n’y a pas de vraies fenêtres, mais les ouvertures dans le mur sont caractérisées par le jali : il s’agit d’un élément typique de l’architecture traditionnelle indienne qui sert à filtrer et à tempérer la lumière du soleil. Il se retrouve partout, dans l’architecture domestique vernaculaire, dans les grands palais mais aussi dans l’architecture plus moderne. Il peut être en métal mais aussi en pierre ou en béton, type le plus présent dans les bidonvilles car ils peuvent être achetés indépendamment puis montés sur le mur directement.» (HOULLIER, 2013). 24


Marchés, filières et réemplois des matériaux La question de l’approvisionnement en matériaux est fondamentale pour le citadin autoconstructeur/autopromoteur Comme vu dans le chapitre précédent, il rythme le chantier et pourtant nous avons trouvé assez peu de travaux qui approfondissaient cette question. En Inde, à part le fait qu’à l’étape de bidonville, la part de réemploi de matériaux est majoritaire, nous n’avons pas trouvé d’études sur le sujet. En Afrique, la thèse de Vicent LAUREAU l’évoque dans le cas de Bozobuguni avec l’utilisation de la brique de terre crue comme élément principal de construction: «Moussa m’explique que la maison est destinée à son père qui est actuellement en voyage. Avant de partir le père a commandé 500 briques pour une somme 15 000 Fcfa, transport compris. Ce qui revient à 30 Fcfa la brique. Il a demandé à Moussa de se charger du chantier avant son retour.» (LAUREAU, 2014)

15 000 Fcfa représentant environ 23 euros, la brique de terre crue à l’unité coûte donc un peu moins de cinq centimes via un mode production artisanal. Malgré tout, dès que du réemploi est possible, les autoconstructeurs de Bozobuguni y ont recours: «Deux murs de la construction précédente restent en place. Ils vont manifestement être réutilisés pour la future bâtisse. Ces deux murs intègrent quelques briques avec des traces de peintures (bleu ciel) écaillées sur leurs champs. Ces briques là ont manifestement déjà servi dans d’autres constructions, ce sont déjà les matériaux issus d’un premier réemploi provenant de la destruction d’ancienne maisons du vieux Bamako.» (LAUREAU, 2014)

Exemple d’un chantier en terre crue à Bozobuguni (Source: LAUREAU, 2014)

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Exemple d’un chantier en terre crue à Bozobuguni (Mali) Source: LAUREAU, 2014

La brique de terre crue possède l’avantage d’être recyclable: lorsqu’elle est trop détériorée pour son utilisation, les autoconstructeurs la pilent, jusqu’à en faire un amas de gravats concassés qui servira de mortier pour l’édification des murs, cette poudre est nommée «banco». En Inde, nous n’avons pas trouvé de textes allant suffisamment dans le détail au point de parler du marché de l’autoconstruction, même si nous savons que lors de la consolidation des bidonvilles, les constructions sont faites en briques, en béton ou bien même en tôle. C’est encore une fois au Brésil que nous avons récolté le plus d’éléments sur le sujet étant donné que la production de l’habitat populaire par y a été particulièrement étudiée. Il semblerait que le marché de l’autoconstruction a énormément évolué au cours des dernières décennies alors qu’il était initialement structuré autour de fabrication artisanale des éléments de maçonnerie. Erminia MARICATO en 1976 décrivant la production des parpaings de plus en plus présents dans les quartiers d’origine spontanée au Brésil: «Le bloc de béton est en train de remplacer chaque fois plus la brique d’argile dans l’autoconstruction, de par le fait qu’il soit moins cher et qu’il permette une construction plus rapide et que ses dimensions soient plus importantes. Son succès a aussi été possible grâce à la prolifération de petites fabriques de parpaings localisées dans la périphérie. Ces fabriques consistent en un hangar sans murs, une ou deux machines tel que la bétonnière et le malaxeur à béton par exemple. Ils sont produits en paire, deux à quatre unités à la fois dépendant de la dimension de la machine. Cette industrie utilise comme main d’œuvre, de deux à quatre

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personnes maximum. Et il existe aussi une multitude de producteurs «manuels» de bloc de béton, qui produisent sans l’aide d’aucune machine, à peine aidés d’un bâton et de gabarits en bois» (MARICATO, 1976)

Nous avons remarqué durant notre recherche qu’une bonne partie de la bibliographie était relativement ancienne (années 70/80), d’où l’importance de trouver des travaux plus récents, qui nous montrent l’évolution du marché de l’autoconstruction. A l’époque des premiers quartiers d’origine spontanée différents magasins vendant des matériaux de constructions peuplaient déjà les environs, Aujourd’hui grâce au travail de Gabriel ENRIQUE nous savons que ces magasins se soit diversifiés dans la favela au travers de quatre types:

• le «grands magasins métropolitains» • le «grand magasins local» • le «petits magasins local» • les «serrureries»

Le grand magasin métropolitain qui appartient à une chaîne nationale nommée «casas bahia» (le castorama brésilien), vend tout les types de matériaux basiques pour la construction, mais aussi des robinets, des douches, du carrelages et même des éléments de décoration. Le grand magasin métropolitain ne fabrique ni ne monte rien sur place tandis que la grand magasin local monte dans l’arrière boutique certains éléments. Le petit magasin local lui, ne vend que les matériaux basiques mais fait des livraisons directement sur les chantiers étant donné que les vendeurs sont aussi de Paraisopolis et connaissent donc bien le quartier ce que les grandes firmes ne peuvent pas faire.

Intérieur d’un grand magasin métropolitain, Paraisopolis Brésil Source: ENRIQUE, 2016

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«Il a été possible de dénoter une présence industrielle forte dans les processus d’autoconstruction étudiés, autant au niveau individuel qu’au niveau du réseau des commerces et services locaux. Les matériaux les plus fréquemment mis en vente et utilisés dans les chantiers proviennent de processus de fabrication qui ne pourrait être que difficilement se passer d’un haut niveau d’industrialisation: aucun matériau n’est fabriqué directement dans les magasins, de tel sorte que ces derniers n’ont que le rôle d’achat et revente des matériaux.» (ENRIQUE, 2016). Grand magasin métropolitain Petit magasin local

Grand magasin local Serrurerie

Localisation des magasin de construction à Paraisopolis, Brésil Photo: ENRIQUE, 2016

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Intérieur d’un grand magasin métropolitain, Paraisopolis Brésil Photo: ENRIQUE, 2016

On remarque que la pratique de l’autoconstruction a été investie par des entreprises qui en ont fait un argument de marketing afin d’en tirer un bénéfice. La présence de matériaux préfabriqués est importante, comme le montre ces exemples de dalles préfabriquées, mais aussi de ferraillage pour armer les dalles et les poteaux de béton. Bien que le marché de l’autoconstruction se soit industrialisé, il semble tout de même que les quartiers d’origine spontanée font face à une homogénéisation des processus constructifs. Les autoconstructeurs/autopromoteurs, face à une gamme de produits, choisiront les matériaux les moins chers, les plus faciles à mettre en place, sans forcément prendre en compte les aspects thermiques ou qualitatifs. Un exemple intéressant est l’utilisation de plus en plus courante de plaques de polystyrène plus légères et plus faciles à mettre en place que les dalles en terre cuite. Finalement, nous pouvons noter que le marché de l’autoconstruction a connu une évolution parallèle à l’industrialisation des matériaux de construction. Pourtant, si le mode de production des matériaux a changé, la logique reste la même, celle du plus simple et du moins cher, comme l’expliquait déjà Erminia Maricato en 1982, énonçant les principes qui régissaient le choix des matériaux de ce type de quartier: «Les conditions limitées dans lesquels se font l’acquisition du matériau servant à l’autoconstruction ne permettent pas de choix. Le matériau doit toujours être le moins cher possible, de manipulation facile, et est déterminé aussi par ce qui est proposé par le commerce le plus proche, ce qui prouve que l’offre et la distribution des matériaux sont aussi des facteurs déterminants dans la production du logement» (MARICATO, 1982). 29


Exemples de dalles pré-fabriquées en terre cuite (1) et en plaques de polystyrène (2) Source: (1) leroymerlin.com.br et (2) falerblocos.com.br

Exemples de ferraillages pré-fabriqués pour armer les colonnes (1) et dalles (2) Source: (1) carrinho.cec.com.br et (2) tcdn.com.br

Exemple d’un «tijolo baiano» (brique de terre cuite) Source: lojascoqueiro.com.br

Tôles en fibrociment vendues un grand magasin métropolitain à Paraisopolis (São Paulo-Brésil) Source: ENRIQUE, 2016

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II - Accompagner l’autoconstruction: débats théoriques et références pratiques

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Quand l’incitation à l’autoconstruction fait débat Les différentes recherches bibliographiques effectuées nous amènent irrémédiablement à aborder l’autoconstruction sous un angle politique: cette pratique qui pourrait être vue comme un simple acte individuel d’autodétermination véhicule en réalité des débats sociaux complexes. En ce sens, un débat subsiste au Brésil depuis les années 1970 parmi les intellectuels et universitaires de tradition marxiste qui travaillent sur le logement populaire. Les termes de ce débat peuvent être résumés de la manière suivante: les salariés n’ayant ni de quoi payer un loyer ni rémunérer une entreprise de construction doivent alors autoconstruire leur habitat par leurs propres moyens : en investissant de leur temps sous forme de travail non rémunéré, les week-ends et les jours fériés, et de l’argent, pour payer les matériaux. «...l’agent social qui produit et qui consomme le logement est le même: le consommateur final construit avec, comme base, I’investissement d’un temps de travail personnel qui correspond à I’extension de sa journée de travail. Il travaille ainsi plus qu’il ne faut pour obtenir ses moyens de subsistance. Quelquefois, il s’y ajoute un travail collectif gratuit ou de petites quantités de travail salarié ...» (Pradilla, 1974) À l’encontre de l’autoconstruction, la thèse du sociologue brésilien Francisco de Oliveira met l’accent sur le « sur-travail » que représente le temps investi par ceux qui recourent à l’autoconstruction, et sur la logique d’exploitation induite par cette pratique. Dans le cas précis du Brésil, où le bâtiment est traditionnellement un secteur qui fait appel à une main d’œuvre très faiblement rémunérée, l’autoconstruction entretient pour Olivieria l’accumulation du capital poursuivie par les entreprises privées : cette accumulation est notamment rendue possible par le maintien de bas salaires, qui oblige finalement les salariés autoconstructeurs eux-mêmes à supporter, sous forme de surtravail non rémunéré, une partie du coût de construction de leur logement : «L’habitat résultant de cette opération, se produit par du travail nonpayé, ceci est du «sur-travail». Bien qu’apparemment ce bien ne soit pas approprié par le secteur privé dans sa production, il contribue à augmenter le taux de d’exploitation de la force de travail, car son résultat, la maison, s’exprime dans une baisse du coût de reproduction de la force de travail parmi lesquels les dépenses liés à l’habitat en sont une composante importante, dans le but de baisser les salaires réels payés par l’entreprise. C’est ainsi qu’une opération qui est d’apparence une réminiscence de pratiques «d’économie naturelle» dans les villes, se marie admirablement bien avec un processus d’expansion capitaliste, qui possède ses bases et son dynamisme dans l’intense exploitation de la force de travail» (Francisco de Oliveira, 1977) 33


Francisco de Oliveira défend une position qui fait tenir la résorption du problème du logement populaire sur l’augmentation des salaires par le secteur privé, mais aussi sur le développement de plans publics de logements destinés aux classes populaires. Les deux sont pour lui liés : l’augmentation des salaires et une meilleure redistribution des revenus permettrait à la fois de soutenir le secteur de la construction, de faire entrer plus d’impôts mobilisables pour la production publique de logements, et à des populations modestes mieux rémunérés d’accéder à ces logements. Les loyers pourrait ainsi être payés grâce aux salaires plus importants, et des emplois serait crée grâce au secteur de la construction. On critique finalement la dimension subie, et non choisie, de l’autoconstruction: c’est à cause de l’absence de salaires et de logements sociaux suffisants fournis par l’État, que les citoyens ont recours à l’autoconstruction et deviennent des victimes du système capitaliste. Ainsi, seul le recours à l’autoconstruction spontanée autonome serait compréhensible, car étant une réaction de survie des populations démunies, cependant en aucun cas à cette pratique serait à encourager. Erminia Maricato, résume bien cet aspect «subi» de l’autoconstruction en affirmant que l’autoconstruction spontanée autonome est la «seule architecture possible» et en aucun cas un choix provenant d’une «liberté de construction» comme l’affirmait par exemple l’architecte anarchiste John Turner : «Si l’autoconstruction est quantitativement si importante [...], c’est parce que ni l’État n’investit significativement dans la reproduction de la force de travail, ni les salaires progressivement dévalorisés, ne couvrent les coûts relatifs à l’habitation urbaine (la maison et ses compléments). [...] nous affirmons que l’autoconstruction est la seule architecture possible pour les travailleurs des classes populaires, étant donné les conditions dans lesquelles se met en place sa reproduction dans le milieu urbain.» (MARICATO, 1982) Cependant, certains défendent tout de même le recours à l’autoconstruction comme principe permettant d’apporter une réponse au déficit de logement populaire, sous la forme d’une autoconstruction spontanée assistée ou programmée autonome (voir programmée et assistée comme nous le verrons avec l’exemple des Hogares Peruanos plus loin dans le rapport). On rémunère alors des professionnels -architectes, ingénieurs, urbanistes- pour des projets allant d’une simple installation d’infrastructure sur un terrain, jusqu’à la conception de logements voués à être construits par les populations ellesmêmes (autoconstruction assistée). Les défenseurs d’une production du logement populaire via une autoconstruction qui serait assumée ont alors plusieurs types d’arguments. Le premier est économique: l’autoconstruction permettrait de construire plus 34


de logements que les plans de constructions traditionnels employant des entreprises professionnelles. En effet, en plus de réduire le coût total de la construction par un recours à l’entraide, les profits engendrés par ces entreprises et les intermédiaires immobiliers seraient alors éliminés des coûts du logement : «dans la mesure où l’on a recours au travail familial non payé, on réduit les dépenses (à elle seule cette pratique permet des économies de 15 % à 30 % ) . Ces avantages signifieraient que beaucoup plus de logements peuvent être produits que dans le cadre des programmes classiques et donc que les ressources du secteur public, qui de façon générale n’arrivent pas à suffire à la demande, sont utilisées de façon plus efficace. De surcroît, de cette façon, on est en mesure de fournir des unités de logement à des prix accessibles aux couches les plus pauvres de la population.» (Licia VALLADARES, 1987) Un autre argument porte sur les qualités de l’autoconstruction et repose sans doute sur la notion d’auto-planification qu’elle implique si l’on laisse l’habitant entrer dans le processus de conception. On part du principe que le futur usager sait mieux que quiconque ce dont il a besoin pour se loger : l’agencement des espaces qui lui seront confortables, les matériaux qu’il sait mettre en oeuvre, et le rythme avec lequel il va pouvoir investir économiquement dans son bien. Cet argument se base sur une critique des programmes de logements nationaux traditionnels qui offrent un même logement standardisé à tous, sans prendre en compte les cultures, les goûts, les identités ou les moyens économiques de chacun: «Partout où l’on a essayé de raser les bidonvilles, l’échec est total. L’erreur universelle, selon Gilbert (1982 :101), est de construire selon des conceptions architecturales et des normes de construction qui n’ont rien à voir avec les besoins des pauvres. Les logements offerts dans le cadre des programmes gouvernementaux sont trop coûteux, les usages sont trop strictement définis et les cités trop mal situées par rapport à l’ensemble de la région urbaine. Par conséquent, les résidants sont confrontés à des coûts prohibitifs de transport, de logement et de services connexes. Par surcroît, très souvent ces projets détruisent les réseaux sociaux indispensables à la survie des résidants. La preuve ultime de cet échec est fournie par le recyclage social dont ces cités font l’objet. Les pauvres, incapables de supporter les coûts des nouveaux logements, désertent les lieux en faveur des couches plus aisées de la population.» (Licia VALLADARES, 1987) Les arguments en faveur de l’autoconstruction mettent donc en avant la notion d’«expert d’usage» (le futur habitant) qui saura concevoir /ou fabriquer un habitat à son image et avec lequel il entretiendra un sentiment d’appartenance fort, qu’il se sera approprié et qui lui fera prendre soin de l’architecture.

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Le dernier argument utilisé provient de la dimension politique d’une telle pratique, c’est-à-dire une forme d’autogestion à même de garantir à long terme l’autonomie des populations sans le besoin d’un recours de l’État, voire pour s’en émanciper. Cet argument est notamment celui du collectif USINA que nous étudierons plus en détail dans cette seconde partie du rapport. Finalement l’autoconstruction, lorsqu’elle programmée ou assistée, provoque d’intenses débats: pour certains elle permet une limitation des dépenses, encourage l’autogestion, favorise l’appropriation et offre une alternative crédible aux constructions classiques ; pour d’autres elle est un non-sens qui permet à l’État de s’affranchir de véritables plans de logements sociaux, d’une augmentation des salaires et d’une répartition plus équitable des richesses. À partir de ces arguments, nous allons voir comment l’autoconstruction a parfois été mise en place via de vastes plans gouvernementaux, mais aussi à des échelles plus petites, via de l’autoconstruction programmée autonome ou assistée.

Historique des programmes nationaux d’autoconstruction Les plans de logements alternatifs (Valladares, 1986) sont des plans d’autoconstruction programmée, assistée ou non, mis en place par des gouvernements afin de diminuer le déficit de logements du pays par les classes populaires elles-mêmes. Bien qu’ils aient fréquemment été utilisés dans le monde depuis le début du XXe siècle, leur histoire est assez peu analysée et peu connue des professionnels du logement. Une des raisons est que selon eux, ces plans massifs d’autoconstruction sont nés principalement dans les pays émergents. Pourtant, c’est d’abord dans les pays du Nord qu’on retrace leurs premières origines (Harris, 1999). Une des premières manifestations connues vient d’Allemagne au XIXe siècle (Harms, 1999), de la part d’ouvriers proposant un programme populaire d’autoconstruction. C’est dans un contexte d’instabilité politique et de révolte ouvrière qu’est formulé ce programme dont la revendication émane de la lecture du livre d’Engels «La situation de la classe ouvrière en Angleterre» dont le retentissement fut important après sa parution en 1844. Cependant ces demandes ouvrières n’ayant pas de soutien politique solide, elles ne seront pas prise en compte et ce n’est qu’en 1870 que l’idée d’autoconstruction se réalisera pour la première fois via des coopératives de solidarité ouvrière. Le premier programme d’autoconstruction assisté par un État sera réalisé, ponctuellement, en Suède en 1904 (Harris, 1999). Mais c’est surtout après la fin de la première guerre mondiale que l’autoconstruction prend de l’ampleur, avec la particularité d’avoir été expérimentée par tout le spectre politique de l’époque, de l’Union Soviétique jusqu’aux ÉtatsUnis d’Amérique :

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«Au cours de la première moitié de ce siècle, le logement d’auto-assistance a reçu l’appui de tous les partis politiques. Il a été promu de diverses manières par des gouvernements qui étaient contrôlés par les communistes (Union soviétique, 1922-29, fin des années 1940), les socialistes (Vienne, 1921, 25), les libéraux-démocrates (États-Unis, années 1930), les conservateurs (Suède, années 1920) et les fascistes (Allemagne, années 1930).» (Harris, 1999) Ainsi les plans nationaux d’autoconstruction auraient eu un rôle à jouer dans le développement de logements destinés aux classes les plus pauvres des pays occidentaux, cependant, ils ne seront pas devenus la règle par manque d’appui politique sur le long terme: «La faiblesse politique de l’auto-assistance en matière de logement n’est pas surprenante. Elle n’a reçu le soutien d’aucun groupe social organisé et, comme on pouvait s’y attendre, elle a contrarié au moins l’un d’entre eux, l’industrie et les métiers de la construction. En GrandeBretagne, par exemple, au début des années 1950, les critiques les plus virulentes des associations d’entraide en matière de logement étaient les travailleurs du bâtiment. Il en était généralement de même en Europe. De plus, dans la mesure où elle impliquait une philosophie politique distincte, l’auto-assistance assistée n’a généralement pas été perçue comme attrayante.» (Harris, 1999) C’est ensuite dans les pays émergents, que les plans de logements alternatifs vont être mis en place, en particulier à partir des années 1960 avec l’aide de la Banque mondiale. La différence avec leurs prédécesseurs européens va résider dans le fait que ces pays possèdent des bidonvilles de grande taille que les gouvernements -après avoir tenté en vain de les éradiquer- vont prendre en compte dans leurs programmes d’autoconstruction. Il y existera donc deux type d’actions menées par ces États, les projets de réhabilitation et les projets de parcelles assainies: «Les projets de réhabilitation, destinés à fournir des services à des parcelles déjà occupées mais dépourvues d’infrastructures. Ce type de projet comporte parfois la reconnaissance, par des mesures légales spéciales, d’une occupation de fait. Les projets de parcelles assainies, qui visent à offrir des terrains vagues minimalement aménagés aux familles, à des prix abordables.» (Valladares, 1987) Ce changement de stratégie des gouvernements a pour origine les mauvais résultats obtenus par les tentatives d’éradications des bidonvilles et des plans de constructions classiques. En effet, ces derniers initialement destinés aux logement populaire ont quasi-systématiquement subit un recyclage social: c’est à dire l’arrivée de populations plus aisées débouchant sur l’exclusion des habitants plus pauvres pour qui était prévu initialement le projet.

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Willard Garvey avec l’ingénieur péruvien Rodolfo Salinas en inspection sur le site du programme «Sol de Oro» en février 1964. Source: Turner au Pérou, 2016.

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En parallèle, la mise en place d’une recherche académique a su détruire les mythes concernant les quartiers d’origine spontanée. Ces mythes les réduisaient à des lieux de pathologies sociales (délinquance, prostituions, drogues...) et les montraient comme des fardeaux économique pour le pays ainsi que des catalyseurs de révoltes politiques. Cette vision tronquée des quartiers d’origine spontanée à donc été combattue par des intellectuels, comme William Mangin, Charles Abraham ou John Turner, qui via leurs enquêtes de terrain, ont prouvé que les résidants des quartiers autoconstruits: «....connaissent bien les rouages de la vie urbaine ; que c’est la famille nucléaire qui prédomine et que les membres du ménage sont engagés dans diverses formes d’activité économique de façon assez régulière. Qui plus est, l’environnement physique des bidonvilles s’améliore avec le temps.» (Valladares, 1987) De plus, certains États des pays émergents se rendront compte qu’ils n’arriveront pas à résoudre le problèmes des quartiers d’origine spontanée en les détruisant et, trouvant les plans de constructions classiques trop coûteux, choisissent d’en encadrer l’autoconstruction plutôt que de les combattre. Mais les travaux académiques des intellectuels précédemment cités ne seront pas les seules raisons de ce changement de stratégie. Avant même leurs publications, l’autoconstruction intéressait déjà des industriels étasuniens comme Willard Garvey, propriétaire de la «World Homes», une de ses entreprises spécialisée dans la fabrication de maisons pré-fabriquées «low-cost». En effet, il y voyait un marché porteur, une possibilité -si le processus de construction était suffisamment bien orchestré- de faire du bénéfice via des prêts aux particuliers et la vente de leurs services aux États dans le besoin. Et c’est dans cette optique qu’une autoconstruction programmée assistée est mise en place, où en plus des terrains, les plans des habitants étaient déjà dessinés par des professionnels. De plus, dans une période de guerre froide, le fait de promouvoir la maison individuelle -et donc la propriété privée- était un enjeu majeur de la guerre idéologique entre Est et Ouest, ce qui explique aussi les financements internationaux de la banque mondiale (pro États-Unis) qui viendront ensuite pour les programmes d’autoconstruction. En 1960, Howard Wenzel directeur de «Hogares Peruanos» (Habitats Péruviens), firme péruvienne de la World Homes, exprimait très clairement les ambitions de l’entreprise via l’autoconstruction: «L’auto-assistance offre une véritable solution à long terme au problème du logement dans les pays en développement et si une entreprise privée peut développer un système pour travailler de manière rentable dans ce domaine, le marché est illimité. Sans parler de l’énorme contribution sociale qui sera folle et de la propagande dans la lutte contre le communisme.» (citation de Howard Wenzel 1960 - tiré du livre «Turner au Pérou, 2016»)

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Howard Wenzel (centre droit) faisant visiter la «Hogares Peruanos Model House» Source: Turner au Pérou, 2016, photo: Ernesto Aramburú, 1960.

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C’est dans cette même logique qu’après les premières actions entrepreneuriales péruviennes, la Banque Mondiale finance une série des prêts pour les pays émergents qui marque le début d’une vraie tendance pour les plans gouvernementaux d’autoconstruction: «Pour la première fois, un soutien financier est accordé par la Banque mondiale à des programmes alternatifs de logement entrepris au Sénégal, en 1972, et deux ans plus tard il existe des projets à Calcutta, à Manille et à Dar es-Salam. En 1981, cinquante prêts avaient été consentis à trente-cinq pays, pour un montant total de 3,5 milliards de dollars américains. [...] Toutes ces mesures, sans exception, bénéficient du soutien des Etats-Unis. Les programmes alternatifs de logement font partie d’une stratégie des classes dominantes dans la mesure où ils permettent de surmonter la crise du logement tout en barrant la route aux mouvements sociaux réels ou potentiels qui se développent dans les bidonvilles. Le problème du logement est ainsi « privatisé », ce qui a pour effet de détourner l’attention et les efforts des familles pauvres de toute tentative d’action collective plus globale. (Williams, 1984 :177178).» (Valladares, 1987) L’idée de l’autoconstruction séduisait énormément: on allait résoudre le problème du logement et des bidonvilles, avec des plans de logements moins coûteux que ceux utilisant des entreprises de constructions classiques tout en permettant l’accès à la propriété de classes défavorisés. Cependant, ces plans, comme ceux des européens de la première moitié du XXe siècle, ne connaîtront pas une prospérité, et ce pour plusieurs raisons: «II existe une ambivalence importante en ce qui concerne les avantages et les inconvénients des efforts personnels assistés. La technique a été a la fois prônée, et considérée comme ne répondant pas a l’attente. Sa valeur sociale, là où elle est acceptée par les participants — a été reconnue mais a été critiquée comme étant dépassée, ne réalisant pas les économies promises, et anachronique dans une société urbaine.» (Batiment International, Building Research and Practice, 1977) Ainsi le premier argument en défaveur de ces plans nationaux d’autoconstruction a été l’argument économique relevant d’une non compréhension du concept d’autoconstruction qui était un phénomène relativement récent à l’époque. Le «mythe» de l’autoconstructeur a en quelque sorte faussé la donne car les gouvernements n’ont pas pris en compte la notion d’autopromotion qui lui était inhérente. Comme nous l’avons vu dans la première partie de ce rapport de recherche, le recours croissant au travail salarié à mesure que l’habitat se consolide aurait du être pris en compte initialement: 41


« [...] beaucoup d’entre eux (les plans de logements alternatifs) supposaient un « investissement humain » — entendez une participation directe des ménages « autoconstructeurs » et/ou de leurs proches — représentant 25 % du montant total présumé de la construction. Les premières évaluations font apparaître que cette hypothèse était bien optimiste : en fait, comme cela se produit habituellement hors opérations programmées, l’appel à l’artisanat de la construction est généralisé pour la quasi-totalité des tâches constructives ; seuls y échappent ceux qui sont (ou ont été eux mêmes) temporairement maçons. Il en résulte un retard dans l’avancement des chantiers qui a longtemps été caractéristique de l’évolution de Pikine (parcelles assainies), à Dakar par exemple. La question de l’accessibilité ne peut donc être valablement abordée que si l’on a auparavant su évacuer la préconception que véhicule le terme d’« autoconstruction ». (CANEL, GIRARD, 1986) La construction d’une maison digne de ce nom, nécessite une processus complexe impliquant différents corps de métiers, et bien qu’une partie du travail peut être prise en main par les populations, un véritable suivi technique est nécessaire pour mener à terme ces réalisations. Cette simplification initiale a été un des éléments principaux empêchant les plans de logements alternatifs d’être viables économiquement parlant. Les rêves de bénéfices basés sur un prix de revient faible des entreprises étasuniennes seront vite mis à mal comme le montre cette citation du directeur de Hogares Peruanos Howard Wenzel quelques années après: «Le logement d’auto-assistance est une belle solution comme utopie, les premiers utopies socialistes, mais elle ne fonctionne pas dans la pratique. C’est merveilleux quand on l’inscrit dans un livre, mais il faut trop de techniciens et trop d’administration.... Si ce n’est pas fait correctement, les gens se désintéressent peu à peu et tout tombe à l’eau.» (citation de Howard Wenzel 1963 - tiré du livre «Turner au Pérou, 2016») Cependant même si les espoirs d’une certaines rentabilité économique ont disparu de la part des entreprises, les programmes d’autoconstruction financés par la Banque Mondiale, pouvaient tout de même espérer améliorer les conditions de vie des couches les plus défavorisées en leur donnant une propriété sur laquelle s’appuyer à long terme. Il n’en sera rien: plusieurs années après leur mise en place, les «forces du marché» obligeaient les couches les plus pauvres des quartiers à vendre puis à quitter les lieux: «Mais surtout, ces programmes ne réalisent pas leurs principaux objectifs sociaux. L’aménagement complet ou partiel des terrains a pour conséquence de les intégrer dans le marché du logement local et 42


donc d’augmenter la valeur marchande des propriétés, ce qui provoque inévitablement l’exode des ménages les plus pauvres, soit parce qu’ils ne sont pas en mesure de payer les coûts inhérents à ce genre d’opération, soit parce qu’ils ne peuvent pas résister aux forces du marché. Les bénéficiaires, dans les faits, sont les résidants plus aisés, qui consolident leurs investissements dans le quartier, améliorent leurs logements et éventuellement les louent» (Valladares, 1987) Ainsi, ni les prétentions économiques, ni les prétentions sociales des plans de logements d’autoconstruction programmée n’auront convaincu, à la fois par méconnaissance de ce qu’était véritablement le phénomène d’autoconstruction dans les quartiers d’origine spontanée mais aussi par le fait de tentatives trop isolées face à l’importante carence en logements abordables: «Il faut être singulièrement naïf, ou têtu, pour penser que la réalisation et l’offre de 500 ou 3 000 parcelles supplémentaires dans un marché de pénurie feront grand-chose à l’affaire; on ferait l’économie de bien des rapports d’évaluation, concluant invariablement au détournement des objectifs initiaux des opérations par des populations hors cible». (CANEL, GIRARD, 1986) Finalement les programmes d’autoconstruction programmés auront eu une place importante dans les tentatives de résolution des carences du logements des couches défavorisées autant dans les pays aujourd’hui développés, que les pays émergents. Bien que l’autoconstruction soit un véritable «caméléon politique» (de par sa capacité à être encouragée par toutes sortes d’idéologies politiques), sa réalisation dans la société actuelle, n’aura de cesse d’être remise en question par les débats qu’elle entraine et par manque de solvabilité économique et sociale. Pourtant, aujourd’hui le phénomène regagne de l’intérêt, voila pourquoi nous analyserons deux applications récentes qui font références.

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Un pritzker pour l’autoconstruction: le projet ‘Quinta Monroy’ de l’agence Elemental au Chili L’agence d’architecture chilienne Elemental a en 2003 a réalisé une série de logements pour le gouvernement Chilien à Iquique. Une dizaine d’années plus tard, le directeur de l’agence Alejandro Aravena, gagnera le Pritzker Price (l’équivalent du prix nobel pour l’architecture) en grande partie grâce à ce projet innovant utilisant le principe d’autoconstruction «programmée autonome». Comme nous l’avons remarqué dans la partie précédente, il existe une corrélation entre les crises économique mondiales et l’autoconstruction et le coup de projecteur reçu par le projet Quinta Monroy en est une démonstration. Au début des années 2000, le gouvernement chilien commande un projet pour reloger une centaine de familles qui avait occupé un terrain de manière illégale durant plus de trente ans. L’idée était d’éviter qu’elles ne rejoignent ou ne recréent un nouveau quartier d’origine spontanée en leur proposant un logement proche de là où elles vivaient initialement. Seulement, le prix du terrain, pour être si bien placé était trois fois plus important qu’un terrain que l’État achète normalement pour de l’habitation d’intérêt social. Le budget (comme presque toujours pour les logements sociaux) était de 7500 dollars par famille et devait réussir à payer le terrain, les travaux urbains et l’architecture. Seulement avec le prix du terrain, les logement n’allaient pas pouvoir dépasser les 30 mètres carrés par famille, ce qui n’allait évidement pas être suffisant. Une des solutions aurait pu être de changer de terrain, afin de pouvoir investir sur une plus grande surface habitable, mais cela aurait signifié s’éloigner du centre de la ville et des opportunités de vie que celle-ci offre (travail, santé, éducation, transport). Face à ce dilemme, l’agence eut alors l’idée de s’inspirer des habitants des quartiers d’origine spontanée en utilisant le procédé d’autoconstruction sur une partie du projet.

Photo du projet avant et après l’autoconstruction, photo: Estudio Palma , Tadeuz Jalocha

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Photo du projet avant et après l’autoconstruction, photo: Estudio Palma , Tadeuz Jalocha

Nous avons vu dans la première partie de cette recherche qu’un des avantages de l’autoconstruction, est la flexibilité qu’elle offre en terme d’investissement à long terme pour ceux qui l’utilisent. On fractionne le chantier en plusieurs étapes, en fonction de l’argent que l’on possède, du temps et de l’espace que l’on dispose pour stocker les matériaux. Bien que cela amène une certaine précarité dans le logement, (la famille vivant alors dans un habitat-chantier), elle est aussi la raison pour laquelle les classes populaires «s’en sortent». Prendre ce principe issu de «l’informel» et l’appliquer à un projet architectural «formel» montre l’attention particulière qui a été portée aux quartiers d’origine spontanée. L’agence Elemental a donc décidé de construire la première moitié du logement avec 30 mètres carrés habitables concevant le projet de telle sorte qu’une extension verticale comme horizontale soient possible. La logique des architectes a été la suivante: cette aide de 7500 dollars sera sans doute la somme la plus haute que ces familles auront durant leur vie pour construire un logement, il fallait donc les investir de sorte à ce qu’il s’agisse d’un capital valorisable dans le temps. 45


«En résumé, quand l’argent ne suffit que pour la moitié, la question est de savoir quelle moitié est faite. Nous avons choisi de nous occuper de la moitié de ce qu’une famille individuelle ne peut jamais accomplir, peu importe le temps, les efforts ou l’argent qu’elle investit..» (ELEMENTAL, 2003) Le projet est ainsi divisé en quatre groupes d’environ 20 familles chacun, et dispose ainsi de quatre espaces collectifs où des interactions entre voisins peuvent exister, prenant ainsi en compte l’importance du tissu social dans les quartiers d’origine spontanée. Avec cette manière d’encadrer l’autoconstruction, l’agence ELEMENTAL a remis la question sur le devant de la scène, après les plans de logements qui n’ont pas connu de suite concrètes dans les pays émergents. Cependant, si l’on regarde l’état des édifices construits 12 ans après, on remarque que le lotissement n’a plus la même qualité: le besoin d’espace et le bon emplacement du quartier ont logiquement donné envie d’agrandir au maximum leurs propriétés aux habitants.

Vue aérienne du projet «Quinta Monroy» de Elental en 2015 photo: OnArchitecture

«L’état actuel de Quinta Monroy, en particulier des espaces extérieurs, contraste avec les images numériques élaborées par les architectes où la vie communautaire s’est développée de manière ordonnée et respectueuse, où les agrandissements ont été peu nombreux et où l’itinérance du plein et du vide est restée. Le temps et la réalité ont pris le dessus. Les quatre espaces collectifs n’existent pratiquement pas, ce sont aujourd’hui des lieux de stockage, des parkings ou des extensions improvisées d’habitations. Les espaces vides entre les résidences ont disparu. Les choses et les maisons s’empilent, il y manque de l’espace, de l’intimité, de la dignité et donc il y manque de qualité à nouveau.» (Fabián B. Di Giammarino, 2018)

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Projet «Quinta Monroy» de Elental en 2015 photo: OnArchitecture

On peut aussi remarquer l’usage de différentes sortes de bois et de tôles pour les toitures qui contraste avec le béton initial du projet, comme si le projet retrouvait soudainement une phase transitoire. L’endroit finit par ressembler de plus en plus à l’image que l’on se fait d’un quartier d’origine spontanée, on en vient à douter qu’un Pritzker a travaillé sur le projet et il parait évident que le manque de place ne pourra que s’intensifier. Se pose alors la question de l’entretien des projets autoconstruits dans le temps, à qui revient l’entretien des espaces collectifs ou l’entretien des façades: «ce qui est photographié est imprimé et le devenir dans le temps n’est plus la responsabilité ou l’intérêt des architectes. Ce contraste aéré des volumes et des vides montrés sur les photographies du projet récemment terminé sont ce qui est nécessaire pour suggérer une qualité spatiale, mais peu importe qu’en raison de la responsabilité de l’auteur certaines maisons se retrouvent sans intimité dans leur cour arrière, car un autre logement est placé juste au-dessus. Ou peut importe, encore une fois que lorsque l’utilisateur doit «compléter» la maison, il la transforme, comme cela a été suggéré par ces vides, en quelque chose similaires aux immeubles de logements sociaux délivrés par l’État chilien pendant la deuxième moitié du XXe» (Fabián B. Di Giammarino, 2018) Finalement, le projet de Quinta Monroy, avec son autoconstruction «programmée autonome» se confronte à la question de la légitimité de l’incitation à l’autoconstruction de la part d’un agent extérieur aux populations elles-mêmes comme les plans nationaux analysés dans la partie précédente. Cependant, même si il n’est pas une solution à long terme, il apporte une amélioration non-négligeable par apport aux conditions de vie initial des habitants déplacés. 47


Le collectif USINA au Brésil et le «mutirão autogerido» : entre autogestion et expérimentation Usina CTAH est un collectif brésilien d’appui technique (assessoria técnica) aux mouvements populaires (Sans Toit, Sans Terre…) basé à São Paulo et fondé en 1990 par des professionnels de divers champs : architectes, urbanistes, sociologues… Usina a participé à la conception et à la réalisation de plus de 5 000 logements, de plusieurs centres communautaires, écoles et crèches dans différentes villes et communautés rurales, principalement dans les Etats de São Paulo, du Minas Gerais et du Paraná. Le collectif a également travaillé sur le développement de plans d’urbanisme, sur des projets d’urbanisation de fa1 velas et aidé à la formation et à l’organisation de coopératives de travail. Le travail du collectif est basé sur le «mutirão», qui est une pratique héritée de la ruralité pouvant se définir comme un processus de travail collectif solidaire, basé sur les relations familiales, amicales ou de voisinage.

Réunion de chantier de la résidence Paulo Freire à São Paulo, source: www.usina-ctah.org.br 1 extrait du texte de présentation de la conférence « Usina CTAH (São Paulo) : une pratique politique de l’architecture au côté des mouvements de Sans Toits au Brésil », donnée par Joao Marcos de Almeida Lopes, architecte co-fondateur du collectif USINA CTAH, à l’École nationale supérieure d’architecture de Lyon le 06.04.2018. source : http://www.lyon.archi.fr/fr/conference-usina-ctah-2018

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Exemple de «mutirão» pour la résidence Nova Esperança, source: USINA

«Qu’il soit pour la construction de maisons ou pour le traitement de la récolte, dans le milieu rural, le mutirão, tradition qui disparaît graduellement, impliquait fréquemment, fêtes, danses et boissons lors d’un événement qui accompagnait la fin de la journée, ou du processus de travail. La fête servait de petite contribution pour ceux qui avaient aidé pour le chantier du proche, sachant que ce dernier rendrait le service lorsqu’il y aurait convocation d’un nouveau mutirão par un des proches présents.» (Maricato, 1982) La pratique du mutirão se retrouve alors dans les quartiers d’origine spontanée brésiliens sous forme d’autoconstruction avec entraide, comme une réminiscence de cette coutume ancestrale issue la ruralité. On le retrouve en particulier dans les étapes comme la mise en place de la dalle ou la pose du toit qui nécessitent une main d’œuvre importante. Le Brésil en vient même à institutionnaliser le phénomène via un dispositif formel d’autoconstruction assistée nommé «mutirão autogerido», inspiré des coopératives de logement uruguayennes basées sur la «Lei nacional de vivienda» de 1968. Ainsi, en 1982, sous l’impulsions de mouvements sociaux, de chercheurs et de responsables politiques locaux progressistes, la maire de São Paulo Luiza Erundina lance un vaste programme d’expérimentation pour la production de 12.000 logements. Des communautés d’habitants organisés en «association de construction» travaillent en coopération, co-production avec les «assessorias tecnicas» (collectifs de professionnels en charge du suivi technique et social, comme USINA par exemple) à toutes les étapes du projet: négociations avec l’institution, administration des ressources, choix du projet architectural, organisation du travail sur le chantier. En 2009, le mutirão autogerido sera même reconnu par le plan national de logement, même si aujourd’hui il en représente encore que 5% de la production du programme public de logement brésilien. 49


Manifestation pour le financement de la résidence Paulo Freire, source: USINA

Dans le cadre de ce stage recherche, ce type d’autoconstruction peut se définir comme «autoconstruction spontanée assistée», car bien qu’elle puisse paraître programmée, celle-ci se différence de par son caractère revendicatif initial. Dans divers projets, les collectifs d’habitants et USINA vont revendiquer un terrain et des financement pendant plusieurs années auprès de l’État. Les projets ne sont pas de l’initiative d’un agent extérieur, mais des populations elles-mêmes, une initiative du bas vers le haut donc (le fameux «bottom up»). «La devise de l’autogestion comme alternative pour l’organisation des travailleurs, toujours associée à un conflit pour la distribution des richesses produites socialement, à travers l’utilisation des terres publiques, des occupations et des manifestations de toutes sortes, apparaît avec cette condition historique particulière : elle charge une politique publique et en même temps refuse l’intervention de l’appareil d’État comme agent d’exécution (de haut en bas).» (USINA: Entre o projet e o canteiro, 2016) C’est dans cette perspective que la pratique du collectif USINA se différencie des autres types d’autoconstruction étudiés précédemment, car en combinant le caractère spontané d’une initiative populaire et l’engagement de professionnels de la construction, elle arrive à des résultats architecturaux et sociaux pérennes dans le temps. Un bon exemple est la «résidence Paulo Freire» (situé dans la périphérie Est de São Paulo) qui est une aujourd’hui une référence en matière d’autoconstruction grâce au processus de construction utilisé et la qualité spatiale du projet et au financements gagnés via manifestations. 50


«Après un processus long et ardu - qui comprenait des manifestations, des occupations et diverses négociations avec la mairie de São Paulo -, en 1999, enfin, depuis la fin de la gestion de Luiza Erundina (1989-1992), un groupe d’habitations du «Mouvement des Sans Terre» (MST) - lié à l’Union des «Movimentos de Moradia» (UMM-mouvement du droit au logement) -, a conquis un terrain pour produire des habitations via un système de mutirão.» (USINA CTAH - Revista Urbânia 3, São Paulo: Editora Pressa, 2008) Une autre caractéristique du collectif USINA, est d’expérimenter des techniques suivant une logique différente des chantiers traditionnels. Au lieu de mettre en premier plan le profit qui peut être généré par la construction, ils expérimentent des manières de faire mettant la sécurité des travailleurs et la fluidité du transport des matériaux. L’exemple le plus marquant est l’utilisation de structures métalliques avec escaliers intégrés qui remplacent la majorité des échafaudages dangereux et pénibles à monter sur les chantiers traditionnels. Les escaliers auront donc une double fonction: faciliter le processus de chantier, et servir de circulation pérenne pour les habitants de l’immeuble une fois construit. Un autre point intéressant est le choix en concertation avec les «mutirantes» d’entreprises de construction offrant de bonnes conditions de travail à leurs ouvriers:

Assemblage de la structure métallique de la résidence P.Freire, São Paulo, source: USINA

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«Un point important du projet - et l’un des aspects les plus importants du Mutirão Paulo Freire - a été l’adoption de la structure métallique de l’ensemble du bâtiment. Le processus de construction par mutirão a également bénéficié de ce choix. La préfabrication de la structure a permis d’accélérer le temps de travail, de faciliter l’exécution des étapes ultérieures et de diminuer et d’optimiser le travail du mutirão, dans la mesure où la structure métallique, en plus de servir de référence pour l’aplomb, les angles droits et les niveaux en générale, a également facilité le transport vertical des matériaux et la circulation des travailleurs - rendant le travail des travailleurs contractuels et des mutirantes plus sûr.» (Collectif USINA, 2015) Le fait que le collectif USINA engage des entreprises de construction professionnelles pour leurs chantiers montre qu’il est conscient que l’autoconstruction «pure» est un mythe et que la construction d’un logement digne nécessite forcément le recours à des experts. La part d’autoconstruction est d’environ 20% dans les chantiers, le reste du travail des futurs usagers se trouvant dans l’autogestion, choix du programme, co-production des plans, négociations avec les administrations pour le terrain et les financements, choix des entreprises... On retrouve en ce sens, quelque chose de similaire à «l’autopromotion» qui, comme nous l’avons vu, est finalement bien plus présente que l’autoconstruction dans les quartiers d’origine spontanée:

Photo de la circulation intérieure de la résidence Paulo Freire-SP source: USINA

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«Aujourd’hui la main d’œuvre est aux alentours de 20% du total du travail effectué. Nous avons entre 50 et 70% de la valeur de main d’œuvre qui est salariée par les des entreprises qui travaille sur le chantier durant la semaine, du fait que le mutirão ne s’effectue que le week-end» (Pedro Fiori Arantes, 2006) Cependant, comme tous les types d’autoconstruction étudiées dans ce rapport de stage recherche, ce collectif se confronte lui aussi à la question de l’extension de la journée de travail/sur-exploitation de la force de travail. Les membres du collectifs en sont conscients, et concèdent que le recours au 20% d’autoconstruction servant à faire baisser le prix du chantier et apporter de plus grands espaces aux habitants est le fruit d’une injustice politique. Pour le collectif USINA, le mutirão n’est pas tant une solution généralisable à l’ensemble de la production du logement qu’un lieu d’autogestion et d’émancipation pour les populations de milieu défavorisés. Pour eux, le projet de logement et son chantier contribuent à la formation politique des citoyens et à montrer qu’une autre manière de produire l’habitat populaire est possible. «Le mutirão autogerido n’est pas un modèle de politique universelle du logement et n’a jamais été présentée de cette manière. C’est un espace de résistance et d’organisation, d’expérimentation d’un nouveau type de pratique. Il n’y a pas de pouvoir populaire qui ne soit soutenu que par des marches, des occupations, des conventions, des programmes, des théories, il doit être effectué quotidiennement, en réponse à des besoins fondamentaux.» (USINA CTAH - Revista Urbânia 3, São Paulo: Editora Pressa, 2008) Finalement, l’autoconstruction spontanée assistée proposée par le collectif USINA de par son caractère revendicatif et l’auto-gestion qu’elle propose semble être celle qui prend le mieux en compte la complexité que cette pratique induit, comme le résume Sergio Ferro architecte brésilien réfugié à Grenoble lors de la dictature brésilienne, dont les écrits ont inspiré le collectif: «En premier lieu, il faut rappeler que l’autoconstruction collective (qui, déjà par le fait qu’elle soit collective se distingue des autres autoconstructions individuelles dominantes) peut remodeler les relations de production, comme le cas de Usina. Les projets sont débattus par tous les intéressés, il y a constante interaction entre les équipes, dilution des hiérarchies, participation de professionnels qui gagnent en compétence, atténuation de la division du travail, de produits néfastes à la santé.» (Sergio Ferro, 2016) 53


Conclusion L’autoconstruction produisant la majorité du logement des couches les plus défavorisées de la société dans les pays émergents relève de «quartiers d’origine spontanée», c’est-à-dire construits sans plan préalable et par apports successifs d’actions individuelles. Comme le souligne la géographe C. Christy Petropoulou: «Souvent, ces quartiers [...] restent longtemps dans des conditions précaires ; d’autres changent au fur et à mesure pour devenir des zones consolidées très denses de la ville et marquées par leur passé.» (Petropoulou, 2009, 11). De même pour l’historienne Charlotte Vorms: «de l’invasion de terres où l’on construit en une nuit des baraques à la division et la vente légale de lots non frappés d’interdit de construire, mais non viabilisés, sans qu’aucun tracé de rues n’ait préalablement été approuvé ni dessiné, il existe, toutefois, un large éventail de variations de cette urbanisation dite spontanée [...] : la légalité, le niveau d’équipement, la nature des constructions, le degré d’unité de conception à des échelles diverses, sont les plus marquants.» (Vorms, 2003) L’autoconstruction au sein des dynamiques de transformation des quartiers d’origine spontanée Cette variété de situations nous a conduit à restituer l’autoconstruction dans la dynamique de transformation des quartiers d’origine spontanée, c’est-àdire à mettre l’accent sur leur évolutivité (Petropoulou, 2009) réciproque. Le processus-type de cette autoconstruction évolutive peut ainsi être schématisé par les étapes suivantes:

1. édification de baraques abritant des intempéries, en grande partie autoconstruites dans l’urgence, sans savoir-faire parti- culier, avec un mélange de matériaux de récupération (bâches plastiques, tôles, tissus...) et naturels (bois, feuillages séchés, bambou...) ; 2. passage à la construction en «dur», conditionné par la diminution des risque naturels ou d’éviction pour les habitants. Cette étape mobilise l’emploi de techniques vernaculaires, par lesquelles de nouveaux arrivants d’origine rurale font appel à leurs savoir-faire et à leur culture d’origine. Le bloc de ciment possède aussi à cette étape un rôle économique clé par son «principe de modularité inhérent à la construction par blocs manuportables» (Canel, Girard, 1986) ; 3. consolidation dans la durée, à l’échelle du quartier dans le cadre d’un processus de reconnaissance légale par régularisations foncières et/ ou de travaux publics d’infrastructure, mais aussi 54


à l’échelle de la parcelle, sous forme de travaux individuels d’extension et de densification du bâti, d’amélioration du confort. Le rythme de ces transformations est conditionné pour les habitants, par une série de contraintes (possibilité d’achat et de stockage temporaire de nouveaux matériaux…) et « les points morts correspondent toujours aux moments de plus forte monétarisation des actions à engager pour poursuivre le projet constructif» (Canel, Girard, 1986). Ces dynamiques amènent par ailleurs à relativiser le terme «d’autoconstructeur». L’autoconstruction d’un logement nécessite en effet un travail d’équipe. Pour cela, les habitants font d’abord appel à l’entraide d’un cercle proche (famille, voisins, amis), puis à mesure de la consolidation et de la construction «en dur», mobilisent les compétences de travailleurs professionnels rémunérés (maçons, serruriers…), qui appartiennent eux-mêmes souvent à un cercle social ou spatial proche des futurs habitants (Laureau, 2014). En ce sens, les chercheurs ont mis en évidence un lien entre l’insertion des quartiers spontanés au marché de l’emploi et le recours au travail rémunéré dans l’autoconstruction (Vega-Centeno, 1990). Cette «monétarisation» des relations qui accompagne la consolidation des quartiers d’origine spontanée remet en question la notion d’autoconstruction «pure» . Elle s’accompagne aussi de deux autres processus : • le développement de petits promoteurs informels faisant construire des logements destinés à la location (Rochefort, 1988 ; Enrique, 2016). Ce processus qui relève d’une logique spéculative sert aussi d’amortisseur social aux nouveaux arrivants en favorisant leur accès à la ville, c’est-à-dire à un logement mais aussi à l’emploi ou à l’épargne ; • l’organisation de petites entreprises de construction et de filières de construction-revente de matériaux. Notamment au Brésil, des chaînes nationales de distribution offrant une large gamme de produits (pour la construction, la plomberie, l’électricité, le second œuvre ...) se développent, relayées par l’implantation de petits magasins locaux dans les grandes favelas (Enrique, 2016). La présence de matériaux préfabriqués (dalles, ferraillage, poteaux de béton...) y occupe une place importante et témoigne d’une industrialisation du marché de l’autoconstruction. Cette industrialisation tend à produire une certaine homogénéisation des processus constructifs, en même temps qu’elle s’adapte aux conditions économiques et de mise en œuvre particulières, telle l’utilisation de plus en plus courante de plaques de polystyrène plus légères et et plus facile à mettre en place que les dalles en terre cuite. En ce sens : «le matériau doit toujours être le moins cher possible, de manipulation facile, et est déterminé aussi par ce qui est proposé par le commerce le plus proche, ce qui prouve que l’offre et la distribution des matériaux sont aussi des facteurs déterminants dans la production du logement» (Maricato, 1982).

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Débats et références autour de l’autoconstruction accompagnée Bien que l’autoconstruction « spontanée autonome » reste la la plus courante, il nous a paru important de nous intéresser également à l’autoconstruction programmée et /ou assistée. L’étude de plusieurs exemples historiques et contemporains issus de plans de logement gouvernementaux ou de mouvements populaires auto-organisés nous ont ainsi permis de discuter les apports et les limites de ces formes expérimentales d’autoconstruction. La pratique de l’autoconstruction comme choix assumé pour palier au déficit de logements abordables fait l’objet, encore aujourd’hui, de débats théoriques et intellectuels. Au sein de ce débat, le temps personnel et le travail non rémunéré (ou «sur-travail») investis par les habitants dans la construction d’un logement comptent parmi les principaux arguments négatifs (De Oliveira, 1974 ; Pradilla, 1974). Encourager l’auto-construction, même assistée, aurait alors comme double effet « pervers » : d’inciter les entreprises à maintenir de très bas salaires pour leurs employés ; de dédouaner l’Etat d’une politique consistante en laissant les plus démunis résoudre eux-même le problème du logement populaire. Si la critique porte finalement sur la dimension subie, et non choisie, de l’autoconstruction, à l’inverse, plusieurs arguments positifs peuvent être mis en avant. Le premier est d’ordre économique : en éliminant le recours à des entreprises intermédiaires (immobilières, de construction), l’autoconstruction rendrait la production de logement moins coûteuse et l’usager pourrait luimême définir le rythme des investissements qu’il est capable d’assumer. Un deuxième argument est que l’autoconstruction, en associant le futur habitant dès la phase de planification, permettrait une meilleure appropriation du logement. Enfin, un troisième, d’ordre politique, est que l’autoconstruction, en relevant d’une forme d’autogestion, favoriserait l’émancipation des populations ; la prise en charge de la production de leur logement les rendraient autonomes de l’Etat et pro-actives politiquement. Les lectures nous ont permis d’aborder des exemples concrets de plans de logements alternatifs (Valladares, 1987) issus de programmes gouvernementaux. Avant 1950, ce sont les pays européens, étasuniens et russes qui en feront le plus usage pour palier au déficit de logements du début du siècle. Adoptée par tout le spectre des régimes politiques de l’époque et adaptée à leurs différents discours idéologiques, l’autoconstruction apparait alors comme un «caméléon politique» (Harris, 1999). Cependant, par pression des lobbys de l’industrie de la construction et par manque d’appui politique, ces plans ne ne connaîtront pas de réelle pérennité ; on préfère alors alimenter l’économie en donnant du travail aux ouvriers de l’industrie du bâtiment pour résoudre le problème du logement. 56


A partir de 1960, ce seront les pays émergents, via des entreprises privées comme la World Homes au Pérou puis via des organismes internationaux comme la Banque Mondiale, qui expérimenteront des plans de logements autoconstruits. Globalement, ceux-ci n’atteindront pas leurs objectifs initiaux, le rôle de l’auto-promotion et de la «monétarisation» dans l’édification des logements ayant été sous-estimés. Parce que la monétarisation n’a pas été initialement prise en compte, les projets ont pris du retard et dépassé les budgets prévus; en effet, pour atteindre le standing minimum d’un logement digne, le recours à de la main d’œuvre professionnelle reste indispensable. De plus, les projets trop isolés au sein d’une pénurie de logements abordables, seront ensuite victimes d’une spéculation immobilière. Dès qu’un quartier possède un certain nombre d’infrastructures et de logements habitables, la logique du marché fait augmenter les prix et contraint les plus pauvres à aller construire des bidonvilles plus loin. Ce sont alors les populations hors-cible (Canel, Girard, 1986), représentées par des citoyens extérieurs au projet initial ou par une minorité possédant déjà un certain capital économique, qui bénéficieront des plans de logements alternatifs. La lecture de textes historiques montre aussi une corrélation entre les initiatives d’autoconstruction et des périodes de fortes pénuries de logement dans les pays à économie capitaliste (Valladares, 1987) : épisodes de guerres détruisant les marchés immobiliers nationaux, crises économiques d’origine spéculatives, comme la Grande Dépression de 1929… La plupart de la bibliographie étudiée datant en majeure partie de la fin du 20ème siècle, nous avons choisi de clore ce rapport de stage recherche par une mise en perspective en nous focalisant sur deux expérimentations récentes utilisant le processus d’autoconstruction: • Le projet de Quinta Monroy livré par l’agence d’architecture chilienne Elemental en 2003, qui est aujourd’hui la référence la plus citée en matière d’autoconstruction. Ce projet témoigne d’une certaine connaissance des mécanismes d’autoconstruction à l’œuvre dans les quartiers d’origine spontanée, notamment parce qu’il a transposé les avantages apportés par la fragmentation de l’investissement dans le chantier, au sein un projet publiquement encadré. Le résultat architectural à long terme s’est finalement dégradé par une sur-densification du bâti par les habitants au sein d’un espace bien situé en ville. Ce projet d’autoconstruction programmée autonome se confronte ainsi comme ses prédécesseurs à la pression du marché (Valladares, 1987) et à l’argument du «sur-travail non-payé» (de Oliveira, 1974). Finalement, la corrélation entre crise économique et autoconstruction semble se confirmer au vu du retentissement connu par ce projet après la crise mondiale de 2008 ; 57


• La démarche du collectif USINA CTAH qui exerce au Brésil depuis 1990 et dont la particularité est de mettre en place une autoconstruction de type spontanée assistée, via le procédé institutionnalisé du «mutirão autogerido» (chantier participatif autogéré). L’autoconstruction d’USINA fonctionne de manière «bottom up» : les terrains et les financements des projets proviennent des revendications populaires de mouvements sociaux et non de l’État directement. De plus, la conception du projet et l’organisation du chantier sont fait en co-production entre les futurs usagers et le collectif de professionnels USINA CTAH, organisé en «assesoria technica» (collectif d’assistance technique). La valeur expérimentale de la démarche de ce collectif porte sur plusieurs aspects : la réduction de la pénibilité du travail et des risques d’accident sur le chantier ; la recherche de diminution des coûts de construction, couplée à la conception d’espaces plus importants que dans le logement social standard. Conscients du «sur-travail» représenté par l’autoconstruction, les membres d’USINA CTAH revendiquent cette forme de production de logement comme un choix par défaut, tant que le système économique brésilien continuera de produire autant d’inégalités sociales. Le mutirão autogerido est ainsi moins conçu comme une méthodologie généralisable à l’ensemble du pays que comme une expérimentation alternative à la production capitaliste du logement populaire.

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Ouverture Sans la prétention d’avoir appréhendé complètement le phénomène contemporain d’autoconstruction, ce rapport de recherche a plutôt permis de toucher du doigt la complexité des processus en jeu. Ainsi, des réserves sont à faire quant à l’exhaustivité des résultats : la durée du stage (deux mois) n’a permis qu’un travail bibliographique limité. La majeure partie des textes traitant spécifiquement des aspects architecturaux de l’autoconstruction (matérialité, organisation du chantier, évolution du bâti...) s’est avérée relativement ancienne, écrite entre 1970 et 1990. De plus, il fut compliqué de mener à bien la visée comparative initiale souhaitée entre l’Amérique Latine, l’Afrique Subsaharienne et l’Inde, du fait d’un manque de documents à la fois actuels et relevant du même niveau d’information. La sous-partie traitant du marché de l’autoconstruction est représentative de cette difficulté : nous n’avons pas trouvé de documents traitant spécifiquement de ce thème pour l’Afrique Subsaharienne ou l’Inde, malgré l’importance de ces informations pour la compréhension du processus d‘autoconstruction. Ainsi, pour qu’une analyse comparative rigoureuse et actualisée soit possible, un travail de recherche incluant des enquêtes de terrain sur des villes aux caractéristiques initiales communes (nombre d’habitants, date de création du bidonville proche, niveau d’industrialisation de la ville...) serait pertinent. Une autre ouverture possible résiderait dans une étude des différents moyens permettant d’assister efficacement le processus d’autoconstruction: il serait pour cela utile d’analyser les manuels de bonnes pratiques (dont quelques références se trouvent dans la bibliographie finale du rapport), ou encore les inventions technologiques facilitant le chantier. Enfin, comme l’approche historique nous l’a appris, il existe une corrélation entre crises du logement et initiatives d’autoconstruction. En ce sens, l’augmentation prévisible des catastrophes naturelles (tremblements de terre, tsunami, cyclone...) dues au réchauffement climatique provoquera sans doute des pénuries de logements de plus en plus intenses et fréquentes. Une ouverture possible de ce stage recherche pourrait donc porter sur le rôle et les potentiels de l’autoconstruction pour les camps de réfugiés post-catastrophes. Pour conclure, au vu de la tendance générale annoncée par le dernier rapport de l’ONU-Habitat de 2016, le nombre d’habitants des bidonvilles devrait quasiment doubler d’ici 2050. L’autoconstruction devrait ainsi être amenée à jouer un rôle décisif pour les conditions de vies de presque deux milliards de personnes dans trente ans à peine. Malgré les débats et polémiques qu’elle suscite, la recherche scientifique d’une autoconstruction assistée de qualité semble donc, aujourd’hui plus que jamais, d’une importance sans précédent pour l’architecture de demain. 59


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