Autoconstruction participative en communauté rurale #3: La Maison de l'Autoconstruction - Notice PFE

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CONSTRUCTION

en

PARTICIPATIVE

COMMUNAUTÉ

#3

Les nouvelles frontières

du métier d’architecte

À TISSER LE REGARD / ATTISER LE REGARD

La Maison de l’Autoconstruction d’Armenia Mantequilla

ÉTUD. MEJIA RIOS Adrien UNIT UE101A - PROJET 10 PFE - MEM (My Ethique Maïeutique)

PROJ

DE.PFE DE.MEM

VASSAL William MORLE Estelle

MARCH ARCH

S10 DEM ALT 17-18 Promo

© ENSAL

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Autoconstruction participative en communauté rurale: La Maison de l’Autoconstruction d’Armenia Mantequilla.

À TISSER LE REGARD ATTISER LE REGARD

Rapport de Projet de Fin d’Étude écrit par : Adrien MEJIA RIOS, ou plutôt Adriæn MEJÍA MEJÍA RIOS NARANJO*. Soutenance le vendredi 26 Juin 2018 À l’École Nationale Supérieure d’Architecture de Lyon.

*nom complet colombien

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SOMMAIRE

PRÉLUDE

- Entre deux mondes

1 - Un cadre particulier - Colombia, Antioquia, Armenia 2 - Carnet de Voyage - Un voyage pour écouter 3 - Intentions architecturales - La Maison de l’Autoconstruction POSTLUDE - Entre deux métiers

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PRÉLUDE

*logo de l’année France-Colombie en 2017

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ENTRE DEUX MONDES Fils de deux parents réfugiés politiques colombiens, c’est entre la France et la Colombie que mon identité s’est forgée. Quoi de plus naturel alors, que celle de mon projet de fin d’étude le soit tout autant: le domaine d’étude ALT de l’ENSAL, en laissant à ses étudiants le choix du thème de PFE, a permit que ce naturel devienne réel. Le village d’Armenia Mantequilla, est en quelque sorte mon village «adoptif», c’est surtout le village natale de ma mère qui y cultive du café depuis cinq ans maintenant. Avant elle, mon grand père était lui aussi caféiculteur et avant lui, ses ancêtres sont cités parmis les fondateurs du village. Après avoir connu une période florissante - lorsque la culture du café se portait bien - le village a fini par connaître un exode rurale compliqué. J’ai voulu traiter via ce PFE de la question de l’architecture comme vecteur d’émancipation paysanne via un “chantier-école” fait en autoconstruction avec la communauté et des matériaux locaux. Le but étant à long terme d’aider à trouver son autonomie à ce village que l’on aime surnommer, non sans une pointe de chauvinisme : “la succursale du paradis”.

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UN CADRE PARTICULIER

“Il faut commencer par le tout début et faire naître vos constructions de la vie quotidienne des gens qui vivront là, façonnant vos maisons au rythme de leurs chants, tissant pour ainsi dire la trame du village sur ses activités, attentif aux arbres, aux récoltes qui pousseront là, respectueux de la ligne d’horizon et humble devant les saisons.” (Hassan Fathy, 1967)

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Le pays dans le continent

Le département dans le pays

La municipalité dans le département

La village dans la municipalité

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COLOMBIA ANTIOQUIA ARMENIA Avant toute chose, il est important de situer rapidement le contexte géographique particulier dans lequel se place ce projet de fin d’étude. La Colombie est un pays d’un peu moins de 50 millions d’habitants avec pourtant une superficie de presque 2 fois et demi la France. Il y a seulement un an et demi, des accords de paix historiques ont mit fin à plus de 53 années de guerre civile. Comme beaucoup d’anciens pays colonisés, la Colombie n’est pas gagnante dans le jeu de la mondialisation et possède encore 20% de sa population vivant sous le seuil de pauvreté, malgré énormément de richesses naturelles et de terres fertiles. Nous nous situons dans le département d’Antioquia, qui possède comme capitale Medellin, la deuxième ville la plus peuplée du pays. Et c’est parmis les 125 municipalités qui compose ce territoire, que se trouve un village qui résiste encore et toujours à l’envahisseur: Armenia.

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Armenia Mantequilla Ou plutôt Armenia “Mantequilla” (beurre en espagnol), car à l’époque de la découverte de la montagne où se trouve le village, des arbres typiques de la régions nommés “yarumos blancos” y étaient présents en abondance et leurs feuilles blanches, au loin, ressemblaient à s’y méprendre à des boules de beurre comme il en était vendu à l’époque coloniale. Si l’on se fiait au seulement 50km à vol d’oiseau qui sépare Armenia de Medellin, on pourrait penser que le village est facilement accessible. C’est sans compter sur la Cordillère des Andes, ses topographies complexes et la route menant au village seulement à moitié goudronnée. Si proche mais si loin donc, ce village se retrouve finalement assez isolé du reste du pays. Cette distance amène des prix excessivement élevés lorsqu’il s’agit de produits importés et complique le tourisme. La municipalité est composée d’environ 4500 habitants dont 1500 vivant dans la zone «urbaine» (le village principal) et le reste de la population étant répartie dans les 11 hameaux.

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Un «village-rue»

Armenia Mantequilla possède la structure typique des village «paisa» (nom donné aux habitants du département de Antioquia) qui eux même suivent l’organisation typique des villages espagnoles traditionnels. Au centre se trouve l’église, qui préside le parc principal et, autour du parc, la mairie. Les rues principales du village partent du parc, normalement alignées mènent toutes au parc. Ce dernier est l’élément essentiel de la vie du village «paisa» traditionnel, en tant que lieu de rencontre et de festivités populaires et religieuses. Le village a la particularité d’avoir sa rue principal qui suit le fil de la montagne la plus haute de la municipalité, (1800 mètres d’altitude) ce qui en fait une sorte de «village rue». Sa position a été choisie car elle lui permet d’avoir les meilleures vues de la région et à la fois d’être facile repérable depuis les montagnes environantes grâce à son église qui est le symbole du village.

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Une ruralité déclinante La municipalité a connue une période de prospérité économique au milieu du XXe siècle lorsque des cultures comme le café et la canne à sucre étaient majoritaires car elles demandent beaucoup de main d’oeuvre ce qui générait des emplois agricoles. Avec la mondialisation et la concurrence d’autres pays produisant ces mêmes denrées, ces cultures n’étant plus aussi rentables, ont fini par diminuer. En même temps, la Colombie rentrait dans une période de guerre civile qui a obligé beaucoup de paysans à fuir ou vendre leur terre. Ces dernières ont été rachetées par des propriétaires terriens qui ont remplacé l’agriculture par des pâturages destinés à l’élevage extensif de bétails qui sont plus rentables. Mais les animaux nécessitent beaucoup moins de soins qu’une plante et ne génèrent que très peu d’emplois, ces élevages sont donc un facteurs d’exclusion pour les paysans les plus démunis. Ajouté à cela la violence de groupes paramilitaires, et vous comprenez comment ce village, comme beaucoup d’autres en Colombie, a subi un exode rural si violent. En terme d’agriculture vivrière, la municipalité possède un fort potentiel de diversification des cultures grâce à sa topographie (de 1800 jusqu’à 500 mètres au dessus du niveau de la mer) qui lui permet d’avoir plusieurs climats. Malgré ces conditions climatiques favorables, la culture de denrées n’étant pas assez rentable, les villageois finissent par importer des fruits et légumes quitte à perdre leur autonomie alimentaire.

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Des savoir-faire ancestraux perdus À l’origine du village, l’architecture vernaculaire était un mélange des constructions indigènes en terre/bambou et de l’architecture coloniale espagnole. Après la révolution industrielle les nouvelles constructions ont fini par être seulement faite de béton ou de brique. Le village a la chance d’avoir la meilleure espèce au monde de bambou pour l’architecture: la Guadua Angustifolia Kunth (1), qui est une espèce de bambou géant. De par ses racines en rhizome elle se propage de partout dans les montagnes environnantes, cependant elle n’est pas exploitée à sa juste valeur. Le bambou nécéssite un savoir-faire particulier pour qu’il devienne un matériau pérenne dans le temps, si il n’est pas traité et que les connections ne sont pas soignées il finit par pourrir et se faire ronger les insectes (3). Aujourd’hui les habitants utilisent uniquement pour des installations éphèmères (2) comme des stands pour des fêtes de village ou des cabanons par exemple. Les construction en pisé ont elles aussi fini par être délaissées peu à peu, au point que certaines maisons finissent par tomber en ruine. Boucher un mur en pisé avec du béton (4), est une erreure classique qui peut empirer l’état du mur et prouve que le savoir-faire a été perdu.

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CARNET DE VOYAGE C’est par un premier voyage en Colombie fin octobre, que j’ai pu aller à la rencontre des différents acteurs du village et faire l’analyse préliminaire au projet. À la fin de chaque journée passée au village, je tentais de prendre du recul et d’écrire sur ce qui s’était passé dans un carnet. Cette deuxième partie n’est pas la retranscription exacte de ce carnet, mais un résumé qui permet de comprendre le cheminement de ma réflexion basé sur ce qu’ont exprimé les habitants de la municipalité. L’analyse étant basé sur des conversations et des ressentis qui me sont propre, je me suis permis d’écrire ces quelques lignes à la première personne, sous la forme d’un récit fidel à mon carnet de voyage.

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Un voyage pour écouter Au début de cette dernière année universitaire, pendant que j’écrivais mon mémoire, je me suis rendu compte qu’une des choses principales des différents architectes que j’étudiais était le fait qu’ils mettaient tous l’humain au coeur de leur architecture. L’architecture qu’ils proposaient était née de la rencontres avec les populations locales, inspirée des territoires environnants, avec l’envie d’apporter une amélioration pérenne dans la vie de ces communautés rurales. Très peu de temps après le début du premier semestre, j’ai senti que si je n’allais pas très vite en Colombie, rencontrer les paysans et les paysannes qui peuplaient ce bout de Cordillère, mon projet ne pourrait pas réellement commencer. Je n’avais ni terrain ni programme, et je ne voulais pas passer mon premier semestre à faire des recherches lointaines sur mon village. J’ai donc décidé de prendre les quelques économies que j’avais et d’emprunter l’argent manquant pour acheter mon billet Paris-Bogota. Pour des raisons de prix de billets moins onéreux, et d’obligations de cours et de jobs étudiants en France, le voyage n’allait durer que 13 jours en tout. Le temps d’aller de la capitale jusqu’à Medellin puis jusqu’au village, je n’allais avoir que huit jours sur le site pour trouver un terrain constructible et un programme qui fasse sens. Avant le départ, j’ai été conseillé par Nadine Ribet (anthropologue associée du DEM ALT), elle me dit d’aller en priorité pour écouter ce que les gens avaient à dire sur leurs conditions de vies et sur le village. De ce qu’ils allaient dire, allait naître le projet, mais il ne fallait pas non plus tomber dans l’excès inverse et prendre au pied de la lettre toutes les demandes et souhaits qui allaient m’être formulés. J’allais devoir lire entre les lignes, écouter entre les syllabes pour tenter de faire ressortir une idée de projet qui soit pertinente. Une chose dont on ne se rend pas forcément compte, depuis un pays économiquement développé comme la France, c’est à quel point, lorsque l’on arrive dans une zone rurale où si peu d’opportunité de vies sont offertes à la population, on peut attiser l’espoir. Je voulais donc être prudent et ne pas m’engager ni promettre quoi que ce soit avant d’être sûr de mon choix de projet. Lorsque je suis arrivé au village, j’ai tout de suite pris un rendez-vous avec le Maire - Gabriel Jaime Barrera - car il allait sans doute pouvoir me donner de pistes de projets, et éventuellement un terrain municipal constructible. Je n’ai pu avoir le rendez-vous que deux jours avant mon départ, ce qui n’était pas plus mal, car me laissant le temps de me faire ma propre idée de la situation sans être directement influencé par la sienne. 25


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Un événement qui a été marquant lors de mon séjour a été ma participation à l’assemblée générale de la Junta de Acción Comunal (association communautaire de hameau) de “La Cancha”. Chaque hameau de la municipalité s’organise en groupe de voisins et organise tous les lundi après-midi ce qu’on appelle des “mingas” qui sont des travaux communautaires d’intérêt commun. Cela peut être du désherbage des routes, des réparations de voiries ou la pose et l’entretien de barrières en bois pour bien délimiter les différentes propriétés. Pendant l’assemblée générale, deux fonctionnaires de la mairie étaient présents et ont donner la parole aux habitants qui avaient des remarques. Beaucoup de paysannes et paysans ont pris la parole pour réclamer une aide, parler d’un toit qui était sur le point de tomber, d’un mur ou d’un sol fissuré. La région est souvent victime de léger tremblement de terre, et les murs issus de matériaux industrialisés comme le béton et la brique y résistent mal. Normalement la marie est censée apporter un soutien technique, économique ou matériel à ces familles dont les maisons sont dans des états qui pourraient mettre leur vie en péril. Le fonctionnaire présent répond que la mairie fait ce qu’elle peut et qu’elle essaye de faire en sorte d’aider tout le monde, mais qu’elle possède des ressources limitées de par la petite taille de la municipalité. J’ai tout de suite pensé à ce tremblement de terre violent qui a frappé une ville du département du “Quindio” (qui se nomme Armenia également) : toutes les maisons des classes sociales les plus aisées sont tombées extrêmement rapidement, tandis que les maisons vernaculaires faites en terre et en bambou ont “dansé avec la Terre” grâce à la résistance en flexion du bambou. Ce tremblement de terre a été une preuve empirique, que ces deux matériaux locaux étaient plus adaptés, à des régions sismiques. Mais avec la révolution industrielle, et l’apparition du béton et de la brique, posséder une maison en terre et en bambou devenait signe de pauvreté, on ne veut plus l’utiliser que pour garder les animaux ou stocker des outils. Aujourd’hui grâce à des architectures comme celle de Simon Velez, l’image du bambou change, mais il y a encore beaucoup de travail à effectuer pour que la redorer réellement au point que les paysans ré-apprennent ces techniques et les utilisent dans leur quotidien.

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Après cette assemblée générale, j’ai tenté de discuter avec le plus d’habitants possible durant ces huit jours, en demandant un rendez-vous lorsqu’il s’agissait de fonctionnaires de la mairie ou de délégués d’associations communautaires, d’autres fois de manière spontanée, sur la place du village ou dans un café. De tous ces échanges sont ressortis énormément d’idées de projet : les membres de l’association de caféiculteurs proposaient de créer une “maison du café” ; les chargés de développement agricole du village pensaient à l’idée d’avoir un marché couvert avec un centre de stockage pour favoriser l’agriculture vivrière locale ; la plupart des associations des hameaux demandaient à avoir une maison communautaire pour se réunir et y développer leur activités ; certains fonctionnaires de la mairie évoquaient le fait que certaines écoles de la municipalité pourraient être réhabilitées. Une requête assez récurrente, et qui je l’avoue, m’a perturbé, était lorsque qu’on me demandait de l’aide pour un projet personnel : réparer les murs d’une maison fissurés, construire un cabanon pour stocker des outils dans l’idée de gagner de la place dans la maison, ou même construire une extension de maison. Cela m’a perturbé car je venais avec l’idée d’un projet collectif, donc un programme qui serait d’intérêt commun, et je me retrouvais à faire face à des demandes individuelles d’intérêt privé. Pourtant, lorsque je présentais l’idée, je parlais bien d’un projet “qui aide à améliorer la vie de tous le village”, mais rien n’y faisait, les demandes individuelles se présentaient quand même. On pourrait penser hâtivement, que c’est une forme d’égoïsme et que les gens ne pensent qu’à leur amélioration personnelle. Mais rappelons nous du niveau de précarité dans les zones rurales colombiennes, et que lorsque l’on a un mur sur le point de s’effondrer chez soi, il n’est pas évident de penser que la prochaine construction soit une maison du café, ou un marché couvert. J’ai donc décidé de prendre en compte, avec autant de légitimité, ces demandes individuelles dans ma réflexion sur le choix du programme de mon projet de fin d’étude.

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J’avais donc différentes idées de projet en tête mais je ne savais pas laquelle choisir, laquelle était la plus pertinente ou la plus urgente pour aider le village. Avec toutes ces idées de projet, j’étais face à un dilemme: si je devais construire la maison communautaire d’un hameau, pourquoi un et pas les 10 autres? Si je construisais un centre pour l’association des caféiculteurs, ne serait-ce pas les privilégier aussi par rapport à d’autres? Idem pour le marché couvert, pourquoi ce projet et pas un autre finalement? J’avais la sensation que je voulais aider le plus de monde possible, que je ne voulais avantager aucun habitant plus que les autres et pourtant je devais choisir un programme. Juste avant d’aller rencontrer le Maire, j’ai discuté d’architecture en bambou avec Arley, le vendeur de fruits et légumes du village qui me demande mon aide, pour construire un cabanon afin d’y stocker ses outils. Il m’explique qu’il le fait déjà en bambou mais qu’il doit le reconstruire tous les six mois car les insectes et l’eau finissent par ronger sa construction. Il termine par me dire cette phrase qui m’a marquée : “Je veux bien construire en bambou, donne moi juste quelques bon conseils et le matériel approprié et je te construis une petite merveille”. C’est après cette conversation avec Arley, que l’idée a surgit, et si, au lieu de ne produire qu’un bâtiment, qui servira que pour un hameau, ou pour une partie seulement de la population, nous construisions un endroit qui nous permettrait de construire tous les autres dont nous aurons ensuite besoin ? Le bambou et la terre sont des ressources à exploiter, mais il nous faut un endroit où on aurait l’espace, les machines et les outils pour se les réapproprier. L’idée du programme est née de cette dernière conversation juste avant ma rencontre avec le maire, il nous faudrait un atelier où des cours théoriques et pratiques seraient donnés et où l’on pourrait transformer la terre et le bambou pour les faire devenir des matériaux qui soient durables dans le temps. Car après tout, c’est de cela qu’il s’agit, réussir à atteindre une certain niveau d’autonomie constructive, et pas seulement trouver les financements pour réussir à construire un édifice, et repartir de zéro à nouveau. Et c’est là tout l’intérêt de construire en terre et en bambou, il ne s’agit pas d’une mode ou même d’une question de préférence architecturale subjective.

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Lorsque j’ai parlé de l’idée au maire, il a tout de suite adhéré, pour lui, un des problèmes majeurs du village est l’inertie qui existe dans l’attitude de beaucoup d’habitants. “Il faut qu’on apprenne à pêcher, pas que l’on nous donne le poisson” ce proverbe qu’il a prononcé m’a confirmé que l’on était bien dans la même optique. Mais dès que j’ai commencé à lui parler du terrain, son regard à changé: “nous n’avons plus de terrains municipaux disponibles, la loi nous oblige à céder le dernier pour la création d’une caserne de pompier”. Je lui parle des différents terrains vides présents autour et dans le village, mais il me répond qu’ils appartiennent à des propriétaires qui ne les vendraient que pour très cher. Il me propose de contacter les propriétaires un par un, en présentant le projet pour tenter de faire baisser le prix, mais d’un coup ses yeux s’ouvrent en grand, il se lève, ouvre la fenêtre et me demande de venir. Il me montre alors l’arrière de la mairie qui possède un terrain délaissé d’environ 8 par 20 mètres - parfait pour le projet. À ce moment là, tout devient possible, il me propose de retourner en France dessiner le projet et de revenir ensuite pour qu’on puisse ensuite aller chercher ensemble des financements pour démarrer le chantier. Lors d’un deuxième voyage en Colombie en décembre, j’ai trouvé une entreprise de construction nommée “Tierra y bambu” qui accepta de m’aider pour le projet. Un des fondateurs de l’entreprise Filemon, est même venu avec moi jusqu’au village pour une rencontre avec le maire dans laquelle ce dernier confirma son enthousiasme pour le projet. Je n’avais ni de terrain ni de programme lorsque je suis arrivé, ce voyage m’a confirmé que c’est en allant rencontrer les «experts d’usage», en sortant de ma zone de confort que ce projet pouvait prendre forme.

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INTENTIONS ARCHITECTURALES

“C’est par la transformation de microréalités, dans la mesure où celles-ci peuvent s’insérer progressivement dans une cohérence plus globale, que l’autonomisation des gens vivant en situation de précarité marquée prend véritablement un sens. Ainsi, le peu d’argent que les couches défavorisées parviennent à trouver pour survivre peut très bien être associé provisoirement à d’autres ressources, venant de l’extérieur, avec pour objectif de promouvoir un micro-processus d’accroissement de qualité de la vie locale.” (Pierre Rossel et Michel Bassand, 1988)

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Un terrain privilégié

Le terrain mis à disposition est placé au pied de la façade arrière de la mairie qui regarde le paysage. Le terrain mesure 7,6m par 19,5m, et possède donc une longueur adéquate pour l’atelier de bambou, les tiges de bambou pouvant atteindre jusqu’à 6m de long il était préférable que le terrain s’étende en longueur. Attenant à la mairie, lieu du «bien commun» par excellence, le projet sera symboliquement plus fort. Deux accès sont possibles : soit par la rue «uribe-uribe» se trouvant en contre-bas de la place, soit par la mairie directement. L’entrée principale située sur la place dessine un axe traversant, donnant jusqu’au terrain du projet, situé à un demi niveau inférieur. Ce point de vue offre une vue généreuse sur la Cordillère des Andes et le «Rio Cauca» (un des principaux fleuves de Colombie).

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“Une technologie réellement appropriée n’est pas une technologie rustique; mais une technologie qui provoque le passage d’une dépendance à une autre dépendance, mais de caractère moins marqué. L’autoconstruction apparaît donc comme le terrain d’édification de l’autonomie par excellence. Mais elle s’accomplit dans un contexte tellement défavorable, que la formule la plus réaliste est encore celle de l’autoconstruction assistée ; pour autant que l’assistance prenne une forme localisée, temporaire et circulante. C’est, semble-t-il, le prix à payer, le « risque » à prendre pour que puissent émerger les préconditions d’un changement en profondeur. Autrement dit le mélange des genres n’est pas forcément incompatible avec l’essor d’une définition collective et endogène véritable de la forme que doivent prendre l’amélioration de la qualité de vie et les réalisations participatives qui en découleraient.” (Pierre Rossel et Michel Bassand, 1988)

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autoconstruction &a u t o n o m i e

Comme une mise en abîme, la Maison de l’Autoconstruction sera construite le plus possible en autoconstruction. Lors d’un «chantier-école» dirigé grâce à l’aide de l’entreprise de construction «tierra & bambu», le jeune architecte, autant que les paysan·ne·s, apprendront directement en faisant. Ce processus influencera le choix des techniques constructives et des matériaux utilisés. L’autoconstruction permettra en plus d’économiser de l’argent sur la main d’oeuvre, de transmettre et diffuser le savoir et savoir-faire nécéssaire à l’autonomie des futur paysan-autoconstructeur. Elle permettra aussi de faciliter l’entretien du bâtiment pas les usagers, qui sauront comment il a été construit et comment le réparer lorsque l’usure du temps se fera sentir. Finalement, il amenera un sentiment de satisfaction, et de fierté aux habitants du village qui se l’appropieront d’autant plus facilement car il sera le fruit de leur travail et les racines de leurs travaux futurs.

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inspirations vernaculaires Le vernaculaire de la région sera une source d’inspiration forte pour le projet, autant au niveau de la matérialité, de la technique ou bien même spatialement. La maison «paisa» se caractérise d’abord par un couloir extérieur considéré comme un espace mi-public miprivé, c’est le lieu d’interaction premier des habitants de la maison avec les autres habitants du village. On s’y assoit et on y invite les voisins à boire une boisson fraîche pour échanger sur tous les sujets inhérents à la vie du village. Un autre élément fondateur de la région est le patio ou cour intérieure, où l’on peut profiter de l’extérieur, sans être vu par le reste du village. Les murs en pisé, très épais, sont aussi souvent «habité», une fois le linteau de la fenêtre placé, on y ajoute des assises pour pouvoir y boire le café tout en gardant un œil sur ce qui se passe à l’extérieur, sans pour autant être vu.

“A tous les niveaux, la “nouvelle architecture vernaculaire” [...] en restituant sa place à une production manuelle, artisanale, tactile et sensuelle du bâti, en plaçant au cœur de ses préoccupations une force de travail abondante et généralement pauvre, réinstalle sur le devant de la scène architecturale des matériaux oubliés : maçonneries de terre ou de chaux, tabby et beaucoup d’autres, qui stimulent tous des mises en œuvre littéralement amoureuses. [...] La production du bâti par cette force de travail impliquée dans la finalité sociale de l’édifice en construction rétablit les liens qui favorisent deux processus chez ses habitants : ils peuvent s’y reconnaître et se l’approprier.“ (Pierre Frey, 2010) 49


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À tisser le regard A t i s s e r le regard

Le projet fera en sorte, via une scénographie en bambou, d’attiser le regard depuis la place du village afin d’inviter à entrer dans la mairie et de continuer jusqu’à la Maison de l’Autoconstruction. La façade arrière sera revitalisée avec une économie de moyen, il s’agira de tisser la façade avec des lamelles de bambou en y installant ensuite une plante grimpante qui viendra la végétaliser dans le but d’éviter l’achat d’une peinture chimique et coûteuse. Pour ce qui est du projet en lui même, l’édifice se basera sur un rez-dechaussée dédié au «savoir-faire» avec l’atelier de bambou, fait principalement de terre, puis s’élèvera sur un premier étage dédié au «savoir» avec la salle de cours théoriques, en construction hybride terre crue/bambou, avant d’être couronné de son belvédère de bambou, finalement dédié au «voir». À tisser bambou et terre, le projet attisera le regard et créera du lien : entre paysan et paysage, vernaculaire et contemporain, architectural et rural.

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Maquette concept

Depuis la place, une scénographie en bambou qui attise le regard.

De l’autre côté de la mairie, le bambou est tissé avec d’autres matériaux et s’ouvre au paysage.

Un seul élément qui traversse la mairie et qui créé du lien. 53


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Élaborations connections de bambous

Les connections en bambou seront soignés et enseignées au préalable grâce à des cours collectifs données sur la place du village. Les connections seront faites en utilisant des outils simples, facilement reproductibles pour les futur-chantier des paysans autoconstructeurs. Un bambou bien traité et une connection soignée est la base d’une architecture en bambou pérenne, la maison de l’Autoconstruction sera le lieu de propagation de ce savoir.

“De ce fait, des matières telles que la pierre ou le bois, avec leurs techniques et des savoirs constructifs traditionnels se représentent à l’architecte, non pas en tant que matériau d’œuvre ou technique immédiatement réutilisable dans l’économie contemporaine – l’élément usiné, pliable, coffrable, ductile qui permet d’exécuter le projet mais à l’état de ressources à façonner, littéralement - et il est temps de rappeler que le terme “ressource” provient de l’ancien verbe “resourdre” qui signifie ressusciter, relever, remettre sur pied. L’impératif écologique et politique de l’écoconstruction demande en fait que l’on reconstruise tout un nouveau savoir scientifique et technique, par le biais de processus à rénover ou inventer, ceci à partir de matières qui sont à l’état de ressources : matières utiles mais qu’il faut considérer, analyser, configurer avant de pouvoir les utiliser.” (Revedin, 2017) 55


“A première vue, les problèmes à résoudre sont d’ordre strictement technique. Pourtant, à travers des toits à reconstruire, des aspects fonciers à régulariser, un sous-sol à assainir, il importe de pouvoir amorcer des micro-processus techniques, sociaux, économiques et culturels à travers lesquels le savoirfaire informel puisse circuler, le savoir faire professionnel se diffuser, la confiance renaître, la communication se développer, les préjugés disparaître, les rôles dévolus aux deux sexes se modifier, l’enthousiasme laisser espérer d’autres envies, d’autres réalisations. Enfin, il s’agit de faire émerger une capacité d’expression et de conscience identitaire collectives. [...] L’approche esquissée ici, dans ses grandes lignes, vise non pas à proposer une aide ponctuelle, débouchant sur la suppression de carences spectaculaires, mais à encourager indirectement une catalyse, c’est-à-dire une animation socioéconomique, technique et culturelle susceptible de susciter un effet d’entraînement à plusieurs niveaux. Il va de soi que ce type de projet, en grande partie mûri à l’extérieur de la communauté, voire du pays, ne peut s’orienter vers une participation véritable, et en conséquence une efficacité réelle, que dans la mesure où en même temps que les questions techniques, sont pris en considération les enjeux communicationnels, les collaborations et les possibilités de diffusion de savoirs et d’expériences. Pour que le projet existe et prenne corps, il importe que les pouvoirs, voire les contre-pouvoirs locaux, soient mis à contribution, ce qui est nécessairement une étape délicate. Pour qu’il se concrétise et atteigne sa masse critique, il faut que les associations de quartier et les réseaux déjà agissants se mobilisent et se sentent responsables de ce qui leur arrive. Un travail d’animation est donc nécessaire, un travail qui doit s’occuper d’aspects politico-culturels, mais toujours en prenant appui sur des tâches concrètes à résoudre, qu’il s’agisse de l’établissement d’une coopérative d’achat de matériaux, du prêt « rotatif » d’outils pour la perforation des puits ou de la création d’un foyer pour adolescents. Si la progression de la situation implique plusieurs niveaux et champs d’activités entremêlés, la notion d’autonomie se présente constamment sous forme paradoxale. C’est en effet souvent au prix d’une concession initiale, clé à l’indépendance d’un individu ou d’un groupe que cet individu ou ce groupe pourra, dans un deuxième temps, manifester davantage de créativité et d’initiative propres, voire servir de soutien et/ou de modèle à d’autres.» (Pierre Rossel et Michel Bassand, 1988)

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Retour critique Le fait de concevoir un projet de developpement dans un pays extérieur à la France a rendu l’exercice compliqué, autant pour la communication avec l’entreprise de construction que pour échanger sur le projet avec les habitants. De plus, je pense que le bon fonctionnement du projet, surpasse même le dessin architectural, et prend en compte une animation de la population (comme l’explique le texte ci-joint) que je n’ai pas encore eu le temps de préparer. Vouloir faire un projet «participatif», qui prend en compte les besoins des futurs-usagers, sans connaitre exactement ces usagers peut aussi parraitre contradictoire. À l’heure où j’écris ces lignes, dans quatre mois je serai de retour au village pour le présenter aux habitants et à l’entreprise de construction «tierra y bambu». À ce moment là, je présenterai le projet de manière ouverte, nous verrons exactement les quantités de matières dont nous auront besoin, le prix pourra se fixer et s’ajuster. Cette question économique, dans les 6 mois où j’ai pu penser à la conception de projet, sont difficile à prendre en compte, et modifieront peut-être le projet, mêmê si j’ai tenté d’utiliser au maximum les matériaux locaux et des techniques ne demandant pas de technologies couteuses. Sans aucun doute que le projet se verra modifier lors de sa confrontation avec le monde «réel», à moi de réussir à lui faire garder son essence première. Le fait de construire avec des matériaux tel que le bambou et la terre a aussi été assez délicat étant donné que ce ne sont pas des matériaux qui font parti de la culture architecturale des écoles d’architecture en général et encore moins française. Je sens que je manque encore de contact réel avec la matière, pour comprendre et réaliser des détails de qualité et pouvoir innover pa la suite. Mais c’est aussi pour ça que je meurs d’envie de construire ce projet, il sera en quelque sorte mon baptème architectural.

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POSTLUDE

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ENTRE DEUX MÉTIERS Lors de cette dernière année, j’ai eu la chance de pouvoir faire deux stages à la fois: chez un artisan bamboutier, qui m’a permit d’avoir un premier contact avec la matière et dans le laboratoire de recherche en architecture et urbanisme de l’école d’architecture de Lyon (LAURE). Le fait d’avoir un stage manuel et l’autre intellectuel représente bien mon état d’esprit quand à mes perspectives d’avenir professionnelles. Lors d’un exercice de début de semestre, il nous avait été demandé de représenter sur un A4 quel architecte nous voulions être, j’ai répondu avec ce photomontage qui a pour titre : «architecte-paysan, un être humain manulectuel. Je ne sais pas à quel point il est possible d’unir ces deux métiers, seul l’avenir me le dira mais je vais tout faire pour m’en donner les moyens. À la rentrée prochaine, après -je l’espère- avoir validé ma formation d’étudiant en architecture, je commencerai celle d’étudiant de la nature grâce au métier de paysan. Je partirai pour trois mois aider ma mère à la récolte de café, et je présenterai le projet au village pour ensuite chercher une partie des fonds nécessaires au chantier de la Maison de l’Autoconstruction en compagnie du Maire. J’y chercherai une co-tutelle de thèse, dans laquelle j’aimerai avoir un volet dédié à l’expérimentation à échelle 1 à travers la construction de ce projet. Finalement, ce travail est donc autant mon projet de fin d’étude que mon projet de début de vie. 59


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