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Arthur Woniala « Il faut développer des campagnes de sensibilisation sur ses atouts »
from AM 435-436
by afmag
BUSINESS
Arthur Woniala
PDG DE KHAINZA ENERGY
« Il faut développer
des campagnes de sensibilisation sur ses atouts »
Ce jeune ingénieur en mécanique ougandais de 32 ans a fondé en 2016 Khainza Energy, une société de production de biogaz. Il nous raconte son parcours et les difficultés qu’il a rencontrées. propos recueillis par Cédric Gouverneur
AM : Comment est née Khainza Energy ?
Arthur Woniala : J’ai commencé à me pencher sur le biogaz avec trois amis à l’université de Makéréré à Kampala, en 2015, alors que j’étudiais les énergies renouvelables. Par rapport au solaire, à l’éolien et à l’hydroélectricité, le biogaz me semblait plus simple à mettre en œuvre. J’ai installé un projet pilote dans ma ville natale, Mbale, dans l’est de l’Ouganda. Et cela a réussi ! Nous avons donc construit des systèmes pour les maisons et les fermes. Nous n’avons pas pu obtenir de financement auprès des banques : les taux d’intérêt sont très élevés (24 à 30 %) et les délais de remboursement trop courts. Les processus de négociation des prêts prennent du temps et sont rattrapés par l’inflation ! Nous avons donc soumis le projet à Total Ouganda en 2016, qui nous a fourni un financement d’amorçage d’environ 12 000 dollars, car elle cherchait des projets de transition énergétique. Khainza Energy était née ! Au début, nous n’avions qu’une poignée de clients, car notre installation était assez coûteuse. Mais l’année suivante, en mettant le biogaz en bouteilles, nous avons réduit son coût de 500 dollars à… 35 dollars, avec un prix de recharge de seulement 10 dollars par bouteille ! Hors d’Ouganda, la première institution à s’être intéressée à nous est britannique : la Royal Academy of Engineering nous a aidés à obtenir des financements à Londres, au Cap et à Nairobi. En 2018, Khainza Energy a en outre été finaliste du prestigieux prix de l’institution, l’Africa Prize. Avec notre partenaire, l’ONG italienne Fondation AVSI, et grâce au financement de la Banque africaine de développement, nous formons 200 jeunes à des projets d’énergie verte. D’où vient le nom de votre entreprise ?
Dans ma langue natale, le gisu, « Khainza » signifie « petite personne ou chose ayant un immense potentiel ». C’est aussi le nom de jeune fille de ma mère, qui était asthmatique à force de cuisiner au charbon de bois. Lorsque j’ai terminé l’université, elle a été hospitalisée. J’étais anéanti. Je ressens un très fort sentiment de responsabilité : je veux promouvoir le biogaz afin que les Africains ne cuisinent plus au charbon, très nocif pour leur santé. Khainza est aussi le prénom de ma fille de 6 ans, j’espère qu’elle dirigera un jour l’entreprise [sourire] ! Quelle est votre clientèle aujourd’hui ?
Environ 350 ménages, soit 5 000 personnes, utilisent nos bouteilles. Ainsi que deux écoles, dix fermes et trois instituts professionnels. Une bouteille de 6 kg peut permettre à une famille de sept personnes de cuisiner un mois et coûte environ 50 dollars. C’est beaucoup plus propre, sain, et avantageux que le charbon de bois (qui est désormais très cher, surtout pendant la saison des pluies). Nous réalisons un chiffre d’affaires annuel d’environ 55 000 dollars.
Quels sont vos projets ?
Nous sommes convaincus qu’il est possible de considérablement développer l’adoption des énergies renouvelables en collaborant avec de jeunes producteurs pour fabriquer des produits abordables et durables. Nous travaillons avec plus de 300 jeunes, qualifiés dans la production et la commercialisation de biogaz, de briquettes, de réchauds à économie d’énergie et de gaz de pétrole liquéfié (GPL). Face au succès, nous mettons en place le Khainza Energy College, afin de former les jeunes en énergies renouvelables, en agriculture intelligente face au changement climatique, et en économie verte. En outre, 85 % de nos ventes sont réalisées en ligne : cette approche, adoptée en 2020 lors de la pandémie, a entraîné une baisse des coûts opérationnels. Nous avons lancé l’application Khainza (pour Android), la première boutique en ligne africaine de produits de cuisson propre. Nous produisons environ 5 tonnes de briquettes par semaine. Comment développer le potentiel du biogaz sur le continent ?
Les gouvernements doivent travailler avec le secteur privé dans l’objectif de développer des campagnes de sensibilisation sur les atouts du biogaz : lorsque les gens s’impliquent, le coût de son adoption est réduit d’environ 25 %, car ils peuvent fabriquer leurs propres intrants, tels que les briques. Une politique de gestion et de collecte des déchets est primordiale. Enfin, nous devons développer un meilleur mécanisme de financement pour que les ménages puissent l’adopter plus facilement. Comment convaincre les gouvernements et institutions de soutenir le biogaz ? Le Programme de partenariat pour le biogaz en Afrique (ABPP) a dû fermer en 2019…
Nous avons été très attristés par la fermeture de l’ABPP. Leur souci était que plus de 40 % des projets soutenus n’étaient pas opérationnels. Certains des ménages qui ont reçu les systèmes de biogaz n’en voulaient même pas ! Afin de convaincre les gouvernements et les instituts de soutenir le biogaz, le secteur privé doit mener des études de faisabilité approfondies. Les entreprises du secteur doivent s’engager sur la transparence des projets. Khainza Energy est devenue la première entreprise de biogaz en cinq ans en raison notamment de l’accent que nous mettons sur le service après-vente : nous veillons à rendre visite à tous nos clients au moins une fois par an. Les entrepreneurs doivent-ils s’unir ? En raison de capacités limitées et d’un grand potentiel de marché, les entreprises de biogaz en Ouganda coopèrent déjà entre elles. Souvent, si une société obtient un client et qu’elle est occupée, elle fait appel à ses concurrents pour effectuer l’installation pour gagner du temps : il n’est pas rare de voir un ingénieur travailler pour 10 entreprises ! Je suis un bon ami de Guled Ahmed, fondateur de Jiko Biogas, qui a mis en place des projets brillants en Somalie, notamment pour les réfugiés. En collaboration avec l’université de Makéréré, nous envisageons, lui et moi, une bourse pour les étudiants effectuant des recherches sur le biogaz. Son équipe fait aussi de l’engrais avec du lisier [substrat de la fabrication du biogaz, ndlr] : il s’agit d’un produit révolutionnaire, étant donné qu’en Ouganda, nous importons deux tiers de notre engrais d’Amérique du Sud ! Avec Guled et d’autres, nous planchons donc sur une alliance des acteurs du biogaz en Afrique subsaharienne, ce qui facilitera notamment le soutien d’organisations telles que la Banque africaine de développement (BAD). Nous y travaillons et l’annoncerons en 2023. ■