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ABIDJAN LA CITÉ AFRO GLOBALE

Capitale

économique de la Côte d’Ivoire, c’estlatroisième ville francophonedumonde.

Un chantier permanent quitente de corriger le passéenpensant déjà le futur.Undéf en matière d’aménagementurbain.

Un creusetdecultures et de peuples, tous bien décidésàsefaire unevie dans cettemégalopole ouverteaugrand large.

par Zyad Lim am

Elleest là, tout àlafoisorganiséeet chaotique, tentaculaire,posée entre océanetlagune, peuplée déjà de près de 6millionsetdemid’habitants. En croissance exponentielle, en pulsation permanente,ent ravaux perpét uels Lesdernièressemaines ontété denses àcesujet.Le17juillet,aété inauguré le nouveauparcdes expositions, tout près de l’aéroport.Une structureuniqueenA frique francophone, modulable, uneconceptionaudacieuseetcontemporaineque l’on doit àl’architectePierreFak hour y, et capable d’accueillir manifestationssportives,concerts,foires, expositions, àunniveauinternational.Débutaoût, on devraitcouper le rubandu5e pont,entre le PlateauetCocody. Unestructure àhaubans quis’élanceau-dessus de la laguneetqui changera l’iconographie de la ville, un peucomme le HarbourBridge àSydneyoulepontdeBrooklyn àNew York.Dansquelques semaines,le4e pont,entre YopougonetAdjamé, devraitêtre ouvert àlacirculation,lui aussi. En at tendant, lestravaux de l’échangeurd’A kwaba, entrel’aéroport et Port-Bouët,ont commencé, au granddam desautomobilistes épuisés parles emboutei llages permanents et redoutablesdelacité. Des automobilistesqui seront certainementsoulagéspar l’achèvement proc hain du grandrond-point tunnel d’Abobo, de l’autrecôtéd’Abidjan. Il faudrait aussiévidemmentparlerdu métro, cetimmense chantier de près de 2milliardsd’euros Un redoutabledéfi, complexe,àlafoissur le plan humain et technologique,entamédepuis plusieurs années.Lapremière lignenord-sud, reliantA nyamaàPort-Bouëtetlonguedeprès de 37 km,dev rait voir le jour en 2027.Oupeut-être un peu plus tard.Difficile d’avoirdes informations. Ou desimages. L’affaireest quasimentclassée top-secret…Maiselleaurades effets transformateurs,révolutionnaires majeurs.Toute une vie–des commerces,des résidences,des lieuxdeloisirs –se planifiedéjàlelongdelaf utureligne et desf utures stations

Et desprojetsliésàlaCoupe d’Af riquedes nations, qui se tiendradu13janvier au 11 février2024. Un événement continentaletplanétairequi testera la fluidité et l’organisation de la villeenmodeg randeurnat ure. Abidjanseraau cœur de l’événement. Ce sera le «campdebase» de la plupa rt desofficiels, desV IP et despersonnalités du monde entier,associations, Confédérat ionafr icaine de football et déléguésdelatoute-puissanteFIFA. Et avec deux enceintes pour la compétition: le stadeoly mpique Alassane Ouattara d’Ebimpé,construit aveclaChine,inauguréenoctobre 2020 et remisaux standardsinter nationau x, et àquelquesk ilomètres de là, en pleincœurduPlateau,le« vieux» stadeFélix Houphouët-Boigny aété entièrementrénové, avec unecapacité portée à40000 places.

QUAND« BABI »RENAÎT DE SESCENDRES

Bref,lamégalopoleest en travaux. Ellechange littéralement de visage, elle se métamorphose.L’arrivée au pouvoir d’Alassane Dramane Ouattara en 2011 et lesannéesdeforte croissance quisuivent vont mett re unefor midableénergie dans le moteurd’une villealorsblessée.Comme en attente depuis la findes années1990, aveclecoupd’ÉtatdeNoël, la chuted’Henri KonanBédié et lesannéesdeparalysie qui vont suiv re.Etplusdouloureusement encore,aulendemain de la crisepost-électorale de novembre2010. Abidjanest à genoux,exsangue. Lestracesdelav iolencedes combatssont littéralementsur lesmurs.L’eau et l’électricité manquent, les écoles sont fermées, lesadministrationsdévastées.Depuis,on rénove, on construit, on enjambelalagunepar cesponts aussi sy mboliquesque concrets.Ledéveloppement économique,la croissance rapide, avec unemoyenne de 8% paran, favorise l’extension et la vitalité de la ville, et ce, malgré la pandémiedeCov id-19, malgré lesretombées macro-économiques globales de la cr iseenU kraine. Sous l’impulsionprésidentiel le,onreconstr uit, on rénove, on remodèle, on prévoit desinf rastructures incontournables. Le PIBdupaysa doublédepuis 2011 et devraitatteindre près de 100milliardsde dollarsàl’horizon 2030.Abidjanest àlafoisl’épicentreet le sy mboledecesecond miracle ivoirien.C’est icique ça se passe. C’estici queles «grands» et les« petits », leshabitants et lesimmigrantsv iennentchercherfortune,créer, investir La Banqueafricaine de développement (BAD)y arouvert son siègecentral en septembre2014. L’Organisation internationale du cacao(ICCO), implantéedepuis 1973 àLondres,s’y est installée en av ril2017. Lesavionsetles hôtelssontsouvent pleins,les investisseurscherchent desopportunités. Lescréateurs et lesartistespor tent une« Babi nouvelle vague»,se retrouvent,voguent de bars en maquis branchés,d’expositions ensalles de vente. Lesgaleristesimpriment leur marque sur un marché naissant et dy namique. La nuit,lav illenes’endort pas, àpartpeut-être le Plateau, rétifàlafêteetses excès. Mais en Zone 4età Cocody,tousles chatssont gris, et leslumières sont souventalluméesjusqu’à l’aube.Villeaux ambitionsaffirmées,Abidjan ne compte plus lesgrandsrestaurants et les bonnes tables auxadditions vertigineuses. S’ypresseune foule souventjeune,enphase avecles dernièresmodes du monde et de l’Afrique.

Abidjan, c’estlacitédubusinessetdes affaires,des entrepreneurs,des pirateségalement,attirés parcequi brille, des artistes,des intellectuels, desfêtards.Çabouge,çaf usionne, ça crée,çarêveengrand. Et puis,ilyacette touche particulière,cette ouvertureversl’extérieur,àl’autre,les maisonsqui

Le tout nouvea up arc des ex positio ns, inau gu ré le 17 ju ill et accueillent l’étranger C’est rare, finalement Les Abidjanais ne sont pas complexés, c’est peu de le dire Dans les élites, on se sent citoyens du monde. Et elles sont peu nombreuses, ces villes « af ro -globa les » qui bougent, qui rayonnent, qui « concentrent ». Abidjan, « Babi » pour les aficionados, prend progressivement toute sa place sur la carte globale. Après tout, nous sommes ici dans la troisième vi lle fr ancophone au monde, après Kinshasa et Paris.

La vi lle n’es t pa s né e de nulle part. À l’origine, c’était un ensemble de petits villages le long de la lag une, des communautés at tiées et ébr iées da ns l’ombre de Grand-Bassam, premier point d’entrée colonial. À Bassam, les França is développent une véritable ville de carte postale, avec sa poste, sa gendarmerie, son école, un peu comme à Saint-Louis du Sénégal. Mais c’est aussi le centre d’une colonisation du territoire plus large. Les épidémies répétitives de fièvre jaune qui décimèrent les Européens, en particulier celle meur trière de 1899, vont mettre fin à cette ambition Et il fut décidé de déménager vers un endroit plus propice. Le site d’Abidjan (terre des Bidjans, un sous-groupe ébrié) fut choisi. Il présentait toutes les qualités « coloniales », à condition d’y creuser « un canal entre la mer et la lagune ». En 1912, le commandant de cercle des Lagunes sera presque le dernier à quit ter Bassam pour s’installer à Abidjan. La nouvelle capitale prospère sur un modèle de ségrégation raciale. Au Plateau, c’est la cité blanche et administrative. À Treichville, c’est la cité nègre et ouvrière. Il faudra y construire un pont flottant en bois pour que les travailleurs viennent travailler…

Aujourd’hui, les traces de cette époque sont rares. La ville mute et croît le long de cette incroyable lagune qui fait son identité si particulière Et elle cherche comme à effacer cette histoire coloniale traumatisante. Le président Houphouët-Boigny voulait constr uire une cité capable de rivaliser avec les autres grandes cités du monde. Le Plateau, et ses premiers immeubles de grande hauteur (IGH), sera donc le sy mbole de cette nouvelle Côte d’Ivoire fière et indépendante Le premier président de la République avait aussi d’autres ambitions, en particulier pour sa ville natale, Yamoussoukro, qui deviendra capitale. Un transfert affectif, et peut-être logique Mais « la perle des savanes » ne parviendra pas à affaiblir « la perle des lagunes ». Abidjan n’est plus la capitale politique. Et pourtant, elle reste bien au centre du pays, creuset, plus que toutes autres, de toutes les identités.

Abidjan, c’est aussi administrativement et géographiquement un dist rict autonome – comme Yamoussoukro, d’ailleurs. Le pér imèt re regroupe les 10 communes d’or ig ine : Abobo, Adjamé, At técoubé, Cocody, le Plateau, Yopougon, Treichvi lle, Koumassi, Ma rcory et Port-Bouët Et quat re sous-préfectures adjacentes : Bingerv ille, Songon, Anyama

Ci -d es su s, le pe intre Abo udia, étoile de l’ar t conte mpo ra in

Ci -c ontre, à l’entrée de la com mun e d’Ab obo et Brofodoumé). Chacune se ressent comme une ville à part entière. Avec son maire élu, sa culture urbaine, son identité, sa de nsité. Yopougon, avec son 1,5 mill ion d’ habita nt s, est à elle seule la plus grande ville de Côte d’Ivoire. Plus au nord, Abobo peut contester ce classement, avec son 1,3 million d’habitants, et dont le regret té Hamed Ba kayoko, qui en fut maire, disait : « Ici, c’est un peu comme la CEDE AO, avec toutes ces nationalités qui cohabitent… » Le Plateau se mobilise pour une nouvelle jeunesse. Cocody cultive son chic et ses larges avenues (et ses ta xis jaunes à bout de souf fle et de course…). Marcor y et Koumassi (avant, on disait « la ville au-delà des ponts ») restent les épicentres du commerce et de la nuit Treichville, nostalgique, voudrait retrouver sa place de plus grand marché d’Abidjan. Pendant ce temps, PortBouët, la rebelle, s’engage dans le futur avec les nouveaux développements près de l’aéroport Félix Houphouët-Boigny À ces identités multiples, on pourrait ajouter aussi les plus ou moins 30 « villages » ébriés ou attiés répertoriés, certes fondus dans la cité, mais qui gardent chacun des traditions, des juridictions informelles… Et puis, comment ne pas évoquer tous les nouveaux venus ? Les vagues de migration internes et ex ternes, af ricaines, ma is aussi d’ai lleurs – frança ises, libanaises,asiatiques–,qui vont tout àlafoisbouleverser et enrichir leséquilibresoriginaux.Les apportss’entrechoquent ÀMarcory,dansles quartiershuppés, auxcôtésdes fortunes traditionnelleslibanaises, apparaissent desimmeubles financés, dit-on,par lesfortunesduMali. Alorsqu’àTreichville, les pauv resvenus de la sous-régiondorment àmêmeletrottoir, autour du marché

TOURNÉEVERSL’AVENIR

Lesinégalitéssont br utales,plusici qu’ailleurs dans le pays.Cer tainsquartiers évoqueraient presquelaCalifornie ou le Port ugal.Villas huppées, grands arbres ombrageu x, buildingsconceptsetluxueux, mall s et boutiquesd’avantga rde. Certainsqua rt iers sont popu la ires,etsontent rés dans la légende urbaine, comme Anou mabo,r endu cé lèbr epar lesMag ic System.Ouencorele vi llagedeBlock hauss, au pied du majestueux l’hôtelIvoire, qui résisteencoreettoujours àlaspéculation immobilière.Maisily a aussiles enclaves de misère et de pauv reté,les habitats anarchiques soulignantv isuellementl’urgence despolitiquessocialesetderéhabi litation urba ineàlongter me. Desqua rt iers précaires quireprésententu n cinquième de la ville. Un peuplusde1million d’habitantsexposés àtousles risques, en particulier auxinondations en périodedepluies. La situationest telleque la réhabilitation n’estplus uneoption. Il faut envisager,unjour, de détruire pour reconstruire. Le dossierest politiquement et économiquement explosif Enfin, se pose la question de la «durabilité ». L’ensemble de la villetient surunécosystème lag unairepar ticulièrementf ragile.Etles pollution ssemultipl ient :t ra itementdes eaux, gest iondes pluies,des déchetsindustrielset urbains, desplastiques, de la qualitédel’air,protectionetvalorisationdes espacesverts…Les urgences sont multiples.Les plastiques et lesrésidus industrielsreprésentent un dangerpar ticulier.Ils ne sont pasbiodégradables, s’accumulent et menacent lescommunautés (richesoupauvres) surles berges.Côté pouvoirpublic,laprise de conscience est réelle. La décharge d’Akouédoa étéferméeetdev rait se transformer en parc urbain.Les travauxd’infrastructures visent à décongestionner le trafic et sonimpactsur la qualitédel’air On parledeplusenplusdesolutionsélectriques.Objectif : fairemuter 30 %duparcdansles années àvenir.Enfin,ilfaut aussisouligner l’importantProjetdesauvegardeetdevalorisation de la baie de Cocody et de la laguneÉbrié (PABC),porté parlegouvernementduPremierministrePatrick Achi et le royaumeduMaroc.Une approche écolo-urbaineparticulièrement ambitieuse, avec le traitement deseauxetdes déchets, et la création d’unemarina. Ce projet estconnectéà l’ouverture de l’embouchure du fleuve Comoé, àGrand-Bassam,poursoulager leseauxdelalaguneÉbrié

L’autreobjec tif serait de déconcentrer l’activité économique. Abidjanpèse« lourd », peut-êtretroplourd.Lav ille représente près de 70 à80% du PIBdupays. Il faudrait pousserledéveloppement hors lesmurs,transférer desemploiset de l’activité vers lesv illes secondaires et l’intérieurdupays. Déconcentrer pour déstresser la ville.

Il faut donc répondre auxexigences d’aujourd’hui, corriger, rattraperlepassé et penser le futur. Commeledit Bruno

Koné,ministre de la Construction,du Logement et de l’Urbanisme, le tout dans une« villeenvie,active et dynamique».Enajoutant: «Aujourd’hui, nous sommes de plus en plus en mode anticipation,aulieud’êtreenmode rattrapage.» Abidjan, commetoutes lesgrandes métropoles émergentes du monde, doit donc voir loi n. Se «comprendre» dans sa dy namiqueà long terme. Àl’horizon 2030,10millionsdepersonnes vivront dans uneconurbation quis’étendra de Jacquev ille(àl’ouest)à Assinie(àl’est). Il faudrait même s’inscrire dans un horizonencorepluslarge,dansledemisiècleà venir.Entre AbidjanetLagos,est en traindenaître l’unedes grandes« mégalopolis »dufutur,1 200kilomètresde zonesurbaines se touchant pratiquementles unes lesautres, en passantpar le Ghana, le Togo,leBénin…

Ça pourrait donner le vertige. Mais «Babi »alafoi.Ici, entrelaguneetocéan, àl’ombredes toursetdes ponts, entre maquis et marchés, entrerichesetpauvres,entre urbanité d’hier et d’avant-garde, s’écritcertainementl’undes chapitres de l’Afriquecontemporaine. Et du futur. ■

Entrelagune et océan, s’écrit certainement l’un des chapitres de l’Afrique contemporaine.

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