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NPOURDEMAIN?

Le25juillet 2021,arguant d’un péril imminent, le présidenttunisienopérait un passageenforce en s’arrogeanttousles pouvoirs.Sur fond de pandémie et de criseéconomique, mais surtout de déliquescencepolitique, l’offensive de Kaïs Saïedaété la rgementsoutenuepar lesTun isiens, quisouhaitaientunclimatde gouvernancemoins clivant, plus efficace quecette république despartis. Ilsrejetaientune classe politiquedominée parles islamistes d’Ennahdha,qui allait de compromisencompromissions,etune corruption omniprésente.Larelance du pays et l’assainissement du paysagepolitique semblaient dèslors possibles. Pour cela, l’hommequi avaitfaitcampagnesans prog ra mmeetannonçait qu’i lseraitauser vice de ce que «lepeupleveut» devenait celuiqui tombeà pic :unsauveur, un héros, un intouchable. Unedimension quilui apermis, avec l’appuid’unplébisciteélectoral et le soutiende l’opinion publique,demener sonoffensive en répétant inlassablement qu’iln’y aurait «pas de retour en arrière».Vingt-quatremois plus tard,leprésident resterelativementpopulaire,maisle désenchantements’installesur fond de crisesocioéconomique permanente. Et avec la perception d’un netrecul surles acquis démocratiquesetles libertés.Les élites sont prudentes, l’opposition estdiffractéeetses leadersenglués dans desprocès kafkaïens. Lesrebellessont en prison.Lepouvoir de tous est désormaiscelui d’un seul,à l’originedetoutes lesdécisions Nouvelleconstitution, élection d’un nouveauParlement (avec destauxdeparticipation électorale très faibles),KaïsSaïed en appelle presqueàlalutte desclasses.Ses propos clivants séduisentune population tenueà l’écar tdudéveloppement ou desaccèsàlarichesse. Il semble annoncer queletemps de la revanchea sonné. Beaucoup ontencorefoi en leur chef d’État,qui adopte au fildutemps uneposture messianique. Lesnantissont prévenus et font profil bas. La pressiondela présidence finitpar avoirraisondes plus réfractaires,notamment dessyndicalistes.

Mais la réalitéetles défissont là.Incontournables. La situation économique esttendue. Surfonddeperte de confiance, les finances publiquescroulentsousune dettereprésentantplus de 80 %duPIB.Les pénuries de produits de première nécessité sont fréquentes,dujamais-vu dans la Tunisiemoderne.La question du pain aprobablementcoûté sonposte àlaPremière ministre NajlaBouden, remerciéele1er août dans la nuit.Etremplacée paruncadre de la Banquecentrale, Ahmed Hachani.Les entreprisespubliques sont sclérosées, et si le secteur privésemontre résilient, il estsoumisàune très forte pression fiscale. Seul le tourisme,encet été2023, tourne à pleinrégime, malgré leschaleurs records.LedealavecleFMI resteensuspens.Lacrise migratoire estvenue bouleverserle pays.Des migrants se sont retrouvésexpulsésdansledésert.

L’Union européenne estvenue promettredes centaines de millionsd’euros,àcondition quelaTunisie tienne sesfrontières… Àl’aspectsécuritaireest venues’ajouter unecrise humanitaire, dont lesimagesont fait le tourdumonde.LaPremière minist re italienneest venuedeuxfoisàTunis en quelques semaines (le6 juin et le 16 juillet), accompagnéed’une délégation de haut niveau,g rillantaupassagelapolitesse àla diplomatie française, commedépasséepar lesévénements. Le présidents’est renduàRomepourunsommetsur la migration rassemblantles dirigeants du pourtour méditerranéen, le 23 juillet.Une alliancedefacto entreles rivessud et nord, alorsque la Tunisiesecherche unestratégie de long terme, durable. Pour Kaïs Saïed, le timingest crucial. Lesprochaines électionsprésidentielles sont prév uespouroctobre 2024,dans un peuplusd’unan. D’icilà, lesforcespolitiquespeuvent se recomposer àl’infini…Sil’agendaest dominéavant tout parla multiplicitédes crises,laquestion de «demain », d’un chemin vers la post-révolutionetledéveloppementéconomiquereste ouverte. Af riqueMagazine s’estdonctournéversdes leaders d’opinion,intellectuels,représentants de la sociétéciv ile, toujours soucieux d’apporter leur éclairage.

Khadija Mohsen -Finan Politologueetspécialiste du mondearabe

«LEMOMENTEST PROPICEàune lecture critique.Mêmel’opposition se demandece qu’elle aàdéfendreetaux côtésdequi.La gauche,qui semble décalée, étaitdéjàinerte et inexistanteavant queKaïsSaïed ne l’aseptise. On s’estbeaucoupinterrogé :« Où estl’opposition? Que font sesacteurs ?» Mais il yalieudesedemander :« Àquoi s’oppose-t-on? »Àtousles projetsetinstitutionsqui ontété vidésdeleursensauprofitd’une présidentialisation? Et que reste-t-il àdéfendre, unefoisque lespartispolitiquesetles corpsintermédiairesont ététorpillés ?

Paradoxalement,KaïsSaïed aretournéles valeurs quiont fondélarévolutionpourenfaireles responsables de la faillite actuelle.Sibienque la démocratie estaccusée, et parfois même le peuple. Mais de quoi ce dernierserait-ilresponsable ? Unepartiedel’élite estime quel’onnepeutrienenfaire,alors que, convoqué àdes consultationsàtrois reprises,ilaàchaque fois exprimésadésapprobation –celle-cin’a pasété priseen compte.Les intellectuels, àqui il appartient d’avoirune lecture critique,n’ont passuffisammentdit quelapopulation asa part de responsabilité,etont préféré lessondages, surlesquels il faut égalements’interroger. Un vide en matière d’opposition et uneabsence de lecturecritiquedeladernière décennie ont permis àKaïsSaïed de réussirson coup,sanscompterlamain tendue de certainspaysétrangers,eux-mêmes en porte-à-faux DR

La nat ion est sou mise àu ne imp or ta nte pé nu ri e de produ it sd ep re mière néce ss ité. Ic i, le srayons vi de sd ’u nsup er ma rc hé de la ca pi ta le vis-à-visdeleurproprediscours,qui renf louent sescaisses Ilsconfientunmandattrèsimportant surl’externalisation du contrôle desf luxmigratoires àquelqu’un quiabordelamigration subsaharienned’unpoint de vueracial.

Tout estébranlé aujourd’hui, depuis la foienlapolitique ou la démocratie au rôle desélitesetdes intellectuels, en passant parlaplace du peuple. Actuellement,lamoindre critique estinaudible.Onimputesystématiquementles responsabilitésaux autres et on fait dans la mise àl’index.Lerejet du système politique, incarnépar l’émergence desindépendants quisepréparaient auxlégislativesaprès avoirremportéles municipalesde2018, aété occulté. Mais cela mérite tout de même réflex ion. La mort du présidentBéjiCaïdEssebsi a bouleversé le calendrier électoraletdifféré l’analysedecette période. Lesreproches fusent sans discernement et sans que personne ne rev iennesur sonmandat, où il aété beaucoup plus loinavecEnnahdhaque Moncef Marzouki avec Ettakatol, quel’onf ustige pour tant pour la troï ka de 2011.Tous ont étédansune gestionverticale et uneprésidentialisation, quiremettent en question la constitution de 2014 et ôtent au peuplesavocation. Le reproche quipeutêtrefaitconcerne moinslerapprochement entreEnnahdhaetles modernistes quel’absence de débouché surunprojetcommunauprofit du pays.Lemanquedeculture politiqueest patent.Ilaurait fallusavoir s’arrêterpourfaireune lecturecritiquedecette transition,définirles manquements et adopterunpoint de départ àpartir deséchecs. Sans cettelecture politique, nous sommes dans uneposture d’abandondesoi et du pays,dans un laisser-faire. C’estcequi prévautactuellementetempêche d’anticiperlaTunisie de demain.»

Faouzi Abderrahmane Ancien ministre de l’Emploi et de la Formation professionnelle et ancien dirigeantd’AfekTounes

«L’E NJ EU ESTGLOBA L. On ne peut ni être dans l’év itement, ni se contenterde mesuresimproductives. Le tout estpolitique :iln’est plus question de consolider àmoindresfrais unestructure dégradée, il faut reconstruireles piliersd’une démocratie.Maisnous n’en sommes paslà, hélas. Unedémographie maîtrisée et un emplacementgéographiquesont desatoutsàvaloriser.Lavoie de sortie la plus sérieuse àlacrise économique et socialeest d’arrimernotre économie àcelle de l’Unioneuropéenne. Mais cela ne sauraitsuffire sans unev raie vision et unebonne exécution,dansuncadre politiqueapaiséetcompétent.Toutes lesinstitutionssont àréinventer,etriennepourraêtreentrepris sans uneconsciencecollective plus mature quecelle qui existe aujourd’hui. »

Kaïs Mabrouk Professeur en télécommunications et deputyCEO de Bouebdelli EducationGroup

«L ES PR IORI TÉSsesont accumulées et, partemps de crise, sont toutes urgentes pour se donnerles conditionsd’unenv ironnement propice au développement économique et social.Laséc ur ité, gage de stabilité, ne se résume pasàlalutte antiterroriste.Elleimpliqueaussi une gouvernanceàv isagehumain desf luxmigratoires.Ilenva de notrerespect et de l’imagedupays. Il n’ya pasderecette magiquepouraméliorer l’attractivité du pays :renforcer les affaires,promouvoirl’innovation, améliorerlacompétitiv ité, diversifierl’économie, développer dessecteurs àforte valeur ajoutée, et ce pour un développementpérenne.Enamont, assainir lesfinancespubliques, revoirlapressiondeladette et engagerdes réformes,afindelaisser présager davantage de transparence et unebonne gouvernance. Uneplusgrande clarté politiqueetl’efficacitédes institutions démocratiques seront aussiles garantes de cettestabilité.

Un développementinclusif, innovant et compétitif doit investir dans l’éducation, avecune montée en gammedusystème éducatif,une adaptation desprogrammesaux besoins du marché du travail pour former unemain-d’œuv re qualifiée et un renforcement de l’accèsàl’éducation privée de qualité pour tous.L’alarmante fuitedes cerveaux démontre l’urgence de fairepreuved’audaceetdev ision pour ancrer la Tunisie dansson tempsetdansles ambitionsdeses enfants. »

AbderrahmaneHedhili Enseignant,militant desdroitshumains et présidentduForum tunisien desdroits économiquesetsociaux

«DEM AIN? C’ESTTOU TDESUITE. La transition se cherche, mais il faut souligner qu’elle aaussi fait sonbilan en cours de route. L’erreur aété de donner la prioritéàlapolitique, tant nous étions sûrs qu’ilyauraitundébatnationalsur les questionssocialesetledéveloppement. Bienentendu,cela n’apas eu lieu et la gouvernancea étéunproblème, puisque personne n’avait, àv raidire, le mode d’emploi de la bonne marche d’un pays.Des sacrifices peuventêtreconsentis pour fédérerautourduprojetTunisie,maisilfautque lesautorités adoptent cetteapproche collective.Les catégories sociales ont besoinde reconnaissance, d’inclusion et de dignité. La crise actuelle aaussi pour origineladégradation du tissuindustriel

Lesmouvementsprotestataires nésdeproblématiqueséconomiques et sociales n’ont pasrelayéles messages cont re la pauv reté,ledénuement et la misère,auxquelss’ajoutent aujourd’huiladéscolarisation et la migrationirrégulière.

Il estv raique rien ne peut se fairesansl’État, mais il peut sauver la mise en se mettantàl’écouteetcesser la riposte sécur itairequi vise lesjeunes. Ce pays estrésilient,etces dimensionsper mettentdes actionsàeffet rapide. Un nouveau modèle induiraitundéveloppement avec la conduite de réformes,notamment desmécanismesdefinancement de l’économie parl’inclusion desforceséconomiques et sociales, dont celles issues de l’informel,dansl’élaboration d’un modèle de développementa lter nati f, pa rlarefontedes systèmes éducatif et fiscal,maisaussi de la formationprofessionnelle, afin d’améliorer la productivité,les compétences, l’employabilité desjeunes, et de réduire lesdisparitésrégionales avec la justicesociale et l’amélioration desser vicessociaux.Cette construction estcelle quiferal’avenir de la Tunisie. »

HatemMliki

Ancien députéetexpert en gouvernanceet développementrégional

«L’AVENIRCONSISTEàsedemandersila Tunisie, avecles bouleversementspolitiques qu’elle connaît, va rejoindrelemonde moderneoupas.Pource faire, le pays ne doit pasrenonceràses acquis démocratiques, même s’ilssontunpeu embr yonnaires,fragiles et contestés. Malgré tous lesautresproblèmes,larésilienceactuelleàce sujetest notable. La batailledes acquis démocratiquesnedoit pasêtreperdue, tant au niveau politique, avecdes élections libres et transparentescomme seul mécanismed’accès au pouvoir,qu’au niveau de la préser vation desdroitsetlibertésen engageantdes réformes,dontcelle de la justice. Être dans le mondemoderne rev ient égalementàrendresajeunesseau serv icepublic,enmatière d’accèsetdequalité,degestion et de management,etcesser de supporterdes coûtstrèsélevés pour desser vicesinappropriés.Leparadoxeest qu’un État dont lesfinancessontdéfaillantessepénaliselui-mêmepar sa qualitédeser vice médiocre et onéreuse. La transition d’un système paralysé vers un système efficace, avecune gestion modernequi intègreles nouvellestechnologies, estunimpératif. Remporterlabatailledelacompétitiv itéetdel’attractivité permet trad’éviterd’isoleretdef ragiliserlaTunisie.

Ellen’a peut-êtrepas autant d’avantagesque d’autres quiont plus de ressources ou unemeilleure organisation politique, mais sans être parmiles champions, elle esttoujours dans la coursedumonde libre.

Esquisserdes perspectivesouunscénarioest diff icile. Certes, le pays se maintientparmi ceux àrevenus intermédiaires,comme l’AlgérieouleMaroc pour la zone arabe, mais lesindicateurs de l’endettementetdudéficit public sont au rouge,aucontrairedes indicesdedéveloppement humain et de compétit iv ité. Il faut êt re vigilantsur la pauv reté et l’analphabétisme technologique, et opérerune transfor mation culturelle quiadopteles principesdu mondemoderne. La Tunisiedoitcesser de discuter d’év idencesoudeproblématiques déjà résolues et admisesà unetrèslarge majorité, commelagestion de l’eauoudes catastrophes,lechangement climatique, la gouvernance,ladémocratie. Le pays gagnerait en sérénité et en énergie pour réaliser sa métamorphose. »

HatemNafti

Essayisteetauteurde Tunisie: Vers un populismeautoritaire?

(éditionsR iveneuve)

«SORTI RDEL’I SOLATION es tl ’e nj eu actuel pour la Tunisie. Kaïs Saïed,aubout de deux ans, estenpasse de réussircet te prouesse. En indicateur majeur, un prêt de 400millionsde dollarsoctroyé parl’Arabie saoudite,qui coïncide avec la signature du mémorandum d’ententesur un partenariatstratégique et global avecl’Union européenne.LeFonds monétaireinternational (FMI) pourrait décaisserle1,9 milliard de dollarsen instance depuis 2022,essentiel àdes levées de fondsàl’international.Celarev ient àdireque le régime s’en sort plutôt bien et qu’il amanifestementréussià convaincre lespartenaires internationaux,qui apportentleursoutien.Lemémorandum préciseque la Tunisiechoisira lesréformesàengager sans être soumiseàconditions. LesEuropéens craignentuneffondrementdupaysetlamenace migratoire,maisles États-Unis semblent avoirf léchisansraisonapparente.Laquestiondes droits humainsetdeladériveautoritaireest évacuée, et le pouvoirredev ient fréquentable.

L’absencedeprotestationofficielle despaysafricainsen réponseà la crisevisantles migrants subsahariens déclenchée parleprésident Saïed– hormis le communiqué de l’Union africaine–interroge et esttroublante. Tout se déroulecomme si le racismen’était odieux quelorsqu’il vientdes Blancs.En interne, l’opposition semble décidéeàlaisser fairejusqu’à ce quecelas’écroule,maismanifestement, despuissances n’appuient pascette option.C’est unev ictoirepourlecampoccidental, puisquelaTunisie restedanslegiron européen,et plus personne ne parled’intégrerles BR ICS(Brésil,Russie, Inde,ChineetA frique du Sud).Une formedevassalisation s’estinstallée –elleest perceptible avec le frère algérien.Cette situationpeutperdurerpar manqued’alternative crédible.»

Mourad Mathari

Créateur d’événements, producteur et organisateur de spectacles

«L APRESSIONDEL’ÉTATsur la cult ure estdeplusenplusfor te.L es pr ivés sont écartés, et le ministère desA ffairesculturelles accapare l’ensemble de l’activité de manière systématiqueetréf léchie,de tellesorte qu’il se crée unepetiteindustrieculturelleàson échelle. Ce derniergère lesespaces,les autorisationspourla création dessociétés, légifère,toutenpréférant lesanciennes loisensafaveur, et le protégeant de l’émergence d’un secteur privé. Il organise, subventionne,sanctionne et fait grimper lestar ifsdes prestationstechniques. Ce n’estpourtantpas sonrôle, et cespratiques relèvent d’unemauvaisegestion des denierspublics.Ildoit être dans l’équité et opérer unegestion desespaces sans s’at tr ibuerune sortedemonopoletacite. Le spectacleest un métier,etcer tainementpas celuid’un ministère. Lesfestivals,dontcelui de Carthage,sont en difficulté, fautedetenir compte desnouvelles exigences de la scèneetdel’évolution du public.Chacundoitêtredanscequ’il sait fairelemieux,etc’est justementainsi quelaculture peut rayonner.L’inter ventionnisme et la mainmise de l’État nuisent àlaculture,cequi ne peut être l’objectif.Sacontribution serait plus valorisante àtravers despartenariats, en déléguantaux privés et en encourageant lesfestivals thématiquesqui sont en train de disparaître. Ce quivautpourles spectacles vaut égalementpourtousles secteurs de la culture. » ■

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