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À

43 an s, Feurat Alan imèneu ne vie surplusieurs fronts.Avecdes origines entrelaSeine et l’Euphrate(d’où son pr énom). Avec de nombr eu xter ritoires de reportageetd’écriture. Et à Dubaïoùi lv it depuis 2012.Auteur, grandrepor ter, Feurat estnéàPar is le 5décembre1980, de pa rents irakiens, exilés.Son père Amir AhmedA lani étaitunopposant au régime de Saddam Hussein, et vivrepluslongtemps àBagdadn’était pasune option.Enfantd’unIrakv iolent et tourmenté, Feurat agrandiàNanterre, tout près de Paris, dans l’unedes 18 tours de la fameusecitéPablo Picasso.Samère yv it encore,etlejournaliste étaitlà, en juin dernier, quand lesémeutes d’unev iolencerareont éclaté,suite àlamor tdu jeuneNahel,tué parunpolicieraprès un ref us d’obtempérer

Aussiva-t-ils’exprimersur cettet ragédief rançaise parun textepubliésur le site Mediapart,qui fera du br uit.

Feurat commence sa carrière en 2003,endécouvrantà la télévision lespremiersbombardements américains surl’Irak Étudiant en journalisme, cesimagesprécipitentson retour à Bagdad, où il réaliseses premiers reportages,enimmersion da ns sa fa mille. Il devientcor responda nt de 2003 à2008 pour différents titres de la presse francophoneinternationale. De retour àParis en 2008,ilrejoint Canal+ et leséquipes de L’Ef fet papillon.Ileffectuedes reportages au xquatrecoins du monde, auxÉtats-Unis, en Ég ypte,enA lgérie,enMauritanie… Très vite producteur indépendant,ilretournedans le «paysdes deux fleuves» et réaliseundocumentairequi fera date, Irak :Les Enfants sacrifiés de Falloujah. Un témoignageglaçant surles conséquences de l’utilisation parl’armée américainedebombesàl’uranium appauv ri.Tweets, textes, reportages…L’Irakreste au cœur de sontravail.Une quête quiaboutit àlapublication d’un romangraphique, Le Parf um d’Irak , honoré parleprixA lber tLondres,en2019. Mais ce chemin desoriginesn’est pastoutà fait accompli.Son père meur ttoutjuste avantcette récompense. Feurat reprendsa quêted’écr it ure. Je me souv ien sdeFalloujah, sonprem ier roman,v ient de paraître.Ilretrace le parcours de Rami,réf ugiépolitique irak ienperdu dans sessouvenirsdejeunesse. Un texteémouvantsur le père,laf iliation,les ravagesde l’amnésie,lepoidsde l’histoire et dessecrets de famille.

AM : Vosparentssont Irakiens. Et ilsont quit té leur pays pourlaFrance.Quelle est leur histoire d’exil ?

Feur at Al an i: Monpèreaquittél’Irak en 1972 après avoir étéi ncarcéré pa rlerég ime. Saddam Hussei néta it alorsenc ha rgedepoursuivreles opposa nt s. Le pa rt iBaasaupouvoir ne tolérait aucune opposition ni voix discordante.Mon père était trotsk iste,etcomme beaucoup de mil it ants,aété ar rêté pour ac tivisme. Il adécidédef uiravecl’espoir de revenir un jour…Mamère n’étaitpas militante.D’une famille plus aisée, elle pouvaitvoyager plus faci lement.Fin desa nnées1970, el le arendu visite àsasoeur qui résidait en France.Elleyarencontrémon père et adécidéderester. La guer re Iran-Ira kaéclatédeu x ansplustard.

Vous êtes né en France et vous êtes un enfant de l’exil.Quel impactsur votre propre vie, votre chemin de travail ?

Je me souviens de Falloujah, JC Lattès, 288p., 20 €

Le Pa rfum d’Irak et Fa lloujah :M a ca mp ag ne pe rd ue so nt au ss itrè s pe rsonn el s, avec en to il ed efon d l’intimi té de l’auteu r.

Êt re un en fa nt d’ex il és ,e nl ’o cc urrence d’ Ir ak ,u np ay s loi nt ain et mé co nn u, n’ayantpas de passécolon ia l aveclaFrance(sauf un cour tmomentdel’histoireavecMossoul,v iteconcédéeaux Br itanniques), donnelesenti ment d’êt re en ma rge parmiceuxenmarge.Une sensation étranged’inv isibilité, d’être àcôté de la société. Cela acer tainementeuune incidence, je croispositive, surmamanière de voir leschoses. D’un pointdev ue différentsûrement, d’un angledécaléaussi. Être enfant de réfugiés donnecer tainement l’enviedes’intéresser auxparcours desautres. De raconter sonhistoire, mais aussicelle de l’altérité

Votreattachement àcet te terre desorigines s’exprime par votreprénom Feurat,qui estlaversion franciséed ’Euphrate. D’où vientceprénom donné par votrepère?

Monpèreagrandisur lesrives de l’Euphrate,àFalloujah. C’estunf leuvemythiqueetsurtout très importantenIrak, en particulier pour leshabitantsdes villes quilebordent.Mon pèreafailli se noyerdedans. Puis,après l’avoir apprivoisé, comme lesautresgarçons de sonâge,ilaappris àplongeret ày enterrer despastèques pour lesrécupérer rafraîchiesle soir.Ilanouéune relation particulière aveccet endroit, cette source. Peut-être m’a-t-il nomméainsi pour rester près d’elle et pour ne pasque j’oublie mesorigines. Vous -même, vous revenezenIrakpouryêtre correspondantdepresse,de2003à200 8, lors de l’invasion américaine et de la chutede Saddam Hussein. Quelle estvotre lecturede l’histoire irakienne ? Cettenation est- elle vouéeàlasou ffrance permanente?

Je n’ai co nnul ’I ra k qu ’e ng ue rr e. Je su is né en 1980,l ’a nnée du déclenchementducon fl it av ec l’ Ir an .D ep uis ma naissa nce, l’Ira kn’est que sy nony me de violence, dictature,invasion…Heureusement,j’aieulachancede découv rircepaysen1989, la seuleannée paisible de cesquarantedernièresannées. Alors, j’ai eu la preuve quenon,cette nation n’était pasvouée àlasouff rancepermanente. Je me suis raccrochéàcette année 1989,loind’être parfaite –c’était toujours unedictature –, mais durant laquelle lesgenssemblaientavoir une vienor ma le,qui ressemblaità la nôtreen France.Demanière généra le,l’histoi re irakien ne estfaite de périodedeg uerreetde paix.L’âge d’or de l’Islam, parexemple,naît àBagdad. C’estlointai ncer tes, mais je suis optimiste. Un jour,l’Irakv iv ra en paix. Vous avez étéhonoré par leprixAlber tLondres en 2019,pourvotre romangraphique, Le Parfum d’Irak. Vous yparlezd ’unjournalismed ’immersion , àhauteur d’homme,unjournalismedelavie aussi. Peut -onencorepratiquercet te presse de proximitéà l’époquedelatoute -puissance du Webetdes réseaux sociaux?

Non seulementonlepeut, mais je penseque c’estplusque nécessaire ànotre époque digitale.Lejournalisme se meurt face àlasurinformation,aux fake news,àl’intelligenceartificielle.Ildevient de plus en plus difficilederecouper lesbonnes informationsetd’exercer cetteprofession.C’est clairementun défi.Jecrois qu’il faut œuvrer pour rendrelejournalisme d’immersionplusv isible,plusvalorisé. L’anecdote autour du Parfumd’Irak estjustement la dénonciation de la «sur-rapidité » et du tempscourt surles réseaux sociaux. J’ai alorsdécidé d’écrire le textedemon premierouv rage en prenant le temps surTwitter.Ladémarche étaitd’utiliser cetoutil pour montrer quel’onpouvait attirerdes liseurs curieux, avecunrécit au tempslong, surunsujet lointain, àcondition d’être sincère, justeetimmersif. Il faut allerchercherles lecteurs et lectrices, j’en suis convaincu.

Votrepèreest décédéen2019, quelquessemaines avantleprixAlber tLondres.Etvousvenez de faire

raconter son histoire,maisaussi celledel’altérité.

paraî treunroman, Je me souviensdeFalloujah, un récitqui évoquelepassé récent de l’Irak, mais quis ’appuie surtoutsur la vied ’unpère, justement, touché parlamaladie,comme pournepas laisser s’échapper son histoire.

Oui, la démarche première étaitderef user l’oubli d’un homme, monpère, monhéros. Je trouve insupportablel’amnésieautourdel’histoire et de la grande histoire.Dansma vie, monpère étaituntaiseux avecune histoire folle, riche, puissante. Il représente aussil’exilé quisesacrifiepoursa famille. C’étaitunintellectuelqui afaitdes boulotsder ue en France pour surv iv re.J ’aivoulu luirendrehommage,tout en racontantunIrakméconnu. Le sien surtout, et le mien,à hauteurd’homme et de femme.

Opposition,admiration,« modélisation »… Nos pères sont- ilsàcepoint déterminants ?Structurants? Et nousmêmes, que se passe- t- il lorsquenousdevenonspère ?

J’en suis persuadé,maintenant quejelesuis àmon tour. Au départ,onnelevoitpas.Jemesuisconstruit en opposition parrapport au mien sans me rendrecompte,audépart,detout ce quej’aiprisdelui.Ilbuvait, je n’ai jamais bu de ma vie. Il fumait,jen’aijamaisf umé. Il militaitpourunparti,j’aichoisi d’être journalisteetdoncnon partisan.Maisaujourd’hui, je prends conscience desvaleurs qu’ilm’a laissées.L’intégrité, l’honnêteté, la droiture,laloyauté.Seconstruireenopposition ou en admiration, àmon av is,nechange rien.Çanous construitmalgrénous.

Dansvotre documentairede2011, Irak :Les Enfants sacrifiésdeFalloujah,vousévoquez la bataille dantesque quis ’y estdéroulée. Une villequi, dites-vous,vingt ansaprès,est toujours dévastée parles ef fets de la guerre.

Oui,elleaété un laboratoirepourl’armée amér icaine. Deux bataillesenavril et novembre 2004 l’ontrasée. Et les conséquences su rlapopulat ion sont désast reuses encore aujourd’ hui. Desa rmes toxiques,pri ncipalementdel’uranium appauv ri et du phosphore blanc, ontété déverséessur la ville, tout cela àl’encontredes conventionsinternationales. Des bébés déformés naissent tous lesjours.Les cancersont explosé. Uneétude indépendanteafaitune comparaisonavec Hiroshima. Elle conclutque la toxicité àFalloujahest supérieure àcelle de la villejaponaise…

Vous avez grandiàlafameuse cité PabloPicasso, àNanterre. Vous étiezlà-bas pendantles émeutes de finjuinetdébut juillet,pourrendrevisiteàvotre mère.Etavezpublié unetribune dans Mediapart.

Comment analysez-vouscette éruption de violence ?

Quedit -elle de la sociétéfrançaise actuelle ?

J’ai grandi tout petità Paris, puis en banlieue,àArgenteuil, et ensuiteàNanterre, où j’ai passélaplusgrandepartiedema jeunesse. Quandonvit dans cesquartiers,quand on yrevient, quandonyreste connecté,cet te ér uption de violence n’est pasune surprise. C’estl’accumulation de beaucoup de choses, unemauvaisegestion politique, sociale, économiquedelapart desgouvernements français depuis le débutdes immigrations, mais notammentdepuis quarante ans. Le décalage entrelavie dans cesquartiers et celledansles autres,lesentiment d’avoir étéabandonné et d’être en marge(encore unefois) créent unecoupure socialedont il estdifficile de se relever. Tous les «plans banlieue »parlent de chiffresmaispas d’humains, de statistiques et nondeparcours.Ladéconnexion avec lesforces de l’ordre, vues uniquement commerépressives,notamment depuis la findelapolicedeproximité (qui n’estpas la solution miracle nonplus),a exacerbé lestensions. Il faut le reconnaître,lasociété françaiseest fracturée.Ilya plusieurs France. Comment définissez-vous votre« francitude »?

Peut -onêtremétis,biculturel et françaisàlafois?

Comment gérer l’altéritédansunmonde qui se referme de plusenplussouvent surles questionsd ’identité, d’appar tenance, de religion… ?

Je n’aijamaisréellementintellectualisé la question avant d’yêtreconfrontédansmav ie.Jev ivaistrèsbienlefaitd’être français avantque,parfois,onmecontredise. Celam’est arrivé lors de contrôlesaveclapoliceoulorsdesimples questions curieusessur monpositionnement en France.Etpuis,unjour, j’ai découvert LesIdentités meurtrières, d’Amin Malouf,etj’ai lu deschosesassez simplesetpourtantsicompliquéesàformuler. Quandonest de double culturecomme moi, ce n’est jamais du 50/50. C’estuntout.Jemesensfrançaiscomme irakien. CitoyendelaRépubliquecomme musulman.Jecrois qu’il faut se concentrer surle« et », et nonpas surle« ou ». Nous ne choisissonspas.Noussommes.

Quevousreste -t -ildel ’Irak,aujourd’hui?

Vous vivezàDubaï,comme pourvousrapprocher toujours un peuplusdeceMoyen -Orient, centre de votremondeetcentre du monde…

L’Irak estdansmon cœur.J ’ail’impressiondepourchasser ce pays perduque j’ai cruapercevoiren1989. En même temps, monmétierm’a amenéàvoyager auxquatrecoins de la planète et àm’intéresser auxautres.L’Irak estessentiel dans ma vie, mais il n’estpas moncentre, il estmon pointdedépart. ■

Du 27 ju in au 5jui ll et, de snuits d’ém eu te s onte nf lammé le qu ar ti er Pa bl oP ica sso, àN ante rre(ci -c ontre), ai nsi qu ed ’a utres vi ll es hexa go nal es, àl asuite de la mo rt de Nahe l Me rzou k, 17 ans , tu ép ar un pol i cie r.

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